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Plans de mobilisation français de 1875 à 1914

Les plans de mobilisation français de 1875 à 1914 sont des plans militaires établis par l'État-Major de l'Armée française pendant la période entre la guerre franco-allemande de 1870 et la Première Guerre mondiale.

Il s'agit d'une succession de plans de mobilisation et de concentration des forces françaises, prévoyant l'augmentation massive des effectifs grâce à l'arrivée des réservistes (c'est la mobilisation), puis le transport par chemin de fer des troupes (la concentration), sous la protection des unités frontalières (la couverture). Tous ces plans préparent l'envoi de la majeure partie du corps de bataille le long de la frontière franco-allemande. Le plus connu de ces plans est le dernier, le « plan XVII », qui est appliqué en août 1914 lors de la mobilisation générale de 1914.

Les plans de 1875 à 1914
Numéros Plan IPlan IIPlan IIIPlan VIPlan VIIPlan VIIIPlan IXPlan X
Entrées en vigueur 187518771878
Numéros Plan XIPlan XIIPlan XIIIPlan XIVPlan XVPlan XV bisPlan XVIPlan XVII
Entrées en vigueur

Réformes des années 1870

De 1871 (traité de Francfort) à 1919 (traité de Versailles), l'Alsace-Moselle est un territoire allemand portant le nom d'Alsace-Lorraine. Les premiers plans français prévoient donc un déploiement très en retrait à l'ouest de cette frontière franco-allemande.

Sous le Second Empire, l'armée française eut à se déployer massivement à deux reprises par chemin de fer, en 1859 pour la campagne d'Italie et en 1870 pour la guerre franco-allemande. À la suite de ses défaites durant la guerre de 1870, l'armée française est en état de faiblesse face à l'émergence de l'Empire allemand : elle a perdu une partie de ses effectifs lors des combats, le traité de Francfort signé en lui enlève l'Alsace-Moselle (perte de population, d'industrie et de fortifications : les places de Metz et de Strasbourg deviennent allemandes), tandis qu'une portion du territoire reste occupée jusqu'en (date du départ des Allemands de la place forte de Verdun).

Il faut donc du temps pour mettre sur pied une armée imitée de celle prussienne, avec d'abord le passage à la conscription en 1872 (loi Cissey)[1], puis la création de 19 « régions de corps d'armée » (chacune fournissant un corps d'armée dès le temps de paix)[2] en 1873, un règlement sur les transports stratégiques entre en vigueur en 1874, le financement des nouvelles fortifications (programme Séré de Rivières) est établi la même année et enfin une augmentation des effectifs (152 régiments d'infanterie[n 1] 77 de cavalerie et 38 d'artillerie)[3] est annoncée en 1875. Les premières études prévoyant l'organisation de la concentration des troupes françaises face à l'Allemagne débutent en 1872, aboutissant en 1875 au « plan I »[4].

1875-1886, premiers plans défensifs

Le plan I de 1875 se base sur la forte probabilité du respect bilatéral (par l'Allemagne comme par la France) des neutralités belge, luxembourgeoise et suisse. Il est prévu de créer quatre armées françaises déployées sur une ligne Vesoul, Langres, Bar-sur-Aube et Reims, hors de portée de la frontière. Les premières opérations prévues seraient en cas d'invasion une marche de trois armées jusqu'au front Épinal, Neufchâteau et Donjeux, pour attaquer le flanc gauche allemand débouchant de la Moselle. Une hypothétique cinquième armée (composée des 14e et 15e corps stationnés dans les Alpes et du 19e corps en Afrique du Nord) pourrait être concentrée entre Nuits-sous-Ravières et Châtillon-sur-Seine[6].

Le plan II de 1877 prend un peu plus de précautions face à l'amélioration du dispositif allemand en Alsace-Moselle, en reportant plus en arrière la concentration des 1re et 2e armées françaises, à Dole et sur l'Ource.

Le plan III de 1878 profite de la construction des nouvelles fortifications (système Séré de Rivières) et du développement du réseau ferroviaire (plan Freycinet) pour rapprocher la concentration de la frontière, déployant jusqu'au 13e jour quatre armées (chacune composée de quatre corps) sur la ligne Épinal, Neufchâteau, Bar-le-Duc et Sainte-Menehould, avec une cinquième entre Langres et Chaumont. Deux petites armées de réserve (constituées en tout avec six divisions territoriales et deux d'active) doivent être constituées plus tardivement autour de Vernon et de Bourges. La couverture de ce dispositif doit être assurée par la cavalerie ainsi que par les 6e et 7e corps (ces deux derniers mobilisés sur place)[7].

Les plans IV et V sont à peine esquissés à partir de 1878, envisageant le passage des troupes allemandes par la Belgique (avec ou sans soutien belge)[n 2]. Une armée française est donc prévue entre Reims et Châlons. Le plan III est modifié en , prenant en compte l'alliance entre l'Allemagne et l'Italie, maintenant deux corps dans les Alpes et avançant une division pour couvrir Nancy[8].

Plan III de 1882[9]
1re armée 2e armée 3e armée 4e armée 5e armée 1re armée de réserve 2e armée de réserve Armée des Alpes
Déploiements autour d'Épinal de Neufchâteau à Gondrecourt de Ligny à Revigny de Nettancourt à Mourmelon de Chaumont à Langres autour de Vernon de Bourges à Nevers vallées menant en Italie
Compositions 7e, 8e, 16e et 17e corps 5e, 9e, 12e et 13e corps 4e, 6e, 10e et 11e corps 1er, 2e, 3e et 18e corps 14e, 15e et 19e corps 4 divisions 4 divisions 14e et 15e corps

Le plan VI de 1883 reprend la concentration en treize jours de quatre armées (chacune à quatre corps) sous la protection des places fortes de Belfort, d'Épinal, de Toul et de Verdun avec une armée de réserve sur le plateau de Langres. La nouveauté est le déploiement dès les premiers jours en avant des fortifications de cinq divisions de cavalerie soutenues par trois divisions et trois brigades d'infanterie, couvrant Montmédy, les Hauts de Meuse, Nancy, Lunéville, le Sud des Vosges, Belfort et Montbéliard[10].

Plan VI de 1883[11]
1re armée 2e armée 3e armée 4e armée 5e armée
Déploiements autour de Charmes autour de Colombey autour de Bar-le-Duc autour de Sainte-Menehould de Jussey à Langres
Compositions 7e, 8e, 16e et 17e corps 5e, 9e, 12e et 13e corps 4e, 6e, 11e et 18e corps 1er, 2e, 3e et 10e corps 14e, 15e et 19e corps

Le plan VII de 1884 renforce encore la couverture, qui passe à dix divisions de cavalerie (par création lors de la mobilisation des cinq nouvelles), maintien quatre armées en première ligne qui doivent être prête le 13e jour et au complet le 15e jour, soutenues par trois armées de réserve en seconde ligne derrière l'aile droite (5e armée), le centre (6e) et l'aile gauche (7e), formées de réservistes et de territoriaux, au complet le 19e jour[12].

Plan VII de 1884[13]
1re armée 2e armée 3e armée 4e armée 5e armée 6e armée 7e armée Armée des Alpes
Déploiements de Charmes à Épinal de Mirecourt à Colombey de Commercy à Bar-le-Duc sur l'Argonne autour de Luxeuil au nord-est de Chaumont à l'est de Châlons vallées menant en Italie
Compositions 7e, 8e, 16e et 17e corps 5e, 9e, 12e et 13e corps 4e, 6e, 11e et 18e corps 1er, 2e, 3e et 10e corps 5e, 8e, 13e et 17e DR 4e, 9e, 11e et 12e DR 1re, 2e, 3e et 10e DR 14e et 15e corps

1887-1897, plans plus offensifs

Présentation de l'étendard aux recrues du 6e régiment de cuirassiers devant l'École militaire (tableau de Louis Auguste Loustaunau, 1887) : les années 1880 forment un contexte plutôt militariste et patriotique.

La création de deux nouvelles lignes ferroviaires permet aux Français de se déployer un peu plus rapidement, tandis que les mauvaises relations entre l'Allemagne et la Russie (cette dernière déçue par la Duplice et par le congrès de Berlin) font espérer qu'une partie des effectifs allemands soit envoyée en Prusse-Orientale, ce qui permettrait aux Français d'avoir une légère supériorité numérique. À ces conditions, l'État-Major français envisage d'attaquer en Alsace-Moselle, en évitant la place forte de Metz par le plateau lorrain et la plaine d'Alsace en direction de place forte de Mayence[14].

Le plan VIII de 1887 prévoit encore quatre armées en première ligne (prêtes le 11e jour, mais pas encore au complet) et trois de réserve en seconde ligne (prêtes le 15e jour), mais le déploiement de la première ligne se fait plus en avant, sur la ligne Charmes, Pont-Saint-Vincent, Saint-Mihiel et Verdun. Si l'Italie reste neutre, les 14e et 15e corps seraient envoyés en arrière de Belfort pour attaquer l'Alsace ; de petits parcs de siège sont organisés avec seize canons courts de 155 mm et huit mortiers de 220 mm (alors que l'invention de l'obus-torpille remet en cause toutes les fortifications maçonnées), tandis que l'infanterie de couverture est renforcée par des renforts hâtifs et que quatre divisions de cavalerie sont concentrées entre Verdun et Stenay. Une variante plus défensive est prévue, avec débarquement reportés en arrière dans la Haute-Saône et dans la Haute-Marne[15].

Plan VIII de 1887[16]
1re armée 2e armée 3e armée 4e armée 5e armée 6e armée 7e armée Armée des Pyrénées Armée des Alpes
Déploiements de Épinal à Charmes de Charmes à Pont-Saint-Vincent de Toul à Saint-Mihiel de Verdun à Sainte-Menehould au nord de Luxeuil de Neufchâteau à Gondrecourt autour de Châlons autour de Laon et de La Fère vallées menant en Italie
Compositions 7e, 13e, 16e et 17e corps 5e, 9e, 12e et 8e corps 4e, 6e, 11e et 18e corps 1er, 2e, 3e et 10e corps 5e, 8e, 13e et 17e DR, 14e et 15e corps 4e, 9e, 11e, 12e DR et 19e corps 1re, 2e, 3e et 10e DR 16e, 17e bis et 18e DR 14e et 15e corps

Le plan IX de 1888 maintien le déploiement de quatre armées d'Épinal à l'Argonne, avec une cinquième de Neufchâteau à Gondrecourt. La cavalerie est massée en deux forces de trois divisions, autour de Lunéville et au nord de Verdun. Désormais les corps d'armée sont groupés deux à deux sur chaque ligne de transport, les troupes des Alpes (14e et 15e corps, laissant derrière eux les bataillons de chasseurs alpins créés cette année-là) doivent être transportés autour de Lure et Vesoul, les troupes des Pyrénées (trois divisions de réserve) sur Reims et Laon, tandis qu'une variante défensive prévoit de débarquer sur la ligne Vesoul, Langres, Saint-Dizier, Blesmes et Valmy[17].

Le plan X de 1889 (développé sous les ordres du général Félix Saussier) fait face à l'augmentation du nombre de réservistes en Allemagne : il prévoit la création à la mobilisation d'un « corps d'armée bis » dans 16 régions militaires, composé majoritairement de territoriaux (avec peu d'artillerie), la constitution d'un 20e corps composé de troupes de marine et de tirailleurs, ainsi qu'un renforcement de la couverture par l'envoi hâtif le 3e jour de cinq divisions d'infanterie. Les forces sont organisées en quatre armées de première ligne de Remiremont à Sainte-Menehould (16 corps d'active et deux corps bis) et trois de seconde ligne à Luxeuil, Neufchâteau et Reims (huit corps bis et le 20e corps)[18].

Plan X de 1889[19]
1re armée 2e armée 3e armée 4e armée 5e armée 7e armée 9e armée Armée des Alpes
Déploiements de Gérardmer à Épinal de Châtel à Crévéchamps de Pont-Saint-Vincent à Commercy de Bar-le-Duc à Sainte-Menehould au sud de Neufchâteau de Luxeuil à Port-d'Atelier à l'ouest de Reims vallées menant en Italie
Compositions 7e, 8e, 13e, 16e corps et 16e corps bis 5e, 9e, 12e et 17e corps 4e, 6e, 11e, 18e corps et 4e corps bis 1er, 2e, 3e, 10e corps et 1er corps bis 5e bis, 9e bis, 12e bis et 20e corps 8e bis, 13e bis et 17e corps bis 2e bis, 3e bis et 10e corps bis 14e et 15e corps

Le plan XI de 1891 est préparé en raison du manque d'artillerie pour équiper les 16 corps d'armée bis. Ces derniers sont donc remplacés par neuf corps de réserve (numérotés à partir du numéro 21). Il est prévu de créer sept armées dans l'Est, dont quatre en première ligne et trois de réserve autour de Luxeuil, Neufchâteau et Reims. Les deux corps des Alpes doivent de leur côté s'emparer des têtes de vallée italiennes. Une variante défensive reporte les débarquements plus en arrière, jusqu'à une ligne allant de Lure à Brienne, tandis qu'une autre variante prévoit qu'en cas de violation de la Belgique la 4e armée serait déployée du Quesnoy à Rethel et la 5e entre Sainte-Menehould et Bar-le-Duc[20].

Plan XI de 1891[21]
1re armée 2e armée 3e armée 4e armée 5e armée 7e armée 9e armée Armée des Alpes
Déploiements de Bruyères à Châtel de Charmes à Mont-Saint-Vincent de Toul à Saint-Mihiel de Bar-le-Duc à Nettancourt de Donjeux à Neufchâteau de Vesoul à Lure au sud de Reims vallées menant en Italie
Compositions 7e, 8e, 13e et 16e corps 5e, 9e, 12e et 17e corps 4e, 6e, 11e et 18e corps 1er, 2e, 3e et 10e corps 19e, 20e, 25e, 29e et 32e corps 28e, 33e et 37e corps 22e, 23e et 30e corps 14e et 15e corps

Le plan XII de 1893 prend en compte la toute nouvelle alliance franco-russe et la réforme de la réserve (qui passe de sept à dix classes ; chaque subdivision mobilise désormais un régiment d'active et un de réserve). L'organisation est toujours en sept armées dans l'Est, dont quatre en première ligne. Il y a trois variantes : en cas de défensive, en cas d'attaque brusquée ou en cas de violation de la neutralité belge ou suisse[22]. Face au renforcement italien, une hypothèse prévoit une guerre avec l'Italie seule en prélude à un conflit avec l'Allemagne, les 14e et 15e corps recevant alors en renfort les 13e et 16e corps, tout en restant sur la défensive[23].

Le rapprochement entre la République française et l'Empire russe est motivé uniquement par des considérations militaires contre les adversaires communs (l'Allemagne, mais aussi le Royaume-Uni), ce qui donne lieu à la visite du président Émile Loubet à Saint-Pétersbourg en 1902 (dessins de Caran d'Ache).

Le plan XIII de 1895 est la conséquence d'une nouvelle réforme de la réserve, qui prévoit de renforcer chaque corps d'armée lors de la mobilisation avec une division de réserve (ce qui porte les corps à trois divisions chacun), les corps de réserve étant limités à cinq (27e, 28e, 30e, 34e et 38e, constitués à la mobilisation avec des réservistes et quelques territoriaux). L'organisation est encore en sept armées dans l'Est, dont quatre en première ligne, avec une variante reportant en arrière les débarquements[24].

Plan XIII de 1895[25]
1re armée 2e armée 3e armée 4e armée 5e armée 7e armée 9e armée armée des Alpes
Déploiements de Châtel à Charmes de Charmes à Colombey de Toul à Commercy au sud de l'Argonne nord-est de Chaumont de Luxeuil à Jussey autour de Reims vallées menant en Italie
Compositions 7e, 8e, 13e et 16e corps 5e, 9e, 12e et 17e corps 4e, 6e, 11e et 18e corps 1er, 2e, 3e et 10e corps corps de la Marine, 30e et 34e corps 19e et 38e corps 27e et 28e corps 14e et 15e corps

1898-1910, retour à la défensive

Le canon de 75 mm, à tir rapide, entre en dotation à partir de 1897 et devient l'arme quasi unique de l'artillerie de campagne française. Ici, la mise en batterie d'un canon de ce modèle lors des manœuvres de 1913, avec son caisson à munitions.

Le plan XIV de 1898 prend en compte les craintes de l'État-Major (désormais dirigé par le général Jamont) quant au niveau d'instruction et d'encadrement des réservistes et des territoriaux, qui ne doivent désormais entrer en campagne qu'après un délai de prise en main. En conséquence, tous les corps d'armée repassent à deux divisions (renforcées en rajoutant un 4e bataillon à chaque régiment d'infanterie[n 3]), tandis qu'est abandonnée l'idée de créer des armées de seconde ligne et des corps de réserve : douze régions militaires doivent lever lors de la mobilisation une division de réserve, regroupées en trois groupes de divisions de réserve autour de Vesoul, Troyes et Reims, alors que les unités territoriales sont affectées aux places fortes, à la défense des côtes et comme troupes d'étape. Cette réduction des effectifs serait contrebalancée par l'amélioration de la qualité (il n'y a que des troupes d'active en ligne), l'arrivée en dotation du canon de 75 mm et l'intervention russe ; le commandant en chef français est censé faire son choix entre la défensive ou l'offensive au 8e jour de la mobilisation. L'organisation est désormais de cinq armées, déployées un peu en retrait sur la ligne Épinal, Neufchâteau et Revigny, la 5e entre Chaumont et Joinville, chacune dotée d'une « artillerie lourde d'armée » (chacune de 18 obusiers courts de 120 mm et de 12 canons courts de 155 mm). La 1re armée doit servir d'avant-garde en couvrant rapidement Nancy (où stationne le 20e corps, créé en ), soutenue par une couverture de sept divisions de cavalerie. L'hypothétique invasion allemande par la Belgique[n 2] entraînerait l'envoi des groupes de divisions de réserve et de la 4e armée entre Guise et Hirson, tandis qu'une invasion de la Suisse serait contrée par le déploiement du 19e corps dans le Jura[26]. En 1899, la crise de Fachoda a pour conséquence l'ordre de maintenir le 19e corps en Algérie pour la protéger d'un débarquement britannique, corps remplacé dans le Jura par une nouvelle division d'active, la 43e, qui doit être créée à la mobilisation à partir d'unités prélevées dans les Alpes[27].

Le plan XV de 1903, établi sous les ordres du général Joseph Brugère, est censé parer à toute éventualité, en déployant quatre armées en losange, capables de faire front de tous côtés, la 1re en avant autour de Nancy et de Toul, la 2e sur l'aile droite autour de Dompaire, la 4e sur l'aile gauche autour de Ligny-en-Barrois et la 3e en arrière autour de Neufchâteau. Les trois groupes de divisions de réserve sont autour de Reims – Châlons, de Troyes – Vitry-le-François et de LangresJussey, tandis qu'une division de réserve est placée à Paris. La couverture doit être assurée par la cavalerie et par les trois corps frontaliers (7e, 20e et 6e). Les inquiétudes quant au passage allemand par la Belgique, à une attaque brusquée par surprise (à l'imitation de ce que viennent de faire les Japonais à Port-Arthur), ainsi que les fortifications allemandes en Alsace-Moselle (les positions de la Moselle et de la Bruche) poussent l'État-Major à préparer en 1905 un variante déplaçant la 4e armée sur Saint-Mihiel, Pierrefitte et Vouziers, soutenue par une 5e armée autour de Revigny[28].

Le plan XV bis de 1907, du général Alexis Hagron, étend encore plus au nord le déploiement : la 2e armée (2 corps) de Belfort à Plombières, la 1re armée (4 corps) de Thaon à Pont-Saint-Vincent, la 3e armée (4 corps) de Pagny à Sampigny, la 4e (4 corps) de l'Aire jusqu'au nord de Verdun et la 5e (2 corps) autour de Vouziers. En renfort arriveront les 14e, 15e et 19e corps, renforcés par un corps colonial[n 4] et un 21e corps créé à la mobilisation avec des unités des 14e et 15e régions. Les trois groupes de divisions de réserve sont concentrés autour de LaonMourmelon, d'Arcis-sur-Aube – Troyes et de Gray[29].

« La concentration des armées allemandes s'effectuera à proximité immédiate de notre frontière, à une ou deux marches. Les enseignements de l'histoire, la méthode de guerre dont le Grand État-Major prussien se déclare le continuateur, l'étude des réseaux des quais de débarquement de nos voisins de l'Est, l'esprit d'offensive qui caractérise tous les actes de notre adversaire présumé, les renseignements fournis par l'état-major de l'armée constituent des probabilités voisines de la certitude.
[...] On peut affirmer que les Allemands chercheront à envelopper une aile ou les deux ailes de notre dispositif. L'enveloppement est profondément entré dans les mœurs militaires. Moltke leur a légué l'esprit ; leurs écrivains, et tout particulièrement ceux du Grand État-Major, le préconisent sans réticences et à tout propos ; l'exemple des dernières guerres de l'Afrique du Sud et de Mandchourie n'a pu que les confirmer dans une tendance qui, déjà, leur était naturelle. Bernhardi dans ses écrits, dont il convient de tenir le plus grand compte, en raison de la situation de l'auteur, va même jusqu'à restaurer presque entièrement la manière frédéricienne et c'est en termes parfaitement nets qu'il préconise l'emploi quasi total des forces allemandes sur un de nos flancs, tandis que le reste nous contiendrait — nous amuserait, pour mieux dire — sur le front. »

— Note du général de Lacroix, vice-président du conseil supérieur de la guerre, le 15 février 1908[30].

Le plan XVI de 1909, sous le général Henri de Lacroix, prévoit face à une offensive allemande (envisagée commençant au 10e jour de leur mobilisation) une attitude française défensive dans un premier temps, mais comptant sur l'intervention des alliés : « l'entente cordiale donne à la France toute sécurité sur son front de mer ; elle lui fait même espérer l’appui de forces militaires anglaises. La mobilisation et la concentration russes ont été sensiblement améliorées. ». Les régiments d'infanterie sont réduits à chacun trois bataillons, chaque corps été complété par une brigade de réserve, sauf les corps frontaliers (6e, 20e, 7e, 14e et 15e) qui sont renforcés par des unités d'active. L'artillerie est augmentée de 24 régiments[31], permettant d'obtenir à la mobilisation 46 divisions d'active (regroupées en 22 corps d'armée), 8 divisions de cavalerie, 22 divisions de réserve (dont douze forment quatre groupes de divisions de réserve, quatre aux places de l'Est, quatre dans les Alpes et deux à Paris) et 9 divisions territoriales (deux disponibles aux camps d'Auvours et de la Braconne, en cas de débarquement ennemi). Le déploiement se fait avec cinq armées des Vosges à Vouziers (regroupant 14 corps et cinq divisions de cavalerie), avec une 6e armée en arrière en Champagne (à quatre corps, concentrés de Mourmelon à Brienne) et quatre groupes de divisions de réserve à La Fère – Laon, à Soissons, à Troyes et au sud de Dole ; un groupe de trois divisions de cavalerie est envoyé autour de Rethel. La cavalerie doit être déployée dès le 3e jour après la mobilisation, les troupes d'active entre le 6e et le 10e et le complet au 17e jour[32]. L'hypothétique passage allemand par la Belgique ou par la Suisse, qui resterait limité dans son ampleur, doit être contré par la 6e armée[33].

1911-1913, retour offensif

Le général Victor-Constant Michel, éphémère généralissime désigné, nommé en 1911 et remplacé la même année par le général Joseph Joffre.
De gauche à droite, le général Joseph Joffre, le ministre de la Guerre Adolphe Messimy et le général Nicolas Chomer lors des grandes manœuvres 1911.

En 1911, le nouveau vice-président du conseil supérieur de la guerre, le général Victor-Constant Michel, propose de changer complètement l'organisation de la mobilisation. D'abord, envisageant un passage massif de l'armée allemande à travers toute la Belgique, il propose de masser la majorité des forces (onze corps : 8e, 9e, 10e, 11e, 12e et 13e de Lille à Avesnes, 16e, 17e et 18e entre Hirson et Rethel, sous la couverture des 1er et 2e corps) le long de la frontière franco-belge pour lancer une contre-offensive, ne laissant à la défense de l'Est que les trois corps frontaliers (6e, 20e et 7e, chacun à trois divisions), gardant comme renforts trois corps autour de Paris (3e, 4e et 5e), les deux corps du Sud-Est (14e et 15e), celui d'Afrique (19e) et un corps créé à la mobilisation (21e). Ensuite, pour avoir les effectifs nécessaire, il propose de faire disparaître la différence entre les unités d'active et celles de réserve en réunissant les deux à la mobilisation, les brigades (composées de deux régiments d'active en temps de paix) recevraient en renfort deux régiments de réserve (passant donc à quatre régiments en temps de guerre), ce qui doublerait presque les effectifs des divisions et des corps et ralentirait de deux à trois jours la durée de la concentration. Enfin, il envisage de fournir de l'artillerie lourde à chaque corps d'armée[34]. Soumis au conseil supérieur de la guerre le , la proposition de supprimer les divisions de réserve est rejetée à l'unanimité[35]. Le 28 juillet, qualifié d'« incapable » par le ministre de la Guerre Adolphe Messimy, le général Michel est destitué de ses fonctions[36].

Le , le nouveau chef de l'État-Major général, le général Joseph Joffre, ordonne aux 3e et 4e bureaux de son état-major de modifier le plan XVI sous forme d'une variante, un peu plus offensive. L'éventualité d'un passage par la Belgique est prise en compte : le dispositif est étendu jusqu'aux Ardennes, avec la concentration de la 5e armée entre Amagne et Mézières ; les 1re, 3e et 5e divisions de cavalerie doivent être envoyées elles aussi autour de Mézières. D'autre part, l'Italie étant occupée en Tripolitaine, les 14e et 15e corps sont envoyés en renfort sur Lure et Belfort, un des deux étant destiné à attaquer vers la Haute-Alsace. Les débarquements des quatre groupes de divisions de réserve sont avancés sur Vesoul, Toul, Sainte-Menehould et Mézières. Enfin, en conséquence de la conférence franco-britannique du , l'arrivée d'une armée britannique (appelée « armée W » dans les documents) de six divisions est envisagée[37], avec un plan de transport prévu par le 4e bureau des ports vers Maubeuge et Hirson.

Une deuxième variante du plan XVI est établie en , poussant un peu plus en avant le débarquement des troupes : la 6e armée est désormais à cheval sur l'Argonne, jusqu'à Grandpré, Varennes et Clermont, tandis que le 3e groupe de divisions de réserve est placée sur la Meuse de Dun à Dieue[38]. À la suite de la création en 1913 du 21e corps à Épinal[39] ainsi que des 9e et 10e divisions de cavalerie et l'extension de la 2e région jusque dans les Ardennes, une troisième variante est mise en application le , renforçant la couverture par le transport de plus de troupes d'active lors des quatre premiers jours de la mobilisation[40].

Notes et références

Notes

  1. Selon les trois décrets du 29 septembre 1873, aux 144 régiments d'infanterie (chacun à quatre bataillons), se rajoutent quatre régiments de zouaves, trois régiments de tirailleurs, un régiment étranger, trois bataillons d'infanterie légère d'Afrique et 30 bataillons de chasseurs à pied.
  2. L'hypothèse d'une attaque allemande à travers le territoire belge a été formulée dans quelque 300 ouvrages, dont un inventaire a été publié par Maxime Lecomte et Camille Lévi, Neutralité belge et invasion allemande : histoire, stratégie, Paris, H. Charles-Lavauzelle, , 608 p. (BNF 30810166).
  3. Le 4e bataillon des régiments d'infanterie, supprimé en 1887, est rétabli par la loi du 4 mai 1897.
  4. La loi du 7 juillet 1900 transfère les troupes du ministère de la Marine à celui de la Guerre, transformant les troupes de la Marine en troupes coloniales.

Références

  1. Loi du 27 juillet 1872 sur le recrutement de l'Armée, promulguée au Journal officiel du 17 août 1872, Bulletin des lois, no 101, p. 97 sur Gallica.
  2. Loi du 24 juillet 1873 relative à l'organisation générale de l'Armée, promulguée au Journal officiel du 7 août 1873, Bulletin des lois, no 147, p. 113 sur Gallica.
  3. Trois décrets du 29 septembre 1873 (portant création de 18 régiments d'infanterie, 14 de cavalerie et 8 d'artillerie, Bulletin des lois, no 158, p. 567-572 sur Gallica), promulgués au Journal officiel du 29 et du 30 septembre 1873, complétés par la loi du 13 mars 1875 relative à la constitution des cadres et des effectifs de l'Armée active et de l'Armée territoriale, promulguée au Journal officiel du 28 mars 1875, Bulletin des lois, no 257, p. 605 sur Gallica).
  4. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 3-4.
  5. Dominique Lejeune, La France de la Belle Époque : 1896-1914, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », , 5e éd. (1re éd. 1991), 191 p. (ISBN 978-2-200-35198-4), p. 88.
  6. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 4.
  7. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 5-6.
  8. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 7-8.
  9. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 6.
  10. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 8-9.
  11. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 7.
  12. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 10-11.
  13. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 10.
  14. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 12.
  15. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 13-16.
  16. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 14.
  17. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 17-18.
  18. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 18-19.
  19. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 20.
  20. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 20-22.
  21. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 22.
  22. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 23-24.
  23. Séance du conseil supérieur de la Guerre du 21 décembre 1893, AFGG 1922, tome 1, volume 1, annexe no 1, p. 1-4.
  24. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 25-26.
  25. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 26.
  26. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 26-29.
  27. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 29.
  28. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 30-32.
  29. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 32-33.
  30. Note lue par le général de Lacroix à la séance du conseil supérieur de la guerre du 15 février 1908, AFGG 1922, tome 1, volume 1, annexe no 2, p. 4.
  31. Loi du 24 juillet 1909 relative à la constitution des cadres et des effectifs de l'armée active et de l'armée territoriale en ce concerne l'artillerie, promulguée au Journal officiel du 31 juillet 1909, Bulletin des lois, no 14, p. 1433 sur Gallica.
  32. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 33-36.
  33. Note lue par le général de Lacroix à la séance du conseil supérieur de la guerre du 15 février 1908, AFGG 1922, tome 1, volume 1, annexe no 2, p. 5 et 6.
  34. Rapport au ministre de la Guerre au sujet de l'étude d'un projet d'opérations, 10 février 1911, AFGG 1922, tome 1, volume 1, annexe no 3, p. 8-11.
  35. Note du 15 juin 1911 du général Michel et délibérations du conseil supérieur de la Guerre le 19 juillet 1911, AFGG 1922, tome 1, volume 1, annexe no 4, p. 12-17.
  36. « Général de Division Victor-Constant Michel », sur http://passion-histoire.net/.
  37. Ordre de Joffre aux 3e et 4e bureaux de l'État-Major de l'Armée, le 6 septembre 1911, AFGG 1922, tome 1, volume 1, annexe no 5, p. 17-18.
  38. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 41-42.
  39. Loi du 22 décembre 1913 portant création d'une nouvelle région de corps d'armée sur le territoire de la France, promulguée au Journal officiel du 24 décembre 1913, Bulletin des lois, no 120, p. 3178 sur Gallica. Décrets du 22 septembre et du 31 décembre 1913 portant constitution d'une 21e région territoriale, promulgué au Journal officiel du 3 janvier 1914, Bulletin des lois, no 120, p. 3429 sur Gallica.
  40. AFGG 1936, tome 1, volume 1, p. 42-43.

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean-Claude Devos, Jean Nicot, Philippe Schillinger, Pierre Waksman et Josette Ficat, Inventaire sommaire des archives de la Guerre, série N 1872-1919, Troyes, Service historique de la Défense, , 594 p. (lire en ligne [PDF]). SHD série 7 N (archives du ministère de la Guerre, État-Major de l'armée), cartons nos 1737-1785 : plans de mobilisation de 1874 à 1914.
  • Olivier Cosson, Préparer la Grande guerre : l'armée française et la guerre russo-japonaise, 1899-1914, Paris, les Indes savantes, coll. « La boutique de l'histoire », , 379 p. (ISBN 978-2-84654-330-9) (thèse de doctorat soutenue à l'EHESS en 2006, sous le titre Horizons d'attente et expériences d'observation au début du XXe siècle : les militaires français face aux conflits périphériques, Afrique du Sud, Mandchourie, Balkans).
  • Gérald Sawicki, « Aux origines lointaines du « service action » : sabotages et opérations spéciales en cas de mobilisation et de guerre (1871-1914) », Revue historique des armées, no 268, , p. 12-22 (lire en ligne).
  • Jean-Charles Jauffret, « La défense des frontières françaises et l'organisation des forces de couverture (1874-1895) », Revue Historique, t. 279, fasc. 2, no 566, , p. 359-379.
  • Gerd Krumeich, « À propos de la politique d'armement de la France avant la Première Guerre mondiale », Revue d'histoire moderne et contemporaine, t. 29, no 4, , p. 662-672.
  • Gerd Krumeich, « L'offensive à outrance et la crainte de l'attaque brusquée : problèmes politiques et militaires de la loi de trois ans de 1913 », dans Forces armées et système d'alliances (colloque international d'Histoire militaire et d'étude de défense nationale), Montpellier, , p. 474-481.
  • Joseph Joffre, Mémoires du maréchal Joffre, Paris, Plon, (réimpr. 1935 et 2008), 491 p., premier volume (lire en ligne).
  • Maurice Naërt, Lefranc, Gratien Laxague, Jean Courbis et J. Joubert, Les armées françaises dans la Grande guerre, Paris, Impr. nationale, 1922-1934, onze tomes subdivisés en 30 volumes :
    • AFGG, vol. 1, t. 1 : Les préliminaires, La bataille des frontières, , 602 p. (lire en ligne) ;
    • AFGG, vol. 1, t. 1 : annexes, , 1026 p. (lire en ligne).
  • A. Marchand, Plans de concentration de 1871 à 1914, Nancy, Berger-Levrault, , 220 p. (BNF 30878334).

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