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Istro-roumain

L’istro-roumain est une langue romane parlĂ© par les Istro-Roumains, population de quelques centaines de locuteurs en 2001 dans huit villages de la pĂ©ninsule d’Istrie, en Croatie. C’est une langue romane orientale, parfois appelĂ©e istrien, Ă  ne pas confondre avec l’istriote, une langue italo-romane.

Istro-roumain
VlĂ„ĆĄca ĆĄi ĆŸeiÌŻĂ„nsca limba
Pays Drapeau de la Croatie Croatie
Pays d'Ă©migration
RĂ©gion Istrie
Nombre de locuteurs moins de 1000[1]
Classification par famille
Codes de langue
IETF ruo
ISO 639-3 ruo
Langues romanes orientales. L’istro-roumain se situe le plus à l’ouest de toutes (prùs du "C" de Croatie, en Istrie).

Selon certains linguistes[2], c’est une langue Ă  part entiĂšre Ă  Ă©galitĂ© avec le roumain, l’aroumain et le mĂ©glĂ©no-roumain. D’autres linguistes[3] considĂšrent l’ensemble des langues romanes orientales comme n’en formant qu’une seule qu’ils appellent « roumain », dont les quatre variantes seraient des dialectes qu’ils appellent daco-roumain, istro-roumain, aroumain et mĂ©glĂ©no-roumain. Radu Flora[4] est d’un avis diffĂ©rent, affirmant qu’aroumain et mĂ©glĂ©no-roumain sont les deux groupes de dialectes d’une mĂȘme langue romane orientale du Sud, tandis qu’istro-roumain et daco-roumain sont les deux groupes de dialectes d’une mĂȘme langue romane orientale du Nord[5].

Quoi qu’il en soit, de nos jours, l’istrien n’est plus parlĂ© que dans huit villages d’Istrie : Ćœejane, au nord-est du massif montagneux d’Učka, Ć uĆĄnjevica et six autres villages et hameaux au sud de ce massif. Il y a Ă©galement des locuteurs Ă©parpillĂ©s dans des villes de Croatie (notamment Ă  Pula et Rijeka) et d’autres Ă©migrĂ©s surtout en Europe occidentale, aux États-Unis, au Canada et en Australie.

Le terme « istrien » (istriano, istarski jezik) est un exonyme local tandis qu’« istro-roumain » (limba istro-romĂąnă) est une crĂ©ation acadĂ©mique des linguistes roumains. Ses locuteurs ne l’appellent pas d’une façon unitaire :

  • ceux du sud du massif Učka disent qu’ils parlent vlĂ„ĆĄca limba « la langue valaque » ou vlĂ„ĆĄki « valaque » (adverbe), terme provenant de l’exonyme « Valaques » qu’ils se sont appropriĂ©, et qui peut prĂȘter Ă  confusion, puisque les Grecs, les Bulgares et les Serbes l’utilisent pour les Aroumains et les MĂ©glĂ©nites, et que les Bulgares et les Serbes l’emploient aussi pour leurs minoritĂ©s roumaines (roumanophones de Serbie et de Bulgarie) ;
  • ceux de Ćœejane affirment qu’ils parlent ĆŸeiÌŻĂ„nsca limba ou ĆŸeiÌŻĂ„nski (adverbe).

Les Istro-roumains subissant dĂ©jĂ  depuis leur Ă©tablissement en Istrie un processus d’assimilation, et leur langue n’étant pas utilisĂ©e sous forme Ă©crite par ses locuteurs, elle est fortement influencĂ©e par le croate. Par consĂ©quent, l’UNESCO la considĂšre en grand danger. Il existe Ă  prĂ©sent certaines actions visant Ă  la sauvegarder, menĂ©es par des associations culturelles, avec un certain appui de la part des autoritĂ©s.

Nombre de locuteurs

Les locuteurs d’istro-roumain ont rarement figurĂ© en tant que tels dans les statistiques, c’est pourquoi leur nombre a toujours Ă©tĂ© plutĂŽt estimĂ©. Avant le XIXe siĂšcle il aurait Ă©tĂ© de 10 000[6]. En 2001 on estimait que dans leurs villages il y avait encore 150 locuteurs performants en istro-roumain, qui l’avaient appris avec leurs parents. Il pourrait y en avoir deux ou trois fois autant Ă©parpillĂ©s dans les villes et quelques centaines encore en dehors de la Croatie : Europe, États-Unis[7]. Tous ces gens sont d’ñge moyen ou vieux. La transmission de la langue de parents Ă  enfants a pratiquement cessĂ© chez les gĂ©nĂ©rations nĂ©es dans les annĂ©es 1950-1960. Les locuteurs jeunes (ĂągĂ©s de 30 ans environ), peu nombreux, l’ont apprise avec leurs grands-parents comme une deuxiĂšme ou troisiĂšme langue Ă©trangĂšre[1].

Les Istro-roumains et leur langue ne sont pas prĂ©sents en tant que tels dans les donnĂ©es des recensements mais ils pourraient se trouver parmi celles concernant la minoritĂ© nationale roumaine. Ainsi, en 2011, on a enregistrĂ© pour toute la Croatie 955 personnes de langue maternelle roumaine[8] mais on ne peut pas savoir combien de ces personnes sont des Boyash, dont la langue maternelle est le daco-roumain. Dans le comitat d'Istrie, 70 personnes se dĂ©clarent de langue maternelle roumaine et 6 de langue valaque. Dans le comitat de Primorje-Gorski Kotar, oĂč se trouve Ćœejane, on enregistre 40 personnes de langue maternelle roumaine.

Le fait que les locuteurs d’istro-roumain Ă©taient plus nombreux est prouvĂ© par des toponymes. Toute une rĂ©gion du nord de l’Istrie, pour la plus grande partie en territoire croate et partiellement en SlovĂ©nie, s’appelle toujours Ćićarija, en italien Cicceria, de Ćići, l’un des ethnonymes donnĂ©s aux Istro-roumains par les Croates. Parmi les villages habitĂ©s actuellement par des Istro-roumains, certains ont deux noms, l’un croate, l’autre istro-roumain, comme Jesenovik-Sukodru (cf. roumain sub codru « sous la forĂȘt ») ; d’autres ont un seul nom mais en deux variantes comme KostĂąrÄĂ„n, en croate Kostrčani. Il y en a bien davantage ayant de tels noms, mais dans lesquels on ne parle plus l’istro-roumain : Floričići (cf. roumain floricică « fleurette »), Jerbuliơće (roum. iarbă « herbe »)[9], Katun, Kature (roum. cătun « hameau »), Fečori (roum. feciori « jeunes hommes »)[10] ou Kerbune (roum. cărbune « charbon »)[11]. Il y a d’autres toponymes istro-roumains sur l’üle de Krk, oĂč les locuteurs se sont assimilĂ©s dans la premiĂšre moitiĂ© du XIXe siĂšcle : Fintira (cf. fĂąntĂąnă « puits »), Sekara (cf. secară « seigle »)[12].

Histoire externe

Il est admis en gĂ©nĂ©ral que l’istro-roumain est le dernier idiome Ă  s’ĂȘtre sĂ©parĂ© du proto-roumain mais le lieu et la pĂ©riode oĂč cela est arrivĂ© ne sont pas documentĂ©s et sont donc l’objet d’hypothĂšses[5].

On distingue deux thĂ©ories principales. Selon celle d’Ovid Densusianu, les Istro-roumains seraient originaires du sud-ouest de la Transylvanie et du Banat historique, d’oĂč ils seraient partis au Xe siĂšcle. Il fonde sa thĂ©orie sur des traits de langue, par exemple le rhotacisme de [n] intervocalique simple ([n] > [r]), dans les mots d’origine latine, comme dans le parler des Moți[13]. Cette hypothĂšse est soutenue par d’autres chercheurs aussi[14].

Sextil Pușcariu est d’un autre avis. Il affirme l’origine sud-danubienne des Istro-roumains, et il situe le lieu de la sĂ©paration en Serbie actuelle, tout en admettant qu’ils Ă©taient en contact avec les Roumains de la partie occidentale du territoire nord-danubien. Selon lui, ils se seraient sĂ©parĂ©s des autres Roumains au XIIIe siĂšcle[15]. Avec des diffĂ©rences quant au lieu exact, la thĂ©orie de Pușcariu est elle aussi adoptĂ©e par plusieurs chercheurs[16].

Outre ces deux thĂ©ories, il y en a une intermĂ©diaire, celle d’Elena Scărlătoiu, selon laquelle les Istro-roumains proviendraient de plusieurs « noyaux » du centre, de l’ouest et du nord-ouest de la Transylvanie, ainsi que du sud du Danube, surtout de la vallĂ©e du Timok et de la rĂ©gion de Prizren[17].

L’istro-roumain a toujours Ă©tĂ© une langue essentiellement orale. Ses attestations ont d’abord paru transcrites par des Ă©rudits qui se sont intĂ©ressĂ©s aux Istro-roumains, puis par des linguistes qui ont enregistrĂ© des priĂšres, des textes de chansons, des contes et d’autres textes narratifs, des dictons et des proverbes.

La premiĂšre attestation de l’istro-roumain paraĂźt en 1698, dans une histoire de Trieste Ă©crite par un moine de cette ville, Ireneo della Croce[18]. Celui-ci mentionne l’endonyme Rumeri utilisĂ© Ă  l’époque par les Istro-roumains et donne une liste de 13 noms seuls, 8 noms avec des dĂ©terminants et deux phrases simples dans leur langue, avec leur traduction en latin.

En 1819, Ivan Feretić, un prĂȘtre catholique de l’üle de Krk, transcrit deux priĂšres en « roumain de Krk »[19]. Ce sont les premiers textes considĂ©rĂ©s comme attestant l’istro-roumain.

Les attestations suivantes sont une anecdote et une variante de la fable La cigale et la fourmi, enregistrĂ©es par l’érudit istrien Antonio Covaz et publiĂ©es en 1846 avec leur traduction en latin et en italien[20].

Trois priÚres en istro-roumain sont publiées en 1856, parmi lesquelles Notre PÚre[21], dans une revue de Slovénie[22].

Ce sont des chercheurs qui transcrivent et publient le plus de textes oraux, sur lesquels les linguistes travaillent pour décrire la langue[23].

Le premier ouvrage littĂ©raire cultivĂ© paraĂźt en 1905[24], restant aussi le seul jusqu’à quelques autres qui paraĂźtront dans les annĂ©es 1990 et aprĂšs 2000[25].

N’étant pas Ă©crit, l’istroroumain n’a pu ĂȘtre une langue d’enseignement. Les annĂ©es 1921-1925 ont Ă©tĂ© la seule pĂ©riode oĂč il a Ă©tĂ© utilisĂ© dans ce but en parallĂšle avec le roumain standard, dans une Ă©cole fondĂ©e par Andrei Glavina, un Istro-roumain qui avait fait des Ă©tudes en Roumanie.

Situation actuelle

L’istro-roumain est en voie de disparition, ce qui est reflĂ©tĂ© par sa prĂ©sence dans l’Atlas UNESCO des langues en danger dans le monde[26].

À partir des annĂ©es 1990 on a entrepris certaines actions pour sauvegarder cette langue. Étant signataire en 1997 de la Charte europĂ©enne des langues rĂ©gionales ou minoritaires[27], la Croatie est invitĂ©e par le Conseil de l’Europe Ă  prendre des mesures pour la protection de l’istro-roumain[28]. Dans le cadre des relations bilatĂ©rales avec le gouvernement croate, le gouvernement roumain aussi Ɠuvre dans une certaine mesure dans ce sens[29].

En effet, en Croatie on prend certaines mesures. Au niveau central, l’istro-roumain est inscrit sur la Liste des biens culturels immatĂ©riels protĂ©gĂ©s de la Croatie, faisant partie du Registre des biens culturels, en vertu de la Loi sur la protection et la conservation des biens culturels[30]. Au niveau local, au Statut du comitat d’Istrie, adoptĂ© en 2009, il est inscrit que le comitat Ɠuvre pour la sauvegarde des dialectes locaux, parmi lesquels l’istro-roumain[31]. En tant que mesure concernant l’enseignement, le Conseil du comitat d’Istrie confie Ă  l’école Ă©lĂ©mentaire et collĂšge Ivan-Goran-Kovačić de Čepić le soin de promouvoir l’istro-roumain, raison pour laquelle elle bĂ©nĂ©ficie d’un rĂ©gime spĂ©cial qui lui permet de ne pas appliquer la rĂšgle concernant le nombre minimal d’élĂšves inscrits[32]. En vertu de cette dĂ©cision, son programme scolaire pour l’annĂ©e 2022-2023 prĂ©voit 70 heures par an, deux par mois, de istrorumunjski jezik « langue istro-roumaine » et d’autres activitĂ©s liĂ©es aux traditions istro-roumaines, avec deux enseignants[33].

Le MinistĂšre de la culture croate, les conseils des deux comitats oĂč on parle l’istro-roumain et deux mairies soutiennent un projet, Očuvęj vlĂ„ĆĄka ĆĄi ĆŸejĂ„nska limba (Sauvegarder la langue valaque et de Ćœejane), initiĂ© en 2005 par la linguiste Zvjezdana Vrzić de l’UniversitĂ© de New York avec un groupe d’émigrĂ©s istro-roumains vivant aux États-Unis, et Ă©tendu Ă  la Croatie en 2007 par l’inclusion du MusĂ©e ethnographique d’Istrie, puis, depuis 2011, de trois associations culturelles des Istro-roumains.

Deux autres associations d’Italie agissent dans le mĂȘme sens : l’Association d’amitiĂ© italo-roumaine DĂ©cĂ©bale de Trieste, prĂ©sidĂ©e par Ervino Curtis, fondĂ©e dĂšs 1987[34], et l’Association culturelle Andrei-Glavina de Rome, fondĂ©e en 1994 par Petru Emil Rațiu.

D’autres actions sont entreprises par l’intermĂ©diaire du site web Istro-Romanian Community Worldwide (CommunautĂ© istro-roumaine dans le monde) de Marisa Ciceran, qui publie de nombreux matĂ©riaux de toutes sortes concernant les Istro-roumains et leur langue[35].

Variétés régionales

Chaque village istro-roumain a son parler, avec de petites diffĂ©rences entre ceux du sud du massif Učka et relativement grandes entre ceux-ci et celui de Ćœejane, ce qui est dĂ» au fait que les deux zones ont pendant longtemps Ă©tĂ© isolĂ©es l’une de l’autre par la montagne. Il y a des diffĂ©rences phonĂ©tiques, morphologiques (par exemple la conservation de vestiges de la dĂ©clinaison Ă  Ćœejane et sa disparition dans le sud) et lexicales. Il y a environ 300 unitĂ©s lexicales qui ne sont pas communes pour le sud et Ćœejane[36] (voir des dĂ©tails sur les diffĂ©rences dialectales dans les sections suivantes).

Écriture et prononciation

Presque chaque chercheur a transcrit l’istro-roumain Ă  sa façon. Celle qu’on utilise le plus est la graphie de Kovačec, adoptĂ©e Ă©galement par les linguistes roumains Richard SĂąrbu și Vasile Frățilă, inspirĂ©e en grande partie de celle de Sextil Pușcariu, avec des Ă©lĂ©ments de la graphie du croate. Vrzić propose une graphie plus proche de celle du croate, avec seulement trois lettres qui n’y sont pas. Cette graphie est destinĂ©e aux locuteurs d’istro-roumain, qui ont Ă©tĂ© ou sont scolarisĂ©s en croate, et Ă  ceux qui veulent apprendre la langue. Voici les graphĂšmes diffĂ©rents de ceux du roumain standard au moins dans l’une de ces graphies :

APIIstro-roumain
Kovačec 1998[37]Vrzić 2009
[ɒ]/[wɒ]Ă„Ă„
[ǝ]/[ɹ]ññ
[k] devant a, Ă„, Ăą, o et uck
[k] devant e, ę et ikk
[tÍĄÊƒ]čč
[dÍĄz]dÌŠdz
[Δ]/[eÌŻa]ęę
[ÉŁ]ÉŁg
[dÍĄÊ’]ǧđ
[j]iÌŻj
[ʒ]ĆŸ[38]ĆŸ
[ʎ]lʌlj
[ÉČ]Ƅnj
[Ƌ]Ƌn
[ʃ]È™ĆĄ
[c]t″ć
[tÍĄs]țc
[w]uÌŻu

L’istro-roumain prĂ©sente certaines particularitĂ©s de prononciation par rapport Ă  celle du roumain standard (avec la transcription de Kovačec)[39] :

  • La lettre Ă„ rend, en fonction du son qui la prĂ©cĂšde, parfois la voyelle [ɒ], comme le a français dans le mot « pas » prononcĂ© par les QuĂ©bĂ©cois, (par exemple dans ÄĂ„sta « celui-ci, celle-ci »), d’autres fois une diphtongue ([wɒ]), par exemple dans cĂ„rle « qui, que » (pronom relatif). Cette voyelle est toujours accentuĂ©e et sa diphtongaison est plus systĂ©matique dans le parler du nord, celui de Ćœejane, que dans ceux du sud.
  • La lettre ę rend, en fonction du son qui le prĂ©cĂšde, parfois la voyelle [Δ], en français rendue par Ăš (par exemple dans ȘcuĆŸÄ™-m « Excuse-moi »), d’autres fois la diphtongue [eÌŻa]: vedę « voir ». La diphtongaison de cette voyelle Ă©galement est plus courante Ă  Ćœejane.
  • À la diffĂ©rence du roumain, les voyelles [ǝ] et [Éš] ne se distinguent pas nettement. On entend tantĂŽt l’une, tantĂŽt l’autre, tantĂŽt une voyelle entre elles, lĂ  oĂč dans les mots roumains correspondants il y l’une ou l’autre. C’est pourquoi Kovačec et Vrzić les transcrivent par une mĂȘme lettre, Ăą.
  • Il y a en istro-roumain trois consonnes palatales qui existent dans variĂ©tĂ©s rĂ©gionales du roumain, par exemple celui du Maramureș :
[ʎ], ressemblant Ă  li dans le mot français « liĂšvre » – exemple : l’epur « liĂšvre, lapin »;
[ÉČ], comme le français gn dans « agneau » : Ƅivę « champ »;
[c], ressemblant Ă  ti dans « tien » : t″Äro « trĂšs ».
  • Deux consonnes sont trĂšs rares en istro-roumain, prĂ©sentes seulement dans des emprunts :
[dÍĄz] dans dÌŠero « zĂ©ro »;
[dÍĄÊ’] dans ÇŠermaniiÌŻe « Allemagne ».

Certains sons ont évolué différemment en roumain et en istro-roumain[40] :

LatinRoumainIstro-roumainTraduction
[a] final non accentuĂ© : LINGUA >fermeture plus importante : limbăfermeture moins importante : limbęlangue
[e] accentuĂ© : FERRUM >diphtongaison : fierfl’erfer
[i] accentuĂ© : LIGAT >diphtongaison : leagănon diphtongaison : lęgęil/elle lie
[o] accentué : NOCTEM >diphtongaison : noaptenon diphtongaison : noptenuit
[kl] : CLAMARE >chute de [l]: chemapalatalisation de [l] : cl’emĂ„appeler
[gl]: *GLEMUS[41] >chute de [l] : ghempalatalisation de [l] : gl’empelote
[n] intervocalique simple : BENE >inchangé : binerhotacisme : birebien
[mn]: SCAMNUM >scaunscÄndchaise, table
[nv]: *INVITIARE >ĂźnvățaĂąnmeÈ›Ă„apprendre
[l] + consonne : ALBUM >inchangé : albchute de [l] : Äbblanc
[ll] + dĂ©sinence au singulier: VITELLUS >[l] simple : vițelchute de [ll] : vițeveau
[gw] + [e] ou [i]: SANGUEM >affrication de [g] : sĂąngefricativisation de [g] : sĂąnĆŸesang
[g] + [e] ou [i]: GENUC(U)LUM >affrication de [g] : genunchifricativisation de [g] : ĆŸeruƋclÊŒugenou

D’autres particularitĂ©s communes aux parlers istro-roumains sont :

  • parfois la chute de [a] initial non accentuĂ© : (a)flĂ„ vs roumain a afla « apprendre, savoir, trouver » ;
  • absence de [j] aprĂšs consonne en fin de mot : omir vs oameni ’gens’ ;
  • absence des diphtongues descendantes avec [w] : av dat vs au dat « ont donnĂ© » ;
  • voyelle + [v] vs voyelle + [u] : avzi vs a auzi « entendre ».

Certaines particularités sont spécifiques à tel ou tel parler :

  • Dans le parler de Ć uĆĄnjevica il y a tendance Ă  ne pas distinguer [s] de [ʃ]. Ainsi, le nom du village est ici prononcĂ© ȘuÈ™Ć„evițę ou SuÈ™Ć„evițę. De mĂȘme, Ă  la diffĂ©rence des autres parlers, dans celui-ci on prononce [tÍĄs] au lieu de [tÍĄÊƒ] et [z] au lieu de [ʒ] : țer « ciel », fețor « garçon », sĂąnze « sang », zeruƋclÊŒu « genou », zos « en bas ».
  • Dans le parler de Ćœejane, /g/ se rĂ©alise le plus souvent comme [ÉŁ].
  • À Ćœejane Ă©galement, au lieu de [Δ]/[eÌŻa] Ă  la fin des fĂ©minins on prononce [a], ce qui fait que, sans contexte adĂ©quat, on ne distingue pas au fĂ©minin singulier la forme Ă  article dĂ©fini de celle sans article : limba signifie « langue » mais aussi « la langue ».

Grammaire

La structure grammaticale de l’istro-roumain est en partie diffĂ©rente de celle du roumain, principalement Ă  cause de l’influence croate.

Morphologie

En morphologie on remarque non seulement l’influence du croate, mais aussi des diffĂ©rences entre les parlers du sud d’un cĂŽtĂ© et celui de Ćœejane de l’autre.

Le nom

Quant au genre des noms, il est Ă  noter que le neutre tel qu’il existe en roumain, c’est-Ă -dire le nom neutre Ă©tant masculin au singulier et fĂ©minin au pluriel, s’est conservĂ© seulement dans le sud : un zid « un mur » – do zidure « deux murs » (le genre est visible Ă  la forme du dĂ©terminant). À Ćœejane les neutres sont devenus masculins mais peuvent garder une dĂ©sinence de pluriel spĂ©cifique au neutre : doiÌŻ zidure « deux murs » (doiÌŻ Ă©tant le masculin de do). Par ailleurs, le neutre existe dans ce parler aussi, mais c’est celui spĂ©cifique aux langues slaves, ce parler empruntant des neutres croates sans les adapter au systĂšme propre des genres (exemple : zlĂ„to « or »)[5] - [42].

La formation du pluriel présente plusieurs particularités :

  • La disparition de [j] final aprĂšs consonne provoque au masculin l’expression du pluriel seulement par le changement de la consonne finale ou de celle d’avant le e du singulier, accompagnĂ© ou non du changement de la voyelle de la racine du mot : Ă„n – Ă„Ć„ « annĂ©es », frĂ„te – frĂ„È› « frĂšres », ĆĄĂ„rpe – ĆĄerp « serpents », muÄŸĂ„re – muÄŸer « femmes ». Les mots oĂč il n’y a changement ni de consonne ni de voyelle restent inchangĂ©s au pluriel : lup « loup » – lup « loups ».
  • Les noms terminĂ©s en -l’e, -Ƅe, -če, -șe, -ĆŸe ont Ă©galement la mĂȘme forme au singulier et au pluriel : fil’e « fille, filles » (par rapport Ă  ses/leurs parents).
  • Les noms masculins terminĂ©s en -u ont le pluriel en -i vocalique : ocÄŸu « Ɠil » – ocÄŸi « yeux ».
  • La dĂ©sinence de pluriel -ure s’est Ă©tendue du neutre Ă  certains masculins : lup peut aussi avoir le pluriel lupure.
  • La consonne l’ est tombĂ©e de la fin des mots au singulier, devenant leur dĂ©sinence de pluriel : vițe « veau » – vițel’ « veaux ».
  • Dans le sud il y a alternance -ę au fĂ©minin singulier ~ -e au pluriel (cĂ„sę – cĂ„se « maisons »), et Ă  Ćœejane -a ~ -e: cĂ„sa (sans article) – cĂ„se[42].
  • Les neutres en -o, d’origine croate, ne changent pas de forme au pluriel.

L’expression des cas gĂ©nitif et datif est plus analytique qu’en roumain, ces deux cas s’exprimant gĂ©nĂ©ralement avec la particule lu antĂ©posĂ©e, le nom pouvant ĂȘtre avec ou sans article dĂ©fini : fil’u lu țesĂ„ru « le fils de l’empereur », spure lu frĂ„È› « il/elle dit aux frĂšres », cuvintę iÌŻe lu mul’ęre « dit-il Ă  la/sa femme ». Dans le sud, lu est utilisĂ© au fĂ©minin aussi, tandis qu’à Ćœejane on emploie le au fĂ©minin (le mul’Äre « Ă  la/sa femme »). De plus, dans ce parler, la forme synthĂ©tique aussi est prĂ©sente, car des vestiges de la dĂ©clinaison y sont conservĂ©s : « Ă  la/sa femme » se dit aussi mulÊŒerlÊŒeiÌ­. Au gĂ©nitif on utilise a devant lu/le, systĂ©matiquement Ă  Ćœejane (filÊŒu a lu crĂ„lÊŒu « le fils du roi »), parfois dans le sud. A est employĂ© seul au gĂ©nitif des noms neutres d’origine croate : a zlĂ„to « de l’or »[43].

Les articles

L’article indĂ©fini a, au cas nominatif et accusatif, des formes diffĂ©rentes de celles du numĂ©ral cardinal correspondant Ă  « un, une » :

  • Au masculin singulier, dans le sud, sa forme est un: un mĂ„re codru « une grande montagne ».
  • Au masculin singulier, Ă  Ćœejane, sa forme est Ăąn, avec les formes conjointes -u (Ăąnr-u loc « dans un endroit ») et -Ƌ (popi po-Ƌ ÉŁlĂ„ĆŸ de vir « boire un verre de vin »). Il a aussi sa forme de gĂ©nitif-datif : urvę « d’/Ă  un »[42].
  • Au fĂ©minin singulier sa forme est o partout, Ă  Ćœejane avec la forme de gĂ©nitif-datif urlʌę « d’/Ă  une ».

Les formes de l’article dĂ©fini :

  • masculin et neutre singulier, pour les noms terminĂ©s en consonne : -u, ce qui en roumain est une voyelle de liaison devant l’article proprement dit, -l (scĂ„ndu vs scaunul « la chaise ») ;
  • masculin et neutre singulier, pour les noms terminĂ©s en -e : -le (cĂąre – cĂąrele « le chien ») ;
  • fĂ©minin singulier (dans les parlers du sud) : -a qui remplace le -ę (cĂ„prę – cĂ„pra « la chĂšvre ») ;
  • masculin pluriel: -i (omir – omiri « les gens ») ;
  • fĂ©minin pluriel : -le (cĂ„pre – cĂ„prele « les chĂšvres ») ;
  • neutre pluriel dans le sud, les mĂȘmes noms Ă©tant du masculin Ă  Ćœejane : -le qui fait tomber le e de la fin des mots (pičore – pičorle « les jambes »).

Les noms neutres en -o sont employés sans article défini[44].

L’opposition nom Ă  article dĂ©fini vs nom Ă  article indĂ©fini a faibli, l’article dĂ©fini Ă©tant utilisĂ© lĂ  aussi oĂč en roumain on utilise l’article indĂ©fini. Ainsi, furĂ„t-a Ă„cu peut signifier aussi bien « il/elle a volĂ© l’aiguille » que « il/elle a volĂ© une aiguille »[36]. Dans le parler de Ćœejane, les fĂ©minins singuliers sans article se terminant en -a, les formes Ă  article dĂ©fini et sans article se confondent : fęta peut signifier « la fille », ainsi que « fille » : ÄĂ„sta fęta če s-av asęra facut « cette fille qui est nĂ©e hier soir » vs ali fęta ali fečor « soit fille, soit garçon »[42].

L’adjectif

Sous l’influence du croate, certains adjectifs ont une forme de neutre aussi, marquĂ©e par la dĂ©sinence -o (bur, burę, buro « bon, bonne »), d’autres non : tirer, tirerę « jeune ». Exemple avec l’adjectif au neutre : iÌ­Ă„le buro cuhęiÌ­t-a si muƋcĂ„t-a « elles ont prĂ©parĂ© et mangĂ© quelque chose de bon »[42].

L’une des particularitĂ©s de l’istro-roumain est l’application de la terminaison -(i)le (qui contient l’article dĂ©fini -le) en tant que marque de masculin singulier pour des adjectifs : do taliiÌŻanskile rat « jusqu’à la guerre avec l’Italie », totile Ă„nu « toute l’annĂ©e »[45].

Le comparatif de supĂ©rioritĂ© se forme avec l’adverbe maiÌŻ non accentuĂ©, et pour obtenir le superlatif relatif de supĂ©rioritĂ©, on ne fait qu’accentuer maiÌŻ : maiÌŻ mare « plus grand(e) », mĂĄiÌŻ mare « le/la plus grand(e) ». La comparaison se construit avec la conjonction de ou sa correspondante croate nego : maiÌŻ muÈ™Ă„t de/nego mire « plus beau que moi »[46].

Le numéral

Le numĂ©ral istro-roumain est fortement influencĂ© par le croate. Il n’y a de formes hĂ©ritĂ©es du latin que les numĂ©raux cardinaux correspondant aux nombres de 1 Ă  8, 10 et 1000.

Numéraux cardinaux :

1 ur (masc.), urę (fĂ©m. dans le sud), ura (fĂ©m. Ă  Ćœejane), uro (neutre). Ces formes sont diffĂ©rentes de celles de l’article indĂ©fini, mais Ă  Ćœejane il y a les mĂȘmes formes de gĂ©nitif-datif que celles de l’article : urvę « d’/Ă  un » et urlʌę « d’/Ă  une ».
2 doiÌŻ (masc.), do (fĂ©m.)
3 treiÌŻ
4 patru
5 činč, ținț (Ă  Ć uĆĄnjevica)
6 È™Ă„se
7 È™Ă„pte
8 opt (Ă  Ćœejane), osĂąn (Ă  Ć uĆĄnjevica), osĂąm (dans les autres villages du sud)
9 devet
10 zęče (dans le sud), deset (commun)
11 iÌŻedĂąnaiÌŻst
12 dvanaiÌŻst
13 trinaiÌŻst
20 dvadeset
21 dvadeset și ur
30 trideset
100 sto
200 dvisto
1000 miÄŸe, mil’Är (du dialecte vĂ©nitien), tisut″ (du croate, Ă  Ćœejane), tĂ„(v)ĆŸĂąnt (de l’allemand, Ă  Ćœejane)

Numéraux ordinaux :

1er pĂąrvi (masc.), pĂąrvę (fĂ©m., dans le sud), pĂąrva (fĂ©m., Ă  Ćœejane), pĂąrvo (neutre)
2e doiÌŻle (masc.), dova (fĂ©m.), dovo (neutre)
3e treiÌŻle (masc.), treiÌŻa (fĂ©m.), treiÌŻo (neutre)
Le pronom personnel

Formes des pronoms personnels :

PersonneNominatifDatifAccusatif
formes disjointesformes conjointesformes disjointesformes conjointes
1re sg.iÌŻo « je, moi »miiÌŻe « Ă  moi »ùmƄ-, mƄ- (dans le sud), Ăąm, ĂąmiÌŻ-, miÌŻ- (Ă  Ćœejane), mi m-, -m (communes) « me, m’ »mire « moi »me, m-, -m « me, m’ »
2e sg.tu « tu, toi »țiiÌŻe « Ă  toi Â»ĂąÈ›iÌŻ-, țiÌŻ- (Ă  Ćœejane), ĂąÈ›, ți, ț-, -ț (communes) « te, t’ »țire « toi »te, t- « te, t’ »
3e sg.masc.iÌŻe « il, lui »(a) luiÌŻ « Ă  lui Â»ĂąÄŸ, ÄŸ-, -ÄŸ, ÄŸi « lui »iÌŻe « lui »ùl, l-, -l « le, l’ »
fĂ©m.iÌŻĂ„ « elle »(a) ÄŸeiÌŻ « Ă  elle Â»ĂąÄŸ, ÄŸ-, -ÄŸ « lui »iÌŻĂ„ « elle »o, vo « la, l’ »
1re pl.noiÌŻ « nous »(a) no « Ă  nous »ne, na, n-, ni « nous »noiÌŻ « nous »ne, na, n- « nous »
2e pl.voiÌŻ « vous »(a) vo « Ă  vous »ve, va, v-, vi « vous »voiÌŻ « vous »ve, va, v- « vous »
3e pl.masc.iÌŻeÄŸ « ils, eux »(a) lor « Ă  eux »le (dans le sud), la (Ă  Ćœejane), l- (commune) « leur »iÌŻeÄŸ « eux »ğ- « les »
fĂ©m.iÌŻĂ„le « elles »(a) lor « Ă  elles »le (dans le sud), la (Ă  Ćœejane), l- (commune) « leur »iÌŻĂ„le « elles »le (dans le sud), la (Ă  Ćœejane), l- (commune) « les »

Remarques :

  • Les formes disjointes prĂ©cĂ©dĂ©es de a et les conjointes na, va sont employĂ©es Ă  Ćœejane.
  • À la diffĂ©rence du roumain, les formes disjointes de datif et d’accusatif peuvent ĂȘtre utilisĂ©es sans leurs correspondantes conjointes :
iÌŻeÄŸ-a miiÌŻe zis ke
 (littĂ©ralement « ils ont Ă  moi dit que
 » vs ei mie mi-au zis că
 (litt. « ils Ă  moi m’ont dit que
 ») ;
tire am clÊŒemĂ„t (litt. « toi ai appelĂ© ») vs „pe tine te-am chemat” (litt. « toi t’ai appelĂ© »).

D’autres exemples en phrases : iÌ­elÊŒ le ganescu « ils leur parlent », la ziče « il/elle leur dit », lÊŒ-a vezut « il/elle les a vus ».

Le pronom réfléchi

Les formes du pronom réfléchi :

DatifAccusatif
forme disjointeformes conjointesforme disjointeformes conjointes
siiÌŻe « Ă  soi Â»ĂąÈ™(iÌŻ), -ș « se, s’ »sire « soi »se, s- « se, s’ »

Exemples en phrases : iÌ­elÊŒ vĂșt-a Ă„siri cu sire « ils avaient des Ăąnes avec eux », omiri Ă„v ĂąÈ™ Ƅivele zapustit « les gens on abandonnĂ© leurs champs »[42].

Le pronom-adjectif possessif

Les formes des pronoms-adjectifs possessifs sont assez diffĂ©rentes dans les parlers du sud, d’un cĂŽtĂ©, et dans celui de Ćœejane, de l’autre.

Dans le sud :

Possesseur(s)Objet(s) possédé(s)
Masculin singulierNeutreFĂ©minin singulierMasculin plurielFĂ©minin pluriel
Personne1re singulierme « mon, le mien »mevo « mon, le mien »mę « ma, la mienne »melÊŒ « mes, les miens »męle « mes, les miennes »
2e singulierte « ton, le tien »tevo « ton, le tien »tę « ta, la tienne »telÊŒ « tes, les tiens »tęle « tes, les tiennes »
3e singulierse « son, le sien »sę « sa, la sienne »selÊŒ « ses, les siens »sęle « ses, les siennes »
1re plurielnostru « notre, le nĂŽtre »nostro « notre, le nĂŽtre »nostrę « notre, la nĂŽtre »noștri / nostri « nos, les nĂŽtres »nostre « nos, les nĂŽtres »
2e plurielvostru « votre, le vĂŽtre »vostro « votre, le vĂŽtre »vostrę « votre, la vĂŽtre »voștri / vostri « vos, les vĂŽtres »vostre « vos, les vĂŽtres »
3e plurielse « leur, le leur »sę « leur, la leur »selÊŒ « leurs, les leurs »sęle « leurs, les leurs »

À Ćœejane :

Possesseur(s)Objet(s) possédé(s)
Masculin singulierNeutreFĂ©minin singulierMasculin plurielFĂ©minin pluriel
Personne1re singuliera meva mevoa mę / a mĂ„a melÊŒa męle
2e singuliera teva tevoa tę / a tĂ„a telÊŒa tĂ„le
1re pluriela nostrua nostroa nostraa noșt″ia nostre
2e pluriela vostrua vostroa vostraa voșt″ia vostre
3e singulier et pluriela seva sevoa sĂ„a selÊŒa sĂ„le

Remarques :

  • Les formes nostri et vostri sont spĂ©cifiques au parler de Ć uĆĄnjevica.
  • Les mĂȘmes formes sont utilisĂ©es comme pronoms et comme adjectifs.
  • L’adjectif est antĂ©posĂ©, sous l’influence du croate : a mev nono « mon grand-pĂšre ».
  • Le gĂ©nitif-datif de ces pronoms s’exprime avec lu/le : lu nostru « au nĂŽtre ». À Ćœejane il y a aussi des formes dĂ©clinĂ©es : a melʌę sore « Ă  ma sƓur », če-iÌ­ a melvę om? « qu’est-ce qu’il a, mon mari ? » (litt. « quoi est Ă  mon mari ? »)[42].
  • Le(s) possesseur(s) de la 3e personne peut/peuvent aussi ĂȘtre exprimĂ©(s) par le pronom personnel de la mĂȘme personne au cas gĂ©nitif : (a) luiÌŻ « Ă  lui », (a) ÄŸeiÌŻ « Ă  elle », (a) lor « Ă  eux/elles ». Exemples : (a) luiÌŻ frĂ„te « son frĂšre (Ă  lui) », a lÊŒeiÌ­ surĂąr « ses sƓurs (Ă  elle) », (a) lor cĂ„se « leurs maisons ».
Le pronom-adjectif démonstratif

Les mĂȘms formes sont utilisĂ©es comme pronoms dĂ©monstratifs et comme adjectifs dĂ©monstratifs. Ceux qui expriment la proximitĂ© sont :

  • dans le sud : čñsta « ce/cet 
-ci, celui-ci », čñstę « cette 
-ci, celle-ci », čeșt″i « ces 
-ci, ceux-ci », čñste « ces 
-ci, celles-ci », mais Ă  Ć uĆĄnjevica È›Ăąsta, È›Ăąstę, țeșt″i, È›Ăąste ;
  • Ă  Ćœejane : ÄĂ„sta, česta, čeșt″i, ÄĂ„ste.

Pour l’éloignement :

  • dans le sud : čñla/čela « ce/cet 
-lĂ , celui-lĂ  », ča/ÄĂ„ « celle 
-lĂ , celle-lĂ  », čelÊŒ « ces 
-lĂ , ceux-lĂ  », čale/ÄĂ„le/čñle « ces 
-lĂ , celles-lĂ  », Ă  Ć uĆĄnjevica È›Ăąla/țela, ța/È›Ă„, țelÊŒi, țale/È›Ă„le/È›Ăąle;
  • Ă  Ćœejane : (a)čela, (a)ÄĂ„/(a)ča, (a)čelÊŒ, (a)ÄĂ„le/(a)čale.

Le gĂ©nitif-datif est en gĂ©nĂ©ral exprimĂ© analytiquement (par exemple lu ța « de/Ă  celle-lĂ  »), mais Ă  Ćœejane il y a des formes synthĂ©tiques aussi : čestvę « de/Ă  celui-ci », čeșt″ę « de/Ă  celle-ci », čestorę « de/Ă  ceux-ci/celles-ci ».

Le pronom interrogatif-relatif

Čire (țire Ă  Ć uĆĄnjevica) « qui » est un pronom interrogatif-relatif se rĂ©fĂ©rant aux personnes. Sa forme de gĂ©nitif-datif est cuiÌ­ (a cuiÌ­ Ă  Ćœejane) : čire-iÌ­ Ă„nča? « qui est lĂ ? », a cuiÌ­ aiÌ­ aÄĂ„ dĂ„t? « Ă  qui as-tu donnĂ© cela ? »[42], Lu cuiÌ­ iÌ­ești tu, fęta? « Qui est ton pĂšre/ta mĂšre, ma fille ? » (litt. « De qui es-tu, fille ? »[46], țire su Ă„t iÌ­Ă„ma sĂ„pę ke vo scopę su sire « qui creuse une fosse pour les autres y tombe » (litt. « qui creuse la tombe sous autrui, qu’il la creuse sous soi »).

Če (țe Ă  Ć uĆĄnjevica) « quoi, que » se rĂ©fĂšre aux inanimĂ©s. Dans les parlers du sud il est utilisĂ© sans accent aussi, en tant que particule interrogative, correspondant Ă  peu prĂšs Ă  « est-ce que » et, donc, perdant son sens d’origine : če nĂș știiÌ­? (l’accent passe sur le mot de nĂ©gation) « est-ce que tu ne sais pas ? »

CĂ„rle/cĂ„re/care (masc. sg.), cĂ„ra/cĂ„rę (fĂ©m. sg.), cĂ„ro (neutre), cĂ„rlÊŒi/carlÊŒi/cĂ„ri/cari (pluriel) correspond Ă  plusieurs pronoms relatifs français. À Ćœejane il a des formes de gĂ©nitif-datif aussi : carvę (masc. sg.), carlʌę (fĂ©m. sg.), carorę (pluriel). Exemples en syntagmes : cĂąrstiiÌ­Ă„nu cĂ„re vire « l’homme (litt. « le chrĂ©tien ») qui vient », ĆŸensca cĂ„ra virit-a « la femme qui est venue », vĂ„Äile cĂ„ri dĂ„vu bur lĂ„pte « les vaches qui donnent du bon lait »[42].

Le pronom et l’adjectif indĂ©fini

Le numĂ©ral ur, urę/ura, uro est aussi pronom indĂ©fini : ur lu Ă„t « l’un Ă  l’autre ».

D’autres mots indĂ©finis sont :

  • nușcarle/nușcĂ„rle, nușcara, nușcarlÊŒi « quelqu’un » (au singulier), « un certain, une certaine, certains, certaines » : nușcarlÊŒi cu mĂ„kina ĆŸĆ„escu « certains battent le blĂ© avec la machine », nușcarle brec « un chien (quelconque) » ;
  • saki/sĂ„ki avec la variante sakile/sĂ„kile « chaque, chacun, n’importe quel, n’importe lequel », saca/sĂ„ca « chaque, chacune, n’importe quelle, n’importe laquelle : saki cĂąrstiÌ­Ă„n « chaque homme », sĂ„kile Ă„n « chaque annĂ©e », saca domaręța « chaque matin » ;
  • le correspondant du français « tout, toute, tous, toutes » :
– dans le sud : tot(u) « tout », totę « toute », tot « tout » (neutre), toț « tous », tote « toutes » : tota nopta « toute la nuit », toț omiri « tous les gens » ;
– Ă  Ćœejane : tot(ile), tota, tot, toț, tote : totile pemintu « toute la terre », iÌ­uva-iÌ­ tot a mevo puso? (avec la forme de neutre) « oĂč est mis tout ce qui est Ă  moi ? » ;
  • vrun, vro avec la variante vrur, vrurę « un/une (quelconque), l’un, l’une » : ț-aiÌ­ aflĂ„t vro fętę? « tu t’es trouvĂ© une fille ? », vrurę de iÌ­Ă„le « l’une d’entre elles ».

Avec la particule nușt″u, provenant de nu știvu « je ne sais pas », prĂ©cĂ©dant des pronoms interrogatifs, on forme des locutions pronominales indĂ©finies telles que nușt″u čire « quelqu’un », nușt″u če « quelque chose », etc.

Le correspondant du français « un autre, une autre, d’autres » est Ă„t/Ă„tu/Ă„tile (masc. sg.), Ă„tę/Ă„ta (fĂ©m. sg.), Ă„to (neutre), Ă„lʌț (masc. pl.), Ă„te (fĂ©m. pl.) : Ă„tile ÉŁlĂ„s « une autre voix ». À remarquer sur ce pronom-adjectif :

  • À Ćœejane il a des formes de gĂ©nitif-datif aussi : atvę « d’/Ă  un autre », atlʌę « d’/Ă  une autre », atorę « d’autres, Ă  d’autres ».
  • En tant que correspondant de « l’autre, les autres » il est utilisĂ© parfois seul (ur lu Ă„t ou ur atvę « l’un Ă  l’autre »), mais plus souvent prĂ©cĂ©dĂ© d’un pronom dĂ©monstratif d’éloignement : čela Ă„t pičor « l’autre jambe », čela Ă„tu « l’autre » (pronom).
  • La forme neutre Ă„to a le sens « autre chose » : ni cĂąrbur ni Ă„to « ni charbon ni autre chose ». Ce sens est exprimĂ© Ă©galement avec des mots interrogatifs ou nĂ©gatifs antĂ©posĂ©s : țevĂ„ Ă„to « autre chose, quelque chose d’autre », niș Ă„to « rien d’autre ».
  • PrĂ©cĂ©dĂ© du mot nușcĂ„rle, il forme la locution pronominale nușcĂ„rle Ă„t « quelqu’un d’autre ».
  • UtilisĂ© aprĂšs les pronoms personnels noiÌ­ et voiÌ­, il met en opposition ces personnes avec d’autres : noiÌ­ Ă„lʌț « nous autres ». C’est un calque d’aprĂšs l’italien noi altri.
Le pronom et l’adjectif nĂ©gatif

Ničur, ničo « aucun, aucune » est pronom et adjectif. Sa forme de masculin a le sens « personne » aussi, qui a la forme de gĂ©nitif-datif lu ničur dans le sud et ničurvę Ă  Ćœejane « de/Ă  personne ».

Niș (nis Ă  Ć uĆĄnjevica) est le pronom nĂ©gatif se rĂ©fĂ©rant aux inanimĂ©s : tu n-Ă„ri frikę nis « n’aie peur de rien », niș tĂąmno « rien de mal »[42].

DiathĂšses

En istro-roumain, comme en roumain, le verbe peut ĂȘtre Ă  la diathĂšse active, passive ou rĂ©flĂ©chie. Dans les parlers du sud, Ă  cĂŽtĂ© du passif avec le verbe auxiliaire fi « ĂȘtre » il y a une construction calquĂ©e sur l’italien, avec le verbe veri/viri « venir » : vĂ„ca virit-a uțisę « la vache a Ă©tĂ© tuĂ©e »[47].

Aspects

L’istro-roumain a empruntĂ© au croate la maniĂšre dont celui-ci exprime les aspects inaccompli et itĂ©ratif d’une part, et les aspects accompli et inchoatif de l’autre. Quant aux formes temporelles du passĂ©, l’imparfait de l’indicatif, qui exprime implicitement l’inaccompli et l’itĂ©ratif, a presque complĂštement disparu en istro-roumain. Le passĂ© composĂ©, qui exprimait implicitement l’accompli et l’inchoatif existe bien en istro-roumain mais le verbe Ă  cette forme peut ĂȘtre d’aspect accompli/inchoatif ou inaccompli/itĂ©ratif. L’expression de ces aspects s’est Ă©tendue Ă  d’autres formes verbales aussi. Exemple au passĂ© composĂ© :

m-a tunče bușnit « il/elle m’embrassait alors » (itĂ©ratif) vs iÌŻel’ s-a pozdravit și s-a pobușnit ils se sont saluĂ©s et embrassĂ©s (accompli)

Les aspects s’expriment surtout par l’absence ou la prĂ©sence d’un prĂ©fixe. Certains prĂ©fixes sont hĂ©ritĂ©s du latin (a-, Ăąn-/Ăąm-, dis-), mais la plupart sont slaves : do-, iz-, na-/ne-, o(b)-, po-, pre-, pri-, ras-/res-, s-, za-/ze-. Paires de verbes d’aspects diffĂ©rents :

  • durmi « dormir » (inaccompli/itĂ©ratif) – zĂądurmi/zedurmi « s’endormir » (inchoatif);
  • tal’Ä « couper » (inaccompli/itĂ©ratif) – potal’Ä « couper (complĂštement) » (accompli);
  • visĂ„ « voir en rĂȘve » (inaccompli/itĂ©ratif) – ĂąnvisĂ„ « lui apparaĂźtre en rĂȘve » (inchoatif).

L’opposition d’aspect peut s’exprimer Ă©galement par des paires de synonymes, le verbe inaccompli/itĂ©ratif Ă©tant d’origine latine, l’accompli/inchoatif – slave :

  • av muƋcĂ„t pĂąr la tot poiÌ­dit-a « il/elle a mangĂ© jusqu’à ce qu’il/elle ait tout fini » (litt. « il/elle a mangĂ© jusqu’à ce qu’il/elle ait tout mangĂ© »);
  • se bęiÌ­e cafe « on boit du cafĂ© » (itĂ©ratif) – popę cafelu! « bois ton cafĂ© ! » (accompli)[42].

L’aspect itĂ©ratif peut s’exprimer par les suffixes slaves -ęiÌ­ et -vęiÌ­ aussi. On peut les ajouter

  • Ă  des verbes d’aspect inaccompli/itĂ©ratif (en vęra cĂąntĂ„t-am « l’étĂ© je chantais » vs È›Ăąsta pul’ a vĂ„vic cantavęiÌ­t « cet oiseau chantait toujours ») ou
  • Ă  des verbes devenus accomplis par prĂ©fixation : zĂądurmi « s’endormir » – zĂądurmivęiÌ­ « s’endormir d’habitude ».
Modes et temps

Les modes personnels utilisĂ©s en istro-roumains sont l’indicatif, le conditionnel et l’impĂ©ratif.

À l’indicatif il y a pratiquement trois temps : le prĂ©sent, le passĂ© composĂ© et le futur, qui se forment de maniĂšre analogue Ă  ceux du roumain[48]. Le passĂ© simple et le plus-que-parfait ont disparu complĂštement, et l’imparfait presque complĂštement, ayant des vestiges dans les parlers du sud. Il se forme diffĂ©remment de l’imparfait roumain, Ă  partir de l’infinitif, les dĂ©sinences Ă©tant prĂ©cĂ©dĂ©es de la semi-voyelle de liaison -iÌ­-: lucrĂ„iÌ­am « je travaillais », fațęiÌ­ai « tu faisais », avziiÌ­a « il/elle entendait ».

Le conditionnel a les temps prĂ©sent, passĂ© et, Ă  la diffĂ©rence du roumain, futur. Le prĂ©sent se forme avec l’auxiliaire (v)rę « vouloir » Ă  l’indicatif prĂ©sent + l’infinitif du verbe Ă  sens lexical. Le passĂ© peut se former avec (v)rę Ă  l’indicatif prĂ©sent + fi « ĂȘtre » Ă  l’infinitif + le participe ou avec (v)rę Ă  l’indicatif prĂ©sent + fost (participe de fi) + infinitif du verbe Ă  sens lexical : ręș fi cĂąntĂ„t ou ręș fost cĂąntĂ„ « j’aurais chantĂ© ». Le conditionnel futur a une forme synthĂ©tique, provenant du futurum exactum latin et ayant parfois la mĂȘme valeur que celui-ci, celui de futur antĂ©rieur. Il est utilisĂ© prĂ©cĂ©dĂ© des conjonctions se « si », cĂąnd « quand », pĂąr la ke (nu
) « jusqu’à ce que » : cĂąnd tot fure gotova, iÌ­e va veri « quand tout aura Ă©tĂ© fait, il viendra », neca nu rasclÊŒidu pĂąr la ke nu iÌ­Ă„ verire « qu’ils/elles n’ouvrent pas jusqu’à ce qu’elle soit venue »[42].

Le subjonctif en tant que forme synthĂ©tique ne s’est conservĂ© que pour le verbe fi (fivu, fiiÌ­i, fiiÌ­e, fim, fiț, fivu), les autres verbes l’exprimant comme en croate, de façon analytique, avec le verbe Ă  l’indicatif prĂ©cĂ©dĂ© de la conjonction se « que » ou le synonyme croate de celle-ci, neca. Il n’y a pas d’autres formes temporelles de subjonctif que le prĂ©sent.

L’impĂ©ratif est analogue Ă  celui du roumain, sauf qu’il a aussi une forme de 1re personne du pluriel. Une dĂ©sinence exception -o est prĂ©sente dans le cas du verbe veri/viri « venir » et du verbe aduče « apporter » : viro! « viens ! », ado! « apporte ! »

Les modes impersonnels de l’istro-roumain sont l’infinitif, le gĂ©rondif et le participe. À la diffĂ©rence du roumain, l’infinitif est utilisĂ© sans a et sa forme longue, utilisĂ©e en roumain en tant que nom de l’action (par exemple a veni « venir » > venire « venue »), a disparu. L’infinitif istro-roumain a de nombreuses valeurs verbales, par exemple celle du participe prĂ©sent français : Ă„flu fętę durmi « je trouve la fille dormant ». Le gĂ©rondif a le suffixe -nda et il est rarement utilisĂ©. Le supin a disparu aussi bien sous sa forme latine que sous sa forme roumaine, Ă©tant remplacĂ© par l’infinitif : Ă„to n-Ă„v avut de bę « il/elle n’avait pas autre chose Ă  boire »[42].

Conjugaison

En istro-roumain il y a quatre classes de conjugaison hĂ©ritĂ©es, analogues Ă  celles du roumain, et de une Ă  trois (selon les interprĂ©tations) pour les emprunts et les crĂ©ations sur le terrain propre de l’istro-roumain[36] :

Exemples de conjugaison (les voyelles accentuées sont celles à diacritique suscrit) :

Infinitif:

scapÄ
« échapper »
țirę́
« tenir »
fĂ„Äe
« faire »
avzĂ­
« entendre »
cuhę́i̭
« faire cuire »

Indicatif présent :

scĂ„puÈ›Ă­rufĂ„cĂ„vducuhĂ©scu
scĂ„piÈ›Ă­rifĂ„ÄiĂ„vzicuhĂ©È™ti
scĂ„pęțirefĂ„ÄeĂ„vdecuhę́
scapĂ„nțirĂ©nfaÄĂ©navzĂ­ncuhę́iÌ­n
scapĂ„È›È›irĂ©È›faÄĂ©È›avzĂ­È›cuhę́i̭ț
scĂ„puÈ›Ă­rufĂ„cuĂ„vducuhĂ©scu

À Ćœejane, la 1re personne du pluriel a la dĂ©sinence -m (vedĂ©m « nous voyons »), et pour les verbes du type cuhę́iÌ­, la forme de la 1re personne du singulier et de la 3e du pluriel est cuhĂ©s, celle de la 2e personne du singulier Ă©tant cuhĂ©È™.

Indicatif passé :

  • avec l’auxiliaire postposĂ© :
scapÄt
țirĂșt
facĂșt
avzĂ­t
cuhę́i̭t
-am
-aiÌ­
-a
(dans le sud), -av (Ă  Ćœejane)
-an (dans le sud), -am (Ă  Ćœejane)
-aț
-a (dans le sud), -av (Ă  Ćœejane)
  • avec l’auxiliaire antĂ©posĂ©, variantes en fonction du parler, du caractĂšre tonique ou atone de l’auxiliaire, de son attachement ou non Ă  un mot voisin, de la prĂ©sence ou de l’absence du pronom personnel sujet et du caractĂšre tonique ou atone de celui-ci :
Ă„m / iÌ­Ăł am / iÌ­o-m
Ă„iÌ­ / tĂș aiÌ­ / tu-iÌ­
Ă„ / Ă„v / iÌ­Ă© a / iÌ­Ă© av
Ă„n / Ă„m / nĂłiÌ­ an / nĂłiÌ­ am
Ă„È› / vĂłiÌ­ aț
Ă„ / Ă„v / iÌ­Ă©l’ a / iÌ­Ă©l’ av
scapÄt
țirĂșt
facĂșt
avzĂ­t
cuhę́i̭t

Dans la plupart des cas, l’auxiliaire est postposĂ©. En dialogue, Ă  la 1re personne, l’auxiliaire peut ĂȘtre utilisĂ© seul pour Ă©viter la rĂ©pĂ©tition du participe : – ÅiÌ­ tu strilĂ­t? – Åm. « – Tu as tirĂ©? (au fusil) – J’ai tirĂ©. »[42]

Indicatif futur :

  • avec l’auxiliaire antĂ©posĂ© :
voiÌ­
ver
va / vÄ
ren
(dans le sud), rem (Ă  Ćœejane)
veț
vor
scapÄ
țirę́
fĂ„Äe
avzĂ­
cuhę́i̭

AprĂšs certains mots on utilise des formes brĂšves de l’auxiliaire, liĂ©es au mot le prĂ©cĂ©dant : ț-oiÌ­ fĂ„Äe « je te ferai », iÌ­o-iÌ­ spure « je dirai », če-r ñƋ codru fĂ„Äe? « qu’est-ce que tu feras dans la forĂȘt ? », tu n-er nicat fi pĂ„metĂąn « tu ne seras jamais intelligent »[42].

  • avec l’auxiliaire postposĂ© :
scapÄ
țirę́
fĂ„Äe
avzĂ­
cuhę́i̭
-voiÌ­
-ver
-va
-ren, -rem
-veț
-vor

Conditionnel présent

ręș
ręi̭
rę
ręn
(dans le sud), ręm (Ă  Ćœejane)
ręț
rę
scapÄ
țirę́
fĂ„Äe
avzĂ­
cuhę́i̭

Conditionnel passé :

  • avec fi :
ręș
ręi̭
rę
ręn / ręm
ręț
rę
fiscapÄt
țirĂșt
facĂșt
avzĂ­t
cuhę́i̭t
  • avec fost :
ręș
ręi̭
rę
ręn / ręm
ręț
rę
fostscapÄ
țirę́
fĂ„Äe
avzĂ­
cuhę́i̭

Conditionnel futur :

scapĂ„rțirĂșrfacĂșravzĂ­rcuhę́iÌ­r
scapĂ„rițirĂșrifacĂșriavzĂ­ricuhę́iÌ­ri
scapĂ„rețirĂșrefacĂșreavzĂ­recuhę́iÌ­re
scapĂ„rnoțirĂșrnofacĂșrneavzĂ­rnocuhę́iÌ­rno
scapĂ„rețțirĂșrețfacĂșrețavzĂ­rețcuhę́iÌ­reț
scapĂ„ruțirĂșrufacĂșruavzĂ­rucuhę́iÌ­ru

Impératif :

  • positif :
scĂ„pę!È›Ă­re!fę́!–cĂșhę!
scapĂ„n!țirĂ©n!faÄĂ©n!avzĂ­n!cuhę́iÌ­n!
scapĂ„È›!țirĂ©È›!faÄĂ©È›!avzĂ­È›!cuhę́i̭ț!
  • nĂ©gatif :
nu scapĂ„!nu È›Ă­re!nu fĂ„Äe!–nu cuhęiÌ­!
nu scapĂ„n!nu țirĂ©n!nu faÄĂ©n!nu avzĂ­n!nu cuhę́iÌ­n!
nu scapĂ„È›!nu țirĂ©È›!nu faÄĂ©È›!nu avzĂ­È›!nu cuhę́i̭ț!

À la forme nĂ©gative, la forme de la 1re personne du singulier provient de l’infinitif, les autres Ă©tant celles de l’indicatif prĂ©sent.

La préposition

Une sĂ©rie de prĂ©positions sont d’origine latine : Ăąn « en, dans », (Ăą)ntru « en, dans », de « de, au sujet de », din/diƋ « de » (exprimant la provenance), « pour pendre/chercher » (virĂ­t-a diƋ cĂ„rne « il/elle est venu(e) chercher (de) la viande »)”, la « Ă  », pre « sur ». D’autres sont empruntĂ©es au croate, utilisĂ©es d’ordinaire avec des noms Ă©galement empruntĂ©s et dĂ©clinĂ©s comme en croate : poiÌ­di na salĂ„tu « manger quelque chose en salade ». Certaines prĂ©positions croates forment des locution prĂ©positive prĂ©positives avec des prĂ©positions d’origine latine : namesto de « Ă  la place de », iÌ­elÊŒ fost-a ocoli de foc « ils Ă©taient autour du feu »[42].

La conjonction

Parmi les conjonctions aussi il y en a qui sont romanes, dont certaines hĂ©ritĂ©es du latin (și « et », ke « que ») et d’autres empruntĂ©es Ă  l’italien (ma « mais », perke « parce que », se « si »), d’autres conjonctions encore Ă©tant d’origine croate : ali « ou », neca « que, pour que », nego « que » comparatif.

Syntaxe

La syntaxe de l’istro-roumain prĂ©sente elle aussi des influences du croate.

Le groupe nominal

Sous l’influence du croate, dans le groupe nominal, l’ordre des mots est en gĂ©nĂ©ral dĂ©terminant ou/et Ă©pithĂšte + nom (a mev nono « mon grand-pĂšre », čñsta fečor « ce garçon », o musĂ„tę fętę « une belle fille »), mais il y a aussi des exemples contraires : betĂąr om nu pote ou omu betĂąr nu pote « le vieil homme ne peut pas ». Si le nom est dĂ©terminĂ© par plusieurs mots, tous peuvent lui ĂȘtre antĂ©posĂ©s, par exemple dans la phrase

čñsta luiÌ­ zelen miĆŸol iÌ­e pre scĂ„nd « ce verre vert Ă  lui est sur la table », mais il y a encore deux variantes d’ordre des mots du groupe nominal :
čñsta luiÌ­ miĆŸol zelen et
čñsta zelen miĆŸol luiÌ­ [49].

La phrase simple

La phrase interrogative se distingue en gĂ©nĂ©ral par l’intonation mais il y a aussi des particules spĂ©cifiques qui la marquent, če dans les parlers du sud et Ăą Ă  Ćœejane : Če tu ganești vlĂ„È™ki? « Est-ce que tu parles valaque ? »,  tu cuvinți ĆŸeiÌ­Ă„nski? « Est-ce que tu parles la langue de Ćœejane ? »[50].

Pour la nĂ©gation on utilise deux mots. Nu sert Ă  nier le verbe (nu me abĂ„te! « ne me bats pas ! ») et ne est utilisĂ© sans verbe, en tant que mot phrase ou pour opposer un terme Ă  un autre : Gianni dĂ„t-a listu lu Mario, ne libru « C’est la lettre que Gianni a donnĂ© Ă  Mario, pas le livre »[51].

Par rapport au français et au roumain, l’ordre des mots dans la phrase simple est trùs libre.

Les Ă©lĂ©ments des temps verbaux composĂ©s ne sont pas toujours placĂ©s l’un aprĂšs l’autre. Par exemple, entre l’auxiliaire et le verbe Ă  sens lexical on peut placer :

  • le groupe du sujet : CĂąn s-a męle sorĂąr pogovaręiÌ­t « Quand mes sƓurs ont parlĂ© entre elles »[52] ;
  • le groupe du complĂ©ment d’objet direct : Url’e betĂąre ĆŸenske av tot ÄĂ„ dĂ„t « Il/elle a donnĂ© tout ça Ă  une vieille femme »[52] ;
  • le sujet et le complĂ©ment circonstanciel CĂąnd rem noiÌ­ acĂ„sa veri? « Quand est-ce que nous rentrerons chez nous ? »[42]

Dans une phrase Ă  trois constituants dont l’une est un complĂ©ment d’objet direct, l’ordre peut ĂȘtre sujet + verbe + COD ou COD + verbe + sujet. Si le sujet et le COD sont des noms d’animĂ©s et les deux du mĂȘme nombre, comme ils ne sont pas marquĂ©s morphologiquement et que le COD n’est pas anticipĂ© ou repris par un pronom personnel lui correspondant (en roumain le COD est marquĂ© de ces deux façons), le sens d’une telle phrase dĂ©pend de la mise en relief de l’un ou de l’autre de ces constituants par l’accentuation et l’intonation. À la seule lecture, les phrases suivantes peuvent signifier :

Bovu Ăąntręba Ă„siru « Le bƓuf demande Ă  l’ñne » ou « L’ñne demande au bƓuf »[52] ;
Maria piÌ­aĆŸÄ™ Gianni « Maria plaĂźt Ă  Gianni » ou « Gianni plaĂźt Ă  Maria »[53].

Exemple de phrase simple Ă  plus de trois constituants : De cĂąrbur lemnu iÌ­e bur sakile « Pour faire du charbon n’importe quel bois est bon » (litt. « Pour charbon le bois est bon n’importe quel »)[42].

À la diffĂ©rence du roumain, sous l’influence du croate, lorsque deux actions ont le mĂȘme sujet et que l’une est subordonnĂ©e Ă  l’autre, l’istro-roumain prĂ©fĂšre la construction Ă  complĂ©ment exprimĂ© par un infinitif Ă  la phrase complexe Ă  proposition subordonnĂ©e : vreț Ăąl ĂąntrebĂ„? vs vreți să-l Ăźntrebați? « vous voulez lui demander ? », mere lucrĂ„ vs merge să lucreze « il/elle va travailler » (« va » Ă  sens lexical plein).

Lexique

Selon Naroumov 2001, 65 % du lexique istro-roumain de base est constituĂ© de mots hĂ©ritĂ©s du latin[54] et la liste Swadesh de 110 mots est Ă  87 % de cette origine[55]. Quelques-uns sont spĂ©cifiques Ă  l’istro-roumain, inexistants en roumain (par exemple cĂ„iÌ­bę « cage Ă  oiseaux ») ou ont un sens spĂ©cifique supplĂ©mentaire : scĂ„nd « chaise » mais aussi « table », čęre « demander » mais aussi « chercher ».

La formation de mots par dĂ©rivation est faible. Les prĂ©fixes verbaux ont plutĂŽt un caractĂšre grammatical, formant des verbes d’aspect accompli/inchoatif (voir plus haut la section Aspects).

Il y a aussi quelques suffixes lexicaux, certains d’origine latine, d’autres slaves, qui forment :

  • des noms d’occupations : cĂąrbunĂ„r « charbonnier », peclar « boulanger », școlĂ„n « Ă©colier » ;
  • diminutifs : porčič « petit cochon », cĂ„sițę « maisonnette ».

De toutes les langues romanes orientales, c’est l’istro-roumain le plus permĂ©able aux influences Ă©trangĂšres, surtout dans le domaine du lexique[36].

La plupart des emprunts proviennent du croate, surtout de son dialecte tchakavien, mais aussi de la langue standard. Certains emprunts ont formĂ© des paires de synonymes avec des mots hĂ©ritĂ©s, puis ceux-ci ont changĂ© de sens. Ainsi, on a empruntĂ© le verbe poșni « commencer », et le sens du verbe hĂ©ritĂ© correspondant ĂąnčepĂ„ s’est rĂ©duit Ă  « entamer » (exemple: ĂąnčepĂ„ pĂąra « entamer le pain ») ; l’adjectif vęrde a pris le sens « pas mĂ»r », alors que pour le sens « vert » on utilise l’emprunt zelen. Certains noms ont Ă©tĂ© empruntĂ©s avec une prĂ©position et avec la forme casuelle demandĂ©e par cette prĂ©position : po svitu « par le monde », na șetƄu « Ă  la promenade », za večeru « Ă  dĂźner »[36].

Des emprunts au dialecte vĂ©nitien ou Ă  l’italien standard sont entrĂ©s directement ou par l’intermĂ©diaire du croate : alora « alors », iÌ­ardin « jardin », iÌ­ardiner « jardinier »[36], oĆĄtariiÌ­a « bistrot », urdinęiÌ­ « commander »[56].

Des mots allemands aussi ont Ă©tĂ© empruntĂ©s directement ou par l’intermĂ©diaire du croate : frĂ„iÌ­er/frĂ„iÌ­ar „jeune homme, amant, fiancĂ©â€, fruștikęiÌ­ „prendre le petit dĂ©jeuner”, țucĂąr „sucre”[36].

Tous les emprunts ne sont pas prĂ©sents et dans les parlers du sud, et dans celui de Ćœejane (les emprunts sont en caractĂšres gras). Exemples[54] - [57] :

Parlers du sudParler de ĆœejaneTraduction
černebociel
gradčetĂ„teville
medvidursours
perhrușvapoire, poirier
ponediliÌ­Ăąclurlundi
petĂącvirervendredi

Notes et références

  1. Očuvęj vlĂ„ĆĄka ĆĄi ĆŸejĂ„nska limba – Number of speakers and vitality of the language (Sauvegarder la langue valaque et de Ćœejane – Nombre de locuteurs et vitalitĂ© de la langue)
  2. Par exemple Petar Skok (en), Alexandru Graur (en) et Ion Coteanu, cf. Sala 1989, p. 158.
  3. Par exemple Sextil Pușcariu, Emil Petrovici (en), Ovid Densușianu, Iosif Popovici, Alexandru Rosetti, cf. Sala 1989, p. 158.
  4. C’était un linguiste originaire de la minoritĂ© nationale roumaine de VoĂŻvodine (Serbie).
  5. Sala 1989, p. 158.
  6. Kandler 1863, p. 233.
  7. Dans ce pays il y a 200 locuteurs environ, selon Dianich 2015.
  8. OstroĆĄki 2013, p. 12.
  9. Frățilă 2012, p. 635.
  10. Filipi 2002b, p. 91.
  11. Vassilich 1900, p. 178.
  12. Skok 1938, cité par Dahmen 1989, p. 449.
  13. Densusianu 1901, p. 337-346.
  14. Philippide 1927, p. 386, Drăganu 1933, p. 601-618, Rosetti 1932, p. 1-9, Coteanu 1961, p. 115, Vasiliu 1968, p. 144-157 (les quatre derniers citĂ©s par Frățilă 2012, p. 642-643).
  15. Pușcariu 1926, p. 4, citĂ© par Frățilă 2012, p. 643.
  16. Capidan 1927, p. 164, Petrovici 1960, p. 79-83, Cantemir 1968, p. 91-110, Kovačec 1971, p. 30-32, Filipi 2002a, p. 42, Saramandu 2004, p. 21 (tous citĂ©s par Frățilă 2012, p. 645-646), Dianich 2015.
  17. Scărlătoiu 1998, p. 325, citĂ© par Frățilă 2012, p. 645.
  18. Croce 1698, p. 335.
  19. Reprises par Pușcariu 1929, p. 6, citĂ© par Filipi 2002b, p. 91. Filipi appelle cet idiome KrkorumĂ€nisch en allemand et krkorumunjski en croate.
  20. Covaz 1846.
  21. Notre PÚre (consulté le 7 mars 2023).
  22. Par Fr. J. Sajovec, dans Novice gospodarske, obertnijske i narodske, no 87, Ljubljana, 1856, p. 348.
  23. Gustav Weigand (en), Iosif Popovici, Sextil Pușcariu, Leca Morariu, Traian Cantemir, August Kovačec, etc.
  24. Glavina et Diculescu 1905.
  25. Voir, par exemple, Očuvęj vlĂ„ĆĄka ĆĄi ĆŸejĂ„nska limba – Literary corner (Coin littĂ©raire).
  26. Moseley et Nicolas 2010, p. 44.
  27. States Parties to the European Charter for Regional or Minority Languages and their regional or minority languages (consulté le 7 mars 2023).
  28. 10.3 Charte europĂ©enne des langues rĂ©gionales ou minoritaires – a. TroisiĂšme rapport du ComitĂ© d'experts concernant la Croatie, du 12 mars 2008; AssemblĂ©e Parlamentaire du Conseil de l’Europe, Rapport | Doc. 12422 | 21 octobre 2010 (consultĂ©s le 7 mars 2023).
  29. Cf. Declarații comune de presă susținute de prim-ministrul Emil Boc și președintele Guvernului Republicii Croația, Jadranka Kosor – partea II. (DĂ©clarations communes de presse soutenues par le premier ministre Emil Boc et la prĂ©sidente du Gouvernement de la RĂ©publique de Croatie Jadranka Kosor – 2e partie) (consultĂ© le 7 mars 2023).
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  35. Istro-Romanian Community Worldwide (consulté le 7 mars 2023.)
  36. Sala 1989, p. 159.
  37. Cette graphie est utilisĂ©e dans la version de 2010 en ligne du dictionnaire de Kovačec, ainsi que dans cet article.
  38. SĂąrbu et Frățilă emploient j au lieu de ĆŸ.
  39. Pour la prononciation du roumain standard, voir PhonĂ©tique et phonologie du roumain. On peut entendre la prononciation des sons de l’istro-roumain en mots sur le site Očuvęj vlĂ„ĆĄka ĆĄi ĆŸejĂ„nska limba, page Pronunciation.
  40. Sala 1989, p. 275; dexonline.ro; Kovačec 2010.
  41. On marque avec un astérisque (*) les mots non attestés mais reconstitués par des linguistes.
  42. Kovačec 2010.
  43. Naroumov 2001, p. 663.
  44. Naroumov 2001, p. 665.
  45. SĂąrbu et Frățilă 1998, citĂ© par Zegrean 2012, p. 48.
  46. Naroumov 2001, p. 666.
  47. Naroumov 2001, p. 664.
  48. Voir Verbe en roumain.
  49. Zegrean 2012, p. 79.
  50. Očuvęj vlĂ„ĆĄka ĆĄi ĆŸejĂ„nska limba – Limba de saka zi, Leçon 3.
  51. Zegrean 2012, p. 138.
  52. Naroumov 2001, p. 669.
  53. Zegrean 2012, p. 110.
  54. Naroumov 2001, p. 670.
  55. GLD.
  56. Vrzić 2009, p. 19-20.
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  • Weigand, Gustav, « Nouvelles recherches sur le roumain de l’Istrie », dans Meyer, Paul et Paris, Gaston (dir.), Romania. Recueil trimestriel consacrĂ© Ă  l'Ă©tude des langes et des littĂ©ratures romanes, Paris, Émile Bouillon, (lire en ligne), p. 240-256

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