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Analytisme et synthétisme (linguistique)

Dans la typologie morphologique des langues, l’analytisme et le synthĂ©tisme sont des traits des langues pris en compte dans leur classification du point de vue du nombre de morphĂšmes qui constituent un mot. La classification selon ce critĂšre fut initiĂ©e par August Wilhelm Schlegel dans un de ses ouvrages paru en 1818[1].

Toute langue peut ĂȘtre placĂ©e sur un point de l’échelle ci-dessous, sauf Ă  ses extrĂ©mitĂ©s[2] - [3]:

analytisme↔synthĂ©tisme↔polysynthĂ©tisme
(un mot = un morphùme)(un mot = plus d’un morphùme)(un mot = une phrase)

Cela veut dire qu’aucune langue n’est purement analytique, synthĂ©tique ou polysynthĂ©tique. On ne peut parler que de langues oĂč le poids de l’un de ces traits est dominant par rapport aux autres.

Le linguiste amĂ©ricain Joseph Greenberg a calculĂ© le rapport entre nombre de morphĂšmes et nombre de mots sur des Ă©chantillons de cent mots de huit langues, rapport appelĂ© « degrĂ© de synthĂšse ». Plus l’indice de ce rapport (indice de synthĂšse) est bas, plus la langue est analytique[4].

L’analytisme et le synthĂ©tisme concernent Ă©galement la maniĂšre dont sont rĂ©alisĂ©s les formes et les rapports grammaticaux, ainsi que les unitĂ©s lexicales[5]. En français, par exemple, certaines formes verbales sont analytiques (celles Ă  verbes auxiliaires, ex. il est parti)[6], d’autres synthĂ©tiques, rĂ©alisĂ©es avec des suffixes et des dĂ©sinences, ex. je cueillerai[7]. En syntaxe on peut parler de rapports rĂ©alisĂ©s de maniĂšre analytique, par exemple l’expression de complĂ©ments du verbe Ă  l’aide de prĂ©positions (Je pense Ă  mes amis), en opposition avec l’expression du complĂ©ment d’objet direct (Il mange une pomme)[8]. Dans le domaine du lexique aussi il y a des formations analytiques (locutions) en opposition avec des mots simples, pouvant mĂȘme former des paires de synonymes, telle qui que ce soit – quiconque[9].

Analytisme

Les langues dans lesquelles l’analytisme atteint son plus haut degrĂ© sont appelĂ©es isolantes. De telles langues se trouvent surtout en Asie de l’Est et du Sud-Est, ainsi qu’en Afrique de l’Ouest (par exemple le yoruba). Des exemples classiques pour ces langues sont le chinois et le vietnamien. En chinois, par exemple, il n’y a pas de flexion, les mots tendant Ă  ĂȘtre formĂ©s d’un seul morphĂšme Ă  sens lexical ou grammatical[2], et les rapports syntaxiques sont exprimĂ©s principalement par l’ordre des mots[10] et des mots grammaticaux[11]. Par exemple, la phrase française « Si tu m’attends, j’y vais avec toi » correspond en chinois Ă [2] :

nǐděngwǒ,wǒjiĂčgēnnǐqĂč
toiattendremoi,moialorsavectoialler

La phrase est constituée de huit mots, chacun correspondant à un morphÚme.

L’indice de synthĂšse d’une langue isolante, donc trĂšs analytique, comme le vietnamien, est 1,06. Celui de l’anglais Ă©tant 1,68, cette langue aussi est considĂ©rĂ©e comme analytique[4], de mĂȘme que le français, qui a recours, par exemple, Ă  des prĂ©positions pour exprimer certains rapports grammaticaux[12]. Son indice de synthĂšse est 1,41[13].

Synthétisme

On considĂšre comme des langues synthĂ©tiques celles oĂč prĂ©dominent les mots contenant plus d’un morphĂšme, c’est-Ă -dire une racine Ă  sens lexical et un ou plusieurs affixes grammaticaux et/ou dĂ©rivationnels. Les mots peuvent aussi ĂȘtre composĂ©s. Parmi ces langues on distingue deux catĂ©gories. Dans les langues appelĂ©es agglutinantes, le trait prĂ©dominant est l’association d’un seul sens ou d’une seule fonction Ă  un morphĂšme, les morphĂšmes se succĂ©dant avec des limites claires entre eux. Dans les langues appelĂ©es flexionnelles, ce sont les morphĂšmes exprimant plus d’un sens ou plus d’une fonction Ă  la fois qui sont prĂ©dominants. De plus, dans certaines, les morphĂšmes grammaticaux peuvent ĂȘtre inclus dans les racines. Les morphĂšmes ne sont donc pas clairement dĂ©limitĂ©s[3]. Dans la premiĂšre catĂ©gorie de langues il y a, par exemple, le hongrois[14] et le turc[15], et dans la seconde – le latin, le grec et l’arabe[15].

Un exemple de langue synthĂ©tique est le sanskrit, dont l’indice de synthĂšse est 2,59[4].

Polysynthétisme

Le polysynthĂ©tisme reprĂ©sente un synthĂ©tisme maximal. Dans les langues polysynthĂ©tiques, les mots sont trĂšs longs et morphologiquement trĂšs complexes. De telles langues se trouvent premiĂšrement parmi celles des AmĂ©rindiens et des Esquimaux, ce trait Ă©tant caractĂ©ristique pour certaines langues indigĂšnes de SibĂ©rie, du Caucase du Nord et d’Australie Ă©galement. La phrase « Si tu m’attends, j’y vais avec toi » a pour correspondante dans une langue des Esquimaux, l’inuktitut, la sĂ©quence[2] :

utaqqui-gu-vi-nga,aulla-qati-gi-niaq-pa-git
attendresitujeallerpartenaireavoirfuturassertionje/tu

La phrase se compose de deux mots, utaqquiguvinga et aullaqatiginiaqpagit, chacun correspondant Ă  une proposition.

Pour une langue eskimau, Greenberg 1954 a Ă©tabli l’indice de synthĂšse 3,72[4].

CaractĂšre relatif des traits

Chaque langue prĂ©sente plus ou moins d’analytisme, respectivement de synthĂ©tisme. On peut dire comparativement qu’une langue est plus analytique/synthĂ©tique qu’une autre.

En chinois, qui est une langue trÚs analytique, il y a toutefois de nombreux mots composés, ainsi que des mots à affixes dérivationnels[2].

Parmi les langues indo-europĂ©ennes, le latin, le grec et le sanskrit prĂ©sentent un synthĂ©tisme plus important que les langues romanes. Par rapport Ă  celles-ci ou Ă  l’allemand, l’anglais est encore moins synthĂ©tique[2]. Cependant, celui-ci non plus n’est pas totalement dĂ©pourvu mĂȘme de polysynthĂ©tisme. Ainsi, un mot tel que antidisestablishmentarianisms[16] est composĂ© de sept morphĂšmes : anti|dis|establish|ment|arian|ism|s[17]. En Ă©tudiant l’histoire des langues romanes ou de l’anglais, on a constatĂ© leur Ă©volution d’un degrĂ© plus haut Ă  un degrĂ© plus bas de synthĂ©tisme, surtout dans le cas de l’anglais[3]. Pour preuve, l’indice de synthĂšse du vieil anglais est de 2,12, par rapport Ă  1,68 pour l’anglais moderne[4].

On peut faire des comparaisons entre langues du point de vue de l’analytisme/synthĂ©tisme, concernant l’expression de l’un ou l’autre des rapports grammaticaux. Exemple[11]:

  • rapport de possession : (fr) la maison du pĂšre (analytisme) vs (de) Vaters Haus (synthĂ©tisme) ;
  • degrĂ© comparatif : (en) more beautiful (analytisme) vs (de) schöner (synthĂ©tisme) « plus beau ».

La relativitĂ© de l’analytisme et du synthĂ©tisme peut se manifester dans une langue donnĂ©e Ă  un certain moment de son histoire aussi, les diffĂ©rents domaines de la structure grammaticale pouvant se comporter diffĂ©remment de ce point de vue. En japonais, par exemple, il n’y a pas de flexion du nom, il fonctionne donc de façon analytique, mais le systĂšme verbal prĂ©sente une flexion complexe, Ă©tant, par consĂ©quent, trĂšs synthĂ©tique[2].

Notes et références

  1. Schlegel, A. W. von, Observations sur la langue et la littĂ©rature provençales, Paris, Librairie grecque–latine–allemande, 1818 (consultĂ© le 25 janvier 2019) (cf. Bussmann 1998, p. 57).
  2. Eifring et Theil 2005, chap. IV, p. 5-6.
  3. BakrĂł-Nagy 2006, p. 195.
  4. (en) Greenberg, Joseph H., « A quantitative approach to the morphological typology of languages » [« Approche quantitative en typologie morphologique des langues »], Spencer, Robert, Festschrift for Wilson D. Wallis. Method and Perspective in Anthropology, University of Minnesota Press, 1954, cité par Sörés 2006, p. 33.
  5. Bidu-Vrănceanu 1997, p. 462.
  6. Kalmbach 2017, p. 368.
  7. Kalmbach 2017, p. 392.
  8. Kalmbach 2017, p. 208.
  9. Kalmbach 2017, p. 328.
  10. Crystal 2008, p.25.
  11. Bussmann 1998, p. 57.
  12. Dubois 2002, p. 472.
  13. Calculé par Sörés 2006 (p. 41).
  14. KĂĄlmĂĄn 2007, p. 84.
  15. Crystal 2008, p. 472.
  16. Philosophie politique qui s’oppose Ă  la sĂ©paration d’un culte religieux de l’État oĂč il fonctionne, le terme Ă©tant ici au pluriel (cf. Wiktionary, article antidisestablishmentarianism).
  17. Crystal 2008, p. 374.

Sources bibliographiques

Articles connexes

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