Morphologie (linguistique)
En linguistique, la morphologie (cf. les mots grecs morphĂ© « forme » + lĂłgos « Ă©tude ») est traditionnellement la branche de la grammaire qui Ă©tudie la forme des mots, par opposition Ă la syntaxe, qui sâoccupe de la fonction des mots et dâentitĂ©s plus grandes que ceux-ci[1] - [2] - [3] - [4] - [5]. En dâautres termes, la morphologie Ă©tudie les paradigmes des mots et lâorganisation des traits grammaticaux, alors que la syntaxe traite des successions de mots, des relations syntagmatiques[1].
Dans une conception de lâorganisation stratifiĂ©e, en niveaux, de la langue, le terme est aussi utilisĂ© pour dĂ©nommer le niveau dont lâunitĂ© de base a la qualitĂ© de signe linguistique[1]. En termes traditionnels, il dĂ©nomme la structure morphologique en tant que partie de la structure grammaticale[6] - [7].
La morphologie nâa pas la mĂȘme importance pour toutes les langues. Elle lâest surtout pour les langues dites synthĂ©tiques, quâelles soient flexionnelles[8] (appelĂ©es aussi fusionnelles ou fusionnantes)[9] ou agglutinantes, et beaucoup moins pour les langues dites isolantes, dans lesquelles les mots sont en gĂ©nĂ©ral invariables[1].
Du point de vue des stades dâune langue quâelle Ă©tudie, on distingue la morphologie descriptive (synchronique), qui dĂ©crit la structure morphologique de la langue Ă un moment donnĂ© de son dĂ©veloppement, et la morphologie historique (diachronique), qui Ă©tudie lâĂ©volution de la structure morphologique de la langue et ses perspectives de dĂ©veloppement. Il y a aussi la morphologie comparative, qui sâoccupe en parallĂšle de lâĂ©volution de la structure morphologique de deux ou de plusieurs langues (surtout apparentĂ©es), essayant, par exemple, dâĂ©tablir des critĂšres qui dĂ©terminent les relations typologiques entre langues[2].
Aspects étudiés par la morphologie
Par Ă©tude de la forme des mots on entend lâĂ©tude dâau moins deux aspects.
Lâun de ces aspects est celui de la structure interne du mot[10], des rĂšgles selon lesquelles se constituent ses formes[7], de la maniĂšre dont se combinent les morphĂšmes qui le constituent[3], autrement dit, les rĂšgles de la modification de ses formes[6]. Les formes que prennent les mots sont principalement celles pour exprimer divers traits grammaticaux (morphologiques). Ce sont, en fonction de la langue donnĂ©e, le genre, le cas, le nombre, la personne, la diathĂšse, le mode, le temps, lâaspect, le mode dâaction, etc. En termes traditionnels, les modifications de forme sont appelĂ©es dĂ©clinaison et conjugaison[3].
Un autre aspect est le groupement des mots en classes lexico-grammaticales ayant des traits distincts, appelées traditionnellement parties du discours[6] - [2], qui ne concerne pas seulement les mots dont la forme se modifie (parties du discours variables), mais aussi ceux dont la forme ne subit pas de changements (parties du discours invariables).
Le rapport de la morphologie avec dâautres branches de la linguistique
La morphologie sâoccupe de la structure morphologique, mais celle-ci nâest sĂ©parĂ©e dâaucun des niveaux de la langue, câest pourquoi il y a des interfĂ©rences entre la morphologie et les autres branches de la linguistique.
Morphologie et sémantique
La liaison entre morphologie et sĂ©mantique est trĂšs Ă©troite, de plusieurs points de vue. PremiĂšrement, les morphĂšmes qui constituent le mot sont porteurs de sens. DeuxiĂšmement, une mĂȘme forme peut avoir des sens grammaticaux diffĂ©rents, en fonction des circonstances de son emploi. Par exemple, la forme du prĂ©sent de lâindicatif du verbe peut avoir le sens de futur aussi[7].
Dâun autre point de vue, la morphologie a un rapport avec la sĂ©mantique par le fait que certaines formes des mots peuvent exprimer la modalitĂ©, une catĂ©gorie qui exprime lâattitude du locuteur envers ce qui est exprimĂ© dans la phrase[11]. Ainsi, par exemple, les formes modales du verbe expriment, en principe, au sujet du procĂšs, la certitude de sa rĂ©alisation (lâindicatif), sa possibilitĂ© proprement-dite (le subjonctif), sa possibilitĂ© conditionnĂ©e (le conditionnel), sa possibilitĂ© souhaitĂ©e (la valeur optative du conditionnel), sa possibilitĂ© demandĂ©e (lâimpĂ©ratif)[12].
Morphologie et phonétique/phonologie
Le lien entre morphologie et phonĂ©tique/phonologie se reflĂšte, entre autres, dans lâexistence dâune discipline intermĂ©diaire, la morphophonologie, qui Ă©tudie les facteurs phonĂ©tiques/phonologiques qui affectent les morphĂšmes, les diffĂ©rences phonĂ©tiques/phonologiques entre variantes des morphĂšmes et les modifications phonĂ©tiques dans la zone de contact entre deux morphĂšmes[13]. Des exemples de phĂ©nomĂšnes morphophonologiques sont les alternances vocaliques et consonantiques associĂ©es ou non Ă lâajout de suffixes. Exemples :
- entre variantes dâune voyelle : (fr) rĂ©pĂ©ter ~ rĂ©pĂšte (mi-fermĂ©e ~ mi-ouverte)[14], (hu) vĂz « eau » ~ vizek « eaux » (longue ~ brĂšve)[15] ;
- entre voyelles différentes : (fr) il/elle peut ~ il/elle put[14], (en) sing « chanter », etc. ~ sang « je chantai », etc. ~ sung « chanté, -e, -s, -es » ~ song « chanson »[16] ;
- entre une voyelle et son absence : (sr) borac « combattant » ~ borcu « au combattant »[17], (hu) bokor « buisson » ~ bokrok « buissons »[18] ;
- entre consonnes diffĂ©rentes : (fr) neuf ~ neuve[14], (ro) muscÄ Â« mouche » ~ muÈte « mouches »[19] ;
- entre une consonne et son absence : (fr) il bat ~ ils battent[14] ;
- entre une voyelle et une consonne : (sr) beo « blanc » ~ bela « blanche »[20] ;
- alternance vocalique et consonantique concomitante : (ro) carte « livre » ~ cÄrÈi « livres »[19].
Morphologie et syntaxe
La forme du mot donnĂ©e par certains morphĂšmes grammaticaux quâil contient est lâun des moyens dâexpression des rapports grammaticaux[7]. Dâailleurs, certaines orientations linguistiques modernes ne sĂ©parent pas la morphologie de la syntaxe, mais parlent de morphosyntaxe, qui est en mĂȘme temps la description des rĂšgles de la structure interne des mots et des rĂšgles de la combinaison des mots en syntagmes et en propositions[3]. Le nombre des parties du discours nominales (nom, adjectif, pronom), par exemple, peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une catĂ©gorie morphosyntaxique. Dâun cĂŽtĂ©, lâopposition de nombre tient de la syntaxe, par exemple par les rĂšgles dâaccord entre sujet et verbe ; dâun autre cĂŽtĂ©, la catĂ©gorie du nombre tient de la morphologie par la forme du mot qui lâexprime[21].
Plus une langue est synthĂ©tique, plus le poids de la forme des mots est important. La morphologie essaye de systĂ©matiser les relations entre structure des mots et leurs fonctions dans la proposition[22]. Câest surtout Ă©vident dans le cas des parties du discours nominales qui, avec certaines formes quâelles prennent, expriment certaines fonctions syntaxiques. En français, cela se rĂ©duit Ă lâexpression, dâune part, du sujet, dâautre part, du complĂ©ment dâobjet direct et du complĂ©ment dâobjet indirect dâattribution par des formes diffĂ©rentes des pronoms personnels atones (ex. je, respectivement me)[23], mais dans les langues dites Ă dĂ©clinaison, lâexpression des fonctions syntaxiques est beaucoup plus complexe, se rĂ©alisant surtout par des dĂ©sinences casuelles. Exemples :
- (ro) BÄiatul este aici « Le garçon est là » (cas nominatif â sujet) vs Cartea bÄiatului este aici « Le livre du garçon est là » (cas gĂ©nitif â complĂ©ment du nom exprimant le possesseur)[24] ;
- (hr) Ć eva leti visoko « Lâalouette vole haut » (nominatif â sujet) vs Ć evo, leti visoko! « Alouette, vole haut ! » (vocatif â interpellation, sans fonction syntaxique)[25] ;
- (hu) PĂ©ter AnnĂĄnak adta a pĂ©nzĂ©t « PĂ©ter a donnĂ© son argent Ă Anna » (datif â complĂ©ment dâobjet indirect dâattribution) vs PĂ©ter helyet cserĂ©l AnnĂĄval « PĂ©ter change de place avec Anna » (instrumental â complĂ©ment circonstanciel dâaccompagnement)[26].
Morphologie et lexicologie
Parfois, en changeant la forme dâun mot, on crĂ©e une unitĂ© lexicale nouvelle, par :
- ajout dâun affixe (suffixe, prĂ©fixe) : (fr) auto-stop â auto-stoppeur[27], (en) happy « heureux » â unhappy « malheureux »[28] ;
- changement dâun affixe : (fr) traction â tracter[29], (hu) repĂŒl « il/elle vole » (dans les airs) â repdes « il/elle volĂšte »[30] ;
- suppression dâun affixe : (fr) attaquer â attaque[31], (ro) nucÄ Â« noix » â nuc « noyer »[32] ;
- rĂ©union de deux ou plusieurs mots en un seul : (fr) abat-jour[33], (cnr) Ćeverozapad « nord-ouest »[34].
Vu le rĂ©sultat de ces procĂ©dĂ©s, câest-Ă -dire de la dĂ©rivation lexicale (les trois premiers exemples), et de la composition lexicale (le dernier exemple), certains linguistes les traitent dans le cadre de la morphologie, Ă©tant donnĂ© quâils consistent en des changements de forme[35]. Dâautres linguistes les incluent dans la lexicologie. Câest la tradition dans la linguistique roumaine, par exemple[1]. Il y a aussi des auteurs qui voient dans la formation des mots une branche Ă part de la linguistique[36].
Références
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- Cf. Bussmann 1998 (p. 770), Dubois 2005 (p. 311, Kiefer 2006 (p. 34).
- Cf. Hristea 2003, sans mention de noms dâauteurs.
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