Particule (grammaire)
En linguistique, la particule est un Ă©lĂ©ment de langue invariable traitĂ© de façons diffĂ©rentes dans les grammaires de diverses langues, et mĂȘme par les diverses orientations linguistiques concernant la mĂȘme langue.
Dans lâAntiquitĂ©, on appelait dĂ©jĂ particule tout mot invariable[1]. Ce nâest que dans les annĂ©es 1960 que des linguistes russes et allemands ont commencĂ© Ă Ă©tudier les mots invariables qui ne sont pas des adverbes Ă fonction syntaxique de complĂ©ment ni ne remplissent dâautres rĂŽles syntaxiques, câest-Ă -dire ne sont pas des prĂ©positions ni des conjonctions. Avant ces Ă©tudes, ces mots, comme ils ne sâintĂ©graient pas dans le systĂšme traditionnel des parties du discours, Ă©taient considĂ©rĂ©s comme non recommandĂ©s du point de vue stylistique. Cependant, au fur et Ă mesure que la linguistique sâest orientĂ©e vers une approche pragmatique, ce sont ces mots quâon a Ă©tudiĂ©s en tant que particules[2].
Par ailleurs, on a remarquĂ© quâil y a des langues pauvres en particules et des langues riches en tels mots. Le français se trouve parmi les premiĂšres et lâallemand, par exemple, parmi les derniĂšres[3]. Câest pourquoi, y compris dans les grammaires usuelles de lâallemand et dâautres langues, la particule dans son acception moderne est traitĂ©e comme une partie du discours Ă part, alors que dans celles du français ou du roumain, il nâest pas question de particules dans cette acception.
La particule dans des grammaires oĂč elle nâest pas prise en compte en tant que partie du discours
Dans certaines grammaires traditionnelles du français, par exemple Chevalier 1964, on appelle particules les Ă©lĂ©ments -ci et -lĂ ajoutĂ©s aux pronoms dĂ©monstratifs et aux noms dĂ©terminĂ©s par des adjectifs dĂ©monstratifs, ex. celui-ci, ce garçon-lĂ [4]. Grevisse et Goosse 2007 mentionne que le terme particule est parfois employĂ© pour lâensemble des mots invariables ou, dans un sens plus restreint, pour les mots invariables de peu de volume et dĂ©pourvus dâaccent tonique, ou seulement pour certains Ă©lĂ©ments difficiles Ă analyser dans des mots composĂ©s : -ci, -lĂ , -da dans oui-da, etc.[5].
Dans des grammaires traditionnelles du roumain, on considĂšre la particule comme un segment invariable attachĂ© Ă la fin dâun mot ou dâune forme flĂ©chie[6], ou bien comme un Ă©lĂ©ment de langue invariable de diverses origines, au corps phonĂ©tique rĂ©duit, attachĂ© Ă un mot pour renforcer son sens[7]. En roumain standard il y a deux tels Ă©lĂ©ments :
- la particule -a:
- dans les adjectifs numeraux ordinaux : al doilea « le deuxiÚme » ;
- dans les pronoms démonstratifs et les formes postposés des adjectifs démonstratifs : acesta « celui-ci », copacul acesta « cet arbre-ci » ;
- Ă la forme de gĂ©nitif-datif du pronom interrogatif et relatif care : cÄruia « Ă qui, auquel » ;
- dans les variantes de certains adverbes: aicea (variante de aici « ici »), atuncea (variante de atunci « alors »), acuma (variante de acum « maintenant » ;
- la particule -Èi â dans le pronom dĂ©monstratif dâidentitĂ© : acelaÈi « le mĂȘme ».
DĂ©limitation de la particule en tant que partie du discours
La conception selon laquelle tous les mots invariables, câest-Ă -dire les adverbes, les prĂ©positions, les conjonctions et les interjections, sont des particules, est la plus ancienne et constitue son acception la plus large. Dans le sens le plus restreint, ne sont des particules que les mots Ă fonction modale qui, considĂ©rĂ©s seuls, ne rĂ©pondent Ă aucune question. Entre ces deux conceptions il y a aussi diverses visions intermĂ©diaires[8]. Bussmann 1998, par exemple, mentionne lui aussi le sens large, traditionnel du terme, en y incluant dâautres mots invariables aussi, qui nâappartiennent Ă aucune de ces parties du discours. Dans le sens restreint du terme, il considĂšre comme particules les interjections, les mots nĂ©gatifs, les mots appelĂ©s particules modales, ceux appelĂ©s particules de gradation et les connecteurs[9].
Helbig 1994 mentionne Ă©galement le sens large donnĂ© plus haut Ă la notion de particule. Dans le sens restreint quâil lui donne, les particules sont des mots traditionnellement inclus parmi les parties du discours, mais qui dans certains contextes nâont pas de fonction syntaxique au niveau du syntagme, de la phrase simple, de la proposition ou de la phrase complexe, mais seulement une fonction modale ou/et pragmatique. Ă cĂŽtĂ© des particules modales, il prend en compte dâautres types de particules aussi, qui correspondent Ă ce critĂšre[10].
Crystal 2008 appelle particules les mots qui nâentrent pas dans les autres classes de mots invariables, en donnant comme exemples le mot anglais to identique Ă la prĂ©position to mais utilisĂ© en tant que marque de lâinfinitif, le mot nĂ©gatif not « non, ne »[11], les mots employĂ©s avec les verbes dits phrasaux (come in « entrer », get up « se lever »)[12], ainsi que les connecteurs, quâil appelle aussi particules pragmatiques : you know « tu sais », I mean « je veux dire »[13].
Particule et modalisateur
Certains linguistes incluent dans la classe des particules des mots invariables considĂ©rĂ©s par dâautres comme modalisateurs. Par exemple ÄirgiÄ 2010 le fait mĂȘme en utilisant le terme correspondant modifikator en tant que synonyme du terme « particule modale »[14]. Dâautres nâemploient pas de terme Ă part mais incluent les modalisateurs dans la sous-classe des particules modales[15], dâautres encore incluent les modalisateurs parmi les particules en gĂ©nĂ©ral, sans leur donner une appellation Ă part[16].
IvĂĄn FĂłnagy traite de mots semblables en se rĂ©fĂ©rant au français. Il appelle particules modales des mots qui fonctionnent tantĂŽt comme adverbes, tantĂŽt comme mots Ă fonction non pas syntaxique mais pragmatique, par exemple Je suis bien Ă Paris « Ă Paris je me trouve bien » (adverbe) vs. Je suis bien Ă Paris ? « Je suis effectivement Ă Paris ? » (particule modale)[17]. Il y a aussi des mots qui ont perdu leur sens dâadverbe et ne sont plus que des particules modales : DĂ©cidĂ©ment, je nâai pas de succĂšs avec mon thĂ©![18]. Le mot donc aussi est, dans certains de ses emplois, appelĂ© particule modale par FĂłnagy 2006 (Taisez-vous donc Ă la fin !)[19], et simplement particule par le TLFi : Va donc ![20]
Dans la linguistique hongroise, le modalisateur a Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme une partie du discours Ă part dĂšs la fin des annĂ©es 1960, et incluait ce qui a Ă©tĂ© dĂ©limitĂ© plus tard en tant que particule[21]. Cette derniĂšre est une partie du discours Ă part selon Kugler 2001, par exemple, qui distingue ces deux classes par leur degrĂ© dâautonomie diffĂ©rent. Son argument est que le modalisateur peut non seulement ĂȘtre inclus dans une phrase proprement-dite [(hu) GĂ©za biztosan eltalĂĄlta a cĂ©lt « GĂ©za a sĂ»rement atteint la cible »], mais aussi constituer un mot-phrase qui rĂ©pond Ă une question totale, comme le font oui ou non : â GĂ©za eltalĂĄlta a cĂ©lt? â Biztosan. « â Est-ce que GĂ©za a atteint la cible ? â SĂ»rement. » Par contre, la particule ne peut fonctionner ainsi, mais seulement incluse dans une phrase (voir des exemples plus bas)[22].
Dâautres auteurs aussi distinguent les particules des mots que dâautres appellent modalisateurs, en considĂ©rant que ces derniers sont des adverbes Ă part fonctionnant dans le cadre de la phrase sans dĂ©terminer un seul de ses Ă©lĂ©ment, mais en modifiant le sens de toute la phrase[23] - [24] - [25].
Catégories de particules
La question de la classification des particules en tant que partie du discours à part, éventuellement en incluant les modalisateurs, est tout aussi complexe que leur délimitation, ce qui se reflÚte dans les propositions diverses des linguistes.
Dans des grammaires de lâallemand
Dans des grammaires de cette langue on trouve en tant que sous-classes :
- des particules modales ou de nuance : Der ist vielleicht ein Spinner! « Celui-lĂ est peut-ĂȘtre un fou ! »[26] ;
- des particules de gradation ou dâintensitĂ© : Sie hat sehr gut gespielt « Elle a trĂšs bien jouĂ© »[27] ;
- des particules comparatives : Er ist gröĂer als/als wie/wie/wan ich « Il est plus grand que moi »[28] ;
- des particules de focalisation : Ich habe nur zwei Bonbons gegessen « Je nâai mangĂ© que deux bonbons »[29] ;
- des particules de réponse : Eben! « Exact ! »[30] ;
- des particules negatives : Ich habe ihn nicht gesehen « Je ne lâai pas vu »[31] ;
- la particule dâinfinitif : Sie begannen schön zu tanzen und singen « Ils ont commencĂ© Ă bien danser et chanter »[32].
Dans des grammaires BCMS[33]
Dans ces grammaires, certaines catĂ©gories de particules sont prises en compte par plusieurs auteurs mais il y a en aussi qui ne le sont que par lâun ou par lâautre. CatĂ©gories de particules :
- modales (Moldovan 1996 et ÄirgiÄ 2010 les nomment ainsi, le dernier les appelant Ă©galement modifikatori, BariÄ 1997 et Klajn 2005 les dĂ©crivent seulement et en donnent des exemples) : On to, naravno, nije ni mogao znati « Naturellement, il ne pouvait mĂȘme pas le savoir »[16] ;
- interrogatives (Moldovan, BariÄ, Klajn, ÄirgiÄ) : DolaziĆĄ li sutra? « Tu viendras demain ? »[15] ;
- affirmatives (Moldovan, BariÄ, Klajn, ÄirgiÄ) : â HoÄe li i oni Ćutra doÄi? â Da(, doÄi Äe)! « â Viendront-ils eux aussi demain ? â Oui(, ils viendront) ! »[34] ;
- nĂ©gatives (Moldovan, BariÄ, Klajn, ÄirgiÄ) : Hvala, ne « Non, merci » (particule disjointe), Ne puĆĄim « Je ne fume pas » (particule conjointe)[35] ;
- de renforcement (Moldovan, BariÄ, Klajn, ÄirgiÄ) : Putovao je Äak u Kinu « Il a voyagĂ© mĂȘme en Chine »[16] ;
- impĂ©ratives (Moldovan, Klajn, ÄirgiÄ) : Oni neka doÄu! « Quâils viennent, eux ! »[36] ;
- prĂ©sentatives (Moldovan, Klajn, ÄirgiÄ) : Eno starica pred vratima « VoilĂ la vieille femme devant la porte »[15] ;
- exprimant une possibilitĂ© de choix illimitĂ©e, lâindiffĂ©rence ou une concession (BariÄ, Klajn, ÄirgiÄ) : ma gde « nâimporte oĂč », kako god « nâimporte comment », bilo kakav « quel quâil soit », makar koji « nâimporte quel »[37] ; Ć to se god dogodi, vas se to ne tiÄe « Quoi quâil arrive, vous, ça ne vous concerne pas »[16] ;
- limitatives (Moldovan, ÄirgiÄ) : Samo ti moĆŸeĆĄ da mi pomogneĆĄ « Toi seul peux mâaider »[38] ;
- exclamatives (Moldovan, Klajn) : Ala smo se lepo proveli! « Comme nous nous sommes bien amusés ! »[38] ;
- volitives (Moldovan, Klajn) :
- en faveur du locuteur : Samo da mi se on vrati! « Pourvu quâil revienne Ă moi ! »[15] ;
- en faveur du destinataire (vĆu) : Neka vam nova godina bila sreÄnija « Puisse la nouvelle annĂ©e ĂȘtre plus heureuse pour vous »[37] ;
- de gradation : mnogo veÄi « beaucoup plus grand », malo gluv « un peu sourd », dosta dobro « assez bien », gotovo svi « presque tous »[36].
BariÄ 1997 et Klajn 2005 incluent parmi les particules les mots dits de remplissage, qui ne servent au locuteur quâĂ gagner du temps, ou qui sont des tics de langage, par exemple : Bio sam tamo pa, ovaj, nisam vidio niĆĄta « Jây suis allĂ© et, euh, je nâai rien vu »[16].
ÄirgiÄ 2010 traite comme une partie du discours Ă part les connecteurs, que Klajn 2005 inclut parmi les particules : Lekovi treba uzimati uz jelo. Naime, lekari kaĆŸu⊠« Il faut prendre les mĂ©dicaments lors des repas. PrĂ©cisĂ©ment, les mĂ©decins disent⊠» (connecteur entre phrases indĂ©pendantes), Zbilja, ĆĄta je bilo s tvojom diplomom? « Ă propos, quid de ton diplĂŽme ? » (mot de changement de sujet de conversation)[39].
ÄirgiÄ 2010 inclut des syntagmes aussi parmi les particules : bez sumnje « sans aucun doute », na svu sreÄu « trĂšs heureusement »[14]. BariÄ 1997 traite pareillement des syntagmes et des phrases : Vi to, na sreÄu, niste osjetili, ali ja, kaĆŸem vam, i te kako jesam « Vous, heureusement, vous nâavez pas senti ça, mais moi, je vous le dis, je lâai senti, et comment »[16]. Selon Moldovan et Radan 1996, une phrase non analysable aussi compte pour une particule si elle rĂ©pond affirmativement Ă une question nĂ©gative : â Zar ti ne dolaziĆĄ na utakmicu? â Kako da ne! Dolazim! « â Tu ne viens pas au match ? â Mais comment donc ! Je viens ! »[38].
Dans des grammaires du hongrois
Dans la littérature de spécialité se rapportant au hongrois, on trouve également plusieurs espÚces de particules. Kugler 1998, par exemple, en établit deux catégories principales, chacune avec plusieurs sous-catégories[40] :
- particules modales-pragmatiques :
- indicatrices des valeurs modales de base :
- â interrogatives : Akkor holnap talĂĄlkozunk, ugye? « Alors on se voit demain, nâest-ce pas ? » ;
- â volitives : BĂĄrcsak talĂĄlkoznĂ©k MĂĄriĂĄval! « Pourvu que je rencontre MĂĄria ! » ;
- â demandant la permission : Hadd repĂŒljön el! « Laisse-le/la sâenvoler ! »[41] ;
- de nuance :
- â de renforcement : Hallottam ĂĄm a dologrĂłl « Jâai bien entendu parler de ça, moi » ;
- â dâattĂ©nuation : Neki ugyan mondhatod! « Tu peux toujours le lui dire ! » (sous-entendu «⊠câest en vain ») ;
- â de limitation : ĂppensĂ©ggel ez is elkĂ©pzelhetĆ Â« Ăa aussi est Ă©ventuellement imaginable » ;
- â affectives : Gyere mĂĄr! « Viens une bonne fois ! » ;
- particules prépositionnelles :
- dâapproximation : Mindössze kĂ©t kilomĂ©tert kell gyalogolnunk « Il faut marcher pas plus de deux kilomĂštres » ;
- de gradation : ElĂ©g izgalmas « Câest assez excitant » ;
- de mise en relief dâune partie de la phrase : Az ĂŒzletben csak a könyvet nĂ©ztem meg « Dans le magasin, je nâai regardĂ© que le livre » vs. Az ĂŒzletben a könyvet csak megnĂ©ztem « Dans le magasin, jâai juste regardĂ© le livre » (sous-entendu «⊠je ne lâai pas achetĂ© »).
Notes et références
- PĂ©teri 2001, p. 94.
- Möllering 2001, p. 130.
- Weydt 1969, cité par Péteri 2001, p. 94.
- Chevalier 1964, p. 241.
- Grevisse et Goosse 2007, p. 149.
- Avram 2001, p. 504.
- Constantinescu-Dobridor 1998, article particulÄ.
- Kugler 1998, p. 214.
- Bussmann 1998, p. 867.
- Helbig 1994, p. 31, cité par Möllering 2001, p. 131.
- Crystal 2008, p. 352.
- Crystal 2008, p. 367.
- Crystal 2008, p. 379.
- ÄirgiÄ 2010, p. 229.
- Moldovan 1996, p. 130.
- BariÄ 1997, p. 282.
- FĂłnagy 2006, p. 182.
- Affirmation de FĂłnagy 2006, p. 182, exemple tirĂ© de Marcel Proust, Ă lâombre des jeunes filles en fleurs 1918, p. 507, par TLFi, article dĂ©cidĂ©ment, C.
- FĂłnagy 2006, p. 183.
- TLFi, article donc, III.
- Cf. Balogh 1971, p. 180-181, ou Nagy 1980, p. 87.
- Kugler 2001, p. 234.
- Bussmann 1998, p. 1060, article sentence adverbial.
- Crystal 2008, p. 14, article adverb, oĂč il est aussi question de la fonction de sentence modifier « modificateur de phrase » ou de sentence connector « connecteur de phrase » de certains adverbes.
- Klajn 2005 mentionne lui aussi lâ« adverbe de phrase » dans son chapitre sur lâadverbe (p. 153).
- canoonet, page Die Abtönungspartikeln / Modalpartikeln « Les particules de nuance / modales ».
- canoonet, page Die Gradpartikeln / IntensitĂ€tspartikeln « Les particules de gradation / dâintensitĂ© ».
- Atlas zur deutschen Alltagssprache [« Atlas de lâallemand courant »], page Vergleichspartikel « Particule comparative ».
- canoonet, Die Fokuspartikeln « Les particules de focalisation ».
- Möllering 2001, p. 138.
- canoonet, page Die Negationswörter « Les mots de négation ».
- Ăhl 2009, p. 1.
- Bosnien, croate, monténégrin et serbe.
- ÄirgiÄ 2010, p. 228.
- Klajn 2005, p. 169.
- ÄirgiÄ 2010, p. 227.
- Klajn 2005, p. 170.
- Moldovan 1996, p. 131.
- Klajn 2005, p. 171.
- Kugler 1998, p. 216-217.
- WikiSzĂłtĂĄr, article hadd.
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