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Tic de langage

En linguistique, tic de langage se dit de certaines habitudes de langage machinales ou inconscientes, parfois voulues et plus ou moins ridicules, que l'on a contractées généralement sans s'en apercevoir. Cette manière de s'exprimer peut relever de la manie ou du procédé.

Le tic de langage reflète aussi les tendances des individus à orienter leur discours, notamment dans les médias, en politique et plus généralement dans la communication.

Description et exemples

Fonction

Les professionnels de la communication appellent généralement ces tics des « mots béquilles »[1] ou « mots tuteurs ». Ils semblent avoir plusieurs fonctions :

  • permettre la respiration du locuteur (il peut ainsi rĂ©flĂ©chir, se dĂ©tacher de son propre discours tout en le maintenant), par exemple en rĂ©pĂ©tant la question d'un interlocuteur pour avoir le temps de penser Ă  la rĂ©ponse, ou bien en utilisant le mot « euh »[2] ;
  • Ă©viter de se mettre en avant, en utilisant des phrases sans contenus ou gĂ©nĂ©riques (ex : « c'est clair »[2], « j'avoue »[3], « grave »[2] - [4], « c'est pas faux »[5], « carrĂ©ment »[5]) ;
  • montrer l'appartenance Ă  un groupe sociologique ou gĂ©nĂ©rationnel rĂ©fĂ©rant[1] (ex : « branchĂ© », « nonobstant » ; « ça gère »[1] ; « complexe »[6]) ;
  • se conformer Ă  des modes langagières (ex : « gĂ©rer », « absolument », « tout Ă  fait »[7], « incontournable », « genre Â»).

Exemples

  • les « euh » employĂ©s Ă  profusion[2] (onomatopĂ©e) ;
  • ponctuer Ă  tout bout de champ ses phrases d'un « bref » en guise de liaison[8] ou d'un « voilĂ  » en guise de conclusion[2] - [9] ;
  • l'utilisation de mots anglophones Ă  la place de termes francophones existants (dressing Ă  la place de « penderie » ou « garde-robe », shopping Ă  la place de « faire les magasins », best-of Ă  la place d'« anthologie », flop Ă  la place de « fiasco », spoiler Ă  la place de « divulgâcher », etc.)[10] ;
  • les expressions toutes faites, vides de sens (« point barre »[2], « tu vois ce que veux dire ? »[2] - [11], « c’est que du bonheur ! »[2], « j’ai envie de dire »[2], « c’est abusĂ© »[2], « du coup »[2], « trop pas »[2], « pas de souci »[12], « genre Â») ;
  • dire « au jour d’aujourd’hui »[3] (tautologie, plĂ©onasme) ;
  • dire « au final Â» Ă  la place de « finalement Â», « pour finir Â», « en dernier lieu Â», « en dernière analyse Â», « en fin de compte Â», « au bout du compte Â» ou « en dĂ©finitive Â» (mauvaise traduction du latin in fine ou de l'anglais in the end, construction par l’imitation de « au total »)[13] ;
  • dire « faire sens Â» Ă  la place de « avoir du sens Â» (anglicisme fautif de « to make sense Â»)[14] ;
    • de mĂŞme, dire « poser problème Â» Ă  la place de « poser un problème Â» (oubli du dĂ©terminant) et « poser question Â» Ă  la place de « amener Ă  nous interroger Â»[15] - [16] ;
  • dire on est sur (« aujourd'hui, on sera sur un suprĂŞme de volaille »[5] ; « on est sur Paris » Ă  la place de « on est Ă  Paris »[17]) et, de façon gĂ©nĂ©rale, dire « on Â» Ă  la place de « nous Â» ou « vous Â»[18] ;
  • dire, dans le langage familier, « c'est des Â» Ă  la place de « ce sont des Â» (variante : « c'est les » Ă  la place de « ce sont les Â») ;
  • dire « bon courage ! » Ă  la place de « bonne journĂ©e ! »[5] - [19] ;
  • le fait de rĂ©pĂ©ter deux (ou plusieurs) fois ses mots ou ses phrases[20].

Journalisme et médias audiovisuels

Dans le monde du journalisme et des médias, l'utilisation de la novlangue comme tic de langage « réducteur » est récurrente.

« [les réducteurs] se présentent comme des formules à tout dire. Leur but est clair : réduire la diversité de l’information. Au lieu d’avoir à choisir entre sept verbes (adapter, changer, corriger, modifier, reconsidérer, rénover, revoir), vous aurez recours à revisiter (de l’anglais to revisit : retourner voir)[21]. »

Quelques exemples :

  • l'utilisation du franglais pour remplacer des expressions pourtant bien prĂ©sentes en français : prime time Ă  la place de « heure de grande Ă©coute Â», scoop Ă  la place d'« exclusivitĂ© Â»[22] ; « start-up, challenge, buzz, sponsoring » ;
  • les erreurs de sens avec les termes « dĂ©diĂ© Â», « initiĂ© Â», « opportunitĂ© Â» et « en charge de Â»[23] ;
  • l'utilisation Ă  tout bout de champ du terme « acter », qui est « utilisĂ© Ă  tort aujourd’hui, par emphase, dans divers sens Ă  la place du verbe juste »[24] ;
  • l'utilisation du mot « on » Ă  la place de « je/nous » ou « vous », pour instiller une proximitĂ© ou un « besoin d’appartenance » avec l'auditeur/tĂ©lĂ©spectateur[18]. Aussi l'utilisation du « votre » (« bienvenue dans votre » Ă©mission/journal, etc.).

Politique

Dans le monde de la politique française et de la haute fonction publique, les tics de langage sont nombreux, souvent liés à la communication politique[25], notamment avec l'utilisation du « langage des énarques »[26] - [27], la langue de bois[28] ou les éléments de langage[29]. Ceci reflète les tendances des individus à orienter leur discours pour influencer une certaine cible (électeur, usager, citoyen, etc.).

« Aujourd'hui, les mots qui heurtent par trop de réalisme doivent être adoucis. On ne parlera plus de mort mais de non-vie, d'aveugle mais de non-voyant. La non-volonté du gouvernement marque mieux en douceur un refus. Mal-comprenant passe mieux que con[21]. »

Personnalités

Communication et marketing

Comme pour la politique, dans la communication médiatisée et le marketing, l'utilisation de tics de langage et d'éléments de langage reflète les tendances des individus à orienter leur discours pour influencer une certaine cible (usager, client ou « cible » marketing, action de lobbying, etc.).

Exemples :

Notes et références

  1. « Les tics de langage, ces petits mots-moteurs », émission « Modes de vies », sur le site franceinfo.fr, 10 octobre 2011.
  2. « Euh ! Et si vous éliminiez vos tics de langage, «au jour d’aujourd’hui» ! », Céline Deval, Cadre et Dirigeant magazine.com, 19 octobre 2015 (consulté le 8 février 2016).
  3. « "Au jour d'aujourd'hui", tic de langage le plus affreux ! », Quentin Périnel, Le Figaro.fr, 21 octobre 2015.
  4. « "Grave", un tic de langage Ă  bannir Â», Alice Develey, Le Figaro.fr, 8 juin 2018.
  5. « "Bon courage !" et autres tics de langage dans l'air du temps », Daniel Bernard, Elodie Emery et Anne Rosencher, Marianne.fr, 30 décembre 2015 (consulté le 8 février 2016).
  6. « AgilitĂ© : passer de "c’est compliquĂ©" Ă  "c’est complexe" Â», VĂ©ronique Teurlay, Medium Corporation, 18 mai 2016.
  7. « Tout à fait » : ne faites plus la faute !, Alice Develey, Le Figaro, 5 août 2017
  8. « "Bref", un tic de langage Ă  faire disparaĂ®tre Â», Alice Develey, Le Figaro.fr, 26 juin 2018.
  9. « Les expressions Ă  bannir au bureau : "VoilĂ , voilĂ ... VoilĂ  ! Et voilĂ  !" Â», Quentin PĂ©rinel, Le Figaro.fr, 6 fĂ©vrier 2017.
  10. « Dix mots quĂ©bĂ©cois que nous ferions bien d’emprunter Â», Claire Conruyt, Le Figaro.fr, 19 juin 2019.
  11. « Ces tics de langage qui nuisent à vos entretiens d'embauche », Guirec Gombert, RégionJob.com, 27 mars 2014 (consulté le 8 février 2016).
  12. « Les expressions Ă  bannir au bureau : "pas de souci !" Â», Quentin PĂ©rinel, Le Figaro.fr, 10 octobre 2016.
  13. « Pour en finir avec l'expression "au final" Â», Didier Pourquery, Le Monde.fr, 7 fĂ©vrier 2014.
  14. « Les anglicismes - Anglicismes phrasĂ©ologiques - Faire du sens Â», Office quĂ©bĂ©cois de la langue française, bdl.oqlf.gouv.qc.ca (juillet 2017).
  15. « Poser problème et poser question Â», sur le site de l'AcadĂ©mie française, academie-francaise.fr, 7 septembre 2015.
  16. « Pourquoi "poser question" pose des problèmes ? Â», Alice Develey, Le Figaro.fr, 7 avril 2017.
  17. « À tous ceux qui disent "sur Paris" », Jean-Marc Proust, Slate.fr, 2 août 2017.
  18. « Communication : le "on" qui a mal à son "je"/"nous" », Sylvaine Pascual, Ithaque Coaching.com (consulté le 8 février 2016).
  19. « Les expressions à bannir au bureau : "Bon courage !" », Quentin Périnel, Le Figaro.fr, 17 octobre 2016.
  20. « Christian Jeanpierre : "Le 13 novembre, j’ai commenté du foot pendant que l'on assassinait à Paris" », Philippe Vandel, émission Tout et son contraire, France Info.fr, 5 janvier 2016.
  21. Patrick Rambaud et Michel-Antoine Burnier, Le Journalisme sans peine, Ă©ditions Plon, 1997, 175 p. (ISBN 2259185495).
  22. « Franglais et anglicismes : quand le français se met à parler anglais », Micha Cziffra, Slate .fr, 18 mars 2013.
  23. « Ces anglicismes qui s’insinuent discrètement dans notre langue », Muriel Gilbert, RTL.fr, 18 novembre 2017.
  24. « Dire, ne pas dire - acter », Académie française.fr, 8 novembre 2012.
  25. « Les nouveaux poli-tics de langage », Titiou Lecoq, Slate.fr, 14 avril 2010.
  26. Andrée Girolami-Boulinier, « L'énarque et le langage courant », dans Communication et langages, année 1977, Volume 36, no 1, pp. 5-30 (lire en ligne) sur le site Persée.fr (consulté le 8 février 2016).
  27. Frédéric Mathieu, Jamais sans ma Novlangue ! : Le décodeur de poche, autoédition, 2014, 482 p. (ISBN 9791092895117) (lire en ligne sur Google Books) (consulté le 21 mars 2016).
  28. « La Ferme des énarques : les illusions perdues d'une ancienne élève », Eléonore de Vulpillières, Le Figaro.fr, 2 septembre 2015.
  29. « Les petites phrases, des éléments de langage ? », Ambroise Bouleis, sur le site journalisme.sciences-po.fr (consulté le 8 février 2016).
  30. « Nicolas Sarkozy parle aussi mal que Georges Marchais », Nicolas Cori, Libération.fr, 6 janvier 2011.
  31. « Quand Nicolas Sarkozy malmène le français », Juliette Cua, L'Express.fr, 15 juin 2009.
  32. « Le "parler mal" de Sarkozy, stratégie ou inculture ? », Chloé Leprince et Sylvain Malcorps, Rue89.fr, 8 janvier 2011.
  33. « Les mots de Nicolas Sarkozy , un langage de rupture », Thierry Cabarrus, suite101.fr, 8 juillet 2013.
  34. « Sarkozy à l'aise au "Petit Journal" », Le Parisien.fr, 17 mars 2012.
  35. « Quand Emmanuel Macron, le roi des anglicismes, promeut la francophonie », Nabil Touati, Huffington Post.fr, 2 octobre 2017.
  36. « Macron abuse du franglais ? Même Philippe semble le penser », Nabil Touati, Huffington Post.fr, 11 juillet 2018.
  37. Vincent Mongaillard, « Tics de langage : En même temps, le péché mignon de Macron », sur Le Parisien.fr, .
  38. « Parlez-vous la com’? Pour vous notre "Lexicom" », Touchepasamacom.fr (consulté le 18 mai 2016).
  39. « Ces expressions insupportables du jargon de bureau », Adèle Bréau, Terrafemina.com, 28 avril 2013 (consulté le 8 février 2016).
  40. « Ça m’énerve "Je reviens vers vous" », Emmanuèle Peyret, Libération.fr, 16 juillet 2014.
  41. « "Juicing", "fooding"... Cette mode ridicule des mots en "-ing" », Le Figaro.fr, 29 mai 2019.
  42. « Pesticides Les produits phytosanitaires ? Â», Le Figaro.fr (consultĂ© le 15 mai 2016).
  43. « Quand la "vidĂ©oprotection" remplace la "vidĂ©osurveillance" Â», Le Monde.fr, 16. fĂ©vrier 2010.

Voir aussi

Bibliographie

  • Élodie Mielczareck, La stratĂ©gie du camĂ©lĂ©on - S'adapter Ă  tous les profils grâce Ă  la communication non verbale, Le Cherche-Midi, 2019, 224 p. (ISBN 2749161487) (EAN 978-2749161488)
Dans ce livre, la sémiologue Élodie Mielczareck décortique les tics de langage qui envahissent les conversations. Selon elle, « un tic de langage est une expression qui revient de manière récurrente dans le discours d’une personne. Autrement dit, la locution ou le mot utilisé ne prévaut plus pour sa capacité à transmettre du sens ou un contenu, mais est utilisée pour sa capacité à ponctuer l’échange »[RB 1].

Articles connexes

Liens externes

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