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Jargon

En sociolinguistique, le terme jargon, empruntĂ© au français par les linguistiques de diverses langues, dĂ©signe une variĂ©tĂ© de langue et un sociolecte[1]. Il n’y a pas d’unanimitĂ© chez les linguistes pour le dĂ©finir et le caractĂ©riser. Le seul trait commun est qu’un jargon est employĂ© par une catĂ©gorie de locuteurs et qu'il n’est pas compris par les autres.

Ce trait caractĂ©rise Ă©galement ce qu’on appelle « l'argot » en français et le slang en anglais. C’est pourquoi certains considĂšrent les termes « jargon », « argot » et slang comme des synonymes[2].

Interprétations du terme « jargon »

Le mot « jargon » dĂ©signait Ă  l’origine, au Moyen Âge, en France, un langage secret des malfaiteurs, et c’est leur milieu qui s’appelait « argot », on parlait donc du « jargon de l’argot »[3]. À partir de la fin du XVIIe siĂšcle, le terme « jargon » est peu Ă  peu remplacĂ© par « argot » avec le mĂȘme sens[4].

Dans la linguistique française il y a des acceptions diffĂ©rentes du terme. Selon certains auteurs, par exemple Grevisse et Goosse 2007, on l’utilise dans la langue commune avec un sens pĂ©joratif, pour un langage jugĂ© incomprĂ©hensible. Ainsi, on parle de « jargon des philosophes », « jargon des thĂ©ologiens »[5], etc. Dans d’autres ouvrages, par exemple Turpin 2002, c’est un terme de linguistique pour nommer les langages oraux des professions, mĂ©tiers et occupations. Tel serait, par exemple, le langage des mineurs ou celui des mĂ©decins[6]. Par contre, Grevisse et Goosse 2007 se rĂ©fĂšre aux langages des gens de certains mĂ©tiers comme Ă  des argots. Dans Dubois 2002, on trouve pour ceux-ci le terme « argot » dans un article[7] et « jargon » dans un autre. Pour le mĂȘme auteur, « jargon » a aussi le sens donnĂ© par Grevisse et Goosse 2007, ex. « jargon d’un mauvais Ă©lĂšve », « jargon franglais », ou de langage d’un groupe utilisĂ© pour se distinguer du commun, ex. « jargon des prĂ©cieuses »[1].

Dans la linguistique roumaine, on trouve pour « jargon » le sens de langage spĂ©cifique pour des catĂ©gories sociales aisĂ©es et de certaines professions (mĂ©decins, avocats, etc.), utilisĂ© par d’autres catĂ©gories sociales aussi pour se distinguer de la masse des autres locuteurs[8]. On trouve aussi ce terme Ă©tendu Ă  tout langage technique ayant une terminologie de spĂ©cialitĂ©, scientifique ou autre[9].

Dans la linguistique hongroise, « jargon » apparaĂźt avec les sens de la linguistique roumaine, plus ce qu’on appelle « langue de bois » des politiciens. En tant que langage limitĂ© Ă  une catĂ©gorie d’initiĂ©s, le jargon est en mĂȘme temps considĂ©rĂ© comme une variĂ©tĂ© plus large, incluant ainsi l’argot et le slang comme des types de jargons[10] - [11] - [12] - [13].

Dans la linguistique russe, on rencontre le terme « jargon » avec des sens ci-dessus (ex. « jargon de la noblesse du XIXe siĂšcle », « jargon des programmeurs »), ainsi que pour dĂ©nommer le langage des passe-temps (ex. « jargon des philatĂ©listes »), mais aussi pour des langages caractĂ©risĂ©s dans d’autres linguistiques comme des argots ou des slangs, ex. « jargon de la jeunesse », « jargon des militaires »[14].

Dans la linguistique de langue anglaise, on trouve le terme jargon avec le sens de langage de spĂ©cialitĂ© inaccessible aux non spĂ©cialistes, utilisĂ© dans les technologies et les sciences[15]. On parle de jargon des linguistes, de l’informatique, de la publicitĂ©, des fermiers, etc.[16]

Exemples de jargons

Certains jargons Ă©taient ceux de catĂ©gories de l’élite, par exemple le langage des « prĂ©cieuses », aristocrates françaises du XVIIe siĂšcle. C’était l’époque oĂč on Ă©tablissait les normes de la langue littĂ©raire française classique, qui prescrivaient, entre autres, la « noblesse du style », entendue aussi comme utilisation d’un vocabulaire « noble », diffĂ©rent de celui de la langue des catĂ©gories sociales situĂ©es sous le niveau de la noblesse. Les prĂ©cieuses crĂ©aient des nĂ©ologismes et des pĂ©riphrases pour remplacer certains mots communs, telles les Ă©cluses du cerveau « nez », les coussinets d’amour « seins », le conseiller des grĂąces « miroir », l’affronteur des temps « chapeau », qui ne sont pas sorties de leur cercle. NĂ©anmoins, c’est du jargon des prĂ©cieuses que proviennent des mots du français courant actuel comme fĂ©liciter, s’enthousiasmer, bravoure, anonyme, incontestable, pommade[17].

Dans d’autres langues, le jargon de certaines catĂ©gories de l’élite se caractĂ©risait par l’utilisation de mots Ă©trangers non intĂ©grĂ©s Ă  la langue. En roumain, par exemple, Ă  l’époque des princes rĂ©gnants phanariotes (XVIIIe siĂšcle, dĂ©but du XIXe siĂšcle), c’étaient des mots grecs, plus tard, comme un corollaire de l’ouverture vers l’Occident – des mots français plus ou moins dĂ©formĂ©s, ex. demoiselle, bonjour, bonsoir, charmant, toujours, merci[8]. Parmi ceux-ci, le registre de langue familier a gardĂ© mersi « merci ».

En hongrois aussi il y avait un jargon des catĂ©gories de l’élite et de la petite bourgeoisie qui cherchait Ă  les imiter, caractĂ©risĂ© Ă©galement par des mots Ă©trangers, allemands et français, ex. snĂĄjdig « beau, Ă©lĂ©gant » (cf. (de) schneidig), hercig « jolie » (cf. (de) herzig)[11], gĂĄlĂĄns (cf. (fr) galant), rĂșzs (cf. (fr) « rouge (Ă  lĂšvres »). Ce dernier mot est toujours actuel dans le registre courant[13].

Le jargon de la noblesse russe du XIXe siĂšcle se caractĂ©risait Ă©galement par l’emploi frĂ©quent de mots français[14].

Les spĂ©cialistes d’un domaine ou d’un autre ont eux aussi leur jargon, qu’ils emploient normalement en communiquant entre eux, et que les profanes ne comprennent pas. Il arrive qu’ils parlent de leur domaine Ă  des non-initiĂ©s aussi et que ceux-ci ne les comprennent pas, non parce que telle est l’intention du locuteur, mais parce que celui-ci ne sait pas adapter son discours Ă  ses destinataires. Il peut aussi s’agir d’un jargon de spĂ©cialitĂ© utilisĂ© avec l’intention qu’il ne soit pas compris ou pour masquer la rĂ©alitĂ©. C’est parfois le cas du langage des politiciens[12], appelĂ© « langue de bois »[18], ou du langage de la propagande[19].

Si les autres jargons ne diffĂšrent de la langue commune que par leur vocabulaire, les langages scientifiques et techniques, qui ont aussi un aspect Ă©crit, se caractĂ©risent, du moins en principe, par d’autres traits aussi, y compris grammaticaux et discursifs, tels la prĂ©cision de l’expression, l’évitement de la synonymie, le style nominal (emploi frĂ©quent de noms dĂ©rivĂ©s de verbes plutĂŽt que de verbes), l’utilisation frĂ©quente de constructions impersonnelles, la cohĂ©rence et la cohĂ©sion du discours oral et Ă©crit, etc.[15] - [20].

Les jargons des locuteurs unis par certains passe-temps (pĂȘcheurs, chasseurs, etc.) diffĂšrent de ceux scientifiques et techniques par l’absence des traits ci-dessus et par le plaisir d’employer des expressions spĂ©cifiques, ainsi que par la fonction d’affirmation de l’appartenance au groupe en cause[20].

Certains jargons de spĂ©cialitĂ© se caractĂ©risent par le mĂ©lange, dans la parole, de la terminologie utilisĂ©e dans des ouvrages de spĂ©cialitĂ© avec des mots employĂ©s seulement dans la parole. Par exemple, un informaticien français Ă©crit ordinateur dans un ouvrage de spĂ©cialitĂ©, mais en parlant avec un collĂšgue, il dit bĂ©cane, babasse ou chiotte[21]. De mĂȘme, un spĂ©cialiste hongrois en construction Ă©crit betonadalĂ©k « granulat pour bĂ©ton », mais en parlant sur un chantier, il dit sĂłder « gravier mĂ©langĂ© de sable »[12].

Les jargons sont principalement des variĂ©tĂ©s orales, sauf les langages scientifiques et techniques, qui sont Ă©crits aussi, mais depuis qu’il y a internet, il existe Ă©galement des jargons seulement Ă©crits, comme le jargon du clavardage, de certains forums de discussion ou de WikipĂ©dia[22].

Les jargons se distinguent de la langue commune par leurs vocabulaires spĂ©cifiques, mais leurs systĂšmes phonologique et grammatical ne diffĂšrent pas essentiellement de ceux de la langue en gĂ©nĂ©ral. Si l’on considĂšre comme des jargons tous les langages mentionnĂ©es ici, tels jargons diffĂšrent de tels autres par les registres de langue dont ils sont proches. Ainsi, par exemple, l’aspect Ă©crit des langages de spĂ©cialitĂ© a le systĂšme grammatical et discursif des registres courant ou soutenu, avec certaines spĂ©cificitĂ©s[15] - [11], et les langages oraux des professions, mĂ©tiers, occupations et passe-temps sont proches des registres populaire ou familier, comme les argots, par leur systĂšme grammatical et leurs procĂ©dĂ©s de formation des mots[6].

Notes et références

  1. Dubois 2002, p. 435.
  2. Cf. Tender 1997, p. 100.
  3. Cf. Ollivier Chereau, Le Jargon ou Langage de l’Argot reformĂ©, Troyes, chez Nicolas Oudot, 1629, citĂ© par SzabĂł 1997, p. 160.
  4. SzabĂł 1997, p. 160.
  5. Grevisse et Goosse 2007, p. 25.
  6. Turpin 2002.
  7. Dubois 2002, p. 49.
  8. Constantinescu-Dobridor 1998, article jargon.
  9. Bidu-Vrănceanu 1997, p. 266.
  10. KĂĄlmĂĄn et TrĂłn 2007, p. 38.
  11. Zsemlyei 2009, p. 9-10.
  12. A. JĂĄszĂł 2007, p. 56-57.
  13. Bokor 2007, p. 188-190.
  14. Iartseva 1990, article Đ–Đ°Ń€ĐłĐŸÌĐœ « jargon ».
  15. Bussmann 1998, p. 607.
  16. Eifring et Theil 2005, chap. 7, p. 12.
  17. Leclerc 2019, 6. Le français au Grand SiÚcle.
  18. Krieg-Planque 2019.
  19. L’écrivain et philologue allemand Viktor Klemperer a dĂ©crit ce genre de langage en Allemagne nazie, dans son livre LTI – Lingua Tertii Imperii: Notizbuch eines Philologen (Langue du TroisiĂšme Reich : carnet d’un philologue), Berlin, Aufbau, 1947. En s’inspirant du titre de ce livre, Éric Hazan a Ă©crit LQR : la propagande du quotidien, Raisons d’agir, 2006 (LQR comme lingua quintae reipublicae « langue de la CinquiĂšme RĂ©publique »).
  20. SzabĂł 1997, p. 170.
  21. Le Jargon Français, article bécane.
  22. Voir Aide:Jargon de Wikipédia.

Bibliographie

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