Serbo-croate
Le serbo-croate est une langue slave du groupe des langues slaves mĂ©ridionales parlĂ©e dans lâancienne Yougoslavie Ă la fois par les Serbes, les Croates, les Bosniaques et les MontĂ©nĂ©grins. « Serbo-croate » Ă©tait sa dĂ©nomination officielle dans l'ancienne Yougoslavie. Dâautres dĂ©nominations officiellement acceptĂ©es pour cette langue Ă©taient « croato-serbe », « serbe et croate », « croate et serbe », « serbe ou croate » et « croate ou serbe »[1].
Serbo-croate Bosniaque-croate-montĂ©nĂ©grin-serbe Srpskohrvatski jezik ĐĄŃĐżŃĐșĐŸŃ ŃĐČĐ°ŃŃĐșĐž ŃДзОĐș | |
Pays | Serbie 8 millions de locuteurs, Bosnie-Herzégovine 4,6 millions de locuteurs, Croatie 4,5 millions de locuteurs, Monténégro 0,6 million de locuteurs. |
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Nombre de locuteurs | 21 000 000 |
Typologie | SVO + ordre libre, flexionnelle, accusative, accentuelle, Ă accent de hauteur |
Classification par famille | |
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Codes de langue | |
IETF | sh
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ISO 639-1 | sh (dĂ©prĂ©ciĂ© sauf encore pour lâusage bibliographiqueâŻ; prĂ©fĂ©rer bs , hr ou sr pour lâusage terminologique)
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ISO 639-3 | hbs |
Ătendue | macro-langue |
Type | langue vivante |
Linguasphere | 53-AAA-g
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Glottolog | sout1528
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Carte | |
Territoire oĂč les variĂ©tĂ©s linguistiques de la langue serbo-croate sont parlĂ©es (en bleu) | |
- Serbe
- Croate
- Bosnien
- Monténégrin
- Autres langues (dont le slovÚne, le hongrois, le bulgare, le macédonien et l'albanais)
Du point de vue de la linguistique comparĂ©e, le serbo-croate est une seule et mĂȘme langue, câest-Ă -dire dont les variĂ©tĂ©s prĂ©sentent suffisamment de traits structurels communs, Ă©tablis objectivement, pour constituer une langue unitaire et qui ne puisse pas ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme le dialecte dâune autre langue[2] - [3]. En sociolinguistique, Heinz Kloss a appelĂ© une telle langue (de) Abstandsprache « langue par distance »[4].
DĂ©jĂ Ă lâĂ©poque de la Yougoslavie communiste, on parlait de « variantes occidentale et orientale », et mĂȘme dĂ©jĂ de « pratiques linguistiques standard bosno-herzĂ©govinienne et montĂ©nĂ©grine »[5]. Les locuteurs de cette langue ne lâappelaient pas couramment « serbo-croate », terme livresque et scientifique, mais, selon leur appartenance nationale, « serbe », respectivement « croate »[6]. Kloss et McConnell, en 1984, considĂ©raient que le serbo-croate Ă©tait une langue indĂ©pendante avec un statut de langue ausbau (terme introduit par Kloss en mĂȘme temps avec abstand[4]), câest-Ă -dire Ă©laborĂ©e, pour chacune de ses deux variantes : serbe et croate[7]. Le processus ausbau sâest accĂ©lĂ©rĂ© aprĂšs le dĂ©membrement de la Yougoslavie quand, dans chacun des quatre Ătats devenus indĂ©pendants, la volontĂ© politique sâest affirmĂ©e de crĂ©er des langues nationales et officielles Ă part. Certains linguistes ont appliquĂ© Ă leur tour le qualificatif ausbau aux nouvelles variĂ©tĂ©s standard aussi[8]. Ainsi, la dĂ©nomination « serbo-croate » a Ă©tĂ© abandonnĂ©e dans lâusage officiel, et remplacĂ©e dâabord par « bosnien », « croate » et « serbe »[1], puis « montĂ©nĂ©grin » aussi, appelĂ©s officiellement des « langues ». Certains linguistes y voient une manifestation du nationalisme[9].
La conscience du fait que câest une seule et mĂȘme langue reste prĂ©sente chez les linguistes. Ils[10] la considĂšrent comme une langue pluricentrique standard, qualification dĂ©jĂ appliquĂ©e au serbo-croate par Kloss[11], au mĂȘme titre que lâanglais, lâallemand, lâespagnol etc., ayant Ă son tour quatre variĂ©tĂ©s standard. Certains linguistes continuent de lâappeler « serbo-croate »[12]. La linguiste SnjeĆŸana KordiÄ affirme que, « en dĂ©pit de leur qualitĂ© de langue-Ausbau [elles] reprĂ©sentent bien une seule et mĂȘme langue. Câest pourquoi utiliser les appellations langue croate, langue serbe, langue bosniaque, etc. pose problĂšme » et, selon elle, lâappellation scientifique correcte de la langue commune reste « serbo-croate »[13].
Dâautres linguistes appellent cette langue par un terme quâils considĂšrent comme neutre, par exemple diasystĂšme slave du centre-sud[14], langue chtokavienne (ĆĄtokavski jezik) (les quatre variĂ©tĂ©s ayant pour base le dialecte chtokavien de ce diasystĂšme)[15] ou standardni novoĆĄtokavski « nĂ©ochtokavien standard »[16]. Dâautres linguistes encore ont adoptĂ© lâappellation BCS avant quâun standard montĂ©nĂ©grin n'apparaisse Ă©galement, puis BCMS (pour bosnien-croate-montĂ©nĂ©grin-serbe)[17].
Non seulement des linguistes, mais aussi des locuteurs ordinaires ont la conscience dâune langue commune, comme les participants Ă un projet appelĂ© Jezici i nacionalizmi « Langues et nationalismes » et les signataires dâune « DĂ©claration sur la langue commune » lancĂ©e par ce projet[18] - [19]. Dans la parole des locuteurs qui ont la conscience de leur langue commune on peut entendre lâappellation naĆĄ jezik « notre langue »[1].
Historique de lâidĂ©e de langue serbo-croate
Dans la premiĂšre moitiĂ© du XIXe siĂšcle, Ă©poque du romantisme et en mĂȘme temps des tendances dâĂ©mancipation nationale en Europe, lâidĂ©e dâĂtat dâune seule nation parlant une seule langue apparaĂźt[20]. Elle se manifeste Ă©galement chez les Serbes et les Croates, qui vivent sous domination Ă©trangĂšre. La thĂšse dominante parmi les intellectuels Ă©pris de libertĂ© nationale est que orthodoxes, catholiques ou musulmans, tous les Slaves de Croatie, de Dalmatie, de Slavonie, de Serbie, du MontĂ©nĂ©gro, de Bosnie et de HerzĂ©govine forment un seul peuple, puisquâils parlent la mĂȘme langue. En Croatie, câest lâĂ©poque du Renouveau national croate, menĂ© par le « Mouvement illyrien » qui a pour but dâunir tous les Slaves du Sud en un seul Ătat. Ljudevit Gaj, son chef, est en mĂȘme temps le linguiste qui contribue le plus Ă lâĂ©tablissement du standard de la langue croate littĂ©raire moderne, quâil fonde sur le dialecte chtokavien Ă prononciation (i)jĂ©kavienne, parce que câest lâidiome dâune littĂ©rature prestigieuse, celle de Dubrovnik, qui sâĂ©panouit du XVIe siĂšcle au XVIIIe siĂšcle, et en vue de lâunion linguistique avec la Serbie, dont les parlers appartiennent au mĂȘme dialecte chtokavien[21]. Ă la mĂȘme Ă©poque, en Serbie, Vuk StefanoviÄ KaradĆŸiÄ Ćuvre Ă la rĂ©forme de la langue littĂ©raire serbe qui Ă lâĂ©poque est le slavon d'Ă©glise serbe et le slavon russe. Il le fait Ă partir de la langue parlĂ©e[22]. Il y a mĂȘme un accord signĂ© Ă Vienne, en 1850, par sept lettrĂ©s croates et serbes (dont Vuk KaradĆŸiÄ), qui Ă©tablit certaines normes communes pour les langues croate et serbe[23]. Il nây a cependant pas dâunitĂ© quant Ă lâappellation de la langue commune. Ljudevit Gaj opte pour « langue illyrienne », alors que pour KaradĆŸiÄ câest la langue serbe[24].
Lâappellation « langue serbo-croate » semble ĂȘtre apparue chez des philologues qui manifestent de lâintĂ©rĂȘt pour la poĂ©sie folklorique rassemblĂ©e et publiĂ©e par KaradĆŸiÄ. Les premiers Ă lâutiliser seraient Jacob Grimm en 1818, puis le philologue slovĂšne Jernej Kopitar, en 1822. Le terme est adoptĂ© par les autoritĂ©s de lâempire dâAutriche, puis dans dâautres pays aussi : par exemple en France, il est employĂ© pour la premiĂšre fois en 1869. En Croatie aussi on accepte lâappellation croato-serbe ou serbo-croate[25]. Ă partir de cette Ă©poque, le domaine linguistique interfĂšre avec le domaine politique, dâabord dans le cadre de lâ« Austroslavisme » puis dans celui du « Yougoslavisme », et cele dure au XXIe siĂšcle, la relation entre Croates, Serbes, Bosniens et MontĂ©nĂ©grins oscillant dâune Ă©poque Ă lâautre entre lâidĂ©e dâune langue commune et celle de deux, voire quatre langues Ă part, en fonction des Ă©vĂ©nements historiques que leurs locuteurs traversent[26].
Dans la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle, il se forme en Croatie plusieurs Ă©coles linguistiques. Celle appelĂ©e des « vukoviens croates » ou des « jeunes grammairiens », qui suit les idĂ©es de Vuk KaradĆŸiÄ, acquiert la plus grande influence Ă la fin du XIXe siĂšcle et au dĂ©but du XXe, rĂ©ussissant Ă imposer dĂ©finitivement le standard du croate Ă base chtokavienne[27].
AprĂšs lâoccupation de la Bosnie-HerzĂ©govine par les Autrichiens, en 1878, ceux-ci cherchent Ă imposer lâidĂ©e de la langue bosnienne, mais les Serbes et les Croates de ce pays sây opposent et en 1907 les autoritĂ©s adoptent officiellement lâappellation « serbo-croate », ce qui contribue Ă rĂ©pandre la conception selon laquelle le serbe et le croate sont une seule et mĂȘme langue[26].
Le rapprochement entre croate et serbe continue aprĂšs la PremiĂšre Guerre mondiale, cette fois dans le cadre du Royaume des Serbes, des Croates et des SlovĂšnes, devenu plus tard le Royaume de Yougoslavie, sous lâĂ©gide de la Serbie, pays vainqueur dans la guerre. LâidĂ©e de la langue serbo-croate est de plus en plus soutenue par les autoritĂ©s de Belgrade[28], mais les Croates sont déçus des solutions politiques adoptĂ©es dans le nouvel Ătat et reviennent au standard croate dâavant la guerre. Câest une pĂ©riode dâĂ©loignement du serbe qui commence[29]. Au cours de la Seconde Guerre mondiale est fondĂ© le prĂ©tendu Ătat indĂ©pendant de Croatie, satellite de lâAllemagne nazie, qui persĂ©cute la minoritĂ© serbe. Sur le plan linguistique, on pratique lâĂ©loignement le plus grand possible du serbe, par des actions dites de « purification » du croate des Ă©lĂ©ments non croates[28].
Dans la Yougoslavie communiste, la promotion de la langue serbo-croate et les tentatives dâestomper les diffĂ©rences entre le croate et le serbe deviennent les composantes dâune politique linguistique officielle, acceptĂ©e Ă©galement par les communistes croates, ce qui ressort clairement de lâaccord de Novi Sad (1954), signĂ© par vingt-cinq linguistes et Ă©crivains, dix-huit Serbes et sept Croates. On y stipule que la langue commune des Serbes, des Croates et des MontĂ©nĂ©grins est le serbo-croate, que lâon peut aussi appeler croato-serbe, ayant deux variantes littĂ©raires, le serbe et le croate[30].
Ă la suite de la relative libĂ©ralisation du rĂ©gime dans les annĂ©es 1960, les intellectuels croates manifestent leur mĂ©contentement causĂ© par la domination du serbe dans les instances officielles. En 1967, sept linguistes et Ă©crivains rĂ©digent une « DĂ©claration au sujet de la situation et de la dĂ©nomination de la langue littĂ©raire croate », oĂč lâon revendique de mettre sur un pied dâĂ©galitĂ© non pas trois, mais quatre langues de Yougoslavie : le slovĂšne, le croate, le serbe et le macĂ©donien, et de mettre un terme Ă la domination du serbe sur le plan Ă©tatique et dans les institutions fĂ©dĂ©rales[31]. En 1971 on publie une Orthographe croate qui ignore lâaccord de Novi Sad, mais elle est aussitĂŽt retirĂ©e. Cependant, dans la constitution de la RĂ©publique socialiste de Croatie de 1974, la langue officielle de celle-ci est appelĂ©e « langue littĂ©raire croate », mais il est officiellement interdit dâen parler sans lâĂ©pithĂšte « littĂ©raire ». Dans le mĂȘme temps, les Serbes continuent dâutiliser officiellement le terme « serbo-croate » seulement[32]. Câest le dĂ©but dâune nouvelle pĂ©riode dâĂ©loignement entre croate et serbe.
Dans la constitution de la mĂȘme annĂ©e de la RĂ©publique socialiste de Bosnie-HerzĂ©govine, la langue officielle de celle-ci est dĂ©nommĂ©e « serbo-croateâcroato-serbe », mais les intellectuels musulmans cultivent une variante de langue basĂ©e sur leur hĂ©ritage culturel spĂ©cifique[32].
Situation depuis les années 1990
Depuis le dĂ©but des annĂ©es 1990, au cours du processus de sĂ©paration des ex-rĂ©publiques yougoslaves, les tendances nationalistes sâaccroissent. Les autoritĂ©s de chaque nouveau pays souverain utilisent la langue aussi en vue de forger une nation. Câest ainsi que, pour des raisons politiques, le serbe, le croate, le bosnien et le montĂ©nĂ©grin deviennent des langues officielles Ă part, et que le terme « serbo-croate », nĂ© pour des raisons politiques Ă©galement, est en gĂ©nĂ©ral considĂ©rĂ© comme compromis.
Ă la suite de la proclamation de la souverainetĂ© de la Croatie (1991), les tendances puristes vouĂ©es Ă sĂ©parer le croate du serbe se renforcent dans ce pays, les « serbismes » et les « internationalismes » Ă©tant dĂ©noncĂ©s et rejetĂ©s par les linguistes nationalistes[33]. On rĂ©introduit dans la langue croate de nombreux mots plus ou moins sortis de lâusage depuis des dĂ©cennies, et on crĂ©e des nĂ©ologismes Ă base slave[34]. En Serbie, les tendances puristes se manifestent en moindre mesure[35]. Les mots considĂ©rĂ©s comme croates sont traitĂ©s comme des emprunts[36]. Bien que la Constitution dispose que la langue officielle de lâĂtat est le serbe Ă©crit avec lâalphabet cyrillique[37], lâalphabet latin reste dâusage courant. Toutefois, le Conseil pour la standardisation de la langue serbe promeut lâemploi du cyrillique, quâil voit mis en danger par le latin[38].
Le bosnien devient langue officielle[39] et on Ă©labore son standard. Les linguistes qui le font cherchent Ă le diffĂ©rencier des autres standards surtout en recommandant les synonymes dâorigine turque, arabe et persane qui existent dans la langue pour les mots dâorigine slave. La constitution du MontĂ©nĂ©gro, indĂ©pendant depuis 2006, stipule que la langue officielle du pays est le montĂ©nĂ©grin[40], avec son propre standard. Celui-ci inclut des traits spĂ©cifiques communs Ă tous les parlers du MontĂ©nĂ©gro et des traits de la langue de la littĂ©rature montĂ©nĂ©grine dâavant la rĂ©forme de KaradĆŸiÄ[41].
DĂ©nomination de leur langue par les locuteurs
La plupart de ses locuteurs nâa jamais dĂ©signĂ© sa langue comme Ă©tant le serbo-croate. Les Serbes ont toujours affirmĂ© parler le serbe et les Croates le croate. Les MontĂ©nĂ©grins considĂ©raient gĂ©nĂ©ralement quâils parlaient le serbe ou, parfois, le montĂ©nĂ©grin, et les Bosniaques disaient parler le croate ou, parfois, le serbe. En Serbie, selon les donnĂ©es du recensement de 2011[42], et au MontĂ©nĂ©gro, selon celles du recensement de la mĂȘme annĂ©e[43], il nây aurait aucun locuteur de serbo-croate dans ces pays. Pour la Bosnie-HerzĂ©govine il nây a pas de donnĂ©es disponibles sur le nombre dâhabitants selon les langues parlĂ©es. The World Factbook de la CIA note seulement quâon y parle le bosnien, le croate et le serbe [44]. Dans ce pays, chez ceux qui cherchent et cultivent les contacts entre les diverses ethnies, les jeunes surtout, on trouve le terme naĆĄ jezik « notre langue » et lâadverbe naĆĄki « dans notre langue »[45].
Lâappellation de la langue constitue un vrai problĂšme pour ceux qui proviennent de mariages mixtes. Ceux qui ne veulent renoncer Ă aucune partie de leur identitĂ©, disent quâils parlent serbo-croate[46]. Câest seulement dans les documents des recensements de Croatie quâon peut trouver ce terme. Dans ce pays, ceux qui dĂ©clarent le serbo-croate comme langue maternelle sont au nombre de 7 822. En y ajoutant les 3 059 personnes qui dĂ©clarent parler le croato-serbe, on arrive Ă un total de 10 881 sur les 4 284 889 habitants de la Croatie[47].
DĂ©nomination de la langue Ă lâextĂ©rieur de lâex-Yougoslavie
Dans certains pays, les statistiques qui prennent en compte la langue maternelle de leurs rĂ©sidents continuent Ă utiliser le terme serbo-croate. Au Canada, par exemple, on dĂ©nombre sĂ©parĂ©ment les locuteurs de serbe, de croate et de serbo-croate[48]. Le Tribunal pĂ©nal international pour lâex-Yougoslavie a adoptĂ© la dĂ©nomination « bosnien, croate ou serbe »[49].
Opinions des linguistes
Les controverses autour du terme « serbo-croate » sont trĂšs vives depuis la dĂ©sagrĂ©gation de la Yougoslavie, non seulement entre linguistes serbes et croates, mais aussi parmi les Serbes et les Croates. Certains affirment lâexistence de lâentitĂ© quâils continuent dâappeler serbo-croate, dâautres la reconnaissent et lâappellent « diasystĂšme », dâautres encore refusent de la traiter en tant quâentitĂ© et, par consĂ©quent, ne la dĂ©signent par aucun terme.
Linguistes serbes
Une partie des linguistes serbes, par exemple Vera BojiÄ, Predrag DragiÄ Kijuk, MiloĆĄ KovaÄeviÄ et Tiodor RosiÄ[50], sont dâavis que tous les locuteurs du dialecte chtokavien sont Serbes et parlent serbe, quâils soient orthodoxes, catholiques ou musulmans, autrement dit, ils englobent parmi les locuteurs du serbe non seulement les MontĂ©nĂ©grins, mais aussi les Croates chtokaviens et les Bosniaques.
Dâautres linguistes serbes ne partagent pas cette opinion. Câest le cas de Pavle IviÄ, Drago ÄupiÄ, Novica PetkoviÄ, Branislav BrboriÄ et Slobodan RemetiÄ, qui sây opposent au nom du Conseil pour la standardisation de la langue serbe[51], ainsi que dâIvan Klajn[52] et de Predrag Piper[53]. Celui-ci fait la distinction entre point de vue sociolinguistique, selon lequel le serbe et le croate sont deux langues Ă part, et le point de vue de la linguistique, qui les considĂšre comme une seule langue. Ă propos du terme pour la dĂ©signer, il affirme : « de nos jours encore, les linguistes utilisent souvent, Ă cĂŽtĂ© de la dĂ©nomination langue serbe ou langue croate, les termes langue serbo-croate ou croato-serbe en tant quâappellations linguistiques de cette langue ». Le mĂȘme auteur constate quâen Serbie, « la politique linguistique et la planification linguistique sâorganisent autour de la notion de langue littĂ©raire serbe et non de celle de langue serbo-croate »[54]. Pavle IviÄ affirme que « la langue parlĂ©e par les Serbes sâappelle le plus souvent serbo-croate dans la science », en prĂ©cisant quâelle est parlĂ©e Ă©galement par les Croates et les musulmans de Bosnie-HerzĂ©govine, les Croates lâappelant croate et les Serbes serbe[55]. Un autre linguiste serbe, Ranko Bugarski, dit que la langue serbo-croate « continue Ă vivre, bien que dâune façon non officielle »[56].
Linguistes croates, bosniaques et monténégrins
Certains linguistes croates admettent lâexistence de lâentitĂ© linguistique en cause mais rejettent les termes serbo-croate et croato-serbe comme Ă©tant compromis. Dalibor BrozoviÄ propose Ă sa place le terme « diasystĂšme slave du centre-sud »[57], empruntĂ© Ă la dialectologie. LâidĂ©e et le terme sont adoptĂ©s par dâautres linguistes croates, tels Mijo LonÄariÄ[58], Ranko MatasoviÄ[59], Josip Lisac[60]. Des linguistes bosniaques aussi partagent ce point de vue et ce terme, par exemple DĆŸevad JahiÄ et Senahid HaliloviÄ[61]. De son cĂŽtĂ©, le linguiste montĂ©nĂ©grin Vojislav NikÄeviÄ, principal promoteur de lâidĂ©e de langue montĂ©nĂ©grine, prĂ©fĂšre le terme « diasystĂšme chtokavien », câest-Ă -dire quâil ignore les autres dialectes compris dans le « serbo-croate » : le tchakavien, le kaĂŻkavien et le torlakien[62].
Dâautres linguistes croates rejettent toute communautĂ© linguistique entre Croates, Serbes, Bosniaques et MontĂ©nĂ©grins, affirmant quâils nâont pas Ă sâoccuper des ressemblances entre leurs langues mais seulement de la langue croate. Par consĂ©quent, ils nâacceptent ni les termes serbo-croate / croato-serbe ni celui de diasystĂšme slave du centre-sud. Un exemple de cette attitude est celui de Zvonko PandĆŸiÄ qui ne voit dans ce dernier terme quâun avatar de « serbo-croate »[63].
Enfin, il y a aussi des linguistes croates qui pensent que les quatre langues standards sont une seule et mĂȘme langue du point de vue de la linguistique. Câest le cas de Dubravko Ć kiljan[64]. Radoslav KatiÄiÄ dit Ă propos des parlers croates dâHerzĂ©govine et des parlers serbes que ce sont « des dialectes diffĂ©rents de la mĂȘme langue »[65]. SnjeĆŸana KordiÄ affirme quâil sâagit dâune langue unitaire du point de vue linguistique aussi bien que sociolinguistique, et quâil nây a pas de raison de ne plus lâappeler serbo-croate[66].
En Bosnie-HerzĂ©govine on utilise parfois le terme « langue bosnienne », dâautres fois on traite ensemble le bosnien, le croate et le serbe, avec le sigle BHS, tout en les considĂ©rant comme des langues Ă part[67].
Autres linguistes
Les linguistes dâautres pays, en gĂ©nĂ©ral non impliquĂ©s Ă©motionnellement dans la question, constatent dâune part la rĂ©alitĂ© linguistique dâune langue maternelle commune aux Serbes, aux Croates, aux Bosniaques et aux MontĂ©nĂ©grins, et dâautre part la rĂ©alitĂ© sociolinguistique de quatre langues ausbau standardisĂ©es par volontĂ© politique et rendues officielles, qui lui correspondent[68], bien quâil nây ait pas dâunitĂ© terminologique parmi ces linguistes. Certains emploient le terme « serbo-croate », par exemple Robert D. Greenberg, qui constate en mĂȘme temps la « dĂ©sintĂ©gration de la langue serbo-croate unifiĂ©e » et parle des « quatre langues successeurs du serbo-croate »[69] - [70].
Dâautres linguistes adoptent le terme « diasystĂšme slave du centre-sud », par exemple Svein MĂžnnesland qui Ă©crit : « La langue parlĂ©e par les Croates, les Serbes, les musulmans bosniens (ou Bosniaques) et les MontĂ©nĂ©grins peut ĂȘtre qualifiĂ©e comme une seule langue slave, dans le sens linguistique [âŠ]. Cette langue ou territoire linguistique, situĂ©e entre le slovĂšne et le bulgare/macĂ©donien, peut ĂȘtre appelĂ©e slave du centre-sud (afin dâĂ©viter le terme contestĂ© serbo-croate) »[71]. Juhani Nuorluoto est un autre auteur qui emploie ce terme[72].
Dans certains Ă©tablissements, on enseigne la langue en lâappelant par les noms de trois ou quatre de ses standards. Ă lâInstitut national des langues et civilisations orientales, câest « bosniaque-croate-serbe »[73]. Le Centre de recherches en langues slaves et est-europĂ©ennes (SEELRC) de lâUniversitĂ© Duke (Ătats-Unis) aussi sâoccupe du « bosnien/croate/serbe (BCS) »[74], alors quâĂ lâUniversitĂ© Paris-Sorbonne (Paris IV), on peut obtenir un diplĂŽme de « serbe-croate-bosniaque-montĂ©nĂ©grin »[75].
Dâune façon significative, le linguiste E. C. Hawkesworth conclut son article sur cette langue par : « En lâabsence dâune solution tout Ă fait satisfaisante, dans ce volume on a adoptĂ© le terme âcomplexe serbe-croate-bosnienâ comme une description maladroite mais convenable »[1].
Revigoration de lâidĂ©e de langue commune
Des actions dâintellectuels de Bosnie-HerzĂ©govine, Croatie, MontĂ©nĂ©gro et Serbie sont menĂ©es depuis les annĂ©es 2010, visant Ă contrecarrer les tendances considĂ©rĂ©es par eux comme nationalistes et nuisibles de prĂ©senter le bosniaque, le croate, le montĂ©nĂ©grin et le serbe comme des langues Ă part. Ils sont groupĂ©s dans des organisations siĂ©geant dans chacun des pays, et ils ont lancĂ© en 2016 un projet commun nommĂ© Jezici i nacionalizmi (Langues et nationalismes)[18], dans le cadre duquel ils tiennent des confĂ©rences pour propager leurs idĂ©es. Le ils ont publiĂ© une dĂ©claration signĂ©e par 228 linguistes, professeurs dâuniversitĂ© dâautres domaines, Ă©crivains, critiques littĂ©raires, journalistes, artistes, politologues, etc.[76], la liste des signataires Ă©tant ouverte Ă tous[19] - [77].
La dĂ©claration exprime lâidĂ©e que les Bosniaques, les Croates, les MontĂ©nĂ©grins et les Serbes ont la mĂȘme langue, sans la nommer autrement que « langue commune ». Elle est prĂ©sentĂ©e comme une « langue standard commune de type polycentrique », câest-Ă -dire du mĂȘme type que lâanglais et beaucoup dâautres langues, ayant plusieurs variantes standard parlĂ©es par plusieurs nations, dans plusieurs pays[78]. Les signataires sâopposent aux efforts de codifier dans chacune des variantes le plus de traits langagiers spĂ©cifiques possible pour crĂ©er lâimpression quâil sâagit de langues diffĂ©rentes. Ils attirent aussi lâattention sur le fait que la sĂ©paration artificielle des variantes standards mĂšne Ă des phĂ©nomĂšnes sociaux, culturels et politiques nĂ©gatifs, tels des abus bureaucratiques, des discriminations basĂ©es sur lâutilisation de la langue, la « traduction », coĂ»teuse, dâune variante Ă lâautre dans la pratique juridique et administrative, ainsi que dans les mĂ©dias.
Les signataires dĂ©clarent que lâexistence dâune langue commune ne met pas en question lâappartenance de ses locuteurs Ă des nations, rĂ©gions ou Ătats diffĂ©rents ni la libertĂ© de chaque entitĂ© de codifier sa propre variante de langue ni le droit de chaque individu de nommer sa langue comme il le souhaite. En mĂȘme temps, les quatre variantes standards sont Ă©gales en droits.
La dĂ©claration fait appel au respect de la libertĂ© du choix individuel de la variante de langue, y compris dialectale, utilisĂ©e par les locuteurs ou dans la littĂ©rature, les arts et les mĂ©dias. Elle exige aussi lâouverture rĂ©ciproque et la libertĂ© du « mĂ©lange », de la pĂ©nĂ©tration des diverses formes dâexpression de la langue dâune variante dans une autre, dans lâintĂ©rĂȘt commun de ses locuteurs.
Variétés régionales du serbo-croate
Carte russe des parlers du dialecte chtokavien du serbo-croate. Carte anglaise des parlers chtokaviens incluant la variété torlakienne. Les parlers torlakiens en Serbie et dans les pays voisins. Le dialecte tchakavien. Le dialecte kaïkavien.
Les variĂ©tĂ©s rĂ©gionales de cette langues sont dĂ©finies selon deux points de vue, lâun morphologique, lâautre phonologique[79].
1. CritĂšre morphologique. Selon la forme prise par le pronom interrogatif correspondant à « quoi » : ĆĄto/ĆĄta (prononcĂ© « chto/chta »), kaj (« kaĂŻ ») et Äa (« tcha »), on distingue trois dialectes :
- Le dialecte le plus étendu est le chtokavien (ƥtokavski), parlé en Serbie (sauf dans une région restreinte du Sud-Est), au Monténégro, en Bosnie-Herzégovine et dans une grande partie de la Croatie. Il constitue la base des standards de toutes les quatre langues Ausbau mentionnées plus haut.
- Le dialecte kaĂŻkavien (kajkavski), au nord de Zagreb, dans le Hrvatsko Zagorje.
- Le dialecte tchakavien (Äakavski), sur la cĂŽte adriatique, en Istrie et en Dalmatie.
2. CritĂšre phonologique. Selon la façon dont a Ă©voluĂ© le son Ä du slave commun, notĂ© par la lettre « ŃŁ » du vieux-slave, nommĂ©e « yat », il y a trois variĂ©tĂ©s nommĂ©es izgovori (« prononciations ») :
- Ă©kavienne (ekavski), en Serbie (sans UĆŸice et le Sandjak), en Croatie orientale, du Nord-Ouest et du Nord, oĂč « yat » est devenu e (prononcĂ© « Ă© »), par exemple dans les mots Äovek « homme » et reka « riviĂšre ». Cette prononciation est prĂ©fĂ©rĂ©e par le standard serbe.
- (i)jĂ©kavienne ((i)jekavski), en HerzĂ©govine, en Croatie, au MontĂ©nĂ©gro et en Serbie occidentale, oĂč « yat » a Ă©voluĂ© en je (prononcĂ© « yĂ© ») dans certains mots (par exemple Äovjek) et en ije (prononcĂ© « iyĂ© ») dans dâautres : rijeka. Cette prononciation est exclusive dans les standards croate, bosnien et montĂ©nĂ©grin, et acceptĂ©e par le standard serbe.
- ikavienne (ikavski), la moins rĂ©pandue, en Croatie, Bosnie, HerzĂ©govine, et en VoĂŻvodine (BaÄka septentrionale et BaÄka occidentale), dans laquelle « yat » est passĂ© Ă i (Äovik, rika). Cette prononciation nâest acceptĂ©e par aucun standard.
Certains linguistes[80] considĂšrent comme un dialecte Ă part le torlakien (torlaÄki) parlĂ© par des Serbes au sud-est de la Serbie, par les Croates « carashovĂšnes » du Banat roumain et par les Bulgares du nord-ouest de la Bulgarie. En effet, les parlers torlakiens et les parlers bulgares de lâOuest, qui leur sont proches, forment un continuum linguistique, ces parlers Ă©tant transitionnels entre les deux langues[81]. Câest pourquoi ils ont fait, jusquâĂ une Ă©poque relativement rĂ©cente, lâobjet de disputes plus politiques que linguistiques entre linguistes serbes et bulgares, les premiers considĂ©rant ces parlers comme des variĂ©tĂ©s rĂ©gionales du dialecte chtokavien[82], les seconds affirmant quâils sont des variantes rĂ©gionales du bulgare[83].
Les diffĂ©rences les plus importantes entre variĂ©tĂ©s rĂ©gionales sont lexicales. Elles ont Ă©tĂ© consacrĂ©es par les standards serbe, respectivement croate dĂ©jĂ bien avant la dislocation de la Yougoslavie. Celles qui sont linguistiquement pertinentes sont des mots de la vie courante, comme ceux qui signifient « pain, coin, Ăźle, air, route ». Dâautres diffĂ©rences concernent des termes culturels ou techniques relativement rĂ©cents adoptĂ©s avec des noms diffĂ©rents par ceux qui se sont occupĂ©s des deux standards, par exemple pour « train, gare, universitĂ©, histoire, gĂ©ographie, science »[84].
Notes et références
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Voir aussi
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Articles connexes
Liens externes
- BCMS
- (en) Fiche langue du serbo-croate
[hbs]
dans la base de données linguistique Ethnologue. - (en) Fiche langue du serbo-croate
[sout1528]
dans la base de données linguistique Glottolog. - (en) Sources d'information sur le serbo-croate sur le site de l'OLAC.
- Dictionnaire serbo-croateâfrançais/français-serbo-croate Freelang