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FiĂšvre du caoutchouc

La fiĂšvre du caoutchouc (Ciclo da borracha en portugais) est un Ă©pisode important de l’histoire Ă©conomique et sociale des pays ayant des territoires amazoniens, comme le BrĂ©sil, la Bolivie, le PĂ©rou, la Colombie et l’Équateur. Cette fiĂšvre, liĂ©e Ă  l’extraction et la commercialisation du caoutchouc, eut comme Ă©picentre la rĂ©gion amazonienne, perturbant le processus colonisateur, attirant les richesses et provoquant des transformations culturelles et sociales, en plus de donner une grande impulsion Ă  des villes amazoniennes telles Iquitos au PĂ©rou, BelĂ©m do ParĂĄ au BrĂ©sil et en particulier Ă  la ville brĂ©silienne de Manaus, qui est encore de nos jours la principale ville amazonienne et la capitale de l’État d’Amazonas. La fiĂšvre du caoutchouc connut son apogĂ©e entre 1879 et 1912, suivie longtemps aprĂšs d’une rĂ©surrection dans les annĂ©es 1942-1945.

La région de l'Amazone, théùtre de la fiÚvre du caoutchouc.

La découverte de la vulcanisation et de la chambre à air dans les années 1850 donna lieu à une « fiÚvre extractive du caoutchouc ».

Extraction du latex d’un arbre à caoutchouc ou Seringueira (en portugais).

On appelle caoutchouc le lait ou latex de plusieurs plantes. Il existe toute une variété de gommes, parmi lesquelles l'hévéa, la gutta-percha, la balata et le jebe. Les arbres qui produisent ces substances sont les hévéas, le Palaquium gutta, le guayule, le Ficus elastica et le Castilloa ulei, entre autres.

La premiĂšre usine de production de caoutchouc (bandes Ă©lastiques et suspensoirs) fut construite Ă  Paris en 1803. Cependant, le caoutchouc prĂ©sentait encore certains inconvĂ©nients : avec l’augmentation de la tempĂ©rature ambiante, la gomme base devenait plus molle et collante, et redevenait plus dure et cassante lorsque la tempĂ©rature diminuait.
Les Indiens d’AmĂ©rique centrale furent les premiers Ă  dĂ©couvrir et mettre Ă  profit les propriĂ©tĂ©s particuliĂšres du caoutchouc naturel. Entre-temps, c’est dans la forĂȘt amazonienne que se dĂ©veloppa l’activitĂ© d’extraction du caoutchouc Ă  partir de l'arbre Ă  caoutchouc ou seringueira (en portugais), un arbre de la famille des Euphorbiaceae, connu aussi sous le nom d’arbre de la fortune.

Du tronc de cet arbre, il est extrait un liquide blanc, ou latex, composĂ© de 35 % d’hydrocarbures, parmi lesquels se dĂ©tache le 2-mĂ©thylbuta-1,3-diĂšne (C5H8), plus connu sous le nom d’isoprĂšne ou monomĂšre du caoutchouc naturel.

Le latex est une substance pratiquement neutre, au pH compris entre 7,0 et 7,2. Cependant, aprĂšs une exposition Ă  l’air de 12 Ă  24 heures, le pH descend Ă  5,0 et il se produit une coagulation spontanĂ©e, formant un polymĂšre qui est le caoutchouc, dont la formule chimique est (C5H8)n, dans laquelle n est de l’ordre de 10 000 et dont la masse molĂ©culaire moyenne est de 600 000 Ă  950 000 g/mol.

Le caoutchouc obtenu de cette maniĂšre prĂ©sente une sĂ©rie d’inconvĂ©nients : l’exposition Ă  l’air entraĂźne une contamination du liquide extrait par d’autres matiĂšres (dĂ©tritus), ce qui le transforme en une substance pĂ©rissable et poisseuse sous l’effet de la tempĂ©rature. Un processus industriel permet d’éliminer les impuretĂ©s, avant l’application du processus de vulcanisation, qui donne comme rĂ©sultat la disparition des propriĂ©tĂ©s indĂ©sirables du caoutchouc. De cette maniĂšre, le caoutchouc devient plus rĂ©sistant aux solvants et aux variations de tempĂ©rature, acquiert d’excellentes propriĂ©tĂ©s mĂ©caniques et perd son caractĂšre gluant.

FiÚvre du caoutchouc au Brésil

La premiÚre fiÚvre du caoutchouc au Brésil : 1879-1912

Pendant les quatre premiers siĂšcles et demi aprĂšs la dĂ©couverte de l’AmĂ©rique, comme personne ne dĂ©couvrit d’importants gisements d’or ou de minĂ©raux prĂ©cieux dans l’Amazonie brĂ©silienne, elle resta en Ă©tat d’isolement, du fait que ni la couronne portugaise ni ultĂ©rieurement l’empire brĂ©silien n’eurent d’intĂ©rĂȘt Ă  dĂ©velopper des actions gouvernementales dans la rĂ©gion. DĂ©pendant de l’exploitation forestiĂšre, l’économie rĂ©gionale se dĂ©veloppa sous forme de cycles ou « fiĂšvres » en fonction de l’intĂ©rĂȘt du marchĂ© pour les diverses ressources naturelles de la rĂ©gion.

Caoutchouc : des gains assurés

Le dĂ©veloppement technologique et la rĂ©volution industrielle en Europe furent l’élĂ©ment dĂ©clencheur qui fit du caoutchouc naturel, jusqu’alors produit exclusivement amazonien, un produit trĂšs demandĂ© qui se valorisa sur le marchĂ© mondial engendrant des profits et des dividendes pour quiconque s’aventurait dans ce commerce.

À partir du dĂ©but de la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle, le caoutchouc commença Ă  exercer une forte attraction sur les entrepreneurs visionnaires. L’activitĂ© extractive du latex en Amazonie devint immĂ©diatement une activitĂ© trĂšs lucrative. Le caoutchouc naturel conquit une position importante dans les industries d’Europe et d’AmĂ©rique du Nord, atteignant des prix Ă©levĂ©s. Cela dĂ©clencha l’arrivĂ©e de personnes Ă©trangĂšres au BrĂ©sil, qui venaient dans l’intention de connaĂźtre le fameux arbre Ă  caoutchouc et les mĂ©thodes d’extraction, dans le but de faire du profit par ce nouveau commerce.

L’extraction du caoutchouc est Ă  l'origine de la crĂ©ation des villes de Manaus et BelĂ©m et d’autres agglomĂ©rations brĂ©siliennes, qui devinrent rapidement des villes grĂące Ă  la richesse apportĂ©e par le caoutchouc.

Le projet de ligne ferroviaire

La fiÚvre du caoutchouc justifia la construction du chemin de fer Madeira-Mamoré.

L’idĂ©e de construire un chemin de fer sur les rives des rĂ­os Madeira et MamorĂ© apparut en Bolivie en 1846. Comme ce pays ne pouvait pas sortir la production de caoutchouc Ă  travers son territoire, il Ă©tait nĂ©cessaire de crĂ©er une alternative qui permette d’exporter le caoutchouc par l’ocĂ©an Atlantique.

L’idĂ©e initiale optait pour la voie fluviale, empruntant le rĂ­o MamorĂ© en territoire bolivien puis le rĂ­o Madeira au BrĂ©sil. Mais le tracĂ© prĂ©sentait de grands obstacles naturels : vingt sĂ©ries de rapides empĂȘchant la navigation. La construction d’une voie ferrĂ©e remplaçant par voie de terre le tronçon fluvial problĂ©matique fut envisagĂ©.

En 1867, les ingĂ©nieurs JosĂ© et Francisco Keller organisĂšrent une grande expĂ©dition dans la rĂ©gion des rapides du rĂ­o Madeira, pour trouver une forme plus adaptĂ©e de transport du caoutchouc et en mĂȘme temps le meilleur tracĂ© d’une Ă©ventuelle voie ferrĂ©e.

Bien que l’idĂ©e de la navigation fluviale fut compliquĂ©e, en 1869, l’ingĂ©nieur amĂ©ricain George Earl Church obtint du gouvernement bolivien la concession pour crĂ©er une entreprise afin d’explorer des alternatives pour assurer la navigation entre les rios MamorĂ© et Madeira. Mais peu de temps aprĂšs et voyant les difficultĂ©s de cette entreprise, Church changea son projet et se focalisa sur la possibilitĂ© de construire un chemin de fer.

Les négociations continuÚrent et en 1870, Church reçut du gouvernement brésilien le permis de construire une ligne ferroviaire pour contourner les rapides du río Madeira.

La question de l’Acre

Territoire de l’État actuel de l’Acre au BrĂ©sil.

Mais vers la fin du XIXe siĂšcle, l’extraction dĂ©mesurĂ©e et incontrĂŽlĂ©e du caoutchouc finit par provoquer un conflit international. Les travailleurs brĂ©siliens pĂ©nĂ©traient toujours plus avant dans les forĂȘts du territoire bolivien, Ă  la recherche de nouveaux arbres Ă  caoutchouc pour en extraire le prĂ©cieux latex, engendrant des conflits et des accrochages avec les Boliviens, ce qui entraĂźna les deux pays dans la guerre de l'Acre.

La RĂ©publique brĂ©silienne actuellement appelĂ©e « vieille rĂ©publique », rĂ©cemment proclamĂ©e, tirait un profit maximum des richesses venant de la vente du caoutchouc, mais la QuestĂŁo do Acre (Question de l’Acre, comme Ă©taient dĂ©signĂ©s les conflits frontaliers pour cause d’extraction du caoutchouc) prĂ©occupait beaucoup.

L’intervention du diplomate BarĂłn du Rio Branco et de l’ambassadeur Assis Brasil, en partie financĂ©e par les « magnats du caoutchouc », culmina avec la signature du traitĂ© de PetrĂłpolis, menĂ©e Ă  terme le 17 novembre 1903 sous le gouvernement du prĂ©sident Rodrigues Alves. Ce traitĂ© mit fin au contentieux avec la Bolivie, garantissant le contrĂŽle et la possession par le BrĂ©sil des terres et forĂȘts de l’Acre.

Le BrĂ©sil obtint la souverainetĂ© dĂ©finitive sur la rĂ©gion, donnant en Ă©change de terres dans l’État du Mato Grosso, le paiement de deux millions de livres sterling et de l’engagement de construire une ligne ferroviaire reliant le MamorĂ© et le Madeira et permettant le libre accĂšs des marchandises boliviennes (en premier lieu le caoutchouc), aux ports brĂ©siliens de l’Atlantique (Ă  l’origine « BelĂ©m do ParĂĄ », Ă  l’embouchure de l’Amazone).

En raison de cet Ă©pisode historique, la capitale de l’Acre reçut le nom de « Rio Branco » et deux municipalitĂ©s le nom des deux plus importantes personnalitĂ©s : « Assis Brasil » et « PlĂĄcido de Castro ».

La question de l’Acre du point de vue pĂ©ruvien

Le territoire pĂ©ruvien s’étendait jusqu’au rio Madeira au BrĂ©sil. Cependant, entre 1867 et 1909, tout le territoire de l’Acre passa au BrĂ©sil sans livrer bataille. Les droits prĂ©sumĂ©s du BrĂ©sil sur cette zone Ă©tendue remontaient au fait qu’en 1867, le prĂ©sident bolivien Mariano Melgarejo avait cĂ©dĂ© des territoires pĂ©ruviens au BrĂ©sil - comme s'ils lui appartenaient - et qu’il le fit Ă  nouveau en 1889 par le traitĂ© de PetrĂłpolis, aprĂšs une longue guerre frontaliĂšre de prĂšs de 30 ans. Depuis lors le BrĂ©sil voulut s’approprier par la force les terres en question, en voulant s’étendre jusqu’au rio Purus et au rio JuruĂĄ.

Le , la garnison pĂ©ruvienne d’Amuheya repoussa un dĂ©tachement brĂ©silien qui lui demandait d’abandonner sa position. En 1903, une barque avec Ă  bord des PĂ©ruviens du commissariat de Chandles subit des coups de feu dans la rĂ©gion de l’Acre. En 1904, le colonel brĂ©silien JosĂ© Ferreira arriva au rio Santa Rosa, affluent du PurĂșs, et confisqua du caoutchouc Ă  des extracteurs pĂ©ruviens. En novembre de la mĂȘme annĂ©e, la garnison d’Amuheya se rendit Ă  des forces brĂ©siliennes supĂ©rieures aprĂšs deux jours de combats. La dĂ©fense militaire de la rĂ©gion Ă©tant considĂ©rĂ©e comme impossible, la perte pĂ©ruvienne devint effective par le traitĂ© Velarde-Rio Branco de 1909 et un dĂ©coupage territorial complĂ©mentaire eut lieu par le traitĂ© Polo-SĂĄnchez Bustamante, Ă©galement en 1909.

Construction, apogée et déclin du chemin de fer Madeira-Mamoré

La ligne ferroviaire Madeira-MamorĂ©, connue Ă©galement comme le « chemin de fer du diable » (en portugais : Ferrovia do Diabo), car sa construction coĂ»ta la vie de prĂšs de six mille travailleurs, fut construite sous la direction de l’entrepreneur amĂ©ricain Percival Farquhar. La construction de la ligne commença en 1907 sous le gouvernement d’Afonso Pena et fut un des Ă©pisodes les plus significatifs de l’histoire de la colonisation de l’Amazonie, montant la claire intention d’intĂ©grer la rĂ©gion dans le marchĂ© mondial par le biais de la commercialisation du caoutchouc.

Le , fut inaugurĂ© le dernier tronçon de la ligne ferroviaire. Cependant, le destin de ce chemin de fer qui fut construit dans l’objectif de transporter le caoutchouc et d’autres produits de la rĂ©gion amazonienne, tant de la Bolivie que du BrĂ©sil, jusqu’aux ports de l’ocĂ©an Atlantique, se termina mal, Ă  cause de la chute vertigineuse du prix du latex sur le marchĂ© mondial qui ruina le commerce du caoutchouc, de la mise en service de deux autres lignes ferroviaires (l’une construite au Chili et l’autre en Argentine) qui supplantĂšrent le transport de produits par le chemin de fer Madeira-MamorĂ©, et de la mise en service du canal de Panama le .

À ces faits, s’ajoutĂšrent les facteurs environnementaux : la forĂȘt amazonienne elle-mĂȘme, avec sa pluviositĂ© Ă©levĂ©e, se chargea de dĂ©truire des tronçons entiers de la voie, des plates-formes et des ponts, rendant la maintenance de la ligne trĂšs difficile.

Le chemin de fer fut dĂ©classĂ© partiellement dans les annĂ©es 1930 et totalement en 1972, annĂ©e oĂč fut inaugurĂ©e la route transamazonienne. Actuellement, sur les 364 km, seul un tronçon de km reste en activitĂ©, exploitĂ© Ă  des fins touristiques.

Apogée, raffinement et luxe

La fiÚvre du caoutchouc transforma les villes amazoniennes en prospÚres centres économiques et culturels. Le théùtre Amazonas de Manaus.

La ville brĂ©silienne de Manaus, situĂ©e dans l’État d’Amazonas, Ă©tait considĂ©rĂ©e Ă  cette Ă©poque comme la plus dĂ©veloppĂ©e du BrĂ©sil et l’une des plus prospĂšres du monde ; c’était la seule citĂ© du pays Ă©quipĂ©e de l’éclairage Ă©lectrique et de systĂšmes d’adduction d'eau et d’assainissement. Manaus vĂ©cut son apogĂ©e entre 1890 et 1920, jouissant de technologies que les villes du sud du BrĂ©sil ne possĂ©daient pas, telles le tramway Ă©lectrique, des avenues construites sur des marais assĂ©chĂ©s, outre des Ă©difices imposants et luxueux comme le ThĂ©Ăątre Amazonas, le palais du gouvernement, le marchĂ© municipal et la maison de la douane.

L’influence europĂ©enne se fit visible dans la ville de Manaus, surtout dans son architecture et dans le mode de vie, faisant du XIXe siĂšcle la meilleure pĂ©riode Ă©conomique vĂ©cue par la ville. La rĂ©gion amazonienne Ă©tait Ă  l’origine, Ă  l’époque, de presque 40 % de toutes les exportations du BrĂ©sil. Les nouveaux riches de Manaus en firent la capitale mondiale du commerce de diamants. GrĂące au caoutchouc, le revenu par tĂȘte de Manaus Ă©tait deux fois supĂ©rieur Ă  celui de la rĂ©gion productrice de cafĂ© (SĂŁo Paulo, RĂ­o de Janeiro et EspĂ­rito Santo).

Massacre et esclavage, conséquence de la fiÚvre du caoutchouc

Pendant la premiĂšre fiĂšvre du caoutchouc, les territoires amazoniens Ă©taient habitĂ©s dans leur plus grande partie par des ethnies indigĂšnes. L’arrivĂ©e des colonisateurs Ă  la recherche du prĂ©cieux caoutchouc dans ces territoires causa un choc culturel avec les indigĂšnes qui dans la plupart des cas dĂ©boucha sur la torture, l’esclavage et les massacres.

Fin du monopole amazonien du caoutchouc

Quand la ligne ferroviaire Madeira-MamorĂ© fut achevĂ©e en 1912, il Ă©tait trĂšs tard : l’Amazonie perdait dĂ©jĂ  la primautĂ© du monopole de production parce que les arbres Ă  caoutchouc plantĂ©s par les Anglais en Malaisie, Ă  Ceylan et en Afrique sub-saharienne, Ă  partir de 1 tonne de graines sorties illĂ©galement d’Amazonie par Sir Henry Alexander Wickham en 1876, se mirent Ă  produire du latex avec une plus grande efficacitĂ© et productivitĂ©. En consĂ©quence, la diminution des coĂ»ts de production se rĂ©percuta sur le prix final, ce qui leur permit de prendre le contrĂŽle du commerce mondial du produit.

Le caoutchouc provenant d’Amazonie vit son prix devenir moins compĂ©titif sur le marchĂ© mondial, se reflĂ©tant dans la stagnation de l’économie rĂ©gionale. La crise du caoutchouc s’aggrava faute de vision entrepreneuriale et gouvernementale qui se reflĂ©ta dans l’absence d’alternatives qui auraient rendu possible le dĂ©veloppement rĂ©gional, ce qui entraĂźna le dĂ©clin des autres villes amazoniennes.

La Malaisie, qui investit dans des techniques d’extraction et des plantations d’arbres Ă  caoutchouc, fut la principale responsable de la perte du monopole du caoutchouc de la rĂ©gion amazonienne.

Outre le chemin de fer Madeira-MamorĂ© et les villes de Porto Velho et GuajarĂĄ-Mirim qui sont l’hĂ©ritage de cet apogĂ©e, la crise Ă©conomique Ă  la fin de la fiĂšvre du caoutchouc, laissa des traces profondes dans toute la rĂ©gion amazonienne : l’écroulement du revenu des États, un taux de chĂŽmage Ă©levĂ©, l’exode rural et urbain, des exploitations et des fermes complĂštement abandonnĂ©es et surtout l’absence totale d’espoir au sein de la population qui dĂ©cida de rester dans la rĂ©gion.

De nombreux travailleurs des zones caoutchoutiĂšres, privĂ©s des revenus de l’extraction, s’établirent dans la banlieue de Manaus et d’autres villes Ă  la recherche de meilleures conditions de vie. LĂ , faute de trouver un endroit pour vivre, ils commencĂšrent Ă  partir de 1920, la construction d’une « ville flottante », que se consolida dans les annĂ©es 1960.

Avant cette crise, le gouvernement central du Brésil, créa, dans le but de contrÎler la crise, une institution appelée « Superintendance de défense du caoutchouc », mais elle se montra inefficace et ne réussit pas résoudre la crise ; elle fut liquidée peu de temps aprÚs sa création.

Dans les annĂ©es 1930, Henry Ford, le pionnier de l’industrie automobile nord-amĂ©ricaine, afin de diversifier ses approvisionnements en matiĂšre premiĂšre, entreprit de planter des arbres Ă  caoutchouc en Amazonie, Ă  l’aide de techniques de culture et de traitements spĂ©ciaux, mais cette initiative baptisĂ©e FordlĂąndia fut un Ă©chec car les plantations furent attaquĂ©es par une maladie fongique qui affecte les feuilles de l'hĂ©vĂ©a.

La seconde fiĂšvre du caoutchouc : 1942-1945

L’Amazonie devait vivre Ă  nouveau l’apogĂ©e du caoutchouc pendant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, cette seconde fiĂšvre ne dura pas longtemps. Du fait que les forces japonaises rĂ©ussirent Ă  dominer militairement le Pacifique-Sud durant les premiers mois de 1942 et qu’ils envahirent la Malaisie, le contrĂŽle des zones caoutchoutiĂšres d’Asie passa entre les mains nipponnes, ce qui entraĂźna la perte par les AlliĂ©s de 97 % de la production de caoutchouc asiatique.

La bataille du caoutchouc

Dans le but de rĂ©soudre le problĂšme du dĂ©faut d’approvisionnement en caoutchouc dont souffraient les forces alliĂ©es, le gouvernement brĂ©silien conclut un accord avec le gouvernement amĂ©ricain (accords de Washington), qui dĂ©clencha une opĂ©ration Ă  grande Ă©chelle d’extraction de latex en Amazonie, connue sous le nom de « bataille du caoutchouc ».

Comme les zones d’extraction Ă©taient abandonnĂ©es, comptant seulement 35 000 travailleurs, le grand dĂ©fi de GetĂșlio Vargas, alors prĂ©sident du BrĂ©sil, consista Ă  augmenter la production annuelle de latex de 18 000 Ă  45 000 tonnes, comme le demandait l’accord conclu avec les AmĂ©ricains. Pour une telle tĂąche, il semblait qu’un effectif de 100 000 hommes serait nĂ©cessaire.

Le recrutement des personnes intĂ©ressĂ©es Ă  travailler dans les zones d’extraction en 1943 fut exĂ©cutĂ© par le « Service spĂ©cial de mobilisation des travailleurs pour l’Amazonie » (SEMTA), sis dans le Nord-Est brĂ©silien dans la ville de Fortaleza, crĂ©Ă© par l’« Estado Novo » d’alors. Le choix du Nord-Est pour le siĂšge se justifiait essentiellement comme rĂ©ponse Ă  une sĂ©cheresse dĂ©vastatrice dans la rĂ©gion et Ă  la crise prĂ©cĂ©dente que les paysans de la rĂ©gion eurent Ă  affronter.

Outre le SEMTA, le gouvernement crĂ©a dans l’intention de soutenir la « bataille du caoutchouc » la « Superintendance pour l’approvisionnement de la vallĂ©e amazonienne » (SAVA), le « Service spĂ©cial de santĂ© publique » (SESP) et le « Service de navigation de l’Amazonie et de l’administration du port de ParĂĄ » (SNAPP). Il crĂ©a Ă©galement une institution appelĂ©e « Banque de crĂ©dit du caoutchouc » transformĂ©e en 1950 en « Banque de crĂ©dit de l’Amazonie ».

L’organisme international Rubber Development Corporation (RDC), financĂ© par des capitaux d'industriels amĂ©ricains, payait les frais de dĂ©placement des migrants (appelĂ©s Ă  cette Ă©poque les brabos). Le gouvernement des États-Unis versait au gouvernement brĂ©silien la somme de cent dollars pour chaque travailleur arrivĂ© en Amazonie.

Des milliers de travailleurs de diverses rĂ©gions du BrĂ©sil rĂ©pondirent Ă  l’appel du prĂ©sident et se lancĂšrent dans l’aventure pour extraire le prĂ©cieux latex. 54 000 travailleurs de la seule rĂ©gion du Nord-Est se rendirent en Amazonie, la majoritĂ© d’entre eux venant de l’État du CearĂĄ. Pour cette raison, les nordestinos reçurent le surnom de « soldats du caoutchouc ».

À nouveau, la rĂ©gion connut la sensation de richesse et prospĂ©ritĂ©. L'argent se remit Ă  circuler Ă  Manaus, Ă  BelĂ©m et dans les villes voisines, renforçant l'Ă©conomie rĂ©gionale.

L’équipement de base

Le moustique, insecte vecteur de la malaria et la fiĂšvre jaune, maladies qui causĂšrent la mort de nombreux travailleurs du caoutchouc.

Chaque travailleur signait un contrat avec le SEMTA qui offrait un petit salaire durant le voyage jusqu’en Amazonie. DĂšs leur arrivĂ©e, ils recevaient une rĂ©munĂ©ration de 60 % de tous les gains obtenus grĂące au caoutchouc.

Le trousseau de base que recevait chaque travailleur Ă  la signature du contrat consistait en :

  • un jeans ;
  • une chemise de calicot blanc ;
  • un chapeau de paille ;
  • une paire d’espadrilles en crin de cheval ;
  • une corbeille ;
  • une assiette ;
  • des couverts ;
  • un hamac ;
  • une cartouche de cigarettes Colomy ;
  • un sac Ă  dos.

AprĂšs avoir Ă©tĂ© recrutĂ©s, les travailleurs Ă©taient logĂ©s dans un bĂątiment construit Ă  cette fin, sous une stricte surveillance militaire pour ĂȘtre ensuite embarquĂ©s Ă  destination de l’Amazonas dans un voyage qui pouvait durer de deux Ă  trois mois.

Un chemin sans retour

Pour beaucoup de travailleurs provenant du Nord-Est et d’autres rĂ©gions du BrĂ©sil, cette aventure Ă©tait un chemin sans retour. Environ 30 000 travailleurs du caoutchouc sont morts abandonnĂ©s en Amazonie aprĂšs avoir Ă©puisĂ© toutes leurs forces Ă  extraire l’« or blanc ». Ils mouraient de malaria, de fiĂšvre jaune, d’hĂ©patite ou agressĂ©s par des animaux tels que jaguars, serpents et scorpions. Le gouvernement brĂ©silien ne tint pas sa promesse de transporter les « soldats du caoutchouc » de retour vers leurs rĂ©gions d’origine Ă  la fin de la guerre ; seulement 6 000 hommes environ rĂ©ussirent Ă  revenir (par leurs propres moyens). Les travailleurs survivants de cette bataille sont reconnus comme des hĂ©ros nationaux dans tout le BrĂ©sil Ă  l’égal des forces brĂ©siliennes qui participĂšrent Ă  la Seconde Guerre mondiale.

La fiĂšvre du caoutchouc au PĂ©rou

En 1885, commença l’époque de l’apogĂ©e du caoutchouc (bien que son exploitation se poursuivait dĂ©jĂ  depuis un certain temps), produit dont l’exportation augmenta annĂ©e aprĂšs annĂ©e jusqu’en 1907, annĂ©e oĂč l’on enregistra 3 029 tonnes mĂ©triques. Cette abondance ne devait plus se rĂ©pĂ©ter. Iquitos connut pendant ces annĂ©es un apogĂ©e et une prospĂ©ritĂ© quelle n’avait jamais eu, abondance qui toucha aussi d’autres villes comme Tarapoto, Moyobamba et Lamas. Les patrons gaspillaient l’argent qu’ils avaient gagnĂ© et construisaient de luxueuses habitations pour lesquelles ils importaient des matĂ©riaux d’Allemagne et d’autres pays d’Europe. La mode europĂ©enne s’imposa et les seringueiros s’habillaient avec les meilleurs tissus et buvaient les plus fines liqueurs. Beaucoup des constructions qui subsistent encore Ă  Iquitos tĂ©moignent de l’éphĂ©mĂšre pĂ©riode d’abondance et de fortunes improvisĂ©es, qui, en fin de compte, s’évanouirent avec la mĂȘme facilitĂ© avec laquelle elles s’étaient formĂ©es, au prix de tant de vies, d’abus et de sacrifices.

La fiĂšvre du caoutchouc au PĂ©rou, est teintĂ©e de sang et de poudre, de gloire et d’abus, l’histoire du caoutchouc dans l’Est du PĂ©rou configura le territoire actuel et ouvrit les yeux de l’administration des gouvernements d’alors, qui donnaient peu ou rien pour ces immenses rĂ©gions vertes. Cette Ă©poque est postĂ©rieure aux expĂ©ditions que conduisirent les conquistadors Ă  trouver le mythique Eldorado ou un PaĂŻtiti qui recĂ©laient d’incalculables trĂ©sors ; elle est Ă©galement postĂ©rieure Ă  l’élan Ă©vangĂ©lisateur des missionnaires qui s’engagĂšrent dans l’Amazonie pour fonder des centres de population et « civiliser » les « sauvages ». L’explorateur qui pĂ©nĂ©tra dans la forĂȘt pour extraire le caoutchouc vers la fin du XIXe siĂšcle le fit avec une imagination libre de citĂ©s utopiques couvertes d’or, et sans s’encombrer d’une Bible pour justifier ses entreprises.

Les seringueiros

Le seringueiro pĂ©ruvien fut non seulement un entrepreneur qui se consacrait Ă  l’extraction du latex, mais aussi l’équivalent d’un mineur de la frontiĂšre amĂ©ricaine, une sorte d'homme de loi dans une terre sans lois et souvent le dĂ©fenseur de la souverainetĂ© et de l’intĂ©gritĂ© territoriale face aux aspirations expansionnistes des voisins brĂ©siliens, colombiens et Ă©quatoriens. En fait, les prĂ©tentions brĂ©siliennes Ă©taient connues, sachant que l’empire du BrĂ©sil d’alors considĂ©rait qu’il ne serait une puissance mondiale que s’il obtenait un accĂšs au Pacifique.

Iquitos, fondĂ©e en 1757, par les JĂ©suites et Ă©rigĂ©e en capitale du dĂ©partement de Loreto par le marĂ©chal pĂ©ruvien RamĂłn Castilla y Marquezado en 1864, fut le centre caoutchoutier de la forĂȘt pĂ©ruvienne et le premier port fluvial sur le rio Amazonas pĂ©ruvien. De lĂ , une route commerciale reliait Manaus, au BrĂ©sil. À partir de 1880, Ă  l’apogĂ©e du caoutchouc, la ville commença son expansion. Elle comptait des colonies portugaises, espagnoles, juives (dont Isaac Edery Fimat), chinoises, et avait neuf consulats Ă  cette Ă©poque. Iquitos jouit d’annĂ©es dorĂ©es au cours desquelles la richesse qu’apportait l’« or blanc » laissa des marques de splendeur dans les demeures et Ă©difices de style morisque, comme la Casa de Fierro, dessinĂ©e par l’ingĂ©nieur Gustave Eiffel.

La demande du caoutchouc Ă  la fin du XIXe siĂšcle dĂ©clencha une sorte de « fiĂšvre du caoutchouc », semblable Ă  celle de l’or quelques dĂ©cennies auparavant aux États-Unis et au Canada. Colombiens, Équatoriens, et surtout BrĂ©siliens, s’installĂšrent dans les confins amazoniens inconnus et se partagĂšrent un territoire sans prĂ©sence Ă©tatique.

Au dĂ©but de cette Ă©tape, en 1886, le prĂ©fet JosĂ© Reyes Guerra, originaire de Moyobamba, rĂ©digea un rapport que prĂ©figurait le sombre avenir de l’exploitation de cette ressource :

« ...les grands bĂ©nĂ©fices qu’apportera le caoutchouc se verront assombris par d’importantes dĂ©convenues Ă  moins que l’État prenne des mesures... »

— Rapport du prĂ©fet JosĂ© Reyes Guerra au gouvernement pĂ©ruvien, #GGC11C

À une Ă©poque, les principales maisons exportatrices Ă©taient celles de Julio C. Arana, Luis Felipe Morey et Cecilio HernĂĄndez, bien qu’il y eut de nombreux seringueiros mineurs non moins importants. Arana fut le plus grand propriĂ©taire de domaines caoutchoutiers et de colonies du Putumayo, la Casa Arana se transforma en Peruvian Amazon Company avec siĂšge Ă  Londres et actions cotĂ©es en bourse. En 1909, elle dĂ©logea les seringueiros colombiens et prit le contrĂŽle non seulement du territoire compris entre le rĂ­o CaquetĂĄ et le rĂ­o Putumayo (anciennes limites du PĂ©rou), mais aussi de la main d’Ɠuvre indigĂšne de toute la rĂ©gion.

Sous le mandat prĂ©fectoral de Pedro Portillo (1901-1904), sont votĂ©es des lois qui grevĂšrent les importations et tentĂšrent de donner une meilleure distribution aux impĂŽts dĂ©rivĂ©s de l’exportation de la gomme, en fonction de sa qualitĂ©. RestĂšrent libres d’impĂŽts des produits tels que le beurre, le sucre et la farine, ainsi que certains Ă©quipements et machines agricoles. Ainsi, la brillante douane d’Iquitos augmenta notablement ses recettes et Loreto se hissa Ă©conomiquement au niveau du reste du pays.

Dans un certain sens, le seringueiro fut un conquistador moderne, un explorateur qui - sans Bible ni Eldorado ni PaĂŻtiti - gouverna une terre indomptĂ©e, dĂ©couvrit en elle un inconnu attirant et la transforma en une rĂ©gion attrayante qui offre encore de nos jours d’infinies possibilitĂ©s et richesses sous diverses formes.

Force de travail

La place d’Armes de Puerto Maldonado.

Les Indiens indigĂšnes de l’Amazonie Ă©taient divisĂ©s - selon l’ethnocentrisme du colon - en deux groupes : les baptisĂ©s ou « civilisĂ©s » et les « sauvages ». Ils Ă©taient recrutĂ©s de force (c'est-Ă -dire chassĂ©s dans les profondeurs de la forĂȘt) et obligĂ©s de livrer un certain nombre d’arrobes de gomme par mois sous peine de tortures, mutilations, meurtres. En vertu de telles considĂ©rations, dans certains cas les seringueiros arrachĂšrent Ă  leurs terres les indigĂšnes les plus soumis et les transfĂ©rĂšrent dans leurs colonies de production.

Le systĂšme de contrĂŽle de la main d’Ɠuvre Ă©tait cruel et injuste : le patron soumettait les indigĂšnes et les obligeait Ă  travailler dans des conditions d’esclavage. Dans chaque baraque de travail, il y avait un contremaĂźtre et, sous ses ordres, un groupe d’hommes armĂ©s qui maintenaient l’ordre dans la baraque et poursuivaient, chĂątiaient ou neutralisaient toute tentative de rĂ©bellion ou d’évasion. Dans ces « armĂ©es », existait une figure particuliĂšre, celle des « muchachos », jeunes indigĂšnes Ă©levĂ©s par les patrons qui exerçaient un rĂŽle trĂšs important de contrĂŽle, vu qu’ils Ă©taient armĂ©s et maĂźtrisaient les langues et usages des indigĂšnes.

Un autre aspect de l’époque du caoutchouc fut le dĂ©placement des indigĂšnes, extraits de leurs terres et conduits Ă  cohabiter avec d’autres ethnies, parfois rivales entre elles. Dans le seul bassin du Putumayo, durant la premiĂšre dĂ©cennie du XXe siĂšcle, sont morts 40 000 AmĂ©rindiens sur les 50 000 qui y vivaient auparavant.

Migration interne et colonisation

Cependant, l’exploitation du caoutchouc entraĂźna une autre consĂ©quence insoupçonnĂ©e jusqu’alors : la migration interne et la colonisation de diffĂ©rentes zones de montagne dans lesquelles peu s’étaient aventurĂ©e avant. Avec l’extraction de la gomme, il fut nĂ©cessaire de crĂ©er des zones agricoles pour approvisionner les Ă©tablissements. Le gouvernement, favorisa cette migration et pourvut en partie aux frais de transport, de manutention et de semences pour ceux qui se trouvĂšrent dans les zones concernĂ©es. Les PĂ©ruviens furent plus nombreux que les immigrants Ă©trangers, et provenaient principalement de Rioja, Chachapoyas, Moyobamba, Tarapoto et Cajamarca.

Personnalités liées au caoutchouc

Julio CĂ©sar Arana del Águila (1864-1952), originaire de Rioja, dans le Nord-Est et Carlos FermĂ­n Fitzcarrald (1862-1897), originaire de San Luis, dans le Centre, furent de grands entrepreneurs de l’exploitation du caoutchouc et, Ă  cette fin, de terribles chasseurs, esclavagistes, tortionnaires et meurtriers pour les populations indigĂšnes. Les lois n’étaient pas rigoureuses et permettaient l’entrĂ©e de seringueiros boliviens et brĂ©siliens dans le dĂ©partement de Madre de Dios au PĂ©rou. Les Boliviens, par exemple, pĂ©nĂ©traient entre le rĂ­o Beni et le rĂ­o MamorĂ©, mais en pĂ©riode de moindre inondation ils arrivaient jusqu’au rĂ­o Madre de Dios. Jusqu’en 1880, un seringueiro influent Ă©tait le Bolivien NicolĂĄs SuĂĄrez, associĂ© un moment Ă  Fitzcarrald, qui possĂ©da jusqu’à 16 millions d’acres et 10 000 ouvriers entre 1880 et 1910.

Dans le Sud-Est pĂ©ruvien, les grandes boules de caoutchouc se transportaient par voie fluviale et ensuite par voie de terre jusqu’au tronçon ferroviaire de SandĂ­a dans le Puno, suivant un chemin muletier qui allait jusqu’à Marcapata. De Tirapa au Tambopata et de SandĂ­a Ă  Marcapata, il y eut un trafic dense de produits liĂ©s Ă  l’activitĂ© caoutchoutiĂšre.

Fitzcarrald voulut innover dans l’extraction du caoutchouc en se servant des varaderos et raccourcis en ligne droite. Cela nĂ©cessitait de prendre depuis le rĂ­o Ucayali jusqu’au rĂ­o Manu, affluent du Madre de Dios, un petit bateau Ă  vapeur. Entre le rĂ­o SerjalĂ­ (affluent du rĂ­o Misahua) et le rĂ­o Cashpajali (affluent du Manu), il existait des collines argileuses. La petite embarcation Contamana fut dĂ©sarmĂ©e par Fitzcarrald pour la mettre sur le Cashpajali, dont elle suivit le courant vers l’aval jusqu’au Madre de Dios. Ce fut le premier bateau Ă  vapeur Ă  circuler sur le bassin. Plus tard le Bolivien SuĂĄrez racheta la Contamana.

Fitzcarrald, qui donna une impulsion Ă  la bourgade fluviale de Puerto Maldonado jusqu’à en faire une agglomĂ©ration prospĂšre, est mort en 1897 alors qu’il explorait le Ucayali.

À partir du , avec la Junta de VĂ­as Fluviales pour le sud de l’Amazonie pĂ©ruvienne et le Commissariat du Madre de Dios et Acre, commença le recensement des seringueiros et la concession lĂ©gitime de peuplements d’arbres Ă  caoutchouc.

Caoutchouc et noix du Brésil

L’activitĂ© caoutchoutiĂšre prit une autre tournure avec l’arrivĂ©e de grands capitaux amĂ©ricains et anglais. La sociĂ©tĂ© Inca Rubber Company, de propriĂ©tĂ© amĂ©ricaine, choisit le port de Mollendo pour ses exportations Ă  partir de 1906. AprĂšs un parcours fluvial sur le rĂ­o Tambopata, la voie de sortie du caoutchouc Ă©tait le chemin de Tirapata et ensuite le chemin de fer d’Arequipa Ă  Mollendo. Les grandes entreprises acheteuses imposaient leurs prix et faisaient des distinctions entre les diverses qualitĂ©s de gomme. Rapidement l’activitĂ© extractive perdit le cĂŽtĂ© aventureux et d’enrichissement rapide qu’elle avait autrefois. Au dĂ©but de la PremiĂšre Guerre mondiale, se manifesta l’intĂ©rĂȘt des pays europĂ©ens pour l’achat massif de produits alimentaires de facile conservation. La rĂ©gion de Madre de Dios fut un grand fournisseur de noix du BrĂ©sil qui Ă©taient rĂ©putĂ©es sur le marchĂ© international. Jusqu’en 1914, Manaus, sur le Rio Negro, au BrĂ©sil, fut le principal port de sortie des noix du BrĂ©sil de Madre de Dios, via le chemin de fer Madeira-MamorĂ©.

Isthme de Fitzcarrald

La découverte de grands peuplements d'arbres à caoutchouc et de jebe dans le territoire de l'actuelle région de Madre de Dios, au Pérou, en particulier entre les ríos Manu et Tahuamanu, Las Piedras et Los Amigos, focalisa l'attention des seringueiros sur cette zone. Les voyages d'exploration se succédÚrent, dont ceux du colonel Faustino Maldonado, qui mourut étouffé en 1861, et le préfet du Cusco, Baltasar de la Torre, également mort tragiquement en 1873, au cours d'une expédition sur le río Madre de Dios.

L'accÚs à la région était, cependant, difficile, et plus encore le transport des produits vers les marchés européens. Le chemin jusqu'au Cusco ou vers Arequipa était excessivement long et personne n'avait encore découvert l'itinéraire par le río Madre de Dios jusqu'au Madeira et au río Negro, pour atteindre le port de Manaus et de là l'océan Atlantique en descendant le fleuve Amazone.

La base des seringueiros pĂ©ruviens se trouvait Ă  Iquitos, il Ă©tait de fait de la plus haute importance d'Ă©tablir une liaison praticable qui fasse communiquer les dĂ©partements de Loreto et de Madre de Dios. Une partie de ce trajet pouvait se faire par voie fluviale, en entrant par l'Ucayali jusqu'Ă  sa naissance Ă  la confluence du rĂ­o Tambo et du rĂ­o Urubamba. À partir de lĂ , toutefois, l'itinĂ©raire devenait plus problĂ©matique, aucun passage de certains affluents de l'Urubamba, Ă  des affluents du PurĂșs ou du Madre de Dios n'avait Ă©tĂ© dĂ©couvert, et la route n'Ă©tait pas viable Ă  l'Ă©poque.

Dans ces circonstances, Carlos FermĂ­n Fitzcarrald, le plus important seringueiro pĂ©ruvien, entreprit la recherche du passage (varadero) qui servirait de communication entre ces deux bassins. Son projet Ă©tait d'unifier ce vaste et riche secteur de la forĂȘt, exposĂ© aux incursions de seringueiros boliviens et brĂ©siliens - qui envisagĂšrent mĂȘme le projet de crĂ©er une RĂ©publique de l'Acre -, avec la partie nord, dĂ©jĂ  intensĂ©ment parcourue par des commerçants et voyageurs pĂ©ruviens.

Le varadero est le chemin terrestre qui relie deux riviĂšres dont les cours sont parallĂšles, ou deux points d'une mĂȘme riviĂšre dont le cours prend la forme d'un « U ». Le varadero se trouve, bien sĂ»r, en cherchant le tronçon le plus court entre les cours d'eau et est un moyen plus pratique, qui faisait Ă©conomiser de nombreuses heures de transport. Si le varadero est court, l'homme de la forĂȘt transporte son canoĂ« avec lui, sinon, il transborde le chargement. Son importance fut grande pendant ladite Ă©poque du caoutchouc, durant laquelle ils furent intensĂ©ment utilisĂ©s.

Fitzcarrald se lança Ă  la recherche de l'isthme tant dĂ©sirĂ© en 1891. Outre l'intĂ©rĂȘt de relier Iquitos, il avait pour objectif d'Ă©tablir de meilleures relations commerciales avec les entrepreneurs brĂ©siliens et Ă©ventuellement d'exporter par ce territoire, sans avoir Ă  passer sous le contrĂŽle d'Iquitos, le caoutchouc qu'il extrayait de l'Ucayali et celui qu'il pourrait extraire du Madre de Dios. En tous cas, il est certain que Fitzcarrald mobilisa des centaines d'indigĂšnes pour localiser le varadero, dont il avait eu de vagues informations transmises par des indigĂšnes piros et campas. À propos de ces derniers, selon l'avis de Fitzcarrald, pendant les plus de dix annĂ©es au cours desquelles il se perdit dans la forĂȘt, il aurait rĂ©sidĂ© parmi eux et rĂ©alisĂ© de grandes prĂ©dications.

La recherche de Fitzcarrald, est marquĂ©e par la dĂ©mesure et la soudainetĂ©. Soudaine et dĂ©mesurĂ©e fut sa richesse, et la maison qu'il fit construire, en 1892, au confluent de l'Ucayali et du Mishagua a aussi ces caractĂ©ristiques. Cette demeure, destinĂ©e Ă  ĂȘtre son centre d'exploitations, avait trois Ă©tages et vingt-cinq piĂšces et fut construite en bois de cĂšdre. Des jardiniers chinois Ă©taient chargĂ©s du jardin. Elle possĂ©dait un magasin dans lequel une grande variĂ©tĂ© de marchandises Ă©tait disponible et prĂšs d'elles s'agglutinĂšrent d'autres maisons de seringueiros jusqu'Ă  former une petite agglomĂ©ration.

De Mishagua, Fitzcarrald partit vers Urubamba. En aoĂ»t 1893, et prenant la tĂȘte d'une flottille de canoĂ«s montĂ©s par des centaines d'Indiens, il entra dans le rĂ­o Camisea et Ă  un certain point gravit une petite Ă©lĂ©vation et atteignit une autre riviĂšre. Il fit construire un radeau et parvint jusqu'au Manu, qu'il crut identifier comme un affluent du PurĂșs, alors qu'il l'Ă©tait du Madre de Dios. À son retour, il emprunta un autre itinĂ©raire plus court et parcourut le varadero connu aujourd'hui sous le nom d'isthme de Fitzcarrald, soit les onze kilomĂštres environ qui sĂ©parent le Serjali, affluent du Mishagua, du Caspajali affluent du Manu.

Conséquences

Dans les annĂ©es qui ont suivi la « fiĂšvre du caoutchouc », s’amorça un dĂ©clin de la production du caoutchouc, tant en quantitĂ© qu’en valeur, Ă  cause de la forte concurrence des colonies anglaises et nĂ©erlandaises d’Asie. En effet, le caoutchouc avait Ă©tĂ© acclimatĂ© avec succĂšs dans ces colonies asiatiques, oĂč il Ă©tait cultivĂ© dans des plantations qui, en outre, disposaient en propre de routes, de chemins de fer et d’une main d’Ɠuvre bon marchĂ©.

À la fin de cette Ă©tape mouvementĂ©e de l’histoire du PĂ©rou et face Ă  l’incapacitĂ© de l’appareil Ă©tatique de contrĂŽler la situation des seringueiros et des indigĂšnes et les incursions des milices Ă©trangĂšres dans le territoire national, le Gouvernement fut conduit Ă  cĂ©der peu Ă  peu de vastes Ă©tendues, Ă©vitant ainsi d’engager des conflits belliqueux qui auraient eu des rĂ©sultats dĂ©sastreux pour le PĂ©rou. Ainsi, le BrĂ©sil obtint prĂšs de 170 000 km2 en vertu du traitĂ© Velarde-Rio Branco ; la Bolivie, plus de 90 000 km2 par le traitĂ© Polo-Bustamante, la Colombie obtenait en 1928, par le TraitĂ© SalomĂłn-Lozano (restĂ© secret pendant cinq ans jusqu’à sa ratification), un accĂšs souverain Ă  l’Amazone et le territoire connu sous le nom de TrapĂšze amazonien compris entre les rĂ­os CaquetĂĄ et Putumayo, qui au total couvre 114 000 km2.

Références

    Voir aussi

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