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Venise maritime

Venise maritime, en latin Venetia maritima, en grec BΔΜΔτÎčÎșᜰ / VenetikĂ , ou Venise byzantine est un territoire de l’Italie byzantine situĂ© au nord de l’exarchat de Ravenne et correspondant Ă  la zone cĂŽtiĂšre de l’antique rĂ©gion VĂ©nĂšte, c’est-Ă -dire aux cĂŽtes des actuels VĂ©nĂ©tie et Frioul-VĂ©nĂ©tie Julienne[1], distincte de l’intĂ©rieur des terres de la VĂ©nĂ©tie euganĂ©enne passĂ©e Ă  la fin du VIe siĂšcle sous le contrĂŽle des Lombards.

En rose la Venise maritime.
Le lion de Saint-Marc.

Origine

Le territoire concernĂ© Ă©tait une vaste zone lagunaire et deltaĂŻque des possessions de l’Empire romain d'Orient en Italie, caractĂ©risĂ© par des Ă©tablissements Ă©pars, sans centres urbains de rĂ©fĂ©rence. Les conditions gĂ©ographiques (omniprĂ©sence de l’eau, inondations du PĂŽ, marĂ©es adriatiques
) favorisĂšrent de nouveaux modĂšles sociaux et Ă©conomiques qui se dĂ©veloppĂšrent Ă  partir des activitĂ©s traditionnelles lagunaires de l’époque romaine, comme la pĂȘche, l’exploitation des cannes, le travail du verre et l’extraction du sel. Fuyant les invasions barbares, la population romanisĂ©e locale a choisi ces milieux paraliques comme refuges, car avec un mĂštre en moyenne de profondeur, et un labyrinthe de canaux changeants (velme), de vasiĂšres (piane), de lais naturels (barene) et de sansouires (palude), la lagune de VĂ©nĂ©tie offrait une excellente protection contre les envahisseurs Ă  la fois terrestres qui s’y envasaient, et maritimes qui s’y Ă©chouaient : seuls des bateaux Ă  fond plat pouvaient y accĂ©der Ă  condition que le pilote connaisse bien la topographie des lieux. LĂ , cette population romane a notablement dĂ©veloppĂ© le commerce, grĂące aux exemptions fiscales dont profitait l’Italie byzantine. Mais la distance jusqu’à Constantinople et les controverses politiques du systĂšme dit des « Trois Chapitres Â» causeront l’apparition de deux factions en lutte entre elles, s’appuyant Ă  tour de rĂŽle tantĂŽt sur les Lombards, tantĂŽt sur les Romains d’Orient (« Byzantins Â»), jusqu’à ce que la forte autonomie concĂ©dĂ©e par les empereurs byzantins soit officialisĂ©e par la constitution, entre la fin du VIIe siĂšcle et le dĂ©but du VIIIe siĂšcle, du Ducatus Venetiae (duchĂ© de Venise).

Territoire et implantations

Antiques colonnes du sanctuaire d’art palĂ©ochrĂ©tien de la Madonna di Barbana, Ă  Grado, VIe siĂšcle.

La Venise maritime est crĂ©Ă©e Ă  la suite de l’occupation par les Lombards d’une bonne partie de l’actuelle VĂ©nĂ©tie et de la progressive migration des populations romanes vers de nouvelles implantations cĂŽtiĂšres, Ă  l’abri des lagunes oĂč la flotte impĂ©riale (classis adriatica) les protĂ©geait. Ces populations qui Ă©migrĂšrent de la VĂ©nĂ©tie continentale, pour Ă©difier de nouveaux centres sur les Ăźles de la cĂŽte Adriatique, n’abandonnĂšrent point leur rĂ©gion d’origine, pensant pouvoir y revenir un jour.

La zone sujette Ă  l’administration romaine d’Orient s’étendait entre les lagunes de Venise, de Merano et de Grado, une partie de l’actuelle cĂŽte du Frioul, Chioggia et, pour une brĂšve pĂ©riode, une partie de l’arriĂšre-pays vĂ©nĂšte entre les fleuves Adige et Brenta[2].

À partir du Nord on y trouvait[3]:

  • Grado, siĂšge patriarcal (Patriarchatus Gradensis), qui sous l’autoritĂ© de la mĂ©tropole, jouit d’une ample autonomie ;
  • Marano ;
  • Bibione ;
  • Clodia Concordia, citĂ© romane sur les bords de la lagune, rapidement dĂ©truite par la conquĂȘte lombarde ;
  • Caprola, citĂ© devenue siĂšge de l’évĂȘque et de ses gens depuis 606[4] ;
  • Opitergio, antique citĂ© romane, principal centre administratif de la province jusqu’à la conquĂȘte lombarde[5] ;
  • Melidissa aussi appelĂ©e Heracleia, port lagunaire d’Opitergio, dont l’importance grandit Ă  mesure qu’Opitergio dĂ©cline, et qui finit par devenir capitale et nouveau siĂšge du diocĂšse Ă  sa place[6] ;
  • Equilio, rivale de l’HĂ©raclia voisine, et qui profite aussi du dĂ©clin d’Opitergio ;
  • Altino, citĂ© romaine dĂ©truite par l’invasion lombarde ;
  • Torcello, principal centre commercial des lagunes, point stratĂ©gique au centre de la zone lagunaire formĂ©e par les fleuves Piave, Sile, Dese et Zero, et qui reçoit les rĂ©fugiĂ©s d’Altino[7] ;
  • Treporti, port Ă  l’entrĂ©e du systĂšme lagunaire de Torcello ;
  • Ammiana, centre urbain satellite de Torcello ;
  • Costanziaco, autre satellite de Torcello ;
  • Maiurbum, satellite de Torcello dont le nom dĂ©rive de vicus Maioribus, village de pĂȘcheurs qui se livre aussi Ă  l’horticulture[8] ;
  • Burano, ville au sud de Torcello, fondĂ©e sur un groupe d’üles (barene) peuplĂ©es par des rĂ©fugiĂ©s de l’arriĂšre-pays, principalement d’un quartier de Altino, le vicus Boreanum[9].
  • Mureana, autre centre issu de la chute d'Altino et oĂč se concentra la majeure partie des activitĂ©s industrielles liĂ©es au travail du verre[10];
  • Rivo Alto, premier centre de la future Venise, dĂ©veloppĂ© le long du profond canal (velma) creusĂ© par le courant de la Brenta Ă  travers la lagune ;
  • Olivolo, centre issu du groupe d’ülots occupĂ© par le siĂšge Ă©piscopal de Rivoalto ;
  • Malamocco, citĂ© stratĂ©gique sur un des lidos (cordons littoraux) le plus Ă©loignĂ©s de l’arriĂšre-pays lombard, devint capitale de la Venetia maritima Ă  la crĂ©ation du DuchĂ© de Venise ;
  • Popilia, centre proche de Malamocco, Ă  l’intĂ©rieur de la lagune ;
  • Vigilia, petit centre Ă  l’intĂ©rieur de la lagune ;
  • Albiola, port au sud de Malamocco ;
  • Chioggia Minore, port de Chioggia Maggiore, Ă  l’extrĂȘme sud de la lagune[11];
  • Chioggia Maggiore, dĂ©jĂ  citĂ© romaine sous les noms de Claudia, Clusia, Cluia, Cluzia et Clugia major, Ă©tait le principal centre de la partie mĂ©ridionale de la province, le plus ancien centre habitĂ© de la lagune et le principal port avant l'Ă©rection de Venise ;
  • Brondolo, port de Chioggia, antique Mansio prĂšs de la via Popilia, nƓud d’échange entre les communications maritimes, lagunaires et terrestres[12].

Histoire

La reconquĂȘte romaine

Justinien Ier et sa cour : mosaĂŻque de la basilique San Vitale de Ravenne.

En 554 s'achĂšve la guerre contre les Ostrogoths, par laquelle l'empereur Justinien Ier reconquiert la pĂ©ninsule italienne, la Dalmatie et la Sicile ; avec ses conquĂȘtes ultĂ©rieures de l’actuelle Tunisie, de la Sardaigne, de la Corse et des BalĂ©ares prises aux Vandales en 533-534, et de l’Espagne du Sud prise aux Visigoths en 554, une partie des territoires de l’ex-Empire romain d'Occident retrouvent la domination romaine (d'Orient)[13]. À partir de ce moment et jusqu’en 584, tous ces territoires de langues romanes et de tradition latine sous contrĂŽle de l'Empire romain d'Orient sont rĂ©organisĂ©s : l'antique prĂ©fecture du prĂ©toire qui siĂ©geait Ă  Ravenne, fut confiĂ©e au gĂ©nĂ©ral byzantin NarsĂšs[14] ; la VĂ©nĂ©tie-et-Istrie constituent une nouvelle province romaine[15], jusqu’à fin 754, lorsque la VĂ©nĂ©tie lagunaire est sĂ©parĂ©e de l'Istrie qui elle, fut incluse dans le thĂšme de Dalmatie[16].

En 554, des zones du nord de la VĂ©nĂ©tie Ă©taient encore aux mains des Goths et des Francs ; en quelques jours de l’an 559, NarsĂšs rĂ©ussit Ă  les chasser de ces territoires[15] : la conquĂȘte fut complĂšte en 561-562 avec la reddition de VĂ©rone et Brescia. Trente ans plus tard, la prĂ©fecture d'Italie devint, par une nouvelle rĂ©forme, l’Exarchat de Ravenne dirigĂ© par un fonctionnaire nommĂ© par l’empereur romain d'Orient, avec pleins pouvoirs civils et militaires[17].

La crue de Paul Diacre

À l’époque, durant l’AntiquitĂ© tardive, le systĂšme lagunaire Ă©tait diffĂ©rent et beaucoup plus Ă©tendu que l’actuel, constituĂ© par un complexe ininterrompu entre les deltas du PĂŽ au sud, et de l'Isonzo au nord, d'oĂč le nom de « VĂ©nĂ©tie maritime ». Il est aujourd’hui fragmentĂ© entre les lagunes de Comacchio, de Venise, de Caorle, de Marano et de Grado. Ce vaste systĂšme servait de voie de navigation interne, parallĂšle aux antiques routes romaines de la terre ferme, et protĂ©geait les citĂ©s cĂŽtiĂšres bĂąties sur les Ăźles (barene) et des cordons littoraux (lidos). Ce systĂšme lagunaire fut chamboulĂ© Ă  la fin du VIe siĂšcle par les grandes crues du , dues Ă  la « rupture de la Cucca » ou « crue de Paul Diacre »[18], dont l’intensitĂ© provoqua la modification du cours des fleuves et la progressive sĂ©paration des diverses lagunes[19].

Assassinat en 572 Ă  VĂ©rone du roi de Lombardie AlboĂŻn par son Ă©pouse Rosmunda.

L'invasion lombarde

Carte de l’exarchat d'Italie en 572, sous l’empereur byzantin Justin II, aprùs l’invasion des Lombards.

En 568, profitant de la faiblesse de l’Italie byzantine septentrionale, encore exsangue aprĂšs la guerre gothique et la peste « justinienne », le peuple germanique des Lombards, venant de Pannonie, traversa l'Isonzo, dĂ©truisit le castrum romain de Forum Iulii, occupa la citĂ© et envahit la vallĂ©e du PĂŽ et la zone la plus orientale de la VĂ©nĂ©tie[20], puis AquilĂ©e et TrĂ©vise, en accord avec l’Église locale, et plus tard VĂ©rone, Vicence, Milan, Pavie et enfin Julia Concordia[21]. En outre, les Lombards pillĂšrent l’Italie centrale et nord-occidentale. En 572, ils firent de Pavie la capitale du nouveau Regnum Langobardorum[22].

À la suite de l’invasion lombarde, ne restĂšrent sous le contrĂŽle romain d'Orient que Padoue, Oderzo, Monselice et CrĂ©mone, ainsi que la citĂ© cĂŽtiĂšre[23]. Le patriarche d’AquilĂ©e, Paul, se rĂ©fugia dans la lagune, Ă  Grado. Les citoyens de Julia Concordia devenue lombarde en firent autant et fondĂšrent Caorle.

La résistance des Romains

L'éparchie Annonaria constituée par l'empereur byzantin TibÚre II Constantin.
Le thÚme de Venetikà créé aprÚs la réforme de l'empereur Maurice.

Avec la mort de Justinien Ier la situation politique en Italie romaine fut instable : l'Empire Ă©tait assiĂ©gĂ© Ă  l’Est par les Perses, les Avars et les Slaves, et dans la pĂ©ninsule italienne par les Lombards. La derniĂšre tentative de reconquĂȘte de la pĂ©ninsule, sans succĂšs final, fut tentĂ©e en 576 par le gĂ©nĂ©ral curopalatin Baduaire, sous la rĂ©gence de TibĂšre II Constantin, avec l'aide financiĂšre et civile des citĂ©s italiennes, ce qui fait que l’armĂ©e romaine d'Italie se composa de lĂ©gionnaires propriĂ©taires terriens, appelĂ©s milites limitanei (« soldats de frontiĂšre »), aux ordres de l'exarchat de Ravenne[24].

Cette rĂ©forme concerna aussi la lagune de Venise, qui, liĂ©e plus Ă  une Ă©conomie maritime et lagunaire qu’à celle de la terre ferme, y gagna une forte autonomie, tant dans l’administration du systĂšme des taxes, que dans la constitution de l’organisation civile. En 580, TibĂšre II Constantin supprima la province de Venetia en constituant l'Ă©parchie Annonaria, avec Ravenne, l'Émilie et la basse plaine du PĂŽ lombarde, mais en 584, l'empereur Maurice la restructura en thĂšme sous le nom de VenetikĂ [25].

Le schisme du VIe siĂšcle et la naissance du Patriarcat d’AquilĂ©e-Grado

Icone de l’évangĂ©liste San Marco, premier Ă©vĂȘque d’AquilĂ©e.

L’archidiocĂšse d’AquilĂ©e Ă©tait, avec celui de Milan, une des Églises italiennes qui n’avaient pas acceptĂ© la condamnation des Ă©crits de ThĂ©odore de Mopsueste, ThĂ©odoret de Cyr et d'Ibas d'Édesse dĂ©crĂ©tĂ©e par Justinien et imposĂ©e de force par ces derniers au pape Vigile. Les Ă©glises orthodoxes de l’Italie du Nord, ainsi que la papautĂ©, avaient vu cela comme un abus politique imposant des idĂ©es monophysites venues d'ArmĂ©nie et de Syrie, de sorte que les divergences se transformĂšrent en vĂ©ritable schisme. Le patriarche Paul I d’AquilĂ©e, fort du rang apostolique de son siĂšge, issu au Ier siĂšcle, de l’évangĂ©lisation par saint Marc et ses disciples, prit parti pour l'orthodoxie et la papautĂ©.

En 579, le pape PĂ©lage II reconnut au patriarche Élie, successeur de Paul, l’administration de la province ecclĂ©siastique de VĂ©nĂ©tie et d'Istrie. Rome et Ravenne, sous le contrĂŽle politique de l’empereur, interpellĂšrent directement les protagonistes du schisme. Leur tentative de conciliation ayant Ă©chouĂ©, en 587, l'exarque Smaragde de Ravenne passa aux voies de fait en capturant SĂ©vĂšre, nouveau patriarche d’AquilĂ©e, et l’emprisonna pour un an, le contraignant lui et les Ă©vĂȘques d’Istrie, Ă  abjurer l'orthodoxie pour se plier aux volontĂ©s impĂ©riales[26]. Mais les Ă©vĂȘques, une fois libĂ©rĂ©s, Ă©taient revenus Ă  leurs convictions trinitaires, renforcĂ©e par les consĂ©quences de l’occupation lombarde qui avait fortement affaibli le pouvoir impĂ©rial : en 590, l'Ă©vĂȘque SĂ©vĂšre rĂ©unit un synode Ă  Marano Lagunare, oĂč il dĂ©clara solennellement que l'acte d’abjuration lui avait Ă©tĂ© extorquĂ© par la force[27].

Le pouvoir lombard, chrĂ©tien arien, profita du schisme pour tenter d'affaiblir le pouvoir romain en s'opposant Ă  l’Église orthodoxe d'Italie et en s'emparant d'AquilĂ©e, tandis que les citĂ©s de la VĂ©nĂ©tie maritime, sous autoritĂ© impĂ©riale, glissĂšrent progressivement vers une position plus neutre dans la querelle.

La perte de la terre ferme

Burano et la lagune.
Les domaines byzantins au dĂ©but du VIIe siĂšcle, aprĂšs la campagne de conquĂȘte conduite par le roi des Lombards Agilulf.

En 589, Ă  la suite de la « rupture de la Cucca », les inondations bouleversĂšrent le territoire entier et y laissĂšrent de volumineuses masses de sĂ©diments, modifiant le cours des principaux fleuves (Adige, Mincio, Brenta, Sile et Piave) et envasant des citĂ©s au bord de la lagune, dont Melidissa qui se trouva raccordĂ©e Ă  la terre ferme[28]. L'annĂ©e suivante[29], les Francs et les italo-byzantins s'alliĂšrent contre le roi lombard Authari, mais juste au moment oĂč celui-ci Ă©taient sur le point de capituler, les Francs abandonnĂšrent la partie et retournĂšrent en Francie. En 591, Agilulf, successeur d'Authari, conclut une paix sĂ©parĂ©e avec le roi franc Childebert, et les Italo-byzantins durent renincer Ă  leur plan de reconquĂȘte de la pĂ©ninsule. En VĂ©nĂ©tie, seul Altinum rĂ©intĂ©gra l’exarchat[30]. DĂšs cet instant, les Lombards, avec le soutien des Avars et des Slaves, commencĂšrent une sĂ©rie de raids en Istrie puis le long des confins vĂ©nĂštes : en 610, Agilulf conquit Padoue et Monselice, causant une seconde vague migratoire d'Italo-byzantins vers les citĂ©s lagunaires de Brondolo, Clodia, Popilia, Metamauco et Spinalonga. En VĂ©nĂ©tie, toujours plus isolĂ©e du reste du territoire italo-byzantin, la population augmenta fortement dans les zones lagunaires, induisant un nouveau dĂ©veloppement urbain et un renforçant les citĂ©s dĂ©jĂ  existantes. Quand le royaume lombard fut hĂ©ritĂ© par Rothari, les attaques contre les territoires italo-byzantins s’intensifiĂšrent et, en VĂ©nĂ©tie, s’étendirent jusqu’au moindre lambeau de terre ferme, ne laissant Ă  l'Empire romain d'Orient que les Ăźles lagunaires[31].

MosaĂŻque de la Vierge Odigitria Ă  l’intĂ©rieur de la cathĂ©drale de Santa Maria Assunta de Torcello.

L'expansion lombarde, arienne, exacerba les tensions Ă  l'intĂ©rieur des Églises aquilĂ©ennes : en 606, quand les Églises sous autoritĂ© italo-byzantine nommĂšrent mĂ©tropolite le patriarche Candinien, les Églises des territoires lombards leur opposĂšrent Jean Ier d'AquilĂ©e, qui pour sa part condamna le mĂ©tropolite de Grado et se rĂ©installa Ă  AquilĂ©e, sous la protection de Gisulf II du Frioul. Cet Ă©pisode provoqua la scission du patriarcat en deux siĂšges rivaux d’AquilĂ©e et de Grado, chacun revendiquant l’exclusive lĂ©gitimitĂ©. L’Istrie et les lagunes, fidĂšles Ă  l’Empire, finirent par se sĂ©parer du reste de la VĂ©nĂ©tie et du Frioul qui Ă©chappĂšrent des lors Ă  l'autoritĂ© impĂ©riale[32].

Vers l’annĂ©e 616, sous le pontificat du pape AdĂ©odat Ier, la citĂ© de Concordia tomba Ă©galement dans les mains lombardes : l’évĂȘque du lieu et la population se rĂ©fugiĂšrent Ă  Caorle, oĂč le premier installa son nouvel Ă©vĂȘchĂ©[33]. Les seules citĂ©s de la terre ferme Ă  rĂ©sister encore aux Lombards Ă©taient Altinum et Opitergium[34]. Ici, probablement entre 619 et 625[35], le patricien italo-byzantin Gregorio massacra par traĂźtrise les ducs lombards du Frioul : Caco et Tasone, fils de Gisulf II[36] : l'Ă©pisode resta dans la mĂ©moire de l’autre fils de Gisulf qui Ă©chappa Ă  l’embuscade, Grimoald, qui, devenu roi, rasa Opitergium en 667.

La proche citĂ© lagunaire de Melidissa fut rebaptisĂ©e Heracleia (ou Eraclea) vers 628, en l’honneur de l’empereur HĂ©raclius, victorieux en Orient sur les Perses de Khosro II et libĂ©rateur de la Vraie Croix. Avec la chute d'Opitergium, la citĂ© de Heracleia devint le nouveau siĂšge des fonctionnaires italo-byzantins provinciaux[37] qui rĂ©organisĂšrent la vie civile pour faire face Ă  la nouvelle gĂ©ographie lagunaire et Ă  l’avancĂ©e rapide des Lombards, conduits par Rothari, roi des Lombards depuis 636, maĂźtre depuis 639 d'Altinum et d'Opitergium dont la population avait fui dans la lagune. À Heraclia, la nouvelle cathĂ©drale accueillit Magnus, Ă©vĂȘque d'Opitergium, alors qu’en 639, par ordre de l’exarque Isaac, fut Ă©levĂ©e la nouvelle CathĂ©drale Santa Maria Assunta de Torcello, pour accueillir le siĂšge Ă©piscopal de l’évĂȘque d’Altinum.

La basilique de Sant'Eufemia (Grado)

Ces mouvements de population augmentĂšrent de maniĂšre exponentielle le nombre d'habitants de la ceinture de grands centres commerciaux de Torcello, sur les Ăźles de Costanziaco, Ammiana, Burano, Maiurbum, Olivolo et surtout Rivo Alto, ces deux derniĂšres localitĂ©s Ă©tant situĂ©es sur les barene longeant la velma de la Brenta, site de la future Venise[38] - [39], qui s’étendront comme .

En 692, Ă©clata dans l’Exarchat de Ravenne une rĂ©volte des orthodoxes contre l’empereur Justinien II qui avait tentĂ© d’arrĂȘter le pape Serge Ier. AprĂšs sa seconde intronisation, Justinien II voulut punir les rebelles en massacrant un grand nombre de notables Ă  Ravenne et en condamnant la pratique latine du cĂ©libat sacerdotal, en application des normes canoniques du concile in Trullo. Les habitants rĂ©agirent par une nouvelle et dure rĂ©volte guidĂ©e par Giorgio Ioanniccio, qui secoua tout l’Exarchat mais fut finalement Ă©touffĂ©e[40].

La naissance du duché

Portrait de Paolo Lucio Anafesto, premier Dux Veneticorum, en armure.
Carte de l'Italie byzantine au début du VIIIe siÚcle, époque du traité avec Liutprand qui définissait les confins de la Venetia maritima.

Entre la fin du VIIe siĂšcle et le dĂ©but du VIIIe siĂšcle, une nouvelle rĂ©forme politique investit la VĂ©nĂ©tie maritime : comme les autres territoires de l'Italie byzantine, elle fut transformĂ©e en duchĂ©[41] - [42]. Selon la tradition, le premier duc de la VĂ©nĂ©tie fut Paul Luc Anaphestos (Paoluccio Anafesto) dont le gouvernement fut mis en place en 697 par Andrea Dandolo, durant le rĂšgne de l'empereur LĂ©once[43], alors que Giovanni da Venezia le fait remonter aux annĂ©es de la rĂ©gence impĂ©riale d'Anastase II, donc autour de 713[44]. Le nouveau duc consolida les confins par un traitĂ© avec le roi lombard Liutprand, rĂ©ussissant mĂȘme Ă  prĂ©server l’autonomie ecclĂ©siastique de Grado, menacĂ©e en 699 par le synode de Pavie, au point qu’en 717 le pape GrĂ©goire II dĂ©crĂ©ta l’élĂ©vation du siĂšge au titre de patriarcat de Grado. Vers la mĂȘme Ă©poque, Paul Luc Anaphestos tombe dans une conjuration organisĂ©e par les nobles d’AquilĂ©e[45]. Son ancien magister militum Marcello Tegalliano, lui succĂšde en pleine crise iconoclaste. L'Italie n'est pas Ă©pargnĂ©e et de nombreux ducs italo-byzantins s’élĂšvent contre Constantinople et Ravenne, dont le VĂ©nitien Orso Ipato[46].

En 732, les Lombards en profitent pour occuper Ravenne, et le pape GrĂ©goire III exhorta le duc Orso Ă  se porter au secours de l'exarque EutychĂšs. GrĂące Ă  Orso, la capitale de l'exarchat est reconquise. À la suite de l'assassinat du duc Orso, impliquĂ© dans un Ă©niĂšme affrontement entre Heraclia et Equilio, EutychĂšs ordonna en 738 que le gouvernement du duchĂ© fut confiĂ© Ă  des magistrats militaires annuels, les Magister militum. Se fiant Ă  la fidĂ©litĂ© de la VĂ©nĂ©tie maritime Ă  l'Empire et sachant qu'il y trouverait des fiancements, EutychĂšs revint en 740 dans la lagune alors lorsque les Lombards occupĂšrent Ă  nouveau Ravenne. L'annĂ©e suivante, EutychĂšs reprit Ravenne avec l’aide du magister militum Gioviano Cepanico. En 742, les nouveaux heurts entre Heraclia et Equilio sont provoquĂ©s par le magister militum d’Heraclia, Giovanni Fabriciaco[47]. La capitale de la Venise maritime fut alors transfĂ©rĂ©e Ă  Metamauco[48], et par Ă©dit impĂ©rial les VĂ©nĂštes se voient confĂ©rer un haut degrĂ© d’autonomie avec la nomination d'un Dux, Teodato Orso-Ipato[49].

Économie

La basilique Santa Maria Assunta (Torcello) et l’église Santa Fosca

Des donnĂ©es sur l'Ă©conomie de la Venise maritime ont Ă©tĂ© recueillies grĂące Ă  une sĂ©rie d’études effectuĂ©es sur les fouilles archĂ©ologiques de Torcello vers la moitiĂ© des annĂ©es 1950. Originellement le territoire de la lagune, de l’AntiquitĂ© jusqu’au Haut Moyen Âge, Ă©tait surtout affectĂ© Ă  la production du sel oĂč, pour une part mineure, liĂ©e Ă  la pĂȘche et Ă  l'exploitation des cannes[50]. La navigation apparaissait dĂ©jĂ  importante Ă  l’époque du rĂšgne de VitigĂšs, roi Goths, et de son ministre Cassiodore[51].

Le systĂšme Ă©conomique romain s'est maintenu jusqu’au temps de NarsĂšs : les divers mĂ©tiers se rĂ©unissaient dĂ©jĂ  en corporations, dites scholae, protĂ©gĂ©es par un patron : reprĂ©sentant ainsi les arts des forgerons, des tisserands, des lavandiĂšres, des marchands, des boutiquiers, des tailleurs de pierre, des potiers, des peintres


translation de saint Marc : mosaĂŻque de la basilique Saint-Marc Ă  Venise.

L'augmentation de la population dans la lagune Ă  la suite de l'invasion lombarde impliqua une mutation radicale de l’économie des zones humides qui devinrent un vĂ©ritable marchĂ©. Une production agricole et sylvicole assez consistante se dĂ©veloppa, avec mĂȘme des produits d’exportation comme le pin parasol, le noyer, le noisetier, le pĂȘcher et le prunier, ainsi que la vigne et le concombre (variĂ©tĂ©s locales encore prĂ©sentes Ă  Torcello). Une seconde transformation du territoire fut l'urbanisation qui vit croĂźtre la demande et la production de produits artisanaux, de cĂ©ramiques et de verreries. DĂ©jĂ  en 639 dans l’église de Torcello apparaissent les premiĂšres mosaĂŻques Ă  base de verre. Torcello devint un grand centre commercial (« ÎŒÎ­ÎłÎ±Îœ ጐΌπόρÎčÎżÎœ » - megan emporion) au temps de Constantin VII PorphyrogĂ©nĂšte ; le bois des pieux enfoncĂ©s dans la vase, le cuir de bovins utilisĂ© pour y poser les fondations et la pierre de construction devaient cependant ĂȘtre importĂ©s de la terre ferme[52].

Le développement commercial

Le territoire soumis au dĂ©veloppement des activitĂ©s commerciales vĂ©nitiennes est alors la plaine padano-vĂ©nĂšte, la vaste portion cĂŽtiĂšre de Ravenne Ă  Trieste, l'Istrie et la Dalmatie, parcourues par les vias Annia et Postumia, par le cours des fleuves et canaux navigables alimentant le systĂšme lagunaire, et par les routes maritimes de l'Adriatique. Ce lien commercial continu, malgrĂ© les divers conflits, reste ininterrompu jusqu’à la fin VIIIe siĂšcle. Quand le pape Adrien Ier confisqua les possessions vĂ©nitiennes de l'archidiocĂšse de Ravenne et bannit les marchands vĂ©nitiens de l’Exarchat, l'Ă©conomie vĂ©nitienne, qui jusque-lĂ  Ă©tait contrĂŽlĂ©e par les propriĂ©taires terriens et orientĂ©e par leurs exigences financiĂšres, fut contrainte Ă  s’orienter radicalement vers le commerce notamment maritime, et bien des patriciens devinrent armateurs, formant progressivement une thalassocratie. Les rapports politiques privilĂ©giĂ©s avec l’Orient, hĂ©ritĂ©s de la pĂ©riode byzantine, permirent Ă  la population vĂ©nitienne de s'assurer des monopoles comme celui du commerce des teintures pourpres, des peaux ou du textile asiatiques (dont la soie), sans oublier le marchĂ© des esclaves qui permit pendant des siĂšcles aux VĂ©nitiens de razzier le monde grec et slave pour vendre la « rĂ©colte » dans le monde islamique.

La flotte militaire vĂ©nitienne fut frĂ©quemment sollicitĂ©e, tant par les armateurs privĂ©s que par les gouvernements locaux, dĂšs le dĂ©but des patrouilles sur l’Adriatique, de l'Istrie jusqu’à Otrante, contre la piraterie, renforcĂ©e par de puissants navires construits sur le modĂšle du dromon impĂ©rial byzantin, dit galĂšre[53] - [54].

Annexes

Notes et références

  1. Ravegnani, Bisanzio e Venezia, p. 7.
  2. Atlante Storico Mondiale, Istituto Geografico De Agostini, Novara 1995
  3. Atlante Storico Mondiale, Cartografia, Sezione Italia, I barbari - L'Italia bizantina e longobarda, De Agostini, Novara 1993, p. 335.
  4. Catholic encyclopedia. S. v. Diocese of Concordia
  5. G. Ortalli, (it) « Venezia dalle origini a Pietro II Orseolo », in Storia d'Italia, vol. I, Longobardi e Bizantini, p. 357.
  6. G. Ortalli, (it) « Venezia dalle origini a Pietro II Orseolo », in Storia d'Italia, vol. I, Longobardi e Bizantini, p. 358.
  7. De nos jours Torcelle est un centre artisanal et industriel, caractérisé par des chantiers navals et centres commerciaux : M. Savino, (it) « Torcello, tra terra ed acqua, tra passato e futuro, » in L'Universo n° 3, anno LXXXI, pp. 296-310.
  8. M. Savino, (it) « Burano : una terra di frontiera », in L'Universo n° 2, anno LXXXI, pp. 153.
  9. M. Savino, (it) « Burano : una terra di frontiera », in L'Universo n° 2, anno LXXXI, pp. 152-153.
  10. M. Savino, (it) « Murano: storia e destini di un insolito distretto industriale in laguna », in L'Universo n° 4, anno LXXXI pp. 438-450.
  11. M. Savino, (it) « Chioggia: cosÏ simile, cosÏ diversa », in L'Universo n° 5, anno LXXXI, pp. 582-598.
  12. M. Savino, (it) « Chioggia: cosÏ simile, cosÏ diversa », in «L'Universo n° 5, anno LXXXI, pp. 586.
  13. Ostrogorsky, tome 1.
  14. Norwich, pp. 91-92.
  15. Ravegnani, Bisanzio e Venezia, p. 18.
  16. C. Diehl, Études sur l'administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne (568-751), BibliothĂšque des Ă©coles française d'AthĂšnes et de Rome, 53, Burt Franklin, New York 1958, pp. 40-41.
  17. John Meyendorff, (en) « Imperial unity and Christian divisions: The Church 450-680 A.D. » in : The Church in history vol. 2, St. Vladimir's Seminary Press 1989, Crestwood, NY.
  18. Du nom du diacre qui en fit le récit dans le livre 2 de son Historia Langobardorum.
  19. Lorenzo Casazza, (it) Mutamenti insediativi e sfruttamento del suolo nel Polesine meridionale dalla tarda antichità al mille et Camillo Corrain, (it) « Il territorio polesano fino al '400. Le bonifiche estensi nel XV secolo » in La bonifica tra Canalbianco e Po, p. 57-70-Minelliana.
  20. Ravegnani, Bisanzio e Venezia, p. 20.
  21. Ravegnani, Bisanzio e Venezia, pp. 20-21.
  22. Paul Diacre, Historia Langobardorum, Livre II.
  23. Ravegnani, Bisanzio e Venezia, p. 21.
  24. G. Ortalli, Op. cit., p. 348.
  25. Ortalli G., op. cit, pp. 345-347.
  26. Muratori, anni 587-588.
  27. Muratori réunit le synode en 588. Cfr. Annali d'Italia, anno 588.
  28. Paul Diacre, Histoire des Lombards en latin - Liber III, 23
  29. Cfr. Annali d'Italia, anno 590.
  30. Ravegnani, Bisanzio e Venezia, p. 24.
  31. Paul Diacre, Histoire des Lombards, langue latine - Liber IV, 23
  32. R. Cessi, (it) « Venezia ducale », vol. I de Duca e popolo, Deputazione di Storia patria per le Venezie, Venezia 1963, p. 56-57.
  33. Ravegnani, Bisanzio e Venezia, p. 29.
  34. Cessi, Roberto: Storia della Repubblica di Venezia, Milano – Messina, 1944.
  35. Ravegnani, Bisanzio e Venezia, p. 30.
  36. Paul Diacre, Histoire des Lombards, latin, - Liber IV, 37-38
  37. Ravegnani, Bisanzio e Venezia, p. 31.
  38. C. G. Moro, « Aspects de la vie constitutionnelle vĂ©nitienne jusqu’à la fin du Xe siĂšcle » in Le origini di Venezia, Sansoni ed., Florence 1964, p. 118.
  39. G. Ortalli, op. cit, pp. 353-355.
  40. V. Laurent, « L'Ɠuvre canonique du concile in Trullo (691-692) », in Revue des Ă©tudes byzantines n° 23 (1965), pp. 7–41.
  41. Samuele Romanin, it Storia documentata di Venezia, libro I, capitolo VI.
  42. Charles Diehl, La RĂ©publique de Venise.
  43. A. Dandolo, Chronica per extensum descripta, Rerum Italicarum Scriptores, XII/1, Bologne 1958, p. 105.
  44. Giovanni Diacono, « Cronaca », in Cronache veneziane antichissime, Fonti per la storia d'Italia, IX, Rome 1980, p. 91.
  45. Cronaca Altinate, libro III,
  46. Liber pontificalis, I.
  47. Samuele Romanin, (it) Storia documentata di Venezia, libro I, capitolo II.
  48. G. Ortalli G., op. cit., pp. 362-364.
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  50. Cassiodore, Variae, XII n. 24
  51. Samuele Romanin, (it) Storia documentata di Venezia, Libro I, Capitolo V.
  52. G. Moravcsik et R. J. H. Jenkins, (hu) « Ludovico Ligeti septuagenario hoc volumen damus dicamus dedicamus » in Acta Orientalia Academiae Scientiarum Hungaricae, Vol. 25, 1972, pp. 283-292, Akadémiai Kiadó, Budapest 1949.
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Bibliographie

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