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Guerre des Goths (535-553)

La guerre des Goths est un conflit qui opposa les Byzantins et les Ostrogoths en Italie entre 535 et 553. Cette guerre intervient à la suite de la décision de Justinien Ier en 535 de reconquérir les provinces romaines occidentales perdues à la fin du siècle précédent lors de leur conquête par les Hérules d'Odoacre puis les Ostrogoths de Théodoric le Grand.

Guerre des Goths
Description de cette image, également commentée ci-après
Une partie de la reconquĂŞte de l'empereur byzantin. Justinien Ier
Informations générales
Date 535 – 553
Lieu PĂ©ninsule italienne
Casus belli Assassinat d’Amalasonte
Issue Victoire byzantine
Changements territoriaux Annexion de l'Italie
Création de l'exarchat de Ravenne
Commandants
BĂ©lisaire
Narsès
Jean
Vitigès
Totila †
Teias †
Bucçlin
Forces en présence
20 000 Romains
15 000 mercenaires principalement des Huns, des HĂ©rules, des GĂ©pides et des Lombards
50 navires
50-55 000 Ostrogoths
20 000 Francs et Alamans
47 navires

Guerre entre Ostrogoths et Byzantins

Batailles

La guerre des Goths prend la suite de la guerre des Vandales qui permet la reconquête de l'Afrique du Nord par l'Empire romain d'Orient. En tant que centre historique de la puissance romaine, l'Italie constitue une cible de choix pour les ambitions impériales de Justinien. En 535, l'invasion est menée notamment par Bélisaire, le grand général de Justinien, qui envahit d'abord la Sicile avant de s'emparer de Rome qu'il défend lors d'un siège difficile. Jusqu'en 540, il s'empare méthodiquement des positions ostrogothes, poussant le roi Vitigès à la reddition. Toutefois, son départ en 540 affaiblit fortement la position byzantine, d'autant que des effectifs sont redéployés en Orient.

Les Ostrogoths réagissent en nommant un nouveau roi en la personne de Totila. En quelques années, il remporte plusieurs succès face à des Byzantins affaiblis par le manque de moyens et un commandement divisé. Si Bélisaire revient en Italie, il ne peut empêcher la chute de Rome en 546, avant de quitter définitivement la péninsule. Plusieurs généraux se succèdent sans réussite alors que Totila a presque entièrement reconquis l'Italie continentale. Face à ce défi, Justinien finit par envoyer Narsès avec des moyens militaires et financiers d'importance pour réduire définitivement la menace des Ostrogoths. Le général byzantin remporte une victoire décisive en 552, lors de laquelle Totila est tué. Quelques mois plus tard, lors de la bataille du mont Lactarius, il annihile la dernière armée ostrogothe commandée par Teias. Cette victoire permet aux Byzantins de s'emparer de l'ensemble de la péninsule, d'autant qu'ils repoussent une tentative de pénétration des Francs en Italie.

Si le succès byzantin est réel, il est profondément tempéré par l'état de dévastation dans lequel se trouve l'Italie au sortir d'une longue guerre, marquée par un accroissement des exactions au fur et à mesure des années. La structure sociale de la péninsule est durablement transformée avec un déclin de l'aristocratie romaine ; la ville de Rome elle-même perd son statut de grande ville. Seule la Sicile apparaît comme une province prospère et facile à défendre, tandis que le Nord de l'Italie est sous la menace des Lombards, dont les invasions commencent dès les années 560.

Contexte

La situation de l'Italie sous les Ostrogoths

Le royaume ostrogoth à son apogée.

En 476, la déposition de Romulus Augustule marque la fin de l'Empire romain d'Occident. Avec cette disparition, l'Italie, cœur historique de la puissance romaine, passe aux mains des Barbares. En l'occurrence, ce sont les Hérules d'Odoacre qui deviennent les nouveaux maîtres de la péninsule. Cependant, en Orient, l'Empire romain d'Orient a survécu et revendique la perpétuation de l'héritage romain, ainsi que la domination des terres anciennement dominées par Rome. Pour contrecarrer les Hérules, l'empereur Zénon charge Théodoric le Grand, chef des Ostrogoths, de les chasser de l'Italie, ce qu'il parvient à faire. C'est un autre royaume barbare qui règne désormais sur l'Italie. Toutefois, Théodoric reconnait la suzeraineté romaine sur son royaume. Nommé patrice et consul, Théodoric gouverne l'Italie au nom de l'empereur romain d'Orient.

Dans les faits, Théodoric dirige le plus puissant royaume barbare à s'être installé sur les anciennes terres romaines en Occident[1]. Son territoire s'étend en Pannonie, en Septimanie et, en 511, il récupère la suzeraineté sur le royaume wisigoth de la péninsule Ibérique. En outre, Théodoric veille à conserver de bonnes relations avec l'aristocratie romaine et avec le Sénat romain, toujours présent. Théodoric s’appuya sur les élites locales pour bien administrer l’Italie. L’ordre social demeura donc en grande partie inchangé, à l’exception d’une nouvelle élite guerrière d’origine gothique[2]. En cela, le royaume ostrogoth se distingue du royaume des Vandales, beaucoup plus hostile aux Romains en général et aux prétentions de Constantinople de poursuivre l'idéal universaliste de l'Empire romain.

Néanmoins, la puissance des Ostrogoths présente des limites certaines. Elle repose grandement sur la personnalité et l'habileté de Théodoric. En outre, la population romaine reste peu enthousiaste à l'idée d'être gouvernée par des Barbares tandis que le pape condamne l'arianisme professé par les Ostrogoths et voit en l'empereur son protecteur naturel. Enfin, l'empire d'Orient reste méfiant envers ce royaume trop puissant avec qui il entretient des frontières communes. Déjà, sous Anastase, des frictions débouchent sur des accrochages en Pannonie avec la prise de Sirmium par les Ostrogoths tandis qu'Anastase noue une alliance avec Clovis, le roi des Francs, qui se pose en concurrent de Théodoric.

L'arrivée au pouvoir de Justinien

L'Empire d'Orient quand Justinien arrive au pouvoir.

Profitant d’une croissance démographique et économique ainsi que d’un trésor impérial bien rempli, Justinien pouvait envisager une politique d’expansion. En regardant la géopolitique de l’époque, seul l’Occident offre des opportunités d’expansion rapide ayant des chances de réussir. Justinien négocia donc rapidement une paix avec l’Empire perse[3]. Il pouvait maintenant concentrer ses efforts vers l’Occident.

La plus grande menace Ă  son projet Ă©tait la flotte vandale qui pouvait nuire Ă  ses visĂ©es expansionnistes en Occident. Le royaume vandale comprenait l’ancienne province de l’Afrique ainsi que la Corse et la Sardaigne. Sous le prĂ©texte de libĂ©rer d’anciens territoires romains du joug d’hĂ©rĂ©tiques[4], une flotte quitta Constantinople en juin 533 vers l’Afrique[5]. Justinien met BĂ©lisaire Ă  la tĂŞte d’une armĂ©e de 15 000 hommes en tant que gĂ©nĂ©ralissime investi de pouvoirs spĂ©ciaux[6].

La guerre des Vandales, lors de laquelle les Ostrogoths prennent le port vandale en Sicile.

La guerre contre les Vandales fut très brève et leur roi Gélimer parada à Constantinople lors du triomphe de Bélisaire moins d’un an après le départ de celui-ci pour l’Afrique[7].

Au moment de l'arrivée au pouvoir de Justinien en 527, cela fait un an que Théodoric est mort. Son héritier et petit-fils, Athalaric, est trop jeune pour lui succéder et c'est sa mère Amalasonthe qui agit comme régente. En tant que femme, elle fait face à l'hostilité d'une partie de l'élite ostrogothe. Plus encore, celle-ci lui reproche ses liens trop étroits avec Constantinople. Elle permet notamment à Bélisaire de faire étape en Sicile lors de son expédition qui mène à la destruction du royaume des Vandales en 533. Une partie des Ostrogoths craignent que les visées expansionnistes de Justinien ne le conduisent bientôt à jeter son dévolu sur l'Italie, que l'Empire romain d'Orient n'a jamais renoncé à reconquérir. La position d'Amalasonthe se fragilise quand Athalaric décède car elle ne peut plus agir comme régente légitime[8]. Elle doit prendre un époux. Elle choisit Théodahat, neveu de Théodoric, à qui elle fait promettre de n'agir comme roi que de manière nominale[9]. Toutefois, il ne tarde pas à se retourner contre elle et l'exile avant de la faire assassiner en 535. En effet, il est bien moins favorable aux Romains qu'elle. À Constantinople, cette nouvelle constitue le prétexte idéal pour intervenir dans les affaires ostrogothiques[10].

Forces en présence

Amalasonte, représentée dans la chronique de Nüremberg du XVe siècle.

L'attaque du royaume ostrogoth constitue la deuxième étape des menées expansionnistes de Justinien. Celui-ci, par l'intermédiaire de son général Bélisaire, vient de détruire en quelques mois le royaume vandale. Néanmoins, le royaume ostrogoth constitue une cible autrement dangereuse. Son territoire s'étend sur toute l'Italie, y compris la Sicile mais aussi une partie de la Pannonie, la barrière alpine et mord sur le Sud-Ouest de la Gaule. Alors que la conquête de l'Afrique repose sur la prise de la région de Carthage où les Vandales sont massés, celle de l'Italie passe par la maîtrise totale de la péninsule, au risque de permettre aux Ostrogoths, plus dispersés, de constituer des noyaux de résistance. Or, une telle maîtrise territoriale nécessite des moyens militaires d'importance, d'autant que les Ostrogoths entretiennent des positions fortifiées, notamment dans les Apennins alors qu'en Afrique, les Vandales avaient rasé les murailles des places qu'ils avaient conquises[11] - [12]. L'armée ostrogothe est solide et peut s'appuyer sur des forces de cavalerie mobiles, promptes à tendre des embuscades à ses adversaires. Pour autant, elle souffre de l'absence de cavalerie lourde et d'archers à cheval, la rendant inférieure aux forces impériales dans le cadre de bataille rangée[13]. L'armée comprend aussi des contingents composés d'autres peuples germaniques voire de Romains[14]. En effet, la population romaine est partagée à l'idée d'une intervention de Justinien. Une partie de l'aristocratie est jalouse de son autonomie qu'elle a conservée sous les Ostrogoths, même si ses pouvoirs sont symboliques. De même, la papauté entretient une position ambiguë. Elle s'est construite sur le principe d'une dualité entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, incarné par l'empereur. Celui-ci est le protecteur naturel du pape depuis que l'empire d'Occident s'est effondré. Toutefois, les relations avec Constantinople sont parfois tendues, comme en témoignent les atermoiements à propos de la politique favorable au monophysisme menée par Anastase. Si les liens ont été rétablis depuis l'arrivée sur le trône de Justin Ier, une méfiance demeure. Le pape désire conserver son indépendance par rapport à l'empereur. Néanmoins, depuis que l'empire d'Orient est revenu aux principes du concile de Chalcédoine, une même conception doctrinale unit Rome et Constantinople alors que les Ostrogoths sont ariens[15].

Les motivations des Byzantins à envahir l'Italie sont nombreuses. Tout d'abord, l'Italie reste le foyer traditionnel de la romanité. En toute logique, elle doit donc être gouvernée par un empereur romain. En outre, sa conquête permettrait de renforcer l'emprise byzantine dans l'Afrique nouvellement reconquise, en contribuant à refaire de la mer Méditerranée une mare nostrum. Dès l'annonce de la mort d'Amalasonthe connue, Justinien met en branle ses armées. L'ambassadeur byzantin à Ravenne, capitale des Ostrogoths, fait part à Théodat des intentions guerrières de Justinien, tandis que le roi ostrogoth se défausse de sa responsabilité dans la mort d'Amalasonthe. Dans le même temps, l'empereur continue d'agir par la voie diplomatique, soufflant le chaud et le froid, en espérant provoquer des dissensions parmi les Ostrogoths. Sur le plan militaire, l'action byzantine passe par une attaque en tenaille. Au nord, Mundus doit attaquer les possessions ostrogothes sur la côte dalmate avant de progresser au nord de l'Italie. C'est la route la plus courte vers Ravenne. Au sud, Bélisaire, tout juste enorgueilli de son succès en Afrique, doit prendre la Sicile et remonter vers Rome. Ce plan a pu susciter l'étonnement en ce qu'il confie au meilleur général, Bélisaire, le commandement sur le front apparemment secondaire. Une telle décision pourrait s'expliquer par la volonté de Justinien de conquérir rapidement la Sicile, pivot stratégique de la Méditerranée, dont la possession éloignerait le risque de troubles en Afrique provoqués par les Ostrogoths. De surcroît, une offensive par le sud permet d'atteindre Rome rapidement. Si cette cible présente un intérêt limité sur le plan militaire, il en est tout autrement d'un point de vue politique. La conquête de Rome doit être l'élément central du projet impérial de rénovation de la puissance romaine[16].

Phases de la guerre

Première phase : une progression triomphale

Les premiers mois de la guerre sont particulièrement favorables aux Byzantins. En Dalmatie, Mundus prend Salone et s'assure le contrĂ´le de la rĂ©gion. Au sud, BĂ©lisaire Ă  la tĂŞte de 9 000 hommes s'empare presque sans combattre de la Sicile. Seule la ville de Palerme, oĂą se sont rĂ©fugiĂ©s les Goths, lui rĂ©siste quelque temps mais finit par tomber[17]. Le dernier jour de l'annĂ©e 535, BĂ©lisaire peut cĂ©lĂ©brer son nouveau succès Ă  Syracuse. Pour capitaliser sur son avantage, Justinien tente de s'allier aux Francs en leur offrant d'importantes sommes d'argent mais ThĂ©odat leur a aussi versĂ© 30 000 pièces d'or, les incitant Ă  rester Ă  l'Ă©cart. De son cĂ´tĂ©, le roi ostrogoth tente de nĂ©gocier alors que les premiers revers ont fragilisĂ© sa position. Il est prĂŞt Ă  cĂ©der une partie de la souverainetĂ© sur l'Italie Ă  l'Empire. C'est toujours Pierre qui joue les intermĂ©diaires mais il est rappelĂ© par ThĂ©odat qui dĂ©cide d'aller plus loin. Il pourrait aller jusqu'Ă  s'engager Ă  cĂ©der ses droits sur son royaume, en Ă©change d'un droit Ă  l'exil Ă  Constantinople et 200 000 pièces d'or. Justinien accepte cette proposition qui correspond ni plus ni moins qu'Ă  une capitulation mais c'est un faux semblant. Si ThĂ©odat est prĂŞt Ă  abandonner l'Italie, il n'en est pas de mĂŞme des Ostrogoths qui ne manqueraient pas de rĂ©sister et de s'opposer Ă  la dĂ©cision de leur roi. En outre, en , ThĂ©odat lui-mĂŞme revient en arrière. En effet, les Goths ont lancĂ© une contre-offensive en Dalmatie et ont vaincu une force byzantine conduite par Maurice, le fils de Mundus. Celui-ci, aveuglĂ© par le chagrin, se prĂ©cipite Ă  la rencontre de ses adversaires. S'il les met en fuite, il est tuĂ© lors de l'affrontement. Si Salone est conservĂ©e, un prĂ©cieux gĂ©nĂ©ral a Ă©tĂ© perdu, de mĂŞme que toute perspective de reddition des Ostrogoths. Il est probable que ThĂ©odat a reculĂ© face Ă  l'Ă©vidence qu'une reddition conduirait Ă  son renversement[18] - [19] - [20].

Représentation présumée de Bélisaire sur une mosaïque de la basilique San-Vital de Ravenne.

C'est par la voie des armes que doit se faire la conquĂŞte de l'Italie. Constantianus remplace Mundus et se rend Ă  Epidamme pour constituer son armĂ©e. En face, les Ostrogoths en profitent pour prendre Salone. Constantianus rĂ©agit en progressant mĂ©thodiquement vers Salone. Après avoir envoyĂ© Siphilas prendre possession du dĂ©filĂ© conduisant Ă  la ville, il y pĂ©nètre par terre et par mer alors que les Ostrogoths l'ont dĂ©jĂ  Ă©vacuĂ©e. De nouveau, la Dalmatie est sous le contrĂ´le des Byzantins. Cependant, c'est au sud que la progression des Byzantins est la plus dĂ©cisive. LĂ  encore, c'est BĂ©lisaire qui s'illustre. En , de retour d'une expĂ©dition africaine visant Ă  rĂ©primer un soulèvement, il dĂ©barque en Italie continentale Ă  la tĂŞte de 10 000 hommes, dont beaucoup de ses buccelaires, des soldats constituant sa garde privĂ©e et surprend puis capture Ebrimuth, chargĂ© de garder le dĂ©troit de Messine[21]. Il avance rapidement et sans difficultĂ©s, couvert par la flotte. La population est favorable aux troupes impĂ©riales tandis que les forces ostrogothes se rendent sans combattre, certains de ses Ă©lĂ©ments renforçant la propre armĂ©e de BĂ©lisaire. En , il arrive devant Naples, une place-forte des Ostrogoths que ces derniers sont dĂ©terminĂ©s Ă  dĂ©fendre. Il tente d'abord d'obtenir la reddition de la ville et joue sur l'hostilitĂ© de la population envers la garnison ostrogothe. Toutefois, celle-ci ne cède pas. Un premier assaut est repoussĂ© et BĂ©lisaire dĂ©cide de couper l'approvisionnement en eau de la citĂ©, sans provoquer de pĂ©nuries. Pourtant, ce sont bien les aqueducs qui vont dĂ©cider du sort de la bataille. L'un d'eux permet Ă  une petite troupe byzantine de pĂ©nĂ©trer discrètement dans la citĂ© et de s'emparer des murailles de l'intĂ©rieur[22]. Le siège n'a durĂ© qu'une vingtaine de jours et les Ostrogoths commencent Ă  paniquer face Ă  la facilitĂ© de la progression des Byzantins. De plus en plus, le doute s'installe sur la capacitĂ© de ThĂ©odat de mener cette guerre. Une partie de leur armĂ©e finit par proclamer roi Vitigès, un personnage qui s'est illustrĂ© par ses succès militaires. Rapidement, le nouveau monarque rassemble ses forces pour passer Ă  l'offensive[19] - [23] - [24].

Rome : enjeu cardinal de la guerre

La porte Asinaria par laquelle Bélisaire pénètre dans Rome.

La prise du pouvoir par Vitigès n'empĂŞche pas BĂ©lisaire de continuer sa marche en avant vers Rome. Les habitants de la citĂ© informent BĂ©lisaire de leur intention de se rendre tandis que la garnison ostrogothe, consciente de l'absence de soutien de la population, dĂ©cide de se retirer. Le 9 ou le , BĂ©lisaire pĂ©nètre dans la citĂ© impĂ©riale par la porte Asinaria alors que les Goths la quittent par la porte Flaminia[25]. Symboliquement, le succès est d'une ampleur considĂ©rable. Toutefois, une fois la ville prise, encore faut-il la dĂ©fendre. BĂ©lisaire n'a sous ses ordres que 5 Ă  10 000 hommes, ce qui est très peu pour dĂ©fendre les vingt kilomètres de muraille de la ville. Toute progression supplĂ©mentaire vers le nord lui est interdite, au risque de disperser excessivement ses forces entre la dĂ©fense de Rome et la poursuite de l'offensive. Dès lors, il dĂ©cide de se prĂ©parer Ă  soutenir un siège. Il fait renforcer les fortifications de la citĂ© et s'assure d'un approvisionnement suffisant en vivres. Dans le mĂŞme temps, il confie Ă  Constantinos la mission de s'emparer de quelques places-fortes en Toscane pour gĂŞner la progression et le siège Ă  venir des Ostrogoths. Il s'empare ainsi de PĂ©rouse et de Spolète[26], tandis que Bessas prend Narni, ce qui assure aux Byzantins un contrĂ´le sur la Via Flaminia[27]. De son cĂ´tĂ©, Vitigès met le siège devant Salone pour prĂ©venir toute offensive byzantine depuis la Dalmatie et, en , il se tourne avec le gros de ses forces vers Rome, laissant Asinarius et Uligisalus Ă  la tĂŞte du front dalmate[28]. Procope de CĂ©sarĂ©e assure qu'il a sous ses ordres 150 000 hommes, ce qui est une grossière exagĂ©ration[29]. Toutefois, il pourrait bien avoir jusqu'Ă  30 000 hommes[30] dans son armĂ©e, ce qui lui confère dĂ©jĂ  une confortable supĂ©rioritĂ© numĂ©rique[31] - [32].

Carte de Rome au IVe siècle.

Conscient de son infériorité, Bélisaire prépare le siège du mieux possible. Il s'assure de l'approvisionnement de la ville et tente de barrer la route à l'armée adverse en faisant fortifier un pont sur le Tibre. Toutefois, sa garnison est dispersée par les Ostrogoths et Bélisaire doit intervenir avec un millier d'hommes pour les empêcher d'aller plus loin et de risquer de prendre la ville. Cette intervention décisive, dans laquelle Bélisaire s'engage directement dans les combats, participe à renforcer notablement la confiance de la garnison byzantine. Elle marque aussi le début du siège de Rome, qui s'étale de à . Parmi les habitants, le moral est plus contrasté. L'aristocratie romaine est peu favorable à l'idée de subir un siège prolongé. De même, le pape Silvère, qui pourrait avoir convaincu les Goths d'évacuer la ville pour éviter un bain de sang, tient une position ambiguë, contraignant Bélisaire à le renverser et à le remplacer par Vigile. Malgré ces difficultés, les Byzantins résistant aux assauts de leurs adversaires, peu à l'aise dans l'art de la poliorcétique. Cela n'empêche pas la situation des assiégés de se tendre au fur et à mesure que le siège dure. Bélisaire doit envoyer des demandes pressantes de renforts à Justinien, qui lui répond favorablement. En effet, les Ostrogoths ne peuvent empêcher toutes les communications entre Rome et l'extérieur et des troupes parviennent à pénétrer à l'intérieur de la ville pour renforcer la garnison. Face au risque de famine, Bélisaire décide dès les premiers jours du siège d'évacuer une partie de la population civile. Il mène ensuite régulièrement des raids pour récupérer tout ce qui pourrait être utile, parfois au détriment de l'approvisionnement des Goths. Depuis Ostie, le port romain, des vivres peuvent être envoyés dans la ville. Pour Vitigès, la situation se complexifie. Plus le siège dure et plus sa position se fragilise, tandis que le moral de ses troupes faiblit. Il tente de négocier directement avec Bélisaire, promettant de céder à l'Empire la Sicile puis Naples et la Campanie mais le général byzantin reste inflexible. Profitant d'une trêve, il s'empare de Porto puis Civitavecchia. Ces deux succès lui assurent un ravitaillement maritime régulier et il peut même prendre position dans le Latium, prenant à revers Vitigès[33].

Les Ostrogoths ne sont alors plus en mesure de prendre Rome car l'équilibre des forces est de plus en plus en leur défaveur. Plus encore, les Byzantins sont capables d'attaquer d'autres positions en Italie. Le général Jean est chargé par Bélisaire de réduire la pression sur Rome. Il s'empare successivement d'Auximum, d'Urbino puis de Rimini. En , il est aux portes de Ravenne et Vitigès doit renoncer au siège pour se précipiter au secours de sa capitale. Lors de la retraite sur le pont Milvius, Bélisaire attaque l'arrière-garde des Ostrogoths, leur infligeant des pertes importantes même si ses propres forces souffrent aussi sensiblement. Quoi qu'il en soit, son succès est complet. En dépit d'effectifs réduits, il est parvenu à tenir la cité romaine durant plus d'un an. La prise de la ville aurait sûrement eu des conséquences importantes sur la suite des événements, compromettant la poursuite de la conquête italienne. Désormais, Bélisaire peut s'appuyer sur cette victoire pour affermir son contrôle sur l'Italie centrale et se diriger vers l'Italie du Nord, où des forces byzantines sont déjà à l'œuvre[34] - [35].

L'Italie presque conquise

En dĂ©fendant victorieusement Rome, BĂ©lisaire s'offre la possibilitĂ© de poursuivre la conquĂŞte du Nord de l'Italie, ce qui s'annonce plus difficile car c'est lĂ  que les Ostrogoths sont les plus nombreux. Toutefois, le reste de la population perçoit de plus en plus les Byzantins comme des libĂ©rateurs et sont prĂŞts Ă  ouvrir leurs portes. C'est le cas de Milan, dont la possession revĂŞt une grande importance stratĂ©gique, Ă©tant donnĂ© son positionnement gĂ©ographique au carrefour de plusieurs routes importantes. Une armĂ©e de mille hommes commandĂ©s par le gĂ©nĂ©ral Mundilas et le prĂ©fet du prĂ©toire d'Italie, FidĂ©lis dĂ©barque Ă  GĂŞnes, progresse vers Milan oĂą elle dĂ©fait une armĂ©e ostrogothe et pĂ©nètre dans Milan. NĂ©anmoins, cette petite force a dĂ» ĂŞtre divisĂ©e en plusieurs garnisons pour assurer la dĂ©fense des positions acquises au cours de cette avancĂ©e (Bergame, CĂ´me, Novare) et seuls trois cents hommes suivent Mundilas Ă  Milan[36]. Vitigès ne tarde pas Ă  rĂ©agir. Il est soutenu par 10 000 Burgondes envoyĂ©s en Italie par les Francs. Ces derniers ont toujours une attitude ambiguĂ«. Refusant de rompre tous les liens avec l'empire d'Orient, ils ne peuvent soutenir directement les Ostrogoths et passent par l'intermĂ©diaire des Burgondes. De son cĂ´tĂ©, Mundilas ne peut compter que sur la participation de Milanais Ă  la dĂ©fense de la ville[37].

Dans le mĂŞme temps, les Byzantins sont engagĂ©s sur d'autres parties du territoire italien. Ă€ Rimini, Jean dit « le Sanguinaire Â» en raison de la violence dont il fait preuve, est assiĂ©gĂ© Ă  Rimini avec 2 000 cavaliers. BĂ©lisaire lui porte secours en envoyant une force commandĂ©e par Ildiger et Martin, qui suivent la voie Flaminia. NĂ©anmoins, de premières dissensions apparaissent dans le commandement byzantin. Jean persiste Ă  rester Ă  Rimini alors que les cavaliers ne sont pas les troupes les plus adaptĂ©es Ă  la dĂ©fense d'une place fortifiĂ©e. Il en garde quatre cents avec lui, renforcĂ©s de soldats thraces et isauriens. Quant Ă  Ildiger et Martin, ils n'insistent pas et quittent la ville. Vitigès peut rapidement l'assiĂ©ger[38]. Dans un premier temps, il essaie de la prendre de force au moyen d'une tour de siège, sans rĂ©ussite. Il dĂ©cide alors de rĂ©duire Rimini par la famine[39].

En , BĂ©lisaire quitte enfin Rome pour secourir Rimini. Il prend possession de plusieurs villes en Toscane et continue d'enrichir son armĂ©e de contingents goths qui se sont rendus. Dans le mĂŞme temps, des renforts arrivent de l'Empire, commandĂ©s par Narsès. Celui-ci est encore un gĂ©nĂ©ral expĂ©rimentĂ© mais il jouit des faveurs de la cour et de l'empereur. De ce fait, il reprĂ©sente un rival potentiel pour BĂ©lisaire, dont les victoires commencent Ă  susciter la jalousie et, peut-ĂŞtre, de la crainte chez Justinien qui pourrait s'inquiĂ©ter de volontĂ©s de rĂ©bellion de son meilleur gĂ©nĂ©ral. En plus de ces 5 000 hommes, un autre Narsès dirige une force moins nombreuse et 2 000 HĂ©rules sont aussi envoyĂ©s en Italie pour en complĂ©ter la conquĂŞte. Ces armĂ©es se rejoignent Ă  Fermo mais rapidement, des divisions apparaissent au plus haut niveau du commandement[40]. Plusieurs positions byzantines sont alors assiĂ©gĂ©es (Milan, Rimini…) et l'enjeu est de savoir laquelle secourir en premier. De nombreux gĂ©nĂ©raux estiment qu'il faut s'attaquer Ă  Auximum plutĂ´t que de se porter Ă  l'aide de Jean le Sanguinaire, jugĂ© coupable de s'ĂŞtre mis dans une situation dĂ©licate par ses mauvaises dĂ©cisions. Toutefois, Narsès est un proche de Jean et refuse de l'abandonner Ă  son sort, rajoutant que la perte de Rimini aurait un impact symbolique nĂ©faste. BĂ©lisaire finit par accepter cette option quand il reçoit une lettre de Jean l'appelant Ă  l'aide de toute urgence et ne laisse qu'un millier d'hommes Ă  proximitĂ© d'Auximum. NĂ©anmoins, des dissensions se sont fait jour entre Narsès et les officiers de BĂ©lisaire[41].

Bélisaire met en scène son arrivée pour impressionner l'adversaire. Une partie de son armée monte à bord d'une flotte dirigée par Ildiger et suivie par une troupe commandée par Martin qui, le long de la côte, allume régulièrement des feux pour donner l'impression d'une importante armée en approche. Quant à Bélisaire, il progresse à travers le Picenum avant d'être repéré alors qu'il n'est pas qu'à une journée de Rimini. Vitigès est alors prêt à combattre quand, simultanément, la flotte byzantine et la troupe de Martin arrivent. Impressionné par ce déploiement de force dont il exagère l'importance en raison des efforts de Martin pour donner l'impression d'une importante armée en approche, il préfère battre en retraite. En dépit de ce succès, les relations continuent de se détériorer entre Bélisaire et Narsès. Ce dernier éprouve de la jalousie et, encouragé par ses partisans, considère qu'il n'a pas à suivre son rival, étant donné qu'il jouit déjà de la confiance de l'empereur[42] - [38].

Bélisaire est alors confronté au risque d'une rébellion d'une partie de ses hommes. Il rappelle à ses officiers que les positions byzantines en Italie restent précaires et que les Goths ont toujours des moyens d'action importants. Ils occupent la plaine du Pô, tiennent Auximum et assiègent Milan, tandis que les Francs sont une menace croissante. Par conséquent, il réitère son avertissement de ne pas considérer la conquête de l'Italie comme acquise et considère qu'il faut libérer Milan et prendre Auximum. Dans un souci d'indépendance, Narsès plaide pour une division de l'armée en deux. Il se propose de conquérir l'Émilie et de laisser à Bélisaire le reste des forces pour entreprendre les actions qu'il juge nécessaire. En outre, Narsès estime que Milan et Auximum ne sont pas des objectifs suffisamment importants pour justifier une mobilisation de l'ensemble des troupes byzantines. Face à cette opposition, Bélisaire se pare de l'autorité de Justinien pour légitimer sa position. Il dévoile à son armée et à Narsès une lettre de l'empereur qui précise qu'il est bien le général en chef des forces byzantines en Italie et, qu'en aucun cas, Narsès ne peut prétendre à occuper une position égale à la sienne.

La conquête de l'Italie peut reprendre grâce à cette reprise en main de l'armée par Bélisaire. Il décide d'attaquer Urbino et d'envoyer Peranos assiéger Orvieto. La ville d'Urbino est puissamment fortifiée et bien située, ce qui rend sa prise complexe, à l'image de l'échec de Jean devant ses murs. Narsès, qui n'est pas convaincu par cette opération, entreprend la conquête de l'Émilie mais la ville d'Urbino finit par tomber grâce au tarissement de l'approvisionnement en eau qui contraint les Goths à se rendre en . Dans le même temps, Orvieto est aussi conquise par la faim. L'approvisionnement alimentaire de l'Italie est alors en pleine crise par la guerre prolongée qui a plongé la péninsule dans un profond état de désorganisation, entraînant l'abandon et la destruction des terres agricoles. Cela n'empêche pas Bélisaire de poursuivre son effort. Pour sauver Milan, il envoie une force commandée par Martin et Uliaris qui reste bloquée devant le Pô, impressionnée par l'importance des troupes assiégeantes. Bélisaire tente de leur envoyer des renforts dirigés par Jean le Sanguinaire et Justin mais ces derniers, toujours méfiants envers Bélisaire, refusent. Finalement, le général en chef byzantin doit faire appel directement à Narsès pour qu'ils acceptent de se porter sur Milan. Toutefois, toujours incapables de franchir le Pô, les renforts byzantins ne peuvent porter secours à la cité. En son sein, Mundilas est confronté à une famine grandissante et finit par se rendre aux Goths au début de l'année 539. Si les soldats byzantins sont épargnés, la population est massacrée et la ville de Milan, l'une des plus puissantes de la péninsule, est réduite à l'état de ruines.

La conséquence de cette défaite est le rappel de Narsès. Justinien prend conscience que les tensions entre les généraux de son armée ralentissent les opérations et profitent aux Ostrogoths. Le départ de Narsès permet à Bélisaire de jouir d'une complète liberté de manœuvre et il bénéficie d'une armée toujours intacte. Rapidement, sa prochaine cible est la ville de Ravenne, capitale des Ostrogoths, où Vitigès a trouvé refuge. Il tente de négocier avec les Sassanides pour briser la paix éternelle entre les Perses et les Byzantins et contraindre ces derniers à redéployer leurs forces en Orient. Pendant ce temps, Bélisaire s'efforce de terminer la conquête de la péninsule tant qu'il en a la possibilité. Il commence par assiéger Auximum et Fiesole pour consolider sa position. Bien défendues et solidement fortifiées, ces deux bastions sont toutefois isolés et ne peuvent espérer d'autres secours que ceux de l'armée de Vraïas qui s'est emparée de Milan. Néanmoins, cette dernière est étroitement surveillée par les Byzantins et Vraïas sait qu'il n'a pas le droit à l'erreur, ce qui contraint ces mouvements et paralyse toute initiative. De ce fait, les deux cités sont bientôt touchées par le manque de vivres.

Toutefois, en 539, un événement inopiné perturbe les plans de Bélisaire. Les Francs interviennent dans la plaine du Pô pour profiter du chaos qui règne dans la péninsule, en s'emparant de sa partie nord. Les Ostrogoths comme les Byzantins voient d'abord en eux des alliés, à tort. Les Francs mettent en déroute l'armée de Vraïas puis l'armée byzantine qui la surveille. Les Francs mettent rapidement à sac la Ligurie et l'Émilie tout en s'emparant de Gênes mais la dysenterie finit par les frapper et décime le tiers de leurs effectifs. Ils doivent alors battre en retraite et leur intervention apparaît finalement plus comme un élément perturbateur ponctuel que comme un réel facteur de déstabilisation des projets de Bélisaire.

Dès le dĂ©part des Francs, la citĂ© de Fiesole capitule ainsi qu'Auximum, dont BĂ©lisaire a fait empoisonner la principale ressource en eau. DĂ©sormais, le gĂ©nĂ©ral byzantin est libre de marcher sur Ravenne dont la prise reprĂ©senterait une Ă©tape dĂ©cisive dans la conquĂŞte de l'Italie. Les Byzantins parviennent dans un premier temps Ă  empĂŞcher tout approvisionnement de la ville. En revanche, une ambassade franque parvient Ă  contacter Vitigès. ThĂ©odebert lui propose une aide militaire substantielle en Ă©change de la codirection du royaume ostrogoth. De son cĂ´tĂ©, BĂ©lisaire rappelle Ă  Vitigès la puissance de l'armĂ©e byzantine et le manque de fiabilitĂ© des Francs pour Ă©viter qu'une alliance se noue. Le roi ostrogoth dĂ©cide finalement de traiter avec Justinien, ce qui n'interrompt pas le siège. BĂ©lisaire parvient Ă  payer un habitant de la ville pour qu'il brĂ»le les rĂ©serves en blĂ© tandis que VraĂŻas, Ă  la tĂŞte d'une armĂ©e de 4 000 hommes, est battu alors qu'il est Ă  proximitĂ© de Ravenne. Au sein de la citĂ©, les deux sĂ©nateurs qui agissent comme Ă©missaires byzantins prĂ©sentent les conditions de Justinien. Vitigès peut conserver le titre de roi et la domination au nord du PĂ´. Les Goths sont prĂŞts Ă  accepter mais ils exigent la signature du traitĂ© par BĂ©lisaire, pour en renforcer la portĂ©e. Or, le gĂ©nĂ©ral byzantin est hostile Ă  tout compromis et dĂ©sire la conquĂŞte totale de Vitigès. Par consĂ©quent, il refuse d'apposer sa signature sur le document. Rapidement, des officiers byzantins hostiles Ă  BĂ©lisaire, Ă  l'image de Jean le Sanguinaire ou Bessas, estiment qu'il souhaite s'arroger le titre de roi d'Italie voire qu'il dĂ©sire renverser Justinien. La rumeur ne tardant pas Ă  se rĂ©pandre, BĂ©lisaire rĂ©agit en exigeant de ses officiers qu'ils lui affirment par Ă©crit si oui ou non la conquĂŞte totale de l'Italie est un objectif atteignable justifiant de ne pas compromettre avec Vitigès. Toutefois, les Ostrogoths eux-mĂŞmes en viennent Ă  proposer le titre de roi d'Italie Ă  BĂ©lisaire, dont ils louent la valeur. Pour le gĂ©nĂ©ral byzantin, la situation est complexe. S'il accepte la proposition, il s'assure de la conquĂŞte complète de l'Italie qui est le but qu'il recherche. Cependant, il risque de passer pour un rival de Justinien alors mĂŞme que son crĂ©dit est entamĂ© auprès de l'empereur. De ce fait, il se garde de transmettre l'information Ă  ses officiers. Acceptant l'accord, il donne sa garantie aux Goths qu'aucune violence ne sera commise et les portes de la ville lui sont dĂ©sormais ouvertes. Il pĂ©nètre dans Ravenne triomphalement et sans qu'aucun combat n'ait lieu.

La prise de l'Italie semble alors acquise. Vitigès s'est rendu et la plupart des officiers goths ne s'opposent pas à cette situation. Toutefois, Bélisaire est bientôt rappelé à Constantinople. Il est fort probable que Justinien a eu vent des rumeurs selon lesquelles son général pourrait devenir roi d'Italie et lui confier le commandement des forces byzantines en Orient devient un prétexte pour l'éloigner de la péninsule. Dès que les Goths apprennent cette information, ils commencent à remettre en cause l'accord qu'ils ont passé et en appellent à Bélisaire. Celui-ci réaffirme sa loyauté à Justinien et leur indique qu'il ne peut que lui obéir. Sur le chemin du retour, il emmène avec lui Vitigès qui reçoit d'importantes terres et le titre de patrice[10]. Quant à Bélisaire, il ne reçoit pas de triomphe, contrairement à ce qui était advenu après son succès lors de la guerre des Vandales. Craignant que sa popularité ne remette en cause son propre pouvoir, Justinien estime sûrement préférable de ne pas l'alimenter excessivement.

Au terme de la première phase de la guerre des Goths, la victoire semble acquise pour les Byzantins. Elle repose grandement sur l'action de Bélisaire mais aussi sur le rôle de Justinien qui a impulsé cette conquête et l'a soutenue tout du long, laissant une grande latitude à son général en chef. Toutefois, la situation reste précaire. Les Goths sont toujours présents en force dans la péninsule et leur reddition est fortement liée à la présence de Bélisaire, dont le départ fragilise notablement les Byzantins. En outre, le déclenchement de la guerre d'Ibérie entre les Perses et l'Empire byzantin en 540 contraint ce dernier à rediriger ses efforts en Orient, ne laissant qu'un nombre limité d'effectifs en Italie, divisés entre plusieurs généraux. La division du commandement qui avait déjà entravé les efforts de Bélisaire risque de nouveau de compromettre les acquis territoriaux obtenus.

La métropole d’Antioche, mal défendue, sera pillée et ravagée par les Perses. À la suite de cela, le théâtre italien devint marginal aux yeux de Justinien. La plus grande partie des ressources de l’Empire sera dévolue à la défense de la frontière orientale[43]. Bélisaire sera envoyé par l’Empereur sur le front perse.

Autre bouleversement, une pandémie de peste ravagea l’Empire à cette même époque. La peste sera cyclique pendant tout le restant du VIe siècle[44]. Outre son lot de morts, la pandémie causa famine, manque de main-d'œuvre et inflation. Ce sera le pire épisode de peste bubonique jusqu’à la terrible peste noire du XIVe siècle[43].

La situation favorable des années 530 se transforme en cauchemar pour l’Empire romain d’Orient à partir des années 540.

Le renouveau des Ostrogoths

Eluminure de la Chronique de Nuremberg (XVe siècle) représentant Totila.

Une fois BĂ©lisaire parti, les dĂ©boires commencent rapidement pour les Byzantins. Au nord du PĂ´, les Ostrogoths sont prĂ©sents en force et commencent rapidement Ă  montrer des vellĂ©itĂ©s de rĂ©voltes. L'organisation byzantine dans la pĂ©ninsule est un facteur de faiblesse car aucun gĂ©nĂ©ral n'exerce le commandement suprĂŞme. Onze gĂ©nĂ©raux vont se partager le commandement des 12 000 hommes postĂ©s en garnison en Italie[45]. Justinien cherche probablement Ă  Ă©viter qu'un personnage trop important ne se dĂ©gage et ne menace son propre pouvoir, Ă  l'image des soupçons qu'il a eus envers BĂ©lisaire. Sur le plan civil, une PrĂ©fecture du prĂ©toire est Ă©tablie avec Ă  sa tĂŞte Athanase. Ă€ ses cĂ´tĂ©s, plusieurs hauts fonctionnaires se distinguent dont Alexandre, chargĂ© des affaires fiscales. Particulièrement strict, il applique sans transition les règles fiscales en vigueur dans le reste de l'Empire, ce qui lui attire l'opposition d'une population appauvrie par la guerre.

Cette situation favorise la renaissance du royaume ostrogoth. Dès le départ de Bélisaire, Hildebad est désigné comme roi et son armée est rapidement renforcée de l'arrivée de Goths prompts à la révolte. Il domine alors un territoire réduit, centré sur Vérone et Pavie mais il ne tarde pas à s'affirmer. Il bat le général byzantin Vitalis à Trévise dès 541 mais son ascension est brutalement interrompue. Son titre de roi lui est contesté par Vraïas, qui jouit d'un grand prestige et d'une richesse plus importante que celle d'Hildebad. Ce dernier finit par le faire assassiner mais est immédiatement confronté à une révolte menée par Éraric dont les ambitions sont toutefois ambiguës, puisqu'il semble prêt à livrer l'Italie à Justinien en échange du titre de patrice et de richesses. Finalement, ce sont les soldats ostrogoths qui prennent l'initiative de proposer leur propre candidat au trône en la personne de Totila au cours de l'automne 541[45]. Après l'assassinat d'Éraric, il accède au pouvoir et s'apprête à lancer une contre-offensive d'envergure contre les Byzantins.

En quelques mois, il consolide fortement sa position comme roi des Ostrogoths et accroĂ®t sensiblement la taille de son armĂ©e, incorporant parfois des soldats de l'armĂ©e byzantine. Au dĂ©part, il ne peut compter que sur 5 000 hommes mais les errements du commandement byzantin lui profitent. Dans un premier temps, les Byzantins tentent pourtant de briser toute rĂ©sistance en s'emparant de VĂ©rone. Assez vite, l'ArmĂ©nien Artabase s'empare d'une des portes de la citĂ© dont la conquĂŞte apparaĂ®t alors aisĂ©e mais les gĂ©nĂ©raux, trop occupĂ©s Ă  se disputer le partage du butin, laissent passer l'occasion. Dès le lendemain, les Goths positionnĂ©s Ă  l'extĂ©rieur de la ville la reprennent. Peu après, Totila dĂ©cide d'affronter l'armĂ©e byzantine dans une bataille rangĂ©e en dĂ©pit de son infĂ©rioritĂ© numĂ©rique. LĂ  encore, les dissensions du commandement byzantin jouent un rĂ´le dĂ©cisif dans le sort de la bataille. Les Ostrogoths vainquent aisĂ©ment leurs adversaires qui se dispersent dans la rĂ©gion au cours de leur fuite. Pour Totila, ce succès d'ampleur lui ouvre la voie d'une reconquĂŞte de la pĂ©ninsule, d'autant qu'il bat encore les Byzantins près Ă  Mugello. NĂ©anmoins, il ne s'attaque pas Ă  Rome et se dirige plutĂ´t vers BĂ©nĂ©vent, dont il s'empare, avant de traverser l'Apulie, la Lucanie, la Calabre et le Bruttium. Il met le siège devant Naples dont la garnison finit par se rendre en avril 543, accablĂ©e par la famine et minĂ©e par l'Ă©chec des tentatives de secours en provenance de Sicile. Cette dĂ©faite est un coup dur pour les Byzantins qui ont perdu, en quelques mois, une grande partie des terres conquises après plusieurs annĂ©es de guerre[46].

Justinien est forcĂ© de rĂ©agir. La nomination de Maximin comme prĂ©fet du prĂ©toire avec autoritĂ© sur les forces militaires n'a pas d'effet en raison de l'incompĂ©tence de Maximin. De ce fait, il doit se rĂ©soudre Ă  rappeler BĂ©lisaire alors engagĂ© en Orient. Toutefois, il ne confie Ă  ce dernier que des troupes limitĂ©es, peut-ĂŞtre de crainte qu'il ne profite d'ĂŞtre Ă  la tĂŞte d'une forte armĂ©e pour provoquer un soulèvement militaire. De plus, l'Empereur rappelle Ă  son gĂ©nĂ©ral qu'il doit financer lui-mĂŞme ses opĂ©rations militaires[47]. Quoi qu'il en soit, ce manque de moyens contraint fortement la tâche de BĂ©lisaire qui parvient tout de mĂŞme Ă  lever une armĂ©e de 4 000 hommes en Thrace avant d'envoyer une flotte secourir Otrante alors assiĂ©gĂ©e. La situation byzantine n'en reste pas moins critique car les troupes Ă©trangères qui composent une bonne partie des effectifs militaires en Italie commencent Ă  dĂ©serter. ProfondĂ©ment dĂ©sorganisĂ©e, l'administration byzantine dans la pĂ©ninsule ne peut plus lever l'impĂ´t et ne peut donc payer les soldes. Tivoli est cĂ©dĂ©e par les Isauriens qui rallient les Goths tandis que Totila rĂ©duit une Ă  une les positions byzantines en Toscane et en Picenum, prenant Fermo, Ascoli, Spolète ou encore Chiusi, coupant les communications entre Ravenne et Rome. La citĂ© romaine elle-mĂŞme est soumise Ă  un siège Ă  partir de 545[48].

C'est Bessas qui assure la défense de Rome mais à ce poste, il fait preuve de peu de compétences et profite surtout des circonstances pour s'enrichir. Quant à Bélisaire, il ne dispose pas des troupes suffisantes pour se porter à son secours et doit envoyer le général Jean à Constantinople pour rassembler des moyens supplémentaires. Toutefois, il tarde à accomplir sa mission et préfère assurer son mariage avec une fille de Germanos, au grand dam de l'impératrice Théodora qui lui devient rapidement hostile. Il finit par regrouper une petite troupe qu'il amène à Dyrrachium. Immédiatement, Bélisaire envoie cette armée à Porto, le port de Rome. Là, les généraux Valentin et Phocas à la tête des renforts byzantins tentent d'inciter Bessas à agir en coordination avec leurs propres hommes. Toutefois, le chef de la garnison romaine reste passif tandis que des sorties sont régulièrement effectuées depuis Porto. Lors de l'une d'entre elles, Valentin et Phocas sont tués et Porto est à son tour assiégée avant de tomber. Les Romains envoient alors Pélage pour négocier auprès de Totila mais les deux parties ne parviennent pas à s'entendre. Dans les murailles de la ville, la situation devient critique. Bélisaire en personne se résout à faire voile vers Rome mais Jean préfère la voie des terres. Au lieu de se diriger vers Rome, il envahit la Calabre, l'Apulie, la Lucanie et le Bruttium, probablement pour rester à distance d'Antonina, la femme de Bélisaire et par ailleurs grande amie de Théodora dont elle partage l'hostilité à son égard. Depuis Porto, Bélisaire lance une opération de sauvetage qui manque de peu de réussir car les Byzantins sont proches de forcer le barrage établi par Totila sur le Tibre. Toutefois, Bélisaire apprend subitement qu'Isaac Kansarakan, le chef de la garnison restée à Porto, a été capturé. Cela implique que la cité portuaire est tombée ainsi que les individus y résidant, dont Antonina. Bélisaire se précipite en direction de Porto pour se rendre compte que l'information est erronée et que les Byzantins la tiennent toujours. Malheureusement pour lui, ce contretemps l'empêche de profiter de la défaillance des Goths et de rejoindre Rome. L'erreur vient d'Isaac Kansarakan qui, au mépris des ordres de Bélisaire, s'est aventuré hors des murailles de Porto et est tombé dans une embuscade. Accablé par ces circonstances, Bélisaire tombe gravement malade et n'est plus en mesure de secourir Rome.

La ville est désormais aux abois alors que les vivres sont à un niveau critique. Le , quatre soldats isauriens changent de camp et acceptent d'ouvrir les portes de la cité aux soldats de Totila[49]. Ceux-ci peuvent pénétrer sans combattre dans Rome qu'ils mettent à sac, s'appropriant les richesses accumulées par Bessas. Si la population est relativement épargnée lors du pillage, la ville sort profondément affaiblie de ce deuxième siège et de cette mise à sac. Quant à Totila, il est dorénavant en position de force et envoie une ambassade à Constantinople pour réclamer la paix, sans résultats. À Rome, il commence à démanteler les murailles mais Bélisaire le dissuade de poursuivre cette entreprise en l'informant qu'un tel acte affaiblirait sa position de dirigeant auprès de ses voisins. Finalement, il quitte la cité impériale assez vite pour reprendre les territoires conquis par Jean, contraignant celui-ci à se replier sur Otrante.

Le dĂ©part de Totila donne l'occasion Ă  BĂ©lisaire de reprendre Rome assez rapidement car la ville est mal dĂ©fendue. Dès le mois d', il en reprend le contrĂ´le, ce qui contraint Totila Ă  abandonner son projet de conquĂ©rir Ravenne. Cela dĂ©montre Ă  nouveau l'importance symbolique de la possession de Rome alors mĂŞme que, sur le plan stratĂ©gique, son contrĂ´le n'a que peu d'intĂ©rĂŞt, d'autant que la ville a perdu la plus grande partie de son prestige et que son aristocratie fuit au fur et Ă  mesure de la guerre. Politiquement, celui qui contrĂ´le Rome dĂ©tient une lĂ©gitimitĂ© plus grande et Totila se voit refuser la main de la fille de Childebert, le roi des Francs, en raison de la perte de la citĂ©. Le roi ostrogoth ne peut, dans l'immĂ©diat, reprendre Rome et il se contente de consolider ses positions en Italie, prenant PĂ©rouse au dĂ©but de l'annĂ©e 549 et reprenant rĂ©gulièrement la route du sud de l'Italie pour repousser les offensives de Jean. Les renforts byzantins rĂ©gulièrement envoyĂ©s, au nombre de 4 000 au total, ont principalement pour mission d'assurer les positions byzantines dans le Sud de l'Italie et de protĂ©ger la Sicile, dont les ressources en blĂ© sont cruciales. En revanche, BĂ©lisaire manque d'hommes pour entreprendre autre chose que la dĂ©fense de Rome et quelques raids contre les Ostrogoths. En aucun cas il ne dispose des moyens nĂ©cessaires pour affronter Totila. BĂ©lisaire en vient Ă  ressentir un profond mal-ĂŞtre face Ă  cette impasse et il demande Ă  Justinien son rappel d'Italie, qu'il obtient Ă  la fin de l'annĂ©e 548.

Du cĂ´tĂ© des Ostrogoths, le dĂ©part de BĂ©lisaire favorise leurs initiatives. Totila continue de renforcer son emprise sur l'Italie et parvient mĂŞme Ă  envoyer une flotte ravager la Dalmatie et vaincre le gouverneur de Salone, sur le territoire mĂŞme de l'empire d'Orient. En outre, il est en mesure de se faire ouvrir les portes de Rome en par des Isauriens après que la garnison de 3 000 hommes a offert une âpre rĂ©sistance. Totila se met immĂ©diatement Ă  repeupler la ville et Ă  lui redonner une partie de son faste d'antan. De nouveau, il tente d'obtenir la paix en offrant de renoncer Ă  la Sicile et Ă  la Dalmatie, de payer un tribut annuel et d'envoyer des troupes Ă  l'empire d'Orient Ă  chaque demande. LĂ  encore, Justinien refuse et persiste Ă  vouloir conquĂ©rir l'Italie[50]. Totila rĂ©agit en lançant un raid d'importance sur la Sicile, seule rĂ©gion de l'Italie byzantine Ă©pargnĂ©e par le retour en force des Ostrogoths. La force ostrogothe met Ă  sac l'Ă®le qui pourvoit grandement aux besoins alimentaires de l'Empire. NĂ©anmoins, elle ne peut s'emparer des principales citĂ©s insulaires, dont Messine et Syracuse. Justinien envoie le patrice LibĂ©rius Ă  Syracuse pour en briser le siège. Il rejoint ensuite Palerme mais, trop âgĂ©, il est remplacĂ© par Artabasde qui chasse les soldats goths Ă  la fin de l'annĂ©e 550. Si la Sicile n'est pas tombĂ©e aux mains de Totila, elle a grandement souffert et cet Ă©vĂ©nement dĂ©montre la capacitĂ© d'action grandissante des Ostrogoths.

Mort de Totila et victoire des Byzantins

Principales opérations de la guerre des Goths.

Face aux dĂ©boires de ses armĂ©es en Italie, Justinien dĂ©cide d'envoyer un personnage d'importance, Germanos, Ă  la tĂŞte d'une importante force. En raison de la flotte nombreuse des Goths, Germanos doit emprunter la voie de l'Istrie et de la VĂ©nĂ©tie, oĂą les Francs sont en position de force. Toutefois, il dispose d'effectifs nombreux, renforcĂ©s par des bucellaires, tandis que ses fils Justin et Justinien recrutent des mercenaires. Les Lombards fournissent 1 000 hommes aux Byzantins et Jean est aussi aux cĂ´tĂ©s de Germanos. Enfin, ce dernier dispose d'un atout cardinal. Sa femme, Matasonte, est la petite-fille du prestigieux roi ThĂ©odoric le Grand. Nombre d'Ostrogoths commencent Ă  paniquer Ă  l'annonce de l'arrivĂ©e de cette armĂ©e et d'autres sont peu enthousiastes Ă  l'idĂ©e de combattre le mari d'une descendante de ThĂ©odoric. Seule la mort subite de Germanos Ă  l'automne 550 empĂŞche les Byzantins de mener leur contre-offensive.

Justinien met quelque temps avant de trouver un successeur Ă  Germanos. Finalement, il nomme Narsès Ă  la tĂŞte de cette armĂ©e en [51]. Il prĂ©sente l'avantage d'avoir dĂ©jĂ  combattu en Italie mĂŞme si son expĂ©rience militaire reste rĂ©duite. En outre, il jouit de la confiance impĂ©riale, d'autant que son statut d'eunuque l'empĂŞche de prĂ©tendre au trĂ´ne impĂ©rial et de constituer une menace Ă  Justinien. Toutefois, le dĂ©part de l'expĂ©dition est perturbĂ© par des invasions des Slaves et des GĂ©pides. En Italie, Totila peut renforcer son emprise sur la pĂ©ninsule en prenant Civitavecchia, en lançant des raids contre la cĂ´te adriatique et en assiĂ©geant AncĂ´ne. L'intervention impromptue de Jean, qui a rĂ©uni une flotte de cinquante navires, permet de sauver la ville et d'infliger une dĂ©faite importante aux Ostrogoths Ă  l'Ă©tĂ© 551. Totila rĂ©agit immĂ©diatement en envahissant la Corse et la Sardaigne que Jean Troglita ne peut reprendre. La dernière phase de la guerre des Goths est enclenchĂ©e et elle est marquĂ©e par son intensitĂ©, dès lors que Totila dispose de moyens importants, capables d'intervenir directement sur le territoire de l'empire d'Orient. Du cĂ´tĂ© byzantin, Narsès requiert de Justinien d'importantes ressources humaines et financières car la faillite byzantine est venue principalement d'un manque d'effectifs en Italie et du non-paiement des soldes. Les frontières du Danube sont dĂ©garnies de troupes et un important contingent de fĂ©dĂ©rĂ©s forma une armĂ©e encore plus hĂ©tĂ©roclite que celle de BĂ©lisaire près de vingt ans plus tĂ´t. Nous y retrouvons des GĂ©pides, des HĂ©rules (dirigĂ©s par Philemuth, puis par Fulcaris), des Lombards, des Huns, et mĂŞme des dĂ©serteurs perses[52]. En , il peut compter sur une armĂ©e de 30 000 hommes.

Depuis Salone, la progression de Narsès est d'emblée perturbée par la présence des Francs en Vénétie et par les fortifications construites par Teias, un général de Totila, entre Vérone et Ravenne. Cette dernière est en effet toujours aux mains des Byzantins et représente une position stratégiquement et politiquement importante. Narsès parvient à s'y rendre en longeant le littoral et en franchissant les différents fleuves sur des ponts flottants. Il y arrive le et, quelques jours plus tard, se met en marche vers Rome. Il ne s'attaque pas aux bastions goths répartis dans la région et rejoint la voie flaminienne où il s'oppose à Totila qui a rassemblé son armée, sensiblement inférieure en nombre à celle des Byzantins. Lors de la bataille de Taginæ, les Byzantins, qui ont adopté une posture défensive, remportent une victoire complète marquée par la mort de Totila. C'est une étape décisive dans la guerre car les Ostrogoths sont profondément affaiblis tandis que Narsès peut sans mal conquérir l'Italie, à l'image de Rome qui est prise sans combattre.

Les Ostrogoths tentent de réagir en nommant Teias comme leur nouveau chef mais il dispose de moyens réduits. Il peut compter sur l'important trésor de Totila à Pavie mais ses moyens humains sont trop limités pour combattre les Byzantins. Il tente de s'adjoindre l'aide des Francs mais ces derniers maintiennent leur position ambiguë, cherchant surtout à profiter des événements pour affermir leur suprématie en Vénétie. Il en est réduit à mener des raids destructeurs et à tuer les sénateurs romains qu'il peut trouver, par mesures de représailles. La cité de Cumes devient très vite l'enjeu principal de la guerre car le trésor des Ostrogoths y est entreposé. Narsès l'assiège tandis que Téias s'y rend avec son armée pour tenter de renverser le cours du conflit. D'abord soutenue par sa flotte, celle-ci est vaincue par les Byzantins et il doit se résoudre à passer à l'attaque en .

Lors de la bataille du mont Lactarius, près du Vésuve, l'armée ostrogothe est annihilée et Téias est tué[53]. Seuls un millier d'hommes parvient à s'enfuir sous la conduite d'Indulf, continuant une lutte épisodique qui ne prend fin qu'avec la chute de Compsa (en) en 555. Quant à la ville de Cumes, elle se rend en 554.

Si les Ostrogoths ne reprĂ©sentent plus une menace, d'autres peuples barbares continuent d'avoir des vues sur l'Italie, notamment les Francs et les Alamans. Ils essaient de profiter de l'effondrement du royaume ostrogoth pour entreprendre des conquĂŞtes territoriales au dĂ©triment de l'Empire byzantin. Si Thibaut, le roi des Francs, n'intervient pas directement, il permet Ă  deux chefs alamans d'intervenir dans la pĂ©ninsule, officiellement dans le but de soutenir les Goths. Partant de la vallĂ©e du PĂ´, une armĂ©e qui aurait rassemblĂ© jusqu'Ă  75 000 selon les chroniqueurs de l'Ă©poque se dirige vers le sud de l'Italie. Narsès est contraint d'intervenir alors qu'il a commencĂ© Ă  disperser son armĂ©e. Il parvient Ă  garantir la loyautĂ© des HĂ©rules et rassemble 18 000 hommes pour contrer une force de 30 000 Francs et Alamans. De son cĂ´tĂ©, Aligern, qui dirige ce qu'il reste des Ostrogoths en Italie du Nord, se range auprès des Byzantins. Au cours de la bataille du Volturno, Narsès dĂ©montre sa supĂ©rioritĂ© tactique en s'adaptant au fait que les Francs combattent Ă  pied plutĂ´t qu'Ă  cheval, contrairement aux Ostrogoths. Dès lors, il s'appuie Ă  la fois sur sa cavalerie et sur ses archers (souvent Ă  cheval eux-mĂŞmes) pour briser l'armĂ©e franque qui subit une lourde dĂ©faite. La conquĂŞte de l'Italie est alors quasiment terminĂ©e. Le gĂ©nĂ©ral Jean, neveu de Vitalien, s'assure du contrĂ´le de la Ligurie tandis que VĂ©rone et Brescia sont conquises en 561-562 après l'Ă©limination du rebelle ostrogoth Widin. Narsès lui-mĂŞme chasse les Francs de la VĂ©nĂ©tie. En 562, l'Italie est de nouveau tout entière sous le contrĂ´le d'un Empire romain.

La Pragmatique Sanction de 554 remet tous les territoires de l’Italie sous la législation de l’Empire byzantin et redonne aux propriétaires terriens les terres qui avaient été aliénées par l’« immonde » Totila en faveur des paysans. Ceci aggravera par la suite les conditions déjà précaires des Italiens. Comme conséquence de la guerre, des privations et des taxes, une terrible épidémie de peste s’abat sur l’Italie de 559 à 562.

Conséquences

Une région profondément affaiblie et transformée par la guerre

Avec la chute du royaume ostrogoth, l'Empire byzantin rétablit la domination romaine sur l'ensemble de la péninsule. Cet état de fait est affirmé par l'adoption de la Pragmatique Sanction le , qui rétablit l'ordre des choses après l'intervention de Totila. L'administration civile est libérée de l'influence militaire, l'aristocratie italienne recouvre sa liberté et ses biens et l'Église catholique voit sa place confortée. En ce qui concerne l'aristocratie, les évêques et notables peuvent de nouveau élire leurs gouverneurs et les sénateurs jouissent d'une liberté d'aller et de venir à Constantinople. Rome jouit de nouveau de ses privilèges comme la distribution des vivres. Toutefois, les volontés exprimées par ce document se heurtent à la réalité des choses et aux conséquences de la guerre. Si les actes de Totila sont considérés comme nuls et non avenus et si l'aristocratie peut récupérer les biens perdus par l'intervention du monarque ostrogoth, les transferts de biens au profit d'autres Romains ne sont pas concernés. Ainsi, les bénéfices accumulés par Bessas alors qu'il gouvernait la garnison de Rome assiégée ne sont pas remis en cause alors qu'ils ont appauvri de nombreux habitants. L'illusion d'un retour à l'ordre ancien est balayé par les évolutions sociales. La main d'œuvre à la disposition des grands propriétaires terriens a vu son nombre chuter et la main d'œuvre restante est en mesure de faire valoir ses droits bien plus aisément. Enfin, la grande aristocratie est aussi fragilisée par le départ de nombre de sénateurs romains à Constantinople.

Plus gĂ©nĂ©ralement, c'est l'ensemble de l'Italie qui a souffert en profondeur de la guerre. La population a subi une dĂ©crue importante, surtout liĂ©e aux consĂ©quences de la peste justinienne qui frappe la pĂ©ninsule au mĂŞme moment. Le monde agricole est grandement dĂ©sorganisĂ© par les campagnes militaires qui s'accompagnent de pillages et d'exactions. Les villes sont elles aussi en dĂ©clin. Rome ne compte plus que quelques dizaines de milliers d'habitants contre 500 000 Ă  Constantinople tandis que Milan a Ă©tĂ© rasĂ©e. Seule Ravenne a Ă©tĂ© relativement Ă©pargnĂ©e et devient rapidement le cĹ“ur du pouvoir byzantin en Italie. En revanche, l'Église sort renforcĂ©e de la guerre, d'autant que la dĂ©faite des Ostrogoths porte un rude coup Ă  l'arianisme, qui ne va pas tarder Ă  disparaĂ®tre. Les Ă©vĂŞques deviennent des personnages clefs de l'administration municipale. Toutefois, le pape doit accepter la tutelle plus directe de l'empereur. Ainsi, dès 545, Vigile est enlevĂ© sur ordre de Justinien avant d'ĂŞtre remplacĂ© par PĂ©lage. Si la papautĂ© se voit garantie une prĂ©dominance formelle sur les autres patriarcats, le pape n'a pas plus de marges de manĹ“uvres que les autres patriarches.

Une conquête relativement éphémère

Pour l'Empire byzantin, la conquête de l'Italie lui garantit une prédominance nette sur le monde méditerranéen, d'autant que Justinien envoie un corps expéditionnaire s'emparer de la Bétique en Espagne. La mer Méditerranée est de nouveau une mare nostrum. En dominant Rome, Justinien voit sa légitimité renforcée et peut s'affirmer comme l'héritier des plus grands empereurs romains. En revanche, cette conquête reste fragile. Conquise après une lutte âpre, l'Italie apparaît comme une région périphérique d'un Empire dont le centre de gravité est plutôt situé en Orient. Le Nord de la péninsule est directement exposé à l'invasion de peuples comme les Gépides ou les Lombards et les invasions avortées des Francs et des Alamans ont démontré que les peuples barbares continuent de constituer une menace sur les terres de l'ancien Empire romain d'Occident. Dès le règne de Justin II, le successeur de Justinien, les Lombards commencent à envahir la péninsule et l'Empire ne parvient à maintenir sa suprématie que sur des régions éparses, centrées autour de Rome, de Ravenne et du Sud de l'Italie. C'est la partie méridionale de la péninsule qui résiste le mieux aux envahisseurs. Ainsi, la Sicile, préservée de la violence des combats en raison de sa conquête rapide par Bélisaire devient une région stratégiquement importante pour l'Empire, en raison de sa production abondante de blé.

En définitive, la pertinence de la conquête de l'Italie fait l'objet de jugements discordants par les historiens. Certains y voient la démonstration d'une certaine forme de mégalomanie de Justinien, engagé dans une vaine entreprise de rétablissement des frontières de l'Empire romain. L'Empire byzantin se serait épuisé dans une guerre qui a consommé des ressources importantes qui auraient pu être utilisés pour défendre les frontières traditionnelles de l'empire d'Orient, tant sur les Balkans qu'en Orient contre les Perses. D'autres historiens sont plus nuancés et estiment que cette conquête présente aussi des avantages. La conquête justinienne n'est pas considérée comme éphémère. Pendant près de cinq siècles, les Byzantins seront présents en Italie dans diverses enclaves. Cette présence aura un impact sur l'avenir de l'Italie, car elle empêchera la création de royaumes puissants sur la péninsule[54]. La guerre gothique est un peu à l'image du règne de Justinien. Après la gloire des années 530, les années suivantes furent décevantes[55].

Bien que coĂ»teuses, les guerres gothiques n’ont pas ruinĂ© l’Empire, mĂŞme après 540. Lorsque le besoin se fit sentir, des troupes importantes purent ĂŞtre levĂ©es rapidement. De mĂŞme, de lourds tributs durent ĂŞtre payĂ©s Ă  la Perse. La seule faiblesse de l’Empire Ă©tait sans doute d’un point de vue dĂ©mographique. Les armĂ©es sous Justinien vont devoir de plus en plus se rabattre sur des fĂ©dĂ©rĂ©s ou sur les soldats des rĂ©gions battues pour garnir ses rangs[56]. Agathias affirme que l’Empire grandement Ă©largi ne comptait que 150 000 soldats pour le dĂ©fendre[57]. Il ajouta aussi que Justinien « aima mieux ou gagner ses ennemis par des prĂ©sents, ou les armer par ses intrigues les uns contre les autres », ce qui fit dĂ©pĂ©rir les lĂ©gions[58].

Fonds historiques

La plupart des informations aujourd’hui disponibles sur la guerre des Goths ont été transmises par Procope de Césarée, le secrétaire de Bélisaire, qui les relate dans quatre des huit livres composant son Histoire de la guerre. Procope a participé directement aux premières phases des opérations, en particulier durant le premier siège de Rome (537-538). Mais Procope n’était pas un ami de Justinien et pour cette raison, selon certains historiens, ses affirmations et ses commentaires sont à prendre avec réserve.

Un témoignage important est fourni par l’ouvrage De origine actibusque Getarum, de l’historien Jordanès, lequel, Goth d’origine, donne une vision complémentaire de celle de Procope.

Références

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Source

  • (it) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de l’article de WikipĂ©dia en italien intitulĂ© « Guerra gotica (535-553) » (voir la liste des auteurs)..
  • (en) John B. Bury, History of the Later Roman Empire : From the Death of Theodosius I to the Death of Justinian, Volume 2, Mineola, Dover Publications, (ISBN 0-486-20399-9).
  • Robert Graves, Count Belisarius, traduction en français par Michel Courtois-Fourcy: Le comte BĂ©lisaire, Paris, Flammarion, 1987, rĂ©Ă©dition 2002.
  • (en) Ian Hughes, Belisarius : The Last Roman General, Yardley, PA, Westholme Publishing, LLC, (ISBN 978-1-59416-528-3).
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  • Pierre Maraval, Justinien, Le rĂŞve d'un empire chrĂ©tien universel, Paris, Tallandier, , 427 p. (ISBN 979-10-210-1642-2). Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
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