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Jean Troglita

Jean Troglita (en latin : Ioannes Troglita, en grec ancien : áŒžÏ‰ÎŹÎœÎœÎ·Ï‚ Î€ÏÏ‰ÎłÎ»ÎŻÏ„Î·Ï‚) est un gĂ©nĂ©ral byzantin du VIe siĂšcle. Il participe Ă  la guerre des Vandales lors de laquelle les Byzantins reprennent le contrĂŽle de la province d'Afrique et sert dans cette rĂ©gion comme gouverneur militaire local entre 533 et 538 avant d’ĂȘtre envoyĂ© en Orient, pour combattre les Sassanides. En tant que dux Mesopotamiae, Troglita se distingue dans plusieurs batailles, ce qui attire l'attention de l'empereur Justinien Ier. À l'Ă©tĂ© 546, Justinien choisit Jean Troglita comme commandant des forces byzantines en Afrique. Il doit faire face Ă  une sĂ©rie de rĂ©voltes parmi les tribus berbĂšres ainsi qu’à l’intĂ©rieur de l’armĂ©e impĂ©riale. Troglita remporte rapidement une premiĂšre victoire contre les BerbĂšres de ByzacĂšne lors de l’étĂ© 546-547. Toutefois, il est dĂ©fait Ă  l’étĂ© 547 par les tribus de Tripolitaine et l’Afrique est alors sujette Ă  des raids destructeurs. Troglita rĂ©organise son armĂ©e et s’assure le soutien de plusieurs chefs berbĂšres. Peu aprĂšs, il affronte et dĂ©fait une coalition aux champs de Caton Ă  l’étĂ© 548. Cette victoire met fin Ă  la rĂ©volte berbĂšre et ouvre une Ăšre de paix en Afrique byzantine. Troglita est aussi impliquĂ© dans la guerre gothique en envoyant Ă  deux reprises des troupes pour renforcer les Byzantins combattant les Ostrogoths. Moins connu que les grands gĂ©nĂ©raux de Justinien comme BĂ©lisaire et NarsĂšs, son action permet nĂ©anmoins de consolider de maniĂšre dĂ©cisive le contrĂŽle byzantin sur l'Afrique du Nord rĂ©cemment conquise, qui devient rapidement une province prospĂšre.

Jean Troglita
áŒžÏ‰ÎŹÎœÎœÎ·Ï‚ Î€ÏÏ‰ÎłÎ»ÎŻÏ„Î·Ï‚
Naissance Inconnue
DĂ©cĂšs v. 552 ou aprĂšs
Allégeance Empire romain d'Orient
Conflits Guerre des Vandales
Guerre lazique
Guerre contre les Maures
Faits d'armes Bataille des champs de Caton

Les exploits de Jean Troglita, notamment contre les BerbĂšres rĂ©voltĂ©s, sont le sujet du dernier poĂšme Ă©pique en latin de l’AntiquitĂ©, le Iohannis seu de Bellis Libycis (La Johannide ou Sur les Guerres de Libye) de Corippe, qui constitue la principale source de l’époque sur la vie de Jean Troglita.

Biographie

Origine et début de carriÚre

Carte reprĂ©sentant l'Empire byzantin Ă  l'accession au pouvoir de Justinien ainsi que les conquĂȘtes advenant sous son rĂšgne
L'Empire byzantin Ă  la mort de Justinien, comprenant ses nombreuses conquĂȘtes en Occident, parmi lesquelles la province d'Afrique, principal thĂ©Ăątre de l'action de Jean Troglita.

L’origine exacte de Jean Troglita n’est pas connue avec prĂ©cision. Il pourrait ĂȘtre nĂ© en Thrace mais son patronyme indiquerait qu’il viendrait de Trogilos (en grec ancien : Î€ÏÏŽÎłÎčÎ»ÎżÏ‚) en MacĂ©doine[1]. Selon les informations fournies par l’historien Procope de CĂ©sarĂ©e et le panĂ©gyriste Corippe, il serait le fils d’une certaine Évanthes et aurait au moins un frĂšre du nom de Pappus. Troglita se marie avec la fille d’un roi, probablement un chef barbare, et a un fils du nom de Pierre[1].

Photographie d'une mosaïque représentant un homme barbu, probablement Bélisaire
Mosaïque de la basilique Saint-Vital de Ravenne, représentant probablement Bélisaire, qui rétablit la souveraineté romaine en Afrique.

Jean Troglita est mentionnĂ© pour la premiĂšre fois comme participant Ă  la guerre des Vandales sous le commandement de BĂ©lisaire. Il pourrait alors ĂȘtre identifiĂ© Ă  un autre Jean qui commande une unitĂ© de fĂ©dĂ©rĂ©s (foederati) lors des batailles de l’Ad Decimum et de TricamĂ©ron[2] - [3]. Troglita reste en Afrique aprĂšs le dĂ©part de BĂ©lisaire en 534 et participe aux expĂ©ditions du gouverneur Solomon contre les Maures en 534-535. À cette Ă©poque, il est probablement le gouverneur militaire local (dux) de la ByzacĂšne ou plus probablement de la Tripolitaine. C’est sous cette fonction qu’il conduit plusieurs campagnes fructueuses contre la tribu Laguatan[4]. Il combat aussi une armĂ©e de mutins conduite par Stotzas, puis participe Ă  la premiĂšre victoire de BĂ©lisaire Ă  Membresa en 536 avant de combattre sous les ordres de Germanus, le successeur de Solomon, lors de la bataille dĂ©cisive de Scalas Veteres au printemps 537. Durant cette bataille, il est l’un des commandants de la cavalerie situĂ©e Ă  l’aile droite de l’armĂ©e byzantine qui est mise en dĂ©route par les hommes de Stotzas selon Procope de CĂ©sarĂ©e. Toutefois, cela n’empĂȘche pas les Byzantins de remporter la victoire. En 538, Troglita se distingue lors de la bataille d’Autenti, probablement en ByzacĂšne[4].

AprĂšs 538, Troglita est envoyĂ© sur la frontiĂšre orientale de l’empire oĂč il est nommĂ© duc de MĂ©sopotamie (dux Mesopotamiae), l’un des commandements militaires les plus importants de la rĂ©gion. C’est lĂ  qu’il arrĂȘte un membre de l’ambassade envoyĂ© par le roi ostrogoth VitigĂšs aux Perses pour les inciter Ă  attaquer les Byzantins. Lorsque la guerre Ă©clate, Jean remporte de nombreux succĂšs contre l’armĂ©e perse selon Corippe. Il dĂ©fait notamment le gĂ©nĂ©ral NabĂ©dĂšs prĂšs de Nisibe et conduit son armĂ©e dans une offensive nocturne victorieuse contre les forces perses assiĂ©geant Theodosiopolis. Enfin, il vainc une autre armĂ©e perse assiĂ©geant Dara et capture le gĂ©nĂ©ral Mihr-Mihroe[5]. Toutefois, Procope donne une autre version de la premiĂšre bataille. Selon lui, Troglita est sauvĂ© d’une soudaine attaque perse par BĂ©lisaire tandis que les deux autres engagements ne sont pas mentionnĂ©s par l'historien[6] - [7]. MalgrĂ© tout, Corippe affirme que Jean est fĂ©licitĂ© pour ses victoires par Urbicius, l’un des conseillers de l’empereur Justinien envoyĂ© pour superviser les combats[8].

Haut commandement en Afrique

Durant son absence en Afrique, la situation s’est dĂ©gradĂ©e. Germanus reste le gouverneur de la province jusqu’en 539 et parvient Ă  restaurer la discipline dans l’armĂ©e ainsi qu’à pacifier le cƓur de la province d'Afrique et de la ByzacĂšne. Solomon lui succĂšde lors d’un deuxiĂšme mandat. Il parvient Ă  dĂ©faire les Maures des AurĂšs et Ă  affermir le contrĂŽle byzantin sur la Numidie et la MaurĂ©tanie Sitifienne. Toutefois, la rĂ©volte mauresque, avec Ă  sa tĂȘte Antalas, reprend en 543 et Solomon est tuĂ© lors de la bataille de Cillium en 544. Son successeur est son neveu Serge, un incompĂ©tent, qui est tuĂ© Ă  l’étĂ© 546 lors d’une nouvelle rĂ©volte militaire menĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Guntharic. Ce dernier se dĂ©clare indĂ©pendant de Constantinople mais est bientĂŽt assassinĂ© par ArtabanĂšs. Les difficultĂ©s byzantines proviennent de deux causes. D'abord, un commandement souvent divisĂ©, comme l'atteste l'envoi d'ArĂ©obindus pour supplĂ©er Ă  l'incompĂ©tence de Serge sans pour autant dĂ©mettre celui-ci. Ensuite, un manque de moyens humains liĂ©s Ă  la guerre menĂ©e en Italie contre les Ostrogoths. À Constantinople, le besoin d’avoir un nouveau meneur compĂ©tent en Afrique se fait fortement ressentir[9]. À la suite d’une trĂȘve signĂ©e avec les Perses en 546, l’empereur Justinien rappelle Troglita d’Orient, peut-ĂȘtre sur le conseil d’Urbicius (c’est ce qui figure dans le texte de Corippe). L'expĂ©rience de Jean Troglita en Afrique et sa connaissance des tribus maures pourraient expliquer le choix de Justinien de lui faire confiance[10]. Dans sa biographie consacrĂ©e Ă  Justinien, l'historien Georges Tate qualifie ainsi les qualitĂ©s de Jean Troglita : « Il sait se faire estimer et aimer de ses troupes grĂące Ă  son Ă©quitĂ© et Ă  son courage personnel. Il est infatigable et aussi habile Ă  remporter des victoires qu'Ă  Ă©viter des dĂ©faites par des retraites dĂ©cidĂ©es Ă  temps et en bon ordre »[11]. À Constantinople, l’empereur fait part Ă  Jean Troglita de la situation africaine et le place Ă  la tĂȘte d’une nouvelle armĂ©e avant de l’envoyer en tant que nouveau maĂźtre des milices (magister militum) pour l’Afrique Ă  la fin de l’étĂ© 546[12].

Écrasement de la rĂ©volte mauresque

Carte ancienne représentant l'est de la Numidie
Carte de l'Afrique romaine.

Au dĂ©but de l’annĂ©e 546, alors que Jean Troglita atteint Carthage, la situation est critique. Les troupes impĂ©riales dirigĂ©es par Marcentius, le duc de ByzacĂšne, et GrĂ©goire, cousin d'ArtabanĂšs, Ă  Carthage sont en sous-effectif et dĂ©moralisĂ©es. Elles tiennent les citĂ©s cĂŽtiĂšres qui subissent une forme de blocus par les Maures de ByzacĂšne dirigĂ©s par Antalas, tandis que les tribus Laguatans et Austuriennes de Tripolitaine lancent des raids sur la ByzacĂšne en toute impunitĂ©. NĂ©anmoins, les efforts diplomatiques ont permis d’assurer aux Byzantins le soutien de Cusina et IfisdaĂŻas, deux chefs maures qui peuvent mobiliser jusqu'Ă  30 000 cavaliers[11]. Cela permet de renforcer l’armĂ©e impĂ©riale de plusieurs milliers d’hommes. De surcroĂźt, les tribus des AurĂšs quittent la Numidie Ă  l’annonce de l’arrivĂ©e de Troglita et maintiennent une neutralitĂ© armĂ©e[13].

DĂšs son arrivĂ©e Ă  Carthage, Troglita rĂ©organise ses troupes, renforce les forces locales avec l’arrivĂ©e de vĂ©tĂ©rans venus avec lui (principalement des archers Ă  cheval et des cataphractaires) et marche Ă  la rencontre des rebelles. À Antonia Castra, des Ă©missaires d’Antalas se prĂ©sentent aux Byzantins mais Troglita rejette leurs propositions et les emprisonne. L’armĂ©e byzantine se dirige alors vers la ByzacĂšne et libĂšre les citĂ©s assiĂ©gĂ©es, ce qui permet aux troupes de Marcentius de se rallier Ă  Jean Troglita. Les Maures sont pris par surprise par la rapiditĂ© de la progression byzantine et se replient vers les rĂ©gions montagneuses et boisĂ©es de l’intĂ©rieur des terres[14] - [11]. LĂ , ils rassemblent leurs forces sous la direction de Ierna issu de la tribu des Laguatans et d’Antalas. Leur objectif est de conduire une guĂ©rilla pour Ă©puiser l'armĂ©e adverse, au travers d'embuscades trĂšs efficaces dans les vallĂ©es encaissĂ©es qu'ils occupent[15]. Corippe suggĂšre que les deux chefs espĂšrent que Troglita ne poursuivra pas son avance en plein milieu de l’hiver. En outre, ils pensent avoir l’avantage sur ce type de terrain. Troglita Ă©tablit son camp prĂšs des positions mauresques et envoie Amantius, un messager, pour proposer ses conditions Ă  Antalas. Troglita lui offre l’amnistie en Ă©change de sa soumission Ă  l’autoritĂ© impĂ©riale. Cette offre, inacceptable pour les rebelles, semble tĂ©moigner de la certitude qu'a Jean Troglita de sa supĂ©rioritĂ©[16] - [17].

Antalas refuse l’accord et les deux camps se prĂ©parent donc au combat. Corippe dĂ©crit la bataille qui s’ensuit dans un style homĂ©rique mais son rĂ©cit offre peu de dĂ©tails concrets sur son dĂ©roulement. Celle-ci semble prĂ©cĂ©dĂ©e de dĂ©monstrations de force et de provocations diverses, les Maures allant jusqu'Ă  faire charger un taureau sacrĂ©, facilement tuĂ© par un cavalier byzantin[18]. Il apparaĂźt de toute Ă©vidence que l’affrontement est long, sanglant et indĂ©cis[19] et qu’il a lieu au sud ou Ă  l’est de SufĂ©tula (l'actuelle SbeĂŻtla), Ă  la fin de l’an 546 ou au dĂ©but de l’an 547. Finalement, les Byzantins l’emportent et repoussent les Maures, avant de percer leurs dĂ©fenses et de dĂ©vaster leur camp. Selon Corippe, Ierna, Grand PrĂȘtre du dieu Gurzil, est tuĂ© alors qu’il essaie de protĂ©ger une image de son dieu. Bon nombre d’autres chefs tribaux tombent durant la bataille et les autres s’enfuient. Les rescapĂ©s des tribus tripolitaines abandonnent la ByzacĂšne et Antalas est contraint de dĂ©poser les armes. En outre, de nombreux prisonniers byzantins sont libĂ©rĂ©s et, parmi le butin, l’équipement militaire perdu par Solomon Ă  Cillium est rĂ©cupĂ©rĂ©. Il est envoyĂ© Ă  Constantinople tandis que Jean Troglita fait une entrĂ©e triomphale Ă  Carthage[20] - [21] - [22].

Bataille de Marta

Avec cette victoire, la guerre semble remportée et la paix est rétablie en Afrique. Toutefois, quelques mois plus tard, les tribus de Tripolitaine se rassemblent et forment une coalition dirigée par Carcasan, le chef des Ifuraces[21]. Ce théùtre d'action est différent de celui de la ByzacÚne. Le désert s'approche trÚs prÚs du littoral et les tribus qui y résident sont complÚtement nomades, sans grande organisation politique[22]. AprÚs avoir lancé des raids en Tripolitaine, elles se tournent vers l'ouest et s'attaquent de nouveau à la ByzacÚne. Informé de ces actions par Rufinus, le duc de Tripolitaine, Troglita marche à leur rencontre. L'armée byzantine a été affaiblie entre-temps par l'envoi de renforts en Italie pour soutenir Bélisaire dans sa guerre contre les Goths. Sur les neuf régiments que Troglita a amenés depuis Constantinople, trois sont envoyés en Italie. Les Maures dirigés par Antalas restent hostiles mais ne rejoignent pas immédiatement le conflit. Toutefois, les Byzantins sont privés de l'aide d'Ifisdaïas qui refuse d'envoyer des soldats. Malgré la chaleur de l'été, Troglita fait avancer ses hommes à marche forcée vers la limite méridionale de la ByzacÚne, prÚs de la bordure du désert. Il espÚre y rencontrer les Maures et éviter que la province ne soit de nouveau ravagée. Ceux-ci se replient d'abord vers l'intérieur aride, espérant se débarrasser des Byzantins. Cependant, ces derniers ont emmené avec eux une caravane fournie en eau et en provisions et qui les suit dans le désert. Les armées souffrent de la faim et de la soif et le mécontentement finit par gagner les rangs byzantins. Une mutinerie finit par éclater quand une épidémie tue la majeure partie des chevaux, ce qui contraint Troglita à se replier vers le nord et la cÎte[23].

Troglita se positionne entre le plateau de Matmata et la cĂŽte, puis attend les Maures. Il envoie aussi des navires ramener des vivres mais des vents contraires rendent la mission impossible. Quand l'armĂ©e adverse apparaĂźt Ă  proximitĂ©, elle est probablement Ă©puisĂ©e par la faim et se dirige vers des sources d'eau que Troglita a atteint en premier. Les Byzantins campent Ă  Marta dans le district de Gallica oĂč la bataille se produit. C'est une dĂ©faite dĂ©sastreuse pour les Byzantins dont l'armĂ©e s'enfuit. Dans l'intention probable de disculper Troglita, Corripe attribue les raisons de la dĂ©faite Ă  l'indiscipline de certains soldats qui ont attaquĂ© les Maures avant que l'armĂ©e ne soit prĂȘte, conduisant Ă  un engagement dĂ©sordonnĂ©. Selon le rĂ©cit de Corripe, les alliĂ©s maures des Byzantins paniquent les premiers et battent en retraite, entraĂźnant la dĂ©sorganisation de l'ensemble de l'armĂ©e malgrĂ© l'intervention de Troglita et des autres chefs byzantins[24] - [25].

AprĂšs cette dĂ©faite, Troglita fuit vers Iunci (aujourd'hui Bordj Younga, Ă  neuf kilomĂštres au sud de MahrĂšs[26]) oĂč il commence Ă  regrouper les fuyards. Les pertes sont si lourdes et le moral de l'armĂ©e si bas qu'il est bientĂŽt contraint de se replier plus au nord, vers la forteresse de Laribus (aujourd'hui le village de Lorbeus prĂšs du Kef[27]). LĂ , il commence Ă  rassembler son armĂ©e. Apprenant l'issue de la bataille, Antalas se soulĂšve Ă  nouveau et rejoint les tribus de la Tripolitaine pendant que les alliĂ©s de Byzantins, Cusina et IfisdaĂŻas, se disputent entre eux. Lors du restant de l'annĂ©e 547, les Maures peuvent librement razzier l'Afrique byzantine, atteignant mĂȘme les environs de Carthage[28].

Bataille des champs de Caton

Troglita ne reste pas inactif. Depuis Carthage, le prĂ©fet du prĂ©toire Athanase et le jeune fils de Troglita rassemblent des renforts et des provisions au camp de Laribus tandis que Troglita parvient Ă  rĂ©concilier Cusina et IfisdaĂŻas par le biais d'un Ă©missaire nommĂ© Jean, ainsi qu'Ă  obtenir l'allĂ©geance d'Iaudas et de sa tribu[29]. Lors du printemps 548, Troglita a regroupĂ© ses forces et rencontre ses alliĂ©s maures dans la plaine d'Arsuris prĂšs de la frontiĂšre nord de la ByzacĂšne. Corippe donne des chiffres exceptionnellement grands pour le contingent mauresque : 30 000 pour Cusina, 100 000 hommes pour IfisdaĂŻas et 12 000 pour le frĂšre d'Iaudas. Quels que soient les effectifs rĂ©els, il semble certain que les troupes rĂ©guliĂšres de Troglita forment le contingent le moins nombreux de l'armĂ©e impĂ©riale[30].

Les tribus dirigĂ©es par Carcasan, Antalas et Bruten campent dans la plaine de Mamma ou Mammes, au centre de la ByzacĂšne. Carcasan, confiant en raison de sa victoire l'annĂ©e prĂ©cĂ©dente, veut se confronter immĂ©diatement Ă  l'armĂ©e impĂ©riale, ce en quoi il s'oppose Ă  Antalas. Ce dernier privilĂ©gie une tactique plus prudente et dĂ©jĂ  Ă©prouvĂ©e par les Maures consistant Ă  faire se diriger les Byzantins vers l'intĂ©rieur des terres, les forçant Ă  marcher loin de leurs bases de ravitaillement Ă  travers un pays dĂ©vastĂ©, pour les Ă©puiser et les dĂ©moraliser. Les rebelles se replient vers le sud-est et atteignent Iunci aprĂšs dix jours. L'armĂ©e de Troglita les poursuit et ne s'oppose Ă  l'arriĂšre-garde adverse qu'au travers de quelques escarmouches. Une fois que l'armĂ©e byzantine atteint la plaine devant Iunci et construit un camp, les Maures se replient Ă  nouveau dans l'intĂ©rieur montagneux. InformĂ© de la tactique adverse grĂące Ă  un espion, Troglita refuse de les poursuivre et reste Ă  proximitĂ© du port de Lariscus oĂč il peut facilement ĂȘtre approvisionnĂ©. Cependant, la colĂšre monte dans les rangs des soldats qui ne comprennent pas la rĂ©ticence de leur chef Ă  se battre. L'armĂ©e se mutine et s'en prend Ă  la tente de Troglita qui parvient de justesse Ă  s'Ă©chapper. GrĂące aux contingents maures qui lui restent loyaux, Jean Troglita parvient Ă  reprendre en main ses troupes[30] - [31].

Il dĂ©place son armĂ©e dans le but d'affronter l'ennemi qui campe dans une plaine du nom de champs de Caton. Le camp maure est lourdement fortifiĂ© et Troglita est rĂ©ticent Ă  lancer un assaut direct. De fait, il en Ă©tablit le blocus, espĂ©rant que la faim forcera les Maures Ă  l'affronter en rase campagne. Pour les y inciter, il retient ses soldats, faisant croire qu'il craint le combat. Son plan fonctionne. AprĂšs avoir Ă©tĂ© encouragĂ©s par des sacrifices Ă  leurs dieux et espĂ©rant surprendre l'armĂ©e byzantine, les Maures attaquent le camp adverse un dimanche. La victoire tarde Ă  choisir son camp et les morts sont nombreux des deux cĂŽtĂ©s. Toutefois, les Byzantins finissent par prendre le dessus. À cet instant, Carcasan rallie ses troupes et lance une violente contre-attaque mais il est tuĂ© par Troglita. Voyant leur chef tuĂ©, les Maures s'enfuient. La bataille est un succĂšs retentissant pour les Byzantins. Dix sept des principaux dirigeants maures sont tuĂ©s, les tribus de la Tripolitaine sont dĂ©cimĂ©es et se replient vers le dĂ©sert tandis qu'Antalas et ses partisans se soumettent Ă  Troglita[32]. La ByzacĂšne, la Numidie et la Tripolitaine sont finalement pacifiĂ©es, laissant place Ă  une pĂ©riode de paix s'Ă©tendant sur une durĂ©e de 14 ans, jusqu'en 562[33] - [34].

Activités ultérieures

Photographie d'une muraille en ruines
Vestiges d'une muraille byzantine Ă  TĂ©bessa. En Afrique, Jean Troglita participe Ă  l'Ɠuvre de fortifications de la nouvelle province byzantine, Ă  la suite des travaux dĂ©jĂ  menĂ©s par Solomon.

À cette Ă©poque, Troglita semble ĂȘtre promu au titre honorifique de patrice (patricius), comme attestĂ© par l'historien du VIe siĂšcle JordanĂšs. Il reste en poste en Afrique pendant au moins quatre ans oĂč il conduit une politique difficile de reconstruction. Il remet en place l'appareil administratif comme il avait originellement Ă©tĂ© envisagĂ© par l'empereur Justinien en 533, partageant son autoritĂ© avec le prĂ©fet Athanase. Les fortifications provinciales construites par Solomon sont restaurĂ©es et les tribus maures soumises retrouvent un statut de vassalitĂ© en tant que peuple fĂ©dĂ©rĂ©. Selon l'historien John B. Bury, la performance de Troglita, qui a rĂ©tabli l'ordre et la tranquillitĂ© dans la province troublĂ©e, fait de lui, aux cĂŽtĂ©s de BĂ©lisaire et Solomon, « le troisiĂšme hĂ©ros de la rĂ©occupation impĂ©riale de l'Afrique »[35] - [36].

La principale rĂ©ussite de Jean Troglita dans cette Ɠuvre de pacification de l'Afrique, sujette Ă  de graves troubles internes Ă  son arrivĂ©e, est d'ĂȘtre parvenu Ă  rallier Ă  ses cĂŽtĂ©s d'importants contingents maures. En effet, les forces byzantines sont alors dispersĂ©es sur plusieurs fronts, notamment en Italie. Ainsi, l'historien Yves ModĂ©ran estime qu'il ne dispose que de 10 000 soldats byzantins, tandis que les forces maures combattant Ă  leurs cĂŽtĂ©s pourraient avoir reprĂ©sentĂ© plus de la moitiĂ©, voire les trois-quarts des effectifs totaux de Jean Troglita. Comme l'indique JordanĂšs dans son Histoire des Goths, ce sont des Maures qui ont remportĂ© la victoire contre d'autres Maures. En contrepartie, Jean Troglita renonce Ă  remettre en cause leur autonomie, comme l'avaient fait les premiĂšres lĂ©gislations byzantines en 534[37].

La date exacte de la mort de Troglita est inconnue mais se situe probablement en 552 ou peu aprĂšs[38].

HĂ©ros de la Johannide

La difficile campagne de Jean Troglita contre les Maures est particuliĂšrement connue grĂące Ă  l'Ɠuvre du poĂšte de l'AntiquitĂ© tardive Corippe, auteur de la Johannide, dont le gĂ©nĂ©ral byzantin est le hĂ©ros. Ce rĂ©cit est souvent considĂ©rĂ© comme le dernier grand poĂšme Ă©pique en latin issu de la tradition antique, tout en prĂ©figurant les Ă©popĂ©es chrĂ©tiennes du Moyen Âge[39]. Corripe s'inspire clairement de l’ÉnĂ©ide de Virgile, Jean Troglita ressemblant beaucoup Ă  ÉnĂ©e[40]. Il a l'avantage de donner beaucoup de dĂ©tails, prĂ©cieux pour la connaissance du contexte historique dans l'Afrique byzantine rĂ©cemment crĂ©Ă©e. Toutefois, Corippe dresse aussi un tableau manichĂ©en d'une opposition entre les Maures, frappĂ©s de tous les dĂ©fauts et des Byzantins, parangons de vertus. Ainsi, Jean Troglita apparaĂźt comme l'archĂ©type du hĂ©ros, parfait gĂ©nĂ©ral mais aussi pĂšre sensible[41] et sa dĂ©faite Ă  la bataille de Marta est avant tout une punition de l'impiĂ©tĂ© des habitants de l'Afrique romaine dont Jean Troglita ne saurait ĂȘtre responsable[42]. Pour autant, en ce qui concerne le dĂ©roulement des Ă©pisodes historiques, le texte de Corippe concorde souvent avec celui de Procope de CĂ©sarĂ©e, intitulĂ© La Guerre des Vandales, parfois perçu comme plus sĂ©rieux bien que moins fourni en dĂ©tails[43].

Références

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  2. Martindale, Jones et Morris 1992, p. 636, 644-645.
  3. Diehl 1896, p. 363.
  4. Martindale, Jones et Morris 1992, p. 645.
  5. Maraval 2016, p. 255.
  6. Diehl 1896, p. 365.
  7. Martindale, Jones et Morris 1992, p. 645-646.
  8. Martindale, Jones et Morris 1992, p. 646.
  9. Bury 1958, p. 145-147
  10. Modéran 2003, p. 2.
  11. Tate 2004, p. 714.
  12. Richardot 2009, p. 145.
  13. Diehl 1896, p. 366-368.
  14. Richardot 2009, p. 146.
  15. Richardot 2009, p. 147.
  16. Diehl 1896, p. 366, 368-369.
  17. Tate 2004, p. 714-715.
  18. Richardot 2009, p. 149.
  19. Richardot 2009, p. 149-150.
  20. Martindale, Jones et Morris 1992, p. 612, 647.
  21. Maraval 2016, p. 266.
  22. Tate 2004, p. 715.
  23. Martindale, Jones et Morris 1992, p. 647.
  24. Diehl 1896, p. 374-375.
  25. Martindale, Jones et Morris 1992, p. 647-648
  26. Pringle 1981, p. 202
  27. Pringle 1981, p. 205-206
  28. Diehl 1896, p. 375-376
  29. Maraval 2016, p. 266-267.
  30. Martindale, Jones et Morris 1992, p. 648
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  34. Martindale, Jones et Morris 1992, p. 648-649
  35. Bury 1958, p. 147
  36. Diehl 1896, p. 380
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  41. Zarini 2006, p. 1.
  42. Modéran 1986, p. 2017.
  43. Modéran 1986, p. 196-197.

Bibliographie

Sources primaires

  • Corippe (trad. du latin par Jean-Christophe Didderen), La Johannide ou Sur les guerres de Libye, Paris, Errance, , 191 p. (ISBN 978-2-87772-340-4).
  • Procope de CĂ©sarĂ©e (trad. Denis Roques), La Guerre contre les Vandales (Guerres de Justinien, livres 3-4), Paris, Les Belles Lettres, coll. « La Roue Ă  Livres », , 279 p. (ISBN 978-2-251-33905-4).

Sources contemporaines

  • Charles Diehl, L'Afrique byzantine : Histoire de la domination byzantine en Afrique (537-709), Paris, Ernest Leroux, .
  • (en) Denys Pringle, The defence of Byzantine Africa from Justinian to the Arab conquest, Oxford, British Archaeological Reports, .
  • (en) John Bagnell Bury, History of the Later Roman Empire : From the Death of Theodosius I to the Death of Justinian, Volume 2, New York, Dover Publications, Inc, , 512 p. (ISBN 0-486-20399-9).
  • Étienne Kern, « Non ignota cano : histoire et mĂ©moire dans “la derniĂšre Ă©popĂ©e romaine”, la Johannide de Corippe », Schedae, no 1,‎ , p. 97-106 (lire en ligne, consultĂ© le ).
  • Jean-Marie LassĂšre, « La ByzacĂšne mĂ©ridionale au milieu du VIe s. pC. d'aprĂšs la Johannide de Corippus », Pallas, vol. 31,‎ , p. 163-178 (lire en ligne).
  • Pierre Maraval, Justinien, Le rĂȘve d'un empire chrĂ©tien universel, Paris, Tallandier, , 427 p. (ISBN 979-10-210-1642-2).
  • John Robert Martindale, Arnold Hugh Martin Jones et J. Morris, The Prosopography of the Later Roman Empire, Volume III : A.D. 527-641, Cambridge, Cambridge University Press, .
  • Yves ModĂ©ran, Les Maures et l'Afrique romaine (IVe et VIIe siĂšcles), École française de Rome, coll. « Befar », .
  • Yves ModĂ©ran, « Jean Troglita », EncyclopĂ©die berbĂšre, Aix en Provence, Edisud,‎ , p. 3866-3870 (lire en ligne)
  • Yves ModĂ©ran, « Corippe et l'occupation byzantine de l'Afrique : pour une nouvelle lecture de la Johannide », AntiquitĂ©s africaines, vol. 22,‎ , p. 195-212 (lire en ligne).
  • Yves ModĂ©ran, « De Julius Honorius Ă  Corippus : la rĂ©apparition des Maures au Maghreb oriental », Comptes rendus des sĂ©ances de l'AcadĂ©mie des Inscriptions et Belles-Lettres, vol. 147,‎ , p. 257-285 (lire en ligne).
  • Philippe Richardot, « La pacification de l’Afrique byzantine 534 - 546 », StratĂ©gique, vol. 93-94-95-96,‎ , p. 129-158 (lire en ligne).
  • Georges Tate, Justinien. L'Ă©popĂ©e de l'Empire d'Orient (527-565), Paris, Fayard, , 918 p. (ISBN 2-213-61516-0)
  • Vincent Zarini, « La Johannide de Corippe (VIe siĂšcle apr. J.-C. : entre Ă©popĂ©e antique et chanson de geste ? », (consultĂ© le ) (rĂ©sumĂ© d’une confĂ©rence).

Articles connexes

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