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Trois Chapitres

L’affaire dite des Trois Chapitres (Ï„ÏÎŻÎ± ÎșÎ”Ï†ÎŹÎ»Î±Îčα – tria kephalaia) s’inscrit dans les efforts de Justinien pour rĂ©concilier sur le plan religieux les parties orientale et occidentale de son empire en les persuadant que les dĂ©cisions du concile de ChalcĂ©doine (451) Ă©taient conformes Ă  la christologie de l’école d’Alexandrie. En 544, il publia un Ă©dit en trois chapitres, le premier condamnant ThĂ©odore de Mopsueste, les deux autres condamnant les Ă©crits jugĂ©s pro-nestoriens de ThĂ©odoret de Cyr et la lettre adressĂ©e par l’évĂȘque d’Édesse, Ibas, Ă  Mari. Cet Ă©dit n’eut d’autre rĂ©sultat que de mĂ©contenter Ă  la fois Rome, les milieux chalcĂ©doniens et les monophysites. Devant l’échec de ses tentatives de persuasion, Justinien convoqua un concile ƓcumĂ©nique (le cinquiĂšme) qui, sous la pression de l’empereur, finit par condamner les Trois Chapitres. Toutefois, les dĂ©cisions du concile provoquĂšrent une grande hostilitĂ© dans les provinces que Justinien venait de reconquĂ©rir alors que les monophysites, plus divisĂ©s que jamais, campaient sur leurs positions.

Toile de fond

Le contexte politique

Justinien Ier
Justinien Ier. L'empereur tenta, mais en vain, de rĂ©concilier la partie occidentale de son empire reconquise avec la partie orientale oĂč rĂ©gnait le monophysisme

Les premiĂšres annĂ©es du rĂšgne de Justinien Ier s’avĂ©rĂšrent chaotiques. Peu aprĂšs son avĂšnement, il dut Ă  l’étranger repousser les Perses qui avaient envahi la MĂ©sopotamie, puis il avait matĂ© Ă  Constantinople la sĂ©dition de Nika, qui faillit le renverser. Six ans aprĂšs son accession au trĂŽne, il put s’atteler Ă  la tĂąche de ramener dans le giron de l’empire les provinces qui, Ă  la suite des invasions, Ă©taient devenues des royaumes germaniques : vandale en Afrique, ostrogoth en Italie et wisigoth en Espagne. Mais si les Goths faisaient preuve de tolĂ©rance Ă  l’endroit des populations locales catholiques, les Vandales Ă©taient fanatiques et persĂ©cutaient les Églises locales[1].

Les circonstances étaient favorables à ses desseins. En Afrique, le roi des Vandales, Hildéric, avait été détrÎné par son cousin Gélimer. En , Justinien envoya le général Bélisaire rétablir Hildéric sur le trÎne. Mal préparé, Gélimer se hùta de faire exécuter son rival, mais fut défait par Bélisaire devant Carthage. Dans un premier temps, Gélimer alla se réfugier chez les Maures du Mont Atlas, mais finit par se rendre : le royaume vandale avait duré 104 ans[2] - [3].

En Italie, ThĂ©odoric, le grand roi des Ostrogoths, Ă©tait mort en 526 et son petit-fils, Athalaric, en 533. La rĂ©gente, Amalasuntha avait Ă©pousĂ© ThĂ©odahat, son cousin qui la fit exĂ©cuter moins d’un an aprĂšs le mariage. Utilisant comme prĂ©texte le meurtre de la reine, Justinien dĂ©clara la guerre au roi ThĂ©odahat en 535 et envoya BĂ©lisaire en Italie. Ce dernier s’empara rapidement de la Sicile et marcha sur Rome oĂč il fut assiĂ©gĂ© par le roi VitigĂšs pendant prĂšs d’une annĂ©e. Celui-ci n’ayant pu rĂ©ussir Ă  prendre Rome fut contraint de lever le siĂšge et, poursuivi par BĂ©lisaire, se rĂ©fugia dans sa capitale, Ravenne. Il dut capituler en 540 et fut envoyĂ© Ă  Constantinople. Il fut remplacĂ© sur le trĂŽne par Totila, un brillant chef de guerre, qui reprit progressivement les villes conquises par BĂ©lisaire. Pendant onze ans il rĂ©ussit Ă  tenir tĂȘte au gĂ©nĂ©ral romain que Justinien finit par remplacer par le gĂ©nĂ©ral NarsĂšs. Celui-ci dĂ©cida d’attaquer l’Italie par le nord et rĂ©ussit Ă  dĂ©faire et Ă  tuer Totila Ă  la bataille de Tagine (553)[4] - [5] - [6] - [7].

Pendant que s’achevait la conquĂȘte de l’Italie, la guerre civile faisait rage en Espagne. Le roi Agila devait faire face Ă  deux rĂ©bellions : celle de la population romaine de Cordoue et celle, beaucoup plus dangereuse d’un autre prĂ©tendant, Athanagild. Ce dernier fit appel Ă  l’empereur qui, en dĂ©pit de ses difficultĂ©s en Italie, ordonna qu’une petite force soit dĂ©tachĂ©e de l’armĂ©e de NarsĂšs sous les ordres du gĂ©nĂ©ral LibĂ©rius. DĂ©barquant sur la cĂŽte sud-est, celui-ci se rendit rapidement maitre d’une sĂ©rie de villes cĂŽtiĂšres allant de Valence Ă  Cadiz en passant par Cordoue. En 555 Agila fut assassinĂ© par ses propres troupes. Devenu roi, Athanagild tenta d’inciter les Romains Ă  partir, mais ceux-ci refusĂšrent et grĂące aux villes de la cĂŽte sud, des BalĂ©ares, de la Corse et de la Sardaigne dĂ©jĂ  conquises par BĂ©lisaire disposĂšrent pendant plusieurs annĂ©es d’une base solide en MĂ©diterranĂ©e occidentale[8] - [9] - [10] - [11].

La MĂ©diterranĂ©e Ă©tait redevenue ce qu’elle Ă©tait sous Auguste : un « lac romain ».

Le contexte religieux

Théodora, épouse de Justinien Ier
Épouse de Justinien Ier, ThĂ©odora soutint Ă  de nombreuses occasions la cause monophysite.

Le concile de ChalcĂ©doine en 451 avait mis un terme aux innombrables et interminables querelles des siĂšcles prĂ©cĂ©dents en dĂ©crĂ©tant que le Christ avait en son unique personne deux natures, humaine et divine, insĂ©parablement unies. Il avait ainsi condamnĂ© le monophysisme d'EutychĂšs qui, en rĂ©action contre le nestorianisme, affirmait que le Christ n'avait qu'une seule nature : la nature divine. Il avait Ă©galement dĂ©mis Dioscore d'Alexandrie qui professait un monophysisme attĂ©nuĂ©, le miaphysisme. Cette derniĂšre doctrine s'Ă©tait profondĂ©ment Ă©tablie en Égypte d'oĂč elle s’était Ă©tendue Ă  la Syrie et Ă  la Palestine>[12].

Or, l'Égypte Ă©tait un pays conscient de son riche passĂ© historique et culturel qu'il fallait traiter avec prudence en raison de son importance Ă©conomique pour Constantinople. La capitale de l'empire, qui devait assurer chaque jour la subsistance d’environ 600 000 personnes, Ă©tait situĂ©e dans une rĂ©gion agricole assez pauvre et dĂ©pendait presque entiĂšrement de l'Égypte pour son approvisionnement en grain[13]. On estime Ă  27 000 000 modii l'approvisionnement annuel nĂ©cessaire (έΌÎČολΟ) dont 4 000 000 Ă©taient distribuĂ©s gratuitement[14]. En consĂ©quence, le pays jouissait d’une large mesure d’autonomie aussi bien sur le plan politique, oĂč le pouvoir demeurait entre les mains des riches propriĂ©taires terriens, que sur le plan religieux oĂč la langue copte adoptĂ©e pour la liturgie et l'ambition des patriarches d’Alexandrie, surnommĂ©s « pharaons » par plusieurs, donnaient au christianisme une coloration locale bien particuliĂšre[15].

Dans les autres provinces d’Orient, on avait rĂ©ussi grĂące Ă  divers expĂ©dients Ă  garder les communautĂ©s monophysites dans un calme relatif, jusqu’à ce que ThĂ©odose, patriarche monophysite d’Alexandrie en exil dĂ©cide en 543 de consacrer ThĂ©odore comme Ă©vĂȘque d’Arabie et le moine charismatique syriaque Jacob BaradĂ©e comme Ă©vĂȘque d’Édesse. Celui-ci se lança alors dans une activitĂ© missionnaire Ă  travers la Syrie, la Palestine, la MĂ©sopotamie et l’Asie mineure oĂč il consacra Ă  son tour une trentaine d’évĂȘques et ordonna plusieurs milliers de prĂȘtres, crĂ©ant ainsi une hiĂ©rarchie parallĂšle et ravivant les flammes du fanatisme religieux et de l’instabilitĂ© dans ces provinces[16] - [17] - [18].

Le dilemme de Justinien

L’empereur devait ainsi composer avec trois forces opposĂ©es. D’un cĂŽtĂ©, il devait Ă©viter de s’opposer trop ouvertement aux monophysites d’Orient pour ne pas se mettre l’Égypte Ă  dos, mettant ainsi en danger l’approvisionnement de sa capitale et risquant de voir les provinces de Syrie et de MĂ©sopotamie s’allier avec la Perse voisine. D’un autre, il devait se rallier le pape qui lui reprochait son inaction devant le schisme et l’Italie oĂč Totila risquait de remettre en question les gains de BĂ©lisaire. Enfin, il devait contenter la population de Constantinople oĂč certaines grandes familles Ă©taient profondĂ©ment attachĂ©es Ă  ChalcĂ©doine alors que d’autres, comme celles de l’ancien empereur Anastase et l’impĂ©ratrice elle-mĂȘme, Ă©taient monophysites[15] - [19] - [20].

La question monophysite

Origine de la querelle

Au dĂ©but du Ve siĂšcle, Nestorius, un thĂ©ologien d’Antioche devenu patriarche de Constantinople (428-431), affirmait que les Ă©lĂ©ments humain et divin Ă©taient totalement distincts dans la personne de JĂ©sus-Christ. Par consĂ©quent, la vierge Marie avait donnĂ© naissance Ă  un homme dont les attributs divins Ă©manaient du PĂšre. Cette vue avait Ă©tĂ© condamnĂ©e par le concile d’ÉphĂšse en 431, sous la prĂ©sidence du patriarche Cyrille d'Alexandrie (376-444), et la doctrine christologique Ă©phesienne est dĂ©finie dans le symbole d’Union, en 433.

En rĂ©action au nestorianisme, une autre Ă©cole sous la direction du moine EutychĂšs, qui s’inspire de Cyrille d’Alexandrie et d’Apollinaire de LaodicĂ©e, prĂ©tendait que les natures divine et humaine du Christ Ă©taient si unies qu’elles se confondaient. Cette Ă©cole de pensĂ©e fut appelĂ©e « monophysisme » ou «[partisan] d’une nature »[21]. Cette doctrine se heurta Ă  la vive rĂ©sistance de Flavien, patriarche de Constantinople puis du pape LĂ©on Ier (440-461), lequel dans le Tome Ă  Flavien, lettre adressĂ©e au patriarche le , rĂ©affirma la doctrine de l'unicitĂ© de la personne du Christ dotĂ©e de deux natures distinctes. Le monophysisme d'EutychĂšs devait ĂȘtre formellement condamnĂ© lors du Concile de ChalcĂ©doine tenu en 451 sur la rive du Bosphore opposĂ©e Ă  Constantinople[22]. L’Occident accepta sans difficultĂ© les conclusions du concile mais il n’en alla pas de mĂȘme en Orient, dans les Églises d'Alexandrie et Antioche qui refusĂšrent les dĂ©cisions du concile. Le concile avait en effet, outre la condamnation d'EutychĂšs, dĂ©posĂ© Dioscore, le successeur de Cyrille au patriarcat d'Alexandrie, et rĂ©duit les prĂ©rogatives du patriarcat d'Antioche.

La politique des empereurs ZĂ©non, Anastase et Justin (474-527)

En 482, pour ramener l'unitĂ© dans l'Église, l’empereur ZĂ©non demanda au patriarche de Constantinople, Acace, de rĂ©diger un compromis acceptables par les Églises de l'Orient. ZĂ©non promulgua l’Henotikon, texte qui condamnait Ă  la fois Nestorius et EutychĂšs, conformĂ©ment aux dĂ©cisions du concile de ChalcĂ©doine, mais passait sous silence les dĂ©finitions christologiques du Symbole de ChalcĂ©doine de ce mĂȘme concile. En 482, le pape FĂ©lix II condamna l’Henotikon, ce qui occasionna le "schisme dit d’Acace" entre les Églises de Rome et de Constantinople[23].

Son successeur, Anastase, Ă©tait un monophysite convaincu qui ne put ĂȘtre couronnĂ© avant d’avoir signĂ© une dĂ©claration Ă  l’effet qu’il respecterait les dĂ©crets de ChalcĂ©doine[24]. Pendant la premiĂšre partie de son rĂšgne il maintint une prudente neutralitĂ©. Il Ă©crivit mĂȘme au pape pour engager le dialogue mais sans rĂ©sultat. Toutefois, sous son rĂšgne dĂ©buta la nomination de plusieurs prĂ©lats monophysites, dont SĂ©vĂšre, un brillant thĂ©ologien qui devint patriarche d’Antioche en 512.

À son accession au trĂŽne en 518 Justin, un strict chalcĂ©donien, revint Ă  l’orthodoxie et, l’annĂ©e suivante, le schisme d’Acace se rĂ©glait Ă  la satisfaction de Rome et les empereurs ZĂ©non et Anastase Ă©taient dĂ©clarĂ©s anathĂšmes. Les Ă©vĂȘques monophysites, dont SĂ©vĂšre, furent dĂ©posĂ©s et durent s’exiler en Égypte[23] - [25] - [26] - [24].

Les premiÚres années de Justinien (527-543)

ProfondĂ©ment chrĂ©tien, Justinien Ă©tait un prince chez qui « la notion d’Imperium romain se confondait avec celle d’ƓcoumĂšne chrĂ©tienne. La victoire de la religion chrĂ©tienne n’était pas pour lui une mission moins sacrĂ©e que la restauration de la puissance romaine »[27]. DĂšs 529, il fit fermer l’AcadĂ©mie d’AthĂšnes oĂč l’influence du paganisme nĂ©oplatonicien demeurait prĂ©pondĂ©rante et expulsa de l’aristocratie nombre de personnes Ă©minentes convaincues de pratiques paĂŻennes et ordonna de les exĂ©cuter[28]. Face aux monophysites, il commença par continuer la politique de Justin, mais dĂšs 531, conscient de la nĂ©cessitĂ© de rĂ©concilier Orient et Occident, il se mit Ă  chercher un terrain d’entente.

Envoyé par le roi des Goths pour plaider la cause des Ariens, le pape Agapet entra immédiatement en conflit avec le patriarche de Constantinople.

En 532, il invita six thĂ©ologiens chalcĂ©doniens et six thĂ©ologiens monophysites de l’école de SĂ©vĂšre. À l’issue de leurs dĂ©libĂ©rations, il publia l’annĂ©e suivante une confession de foi qu’il espĂ©rait acceptable aux deux parties. Celle-ci jetait l’anathĂšme sur le nestorianisme et l’eutychianisme mais ne faisait pas mention de la ou des natures du Christ, affirmant que « le Christ qui s’était incarnĂ©, fait homme et Ă©tait mort sur la croix, Ă©tait l’un d’une TrinitĂ© Sainte et Consubstantielle », formule qui fut approuvĂ© par le pape Jean II en 534[29] - [30].

L’annĂ©e suivante vit l’élection de nouveaux patriarches Ă  Alexandrie et Constantinople et d’un nouveau pape Ă  Rome. InfluencĂ© par l’impĂ©ratrice, Justinien permit l’élection de deux patriarches antichalcĂ©doniens, ThĂ©odose Ă  Alexandrie et Anthyme Ă  Constantinople[31], mais le pape Agapet Ă©tait lui chalcĂ©donien.

Anthyme, qui avait Ă©tĂ© l’un des thĂ©ologiens chalcĂ©doniens des rencontres de 532, avait en fait dissimulĂ© son penchant monophysite, et il ne tarda pas Ă  le rĂ©vĂ©ler presque immĂ©diatement aprĂšs son Ă©lection. EnvoyĂ© en mission par le roi ThĂ©odahad peu aprĂšs son arrivĂ©e Ă  Constantinople, le pape Agapet, refusa d’entrer en relation avec le patriarche, ourdit sa dĂ©position et put, avant sa propre mort (avril 536), consacrer un nouveau patriarche dans la personne de Menas, natif d’Alexandrie et directeur du grand hĂŽpital de Constantinople[32] - [33] - [34].

ThĂ©odora tenta alors de faire Ă©lire comme pape le diacre Vigile qui avait accompagnĂ© Agapet Ă  Constantinople et aurait promis de remettre Anthyme sur le trĂŽne patriarcal et de rĂ©tablir le monophysisme. Mais avant que celui-ci eĂ»t regagnĂ© Rome, SilvĂšre, fils que le pape Hormisdas avait eu avant de recevoir les ordres, fut Ă©lu avec l’appui de ThĂ©odahad. BĂ©lisaire s’étant emparĂ© de Rome, SilvĂšre fut accusĂ© de trahison au profit des Goths, fut dĂ©posĂ© au profit de Vigile et finit par ĂȘtre exilĂ© par ce dernier dans l'Ăźle de Palmaria oĂč il mourut[35] - [36].

L’élection de 535 mit au jour les divisons qui avait commença Ă  toucher l’Église monophysite. SĂ©vĂšre qui reprĂ©sentait la tendance traditionnelle du monophysisme s’était brouillĂ© en Égypte avec l’un de ses anciens alliĂ©s, Julien d’Halicarnasse qui, contrairement Ă  lui, enseignait que le corps du Christ, comme celui d’Adam avant la faute originelle, Ă©tait exempt de corruption (ÎŹÏ•ÎžÎ±ÏÏ„ÎżÏ‚, aphthartos). Un parti se forma en Égypte et, lorsqu’il fallut nommer un nouveau patriarche Ă  Alexandrie, les « aphthartodocĂ©tistes » choisirent Gaianos tandis que les partisans de SĂ©vĂšre, soutenus par ThĂ©odora, firent Ă©lire ThĂ©odose. Face aux troupes impĂ©riales envoyĂ©es Ă  la demande de ThĂ©odora, Gaianos ne put garder son trĂŽne que 104 jours avant d’ĂȘtre dĂ©portĂ© en Sardaigne. ThĂ©odose put alors en prendre possession et nommer une sĂ©rie d’évĂȘques fidĂšles Ă  la doctrine monophysite orthodoxe.

Cependant, en mai 536, un synode eut lieu Ă  Constantinople sous la prĂ©sidence du patriarche Mennas qui excommunia et dĂ©clara hors-la-loi SĂ©vĂšre d'Antioche ; celui-ci, emprisonnĂ©, put s'Ă©chapper grĂące Ă  l'impĂ©ratrice ThĂ©odora et se rĂ©fugier en Égypte. Aucun reprĂ©sentant Ă©gyptien n'Ă©tait prĂ©sent au synode de Mennas. À la fin de l'annĂ©e 536, ThĂ©odose fut convoquĂ© Ă  Constantinople par l'empereur Justinien ; refusant de renier ses convictions « sĂ©vĂ©riennes », il fut dĂ©clarĂ© hĂ©rĂ©tique, dĂ©posĂ© et envoyĂ© en exil, avec plusieurs autres monophysites, aprĂšs seulement dix-sept mois d’exercice de ses fonctions[37]. Il put ensuite revenir Ă  Constantinople, avec l'ancien patriarche Anthime de Constantinople, en Ă©tant discrĂštement logĂ©s dans un palais par ThĂ©odora.

C’est lĂ  qu’en 543, il consacra Jacob BaradĂ©e, dit « le DĂ©guenillĂ© », un moine charismatique syriaque originaire de MĂ©sopotamie, comme Ă©vĂȘque d’Édesse Ă  la demande de l’impĂ©ratrice ThĂ©odora. De plus, celle-ci ayant acceptĂ© la requĂȘte du roi Ghassanide Harith (dont la collaboration Ă©tait nĂ©cessaire pour assurer la stabilitĂ© de cette rĂ©gion) d’envoyer un Ă©vĂȘque pour son peuple, elle demanda Ă  ThĂ©odose de consacrer un certain ThĂ©odore comme Ă©vĂȘque d’Arabie. BaradĂ©e vivait Ă  Constantinople, peut-ĂȘtre protĂ©gĂ© par l’impĂ©ratrice ThĂ©odora, et n’avait que peu de chances de regagner son diocĂšse oĂč rĂ©sidait dĂ©jĂ  un Ă©vĂȘque lĂ©gitime chalcĂ©donien. Aussi Jacob se lança-t-il dans une activitĂ© missionnaire qui le conduisit partout en Syrie, en Palestine, en MĂ©sopotamie et en Asie mineure oĂč il consacra Ă  son tour une trentaine d’évĂȘques et ordonna plusieurs milliers de prĂȘtres, crĂ©ant ainsi une hiĂ©rarchie parallĂšle et ravivant les flammes du fanatisme religieux[16] - [17] - [18]. Le zĂšle et le talent d’organisation de BaradĂ©e eurent tĂŽt fait de restaurer l’Église monophysite (qui prit le nom de Jacobite en Syrie) et sa hiĂ©rarchie au point d’inquiĂ©ter la hiĂ©rarchie chalcĂ©donienne. En 546, le patriarche orthodoxe d’Alexandrie dut mĂȘme fuir la ville[38] - [17] - [32].

Les Trois Chapitres

ÉcartelĂ© entre l’Occident qui rĂ©clamait des mesures contre les monophysites et l’Orient oĂč les discours incendiaires de BaradĂ©e faisaient rage, Justinien sentait qu’il lui fallait agir. Sur les conseils des partisans d’OrigĂšne, influents Ă  la cour et dĂ©testant les Ă©crits de ThĂ©odore de Mopsueste, Justinien dĂ©cida d’esquiver le problĂšme en condamnant non pas les monophysites, mais les nestoriens, dĂ©testĂ©s aussi bien par les orthodoxes que par les monophysites et qui, aprĂšs l’anathĂšme de 431 avaient fui en Perse oĂč ils ne pouvaient nuire Ă  l’empire[12] - [39] - [40].

Au dĂ©but de 544, il fit publier un Ă©dit qui condamnait non pas l’hĂ©rĂ©sie elle-mĂȘme, mais trois de ses manifestations : la personne et les Ă©crits du maitre de Nestorius, ThĂ©odore de Mopsueste, certains Ă©crits de ThĂ©odoret de Cyr et une lettre d’Ibas d’Édesse Ă  Maris. L’édit lui-mĂȘme ne nous est pas parvenu, mais les trois anathĂšmes qu’il devait contenir furent appelĂ©s « Trois Chapitres ». BientĂŽt toutefois, l’expression fut interprĂ©tĂ©e non pas comme s’appliquant aux anathĂšmes, mais aux Ă©crits concernĂ©s. La faille de la manƓuvre de Justinien rĂ©sidait dans le fait que ThĂ©odore Ă©tait mort en communion avec l’Église, alors que l’enseignement des deux autres, quoique critiquĂ© par le concile de ChalcĂ©doine, avait Ă©tĂ© acceptĂ© par ce concile. Condamner ces Ă©crits constituait par consĂ©quent une attaque indirecte contre le concile lui-mĂȘme[41].

le pape Vigile
Le pape Vigile fut arrĂȘtĂ© sur l'ordre de Justinien en 545

HabituĂ© Ă  gouverner aussi bien l’empire que l’Église, Justinien s’attendait Ă  ce que les patriarches se rallient Ă  son opinion thĂ©ologique. Mais les monophysites accueillirent froidement le document, n’y trouvant pas la condamnation attendue des doctrines de ChalcĂ©doine. Chez les orthodoxes, si les patriarches d’Alexandrie, d’Antioche et de JĂ©rusalem signĂšrent effectivement le document, Menas, patriarche de Constantinople, fit dĂ©pendre son accord du pape Vigile Ă  Rome. Or, l’édit impĂ©rial avait jetĂ© l’émoi Ă  Rome oĂč l’on considĂ©rait que Justinien allait au-delĂ  de ChalcĂ©doine et faisait des concessions Ă  une doctrine Ă©gyptienne dĂ©testĂ©e. Le patriarche romain, qui s’apprĂȘtait Ă  faire face au siĂšge de Totila, s’abstint donc de signer. Peu disposĂ© Ă  faire preuve de patience Ă  l’endroit de quelqu’un qui lui devait son « Ă©lection », Justinien fit arrĂȘter Vigile en . Ce dernier, probablement soulagĂ© d’échapper au siĂšge de la ville, passa l’annĂ©e 546 dans une rĂ©sidence impĂ©riale de Sicile d’oĂč il organisa des secours pour Rome avant d’arriver Ă  Constantinople en [42] - [43] - [44].

Il y fut reçu avec les plus grands Ă©gards par Justinien en personne qui sans perdre de temps commença Ă  exercer les pressions qui lui Ă©taient habituelles. Le pape, qui comme la plupart des Ă©vĂȘques latins ne parlait pas le grec et n’avait donc probablement jamais lu les Ă©crits en question, se trouvait pris dans un dilemme. Condamner les Trois Chapitres risquait de lui valoir la dĂ©sapprobation du clergĂ© d’Occident dont l’appui lui Ă©tait essentiel; mais il ne pouvait non plus risquer le dĂ©saveu de l’empereur et surtout de l’impĂ©ratrice Ă  qui il devait sa position. Il cĂ©da donc le , se rĂ©concilia avec le patriarche Menas et remit Ă  Justinien un texte condamnant les Trois Chapitres, texte qui devait toutefois rester secret jusqu’à ce qu’il ait pu organiser un synode pour scruter les Ă©crits en question. Ce synode rĂ©unit soixante-dix Ă©vĂȘques, occidentaux pour la plupart, qui ne s’étaient pas ralliĂ©s Ă  la position impĂ©riale. Tout alla bien jusqu’à ce que Facundus, Ă©vĂȘque d’Hermiane en Afrique, apporte la preuve que le concile de ChalcĂ©doine avait bel et bien acceptĂ© la lettre d’Ibas d’Édesse. Sentant le synode lui Ă©chapper, le pape mit fin aux travaux annonçant un vote secret un peu plus tard. Ceci permit de mettre la pression sur les autres Ă©vĂȘques, si bien que Facundus fut le seul Ă  voter en faveur des Trois Chapitres. Le , le pape publiait le Judicatum Ă  l’intention du patriarche Menas qui condamnait les Trois Chapitres et rĂ©affirmait l’adhĂ©sion papale aux dĂ©cisions de ChalcĂ©doine[45] - [46] - [47].

C’était sous-estimer l’opposition des Ă©vĂȘques d’Occident : le clergĂ© de Dalmatie rejeta le Judicatum, celui de Dacie dĂ©posa son primat, Benenatus, archevĂȘque de Justiniana Prima, alors que celui de Gaule Ă©crivit au pape pour demander des explications. Quant au clergĂ© d’Afrique rĂ©uni en concile en 550, non seulement rejeta-t-il le Judicatum, mais il rompit avec le pape. À Constantinople mĂȘme, un mouvement d’opposition se forma et l’évĂȘque Facundus Ă©crivit un imposant ouvrage, « À la dĂ©fense des Trois Chapitres »[48] - [46] - [49].

Au mois de juin, l’impĂ©ratrice ThĂ©odora mourut. Ceci porta un dur coup aux monophysites qu’elle avait toujours appuyĂ©s tout en se gardant de s’opposer ouvertement Ă  son Ă©poux; en mĂȘme temps les opposants commencĂšrent Ă  relever la tĂȘte et le pape Vigile Ă  reprendre courage. Pragmatique, Justinien rendit au pape l’original du Judicatum, non sans lui avoir fait auparavant prĂȘter serment par Ă©crit qu’il ferait tout en son pouvoir pour faire condamner les Trois Chapitres[50] - [51] - [52].

Une autre avenue restait Ă  explorer, celle d’un concile ƓcumĂ©nique. Maintenant ĂągĂ© de prĂšs de soixante-dix ans et se passionnant de plus en plus pour la thĂ©ologie sous la gouverne du thĂ©ologien ThĂ©odore Ascidas, il prĂ©para le terrain en publiant un long traitĂ© dĂ©finissant les principes de base du christianisme et se terminant par une nouvelle condamnation des Trois Chapitres. Ce sur quoi le pape rĂ©unit tous les Ă©vĂȘques d’Orient et d’Occident prĂ©sents Ă  Constantinople, lesquels condamnĂšrent l’édit impĂ©rial. Puis, sentant que sa sĂ©curitĂ© Ă©tait menacĂ©e, il alla se rĂ©fugier une premiĂšre fois Ă  l’église des Saints-Pierre-et-Paul, prĂšs du palais oĂč il habitait. RassurĂ© sur les intentions de l’empereur par BĂ©lisaire lui-mĂȘme, il retourna Ă  son palais. Mais sentant que sa position Ă©tait compromise auprĂšs du clergĂ© d’Occident, il dĂ©cida le de se distancer de l’empereur en cherchant refuge cette fois-ci Ă  l’église de Sainte-EuphĂ©mie oĂč, cent ans auparavant, s’étaient tenues les sessions du concile de ChalcĂ©doine. Il y rĂ©digea une « encyclique » dans laquelle il rĂ©futait les accusations de Justinien et excommuniait le patriarche Menas. Des nĂ©gociations s’ensuivirent qui durĂšrent jusqu’en juin alors que Justinien envoya le patriarche, son maitre ThĂ©odore Ascidas et les autres Ă©vĂȘques excommuniĂ©s s’excuser auprĂšs du pape. On convint d’annuler les dĂ©clarations des deux cĂŽtĂ©s, y compris l’édit impĂ©rial controversĂ©[53] - [54] - [55] - [56].

Le Ve concile ƓcumĂ©nique

Le concile

Au mois d’aout 552, le patriarche Menas s’éteignit et Justinien nomma immĂ©diatement Ă  sa place un moine, EutychĂšs, fils de BĂ©lisaire, qui remplaçait l’évĂȘque d’Amesia malade. Le pape n’assista pas Ă  la consĂ©cration. À la mĂȘme pĂ©riode, NarsĂšs, qui avait remplacĂ© BĂ©lisaire Ă  la tĂȘte des armĂ©es impĂ©riales en Italie, rĂ©ussit Ă  dĂ©faire Totila, rĂ©duisant la nĂ©cessitĂ© pour Justinien de tenir compte de l’Italie[57].

Les circonstances lui Ă©tant favorables, Justinien put convoquer le Ve concile ƓcumĂ©nique qui se rĂ©unit le Ă  Sainte-Sophie. Justinien Ă©vita de se prĂ©senter en personne mais, lors de la premiĂšre session, fit lire aux Ă©vĂȘques prĂ©sents une lettre oĂč il leur rappelait qu’ils avaient dĂ©jĂ  condamnĂ© les Trois Chapitres. Le pape s’abstint Ă©galement d’assister aux dĂ©bats, les Ă©vĂȘques d’Occident ayant Ă©tĂ© invitĂ©s trop tard pour arriver en temps; 168 Ă©vĂȘques participĂšrent au concile dont seulement 11 d’Occident, 9 de ceux-ci venant d’Afrique. L’issue des discussions ne faisait aucun doute et, rĂ©alisant que Justinien avait gagnĂ© la partie, le pape signa le un document, le Constitutum, qui condamnait certains passages des Ă©crits de ThĂ©odore de Mopsueste sans condamner directement l’ensemble des Trois Chapitres. Insatisfait, Justinien envoya aux Ă©vĂȘques les originaux de la dĂ©claration secrĂšte signĂ©e quelques mois auparavant par le pape, auquel il attacha un dĂ©cret dĂ©clarant que, par sa conduite, le pape s’était lui-mĂȘme placĂ© hors de l’Église. Le , le concile endossait la position de l’empereur et condamnait le pape. Vaincu et humiliĂ©, Vigile capitula et en dĂ©cembre, dans une lettre au patriarche EutychĂšs, il confirmait l’anathĂšme sur les Trois Chapitres. En , il publia un deuxiĂšme Constitutum condamnant cette fois l’ensemble des Trois Chapitres. N’étant plus d’utilitĂ© pour l’empereur, il reçut la permission de regagner Rome. Gravement malade, il dut demeurer encore une annĂ©e Ă  Constantinople avant d’entreprendre le voyage. À bout de force, il mourut alors qu’il Ă©tait encore Ă  Syracuse[58] - [59] - [60] - [61].

Le Ve concile ne rĂ©gla pas la question monophysite. Au contraire, il en ressortit trois versions de l’orthodoxie : l’orthodoxie romaine en Occident, le monophysisme orthodoxe reprĂ©sentĂ© par une nouvelle hiĂ©rarchie venant principalement des monastĂšres et, entre les deux, l’orthodoxie de Constantinople[62].

Le pape PĂ©lage succĂšde Ă  Vigile

 Le pape PĂ©lage Ier
Le pape PĂ©lage Ier, successeur de Vigile Ier

Avec la mort de Vigile, Justinien devait choisir un nouveau pape, choix difficile puisque la plupart des Ă©vĂȘques d’Occident Ă©taient opposĂ©s Ă  sa politique et que la nomination d’un Ă©vĂȘque d’Orient aurait pu provoquer un schisme. Justinien offrit donc la papautĂ© au diacre PĂ©lage, reprĂ©sentant de la noblesse romaine, ancien nonce du pape Ă  Constantinople qui venait tout juste de publier une dĂ©fense des Trois Chapitres. La condition Ă©tait Ă©videmment que celui-ci change sa position et condamne les Trois Chapitres. PĂ©lage accepta ce qui lui valut l’hostilitĂ© de la population de Rome et ce n’est qu’escortĂ© par les armĂ©es de NarsĂšs qu’il put rentrer dans la ville. Il fut sacrĂ© Ă©vĂȘque de Rome le jour de PĂąques 556 par deux Ă©vĂȘques et un presbyte, les trois Ă©vĂȘques nĂ©cessaires n’ayant pu ĂȘtre trouvĂ©s. Dans sa profession de foi adressĂ©e aux chrĂ©tiens du monde, il rĂ©affirma la validitĂ© du DeuxiĂšme concile de Constantinople. Il reconnut toutefois que la condamnation des personnes de ThĂ©odore, ThĂ©odoret et d'Ibas Ă©tait regrettable d'un point de vue prudentiel, mais qu'elle Ă©tait non moins lĂ©gitime car leurs Ă©crits incriminĂ©s Ă©taient effectivement erronĂ©s. PĂ©lage souligna cependant qu'aucun dĂ©cret de ChalcĂ©doine n'affirmait l'orthodoxie des Trois chapitres; ainsi, le pape s'efforça de dissiper l'idĂ©e d'une remise en cause de ChalcĂ©doine par le DeuxiĂšme concile de Constantinople[63]. Ce ne fut pas assez pour convaincre les Ă©vĂȘques de Milan et d’AquilĂ©e qui firent sĂ©cession, ce dernier schisme se perpĂ©tuant jusqu’à la fin du VIIe siĂšcle[64] - [65] - [66].

La suite des Ă©vĂšnements

Les derniĂšres tentatives de Justinien

Le concile de 553 avait complĂštement Ă©chouĂ© dans sa tentative de rĂ©concilier partisans et opposants au concile de ChalcĂ©doine. Ses dĂ©crets n’eurent aucun effet sur les monophysites d’Égypte et de Syrie, alors que les mĂ©thodes de coercition utilisĂ©es par Justinien lui aliĂ©nĂšrent la sympathie des provinces de Gaule et d’Espagne[67] - [65].

Ayant constatĂ© cet Ă©chec, Justinien fit une ultime tentative pour rĂ©concilier les monophysites et le concile de ChalcĂ©doine. Il crut avoir trouvĂ© la solution dans la doctrine du monophysite extrĂ©miste, Jean d’Halicarnasse (voir plus haut), selon lequel le corps du Christ Ă©tant incorruptible, celui-ci ne pouvait ni souffrir ni pĂ©cher, doctrine connue sous le nom d’aphthartodocĂ©tisme. Au dĂ©but de 565, il publia un Ă©dit dans lequel il endossait Ă  la fois ChalcĂ©doine et l’aphthartodocĂ©tisme. Jean d’Halicarnasse et ses disciples composant une faction dissidente du monophysisme, ceci ne fut pas acceptĂ© par la branche principale, pas plus que par les partisans de ChalcĂ©doine qui y voyaient une limitation abusive Ă  l’humanitĂ© du Christ. Ayant refusĂ© d’endosser cette doctrine le patriarche Eutychius de Constantinople fut dĂ©posĂ©. De mĂȘme, Anastase d’Antioche s'opposa Ă  l'Ă©dit de l'empereur, publia une dĂ©claration argumentant contre celui-lĂ , et fut sur le point d'ĂȘtre dĂ©posĂ©.

Le remplaçant de Jean III le Scholastique affirma prudemment qu’il ne pouvait y adhĂ©rer avant que les autres patriarches n’aient signifiĂ© leur adhĂ©sion. Ceux-ci auraient certainement fini par ĂȘtre dĂ©posĂ©s, mais Justinien mourut en , annulant la procĂ©dure[68] - [69] - [31] - [70].

La politique de Justin II

Justin II, successeur de Justinien
Justin II, neveu et successeur de Justinien, tenta de continuer la politique de réconciliation de son prédécesseur. Il en vint progressivement à se retourner contre les monophysites

Son successeur, Justin II, qui comme son Ă©pouse Sophie, avait Ă©tĂ© monophysite dans sa jeunesse et ne s’était converti que par raison d’État, commença son rĂšgne en tentant de maintenir le dialogue. Il libĂ©ra les Ă©vĂȘques emprisonnĂ©s et fit revenir dans leurs diocĂšses les exilĂ©s. Des dissensions au sein de la communautĂ© monophysite permettaient Ă  l’empereur de croire qu’il pouvait se gagner l’élĂ©ment traditionnel de cette communautĂ©. Justin entreprit donc des nĂ©gociations avec leur patriarche, ThĂ©odose, puis, aprĂšs sa mort, organisa des discussions thĂ©ologiques qui regroupaient des chalcĂ©doniens, les monophysites traditionnels et des factions sĂ©cessionnistes. En 567 il promulgua un dĂ©cret dans lequel, sans mentionner ChalcĂ©doine, il Ă©numĂ©rait les points sur lesquels on pouvait croire que tous s’entendaient. Bien que nombre de moines monophysites de Syrie aient rejetĂ© le dĂ©cret, la hiĂ©rarchie monophysite conduite par Jacob BaradĂ©e s’y rallia. Ceci permit Ă  Justin de publier en 571 un Ă©dit d’union auquel les Ă©vĂȘques monophysites traditionnels donnĂšrent leur accord, Ă©dit qui fut rejetĂ© par leurs fidĂšles. À la suite de cet Ă©chec, son attitude changea radicalement pendant que son Ă©tat de santĂ© mentale se dĂ©tĂ©riorait. L’empereur fit mettre en prison les Ă©vĂȘques monophysites, rendit la doctrine hors-la-loi et abandonna tout effort de rĂ©conciliation[71] - [72] - [73].

Les Églises monophysites quant Ă  elles se divisĂšrent. Des sectes comme les trithĂ©istes firent leur apparition. La division s’installa entre les patriarches monophysites d’Antioche et d’Alexandrie, division qui se perpĂ©tua sous les rĂšgnes suivants[17]. Ce n’est qu’à la fin du XXe siĂšcle que, l’ƓcumĂ©nisme aidant, thĂ©ologiens orthodoxes et monophysites convinrent d’oublier les divisions crĂ©Ă©es par le concile de ChalcĂ©doine[67].

Chronologie des Ă©vĂšnements

449 Refus de prĂ©sentation au 2e concile d’ÉphĂšse du Tome Ă  Flavien, lettre dogmatique du pape LĂ©on Ier Ă  l’archevĂȘque de Constantinople qui Ă©labore les fondements de la christologie orthodoxe

451 Concile de Chalcédoine qui condamne en particulier le monophysisme d'EutychÚs sur la base du Tome à Flavien

482 L’empereur ZĂ©non proclame l’Henotikon qui passe sous silence les dĂ©finitions christologiques du concile de ChalcĂ©doine. DĂ©but du schisme des Acaciens et rupture entre les Églises de Rome et d'Orient

512 SĂ©vĂšre, chef des monophysites est nommĂ© patriarche d’Antioche

518 Un synode rĂ©uni Ă  Constantinople condamne SĂ©vĂšre qui quitte Antioche pour l’Égypte.
L'empereur Anastase Ă©crit au pape Hormisdas pour le presser de venir Ă  Constantinople, sans rĂ©sultat. L’empereur Justin reprend contact avec Rome et met fin au schisme acacien

519 L’empereur Justin proclame l’union avec Rome

526 Le pape Jean Ier, envoyĂ© par ThĂ©odoric, roi arien, se rend Ă  Constantinople (premiĂšre visite d’un pape Ă  Constantinople)

527 Justinien, bras droit de Justin, devient empereur

532 Justinien organise des discussions entre théologiens monophysites et chalcédoniens sans résultat

533 Justinien publie un édit qui est une confession de foi de tendance chalcédonienne, mais qui ne mentionne pas le Tome de Léon

535 Anthyme, un monophysite, est nommé nouveau patriarche de Constantinople

535 DĂ©cĂšs de SĂ©vĂšre, patriarche d’Antioche; ThĂ©odora fait Ă©lire ThĂ©odose. Celui-ci doit fuir aprĂšs quelques mois et s’installe Ă  Constantinople

536 (fév. ou mars) Le pape Agapet se rend à Constantinople pour plaider la cause des Goths; le patriarche monophysite Anthyme se retire et est remplacé par Menas qui est consacré par le pape

536 (avril) Le pape Agapet meurt Ă  Constantinople; SilvĂšre est Ă©lu en

536 Un concile excommunie SévÚre et Anthyme et ordonne que les livres de SévÚre soient brulés

537 Justinien et Théodora font déposer le pape SilvÚre accusé de trahison et le font remplacer par le pape Vigile

542 ou 543 ThĂ©odose d’Alexandrie, en exil Ă  Constantinople, consacre deux Ă©vĂȘques monophysites (naissance de l’Église jacobite de Syrie)

544 Premier Ă©dit de Justinien condamnant les Trois Chapitres

545 (nov) Le pape est arrĂȘtĂ© sur ordre de l’empereur alors que Totila s’apprĂȘte Ă  mettre le siĂšge devant Rome

547 AprĂšs un long arrĂȘt en Sicile, le pape Vigile arrive Ă  Constantinople. AprĂšs une rĂ©union cordiale avec Justinien (), il excommunie le patriarche Menas et les Ă©vĂȘques qui appuient l’édit

547 (juin) Le pape se rĂ©concilie avec le patriarche et Ă©crit une lettre secrĂšte Ă  Justinien et ThĂ©odora indiquant qu’il Ă©tait d’accord personnellement avec l’édit impĂ©rial, mais craignait une rĂ©action dĂ©favorable de Rome

548 (avril) « Judicatum » du pape cédant aux instances de Justinien et souscrivant à la condamnation des Trois Chapitres

548 (juin) Mort de l’impĂ©ratrice ThĂ©odora; le pape Vigile reprend courage

549 À l’Ouest, spĂ©cialement en Dalmatie, l’hostilitĂ© se fait plus ouverte face au Judicatum

550 Un synode des Ă©vĂȘques d’Afrique excommunie le pape et Ă©crit Ă  Justinien. RĂ©tractation par le pape du Judicatum

551 DeuxiĂšme Ă©dit de Justinien condamnant les Trois Chapitres; le pape Vigile excommunie Ă  nouveau le patriarche Menas et se rĂ©fugie Ă  l’église Saints-Pierre-et-Paul. Justinien ordonne l’arrestation du pape sans succĂšs. Le , le pape se rĂ©fugie Ă  l’église Ste EuphĂ©mie

552 DĂ©cĂšs du patriarche Menas; Justinien le remplace immĂ©diatement par le moine EutychĂšs; le pape n’assiste pas Ă  la consĂ©cration

553 (mai) Le Ve concile ƓcumĂ©nique condamne les Trois Chapitres; le pape s’abstient de participer aux dĂ©bats

553 (dĂ©c) Le pape Ă©crit au patriarche pour lui signifier qu’il a dĂ©cidĂ© de condamner les Trois Chapitres

554 (13 aout) À la demande du pape, Justinien promulgue la « Pragmatique Sanction » qui rĂšgle les affaires d’Italie et permet aux Ă©vĂȘques et aux « notables » d’Italie de nommer les gouverneurs de province

555 (fév.) Le pape émet un second document (Constitutum) condamnant clairement cette fois les Trois Chapitres

555 (juin) Sur le chemin du retour Ă  Rome, le pape Vigile meurt en Sicile; PĂ©lage est Ă©lu pape

556 Le pape PĂ©lage publie une profession de foi qui abandonne toute condamnation des Trois Chapitres et met en doute le caractĂšre ƓcumĂ©nique du Ve concile

565 DĂ©cĂšs de Justinien ; arrivĂ©e au pouvoir de Justin II ; les Églises monophysites se divisent

Bibliographie

Sources primaires

Sources secondaires

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Références

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