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Traductions latines du XIIe siĂšcle

La renaissance du XIIe siĂšcle est intimement liĂ©e Ă  la recherche de nouveaux savoirs par les lettrĂ©s europĂ©ens, aux franges grecques et arabes de l'Occident chrĂ©tien, en particulier dans l’Espagne musulmane et en Sicile oĂč l'on note une intense activitĂ© de traduction. Des figures importantes comme GĂ©rard de CrĂ©mone, Jacques de Venise ou Henri Aristippe mĂšnent ainsi dans ces rĂ©gions des entreprises de traduction abondantes. Ces textes sont d'abord des Ă©crits de l'AntiquitĂ© classique (Hippocrate, Euclide, Aristote) et plus rarement des textes chrĂ©tiens (pĂšres de l'Église grecs), mais aussi des contributions scientifiques et philosophiques de penseurs du monde islamique, comme Avicenne, RhazĂšs, Al-Khwarizmi, Al-Kindi et Al-Farabi.

Cet apport intellectuel est pour beaucoup dans la grande activitĂ© des Ă©coles du nord de l'Europe tout au long du XIIe siĂšcle, mĂȘme si les traducteurs ne participent que de façon marginale Ă  l'assimilation de ces nouveaux contenus par la pensĂ©e chrĂ©tienne occidentale.

Les traductions d'Italie

Constantin l'Africain (fin XIe siĂšcle)

Au XIe siĂšcle, avant l'explosion des traductions, Constantin l'Africain, chrĂ©tien de Carthage qui a Ă©tudiĂ© la mĂ©decine en Égypte, devenu moine au monastĂšre du Mont-Cassin en Italie, traduit de l'arabe des livres de mĂ©decine. Parmi ses nombreuses traductions on compte l'encyclopĂ©die mĂ©dicale (Liber pantegni) d’Ali ibn Abbas al-Majusi[1] et des Ɠuvres de l'ancienne mĂ©decine d’Hippocrate et de Galien, telle qu'elle a Ă©tĂ© adaptĂ©e par les mĂ©decins arabes[2], ainsi que l’Isagoge ad Tegni Galeni[3] d’Hunayn ibn Ishaq (Johannitius) et de son neveu Hubaysh ibn al-Hasan[4].

Parmi les autres Ɠuvres mĂ©dicales traduites par Constantin, on peut citer le Liber febribus (sur les fiĂšvres), le Liber de dietis universalibus et particularibus (sur l'alimentation) et le Liber de urinis (sur les urines) d’Isaac Israeli ben Salomon, les ouvrages de psychologie islamique d’Ishaq Ibn Imran al-Maqala fi al-Malikhukiya (De melancolia) et les Ɠuvres d’Ibn Al Jazzar (De Gradibus, Viaticum, Liber de stomacho, De elephantiasi, De coitu et De oblivione)[3].

Les traductions au XIIe siÚcle et au début du XIIIe siÚcle

La Sicile, qui fait partie de l'Empire byzantin jusqu'en 878, passe sous domination musulmane Ă  partir de 878-1060 et tombe sous le contrĂŽle des Normands entre 1060 et 1090. Par la suite, le royaume normand de Sicile conserve une bureaucratie trilingue. Ceci fait de l’üle un lieu idĂ©al pour les travaux de traduction. La Sicile entretient par ailleurs des relations rĂ©guliĂšres avec la GrĂšce orientale, ce qui permet l'Ă©change d'idĂ©es et de manuscrits[5].

Une copie de l’Almageste de PtolĂ©mĂ©e est rapportĂ©e en Sicile par Henri Aristippe, comme don de l'Empereur Ă  Guillaume Ier. Aristippe a dĂ©jĂ  traduit lui-mĂȘme le MĂ©non et le PhĂ©don de Platon en latin, mais c’est un Ă©tudiant anonyme de Salerne qui rejoint la Sicile pour traduire l’Almageste, ainsi que plusieurs Ɠuvres d’Euclide, du grec au latin[6]. Bien que les Siciliens traduisent gĂ©nĂ©ralement directement du grec, lorsque les textes ne sont pas disponibles en grec, ils les traduisent de l'arabe. L’amiral EugĂšne de Sicile traduit l’Optique de PtolĂ©mĂ©e en latin en s'appuyant sur sa connaissance des trois langues[7]. Les traductions dues Ă  Accursius de Pistoja comprennent les travaux de Galien et d’Hunayn ibn Ishaq[8]. GĂ©rard de Sabbioneta traduit le Canon de la mĂ©decine d’Avicenne et l’Almansor d’al-Razi. Fibonacci quant Ă  lui rĂ©dige le premier ouvrage europĂ©en traitant de l'Ă©criture dĂ©cimale positionnelle, c’est-Ă -dire du systĂšme de numĂ©ration indo-arabe dans son Liber Abaci (1202)[1]. Les Aphorismi de Masawaiyh (Mesue) sont traduits en Italie par un anonyme Ă  la fin du XIe ou au dĂ©but du XIIe siĂšcle[9].

Au XIIIe siĂšcle Ă  Padoue, Bonacosa traduit le traitĂ© de mĂ©decine d’AverroĂšs, Kitab al-Kulliyyat, sous le titre de Colliget[10], et Jean de Capoue traduit le Kitab al-Taysir d’Ibn Zuhr (Avenzoar) sous le titre de Theisir. En Sicile, Faraj Ben Salem traduit le al-Hawi de RhazĂšs sous le titre de Continens ainsi que le Tacuinum Sanitatis d’Ibn Butlan. Toujours en Italie au XIIIe siĂšcle, Simon de GĂȘnes et Abraham Tortuensis traduisent le Al-Tasrif d’Abulcasis sous le titre de Liber servitoris, ainsi que le Congregatio sive liber de oculis d’Alcoati, et le Liber de simplicibus medicinis[11] que l'on doit Ă  Serapion le jeune[12].

Les traductions de la frontiĂšre espagnole

DĂšs la fin du Xe siĂšcle, des savants europĂ©ens se rendent en Espagne pour Ă©tudier. Gerbert d'Aurillac notamment vient dans la marche d'Espagne, auprĂšs du comte de Barcelone Borrell II, peut-ĂȘtre pour Ă©tudier les mathĂ©matiques. Toutefois, les traductions ne dĂ©butent pas avant le siĂšcle suivant[13]. Les premiers traducteurs d’Espagne se montrent particuliĂšrement intĂ©ressĂ©s par les ouvrages scientifiques, notamment les mathĂ©matiques et l’astronomie, et de façon secondaire par le Coran et les autres textes islamiques[14]. Les bibliothĂšques espagnoles comprennent de nombreux ouvrages universitaires Ă©crits en arabe, aussi les traducteurs, souvent assistĂ©s par un collaborateur parlant la langue arabe, travaillent-ils presque exclusivement Ă  partir de l'arabe, plutĂŽt que depuis des textes grecs[15]. L'Espagne, plus que l'Italie, est la principale zone de contact entre les traducteurs occidentaux et la culture arabo-musulmane[16] - [17].

L'une des principales entreprises de traduction est parrainĂ©e par Pierre le VĂ©nĂ©rable, abbĂ© de Cluny. En 1142 il demande Ă  Robert de Chester, Herman de Carinthie, Pierre de Poitiers et un musulman connu seulement sous le nom de « Mohammed » d’entreprendre la premiĂšre traduction en latin du Coran (la Lex Mahumet pseudoprophete)[18].

Les traductions sont rĂ©alisĂ©es en Espagne et en Provence. Platon de Tivoli travaille en Catalogne, Herman de Carinthie dans le nord de l'Espagne et de l’autre cĂŽtĂ© des PyrĂ©nĂ©es au Languedoc, Hugues de Santalla en Aragon, Robert de Chesteren Navarre et Robert de Chester Ă  SĂ©govie[19]. TolĂšde est souvent considĂ©rĂ© comme le principal centre de traduction, mĂȘme si cette analyse est sujette Ă  diverses rĂ©Ă©valuations[20].

Les traductions en latin de Platon de Tivoli comprennent le traitĂ© d’astronomie et de trigonomĂ©trie de Muhammad ibn Jābir al-HarrānÄ« al-BattānÄ« intitulĂ© De motu stellarum, le Liber embadorum d’Abraham bar Hiyya Hanassi, les Spherica de ThĂ©odose de Tripoli, et le De la mesure du cercle d’ArchimĂšde. Les traductions en latin de Robert de Chester concernent le livre d’algĂšbre d’al-Khwarizmi, Al-jabr wa’l-muqĂąbalah (AbrĂ©gĂ© du calcul par la restauration et la comparaison) et ses tables astronomiques (contenant aussi des tables trigonomĂ©triques[21]. Les traductions d’Abraham de Tortosa comprennent le De Simplicibus d’Ibn Sarabi (SĂ©rapion Junior) et le Al-Tasrif d’Abulcasis intitulĂ© Liber Servitoris[8]. En 1126 enfin, le Grand Sindhind de Muhammad al-Fazari (traduit d'Ɠuvres en sanskrit, le Surya Siddhanta, et le Brahmasphutasiddhanta de Brahmagupta) est aussi traduit en latin[22].

Par ailleurs, outre ce corpus philosophique et littéraire, le lettré juif Petrus Alphonsi traduit un ensemble de trente-trois contes de la littérature arabe vers le latin. Certains d'entre eux proviennent du Panchatantra ou des Nuits, comme le conte de Sinbad le Marin[23]

L'« école de TolÚde »

L'archevĂȘque Raymond de TolĂšde (1125-1152) est lui-mĂȘme un traducteur et, en hommage, Jean de SĂ©ville lui dĂ©die une traduction. À partir de cette preuve fragmentaire, les historiens du XIXe siĂšcle ont suggĂ©rĂ© que Raymond avait crĂ©Ă© une Ă©cole officielle de traduction, mais aucun Ă©lĂ©ment concret confirmant la fondation d’une telle Ă©cole n’a Ă©tĂ© mis au jour, et son existence est maintenant mise en doute. La plupart des traducteurs ont en effet travaillĂ© Ă  l'extĂ©rieur de TolĂšde, et ceux qui ont travaillĂ© Ă  TolĂšde ont en rĂ©alitĂ© ƓuvrĂ© auprĂšs de l'archevĂȘque sans organisation particuliĂšre et d'ailleurs plutĂŽt au temps de l'archevĂȘque Jean (1152-1166) que de Raymond[24] - [25].

TolĂšde est cependant un centre de culture multilingue, comportant un grand nombre de chrĂ©tiens de langue arabe (mozarabes) et ayant une importance primordiale comme centre de formation. Cette tradition d'Ă©rudition, ainsi que les livres qui l’ont incarnĂ©e, ont survĂ©cu Ă  la conquĂȘte de la ville par le roi Alphonse VI en 1085. Un autre facteur est que les premiers Ă©vĂȘques de TolĂšde ainsi que le clergĂ© viennent de France, oĂč l'arabe est peu connu. En consĂ©quence, la cathĂ©drale devient un centre de traductions rĂ©alisĂ©es Ă  une Ă©chelle dont l'importance « n'a pas d’équivalent dans l'histoire de la culture occidentale[26]. »

RhazÚs, représenté dans une copie de la traduction de Gérard de Crémone (vers 1250-1260).

Parmi les premiers traducteurs de TolĂšde, on a rĂ©pertoriĂ© un certain Avendauth (que certains ont identifiĂ© comme Ă©tant Abraham ibn Dawd Halevi), traducteur de l'encyclopĂ©die d’Avicenne, le Kitāb al-Shifa (Le Livre de la guĂ©rison), en coopĂ©ration avec Dominique Gundissalvi, archidiacre de Cuellar[27]. Les traductions en latin d'Alphonse de TolĂšde comprennent le De separatione primi principii d’AverroĂšs[8]. Les traductions de Jean de SĂ©ville comprennent les ouvrages d’Al-Battani, Thābit ibn Qurra, Maslamah Ibn Ahmad al-Majriti, Al-Farabi, Jafar ibn Muhammad Abu Ma'shar al-Balkhi, Al-Ghazali, Al-Farghani[28] et le De differentia spiritus et anime de Qusta ibn Luqa[9].

Le mĂ©decin d'Alphonse X, Abraham AlfaquĂ­n, fut Ă©galement le traducteur en castillan de plusieurs Ɠuvres, dont le TraitĂ© de la azafea d'Al-Zarqali ou le Kitab al-Miraj (en) qui sera traduit en latin par Bonaventure de Sienne[29] - [30].

Le traducteur le plus productif de TolĂšde demeure GĂ©rard de CrĂ©mone (v. 1114 - v. 1187)[31], qui traduisit quatre-vingt-sept ouvrages[32] parmi lesquels on compte l’Almageste de PtolĂ©mĂ©e, de nombreuses Ɠuvres d’Aristote (notamment les Seconds Analytiques, la Physique, le TraitĂ© du ciel, le De la GĂ©nĂ©ration et de la Corruption et les MĂ©tĂ©orologiques), le Livre de l'addition et de la soustraction d'aprĂšs le calcul indien d’al-Khawarizmi, le De la mesure du cercle d’ArchimĂšde, les ÉlĂ©ments de gĂ©omĂ©trie d’Euclide, les Elementa astronomica de Jabir Ibn Aflah[21], Sur l'optique d’Al-Kindi, les ÉlĂ©ments d'astronomie d’Al-Farghani, le De intellectu et intellecto (sur la classification des sciences et des arts) d’Al-Farabi, les Ɠuvres de RhazĂšs sur l’alchimie et la mĂ©decine[1], les travaux de Thābit ibn Qurra et Hunayn ibn Ishaq[33] et les Ɠuvres d’Al-Zarqali, Jabir Ibn Aflah, BanĆ« MĆ«sā, Abu Kamil, Abu Al-Qasim et Ibn al-Haytham (notamment le TraitĂ© d'optique)[28].

Parmi les livres mĂ©dicaux qu’il a traduits, on note l’Expositio ad Tegni Galeni d’Ali ibn Ridwan, le Practica, Brevarium medicine de Yuhanna ibn Sarabiyun (SĂ©rapion), le De Gradibus d’Al-Kindi, les Liber ad Almansorem, Liber divisionum, Introductio in medicinam, De egritudinibus iuncturarum, Antidotarium et Practica puerorum de RhazĂšs, le De elementis et le De definitionibus d’Isaac Israeli ben Salomon[9], l’Al-Tasrif d’Abu Al-Qasim (Abulcasis) (traduit sous le titre de Chirurgia), ainsi que le Canon de la mĂ©decine d’Avicenne (sous le titre de Liber Canonis), et le Liber de medicamentis simplicus d’Ibn Wafid (Abenguefit)[10].

À la fin du XIIe et au dĂ©but du XIIIe siĂšcle, Marc de TolĂšde traduit une nouvelle fois le Coran et divers livres de mĂ©decine, ainsi que le Liber isagogarum d’Hunayn ibn Ishaq[10].

Les traductions au XIIIe siĂšcle

Michael Scot (c. 1175-1232)[34] traduit les Ɠuvres de Nour Ed-Din Al Betrugi (Alpetragius) en 1217[1], le Kitab-al-Hay’ah (Les mouvements du ciel) de Nour Ed-Din Al Betrugi, et d’importants commentaires d'Averroùs sur les travaux scientifiques d’Aristote[35].

Le roi Alphonse X (1252-1284) continue Ă  promouvoir les traductions, ainsi que la production de travaux d'Ă©rudition originaux.

David le Juif (vers 1228-1245) traduit les Ɠuvres d’al-Razi (Rhazùs) en latin. Les traductions d’Arnaud de Villeneuve (1235-1313) comportent des Ɠuvres de Galien et d’Avicenne[36] (notamment son Maqala fi Ahkam al-adwiya al-qalbiya, sous le titre de De viribus cordis), le De medicinis simplicibus d'Abou al-Salt (Albuzali)[10] et le De physicis ligaturis de Qusta ibn Luqa[9].

Au Portugal, Gilles de Santarem traduit le De secretis medicine, Aphorismi Rasis de RhazĂšs et le De secretis medicine de Masawaiyh. À Murcie, Rufin d’Alexandrie traduit le Liber questionum medicinalium discentium in medicina d’Hunayn ibn Ishaq (Hunen) et Dominicus Marrochinus traduit l’Epistola de cognitione infirmatum oculorum d’Ali Ibn Isa (Jesu Haly)[10]. Au XIVe siĂšcle, Ă  Lleida, John Jacobi traduit le Liber de la figura del uyl, un ouvrage mĂ©dical d’Alcoati, en catalan, puis en latin[12].

Autres traducteurs en Occident

Les traductions en latin d’AdĂ©lard de Bath (fl. 1116-1142) comprennent les travaux d’astronomie et de trigonomĂ©trie d’al-Khwarizmi (ses Tables astronomiques et son livre d’arithmĂ©tique, Liber ysagogarum Alchorismi), l’Introduction Ă  l'astrologie d’Abou Mashar, ainsi que les ÉlĂ©ments d'Euclide[37]. AdĂ©lard, associĂ© Ă  d'autres lettrĂ©s de l'ouest de l’Angleterre comme Petrus Alfonsi et Walcher de Malvern, traduit et met au point les concepts astronomiques ramenĂ©s d'Espagne[38]. L’AlgĂšbre d’Abu Kamil est Ă©galement traduit en latin au cours de cette pĂ©riode, mais le traducteur de l'Ɠuvre n'est pas connu[21].

Les traductions d’Alfred de Sareshel (c. 1200-1227) concernent les Ɠuvres de Nicolas de Damas et Hunayn ibn Ishaq. Celles d'Antonius Frachentius Vicentinus portent sur les Ɠuvres d’Ibn Sina (Avicenne). Armenguad traduit les Ɠuvres d'Avicenne, AverroĂšs, Hunayn ibn Ishaq et MaĂŻmonide. Berengarius de Valentia traduit les Ɠuvres d’Abu Al-Qasim (Abulcasis). Drogon (Azagont) traduit les Ɠuvres d’al-Kindi. Farragut (Faradj ben Salam) traduit les Ɠuvres de Hunayn ibn Ishaq, Ibn Zezla (Byngezla), Masawaiyh (Mesue) et RhazĂšs. Andreas Alphagus Bellnensis rĂ©alise la traduction des Ɠuvres d'Avicenne, d'AverroĂšs, de SĂ©rapion, d'al-Qifti et d'Albe'thar[39].

Au XIIIe siùcle, à Montpellier, Profatius et Bernardus Honofredi traduisent le Kitab alaghdiya d’Ibn Zuhr (Avenzoar) sous le titre de De regimine sanitatis, et Armengaudus Blasius traduit le al-Urjuza fi al-Tibb, compilation des Ɠuvres d’Avicenne et d’Averroùs, sous le titre de Cantica cum commento[12].

Les autres textes traduits au cours de cette pĂ©riode sont les travaux d’alchimie de Jabir Ibn Hayyan (Geber), dont les traitĂ©s sont une rĂ©fĂ©rence pour les livres europĂ©ens d’alchimie. Il s'agit notamment du Kitab al-Kimya (intitulĂ© Livre de la composition de l'alchimie en Europe), traduit par Robert de Chester (1144), du Kitab al-Sab'een traduit par GĂ©rard de CrĂ©mone (avant 1187), du Livre du Royaume, du Livre de l'Équilibre et du Livre de Mercure Oriental traduits par Marcellin Berthelot. Est Ă©galement traduit au cours de cette pĂ©riode le De Proprietatibus Elementorum, un livre scientifique sur la gĂ©ologie dĂ» Ă  un pseudo-Aristote[1]. Un De consolatione medicanarum simplicum, un Antidotarium et un Grabadin Ă©crits par un pseudo-Masawaiyh sont Ă©galement traduits en latin par un anonyme[10].

Bilan

L'élan des traductions observé au XIIe siÚcle est donc dû à deux foyers principaux, l'Italie et l'Espagne. Une classe de lettrés spécialisés dans l'activité de traduction émerge à cette occasion. En Italie, les traductions siciliennes sont essentiellement dues à deux officiers de la cour, Henri Aristippe et l'« émir » EugÚne ; tandis que sur le continent, on attribue à Jacques de Venise de nombreuses traductions, et on compte de nombreux traducteurs parfois notables comme Burgundio de Pise, Moïse de Bergame et Léon Tuscus (qui travaille d'abord longtemps à Byzance), et plus souvent encore anonymes. En Espagne les traducteurs sont souvent des Juifs généralement convertis comme l'Aragonais Pedro Alfonso ; des mozarabes comme Hugues de Santalla et sans doute Jean de Séville ; des chrétiens de la marche comme Dominique Gundisalvi ; des Italiens comme Platon de Tivoli, et Gérard de Crémone, dont la production prolifique fut permise par l'organisation d'un véritable atelier de traducteurs ; et d'autres lettrés venus de régions parfois lointaines, comme l'Angleterre pour Robert de Chester ou Herman de Carinthie. On peut ajouter à cela des traducteurs itinérants se rattachant moins précisément à un foyer, comme Adélard de Bath[40] - [41].

Ce mouvement de traduction introduit une vĂ©ritable rupture dans le monde du savoir. L'enseignement et la rĂ©flexion sont limitĂ©s, dans le Haut Moyen Âge par la faible quantitĂ© d'autoritĂ©s disponibles, la qualitĂ© mĂ©diocre des textes disponibles, et l'impossibilitĂ© d'entrer en possession de ces ouvrages Ă©crits dans une langue, le grec, dont la connaissance avait totalement disparu hors de l'Empire Byzantin[41]. Toutes les disciplines ne profitent pas de cet apport. Certaines l'ignorent parce qu'elles sont par dĂ©finition latines, comme la grammaire et la rhĂ©torique, ou encore le droit (code de Justinien) ; d'autres pour des raisons plus complexes : l'exĂ©gĂšse et la thĂ©ologie se basent sur la Vulgate, dont le caractĂšre fautif est connu, mais hormis quelques tentatives isolĂ©es (Étienne Harding, AndrĂ© de Saint-Victor) aucune correction depuis les textes bibliques grecs ou hĂ©breux n'est entreprise. De mĂȘme les traductions des PĂšres grecs sont assez peu nombreuses (sermons de Jean Chrysostome, De fide orthodoxa de Jean DamascĂšne, traduits par Ugo Etherianus et son frĂšre Leo Tuscus). Quant aux traductions du Coran[42] et du Talmud[43], elles ont un but essentiellement polĂ©mique[41].

L'impact des traductions est en fait surtout ressenti sur la philosophie, sur les sciences du quadrivium, sur l'astrologie et sur la médecine. Ces efforts permettent en effet à l'Occident latin de combler des lacunes philosophiques et surtout scientifiques : Euclide (mathématiques), Ptolémée (astronomie), Hippocrate et Galien (médecine), et enfin Aristote (physique, logique, éthique)[40] grùce à la redécouverte d'Aristote.

Concernant la logique notamment, jusqu'ici basĂ©e sur la Logica vetus transmise par BoĂšce, les lettrĂ©s saisissent rapidement l'urgence qu'il y a Ă  entrer en possession de ces textes dont l'Occident a Ă©tĂ© longtemps privĂ© (tandis que des domaines moins bien connus, comme la poĂ©sie, le thĂ©Ăątre ou l'histoire ne sont pas l'objet du mĂȘme enthousiasme)[41]. La Logica nova est ainsi composĂ©e des Analytiques, des Topiques et des RĂ©futations d'Aristote[40]. Il faut y ajouter l'apport arabe, essentiellement Al-Khwarizmi (algĂšbre), RhazĂšs (mĂ©decine), Avicenne (mĂ©decine et philosophie), Al-Kindi et Al-Farabi (philosophie) : ces Ă©crits souvent aristotĂ©liciens jouent un rĂŽle majeur dans le dĂ©veloppement de l'aristotĂ©lisme en Occident, ainsi que dans l'Ă©mergence de la question de l'autonomie de la raison[41]. Cet apport prĂ©pare Ă©galement l'importation d'innovations algĂ©briques comme les chiffres arabes et le zĂ©ro (au dĂ©but du XIIIe siĂšcle sous l'impulsion de LĂ©onard de Pise), sans compter de nombreuses notions commerciales que reflĂšte un vocabulaire particulier (douane, bazar, fondouk, gabelle, chĂšque)[40].

L'Italie et l'Espagne deviennent du fait de cette intense activité les destinations favorites des passionnés d'étude, comme Daniel de Morley[44]. On peut aussi songer à Abélard lorsqu'il imagine s'exiler pour fuir ses rivaux et trouver la liberté dont il a besoin : « Souvent, Dieu le sait, je tombai dans un tel désespoir, que je songeais à quitter les pays chrétiens pour passer chez les infidÚles, et acheter, au prix d'un tribut quelconque, le droit d'y vivre chrétiennement parmi les ennemis du Christ »[45].

Il faut toutefois prĂ©ciser que le travail de traduction ne va pas forcĂ©ment de pair avec l'assimilation de cet apport, que l'on observe principalement dans d'autres centres, notamment en France, en premier lieu Chartres et Paris[40]. Cette synthĂšse est trĂšs exceptionnellement l'Ɠuvre de traducteurs comme AdĂ©lard de Bath et plus tard Dominique Gundisalvi ; les traducteurs restent en gĂ©nĂ©ral spĂ©cialisĂ©s et n'Ă©tudient pas vĂ©ritablement cette matiĂšre premiĂšre qu'ils importent[41].

Notes et références

  1. Jerome B. Bieber, « Medieval Translation Table 2: Arabic Sources », Santa Fe Community College.
  2. M.-T. d'Alverny, « Translations and Translators », pp. 422-426.
  3. (en) Danielle Jacquart, The Influence of Arabic Medicine in the Medieval West, p. 981 in Morelon et Rashed 1996, p. 963-984.
  4. D. Campbell, Arabian Medicine and Its Influence on the Middle Ages, p. 4-5.
  5. C. H. Haskins, Studies in Mediaeval Science, pp. 155-157
  6. M.-T. d'Alverny, « Translations and Translators », pp. 433-434
  7. M.-T. d'Alverny, « Translations and Translators », p. 435
  8. D. Campbell, Arabian Medicine and Its Influence on the Middle Ages, p. 3.
  9. (en) Danielle Jacquart, The Influence of Arabic Medicine in the Medieval West, p. 982 in Morelon et Rashed 1996, p. 963-84
  10. (en) Danielle Jacquart, The Influence of Arabic Medicine in the Medieval West, p. 983 in Morelon et Rashed 1996, p. 963-84
  11. (la) Johannes (08-08 ) Serapion, Liber aggregatus in medicinis simplicibus ; Galen, de virtute centaureae ([Reprod.]) / Joannes SĂ©rapion, A. Zarotus, (lire en ligne)
  12. (en) Danielle Jacquart, The Influence of Arabic Medicine in the Medieval West, p. 984 in Morelon et Rashed 1996, p. 963-84
  13. C. H. Haskins, Studies in Mediaeval Science, pp. 8-10
  14. M.-T. d'Alverny, « Translations and Translators », pp. 429-430, 451-452
  15. C. H. Haskins, Renaissance of the Twelfth Century, p. 288
  16. Lemay 1963
  17. Juan Vernet, La Cultura hispano-ĂĄrabe en Oriente y Occidente, Barcelone, Ariel, 1978
  18. M.-T. d'Alverny, « Translations and Translators » p. 429
  19. M.-T. d'Alverny, « Translations and Translators », pp. 444-448
  20. Voir infra
  21. V. J. Katz, A History of Mathematics: An Introduction, p. 291.
  22. G. G. Joseph, The Crest of the Peacock, p. 306.
  23. Robert Irwin, The Arabian Nights: A Companion, Tauris Parke Paperbacks, 2003, p. 93
  24. M.-T. d'Alverny, « Translations and Translators », pp. 444-447
  25. Danielle Jacquart, « L'École des traducteurs », in Louis Cardaillac Ă©d., TolĂšde XIIe-XIIIe. Musulmans, chrĂ©tiens et juifs : le savoir et la tolĂ©rance, Paris, Autrement, 1991 (MĂ©moires, 5), p. 177-191
  26. C. Burnett, « Arabic-Latin Translation Program in Toledo », pp. 249-251, 270.
  27. M.-T. d'Alverny, « Translations and Translators », pp. 444-6, 451
  28. Salah Zaimeche, Aspects of the Islamic Influence on Science and Learning in the Christian West, Foundation for Science Technology and Civilisation, 2003, p. 10
  29. (en) Olga Jeczmyk, « Abraham Alfaquín: a translator from the famous Toledo School of Translators », sur DG Trad (Direction générale de la Traduction), (consulté le ).
  30. (en) Louis Ginzberg, « Abraham of Toledo », sur Jewish Encyclopedia (consulté le )
  31. C. H. Haskins, Renaissance of the Twelfth Century, p. 287 : « more of Arabic science passed into Western Europe at the hands of Gerard of Cremona than in any other way. »
  32. Pour une liste des traductions de Gérard de Crémone, voir Edward Grant, A Source Book in Medieval Science, Cambridge Mass., Harvard University Press, 1974, pp. 35-8 ; Charles Burnett, « The Coherence of the Arabic-Latin Translation Program in Toledo in the Twelfth Century », Science in Context, 14, 2001, pp. 249-288 et pp. 275-281.
  33. D. Campbell, Arabian Medicine and Its Influence on the Middle Ages, p. 6.
  34. William P. D. Wightman (1953) The Growth of Scientific Ideas, New Haven, Yale University Press (ISBN 1135460426), p. 332
  35. Biographisch-Bibliographisches Kirchenlexicon
  36. D. Campbell, Arabian Medicine and Its Influence on the Middle Ages, p. 5.
  37. Charles Burnett Ă©d. Adelard of Bath, Conversations with His Nephew, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. xi.
  38. M.-T. d'Alverny, « Translations and Translators », pp. 440-443
  39. D. Campbell, Arabian Medicine and Its Influence on the Middle Ages, p. 4.
  40. Le Goff 1957, p. 20-24
  41. Verger 1999, p. 89-98
  42. Notamment celle commandée par Pierre le Vénérable
  43. Notamment les extraits inclus par le juif aragonais converti Pedro Alfonso dans son Dialogus Alphonsi conversi cum Moyse Iudaeo. Cf. M.-T. d'Alverny 1982, p. 428
  44. Ce dernier raconte son voyage dans le Liber de naturis inferiorum et superiorum adressĂ© Ă  l'Ă©vĂȘque de Norwich
  45. « Sepe autem, Deus scit, in tantam lapsus sum desperationem, ut Christianorum finibus excessis ad gentes transire disponerem, atque ibi quiete sub quacunque tributi pactione inter inimicos Christi christiane vivere. » Historia Calamitatum lire en ligne, trad. Octave Gréard.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

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  • (en) Charles Burnett, « The Coherence of the Arabic-Latin Translation Program in Toledo in the Twelfth Century », Science in Context, 14 (2001), p. 249-288
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