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Euclide

Euclide (en grec ancien : ΕᜐÎșÎ»Î”ÎŻÎŽÎ·Ï‚), dit parfois Euclide d'Alexandrie, est un mathĂ©maticien de la GrĂšce antique, auteur d’un traitĂ© de mathĂ©matiques, qui constitue l'un des textes fondateurs de cette discipline en Occident. Aucune information fiable n'est parvenue sur la vie ou la mort d'Euclide ; il est possible qu'il ait vĂ©cu vers 300 avant notre Ăšre.

Euclide
Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Euclide (d'aprĂšs une gravure du XVIe siĂšcle)[1].
Naissance inconnue
Actif vers 300 av. J.-C.
Domaines Mathématiques
RenommĂ© pour son livre les ÉlĂ©ments

Son ouvrage le plus cĂ©lĂšbre, les ÉlĂ©ments, est un des plus anciens traitĂ©s connus prĂ©sentant de maniĂšre systĂ©matique, Ă  partir d'axiomes et de postulats, un large ensemble de thĂ©orĂšmes accompagnĂ©s de leurs dĂ©monstrations. Il porte sur la gĂ©omĂ©trie, tant plane que solide, et l’arithmĂ©tique thĂ©orique. L'ouvrage a connu des centaines d’éditions en toutes langues et ses thĂšmes restent Ă  la base de l’enseignement des mathĂ©matiques au niveau secondaire dans de nombreux pays.

Du nom d’Euclide dĂ©rivent en particulier l’algorithme d'Euclide, la gĂ©omĂ©trie euclidienne, la gĂ©omĂ©trie non euclidienne et la division euclidienne.

Biographie

Il n’existe aucune source directe sur la vie d’Euclide : nous ne disposons d’aucune lettre, d’aucune indication autobiographique (mĂȘme sous la forme d’une prĂ©face Ă  un ouvrage), d’aucun document officiel, ni mĂȘme d’aucune allusion par un de ses contemporains. Comme le rĂ©sume l’historien des mathĂ©matiques Peter Schreiber, « sur la vie d’Euclide, pas un seul fait sĂ»r n’est connu »[2].

L’écrit le plus ancien connu concernant la vie d’Euclide apparaĂźt dans un rĂ©sumĂ© sur l’histoire de la gĂ©omĂ©trie Ă©crit au Ve siĂšcle de notre Ăšre par le philosophe nĂ©o-platonicien Proclus, commentateur du premier livre des ÉlĂ©ments. Proclus ne donne lui-mĂȘme aucune source pour ses indications. Il dit seulement qu'« en rassemblant ses ÉlĂ©ments, [Euclide] en a coordonnĂ© beaucoup [
] et a Ă©voquĂ© dans d’irrĂ©futables dĂ©monstrations ceux que ses prĂ©dĂ©cesseurs avaient montrĂ©s d’une maniĂšre relĂąchĂ©e. Cet homme a d’ailleurs vĂ©cu sous le premier PtolĂ©mĂ©e, car ArchimĂšde [
] mentionne Euclide. Euclide est donc plus rĂ©cent que les disciples de Platon, mais plus ancien qu’ArchimĂšde et ÉratosthĂšne[3] ». Si l'on admet la chronologie donnĂ©e par Proclus, Euclide, vivant entre Platon et ArchimĂšde et contemporain de PtolĂ©mĂ©e Ier, a donc vĂ©cu vers 300 av. J.-C.

Aucun document ne vient contredire ces quelques phrases, ni les confirmer vraiment. La mention directe d’Euclide dans les Ɠuvres d’ArchimĂšde vient d’un passage considĂ©rĂ© comme douteux[4].

ArchimĂšde fait bien appel Ă  certains rĂ©sultats des ÉlĂ©ments et un ostrakon, trouvĂ© sur l’üle ÉlĂ©phantine et datĂ© du IIIe siĂšcle avant notre Ăšre, traite de figures Ă©tudiĂ©es dans le livre XIII des ÉlĂ©ments, comme le dĂ©cagone et l’icosaĂšdre, mais sans reproduire exactement les Ă©noncĂ©s euclidiens ; ils pourraient donc provenir de sources antĂ©rieures Ă  Euclide[5]. La date approximative de 300 av. J.-C. est toutefois jugĂ©e compatible avec l’analyse du contenu de l’Ɠuvre euclidienne et c'est celle adoptĂ©e par les historiens des mathĂ©matiques[6] - [7] - [8] - [4].

Par ailleurs, une allusion du mathĂ©maticien du IVe siĂšcle de notre Ăšre, Pappus d'Alexandrie, suggĂšre que des Ă©lĂšves d’Euclide auraient enseignĂ© Ă  Alexandrie[8]. Certains auteurs ont, sur cette base, associĂ© Euclide au MouseĂźon d'Alexandrie, mais, lĂ  encore, il ne figure sur aucun document officiel correspondant[7]. Le qualificatif souvent associĂ© Ă  Euclide dans l’AntiquitĂ© est simplement stoichĂ©iĂŽtĂȘs (en grec ancien : ÏƒÏ„ÎżÎčχΔÎčÏ‰Ï„ÎźÏ‚), c’est-Ă -dire « auteur d’ÉlĂ©ments »[4].

Portrait d'Euclide par Juste de Gand peint vers 1474 ; le gĂ©omĂštre est faussement identifiĂ© Ă  Euclide de MĂ©gare, selon une confusion courante Ă  l'Ă©poque entre ce dernier et l’auteur des ÉlĂ©ments.

Plusieurs anecdotes circulent Ă  propos d’Euclide, mais comme elles apparaissent aussi pour d’autres mathĂ©maticiens, elles ne sont pas considĂ©rĂ©es comme rĂ©alistes : il en est ainsi de celle, cĂ©lĂšbre, rapportĂ©e par Proclus, selon laquelle Euclide aurait rĂ©pondu Ă  PtolĂ©mĂ©e — qui souhaitait une voie plus facile que celles des ÉlĂ©ments — qu’il n’y avait pas de voie royale en gĂ©omĂ©trie ; une variante de la mĂȘme anecdote est en effet attribuĂ©e Ă  MĂ©nechme et Alexandre le Grand[9]. De mĂȘme, depuis l’AntiquitĂ© tardive, divers dĂ©tails sont ajoutĂ©s aux rĂ©cits de la vie d’Euclide, sans sources nouvelles, et souvent de maniĂšre contradictoire. Certains auteurs font ainsi naĂźtre Euclide Ă  Tyr, d’autres Ă  Gela, on lui attribue diverses gĂ©nĂ©alogies, des maĂźtres particuliers, diffĂ©rentes dates de naissance et de mort, que ce soit pour respecter les rĂšgles du genre, ou pour favoriser certaines interprĂ©tations[10]. Au Moyen Âge et au dĂ©but de la Renaissance, le mathĂ©maticien Euclide est ainsi souvent confondu avec un philosophe contemporain de Platon, Euclide de MĂ©gare[11] - [4].

ConfrontĂ© Ă  ces contradictions et au manque de sources fiables, l’historien des mathĂ©matiques Jean Itard a mĂȘme suggĂ©rĂ© en 1961 qu’Euclide en tant qu’individu n’existait peut-ĂȘtre pas et que le nom pouvait dĂ©signer « le titre collectif d’une Ă©cole mathĂ©matique », soit celle d’un maĂźtre rĂ©el entourĂ© d’élĂšves, soit mĂȘme un nom purement fictif[12]. Mais cette hypothĂšse ne semble pas retenue[13].

Un des plus anciens fragments des ÉlĂ©ments d'Euclide qui nous soit parvenu, dĂ©couvert Ă  Oxyrhynque, et qui daterait d'entre 75 et 125 AC. Nous ne disposons pas de plus d'un pour cent du texte d'Euclide, dans des sources antĂ©rieures Ă  la fin du IXe siĂšcle[14].

ƒuvres d'Euclide

Statue d'Euclide Ă  Oxford.

Des mentions d’ouvrages attribuĂ©s Ă  Euclide figurent chez plusieurs auteurs, en particulier dans la Collection mathĂ©matique de Pappus (datĂ©e usuellement du IIIe ou IVe siĂšcle) et dans le Commentaire aux ÉlĂ©ments d’Euclide dĂ» Ă  Proclus. Seule une partie de ces ouvrages euclidiens nous est parvenue.

Les ÉlĂ©ments

Les ÉlĂ©ments de mathĂ©matiques, en treize livres, constituent l’ouvrage le plus cĂ©lĂšbre d’Euclide et un best-seller de l’édition scientifique. De nombreuses versions du texte existent sous forme manuscrite, complĂštes ou non, dans les bibliothĂšques du monde entier. Jusqu’au dĂ©but du XIXe siĂšcle, toutes les versions connues se rĂ©fĂ©raient Ă  celle de ThĂ©on d’Alexandrie, un auteur du IVe siĂšcle (le plus ancien manuscrit complet, dit Codex Bodleianus, datant du IXe siĂšcle). En 1808, François Peyrard identifia un manuscrit en grec du Xe siĂšcle (dĂ©couvert Ă  la BibliothĂšque vaticane lors des campagnes de NapolĂ©on en Italie) comme se rĂ©fĂ©rant Ă  une version antĂ©rieure Ă  celle de ThĂ©on. Le premier texte imprimĂ© des ÉlĂ©ments, en latin, est issu de Campanus de Novare, Ă  partir de versions du texte en arabe, et a Ă©tĂ© publiĂ© Ă  Venise en 1482 par l’imprimeur Erhard Ratdolt[alpha 1]. L’édition critique moderne, qui fait encore rĂ©fĂ©rence de nos jours et intĂšgre les connaissances tirĂ©es de plusieurs manuscrits grecs (y inclus celui identifiĂ© par Peyrard) est due Ă  Johan Ludvig Heiberg. Que ce soit en version partielle (les six premiers livres seulement par exemple) ou complĂšte, les adaptations, les Ă©ditions commentĂ©es, les traductions des ÉlĂ©ments ont Ă©tĂ© trĂšs nombreuses jusqu’à nos jours[15].

Un des aspects les plus cĂ©lĂšbres de l’ouvrage est sa forme dĂ©ductive et son organisation systĂ©matique et progressive[16]. L’auteur Ă©nonce d’abord des dĂ©finitions, comme celle d’une ligne (« une longueur sans largeur ») au livre I, ou d’un nombre premier (« un nombre mesurĂ© par une seule unitĂ© ») au livre VII ; des notions communes (par exemple, « si des choses Ă©gales sont retranchĂ©es de choses Ă©gales, les restes sont Ă©gaux ») ; des postulats, comme la possibilitĂ© de construire une ligne droite passant par deux points donnĂ©s. Il dĂ©montre ensuite de nouvelles propriĂ©tĂ©s ou effectue de nouvelles constructions, Ă  partir de ce qui est dĂ©jĂ  connu (les dĂ©finitions, ou des propositions dĂ©jĂ  Ă©tablies). Toutes les constructions reposent ainsi sur celles de droites ou de cercles, une contrainte connue plus tard sous le nom de constructions Ă  la rĂšgle et au compas[alpha 2].

Les six premiers livres sont consacrĂ©s Ă  la gĂ©omĂ©trie plane[16]. Le premier traite en particulier des triangles et des droites parallĂšles, et inclut une preuve du thĂ©orĂšme de Pythagore ; le deuxiĂšme traite de la construction de figures planes de forme donnĂ©e, des carrĂ©s par exemple, et de surface Ă©gale Ă  celle d’une figure rectiligne donnĂ©e ; le troisiĂšme traite des propriĂ©tĂ©s du cercle ; le quatriĂšme Ă©tudie l’inscription de figures dans un cercle, ou de cercles dans des figures rectilignes, par exemple la construction de pentagones rĂ©guliers inscrits dans ou circonscrits Ă  un cercle donnĂ© ; le cinquiĂšme traite de la thĂ©orie des rapports et des proportions entre grandeurs, thĂ©orie qui est appliquĂ©e Ă  la gĂ©omĂ©trie dans le sixiĂšme livre.

Les trois livres suivants, aussi appelĂ©s « Livres arithmĂ©tiques », traitent des nombres premiers, de la construction du plus grand diviseur entier commun Ă  deux ou plusieurs entiers, des nombres en progression gĂ©omĂ©trique, et donnent un critĂšre pour construire des nombres parfaits (c’est-Ă -dire des nombres entiers Ă©gaux Ă  la somme de leurs diviseurs propres). On y trouve un procĂ©dĂ© par soustractions successives rĂ©pĂ©tĂ©es, qui est maintenant Ă  la base de la division euclidienne et de l’algorithme d'Euclide.

Le livre X dĂ©finit et classifie les quantitĂ©s irrationnelles ; les trois derniers livres, enfin, traitent de la gĂ©omĂ©trie dans l’espace, culminant avec la construction, dans une sphĂšre, des cinq solides rĂ©guliers, pyramide, cube, octaĂšdre, dodĂ©caĂšdre, icosaĂšdre.

Les deux livres supplĂ©mentaires, sur les polyĂšdres rĂ©guliers, souvent baptisĂ©s « livres XIV et XV » des ÉlĂ©ments dans les Ă©ditions anciennes, ont Ă©tĂ© Ă©crits par d’autres auteurs, de plusieurs siĂšcles postĂ©rieurs[17].

La gĂ©omĂ©trie telle qu'elle est dĂ©finie par Euclide dans ce texte fut considĂ©rĂ©e pendant des siĂšcles comme la gĂ©omĂ©trie, et comme une reprĂ©sentation adĂ©quate du monde physique. Or, parmi les postulats du livre I, figure celui connu sous le nom de « postulat d'Euclide » ou « postulat des parallĂšles », que l'on exprime de nos jours sous la forme : « par un point pris hors d'une droite il passe une et une seule parallĂšle Ă  cette droite ». L’étude de ce postulat a conduit au XIXe siĂšcle au dĂ©veloppement de gĂ©omĂ©tries non euclidiennes, c’est-Ă -dire alternatives Ă  celle d’Euclide et n’admettant pas ce postulat, et plus gĂ©nĂ©ralement au renouvellement de la notion mĂȘme de gĂ©omĂ©trie et de ses liens avec la reprĂ©sentation du monde rĂ©el.

Les Données

Les DonnĂ©es est le seul autre ouvrage d’Euclide traitant de gĂ©omĂ©trie dont on possĂšde une version en grec (il est contenu par exemple dans le manuscrit du Xe siĂšcle dĂ©couvert par Peyrard[18]). Il est aussi dĂ©crit en dĂ©tail dans le livre VII de la Collection mathĂ©matique de Pappus, le « TrĂ©sor de l’analyse ».

Les DonnĂ©es se situent dans le cadre de la gĂ©omĂ©trie plane et sont considĂ©rĂ©es par les historiens comme un complĂ©ment des ÉlĂ©ments, mis sous une forme plus adĂ©quate Ă  l’analyse de problĂšmes[19] - [20]. L’ouvrage contient douze dĂ©finitions, expliquant ce que signifie qu’un objet gĂ©omĂ©trique est donnĂ©, en position, en forme, en grandeur, et 94 thĂ©orĂšmes. Ceux-ci expliquent comment si certains Ă©lĂ©ments d’une figure sont donnĂ©s, d’autres relations ou Ă©lĂ©ments peuvent Ă  leur tour ĂȘtre dĂ©terminĂ©s[21]. Par exemple (data 29), « si une ligne droite est donnĂ©e en position, et si, Ă  partir d’un point donnĂ© dessus est tracĂ©e une droite faisant un angle donnĂ© Ă  la premiĂšre, cette droite tracĂ©e est donnĂ©e[22] », ou encore (data 39) « si tous les cĂŽtĂ©s d’un triangle sont donnĂ©s en grandeur, le triangle est donnĂ© en forme »[23].

De la division des figures

Cet ouvrage est décrit dans le Commentaire de Proclus, mais il est perdu en grec ; il est connu par des morceaux en latin (De divisionibus), mais surtout par un manuscrit en arabe découvert au XIXe siÚcle, qui contient 36 propositions, dont quatre sont démontrées[24].

Il s’agit dans cet ouvrage de construire des droites qui divisent des figures donnĂ©es dans des proportions et des formes donnĂ©es. Par exemple, on demande, un triangle et un point intĂ©rieur au triangle Ă©tant donnĂ©s, de construire une droite passant par le point et dĂ©coupant le triangle en deux figures de mĂȘme surface ; ou encore, un cercle Ă©tant donnĂ©, de construire deux droites parallĂšles, telles que la portion du cercle qu’elles limitent fasse un tiers de la surface du cercle[25].

Les Pseudaria

Les arguments fallacieux (Pseudaria) est un ouvrage perdu, connu seulement par la description qu’en donne Proclus. Selon ce dernier, l’ouvrage avait pour objectif d’exercer les dĂ©butants Ă  dĂ©tecter les raisonnements faux, en particulier ceux mimant les raisonnements dĂ©ductifs et ayant donc l’apparence du vrai. Il donnait des exemples de paralogismes[26].

Les Coniques

Les [ÉlĂ©ments sur les sections] coniques, Conikai Stoicheia, est un ouvrage, perdu, dĂ©crit par Pappus et Ă©voquĂ© par d’autres auteurs. Selon Pappus, il se composait de quatre livres et constitua un ouvrage de rĂ©fĂ©rence sur le sujet jusqu’à ce qu’Apollonius le complĂšte et l’étende[27].

Les Porismes

Les Porismes, en trois livres, sont perdus. L’ouvrage est Ă©voquĂ© dans deux passages de Proclus et surtout fait l’objet d’une longue prĂ©sentation dans le livre VII de la Collection de Pappus, le « TrĂ©sor de l’analyse », comme un exemple significatif et d’une grande portĂ©e de l’approche analytique. Le mot « porisme » a plusieurs usages : selon Pappus, il dĂ©signerait ici un Ă©noncĂ© de type intermĂ©diaire entre les thĂ©orĂšmes et les problĂšmes. L’ouvrage d’Euclide aurait contenu 171 Ă©noncĂ©s de ce type et trente-huit lemmes. Pappus en donne des exemples, comme « si, Ă  partir de deux points donnĂ©s, on trace des droites s’intersectant sur une droite donnĂ©e, et si l’une d’elles dĂ©coupe sur une droite donnĂ©e un segment, l’autre fera de mĂȘme sur une autre droite, avec un rapport fixĂ© entre les deux segments dĂ©coupĂ©s[28] ».

InterprĂ©ter le sens exact de ce qu’est un porisme, et Ă©ventuellement restituer tout ou partie des Ă©noncĂ©s de l’ouvrage d’Euclide, Ă  partir des informations laissĂ©es par Pappus, a occupĂ© de nombreux mathĂ©maticiens : les tentatives les plus connues sont celles de Pierre Fermat au XVIIe siĂšcle, de Robert Simson au XVIIIe siĂšcle, et surtout de Michel Chasles au XIXe siĂšcle. Si la reconstitution de Chasles n’est pas prise au sĂ©rieux comme telle par les historiens actuels, elle a donnĂ© l’occasion au mathĂ©maticien de dĂ©velopper la notion de rapport anharmonique[29].

Les Lieux rapportés à la surface

Il s’agit aussi d’un ouvrage perdu, en deux livres, mentionnĂ© dans le TrĂ©sor de l’analyse de Pappus. Les indications donnĂ©es dans Proclus ou Pappus sur ces lieux d’Euclide sont ambiguĂ«s et ce dont il est exactement question dans l’ouvrage n’est pas connu. Dans la tradition des mathĂ©matiques grecques antiques, les lieux sont des ensembles de points vĂ©rifiant une propriĂ©tĂ© donnĂ©e. Ces ensembles sont le plus souvent des lignes droites, ou des sections coniques, mais peuvent aussi ĂȘtre des surfaces rĂ©glĂ©es par exemple. La plupart des historiens estiment que les lieux d’Euclide pourraient traiter de surfaces de rĂ©volution, sphĂšres, cĂŽnes ou cylindres[30].

Les PhénomÚnes

Cet ouvrage portant sur l’application de la gĂ©omĂ©trie de la sphĂšre Ă  l’astronomie a survĂ©cu en grec, dans plusieurs versions manuscrites dont la plus ancienne date du Xe siĂšcle. Ce texte relĂšve de ce qu’on appelle la « petite astronomie », par contraste avec les thĂšmes traitĂ©s dans la Grande Composition (l’Almageste) de PtolĂ©mĂ©e[31]. Il contient 18 propositions et est proche des ouvrages conservĂ©s sur le mĂȘme thĂšme d’Autolycos de Pitane[32].

Optique

Cet ouvrage est conservĂ© en grec, en plusieurs versions. ConsacrĂ© Ă  des problĂšmes que nous appellerions maintenant de perspective et apparemment destinĂ© Ă  ĂȘtre utilisĂ© en astronomie, il adopte la forme des ÉlĂ©ments : c’est une suite de cinquante-huit propositions dont la preuve repose sur des dĂ©finitions et postulats Ă©noncĂ©s au dĂ©but du texte. Ces dĂ©finitions suivent le point de vue de Platon, selon lequel la vision vient de rayons (en ligne droite) allant de notre Ɠil Ă  l’objet vu[alpha 3]. Euclide montre que les tailles apparentes d’objets Ă©gaux ne sont pas proportionnelles Ă  leur distance de notre Ɠil (proposition 8)[34]. Il explique aussi par exemple notre vision d’une sphĂšre (et d’autres surfaces simples) : l’Ɠil voit une surface infĂ©rieure Ă  la moitiĂ© de la sphĂšre, une proportion d’autant plus petite que la sphĂšre est proche, mĂȘme si la surface vue semble plus grande, et le contour de ce qui est vu est un cercle. Il dĂ©taille Ă©galement, selon les positions de l’Ɠil et de l’objet, de quelle forme nous apparaĂźt un cercle[35]. Le traitĂ©, en particulier, contredit une opinion dĂ©fendue dans certaines Ă©coles de pensĂ©e selon laquelle la grandeur rĂ©elle des objets (en particulier des corps cĂ©lestes) est leur grandeur apparente, celle qui est vue[36]. Pour ses Ă©tudes sur la perspective, le livre d'Euclide est considĂ©rĂ© comme l'un des plus importants travaux relatifs Ă  l'optique jusqu'Ă  Newton. Des artistes de la Renaissance — Filippo Brunelleschi, Leon Battista Alberti et Albrecht DĂŒrer — s'en inspirent pour Ă©laborer leurs propres traitĂ©s sur la perspective[33].

Musique

Proclus attribue Ă  Euclide des ÉlĂ©ments de musique (tout comme l’astronomie, la musique thĂ©orique, par exemple sous forme de thĂ©orie appliquĂ©e des proportions, figure parmi les sciences mathĂ©matiques). Deux petits Ă©crits ont Ă©tĂ© conservĂ©s en grec, et inclus dans des Ă©ditions anciennes d’Euclide, mais leur attribution est incertaine, ainsi que leurs liens possibles avec ses ÉlĂ©ments. Les deux Ă©crits (une Section du canon sur les intervalles musicaux et une Introductio harmonica) sont d’ailleurs considĂ©rĂ©s comme contradictoires et le deuxiĂšme, au moins, est maintenant considĂ©rĂ© par les spĂ©cialistes comme venant d’un autre auteur[37].

Ouvrages faussement attribués à Euclide

  • Une Catoptrique, c’est-Ă -dire un ouvrage portant sur les miroirs, est Ă©voquĂ© dans le texte d’Euclide sur l’optique et dans le commentaire de Proclus. Il est maintenant considĂ©rĂ© comme perdu, et en particulier, la Catoptrique longtemps publiĂ©e Ă  la suite de l’Optique dans des Ă©ditions anciennes, n’est plus attribuĂ©e Ă  Euclide, elle est considĂ©rĂ©e comme une compilation plus tardive[36].
  • Euclide est mentionnĂ© comme auteur de fragments concernant la mĂ©canique, plus prĂ©cisĂ©ment de textes sur le levier et la balance, dans certains manuscrits en latin ou en arabe. L’attribution est maintenant considĂ©rĂ©e comme douteuse[38].

Éditions

Euclides, 1703.
  • Il existe des traductions françaises de certains livres d'Euclide dĂšs la Renaissance. Pierre Forcadel publie par exemple au XVIe siĂšcle une traduction des six premiers livres, puis des livres dits arithmĂ©tiques (VII Ă  IX), des ÉlĂ©ments. Une version française des quinze livres des ÉlĂ©ments gĂ©omĂ©triques d'Euclide est Ă©ditĂ©e en 1609 par Didier Dounot ; parmi les autres Ă©ditions trĂšs diffusĂ©es figure par exemple celle de Denis Henrion[39].
  • La premiĂšre Ă©dition moderne des Ɠuvres d’Euclide en grec est celle de David Gregory, Ă  Oxford en 1703, avec une traduction en latin.
  • François Peyrard donna une Ă©dition en trois volumes et trois langues (grec, latin et français) des ÉlĂ©ments et des Data (c’est-Ă -dire de tous les textes d’Euclide de mathĂ©matiques pures connus en grec) Ă  Paris entre 1814 et 1818[40]. Cette Ă©dition constitue la premiĂšre tentative de reconstitution scientifique des Ɠuvres d’Euclide, Ă  partir du "manuscrit 190" qu'avait dĂ©couvert Peyrard. Elle sera la seule disponible en France jusqu'aux travaux de Bernard Vitrac dans les annĂ©es 1990. La traduction en français est rĂ©Ă©ditĂ©e sĂ©parĂ©ment par Peyrard en 1819, puis, accompagnĂ©e d'une prĂ©face de Jean Itard, en 1966 (2nde Ă©dition 1993).
  • L’édition de rĂ©fĂ©rence d’Euclide en grec reste celle de Heiberg et Menge (de) datant de la fin du XIXe siĂšcle :
    J. L. Heiberg (Ă©d.) et H. Menge (Ă©d.), Euclidis Opera omnia, Leipzig, Teubner, 1883–1916, huit volumes.
    Elle inclut une traduction en latin Ă  cĂŽtĂ© du texte grec et contient tous les Ă©crits connus (y compris ceux d’attribution douteuse), ainsi que plusieurs commentaires par des auteurs anciens.
  • La traduction française de rĂ©fĂ©rence pour les ÉlĂ©ments (Ă  partir de l’édition de Heiberg) est :
    Euclide, Les ÉlĂ©ments, BibliothĂšque d'histoire des sciences, Paris, Presses universitaires de France, 1990-2001 :
    vol. I, Livres I-IV, Géométrie plane ; trad. du texte de Heiberg et commentaires par Bernard Vitrac ; introduction générale par Maurice Caveing, 1990, 531 p. (ISBN 2-13-043240-9).
    vol. II, Livres V à IX [Livres V-VI, Proportions et similitude ; Livres VII-IX, Arithmétique; trad. du texte de Heiberg et commentaires par Bernard Vitrac, 1994, 572 p. (ISBN 2-13-045568-9).
    vol. III, Livre X, Grandeurs commensurables et incommensurables, classification des lignes irrationnelles ; trad. du texte de Heiberg et commentaires par Bernard Vitrac, 1998, 432 p. (ISBN 2-13-049586-9).
    vol. IV, Livre XI-XIII, Géométrie des solides ; trad. du texte de Heiberg et commentaires par Bernard Vitrac, 2001, 482 p. (ISBN 2-13-051927-X).

Notes et références

Notes

  1. Cette Ă©dition est accessible en ligne sur Internet Archive.
  2. D’autres types de constructions apparaissent dans l’AntiquitĂ©, mais ne figurent pas dans les ÉlĂ©ments d’Euclide, comme la construction par « neusis » ou par inclinaison, un procĂ©dĂ© de construction utilisant une rĂšgle graduĂ©e et consistant Ă  construire un segment de longueur donnĂ©e dont les extrĂ©mitĂ©s se trouvent sur deux courbes donnĂ©es.
  3. Affirmation tenue pour exacte jusqu'Ă  ce que l'Ă©rudit persan Alhazen (965-1040), dans son Kitab al-Manazir (livre d'optique), affirme le contraire[33].

Références

  1. Gravure (coloriée) inspirée de l'ouvrage d'André Thevet, Les vrais pourtraits et vies des hommes illustres grecz, latins et payens, 1584, Livre II, Chap. 24.
  2. Schreiber 1987, p. 25.
  3. Proclus de Lycie (trad. Paul Ver Eecke), Les Commentaires sur les premiers livres des ÉlĂ©ments d’Euclide, Bruges, DesclĂ©e de Brouwer, , p. 61.
  4. Vitrac 2004.
  5. (en) David Fowler, The Mathematics of Plato’s Academy : A New Reconstruction, Oxford, Clarendon Press (Oxford Science Publications), (ISBN 0-19-853912-6), p. 208.
  6. Heath 1921, p. 354.
  7. Schreiber 1987, p. 26.
  8. Caveing 1990, p. 15.
  9. Caveing 1990, p. 15-16.
  10. Plusieurs exemples sont donnés, et réfutés, dans Heath 1921, p. 355, Schreiber 1987, p. 25-31, Caveing 1990, p. 15, Vitrac 2004.
  11. Caveing 1990, p. 15, note 8.
  12. Jean Itard, Les livres arithmĂ©tiques d’Euclide, Paris, Hermann, , p. 11.
  13. Caveing 1990, p. 20, y voit une pratique Ă©trangĂšre Ă  l’époque concernĂ©e.
  14. (en) Bill Casselman, « One of the oldest extant diagrams from Euclid », sur Department of Mathematics, University of British Columbia.
  15. Georges Kayas, Vingt-trois siĂšcles de tradition euclidienne (essai bibliographique), Palaiseau, École polytechnique (LPNHE, rapport interne), , 211 p., p. 9, recense par exemple environ cent-soixante Ă©ditions entre 1650 et 1700 et quatre-cents entre 1850 et 1900.
  16. Caveing 1990, p. 18-19 ; Heath 1921, p. 373-419.
  17. Caveing 1990, p. 20-21.
  18. Caveing 1990, p. 46.
  19. (en) Wilbur Richard Knorr, The Ancient Tradition of Geometric Problems, Boston, BirkhÀuser, , 410 p. (ISBN 978-0-486-67532-9, lire en ligne), p. 109.
  20. Taisbak 2003, p. 15.
  21. Heath 1921, p. 421-425.
  22. Taisbak 2003, p. 102.
  23. Schreiber 1987, p. 58.
  24. Heath 1921, p. 425-430.
  25. Schreiber 1987, p. 63-65.
  26. Caveing 1990, p. 22-23.
  27. Heath 1921, p. 438-439.
  28. Heath 1921, p. 433.
  29. Heath 1921, p. 435-437.
  30. Caveing 1990, p. 26.
  31. Heath 1921, p. 348.
  32. Schreiber 1987, p. 56.
  33. Pla i Carrera et Postel 2018, p. 25.
  34. Il donne un énoncé proche de celui disant que le rapport des tangentes de deux angles aigus est inférieur au rapport des angles ; voir Heath 1921, p. 442.
  35. Heath 1921, p. 441-444.
  36. Caveing 1990, p. 27.
  37. Schreiber 1987, p. 57.
  38. Caveing 1990, p. 27-28.
  39. Denis Henrion, Les quinze livres des Ă©lĂ©ments gĂ©omĂ©triques d'Euclide : plus le livre des donnez du mesme Euclide aussi traduict en françois
, Paris, Isaac Dedin, (lire en ligne).


Bibliographie

Ouvrages généraux

Sur Euclide

  • Bernard Vitrac, « Euclide », dans Richard Goulet, Dictionnaire des philosophes antiques, vol. 3, Paris, Éditions du CNRS, , p. 252–272.
  • (en) Bernard Vitrac, « Euclid », dans Noretta Koertge, New Dictionary of Scientific Biography, vol. 2, (lire en ligne), p. 416-421
    Cet article est un complément aux deux articles précédents du Dictionary of Scientific Biography. Publié en 2008 dans le New Dictionary of Scientific Biography, la version française est disponible en ligne (avec en supplément une bibliographie complémentaire (aprÚs 1970) plus détaillée que dans l'article du NDSB) : Bernard Vitrac. Euclid. 2006. hal-00174947 [lire en ligne]
  • Josep Pla i Carrera et Anna Postel (Trad.), La rigueur du raisonnement gĂ©omĂ©trique : Euclide, Barcelone, RBA Coleccionables, , 167 p. (ISBN 978-84-473-9556-9).
  • Jean Itard, « Quelques remarques sur les mĂ©thodes infinitĂ©simales chez Euclide et ArchimĂšde », Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, t. 3, no 3,‎ , p. 210-213 (lire en ligne)
  • (de) Peter Schreiber, Euklid, Leipzig, Teubner, coll. « Biographien hervorragender Naturwissenschaftler, Techniker und Mediziner » (no 87), , 159 p. (ISBN 3-322-00377-9).
  • Jean Itard, « Introduction », dans Euclide, Les ƒuvres d’Euclide (traduction Peyrard), (1re Ă©d. 1966)

Sur les ÉlĂ©ments

  • (grc + fr) Georges J. Kayas, Euclide, Les ÉlĂ©ments, t. I et II, Paris, CNRS, , 506 p. (prĂ©sentation en ligne)
  • Jean-Louis Gardies, « La proposition 14 du livre V dans l’économie des ÉlĂ©ments d’Euclide », Revue d'histoire des sciences, t. 44, nos 3-4,‎ , p. 457-467 (lire en ligne)
  • Jean-Louis Gardies, « L’organisation du livre XII des ÉlĂ©ments d’Euclide et ses anomalies », Revue d’histoire des sciences, t. 47, no 2,‎ , p. 189-208 (lire en ligne)
  • Jean-Louis Gardies, « Eudoxe et Dedekind », Revue d'histoire des sciences, t. 37, no 2,‎ , p. 111-125 (lire en ligne).
  • (en) John E. Murdoch, « Euclid : Transmission of the Elements », dans Charles Gillispie, Dictionary of Scientific Biography, vol. IV, New York, Scribner, (lire en ligne), p. 437-459
  • Maurice Caveing, « Introduction gĂ©nĂ©rale », dans Euclide, Les ÉlĂ©ments, Volume 1, Paris, PUF, , 531 p. (ISBN 2-13-043240-9), p. 13-148.
  • Maurice Caveing, « Euclide d’Alexandrie », dans Jacques Brunschwig et G.E.R. Lloyd (en), Le Savoir grec : Dictionnaire critique, Paris, Flammarion, (ISBN 2-08-210370-6), p. 666-676.

Sur les Données

  • (en) Christian Marinus Taisbak, Euclid’s Data (Dedomena) : The Importance of Being Given, Copenhague, Museum Tusculanum Press, .

Sur la Catoptrique

  • GĂ©rard Simon, « Aux origines de la thĂ©orie des miroirs : sur l'authenticitĂ© de la Catoptrique d'Euclide », Revue d'histoire des sciences, t. 47, no 2,‎ , p. 259-272 (lire en ligne)

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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