Euclide
Euclide (en grec ancien : ÎáœÎșλΔίΎηÏ), dit parfois Euclide d'Alexandrie, est un mathĂ©maticien de la GrĂšce antique, auteur dâun traitĂ© de mathĂ©matiques, qui constitue l'un des textes fondateurs de cette discipline en Occident. Aucune information fiable n'est parvenue sur la vie ou la mort d'Euclide ; il est possible qu'il ait vĂ©cu vers 300 avant notre Ăšre.
Naissance | inconnue |
---|---|
Actif vers | 300 av. J.-C. |
Domaines | Mathématiques |
---|---|
RenommĂ© pour | son livre les ĂlĂ©ments |
Son ouvrage le plus cĂ©lĂšbre, les ĂlĂ©ments, est un des plus anciens traitĂ©s connus prĂ©sentant de maniĂšre systĂ©matique, Ă partir d'axiomes et de postulats, un large ensemble de thĂ©orĂšmes accompagnĂ©s de leurs dĂ©monstrations. Il porte sur la gĂ©omĂ©trie, tant plane que solide, et lâarithmĂ©tique thĂ©orique. L'ouvrage a connu des centaines dâĂ©ditions en toutes langues et ses thĂšmes restent Ă la base de lâenseignement des mathĂ©matiques au niveau secondaire dans de nombreux pays.
Du nom dâEuclide dĂ©rivent en particulier lâalgorithme d'Euclide, la gĂ©omĂ©trie euclidienne, la gĂ©omĂ©trie non euclidienne et la division euclidienne.
Biographie
Il nâexiste aucune source directe sur la vie dâEuclide : nous ne disposons dâaucune lettre, dâaucune indication autobiographique (mĂȘme sous la forme dâune prĂ©face Ă un ouvrage), dâaucun document officiel, ni mĂȘme dâaucune allusion par un de ses contemporains. Comme le rĂ©sume lâhistorien des mathĂ©matiques Peter Schreiber, « sur la vie dâEuclide, pas un seul fait sĂ»r nâest connu »[2].
LâĂ©crit le plus ancien connu concernant la vie dâEuclide apparaĂźt dans un rĂ©sumĂ© sur lâhistoire de la gĂ©omĂ©trie Ă©crit au Ve siĂšcle de notre Ăšre par le philosophe nĂ©o-platonicien Proclus, commentateur du premier livre des ĂlĂ©ments. Proclus ne donne lui-mĂȘme aucune source pour ses indications. Il dit seulement qu'« en rassemblant ses ĂlĂ©ments, [Euclide] en a coordonnĂ© beaucoup [âŠ] et a Ă©voquĂ© dans dâirrĂ©futables dĂ©monstrations ceux que ses prĂ©dĂ©cesseurs avaient montrĂ©s dâune maniĂšre relĂąchĂ©e. Cet homme a dâailleurs vĂ©cu sous le premier PtolĂ©mĂ©e, car ArchimĂšde [âŠ] mentionne Euclide. Euclide est donc plus rĂ©cent que les disciples de Platon, mais plus ancien quâArchimĂšde et ĂratosthĂšne[3] ». Si l'on admet la chronologie donnĂ©e par Proclus, Euclide, vivant entre Platon et ArchimĂšde et contemporain de PtolĂ©mĂ©e Ier, a donc vĂ©cu vers 300 av. J.-C.
Aucun document ne vient contredire ces quelques phrases, ni les confirmer vraiment. La mention directe dâEuclide dans les Ćuvres dâArchimĂšde vient dâun passage considĂ©rĂ© comme douteux[4].
ArchimĂšde fait bien appel Ă certains rĂ©sultats des ĂlĂ©ments et un ostrakon, trouvĂ© sur lâĂźle ĂlĂ©phantine et datĂ© du IIIe siĂšcle avant notre Ăšre, traite de figures Ă©tudiĂ©es dans le livre XIII des ĂlĂ©ments, comme le dĂ©cagone et lâicosaĂšdre, mais sans reproduire exactement les Ă©noncĂ©s euclidiens ; ils pourraient donc provenir de sources antĂ©rieures Ă Euclide[5]. La date approximative de 300 av. J.-C. est toutefois jugĂ©e compatible avec lâanalyse du contenu de lâĆuvre euclidienne et c'est celle adoptĂ©e par les historiens des mathĂ©matiques[6] - [7] - [8] - [4].
Par ailleurs, une allusion du mathĂ©maticien du IVe siĂšcle de notre Ăšre, Pappus d'Alexandrie, suggĂšre que des Ă©lĂšves dâEuclide auraient enseignĂ© Ă Alexandrie[8]. Certains auteurs ont, sur cette base, associĂ© Euclide au MouseĂźon d'Alexandrie, mais, lĂ encore, il ne figure sur aucun document officiel correspondant[7]. Le qualificatif souvent associĂ© Ă Euclide dans lâAntiquitĂ© est simplement stoichĂ©iĂŽtĂȘs (en grec ancien : ÏÏÎżÎčÏΔÎčÏÏÎźÏ), câest-Ă -dire « auteur dâĂlĂ©ments »[4].
Plusieurs anecdotes circulent Ă propos dâEuclide, mais comme elles apparaissent aussi pour dâautres mathĂ©maticiens, elles ne sont pas considĂ©rĂ©es comme rĂ©alistes : il en est ainsi de celle, cĂ©lĂšbre, rapportĂ©e par Proclus, selon laquelle Euclide aurait rĂ©pondu Ă PtolĂ©mĂ©e â qui souhaitait une voie plus facile que celles des ĂlĂ©ments â quâil nây avait pas de voie royale en gĂ©omĂ©trie ; une variante de la mĂȘme anecdote est en effet attribuĂ©e Ă MĂ©nechme et Alexandre le Grand[9]. De mĂȘme, depuis lâAntiquitĂ© tardive, divers dĂ©tails sont ajoutĂ©s aux rĂ©cits de la vie dâEuclide, sans sources nouvelles, et souvent de maniĂšre contradictoire. Certains auteurs font ainsi naĂźtre Euclide Ă Tyr, dâautres Ă Gela, on lui attribue diverses gĂ©nĂ©alogies, des maĂźtres particuliers, diffĂ©rentes dates de naissance et de mort, que ce soit pour respecter les rĂšgles du genre, ou pour favoriser certaines interprĂ©tations[10]. Au Moyen Ăge et au dĂ©but de la Renaissance, le mathĂ©maticien Euclide est ainsi souvent confondu avec un philosophe contemporain de Platon, Euclide de MĂ©gare[11] - [4].
ConfrontĂ© Ă ces contradictions et au manque de sources fiables, lâhistorien des mathĂ©matiques Jean Itard a mĂȘme suggĂ©rĂ© en 1961 quâEuclide en tant quâindividu nâexistait peut-ĂȘtre pas et que le nom pouvait dĂ©signer « le titre collectif dâune Ă©cole mathĂ©matique », soit celle dâun maĂźtre rĂ©el entourĂ© dâĂ©lĂšves, soit mĂȘme un nom purement fictif[12]. Mais cette hypothĂšse ne semble pas retenue[13].
Ćuvres d'Euclide
Des mentions dâouvrages attribuĂ©s Ă Euclide figurent chez plusieurs auteurs, en particulier dans la Collection mathĂ©matique de Pappus (datĂ©e usuellement du IIIe ou IVe siĂšcle) et dans le Commentaire aux ĂlĂ©ments dâEuclide dĂ» Ă Proclus. Seule une partie de ces ouvrages euclidiens nous est parvenue.
Les ĂlĂ©ments
Les ĂlĂ©ments de mathĂ©matiques, en treize livres, constituent lâouvrage le plus cĂ©lĂšbre dâEuclide et un best-seller de lâĂ©dition scientifique. De nombreuses versions du texte existent sous forme manuscrite, complĂštes ou non, dans les bibliothĂšques du monde entier. Jusquâau dĂ©but du XIXe siĂšcle, toutes les versions connues se rĂ©fĂ©raient Ă celle de ThĂ©on dâAlexandrie, un auteur du IVe siĂšcle (le plus ancien manuscrit complet, dit Codex Bodleianus, datant du IXe siĂšcle). En 1808, François Peyrard identifia un manuscrit en grec du Xe siĂšcle (dĂ©couvert Ă la BibliothĂšque vaticane lors des campagnes de NapolĂ©on en Italie) comme se rĂ©fĂ©rant Ă une version antĂ©rieure Ă celle de ThĂ©on. Le premier texte imprimĂ© des ĂlĂ©ments, en latin, est issu de Campanus de Novare, Ă partir de versions du texte en arabe, et a Ă©tĂ© publiĂ© Ă Venise en 1482 par lâimprimeur Erhard Ratdolt[alpha 1]. LâĂ©dition critique moderne, qui fait encore rĂ©fĂ©rence de nos jours et intĂšgre les connaissances tirĂ©es de plusieurs manuscrits grecs (y inclus celui identifiĂ© par Peyrard) est due Ă Johan Ludvig Heiberg. Que ce soit en version partielle (les six premiers livres seulement par exemple) ou complĂšte, les adaptations, les Ă©ditions commentĂ©es, les traductions des ĂlĂ©ments ont Ă©tĂ© trĂšs nombreuses jusquâĂ nos jours[15].
Un des aspects les plus cĂ©lĂšbres de lâouvrage est sa forme dĂ©ductive et son organisation systĂ©matique et progressive[16]. Lâauteur Ă©nonce dâabord des dĂ©finitions, comme celle dâune ligne (« une longueur sans largeur ») au livre I, ou dâun nombre premier (« un nombre mesurĂ© par une seule unitĂ© ») au livre VII ; des notions communes (par exemple, « si des choses Ă©gales sont retranchĂ©es de choses Ă©gales, les restes sont Ă©gaux ») ; des postulats, comme la possibilitĂ© de construire une ligne droite passant par deux points donnĂ©s. Il dĂ©montre ensuite de nouvelles propriĂ©tĂ©s ou effectue de nouvelles constructions, Ă partir de ce qui est dĂ©jĂ connu (les dĂ©finitions, ou des propositions dĂ©jĂ Ă©tablies). Toutes les constructions reposent ainsi sur celles de droites ou de cercles, une contrainte connue plus tard sous le nom de constructions Ă la rĂšgle et au compas[alpha 2].
Les six premiers livres sont consacrĂ©s Ă la gĂ©omĂ©trie plane[16]. Le premier traite en particulier des triangles et des droites parallĂšles, et inclut une preuve du thĂ©orĂšme de Pythagore ; le deuxiĂšme traite de la construction de figures planes de forme donnĂ©e, des carrĂ©s par exemple, et de surface Ă©gale Ă celle dâune figure rectiligne donnĂ©e ; le troisiĂšme traite des propriĂ©tĂ©s du cercle ; le quatriĂšme Ă©tudie lâinscription de figures dans un cercle, ou de cercles dans des figures rectilignes, par exemple la construction de pentagones rĂ©guliers inscrits dans ou circonscrits Ă un cercle donnĂ© ; le cinquiĂšme traite de la thĂ©orie des rapports et des proportions entre grandeurs, thĂ©orie qui est appliquĂ©e Ă la gĂ©omĂ©trie dans le sixiĂšme livre.
Les trois livres suivants, aussi appelĂ©s « Livres arithmĂ©tiques », traitent des nombres premiers, de la construction du plus grand diviseur entier commun Ă deux ou plusieurs entiers, des nombres en progression gĂ©omĂ©trique, et donnent un critĂšre pour construire des nombres parfaits (câest-Ă -dire des nombres entiers Ă©gaux Ă la somme de leurs diviseurs propres). On y trouve un procĂ©dĂ© par soustractions successives rĂ©pĂ©tĂ©es, qui est maintenant Ă la base de la division euclidienne et de lâalgorithme d'Euclide.
Le livre X dĂ©finit et classifie les quantitĂ©s irrationnelles ; les trois derniers livres, enfin, traitent de la gĂ©omĂ©trie dans lâespace, culminant avec la construction, dans une sphĂšre, des cinq solides rĂ©guliers, pyramide, cube, octaĂšdre, dodĂ©caĂšdre, icosaĂšdre.
Les deux livres supplĂ©mentaires, sur les polyĂšdres rĂ©guliers, souvent baptisĂ©s « livres XIV et XV » des ĂlĂ©ments dans les Ă©ditions anciennes, ont Ă©tĂ© Ă©crits par dâautres auteurs, de plusieurs siĂšcles postĂ©rieurs[17].
La gĂ©omĂ©trie telle qu'elle est dĂ©finie par Euclide dans ce texte fut considĂ©rĂ©e pendant des siĂšcles comme la gĂ©omĂ©trie, et comme une reprĂ©sentation adĂ©quate du monde physique. Or, parmi les postulats du livre I, figure celui connu sous le nom de « postulat d'Euclide » ou « postulat des parallĂšles », que l'on exprime de nos jours sous la forme : « par un point pris hors d'une droite il passe une et une seule parallĂšle Ă cette droite ». LâĂ©tude de ce postulat a conduit au XIXe siĂšcle au dĂ©veloppement de gĂ©omĂ©tries non euclidiennes, câest-Ă -dire alternatives Ă celle dâEuclide et nâadmettant pas ce postulat, et plus gĂ©nĂ©ralement au renouvellement de la notion mĂȘme de gĂ©omĂ©trie et de ses liens avec la reprĂ©sentation du monde rĂ©el.
Les Données
Les DonnĂ©es est le seul autre ouvrage dâEuclide traitant de gĂ©omĂ©trie dont on possĂšde une version en grec (il est contenu par exemple dans le manuscrit du Xe siĂšcle dĂ©couvert par Peyrard[18]). Il est aussi dĂ©crit en dĂ©tail dans le livre VII de la Collection mathĂ©matique de Pappus, le « TrĂ©sor de lâanalyse ».
Les DonnĂ©es se situent dans le cadre de la gĂ©omĂ©trie plane et sont considĂ©rĂ©es par les historiens comme un complĂ©ment des ĂlĂ©ments, mis sous une forme plus adĂ©quate Ă lâanalyse de problĂšmes[19] - [20]. Lâouvrage contient douze dĂ©finitions, expliquant ce que signifie quâun objet gĂ©omĂ©trique est donnĂ©, en position, en forme, en grandeur, et 94 thĂ©orĂšmes. Ceux-ci expliquent comment si certains Ă©lĂ©ments dâune figure sont donnĂ©s, dâautres relations ou Ă©lĂ©ments peuvent Ă leur tour ĂȘtre dĂ©terminĂ©s[21]. Par exemple (data 29), « si une ligne droite est donnĂ©e en position, et si, Ă partir dâun point donnĂ© dessus est tracĂ©e une droite faisant un angle donnĂ© Ă la premiĂšre, cette droite tracĂ©e est donnĂ©e[22] », ou encore (data 39) « si tous les cĂŽtĂ©s dâun triangle sont donnĂ©s en grandeur, le triangle est donnĂ© en forme »[23].
De la division des figures
Cet ouvrage est décrit dans le Commentaire de Proclus, mais il est perdu en grec ; il est connu par des morceaux en latin (De divisionibus), mais surtout par un manuscrit en arabe découvert au XIXe siÚcle, qui contient 36 propositions, dont quatre sont démontrées[24].
Il sâagit dans cet ouvrage de construire des droites qui divisent des figures donnĂ©es dans des proportions et des formes donnĂ©es. Par exemple, on demande, un triangle et un point intĂ©rieur au triangle Ă©tant donnĂ©s, de construire une droite passant par le point et dĂ©coupant le triangle en deux figures de mĂȘme surface ; ou encore, un cercle Ă©tant donnĂ©, de construire deux droites parallĂšles, telles que la portion du cercle quâelles limitent fasse un tiers de la surface du cercle[25].
Les Pseudaria
Les arguments fallacieux (Pseudaria) est un ouvrage perdu, connu seulement par la description quâen donne Proclus. Selon ce dernier, lâouvrage avait pour objectif dâexercer les dĂ©butants Ă dĂ©tecter les raisonnements faux, en particulier ceux mimant les raisonnements dĂ©ductifs et ayant donc lâapparence du vrai. Il donnait des exemples de paralogismes[26].
Les Coniques
Les [ĂlĂ©ments sur les sections] coniques, Conikai Stoicheia, est un ouvrage, perdu, dĂ©crit par Pappus et Ă©voquĂ© par dâautres auteurs. Selon Pappus, il se composait de quatre livres et constitua un ouvrage de rĂ©fĂ©rence sur le sujet jusquâĂ ce quâApollonius le complĂšte et lâĂ©tende[27].
Les Porismes
Les Porismes, en trois livres, sont perdus. Lâouvrage est Ă©voquĂ© dans deux passages de Proclus et surtout fait lâobjet dâune longue prĂ©sentation dans le livre VII de la Collection de Pappus, le « TrĂ©sor de lâanalyse », comme un exemple significatif et dâune grande portĂ©e de lâapproche analytique. Le mot « porisme » a plusieurs usages : selon Pappus, il dĂ©signerait ici un Ă©noncĂ© de type intermĂ©diaire entre les thĂ©orĂšmes et les problĂšmes. Lâouvrage dâEuclide aurait contenu 171 Ă©noncĂ©s de ce type et trente-huit lemmes. Pappus en donne des exemples, comme « si, Ă partir de deux points donnĂ©s, on trace des droites sâintersectant sur une droite donnĂ©e, et si lâune dâelles dĂ©coupe sur une droite donnĂ©e un segment, lâautre fera de mĂȘme sur une autre droite, avec un rapport fixĂ© entre les deux segments dĂ©coupĂ©s[28] ».
InterprĂ©ter le sens exact de ce quâest un porisme, et Ă©ventuellement restituer tout ou partie des Ă©noncĂ©s de lâouvrage dâEuclide, Ă partir des informations laissĂ©es par Pappus, a occupĂ© de nombreux mathĂ©maticiens : les tentatives les plus connues sont celles de Pierre Fermat au XVIIe siĂšcle, de Robert Simson au XVIIIe siĂšcle, et surtout de Michel Chasles au XIXe siĂšcle. Si la reconstitution de Chasles nâest pas prise au sĂ©rieux comme telle par les historiens actuels, elle a donnĂ© lâoccasion au mathĂ©maticien de dĂ©velopper la notion de rapport anharmonique[29].
Les Lieux rapportés à la surface
Il sâagit aussi dâun ouvrage perdu, en deux livres, mentionnĂ© dans le TrĂ©sor de lâanalyse de Pappus. Les indications donnĂ©es dans Proclus ou Pappus sur ces lieux dâEuclide sont ambiguĂ«s et ce dont il est exactement question dans lâouvrage nâest pas connu. Dans la tradition des mathĂ©matiques grecques antiques, les lieux sont des ensembles de points vĂ©rifiant une propriĂ©tĂ© donnĂ©e. Ces ensembles sont le plus souvent des lignes droites, ou des sections coniques, mais peuvent aussi ĂȘtre des surfaces rĂ©glĂ©es par exemple. La plupart des historiens estiment que les lieux dâEuclide pourraient traiter de surfaces de rĂ©volution, sphĂšres, cĂŽnes ou cylindres[30].
Les PhénomÚnes
Cet ouvrage portant sur lâapplication de la gĂ©omĂ©trie de la sphĂšre Ă lâastronomie a survĂ©cu en grec, dans plusieurs versions manuscrites dont la plus ancienne date du Xe siĂšcle. Ce texte relĂšve de ce quâon appelle la « petite astronomie », par contraste avec les thĂšmes traitĂ©s dans la Grande Composition (lâAlmageste) de PtolĂ©mĂ©e[31]. Il contient 18 propositions et est proche des ouvrages conservĂ©s sur le mĂȘme thĂšme dâAutolycos de Pitane[32].
Optique
Cet ouvrage est conservĂ© en grec, en plusieurs versions. ConsacrĂ© Ă des problĂšmes que nous appellerions maintenant de perspective et apparemment destinĂ© Ă ĂȘtre utilisĂ© en astronomie, il adopte la forme des ĂlĂ©ments : câest une suite de cinquante-huit propositions dont la preuve repose sur des dĂ©finitions et postulats Ă©noncĂ©s au dĂ©but du texte. Ces dĂ©finitions suivent le point de vue de Platon, selon lequel la vision vient de rayons (en ligne droite) allant de notre Ćil Ă lâobjet vu[alpha 3]. Euclide montre que les tailles apparentes dâobjets Ă©gaux ne sont pas proportionnelles Ă leur distance de notre Ćil (proposition 8)[34]. Il explique aussi par exemple notre vision dâune sphĂšre (et dâautres surfaces simples) : lâĆil voit une surface infĂ©rieure Ă la moitiĂ© de la sphĂšre, une proportion dâautant plus petite que la sphĂšre est proche, mĂȘme si la surface vue semble plus grande, et le contour de ce qui est vu est un cercle. Il dĂ©taille Ă©galement, selon les positions de lâĆil et de lâobjet, de quelle forme nous apparaĂźt un cercle[35]. Le traitĂ©, en particulier, contredit une opinion dĂ©fendue dans certaines Ă©coles de pensĂ©e selon laquelle la grandeur rĂ©elle des objets (en particulier des corps cĂ©lestes) est leur grandeur apparente, celle qui est vue[36]. Pour ses Ă©tudes sur la perspective, le livre d'Euclide est considĂ©rĂ© comme l'un des plus importants travaux relatifs Ă l'optique jusqu'Ă Newton. Des artistes de la Renaissance â Filippo Brunelleschi, Leon Battista Alberti et Albrecht DĂŒrer â s'en inspirent pour Ă©laborer leurs propres traitĂ©s sur la perspective[33].
Musique
Proclus attribue Ă Euclide des ĂlĂ©ments de musique (tout comme lâastronomie, la musique thĂ©orique, par exemple sous forme de thĂ©orie appliquĂ©e des proportions, figure parmi les sciences mathĂ©matiques). Deux petits Ă©crits ont Ă©tĂ© conservĂ©s en grec, et inclus dans des Ă©ditions anciennes dâEuclide, mais leur attribution est incertaine, ainsi que leurs liens possibles avec ses ĂlĂ©ments. Les deux Ă©crits (une Section du canon sur les intervalles musicaux et une Introductio harmonica) sont dâailleurs considĂ©rĂ©s comme contradictoires et le deuxiĂšme, au moins, est maintenant considĂ©rĂ© par les spĂ©cialistes comme venant dâun autre auteur[37].
Ouvrages faussement attribués à Euclide
- Une Catoptrique, câest-Ă -dire un ouvrage portant sur les miroirs, est Ă©voquĂ© dans le texte dâEuclide sur lâoptique et dans le commentaire de Proclus. Il est maintenant considĂ©rĂ© comme perdu, et en particulier, la Catoptrique longtemps publiĂ©e Ă la suite de lâOptique dans des Ă©ditions anciennes, nâest plus attribuĂ©e Ă Euclide, elle est considĂ©rĂ©e comme une compilation plus tardive[36].
- Euclide est mentionnĂ© comme auteur de fragments concernant la mĂ©canique, plus prĂ©cisĂ©ment de textes sur le levier et la balance, dans certains manuscrits en latin ou en arabe. Lâattribution est maintenant considĂ©rĂ©e comme douteuse[38].
Ăditions
- Il existe des traductions françaises de certains livres d'Euclide dĂšs la Renaissance. Pierre Forcadel publie par exemple au XVIe siĂšcle une traduction des six premiers livres, puis des livres dits arithmĂ©tiques (VII Ă IX), des ĂlĂ©ments. Une version française des quinze livres des ĂlĂ©ments gĂ©omĂ©triques d'Euclide est Ă©ditĂ©e en 1609 par Didier Dounot ; parmi les autres Ă©ditions trĂšs diffusĂ©es figure par exemple celle de Denis Henrion[39].
- La premiĂšre Ă©dition moderne des Ćuvres dâEuclide en grec est celle de David Gregory, Ă Oxford en 1703, avec une traduction en latin.
- François Peyrard donna une Ă©dition en trois volumes et trois langues (grec, latin et français) des ĂlĂ©ments et des Data (câest-Ă -dire de tous les textes dâEuclide de mathĂ©matiques pures connus en grec) Ă Paris entre 1814 et 1818[40]. Cette Ă©dition constitue la premiĂšre tentative de reconstitution scientifique des Ćuvres dâEuclide, Ă partir du "manuscrit 190" qu'avait dĂ©couvert Peyrard. Elle sera la seule disponible en France jusqu'aux travaux de Bernard Vitrac dans les annĂ©es 1990. La traduction en français est rĂ©Ă©ditĂ©e sĂ©parĂ©ment par Peyrard en 1819, puis, accompagnĂ©e d'une prĂ©face de Jean Itard, en 1966 (2nde Ă©dition 1993).
- LâĂ©dition de rĂ©fĂ©rence dâEuclide en grec reste celle de Heiberg et Menge (de) datant de la fin du XIXe siĂšcle :
- J. L. Heiberg (Ă©d.) et H. Menge (Ă©d.), Euclidis Opera omnia, Leipzig, Teubner, 1883â1916, huit volumes.
- Elle inclut une traduction en latin Ă cĂŽtĂ© du texte grec et contient tous les Ă©crits connus (y compris ceux dâattribution douteuse), ainsi que plusieurs commentaires par des auteurs anciens.
- La traduction française de rĂ©fĂ©rence pour les ĂlĂ©ments (Ă partir de lâĂ©dition de Heiberg) est :
- Euclide, Les ĂlĂ©ments, BibliothĂšque d'histoire des sciences, Paris, Presses universitaires de France, 1990-2001 :
- vol. I, Livres I-IV, Géométrie plane ; trad. du texte de Heiberg et commentaires par Bernard Vitrac ; introduction générale par Maurice Caveing, 1990, 531 p. (ISBN 2-13-043240-9).
- vol. II, Livres V à IX [Livres V-VI, Proportions et similitude ; Livres VII-IX, Arithmétique; trad. du texte de Heiberg et commentaires par Bernard Vitrac, 1994, 572 p. (ISBN 2-13-045568-9).
- vol. III, Livre X, Grandeurs commensurables et incommensurables, classification des lignes irrationnelles ; trad. du texte de Heiberg et commentaires par Bernard Vitrac, 1998, 432 p. (ISBN 2-13-049586-9).
- vol. IV, Livre XI-XIII, Géométrie des solides ; trad. du texte de Heiberg et commentaires par Bernard Vitrac, 2001, 482 p. (ISBN 2-13-051927-X).
Notes et références
Notes
- Cette Ă©dition est accessible en ligne sur Internet Archive.
- Dâautres types de constructions apparaissent dans lâAntiquitĂ©, mais ne figurent pas dans les ĂlĂ©ments dâEuclide, comme la construction par « neusis » ou par inclinaison, un procĂ©dĂ© de construction utilisant une rĂšgle graduĂ©e et consistant Ă construire un segment de longueur donnĂ©e dont les extrĂ©mitĂ©s se trouvent sur deux courbes donnĂ©es.
- Affirmation tenue pour exacte jusqu'Ă ce que l'Ă©rudit persan Alhazen (965-1040), dans son Kitab al-Manazir (livre d'optique), affirme le contraire[33].
Références
- Gravure (coloriée) inspirée de l'ouvrage d'André Thevet, Les vrais pourtraits et vies des hommes illustres grecz, latins et payens, 1584, Livre II, Chap. 24.
- Schreiber 1987, p. 25.
- Proclus de Lycie (trad. Paul Ver Eecke), Les Commentaires sur les premiers livres des ĂlĂ©ments dâEuclide, Bruges, DesclĂ©e de Brouwer, , p. 61.
- Vitrac 2004.
- (en) David Fowler, The Mathematics of Platoâs Academy : A New Reconstruction, Oxford, Clarendon Press (Oxford Science Publications), (ISBN 0-19-853912-6), p. 208.
- Heath 1921, p. 354.
- Schreiber 1987, p. 26.
- Caveing 1990, p. 15.
- Caveing 1990, p. 15-16.
- Plusieurs exemples sont donnés, et réfutés, dans Heath 1921, p. 355, Schreiber 1987, p. 25-31, Caveing 1990, p. 15, Vitrac 2004.
- Caveing 1990, p. 15, note 8.
- Jean Itard, Les livres arithmĂ©tiques dâEuclide, Paris, Hermann, , p. 11.
- Caveing 1990, p. 20, y voit une pratique Ă©trangĂšre Ă lâĂ©poque concernĂ©e.
- (en) Bill Casselman, « One of the oldest extant diagrams from Euclid », sur Department of Mathematics, University of British Columbia.
- Georges Kayas, Vingt-trois siĂšcles de tradition euclidienne (essai bibliographique), Palaiseau, Ăcole polytechnique (LPNHE, rapport interne), , 211 p., p. 9, recense par exemple environ cent-soixante Ă©ditions entre 1650 et 1700 et quatre-cents entre 1850 et 1900.
- Caveing 1990, p. 18-19 ; Heath 1921, p. 373-419.
- Caveing 1990, p. 20-21.
- Caveing 1990, p. 46.
- (en) Wilbur Richard Knorr, The Ancient Tradition of Geometric Problems, Boston, BirkhÀuser, , 410 p. (ISBN 978-0-486-67532-9, lire en ligne), p. 109.
- Taisbak 2003, p. 15.
- Heath 1921, p. 421-425.
- Taisbak 2003, p. 102.
- Schreiber 1987, p. 58.
- Heath 1921, p. 425-430.
- Schreiber 1987, p. 63-65.
- Caveing 1990, p. 22-23.
- Heath 1921, p. 438-439.
- Heath 1921, p. 433.
- Heath 1921, p. 435-437.
- Caveing 1990, p. 26.
- Heath 1921, p. 348.
- Schreiber 1987, p. 56.
- Pla i Carrera et Postel 2018, p. 25.
- Il donne un énoncé proche de celui disant que le rapport des tangentes de deux angles aigus est inférieur au rapport des angles ; voir Heath 1921, p. 442.
- Heath 1921, p. 441-444.
- Caveing 1990, p. 27.
- Schreiber 1987, p. 57.
- Caveing 1990, p. 27-28.
- Denis Henrion, Les quinze livres des Ă©lĂ©ments gĂ©omĂ©triques d'Euclide : plus le livre des donnez du mesme Euclide aussi traduict en françoisâŠ, Paris, Isaac Dedin, (lire en ligne).
-
- François Peyrard, Les Ćuvres dâEuclide (en Grec, Latin et Français), vol. Partie 1, Partie 2, Partie 3, Paris, 1814-1818.
Bibliographie
Ouvrages généraux
- Germaine Aujac, « Le langage formulaire dans la gĂ©omĂ©trie grecque », Revue d'histoire des sciences, t. 37, no 2,â , p. 97-109 (lire en ligne)
- (en) Ivor Bulmer-Thomas (en), « Euclid : Life and Works », dans Charles Gillispie, Dictionary of Scientific Biography, vol. IV, New York, Scribner, (lire en ligne), p. 414-437.
- (en) Thomas Heath, A History of Greek Mathematics, vol. 1 et 2, Oxford, Clarendon Press, .
- Bernard Vitrac, Les gĂ©omĂštres de la GrĂšce antique, Paris, Pour la Science, coll. « Les GĂ©nies de la science » (no 21), (ISSN 1298-6879, lire en ligne), 4- Euclide le StoichĂ©iĂŽtĂȘs
Sur Euclide
- Bernard Vitrac, « Euclide », dans Richard Goulet, Dictionnaire des philosophes antiques, vol. 3, Paris, Ăditions du CNRS, , p. 252â272.
- (en) Bernard Vitrac, « Euclid », dans Noretta Koertge, New Dictionary of Scientific Biography, vol. 2, (lire en ligne), p. 416-421Cet article est un complément aux deux articles précédents du Dictionary of Scientific Biography. Publié en 2008 dans le New Dictionary of Scientific Biography, la version française est disponible en ligne (avec en supplément une bibliographie complémentaire (aprÚs 1970) plus détaillée que dans l'article du NDSB) : Bernard Vitrac. Euclid. 2006. hal-00174947 [lire en ligne]
- Josep Pla i Carrera et Anna Postel (Trad.), La rigueur du raisonnement géométrique : Euclide, Barcelone, RBA Coleccionables, , 167 p. (ISBN 978-84-473-9556-9).
- Jean Itard, « Quelques remarques sur les mĂ©thodes infinitĂ©simales chez Euclide et ArchimĂšde », Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, t. 3, no 3,â , p. 210-213 (lire en ligne)
- (de) Peter Schreiber, Euklid, Leipzig, Teubner, coll. « Biographien hervorragender Naturwissenschaftler, Techniker und Mediziner » (no 87), , 159 p. (ISBN 3-322-00377-9).
- Jean Itard, « Introduction », dans Euclide, Les Ćuvres dâEuclide (traduction Peyrard), (1re Ă©d. 1966)
Sur les ĂlĂ©ments
- (grc + fr) Georges J. Kayas, Euclide, Les ĂlĂ©ments, t. I et II, Paris, CNRS, , 506 p. (prĂ©sentation en ligne)
- Jean-Louis Gardies, « La proposition 14 du livre V dans lâĂ©conomie des ĂlĂ©ments dâEuclide », Revue d'histoire des sciences, t. 44, nos 3-4,â , p. 457-467 (lire en ligne)
- Jean-Louis Gardies, « Lâorganisation du livre XII des ĂlĂ©ments dâEuclide et ses anomalies », Revue dâhistoire des sciences, t. 47, no 2,â , p. 189-208 (lire en ligne)
- Jean-Louis Gardies, « Eudoxe et Dedekind », Revue d'histoire des sciences, t. 37, no 2,â , p. 111-125 (lire en ligne).
- (en) John E. Murdoch, « Euclid : Transmission of the Elements », dans Charles Gillispie, Dictionary of Scientific Biography, vol. IV, New York, Scribner, (lire en ligne), p. 437-459
- Maurice Caveing, « Introduction gĂ©nĂ©rale », dans Euclide, Les ĂlĂ©ments, Volume 1, Paris, PUF, , 531 p. (ISBN 2-13-043240-9), p. 13-148.
- Maurice Caveing, « Euclide dâAlexandrie », dans Jacques Brunschwig et G.E.R. Lloyd (en), Le Savoir grec : Dictionnaire critique, Paris, Flammarion, (ISBN 2-08-210370-6), p. 666-676.
Sur les Données
- (en) Christian Marinus Taisbak, Euclidâs Data (Dedomena) : The Importance of Being Given, Copenhague, Museum Tusculanum Press, .
Sur la Catoptrique
- GĂ©rard Simon, « Aux origines de la thĂ©orie des miroirs : sur l'authenticitĂ© de la Catoptrique d'Euclide », Revue d'histoire des sciences, t. 47, no 2,â , p. 259-272 (lire en ligne)
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- Ressources relatives aux beaux-arts :
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Bibliographie des IREM