Droite (mathématiques)
En gĂ©omĂ©trie, le mot droite dĂ©signe un objet formĂ© de points alignĂ©s. Une droite est illimitĂ©e des deux cĂŽtĂ©s, et sans Ă©paisseur (dans la pratique, elle est reprĂ©sentĂ©e, sur une feuille, par une ligne droite ayant bien entendu des limites â celles de la feuille â et une Ă©paisseur â celle du crayon).
Pour les Anciens, la droite Ă©tait un concept « allant de soi », si « Ă©vident » que l'on nĂ©gligeait de prĂ©ciser de quoi l'on parlait. L'un des premiers Ă formaliser la notion de droite fut le Grec Euclide dans ses ĂlĂ©ments. Avec le dĂ©veloppement du calcul algĂ©brique et du calcul vectoriel, d'autres dĂ©finitions vinrent s'ajouter. Mais c'est la naissance des gĂ©omĂ©tries non euclidiennes qui a conduit Ă la dĂ©couverte de nouveaux types de droites et, par lĂ -mĂȘme, nous a forcĂ©s Ă Ă©claircir et approfondir ce concept.
Point de vue concret
« La ligne droite est le plus court chemin entre deux quelconques de ses points »[1]. On définit ainsi le segment de droite limité par ces deux points. Ensuite on dit que trois points sont alignés si et seulement si l'un de ces trois points appartient au segment déterminé par les deux autres. Et enfin on appelle droite définie par deux points A et B l'ensemble des points alignés avec A et B, y compris ces points A et B.
Cette définition simple suffit à certaines applications concrÚtes. Elle permet par exemple au jardinier de tracer ses lignes de semis : en tendant une corde entre deux piquets, il matérialise une ligne « tirée au cordeau ». Une autre image habituelle est celle du fil à plomb[1]. C'est-à -dire, dans les deux cas, un fil tendu dont on néglige l'épaisseur.
DiffĂ©rentes limitations de cette dĂ©finition ont conduit les mathĂ©maticiens Ă lui en prĂ©fĂ©rer d'autres. Par exemple, si on assimile la Terre Ă une sphĂšre, le chemin le plus court entre deux points n'est plus une ligne droite, mais un arc de cercle. Cependant, Ă l'Ă©chelle d'un ĂȘtre humain, ce cercle est si grand qu'une ligne droite en est une bonne approximation[2]. La notion de « chemin le plus court » est Ă©tudiĂ©e sous le nom de gĂ©odĂ©sique.
L'approche euclidienne
DĂ©finition formelle
Dans ses ĂlĂ©ments, Euclide dĂ©finit les objets relevant de la gĂ©omĂ©trie dite euclidienne (point, droite, plan, angle) et leur affecte un certain nombre de postulats. Ă l'aide de ces Ă©lĂ©ments de base, il construit, par des dĂ©monstrations rigoureuses, l'ensemble des autres propriĂ©tĂ©s.
Pour Euclide :
- une ligne est une longueur sans largeur ;
- et une ligne droite est une ligne également placée entre ses points.
Il part d'une droite finie qu'il définit comme un segment. Il a besoin d'un postulat pour la prolonger au-delà de ses extrémités, d'un autre pour en prouver l'existence (par deux points distincts passe une droite) et d'un autre appelé le cinquiÚme postulat d'Euclide pour traiter des positions relatives des droites (si deux lignes sont sécantes avec une troisiÚme de telle façon que la somme des angles intérieurs d'un cÎté est strictement inférieure à deux angles droits, alors ces deux lignes sont forcément sécantes de ce cÎté).
Applications
L'approche d'Euclide est féconde, elle permet de démontrer de nombreux théorÚmes considérés comme élémentaires au regard des mathématiques au sens moderne du terme. On peut citer le théorÚme de ThalÚs, le théorÚme de Pythagore ou encore le problÚme de Napoléon.
Approche algébrique
Motivations
La définition axiomatique d'Euclide apparaßt trop pauvre pour résoudre plusieurs familles de problÚmes. On peut citer historiquement ceux associés à la construction à la rÚgle et au compas, par exemple la trisection de l'angle, la duplication du cube ou encore la construction d'un polygone régulier. Une approche algébrique est utilisée pour pallier cette faiblesse. à l'aide de la notion de polynÎme cyclotomique, Gauss réalise une percée majeure dans ce domaine en 1801 qu'il publie dans son livre Disquisitiones arithmeticae.
Les progrÚs de la physique engendrent une nouvelle branche des mathématiques, initialement appelée calcul infinitésimal et maintenant calcul différentiel. Elle obtient comme premier succÚs la compréhension de la mécanique céleste. Une fois encore, la modélisation d'Euclide est insuffisante pour formaliser convenablement ce domaine.
Une nouvelle construction est alors proposée, elle se fonde sur des structures algébriques. Les groupes abéliens et les corps commutatifs sont utilisés pour définir un espace vectoriel puis un espace affine.
Géométrie vectorielle
En géométrie vectorielle, une droite vectorielle est un espace vectoriel de dimension 1.
Si v est un vecteur non nul, la droite vectorielle engendrĂ©e par est l'ensemble des vecteurs pour lesquels il existe un scalaire k (un rĂ©el pour un espace vectoriel sur â) k tel que
- .
On dit alors que les vecteurs et sont colinéaires.
Géométrie affine
En géométrie affine, une droite est un espace affine de dimension 1, c'est-à -dire dont l'espace vectoriel associé est une droite vectorielle.
Si A est un point et un vecteur non nul, la droite affine passant par A et de vecteur directeur est l'ensemble des points M pour lesquels il existe un scalaire k tel que
- .
Si A et B sont deux points distincts, la droite (AB), passant par A et B, est l'ensemble des barycentres des points A et B.
Applications
La notion de droite est alors largement généralisée.
En algĂšbre linĂ©aire, l'espace vectoriel est un ensemble qui n'a plus nĂ©cessairement de lien avec la gĂ©omĂ©trie. L'espace vectoriel peut ĂȘtre une extension de corps comme dans le cadre de la thĂ©orie de Galois, l'ensemble des nombres rationnels dans le corps des rĂ©els possĂšde les propriĂ©tĂ©s gĂ©omĂ©triques d'une droite.
Par ailleurs, on peut étendre la notion aux ensembles finis, comme pour les codes linéaires utilisés dans la théorie de l'information, ou en arithmétique. Une droite est alors elle aussi un ensemble fini de points.
En analyse, et particuliÚrement en analyse fonctionnelle une droite est un ensemble de fonctions. Par exemple les primitives d'une fonction continue réelle de la variable réelle forment une droite.
Logique et géométrie
Motivation
L'approche algébrique permet d'enrichir trÚs largement la géométrie et offre des réponses satisfaisantes à bon nombre de problÚmes. En revanche une vieille conjecture reste ouverte : comment démontrer le cinquiÚme postulat d'Euclide. Proclos l'exprime de la maniÚre suivante : dans un plan, par un point distinct d'une droite d, il existe une unique droite parallÚle à d.
Déjà , les grecs savaient qu'une sphÚre semble pouvoir définir une géométrie, les droites seraient alors les grands cercles de la sphÚre. En revanche, la connexion entre une sphÚre et la définition d'une géométrie reste à cette époque hors de portée.
RĂŽle de Hilbert
David Hilbert apporte un Ă©lĂ©ment de rĂ©ponse. La construction d'Euclide n'est pas entiĂšrement rigoureuse : il manque en effet quinze axiomes pour bĂątir les fondements d'un systĂšme logique Ă mĂȘme de supporter la gĂ©omĂ©trie euclidienne. Une telle formalisation existe, on parle par exemple d'axiomes de Hilbert.
La réponse à la question que pose le cinquiÚme postulat est donc de l'ordre de la logique. La base axiomatique d'Euclide constituée des quatre premiers postulats est trop faible pour garantir le cinquiÚme.
Si l'approche de Hilbert permet de rĂ©soudre cette question, elle est peu opĂ©rationnelle pour bĂątir la thĂ©orie de la gĂ©omĂ©trie euclidienne. On utilise en gĂ©nĂ©ral la Peano pour construire l'ensemble des entiers naturels puis les diffĂ©rentes structures algĂ©briques utilisĂ©es. L'intĂ©rĂȘt des travaux de Hilbert sur cette question est donc surtout de l'ordre de la logique et peu gĂ©omĂ©trique.
Géométries non euclidiennes
Bien avant de comprendre la dimension logique de la problĂ©matique, dans le courant du XIXe sont nĂ©es d'autres gĂ©omĂ©tries dans lesquelles la droite n'avait plus les mĂȘmes propriĂ©tĂ©s que dans la gĂ©omĂ©trie euclidienne : les gĂ©omĂ©tries non euclidiennes.
En géométrie projective, des droites parallÚles se coupent en un point impropre et par deux points ne passe qu'une seule droite.
En géométrie hyperbolique, par un point donné, non situé sur une droite donnée, il passe au moins deux droites qui ne coupent pas la droite donnée.
En gĂ©omĂ©trie elliptique, deux droites sont toujours sĂ©cantes. Un exemple classique de gĂ©omĂ©trie elliptique est la gĂ©omĂ©trie sur une sphĂšre oĂč le plus court chemin pour aller d'un point Ă un autre est une partie d'un grand cercle. Une droite est alors dĂ©finie comme un grand cercle. Deux droites distinctes se coupent alors en deux points diamĂ©tralement opposĂ©s qui n'en forment qu'un pour cette gĂ©omĂ©trie. On retrouve la propriĂ©tĂ© : par deux points distincts passe une seule droite.
De plus on peut aussi définir une droite comme un cercle de rayon infini.
Cette définition est incompatible avec celle issue de l'algÚbre linéaire. Dans ce contexte, on parle en général de géodésique pour éviter une confusion.
Géométrie analytique
Si l'espace vectoriel est muni d'une base, ou l'espace affine d'un repĂšre, la droite peut ĂȘtre caractĂ©risĂ©e par des Ă©quations.
Espace affine de dimension 2
Une droite affine est l'ensemble des points de coordonnĂ©es tels que , oĂč . Un vecteur directeur de la droite est le vecteur de coordonnĂ©es . L'Ă©quation prĂ©cĂ©dente est appelĂ©e Ă©quation cartĂ©sienne de la droite.
Dans cette famille de droites, on rencontre
- les droites d'Ă©quation associĂ©es Ă des fonctions linĂ©aires de â dans â ;
- les droites d'Ă©quation associĂ©es Ă des fonctions affines de â dans â ;
- les droites d'équation parallÚles à l'axe des ordonnées.
La lettre m représente la pente de la droite.
Espace affine de dimension n
En dimension n, la droite passant par et de vecteur est l'ensemble des points pour lesquels il existe un scalaire k tel que
Ce systÚme d'équations s'appelle un systÚme d'équations paramétrées de la droite.
Cas particulier de l'espace (dimension 3), en :
Notes et références
- EugÚne Rouché et Charles de Comberousse, Traité de géométrie élémentaire, Paris, Gauthier-Villars, , lire en ligne sur Gallica.
- Pascal Dupont (préf. Marcel Berger), Introduction à la géométrie : géométrie linéaire et géométrie différentielle, De Boeck Université, , 696 p. (ISBN 978-2-8041-4072-4, présentation en ligne), p. 504