Jean de SĂ©ville
Jean de SĂ©ville (latin : Johannes Hispalensis ou Johannes Hispaniensis ou Jean de SĂ©ville Hispalensis et Limiensis), est un mathĂ©maticien espagnol nĂ© peut-ĂȘtre vers 1090 et mort vers 1150, traducteur de l'arabe d'ouvrages de philosophie et de mathĂ©matiques.
La reconquĂȘte de TolĂšde
TolĂšde fut reconquise par Alphonse VI de Castille en 1085. Cette reconquĂȘte ouvrait la richesse des bibliothĂšques aux Ă©rudits des quatre coins dâEurope. En 1135 lâarchevĂȘque Raymond de Toulouse y fonde un collĂšge de traducteurs oĂč des Italiens, des Français, des Anglais, des Juifs, des Flamands sâillustrent aux cĂŽtĂ©s des Espagnols dans un gigantesque projet de traduction.
Des traducteurs mercenaires
Les premiĂšres traductions de lâarabe vers le latin sont opĂ©rĂ©es vers 1140 par Dominique Gundisalvi. Mais lâarchidiacre Gundisalvi ignore l'arabe et il est aidĂ© dans sa tĂąche par des traducteurs premiers qui livrent une version en castillan que leur maĂźtre traduit ensuite en latin.
Parmi ces traducteurs supposés, ou en marge d'eux, se détachent quatre figures
- Jean de SĂ©ville Hispanus (Ioannes de Sevilla Hispanus)
- un juif converti nommé Jean Avendauth, ou Abraham ha-Levi Ibn Dawûd (vers 1110-vers 1187)
- un maĂźtre Johannes
- un traducteur indĂ©pendant, quâon appelle Ă©galement Jean de Luna ou plutĂŽt Jean de Limia (au Portugal) (Iohannes Limiensis).
Longtemps on a pu croire que ces traducteurs ne faisaient qu'un.
Jean de SĂ©ville Hispalensis et Limiensis parmi ces traducteurs ?
Longtemps, on a assimilĂ© Ioannes de Sevilla Hispalensis et Limiensis (vers 1090-vers 1150) avec un ou chacun de ces quatre traducteurs. On l'a identifiĂ© avec le converti Jean Avendauth, avec le traducteur Jean de SĂ©ville Hispanus, avec David Toletanus... De nombreux noms se croisent sur les manuscrits primitifs ou dans les commentaires qu'on a Ă©mis dessus : Jean de SĂ©ville, Jean de TolĂšde (toletanus), Avendauth, Ibn Dâd, Avendehut, Aven Daoud, Jean de la Luna ou de Limia, Magister Ioannes...
Il mentionne Limia (ville du Portugal) comme un des lieux oĂč il a habitĂ© dans sa jeunesse. Directement entrĂ© au service de l'archevĂȘque de Raimond de TolĂšde (1130-1150), qui lâoccupa Ă des traductions d'ouvrages arabes sur la philosophie et les mathĂ©matiques, ainsi que des commentaires sur Aristote, il a publiĂ© Ă son propre compte un traitĂ© dâarithmĂ©tique, le premier qui en Occident fit mention des chiffres arabes et du zĂ©ro.
D'autre part, il ne mentionne jamais avoir vĂ©cu Ă TolĂšde et abandonne tout surnom dans ses traductions aprĂšs son passage chez lâarchevĂȘque Raymond. Un nom supplĂ©mentaire formĂ© lors de ses premiĂšres traductions semble assurĂ© : Ioannes Hispalensis et/atque Limiensi quâil aurait abandonnĂ© lors dâune rĂ©Ă©criture ultĂ©rieure de ses premiĂšres traductions.
Le fait qu'il ait traduit lui-mĂȘme de l'arabe vers le latin, et la constance de sa signature laisse penser qu'il ne fut jamais un traducteur premier, et qu'il se trouva mĂȘlĂ© aux autres traducteurs de façon fortuite.
Il a traduit en 1135 le TraitĂ© des images (De imaginibus) de ThĂąbit Ibn Qurra, le TraitĂ© sur la diffĂ©rence de l'Ăąme et de l'esprit (De differentia spiritus et animae) de QustĂą ibn LĂ»qĂą (en 1140), entre 1112 et 1128 la partie mĂ©dicale du Livre des secrets (Secretum secretorum) du Pseudo-Aristote (vers 1145), la Lettre sur les Ă©clipses et les conjonctions des planĂštes (Epistula de rebus eclipsium et conjunctionibus planetarum) de MĂąshĂą'allĂąh, peut-ĂȘtre les Grandes conjonctions (De magnis conjunctionibus) de Albumasar (AbĂ» Ma'shar), peut-ĂȘtre l'Introduction Ă l'astrologie (Introductorium maius ad scientiam judiciorum astrorum) de AbĂ» Ma'shar (en 1133), peut-ĂȘtre l' Introduction Ă la science de l'astrologie judiciaire (Introductorium ad scientiam astrologiae judicialis) de Al-QĂąbisĂź (mort en 912).
Distinct de Jean de SĂ©ville Hispanus
On sait aujourd'hui distinguer Jean de SĂ©ville Hispalensis et Limiensis (Ioannes de Sevilla Hispalensis et Limiensis, vers 1090-vers 1150) de Jean de SĂ©ville Hispanus (Ioannes de Sevilla Hispanus) (vers 1150-1215), probablement archidiacre de CuĂ©llar en 1180, puis Ă©vĂȘque de Segorbe, collaborateur de Dominique Gundisalvi, avec lequel il a traduit l'IncohĂ©rence des philosophes de Algazel (Al-GhazĂąlĂź), la Source de vie de AvicĂ©bron (Ibn Gabirol), le Livre de la pratique de l'arithmĂ©tique de Al-Khawarizmi. Il participa avec Michel Scot au IVe concile de Latran, en 1215. Il mourut Ă TolĂšde en . Il Ă©tait surnommĂ© magister scolarum (maĂźtre des Ă©coles).
Jean de Séville Hispanus, sans doute le premier algébriste d'Occident
Au XIXe siĂšcle, le prince Baldassare Boncompagni publia un livre Ă ce sujet : Alghoarismi de practica arismetrice, de Johannes Hispalensis et fut soutenu dans ses efforts par Michel Chasles.
Selon lâhistorienne Maureen Robinson, Jean de SĂ©ville Hispanus est un traducteur important de ces temps, qui a Ă©tĂ© inextricablement joint Ă Gundissalvi vers 1190 par des erreurs de la part des scribes et des historiens.
Distinct de Avendreath
Lâidentification de Jean de SĂ©ville avec Jean Avendauth (ou Aven-Dreath, Avendeut, Avendehut, Avendauth, Avendar, Abraham Ibn DawĂ»d) est cependant toujours discutĂ©e. Ce savant dâorigine israĂ©lite est lâauteur prĂ©sumĂ© de la lettre de TolĂšde, prĂ©vision d'une catastrophe, en 1185. Il s'est consacrĂ© essentiellement aux mathĂ©matiques, Ă lâastronomie et Ă quelques Ćuvres philosophiques et mĂ©dicales. Comme Jean de SĂ©ville Hispalensis et Limiensis, il aurait travaillĂ© Ă Limia, au Portugal, puis Ă TolĂšde, en collaboration avec le mĂȘme archidiacre Dominique Gundissalvi. Des raisons pour ne pas confondre Jean de SĂ©ville Hispalensis, Avendauth et Jean de SĂ©ville Hispanus sont donnĂ©es par Maurren Robinson[1].
Dans la fiction
Ces difficultĂ©s d'identification s'ajoutent au privilĂšge que l'imagination de H. P. Lovecraft lui prĂȘte d'avoir eu dans ses mains le Necronomicon, ouvrage lĂ©gendaire issu de son Ćuvre de fiction. De façon amusante, il est probable qu'on doit Ă Jean de SĂ©ville Hispalensis le Secretum Secretorum, traduction du Kitab sirr al-asrar, dans lequel on trouve un autre texte occulte, le fameux texte alchimique de la Table d'Ă©meraude.
Dans une lettre Ă Clark Ashton Smith datĂ©e du , Lovecraft affirme que le dernier exemplaire arabe d'Al-Azif a Ă©tĂ© perdu aprĂšs 1228 ; il affirme Ă©galement qu'une traduction en espagnol de la version arabe se trouvait Ă la bibliothĂšque de Buenos Aires. Il prĂȘte Ă Jean Avendauth l'acquisition en 1164 des ouvrages de la bibliothĂšque de l'Andalous Ibn Yulyul, qui, selon lui, servit sous Hisham II dans la seconde moitiĂ© du Xe siĂšcle. Parmi les textes mĂ©dicaux et botaniques, Lovecraft prĂ©tend que Johannes Hispalensis, qu'il identifie avec Avendeath, trouva une copie d'Al-Azif mais que, peu enclin Ă des poursuites religieuses, il donna le livre au savant Abd-Al-Kadir GuilĂąnĂź Musli. Quoique ces filiations soient amusantes, elles n'en sont pas pour le moins autres choses que des rĂȘveries.
Bibliographie
Traductions de l'arabe en latin
Toutes les traductions donnĂ©es ci-dessous ne peuvent lui ĂȘtre attribuĂ©es avec certitude.
- Albumasar (AbĂ» Mas'har al-BalkhĂź) (787-886), De magnis conjunctionibus (Sur les grandes conjonctions, traduit peut-ĂȘtre par Jean de SĂ©ville Hispalensis et Limiensis) : C. Burnett Ă©di., AbĂ» Mas'har on Historical Astrology. The Book of Religions and Dynasties (On the Great Conjunctions), Leyde, Brill, 2000.
- Albumasar (AbĂ» Mas'har al-BalkhĂź), Liber introductorii maioris ad scientiam iudiciorum astrorum (Introduction Ă la science de l'astrologie judiciaire, traduit peut-ĂȘtre par Jean de SĂ©ville Hispalensis et Limiensis en 1133): R. Lemay Ă©di., KitĂąb al-madkhal al-KhabĂźr. Introductorium maius in astrologiam. AbĂ» Ma'shar al-BalkhĂź. Ădition critique, Naples, Instituto Universitario Orientale, 1997.
- Masha'allah ibn AtharĂź (MĂąshĂą'allĂąh) (vers 740-815), Lettre sur les Ă©clipses et les conjonctions des planĂštes (Epistula de rebus eclipsium et conjunctionibus planetarum), trad. de Jean de SĂ©ville Hispalenis et Limiensis
- Al-QabĂźsĂź, Introductorius (Introduction, traduit peut-ĂȘtre par Jean de SĂ©ville Hispalensis et Limiensis) : C. Burnett, K. Yamamoto et M. Yano Ă©di., Al-QabĂźsĂź. Introduction to Astrology. The Arabic and Latin Texts, with an English Translation, Londres/Turin, The Warburg Institute/Nino Aragno Editore (âWarburg Institute Studies and Textsâ 2), 2004, VIII-516p.
- Qustù Ibn Lûqù (IXe siÚcle), De differentia spiritus et animae (Traité sur la différence de l'ùme et de l'esprit), traduit vers 1140 par Jean de Séville Hispalensis et Limiensis : J. C. Wilcox édi., The Transmission and Influence of Qusta ibn Lûq'a's "On the Difference between Spirit and the Soul", Ph.D. Dissertation, City University of New York, 1985.
- ThÄbit ibn Qurra (826-901), De imaginibus (traduit par Jean de SĂ©ville Hispalensis et Limiensis entre 1112 et 1128) : F. Carmody, The Astronomical Works of ThĂąbit ben Qurra, Berkeley et Los Angeles, University of California Press, 1960, p. 179-197.
- Secretum secretorum (Le secret des secrets, Sirr al-'asrar) (trad. entre 1112 et 1128 de la partie mĂ©dicale par Jean de SĂ©ville et Limiensis) : J. Brinkmann Ă©di., Die apocryphen Gesundtheitsregeln des Aristoteles fĂŒr Alexander den Grossen in der Ăbersetzung des Johann von Toledo, Leipzig, 1914.
- AvicĂ©bron (Ibn Gabirol), Fons vitae, trad. par Jean de SĂ©ville Hispanus, in C. Baeumker, Fons vitae Avencebrolis, MĂŒnster, 1995.
- Muhammad ibn Mûsù al-Khwùrizmß, Liber de pratica arismetice, trad. par Jean de Séville Hispanus, in A. Allard (édi.), Muhammad ibn Mûsù al-Khwùrizmß, Le calcul indien (algorismus). Histoire des textes, édition critique, traduction et commentaire, Paris, Blanchard, 1992, p. 62-224.
Ătudes
- Jean Delisle et Judith Woodsworth (dir.), Les Traducteurs dans lâhistoire, Canada, Presses de lâUniversitĂ© dâOttawa (Ăditions UNESCO), coll. « PĂ©dagogie de la traduction », 1995, 348 p.
- C. Burnett, "John of Seville and John of Spain. A mise au point", Bulletin de philosophie médiévale, 44 (2002), p. 59-78.
- I. Draelants, article « Jean de SĂ©ville », in C. Gauvrard, A. de Libera et M. Zink (dir.), Dictionnaire du Moyen Ăge, PUF, 2002, p. 754-755.
- M. Robinson, The History and Myths surrounding Johannes Hispalensis, in Bulletin of Hispanic Studies vol. 80, no. 4, October 2003, pp. 443-470, abstract.
- Benoßt Patar, Dictionnaire des philosophes médiévaux, Longueuil, Québec, Canada, 2006, p. 613-614.
Notes et références
- [PDF]Maurren Robinson doute de l'assimilation de Jean de SĂ©ville Hispalensis et Hispalenus ; les Ćuvres qui attribuĂ©es Ă ce traducteur sous les diffĂ©rentes versions de son nom feraient de lui un ĂȘtre bien trop prolifique, car on lui prĂȘterait ainsi d'avoir traduit Al-Kindi ; Al-Battani ; Al-Farabi ; Ibn Gabirol ; Al-GhazĂąlĂź ; Avicenne...
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- (en) [PDF]un article de Maurren Robinson disponible
- (fr) (la) Fleurs d'Abu Ma'shar
D'autres points de vue :
- (fr) Le site Cosmovision