Jean Chrysostome
Jean Chrysostome (en grec ancien : ጞÏÎŹÎœÎœÎ·Ï áœ Î§ÏÏ ÏÏÏÏÎżÎŒÎżÏ), nĂ© Ă Antioche (aujourd'hui Antakya en Turquie) entre 344 et 349[Note 1], et mort en 407 prĂšs de Comana, a Ă©tĂ© archevĂȘque de Constantinople. Il est considĂ©rĂ© comme un des PĂšres de l'Ăglise.
Jean Chrysostome Saint chrétien | |
Jean Chrysostome. MosaĂŻque du IXe siĂšcle, Sainte-Sophie. | |
Patriarche, PĂšre et Docteur de l'Ăglise | |
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Naissance | Entre 344 et 349 Antioche, province romaine de CĆlĂ©-Syrie, Empire romain |
DécÚs | 407 (v. 60 ans) Comana du Pont, Pont Polémoniaque, Empire romain d'Orient |
Vénéré à | Basilique Saint-Pierre à Rome mais depuis restitution des reliques volées, il est vénéré aussi à la cathédrale Saint-Georges à Constantinople. Son importance est fondamentale dans le christianisme oriental. |
VĂ©nĂ©rĂ© par | Ăglise orthodoxe, Ăglise catholique romaine, Ăglise copte |
FĂȘte | catholiques : 13 septembre orthodoxes : 13 novembre, 27 janvier (translation des reliques), 30 janvier (fĂȘte des Trois HiĂ©rarques) |
Saint patron | PĂšre de l'Ăglise |
Câest Ă la prĂ©dication quâil consacre lâessentiel de son immense activitĂ© littĂ©raireâ elle occupe dix-huit volumes dans la Patrologie grecque â. Son Ă©loquence brillante et Ă©nergique est Ă l'origine de son Ă©pithĂšte grecque de ÏÏÏ ÏÏÏÏÎżÎŒÎżÏ (chrysĂłstomos), qui signifie littĂ©ralement « Ă la bouche d'or ». Sa rigueur et son zĂšle rĂ©formateur face aux puissants de son temps qui rivalisaient dâintrigues basses et coupables l'ont conduit Ă l'exil et Ă la mort[1]. On lui doit l'anaphore qui constitue le cĆur de la plus cĂ©lĂ©brĂ©e des Divines Liturgies dans les Ăglises orthodoxes.
Ă la fois saint, pĂšre de l'Ăglise orthodoxe, docteur de l'Ăglise catholique romaine et de l'Ăglise copte, Jean Chrysostome est fĂȘtĂ© le , le (translation de ses reliques), le (fĂȘte des Trois HiĂ©rarques) dans lâĂglise orthodoxe, le 13 septembre dans lâĂglise catholique.
Biographie
Sa famille, chrĂ©tienne, appartient Ă la bourgeoisie d'Antioche. Son pĂšre, Secondus, officier dans l'armĂ©e syrienne, perd la vie tandis que Jean est encore enfant. Il est alors Ă©levĂ© par sa mĂšre, AnthusaII_3-0">[2]. Devenu adolescent, il aurait reçu, selon certains auteurs chrĂ©tiens du Ve siĂšcle, l'enseignement du cĂ©lĂšbre orateur et professeur de rhĂ©torique Libanios[3], mais ce n'est nullement assurĂ©, bien qu'il ait Ă©tĂ© certainement formĂ© Ă la rhĂ©torique. Ayant assimilĂ© tout lâessentiel de la culture grecque classique, il entre au barreau, « marchepied de tous les postes enviables[4]. » Il tĂ©moigne avoir menĂ© une jeunesse dissipĂ©e et avoir Ă©tĂ© « enchaĂźnĂ© par les appĂ©tits du monde » (Du Sacerdoce, I, 3), pour s'accuser ensuite d'avoir Ă©tĂ© gourmet, amateur d'Ă©loquence judiciaire et de thĂ©Ăątre.
Vers les annĂ©es 369-372, vers lâĂąge de 24 ans, Jean s'intĂ©ressant plus qu'Ă toute autre chose Ă lâĂcriture sainte, demande le baptĂȘme[5], aprĂšs avoir rencontrĂ© l'Ă©vĂȘque MĂ©lĂšce. Antioche Ă©tant alors un centre thĂ©ologique important, Jean devient l'Ă©lĂšve de Flavien et de Diodore de Tarse, maĂźtre incontestĂ© de l'Ă©poque. C'est auprĂšs de ce grand exĂ©gĂšte qu'il devient sensible au sens littĂ©ral des textes sacrĂ©s, se mĂ©fiant quelque peu des interprĂ©tations allĂ©gorisantes de l'Ă©cole thĂ©ologique d'Alexandrie. Aimant particuliĂšrement l'Ă©vangile de saint Matthieu et les Ă©pĂźtres de Paul, il ne cessera de les relire jusqu'Ă sa mort. Ces mĂ©ditations Ă©veillent en lui un goĂ»t certain pour la solitude et l'ascĂšse : il renonce toutefois Ă partir pour le dĂ©sert, afin de ne pas attrister sa mĂšre[6]. RĂ©solu nĂ©anmoins Ă devenir moine, il s'installe seul dans une petite maison, vivant en ermite aux portes de la ville. OrdonnĂ© lecteur par MĂ©lĂšce, l'Ă©vĂȘque d'Antioche, il se consacre Ă la thĂ©ologie. Mais l'appel du dĂ©sert finit par triompher : en 374, Ă la mort de sa mĂšre, Jean renonce Ă ce monde qu'il aimait tant ; il se retire dâabord dans un couvent pendant quatre ans, puis s'aventure, non sans apprĂ©hension, dans les lieux arides du dĂ©sert. Il y dĂ©couvre alors que les plus « durs travaux » ne sont pas les travaux physiques, tels que « bĂȘcher, porter du bois et de l'eau et faire toutes sortes de travaux de ce genre » (De compunctione ad Demetrium, I,6), mais de se porter et de se supporter soi-mĂȘme, ainsi que le rappel incessant de ses maux et de ses faiblesses. Au bout de quelques annĂ©es, en 380, il revient Ă Antioche en prĂ©dicateur de lâascĂ©tisme : « Jâai souvent priĂ©, dit-il Ă cette Ă©poque, pour que disparaisse le besoin de monastĂšre, et pour quâadvienne dans les villes une telle attitude de bontĂ© que personne nâeut jamais besoin de sâenfuir au dĂ©sert ». Durant l'hiver 380-381, il est ordonnĂ© diacre par MĂ©lĂšce, soit l'annĂ©e du Concile ĆcumĂ©nique de Constantinople. En 386, Flavien, successeur de MĂ©lĂšce, lui confĂšre le sacerdoce[7]. Le ministĂšre principal de Jean devient alors la prĂ©dication ainsi que la direction spirituelle. DĂšs lâannĂ©e suivante, en 387, une Ă©meute Ă©clate Ă Antioche[8] Ă la suite dâune forte levĂ©e dâimpĂŽts ; une dĂ©lĂ©gation de citoyens aisĂ©s demande des allĂšgements ou des dĂ©lais, mais cette dĂ©marche pacifique se transforme dans la foule en sĂ©dition accompagnĂ©e de violences. On coupe les cordons des lampes qui Ă©clairaient les bains, on abĂźme les images peintes sur bois, et on sâattaque aux statues de bronze qui reprĂ©sentaient lâempereur ThĂ©odose et Flacilla, son Ă©pouse dĂ©funte, ainsi que ses fils Honorius et Arcadius : câest un vĂ©ritable crime de lĂšse-majestĂ© qui oblige lâĂ©vĂȘque Flavien Ă partir pour Constantinople afin dâimplorer la grĂące de lâempereur. Jean Chrysostome reste seul Ă Antioche face Ă la population dĂ©semparĂ©e ; il prononce alors les cĂ©lĂšbres homĂ©lies intitulĂ©es Sur les statues[9]. Flavien Ă son retour est porteur dâun rescrit de pardon, mais les coupables voient leurs biens confisquĂ©s et leurs familles sont chassĂ©es de leur maison[10].
Jean poursuit son travail d'écriture, et rédige de nombreux traités, entre autres, à une jeune veuve, De la Persévérance dans le veuvage, Consolation à Stagire, Sur les cohabitations illicites entre moines et moniales, et sur l'éducation. Il acquiert une certaine célébrité grùce à son talent d'orateur : des fidÚles prennent des notes de ses homélies[Note 2]. Dans son Dialogue sur le sacerdoce (IV, 3), influencé par les idées de Grégoire de Nazianze, il décrit ainsi l'idéal qui est le sien :
« La parole, voilà l'instrument du médecin des ùmes. Elle remplace tout : régime, changement d'air, remÚdes. C'est elle qui cautérise ; c'est elle qui ampute. Quand elle manque, tout manque. C'est elle qui relÚve l'ùme battue, dégonfle la colÚre, retranche l'inutile, comble les vides, et fait, en un mot, tout ce qui importe à la santé spirituelle. Quand il s'agit de la conduite de la vie, l'exemple est le meilleur des entraßnements ; mais pour guérir l'ùme du poison de l'erreur, il faut la parole, non seulement quand on a à maintenir la foi du troupeau, mais encore quand on a à combattre les ennemis du dehors »
â Dialogue sur le sacerdoce (trad. B. H. Vandenberghe), Namur, Le livre de l'espĂ©rance, , chap. IV, 3, p. 9.
Dans le mĂȘme ouvrage (VI, 5), Ă propos du monachisme, Jean Ă©crit que ce n'est pas la seule voie menant Ă la perfection. Si le moine, menant une vie recluse, Ă©loignĂ©e des tentations, peut plus facilement atteindre son but, Jean juge plus mĂ©ritante encore la voie du prĂȘtre, qui se consacre au milieu des pĂ©rils du monde au salut de son prochain : « Le moine qui mettrait ses travaux et ses sueurs en comparaison avec le sacerdoce tel qu'il doit ĂȘtre exercĂ©, y verrait autant de diffĂ©rence qu'entre les conditions de sujet et d'empereur. »
En 397, Nectaire, archevĂȘque de Constantinople, perd la vie. Au terme d'une bataille de succession acharnĂ©e, l'empereur Arcadius choisit Jean. Dans ses prĂ©dications, il prĂȘche assis sur lâambon du lecteur, au milieu du public qui se presse autour de lui. La rĂ©Ă©ducation morale de la sociĂ©tĂ© et du peuple sâimpose Ă lui avec force ; il constate une dĂ©chĂ©ance gĂ©nĂ©rale, lâabandon muet des exigences et des idĂ©aux, non seulement parmi les fidĂšles, mais aussi dans le clergĂ© : « Des hommes pervers, dit Jean Chrysostome, pleins de vices et dâinfamies, se sont emparĂ©s des Ă©glises avec violence, les dignitĂ©s saintes sont devenues des charges vĂ©nales[11]. » Il s'Ă©lĂšve alors avec une grande force contre la corruption des mĆurs et la vie licencieuse des grands, ce qui lui attire beaucoup de haines violentes. Il destitue les prĂȘtres ou les Ă©vĂȘques qu'il juge indignes, parmi lesquels l'Ă©vĂȘque d'ĂphĂšse, et ramĂšne de force Ă leur couvent les moines vagabonds. Il s'attaque Ă©galement aux hĂ©rĂ©tiques, aux juifs et aux paĂŻens : « Les juifs et les paĂŻens doivent apprendre que les chrĂ©tiens sont les sauveurs, les protecteurs, les chefs et les maĂźtres de la citĂ© » (HomĂ©lies sur les statues, I, 12). Il tient un langage sĂ©vĂšre Ă l'Ă©gard des chrĂ©tiens judaĂŻsants qui participent aux fĂȘtes juives et suivent les offices religieux Ă la synagogue, mais aussi Ă lâĂ©gard des juifs, en qui il voit les adversaires de l'Ăvangile de JĂ©sus : il rĂ©affirme ainsi lâopposition thĂ©ologique entre le judaĂŻsme et le christianisme que rĂ©itĂ©raient depuis plusieurs siĂšcles les PĂšres de lâĂglise.
Il impose son autorité aux diocÚses d'Asie Mineure alentour. Répugnant à ses devoirs de représentation, il prend seul ses repas et impose un mode de vie frugal et austÚre à son entourage.
S'il jouit au dĂ©part de la faveur du couple impĂ©rial, il s'attire rapidement l'inimitiĂ© des classes supĂ©rieures et des Ă©vĂȘques par ses critiques sĂ©vĂšres de leur mode de vie non conforme Ă l'idĂ©al Ă©vangĂ©lique. Lorsque Jean ordonne le retour des reliques de saint Phocas, l'impĂ©ratrice Eudoxie, Ă©pouse d'Arcadius, se charge en personne de porter la chĂąsse Ă travers la ville, ce dont Jean la remercie ensuite vivement dans une homĂ©lie[12]. Mais de la part de lâimpĂ©ratrice, ce nâest lĂ quâune ruse hypocrite pour se concilier Chrysostome. En 399, lâinfluence de Jean parvient Ă sauver, dans un premier temps, l'eunuque Flavius Eutropius, chambellan et favori de l'empereur, disgraciĂ© et rĂ©fugiĂ© dans la cathĂ©drale, et qui avait pourtant Ă©tĂ© un temps parmi ses adversaires[Note 3]. Mais Flavius Eutropius est dĂ©capitĂ© peu aprĂšs. Cependant, l'inimitiĂ© de la cour impĂ©riale va croissant. Jean finit par blesser vivement Eudoxie en lui reprochant l'accaparement d'une somme appartenant Ă la veuve Callitrope et des biens d'une autre veuve[13] : dans un sermon prononcĂ© quelques jours auparavant[14], il avait comparĂ© l'impĂ©ratrice Ă HĂ©rodiade et Ă l'infĂąme reine JĂ©zabel de l'Ancien Testament[15].
En 402, Jean est mĂȘlĂ© Ă l'affaire de ThĂ©ophile, patriarche d'Alexandrie, accusĂ© publiquement de tyrannie et d'injustice par un groupe de moines Ă©gyptiens, accusĂ©s d'ĂȘtre disciples d'OrigĂšne. Ces derniers font appel Ă Jean, qui tente de se rĂ©cuser, mais doit finalement accepter de prĂ©sider un synode, convoquĂ© par l'empereur, devant lequel ThĂ©ophile est censĂ© se prĂ©senter. ThĂ©ophile engage alors la lutte contre son juge, en rassemblant tous les mĂ©contents. Parmi les adversaires de Jean figurent Acace de BĂ©roĂ©, SĂ©vĂ©rien de Gabala, et Antiochus de PtolĂ©maĂŻs[16]. Arrivant finalement Ă Constantinople en juin 403, ThĂ©ophile est accompagnĂ© de vingt-neuf Ă©vĂȘques Ă©gyptiens. L'affaire se retourne alors contre Jean : il est convoquĂ© par ces Ă©vĂȘques pour rĂ©pondre des accusations formulĂ©es contre lui au Concile du ChĂȘne, prĂšs de ChalcĂ©doine. Jean est alors dĂ©posĂ© et condamnĂ©, condamnation ratifiĂ©e par l'empereur Flavius Arcadius. Dans une homĂ©lie, il exprime sa confiance dans le juge suprĂȘme, le Christ :
« Nombreuses sont les vagues, et puissant est le flot ; mais nous ne craignons pas dâĂȘtre submergĂ©s car nous sommes sur le roc. Que la mer fasse rage, ce roc ne saurait ĂȘtre Ă©branlĂ©. Que les vagues sâamoncellent, le navire de JĂ©sus ne peut sombrer. Et quâai-je Ă craindre, dites-moi ? La mort ? Mais je dis avec lâapĂŽtre : Le Christ est ma vie et mourir mâest un gain. Lâexil ? La Terre est au Seigneur avec tout ce quâelle contient. La perte des biens terrestres ? Je nâai rien apportĂ© en ce monde et nâen dois rien emporter. »
â Jean Chrysostome, HomĂ©lie avant lâexil.
Il est aussitĂŽt rappelĂ© Ă la demande de l'impĂ©ratrice qui, Ă la suite d'un mystĂ©rieux accident â une fausse couche de l'impĂ©ratrice â y voit un avertissement du Ciel. Cependant, les accusations reprennent contre lui. Quand la tension avec la cour est Ă son comble, Jean se montre peu diplomate, commençant un sermon par une allusion Ă HĂ©rodiade rĂ©clamant la tĂȘte de Jean le Baptiste : « De nouveau HĂ©rodiade est en dĂ©mence. De nouveau elle danse. De nouveau elle rĂ©clame la tĂȘte de Jean sur un plat[Note 4]. » La veille de PĂąques, alors que Jean dans le baptistĂšre sâapprĂȘte Ă baptiser les catĂ©chumĂšnes, les soldats font Ă©vacuer lâĂ©glise Ă coups dâĂ©pĂ©e, le sang coule, et Jean est traĂźnĂ© brutalement, sur ordre de lâempereur, dans ses appartements[17]. Finalement, il est une deuxiĂšme fois condamnĂ© et exilĂ© Ă Cucusus, en ArmĂ©nie, au milieu dâune population primitive et de brigands, et dans les rigueurs dâun climat malsain[18]. Il est remplacĂ© au siĂšge patriarcal le par un vieillard, Arsace, auquel succĂšde trĂšs vite Atticus, un ennemi de Jean. Nâayant plus rien Ă espĂ©rer des Ă©vĂȘques qui se font les instruments dociles de la vengeance dâEudoxie et de ThĂ©ophile, il implore la protection du pape Innocent Ier qui condamne et casse ces nominations[19]. En butte Ă dâautres accusations calomnieuses, aprĂšs lâincendie de lâĂ©glise Sainte Sophie et de la curie, Jean reçoit le soutien de plusieurs de ses partisans qui plaident son innocence auprĂšs du pape[20]. Peu de temps aprĂšs, Jean doit se rĂ©fugier au chĂąteau d'Arabisse pour fuir une incursion des Isauriens. L'Ăglise romaine reste jusquâau bout fidĂšle au patriarche Jean. Le pape Innocent Ier lui Ă©crit dans son exil pour le consoler. Il condamne le Concile du ChĂȘne qui l'avait dĂ©posĂ© et reconnaĂźt Jean comme seul patriarche lĂ©gitime de Constantinople[21]. De lĂ , Jean Chrysostome exprime au pape sa profonde reconnaissance pour les efforts accomplis pour lui rendre son titre lĂ©gitime dâĂ©vĂȘque de Constantinople : « Chaque jour, par les yeux de la charitĂ©, nous contemplons et votre force, et votre sincĂšre affection, et votre constance immuable [âŠ] Plus, en effet, les flots sâĂ©lĂšvent, plus les Ă©cueils cachĂ©s se multiplient, plus les vents se dĂ©chaĂźnent, plus votre vigilance augmente. Ni la longueur de lâespace, ni lâintervalle du temps, ni les complications incessantes des Ă©vĂ©nements ne vous peuvent lasser, pareil aux bons pilotes qui ne sont jamais plus en Ă©veil que lorsque le naufrage est menaçant. VoilĂ ce qui me comble de gratitude[22]. »
Cependant, sa renommĂ©e va grandissant. Devant l'afflux des visiteurs qui viennent Ă lui, en 407, il est condamnĂ© sur ordre impĂ©rial, Ă une relĂ©gation dans un lieu dĂ©sert aux confins de l'empire, Ă Pithyos, sur la mer Noire. Il est forcĂ© de faire Ă pied de longues marches sous lâardeur du soleil. Affaibli par la maladie, Jean meurt le au cours du voyage prĂšs de Comana dans le Pont. Ses derniĂšres paroles furent sa doxologie coutumiĂšre : « Gloire Ă Dieu pour tout. Amen » (« ÎÏΟα Ïáż· ÎΔῷ ÏÎŹÎœÏÏÎœ áŒÎœÎ”ÎșΔΜ. áŒÎŒÎźÎœ / Doxa to TheĂŽ pantĂŽn eneken. Amen »).
Reliques
En 438, l'empereur ThĂ©odose II fait rapatrier les restes de Jean Ă Constantinople ; ils sont triomphalement dĂ©posĂ©s dans l'Ă©glise des Saints-ApĂŽtres. Cette translation est commĂ©morĂ©e dans l'Ăglise orthodoxe le 27 janvier[23]. EmportĂ©es d'abord Ă Venise par les croisĂ©s de la QuatriĂšme croisade (1204), puis transfĂ©rĂ©es Ă Rome, oĂč elles ont Ă©tĂ© vĂ©nĂ©rĂ©es durant prĂšs de 800 ans sous l'autel d'une chapelle dans la basilique Saint-Pierre de Rome Ă la CitĂ© du Vatican, elles ont finalement Ă©tĂ© restituĂ©es le par le pape Jean-Paul II au patriarche ĆcumĂ©nique BartholomĂ©e Ier, en signe de rĂ©conciliation entre catholiques romains et orthodoxes, et sont depuis lors conservĂ©es et vĂ©nĂ©rĂ©es Ă l'Ă©glise Saint-Georges du Phanar Ă Istanbul.
Patronages
Il est le protecteur des personnes qui souffrent dâĂ©pilepsie (car cette maladie est appelĂ©e mal de saint Jean) et qui lui adressent des priĂšres pour espĂ©rer une guĂ©rison. Il est aussi le patron des professionnels qui doivent sâexprimer devant un public (orateurs, prĂ©sentateurs, maĂźtres de confĂ©rence, etc.)
Jean Chrysostome et l'Ăglise orthodoxe
DĂ©posĂ©, exilĂ© de son vivant par l'autoritĂ© politique, Jean Chrysostome est un des saints les plus marquants de l'Ăglise orthodoxe. Sa mĂ©moire est cĂ©lĂ©brĂ©e trois jours dans l'annĂ©e : le 13 novembre pour sa fĂȘte, le 27 janvier pour la translation de ses reliques et le 30 janvier pour la fĂȘte des « Trois saints HiĂ©rarques »[23].
Sur le plan liturgique
L'Ăglise orthodoxe utilise actuellement trois liturgies eucharistiques : celle de saint Basile (utilisĂ©e une dizaine de fois dans l'annĂ©e, particuliĂšrement durant le Grand CarĂȘme et pour la Saint-Basile), la liturgie des saints dons prĂ©sanctifiĂ©s (en semaine, durant le Grand CarĂȘme), et la liturgie de saint Jean Chrysostome, utilisĂ©e tout le reste de l'annĂ©e. Quelques Ă©glises locales utilisent encore aussi la liturgie de saint Jacques.
Sur le plan théologique
Si l'Ăglise orthodoxe se dĂ©finit souvent comme l'Ăglise des PĂšres, soulignant la continuitĂ© dans la transmission de la foi, elle dĂ©signe sous le vocable des « Trois saints HiĂ©rarques »[Note 5] trois PĂšres qui, chacun sous un aspect particulier, ont particuliĂšrement comptĂ© au IVe siĂšcle : GrĂ©goire de Nazianze, Basile de CĂ©sarĂ©e et Jean Chrysostome. Cette rĂ©union de saints si diffĂ©rents les uns des autres par certains aspects, a pour but de montrer que l'unitĂ© de l'Ăglise se fait dans la foi unique, et non dans l'uniformitĂ©.
Doctrine morale et théologique
PrĂ©dicateur inlassable, commentateur infatigable de l'Ăvangile, Jean Chrysostome a dĂ©veloppĂ© une philosophie chrĂ©tienne qui propose un idĂ©al de perfection. Cette perfection consiste dans la coĂŻncidence entre orthodoxie et orthopraxie, convenablement associĂ©es. Câest un leitmotiv de sa prĂ©dication depuis le dĂ©but de sa vie pastorale jusquâĂ son exil : il dĂ©finit en effet la vertu (en grec ancien : áŒÏΔÏÎź) comme « lâexactitude des croyances vraies » (áŒĄ Ïáż¶Îœ áŒÎ»Î·Îžáż¶Îœ ÎŽÎżÎłÎŒÎŹÏÏÎœ áŒÎșÏÎŻÎČΔÎčα) et « la droiture de la vie » (áŒĄ ÎșαÏᜰ Ï᜞Μ ÎČÎŻÎżÎœ áœÏΞÏÏηÏ)[24]. Aux temps apostoliques, câest Antioche qui, par la charitĂ© exemplaire de ses habitants et la fermetĂ© de leur foi chrĂ©tienne face aux hĂ©rĂ©sies, donna un modĂšle de cette perfection et de cette puretĂ© doctrinale[25].
Ăthique et sotĂ©riologie
Jean Chrysostome nâest pas un moraliste pur ; son Ă©thique, fondĂ©e sur lâaction de Dieu, est constamment mise en relation avec la sotĂ©riologie[26] : câest dire que ses exhortations Ă la charitĂ©, Ă la misĂ©ricorde, Ă la philanthropie sont au cĆur de sa thĂ©ologie, en relation avec ses idĂ©es sur les croyants comme corps du Christ et sur lâĂ©conomie du salut. Ainsi, dans ses homĂ©lies, Jean Chrysostome entrecroise en permanence deux thĂšmes : la gloire de Dieu et l'amour du prochain. S'il prĂȘche sur le « sacrement de l'autel » (l'eucharistie), c'est pour continuer sur le « sacrement du frĂšre » (l'expression est de lui), et sur la responsabilitĂ© des riches en faveur des plus pauvres pour assurer leur propre salut. Il met dans la bouche du Christ ces paroles : « Jâai jeĂ»nĂ© Ă cause de toi, jâai encore faim Ă cause de toi ; jâai eu soif sur la croix, jâai encore soif dans la personne des pauvres afin que par tous ces motifs je puisse tâattirer Ă moi et te rendre humain pour ton propre salut »[27] - [28]. S'il parle du Christ ressuscitant, c'est pour souligner qu'il ressuscite « nu », et qu'Ă son exemple, il n'est nul besoin d'ĂȘtre enterrĂ© dans de luxueuses Ă©toffes, mieux vaut les vendre pour soutenir les misĂ©reux et se dĂ©livrer ainsi de lâamour-propre et de la vanitĂ©[29]. FidĂšle Ă ces lignes de conduite, il emploie l'argent reçu des dons ou mĂȘme de la vente de trĂ©sors de lâĂglise Ă la restauration ou Ă la fondation d'hospices pour les malades ou les personnes sans ressources. Au service de son peuple, lâĂ©vĂȘque se veut ambassadeur des pauvres, donnant lâexemple de la charitĂ© pastorale, sur le modĂšle de saint Pierre, que Chrysostome appelle « le coryphĂ©e du chĆur des apĂŽtres, le fondement de lâĂglise[30]. » Lui-mĂȘme recevra plus tard le titre de « Jean lâaumĂŽnier »[31].
Le critĂšre de lâintention
Pour Jean Chrysostome, les passions sont sources de division et dâasservissement ; il conjure donc les chrĂ©tiens de « rĂ©sister Ă leur entraĂźnement, et au lieu de sâimposer volontairement cette amĂšre servitude, de les combattre avec courage et de fortifier leur esprit par la crainte du Seigneur[32] - [33]. »
Il consacre Ă lâorgueil le traitĂ© intitulĂ© Sur la vaine gloire et lâĂ©ducation des enfants. Ce pĂ©chĂ© par excellence affecte les Pharisiens et menace mĂȘme les prĂȘtres. Jean sâindigne de lâattitude ostentatoire de certains fidĂšles : le riche fait lâaumĂŽne pour ĂȘtre remarquĂ©, et dâautres vont Ă lâĂ©glise pour faire Ă©talage de leurs toilettes. Ă la vantardise, lâorgueil et la tĂ©mĂ©ritĂ© du Pharisien sâoppose la disposition intĂ©rieure du Publicain ou du Bon Larron qui, dans un Ă©lan de foi humble, ont Ă©tĂ© sauvĂ©s. Car « câest la beautĂ© intĂ©rieure que Dieu cherche[34]. » Pour Jean Chrysostome, cette disposition intĂ©rieure ou intention (en grec ancien : ÏÏοαίÏΔÏÎčÏ / proaĂŻresis) prime sur les circonstances extĂ©rieures et sur la rĂ©alitĂ© des bonnes Ćuvres accomplies par le chrĂ©tien. Ce critĂšre de lâintention sâapplique Ă tout comportement et tout Ă©tat : le mariage est prĂ©sentĂ© comme un Ă©tat ambigu, il peut Ă©viter la dĂ©bauche, mais devenir aussi une source de perdition « Ă cause de lâintention de ceux qui sâen servent pour mal agir » ; de mĂȘme le tribunal offre la sĂ©rĂ©nitĂ© dâun port si les juges tranchent en toute Ă©quitĂ©, mais devient un Ă©cueil si ces magistrats jugent en haine des accusĂ©s[34]. Seule cette disposition intĂ©rieure offre une juste apprĂ©ciation de la rĂ©alitĂ©.
Parmi les passions, Jean Chrysostome Ă©tudie Ă©galement la colĂšre quâil assimile Ă la violence du feu ou de la tempĂȘte pour ses effets pernicieux. Mais sâil la condamne, il observe aussi que nous pouvons la maĂźtriser puisque nous ne nous y abandonnons pas en face de personnages que nous redoutons[35]. Il apporte mĂȘme des restrictions Ă cette condamnation en commentant le psaume 4 : « Le prophĂšte David ne proscrit pas lâemportement, car il peut nous servir contre ceux qui sâadonnent Ă lâinjustice et la nĂ©gligence ; il nâen a quâĂ la colĂšre injuste et Ă lâemportement dĂ©raisonnable. » Cette passion se rĂ©vĂšle mĂȘme parfois utile « si nous savons nous en servir avec lâopportunisme convenable ; elle est opportune quand nous ne cherchons pas Ă nous venger mais Ă rĂ©primer les rebelles et Ă convertir les indolents », et Jean cite, entre autres, la colĂšre de Paul contre les Corinthiens et contre Ălymas, ou la colĂšre de Pierre contre Ananie et Saphire[36].
Les vertus
AbandonnĂ© Ă sa propre faiblesse, lâhomme est exposĂ© Ă la chute, comme lâa Ă©tĂ© Pierre au moment de son reniement. Mais par lâeffet dâun repentir sincĂšre, il apprend Ă connaĂźtre les limites humaines et acquiert alors les vertus dâhumilitĂ©, de modestie et de misĂ©ricorde qui prĂ©servent de lâorgueil. Câest pourquoi Jean Chrysostome propose le repentir de saint Pierre en modĂšle Ă tous les chrĂ©tiens[37]. Parmi les thĂšmes majeurs de sa prĂ©dication, Jean souligne aussi lâimportance de lâaumĂŽne et de la charitĂ©, ainsi que lâespĂ©rance du salut comme il le montre Ă travers lâĂ©vocation de la bienheureuse PĂ©lagie d'Antioche[38].
Comme beaucoup de PĂšres de l'Ăglise[Note 6], Jean Chrysostome traite aussi le problĂšme de la chastetĂ© (en grec ancien : ÏαÏÎžÎ”ÎœÎŻÎ± / parthenia), notion qui occupe une place importante dans ses Ćuvres. Homme de son temps, il voit la chastetĂ© mĂ©prisĂ©e par le monde paĂŻen. Dans son HomĂ©lie sur la chastetĂ©, il propose comme hĂ©ros de la puretĂ© et de la maĂźtrise des sens les personnages de Joseph lâĂgyptien, rĂ©sistant Ă la sĂ©duction de la femme de Putiphar, Suzanne et les vieillards, et Job pour son abstinence sexuelle et sa fuite devant les occasions de pĂ©cher. Ă lâinverse, David est puni pour avoir commis lâadultĂšre avec BethsabĂ©e[39]. De façon gĂ©nĂ©rale, Jean Chrysostome conçoit la chastetĂ© comme lâĂ©vitement de la concupiscence, elle est lâantidote de la convoitise et dĂ©livre de la servitude des plaisirs illicites. Nous sommes en effet, selon les mots de saint Paul, « les membres du Christ » et notre corps est « le temple de lâEsprit saint »[40]. Cette chastetĂ© concerne aussi le mariage oĂč Jean veut voir un « monastĂšre laĂŻc[41] » : Ă des Ă©poux chrĂ©tiens qui mĂšnent une vie moralement irrĂ©prochable et adonnĂ©e Ă ses devoirs, il accorde le titre de « vierges ». Câest en effet la vie Ă©vangĂ©lique qui est lâessentiel de cette chastetĂ© quâil proclame vraie et admirable[42].
Le sacerdoce céleste du Christ
Dans ses homĂ©lies sur lâĂpĂźtre aux HĂ©breux, Jean Chrysostome affirme que le Christ est prĂȘtre Ă©ternel de la nouvelle alliance, et quâaprĂšs sa glorification, il « siĂšge au Ciel Ă la droite » du PĂšre ; il convient dâĂ©carter toute dĂ©termination spatiale de lâacception de ces mots[43]. Ils signifient que le Christ est Ă Ă©galitĂ© de dignitĂ© avec le PĂšre. Quant au fait dâĂȘtre « assis », cela ne peut pas caractĂ©riser la position dâun prĂȘtre, qui exerce son sacerdoce debout. Si lâĂ©pĂźtre aux HĂ©breux mentionne le Christ comme « ministre du sanctuaire et intercesseur », câest, dit Jean Chrysostome, par une condescendance â au sens grec de ÏÏ ÎłÎșαÏÎŹÎČαÏÎčÏ â de lâauteur de cette Ă©pĂźtre pour se mettre Ă notre portĂ©e ; Jean rejette donc toute idĂ©e dâoffrande sacrificielle du Christ en majestĂ© au ciel[44] : le sacrifice de la croix ayant eu lieu dans sa perfection une fois pour toutes, nâa pas Ă ĂȘtre renouvelĂ©. Et par « intercession cĂ©leste », il faut entendre lâintensitĂ© de lâamour du Christ pour nous qui peut dĂ©sormais causer notre salut[45] - [46].
Ćuvres
Jean Chrysostome a beaucoup prĂȘchĂ©, beaucoup Ă©crit. Si nombre d'Ćuvres, qui lui Ă©taient autrefois faussement attribuĂ©es, ont Ă©tĂ© rendues Ă leur lĂ©gitime auteur, le nombre de ses Ćuvres authentiques n'en reste pas moins considĂ©rable. On divise ses Ă©crits dans le Clavis Patrum GrĂŠcorum (4305-5197) en plusieurs groupes, les numĂ©ros 4305-4620 recouvrant Ă peu prĂšs les Ă©crits authentiques (dubia: 4333.5 et 8-9, 4336.2, 4356, 4366-4367, 4395-4399, 4417, 4445-4451, 4513-4554; spuria: 4322, 4333.7, 4343, 4350, 4354, 4408, 4500).
Traités et Dialogues
Jean Chrysostome est lâauteur dâun traitĂ© de morale qui adopte le genre littĂ©raire de lâĂ©loge (áŒÎłÎșÏÎŒÎčÎżÎœ) intitulĂ© Sur la virginitĂ©, et dont la rĂ©daction pourrait remonter aux annĂ©es de son diaconat, vers 382[47]. Il repose sur lâexĂ©gĂšse de la PremiĂšre Ă©pĂźtre aux Corinthiens, chapitre VII de saint Paul. LâĂ©loge de la virginitĂ© semble concerner les femmes ayant fait vĆu de cĂ©libat consacrĂ©. Lâouvrage a sans doute Ă©tĂ© destinĂ© sous forme dâhomĂ©lie Ă des cercles fĂ©minins ascĂ©tiques dâAntioche[48]. On y trouve lâĂ©cho des dĂ©bats contemporains sur le bien-fondĂ© de la vocation monachique. Le traitĂ© met en garde contre les dĂ©viations de la foi et contre la condamnation du mariage qui peuvent entraĂźner de fausses vocations, des ruptures de vĆux ou au contraire un ascĂ©tisme dĂ©raisonnable : Jean Chrysostome vise sans doute sur ce point lâhĂ©rĂ©sie encratiste[48]. Le sens ultime du traitĂ© rĂ©pond Ă la destinĂ©e eschatologique de lâhomme ; la vie ascĂ©tique et virginale a pour but de retrouver une nature angĂ©lique (áŒÎłÎłÎ”λÎčÎșÎź ÏολÎčÏΔία)[49].
Le dialogue entre Basile et Jean Chrysostome intitulĂ© Sur le sacerdoce est un hymne Ă la grandeur du sacerdoce chrĂ©tien et un appel Ă la dignitĂ© de son exercice[50]. Quâil sâagisse du diacre, du prĂȘtre ou de lâĂ©vĂȘque â Jean parle indiffĂ©remment de lâun ou de lâautre â, le sacerdoce est un : il tient toute sa rĂ©alitĂ© du Christ, et câest du Christ quâil revĂȘt les hommes. Trois sortes de fonctions lui sont associĂ©es : lâĂ©vĂȘque est le pasteur du troupeau, le chef des fidĂšles ; en second lieu, il est le ጱΔÏΔÏÏ / hiereus, celui qui cĂ©lĂšbre les saints mystĂšres et lâEucharistie, et Ă ce titre sa charge, appelĂ©e en grec ጱΔÏÏÏÏΜη / hierosynĂš, a quelque chose de sacrĂ© comme lâĂ©tymologie du mot sacerdoce le signale aussi ; la table de lâautel oĂč est offert le sacrifice de lâEucharistie et la messe sont ainsi des rĂ©alitĂ©s cĂ©lestes[51] ; enfin, en tant que gardien de la doctrine, dont il doit assurer la transmission, le prĂȘtre instruit le peuple ; cette troisiĂšme charge câest la ÎŽÎčΎαÏÎșαλία / didaskalĂa. La grĂące de lâEsprit a confĂ©rĂ© au prĂȘtre des pouvoirs vĂ©ritablement cĂ©lestes (áŒÎŸÎżÏ Ïία)[52]. Le prĂȘtre a reçu lâordination par lâimposition des mains, selon le rite en usage dĂšs le premier siĂšcle, et il ne saurait ĂȘtre question pour les femmes de ministĂšre sacerdotal : Jean Chrysostome rappelle que la loi divine est formelle Ă ce sujet[53].
Homélies et catéchÚses
Jean Chrysostome a produit un vaste ensemble dâenviron 900 homĂ©lies, au point que son nom se confond avec lâhistoire mĂȘme de la prĂ©dication patristique, nul autre orateur ne le surpassant en habiletĂ© rhĂ©torique, en Ă©loquence et en vigueur dans le plaidoyer pour la justice sociale, son thĂšme favori durant toute sa carriĂšre de prĂ©dicateur[54]. Ses homĂ©lies comportent parfois des invectives Ă cĂŽtĂ© desquelles pĂąlissent les plus violentes diatribes de CicĂ©ron contre Antoine. Ă Antioche, Jean prĂȘchait habituellement debout au milieu de lâĂ©glise la plus ancienne, appelĂ©e la Palaia, au milieu dâune foule compacte qui se pressait autour de lui et rĂ©agissait au sermon comme Ă un spectacle, avec des applaudissements ou des exclamations, comportement jugĂ© inconvenant par lâorateur.
Les homĂ©lies de saint Jean Chrysostome qui nous ont Ă©tĂ© transmises soulĂšvent bien des problĂšmes, compte tenu de probables interventions Ă©trangĂšres de la part de collectionneurs ou mĂȘme de faussaires. On sait aussi par EusĂšbe et Possidius que des tachygraphes prenaient en notes ces homĂ©lies en y intĂ©grant des remarques sans rapport avec la thĂ©ologie[55]. Dans le meilleur des cas, les homĂ©lies Ă©taient dictĂ©es, prononcĂ©es et relues par les soins de saint Jean Chrysostome.
Style et méthode
Les prĂ©dicateurs du IVe siĂšcle, comme Ambroise, Augustin d'Hippone, JĂ©rĂŽme de Stridon et Jean Chrysostome lui-mĂȘme ont prĂŽnĂ© lâemploi dâun style accessible au plus grand nombre[56]. Ses homĂ©lies authentiques sont en effet marquĂ©es par la puretĂ© dâun style limpide, lâĂ©lĂ©gance et la profondeur[57], mais aussi par sa mĂ©thode dâexĂ©gĂšse et ses procĂ©dĂ©s oratoires. Cette mĂ©thode, dĂ©finie par Jean Chrysostome lui-mĂȘme comme la pĂ©dagogie du Christ Ă lâĂ©gard de la Samaritaine, consiste Ă partir toujours des rĂ©alitĂ©s temporelles pour faire comprendre les rĂ©alitĂ©s spirituelles ; cet effort du prĂ©dicateur qui descend pour se mettre Ă la portĂ©e de son auditoire et le conduire du bas vers le haut, a Ă©tĂ© traduit par condescendance (en grec ancien : ÏÏ ÎłÎșαÏÎŹÎČαÏÎčÏ / syngatĂĄbasis) par Bertrand de Margerie[58]. Cette ÏÏ ÎłÎșαÏÎŹÎČαÏÎčÏ imite lâadaptation de Dieu aux capacitĂ©s limitĂ©es de lâĂȘtre humain, selon la dĂ©finition mĂȘme de saint Jean Chrysostome :
« Quâest-ce donc que la ÏÏ ÎłÎșαÏÎŹÎČαÏÎčÏ ? Elle a lieu lorsque Dieu nâapparaĂźt pas tel quâil est, mais lorsquâil se montre tel quâest capable de le voir celui qui le contemple, mesurant sa manifestation Ă la faiblesse de la vue de ses contemplateurs[59]. »
Ainsi Jean adapte-t-il constamment son exĂ©gĂšse Ă la situation immĂ©diate et concrĂšte ainsi quâĂ son auditoire, Ă lâimitation du Dieu de la GenĂšse, du Christ et de saint Paul[60]. Il use de questions rhĂ©toriques comme pour inciter au dialogue. Il « prĂ©fĂšre, dit-il, la correction des coupables Ă la noblesse des expressions[61]. » Et pour cet avancement spirituel des Ăąmes dont il a la charge, il mĂȘle les supplications les plus ardentes aux reproches les plus sĂ©vĂšres, sans craindre le blĂąme ou la dĂ©sertion de lâauditoire. Au raisonnement conceptuel, inadaptĂ© Ă certaines rĂ©alitĂ©s thĂ©ologiques, il prĂ©fĂšre le caractĂšre poĂ©tique du langage, ce qui lui permet de tenir ensemble des vĂ©ritĂ©s apparemment inconciliables selon la logique humaine[62].
Parmi ses procĂ©dĂ©s stylistiques, il emploie en particulier les exempla (en grec : áœÏÎżÎŽÎ”ÎŻÎłÎŒÎ±Ïα) ou les comparaisons (ÏÏ
ÎłÎșÏÎŻÏΔÎčÏ) tirĂ©s de lâhistoire impĂ©riale rĂ©cente en vue de mieux persuader son auditoire en suscitant chez lui de lâindignation ou des sensations fortes[63]. Il arrive que ces exempla suggĂšrent, par une allusion cachĂ©e, la critique dâune personne rĂ©elle, par exemple lâempereur Constantin Ier ou lâimpĂ©ratrice EusĂ©bie[64] : Ă travers ces histoires scandaleuses de la vie du palais pleine dâintrigues et de meurtres, Jean Chrysostome se livrait Ă une critique subversive des aberrations du pouvoir temporel Ă Constantinople ; elle devait Ă la longue se retourner contre son auteur[65].
Sujets des homélies
Une seule homĂ©lie est consacrĂ©e Ă la fĂȘte de lâĂpiphanie[66], elle suit celle de NoĂ«l prononcĂ©e Ă Antioche en 385 pour justifier la lĂ©gitimitĂ© de la fĂȘte de NoĂ«l, inconnue jusque-lĂ en Orient[67]. Jean Chrysostome explique quâil y a deux Ă©piphanies, la manifestation du Christ Ă la foule au moment de son baptĂȘme dans le Jourdain et le deuxiĂšme avĂšnement du Christ, qui est Ă venir. DĂ©veloppant le sens de la parole de Paul[68] sur « la grĂące salutaire et Ă©ducatrice », il montre que « le salut nâest pas le fruit de notre vertu, mais que tous nous avons Ă©tĂ© sauvĂ©s par la grĂące divine, [âŠ] par le Fils monogĂšne, par la Croix, par le bain de la rĂ©gĂ©nĂ©ration[69]. »
Ă Antioche, dans les annĂ©es 390, lâillustre prĂ©dicateur compose 90 homĂ©lies sur lâĂ©vangile de Matthieu : il donne de chaque sĂ©quence une exĂ©gĂšse aussi rigoureuse que possible et dĂ©gage de ces analyses des valeurs morales quâil engage Ă pratiquer[70]. Parmi elles, lâhomĂ©lie 56 in Matthaeum[71] offre lâun des plus anciens et des plus importants commentaires qui ait Ă©tĂ© conservĂ© sur la Transfiguration. Chaque pĂ©ricope est analysĂ©e non de maniĂšre isolĂ©e, mais « selon la signification quâelle reçoit de sa position et de sa fonction dans la trame du rĂ©cit Ă©vangĂ©lique tout entier[70]. » La fin de cette homĂ©lie est consacrĂ©e Ă la condamnation de lâappĂąt du gain et en particulier de lâusure.
Jean Chrysostome est lâauteur de plusieurs homĂ©lies Sur la Providence, notion qui donne toute sa cohĂ©rence au plan divin qui mĂšne lâhomme, depuis les commencements jusquâaux fins derniĂšres. Il est Ă©galement lâauteur de la remarquable homĂ©lie catĂ©chĂ©tique lue Ă la fin des matines du dimanche de PĂąques[72] dans les Ă©glises orthodoxes dâOrient. Câest durant cette pĂ©riode de PĂąques que prenait place lâinitiation chrĂ©tienne des nĂ©ophytes ; dans sa catĂ©chĂšse sur les nombreuses grĂąces du baptĂȘme[73], Jean Chrysostome prĂ©sente le catĂ©chumĂšne une fois baptisĂ© comme un enfant et un ami de Dieu, un citoyen du Royaume qui porte la robe royale, comme un temple et un instrument de lâEsprit[74]. Il entre dans une vie nouvelle, dignitĂ© dont il faut prendre conscience et chercher Ă amasser des trĂ©sors dans le ciel ; la catĂ©chĂšse baptismale de Jean Chrysostome dĂ©bouche ainsi sur les applications pratiques de la morale chrĂ©tienne : priĂšre et culte, charitĂ© et aumĂŽne, jeĂ»ne, travail des mains[75].
Ă la fin de lâannĂ©e 386, il inaugure la sĂ©rie des huit homĂ©lies Adversus Judaeos dans lesquelles il met en garde ses auditeurs contre les piĂšges de la synagogue, assimilĂ©e au thĂ©Ăątre avec tout ce quâun tel lieu suppose de dĂ©portements et dâimpiĂ©tĂ©[76] : « La synagogue est un mauvais lieu oĂč afflue tout ce qu'il y a de plus dĂ©pravĂ© ; câest un rendez-vous pour les prostituĂ©es et pour les effĂ©minĂ©s. Câest que la synagogue ne vaut pas mieux que le thĂ©Ăątre, jâen prends Ă tĂ©moin le ProphĂšte[Note 7]. Que dit le ProphĂšte ? Ton front est devenu celui dâune prostituĂ©e, tu nâas plus rougi devant personne [âŠ] Les dĂ©mons habitent et les Ăąmes mĂȘmes des juifs et les lieux dans lesquels ils se rassemblent[77]. »
En moraliste et comme pasteur dâĂąmes, saint Jean Chrysostome eut toujours Ă cĆur de soustraire la population Ă la corruption raffinĂ©e qui sâaffichait dans Antioche comme Ă Constantinople[78], et aux vanitĂ©s du cirque et du thĂ©Ăątre[79]. Les spectacles, et en particulier la pantomime, sont alors considĂ©rĂ©s comme une apostasie et un retour aux idoles. Les riches monuments qui ornaient lâHippodrome de Constantinople rappelaient en effet le paganisme : « Câest la persistance de ce symbolisme paĂŻen, bien plus encore que la frivolitĂ© de ces amusements, qui valut aux thĂ©Ăątres et aux cirques de lâempire, depuis le De Spectaculis de Tertullien, tant de diatribes des pĂšres de lâĂglise[Note 8] », Ă©crit Alfred Rambaud[80] - [81]. Parmi les nombreuses homĂ©lies constantinopolitaines de Jean Chrysostome, lâune des plus cĂ©lĂšbres est lâHomĂ©lie contre les spectacles[Note 9], prononcĂ©e le [82]. La veille de ce jour, une course de chars fut ensanglantĂ©e par un accident qui causa la mort dâun jeune homme qui fut Ă©crasĂ©. LâhomĂ©lie stigmatise violemment les spectacles scĂ©niques et ces courses de chars Ă lâhippodrome, auxquelles saint Jean Chrysostome reproche de profaner le vendredi, jour consacrĂ© au souvenir de la Croix, jour de jeĂ»ne et de priĂšre[83]. Ă la prodigieuse dissipation de temps, de main-d'Ćuvre et dâargent quâentraĂźnent le thĂ©Ăątre licencieux et la profession infĂąme de comĂ©dien ou dâhistrion â qui recevaient distinctions et largesses â, Jean Chrysostome ajoute le reproche dâimpudicitĂ©, poison qui dĂ©truit la chastetĂ©, dĂ©shonore la nature et perd les Ăąmes[84] - [85]. Les diatribes de Jean Chrysostome contre le thĂ©Ăątre licencieux, agent de corruption et de dĂ©christianisation, ont fini par ĂȘtre entendues : Arcadius fut obligĂ© de sĂ©vir. En , il publia une loi interdisant le dimanche les jeux du cirque et du thĂ©Ăątre[86]. Contrairement Ă Bossuet qui condamnera le thĂ©Ăątre sans distinction, saint Jean Chrysostome ne tombe pas dans cet excĂšs : « Je ne vais pas si loin ; quâil subsiste, pourvu que vous nây alliez pas, ce sera plus beau que de le dĂ©truire », Ă©crit-il[87] - [88].
Lettres dâexil
238 lettres de Jean Chrysostome, Ă©crites entre 404 et sa mort en 407, nous ont Ă©tĂ© conservĂ©es[Note 10] et sont considĂ©rĂ©es comme authentiques ; 17 sont adressĂ©es Ă sainte Olympias, cette grande dame devenue diaconesse de lâĂglise de Constantinople, et 221 Ă divers correspondants[89]. Jean tenait un compte soigneux de ses lettres, sans pour autant songer Ă leur publication[90]. Cette correspondance dâexil apporte un Ă©mouvant tĂ©moignage humain sur la vie de Jean Ă cette Ă©poque : ses relations avec ses amis se distendent en raison des « difficultĂ©s croissantes Ă trouver des messagers Ă partir de 405 quand les brigands isauriens se font menaçants autour de Cucuse » ; les dangers sont extrĂȘmes, et dans la lettre XV Ă©crite dâArabisse, en 406, Jean avertit Olympias de « nâenvoyer personne dans ce pays ; autrement celui que vous enverriez courrait risque dâĂȘtre Ă©gorgĂ©[91]. »
Extraits de lâĆuvre
Saint, archevĂȘque de Constantinople et docteur de l'Ăglise nĂ© Ă Antioche en Asie mineure, Jean Chrysostome est dĂ©cĂ©dĂ© en 407 prĂšs de Comana du Pont[92]'[93].
- Une pierre pour oreiller
Saint Jean Bouche d'or fait dans le texte suivant l'Ă©loge de Jacob (Gn 28, 10-11) :
« Voyons comment Jacob a fait son dĂ©part. Ce jeune homme qui avait grandi dans sa maison et n'avait jamais fait l'expĂ©rience du voyage, ni d'un sĂ©jour Ă l'Ă©tranger, ni d'une quelconque autre Ă©preuve, vois-le commencer son voyage. Cet homme qui avait eu tant de gens pour le servir â il Ă©tait simple, dit l'Ăcriture, et restait Ă la maison (Gn 25, 27) â, au moment de partir, n'eut point besoin de bĂȘtes de somme, ni de suite, ni de provisions, mais, imitant dĂ©jĂ les ApĂŽtres (Lc 9, 3), c'est ainsi qu'il se mit en route ! Et comme le soleil, est-il dit, se couchait, il s'endormit lĂ oĂč la nuit le surprit. Il prit, est-il dit, une pierre et la mit sous sa tĂȘte. Vois le courage de l'enfant : il se servit d'une pierre au lieu d'un oreiller et dormit Ă mĂȘme le sol !
ConsidÚre aussi la bonne volonté de ce juste. AprÚs tant de promesses, il besogna pendant vingt ans chez Laban sans se plaindre ni s'engourdir avec le temps qui passe, mais il supporta tout vaillamment, attendant la réalisation des promesses et sachant que les paroles de Dieu ne peuvent faillir, surtout si nous nous efforçons d'y apporter notre contribution : la foi, la patience, la confiance en l'idée que ce qui n'a jamais eu lieu, du moment que le maßtre promet, c'est comme si c'était déjà fait.
Telle est la vraie foi, elle ne fait pas attention Ă ce qui se voit, mĂȘme si c'est contraire Ă la promesse, mais elle a confiance en la puissance de celui qui a promis[94]. »
- La gloire, c'est la croix
« Lorsque nous célébrons notre maßtre commun pour toutes sortes de raisons, ne le célébrons-nous pas surtout en lui rendant gloire parce que nous sommes frappés de stupeur devant la croix, devant cette mort couverte de malédiction ? Paul à tout propos ne nous montre-t-il pas, comme le signe de son amour pour nous, sa mort ? Sa mort pour les hommes, tels qu'ils sont ? Cessant de parler du ciel, de la terre, de la mer, de toutes les autres choses que le Christ a faites pour notre utilité et notre soulagement, à tout propos il revient à la croix en disant : La preuve que Dieu nous aime, c'est que le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs (Rm 5, 8).
Pourquoi t'Ă©tonner ? Celui-lĂ mĂȘme qui a supportĂ© ces souffrances appelle le supplice sa gloire : « PĂšre, dit-il, l'heure est venue, glorifie ton Fils » (Jn 17, 1). Et le disciple qui a Ă©crit cela disait : L'Esprit Saint n'Ă©tait pas encore en eux puisque JĂ©sus n'avait pas encore Ă©tĂ© glorifiĂ© (Jn 7, 39). Ce qu'il appelle gloire, c'est la croix. Mais lorsqu'il voulut montrer son amour, de quoi parla-t-il ? De ses miracles ? de ses merveilles ? de certains prodiges ? Pas du tout. Il cite la croix en disant : « Dieu a tant aimĂ© le monde qu'il a donnĂ© son Fils unique » (Jn 3, 16). »
â Jean Chrysostome. Sur la Providence 17, 3-4, trad. Anne-Marie Malingrey, Cerf, Paris, coll. « Sources ChrĂ©tiennes » 79, 1961, p. 225-227.
Jean Chrysostome, ou « Bouche d'or », fut un des commentateurs les plus prolifiques des Ăcritures[95] ' [96].
- Les premiers avec les derniers
« Que veut signifier cette parabole ? (Mt 20, 1-16) Car son dĂ©but ne s'accorde pas Ă ce qu'on y lit Ă la fin : c'est tout le contraire qu'elle fait voir. On nous y montre tous les ouvriers recevant le mĂȘme salaire, et non pas d'un cĂŽtĂ© ceux qui sont rejetĂ©s, de l'autre ceux qui sont admis. Le Seigneur lui-mĂȘme, avant et aprĂšs la parabole dit le contraire : Les premiers seront derniers, et les derniers seront premiers (Mt 19, 30 ; cf. Mt 20, 16).
La vigne, veut-il dire, ce sont les commandements et prĂ©ceptes de Dieu ; le temps du travail, c'est la vie prĂ©sente ; les ouvriers, ce sont ceux qui sont appelĂ©s de diverses façons Ă observer les commandements ; le matin, Ă neuf heures, Ă midi, Ă trois heures et Ă cinq heures, ce sont les divers Ăąges oĂč ils entrent et sont admis. Or la question ici, c'est de savoir si les premiers, qui ont Ă©tĂ© admis brillamment et ont plu Ă Dieu, et qui ont brillĂ© aussi toute la journĂ©e par leur labeur, ne sont pas sujets Ă la derniĂšre des mauvaises passions, la jalousie !
Ă l'Ă©vidence, la parabole a Ă©tĂ© dite pour ceux qui embrassent la vertu dĂšs leur prime jeunesse et pour ceux qui le font plus tard dans leur vieillesse : pour les uns, afin qu'ils ne se montent pas la tĂȘte en s'en prenant Ă ceux de la derniĂšre heure ; pour les autres, afin qu'ils sachent qu'ils peuvent mĂȘme en peu de temps obtenir le tout. »
â Jean Chrysostome. Traduction inĂ©dite, Guillaume Bady[Note 11] pour Magnificat.
Commentaire selon saint Luc (Lc 11, 29-32) :
- « Cette génération est une génération mauvaise, elle cherche un signe. »
- Un signe suffisant
« Le Christ est le premier et le seul qui se soit ressuscitĂ© lui-mĂȘme - signe qu'il reconnaissait lui-mĂȘme comme suffisant. Car il dit : « Quand vous aurez Ă©levĂ© le Fils de l'homme, alors vous comprendrez ce que Je Suis » (Jn 8, 28). Et encore : « Cette gĂ©nĂ©ration cherche un signe, mais en fait de signe il ne lui sera donnĂ© que le signe de Jonas » (cf. Lc 11, 29).
Que veut donc dire : établi Fils de Dieu ? Désigné, nommé, jugé, reconnu par le suffrage général, par les prophÚtes, par la naissance paradoxale selon la chair, par la puissance qui est dans les signes, par l'Esprit par qui il a donné la sanctification, par la résurrection par laquelle il a détruit la tyrannie de la mort.
Afin d'amener à l'obéissance de la foi toutes les nations païennes. Paul n'a pas dit « à la recherche, à l'argumentation », mais à l'obéissance. Car nous n'avons pas été envoyés, dit-il, pour faire des raisonnements, mais pour rendre ce que nous avons reçu dans nos mains. Lorsque le Seigneur déclare quelque chose, les auditeurs n'ont pas à faire des recherches inutiles et fébriles sur les paroles, mais à les recevoir. Les ApÎtres ont été envoyés pour dire ce qu'ils ont entendu et non pour y ajouter quoi que ce soit. Et nous, nous n'avons qu'à croire. Et que croire ? à son nom. Car c'est ce nom qui accomplissait les miracles. Comme il est dit : « Au nom de Jésus Christ, lÚve-toi et marche » (Ac 3, 6). Dans ce cas, il faut la foi et nous ne pouvons rien y comprendre par les raisonnements. »
â Saint Jean Chrysostome, HomĂ©lie I sur la Lettre aux Romains, 2-3, trad. J. LegĂ©e, modifiĂ©e, dans Jean Chrysostome commente saint Paul, DDB, 1988, Les PĂšres dans la foi 35-36, p.33-34.
Liturgie
MĂȘme si elle n'est pas directement de saint Jean Chrysostome, la liturgie habituelle de l'Ăglise orthodoxe porte son nom[97].
Postérité
Reconnu officiellement comme docteur de lâĂglise au concile de ChalcĂ©doine en 451, saint Jean Chrysostome gagne en importance au fil des siĂšcles pour apparaĂźtre comme modĂšle dâexĂ©gĂšte et de prĂ©dicateur, autoritĂ© presquâabsolue en matiĂšre de foi jusquâĂ ĂȘtre qualifiĂ© de « vraie bouche dâor de lâEsprit saint[98]. » Son souvenir vit dans les arts aussi bien que dans la culture :
Albrecht DĂŒrer, vers 1497, avec La PĂ©nitence de saint Chrysostome, et Lucas Cranach l'Ancien en 1509, avec La PĂ©nitence de saint Jean Chrysostome, deux gravures sur cuivre, ont reprĂ©sentĂ© l'Ă©pisode de sa vie oĂč il fait pĂ©nitence dans le dĂ©sert[99].
Stevan StojanoviÄ Mokranjac, SergueĂŻ Rachmaninov, Piotr TchaĂŻkovski, et Arvo PĂ€rt (Litany) entre autres, ont mis en musique la liturgie de saint Jean Chrysostome. Ivan Rebroff dĂ©butait tous les rĂ©citals qu'il donnait dans des Ă©glises par un chant a cappella extrait de la liturgie de saint Jean Chrysostome.
Dans le film Le Rouge et le Noir (1954), Julien Sorel (joué par Gérard Philipe), séminariste, cite saint Jean Chrysostome.
Un quartier de la ville de Lévis (Québec) porte le nom de Saint-Jean-Chrysostome. Ce quartier compte plus de 21 000 habitants. En Russie, la ville de Zlatooust (161 000 habitants) est aussi baptisée en son honneur.
Dans Le DeuxiĂšme Sexe, Simone De Beauvoir attribue Ă Chrysostome la phrase suivante : « En toutes bĂȘtes sauvages, il ne s'en trouve pas de plus nuisante que la femme »[100] qui s'avĂšre ĂȘtre apocryphe[Note 12].
Dans le langage courant, un « saint Jean bouche d'or » est une personne qui s'exprime avec éloquence ou qui parle franchement et nettement[101]. Son éloquence et la force oratoire de sa prédication invitant à mourir pour Dieu sont les raisons pour lesquelles le poÚte Georges Brassens l'a évoqué dans la chanson « Mourir pour des idées »[102].
Ăditions modernes
Traités
- Consolation à Stagire (trad. Elisabeth Mathieu-Gauché), 2003 (thÚse)
- Exhortations à Théodore.
- Sur le sacerdoce (Dialogue et homélie) (trad. A.-M. Malingrey), (présentation en ligne)
- Apologie de la vie monastique.
- Comparaison du solitaire et du roi.
- Traité de la componction.
- Traité des cohabitations illicites.
- La Virginité (trad. Bernard Grillet, préf. Herbert Musurillo, S.J.), (présentation en ligne).
- Traités contre les secondes noces.
- Traités polémiques.
Homélies, sermons et discours
- Sur l'Ancien Testament
- Sermons sur la GenÚse (trad. du grec ancien par Laurence Brottier), Paris, CERF, coll. « Sources chrétiennes », , 410 p. (ISBN 2-204-05996-X, lire en ligne).
- Commentaire sur Job (trad. du grec ancien par Henri Sorlin), vol. 1, Paris, CERF, coll. « Sources chrétiennes », , 372 p. (ISBN 2-204-03007-4).
- Commentaire sur Job (trad. du grec ancien par Henri Sorlin), vol. 2, Paris, CERF, coll. « Sources chrétiennes », , 312 p. (ISBN 2-204-03050-3), chap. XV-XLII.
- Homélies sur Ozias (trad. du grec ancien par Jean Dumortier), Paris, CERF, coll. « Sources chrétiennes », , 256 p. (ISBN 2-204-01687-X).
- Commentaire sur IsaĂŻe, HomĂ©lies sur Ozias, David, Anne, Synopse de lâAncien Testament (trad. du grec ancien par Jean-Baptiste Jeannin), La Caverne du PĂšlerin, , 272 p. (lire en ligne)
- Sur le Nouveau Testament
- Homélies sur l'évangile de saint Matthieu, traduction par M. Jeannin, Bar-Le-Duc, 1865[103] - [104] - [105].
- Commentaires sur les Actes des ApĂŽtres, Ă©ditions ArtĂšge, 2013.
- Commentaire sur lâĂvangile selon saint Jean : Ă©dition abrĂ©gĂ©e, Ă©tablie et prĂ©sentĂ©e par Jacques de Penthos (trad. du grec ancien), Perpignan, ArtĂšge, , 499 p. (ISBN 978-2-36040-097-3).
- HomĂ©lies sur les Ă©pĂźtres de saint Paul : Lettres aux Corinthiens (prĂ©f. Ă©dition abrĂ©gĂ©e, Ă©tablie et prĂ©sentĂ©e par Jacques de Penthos), vol. 1, Paris, Ăditions François-Xavier de Guibert, coll. « Religion », , 350 p. (ISBN 978-2-7554-0322-0).
- HomĂ©lies sur les Ă©pĂźtres de saint Paul : Lettre aux Romains, Lettre aux ĂphĂ©siens (trad. du grec ancien, prĂ©f. Ă©dition abrĂ©gĂ©e, Ă©tablie et prĂ©sentĂ©e par Jacques de Penthos), vol. 2, Paris, François-Xavier de Guibert, coll. « Religion », , 286 p. (ISBN 978-2-7554-0327-5).
- Homélies sur les épßtres de saint Paul : Lettre aux Galates, Lettre aux Philippiens, Lettre aux Colossiens, Lettres aux Thessaloniciens (trad. du grec ancien, préf. édition abrégée, établie et présentée par Jacques de Penthos), vol. 3, Paris, François-Xavier de Guibert, coll. « Religion », , 264 p. (ISBN 978-2-7554-0328-2).
- Homélies sur les épßtres de saint Paul : Lettres à Timothée, Lettre à Tite, Lettre à Philémon (trad. du grec ancien, préf. édition abrégée, établie et présentée par Jacques de Penthos), vol. 4, Paris, François-Xavier de Guibert, coll. « Religion », , 274 p. (ISBN 978-2-7554-0329-9, lire en ligne).
- Commentaire sur les Actes des apĂŽtres, Saint Jean Chrysostome (prĂ©f. Ă©dition abrĂ©gĂ©e, Ă©tablie et prĂ©sentĂ©e par Jacques de Penthos), Ăditions ArtĂšge, , 337 p. (ISBN 978-2360402106).
- Sur Dieu
- Sur l'incompréhensibilité de Dieu : Homélies I-V (trad. Robert FlaceliÚre, préf. Jean Daniélou), Paris, CERF, coll. « Sources chrétiennes », , 366 p. (ISBN 2-204-06569-2).
- Sur la providence de Dieu (trad. du grec ancien par Anne-Marie Malingrey), Paris, CERF, coll. « Sources chrétiennes », , 288 p. (ISBN 2-204-06525-0).
Lettres
Un exemple particulier est la série des Lettres à Olympias :
- Jean Chrysostome, Lettres Ă Olympias, Ăditeur : Cerf, 1976, Collection : Sources chrĂ©tiennes (ISBN 978-2204036122).
- Jean Chrysostome, Consolation, Lettres à Olympias, lettres choisies, traduites du grec, préfacées et annotées par Nicolas Waquet, Paris, Bayard Culture, coll. « ComÚtes », 2020, 150 p. (ISBN 978-2-227-496767)
Notes et références
Notes
- La date de naissance est discutée.
- Voir ainsi l'« HomĂ©lie sur le retour de l'Ă©vĂȘque Flavien », sur Wikisource, prononcĂ©e en 387 pour se rĂ©jouir de voir la ville d'Antioche Ă©pargnĂ©e par l'empereur aprĂšs la rĂ©volte.
- Il prononce alors une homĂ©lie restĂ©e cĂ©lĂšbre, lâ« HomĂ©lie en faveur dâEutrope », sur Wikisource.
- Ce sermon nous a été rapporté par l'historien Socrate le Scolastique. Mais l'historiographie du XIXe siÚcle tend à le considérer comme apocryphe.
- Hiérarque a le sens grec de « prélat ».
- Méthode, Basile d'Ancyre, Athanase, Grégoire de Nysse, JérÎme, et saint Ambroise, entre autres, ont écrit un Traité de la virginité.
- Il sâagit de JĂ©rĂ©mie, III, 3.
- On en trouve chez Tatien, Clément d'Alexandrie, Cyprien, saint JérÎme, saint Basile, et saint Grégoire de Nazianze.
- Son vĂ©ritable titre est en grec ancien : Î ÏáœžÏ ÏÎżáœșÏ ÎșαÏαλΔίÏαΜÏÎ±Ï ÏᜎΜ áŒÎșÎșληÏÎŻÎ±Îœ Îșα᜶ αáœÏÎżÎŒÎżÎ»ÎźÏαΜÏÎ±Ï ÏÏáœžÏ Ïáœ°Ï áŒ±ÏÏοΎÏÎżÎŒÎŻÎ±Ï Îșα᜶ Ïᜰ ΞÎαÏÏα, et en latin : Homilia adversus eos qui ecclesia relicta ad circenses ludos et ad theatra transfugerunt , Migne, Patrologie Grecque, tome LVI, 263-270.
- La grande majoritĂ© des lettres de Jean Chrysostome est perdue, la plupart Ă©tant Ă©crites sur papyrus, support pĂ©rissable, et non sur parchemin ; en outre les incendies Ă©taient courants Ă lâĂ©poque, et ses ennemis, assez malveillants pour vouloir faire disparaĂźtre ses archives.
- Directeur de la collection « Sources Chrétiennes ».
- Il semble que S. de Beauvoir ait puisĂ© dans l'ouvrage polĂ©mique et misogyne du XVIIe siĂšcle de Jacques Olivier (pseudonyme du cordelier Alexis TroussetâŻ), Alphabet de l'Imperfection et Malice des femmes, Claude Armand dit Alphonse, (1re Ă©d. 1617) (lire en ligne), chap. N (« Naufrage de la vie »), p. 177. Celui-ci, Ă l'instar d'autres passages bibliques ou patristiques qu'il falsifie, attribue la citation Ă Chrysostome en rĂ©fĂ©rence Ă son HomĂ©lie 34 commentant le chapitre 4 de l'Ă©vangile selon Jean (Jn 4. 28-39) oĂč l'on ne trouve nulle trace d'une telle affirmation ni de rien qui s'en rapproche ; cf. Ingrid Galster, Simone de Beauvoir - Le deuxiĂšme sexe : Le livre fondateur du fĂ©minisme moderne en situation, HonorĂ© Champion, (ISBN 978-2-7453-1209-9), p. 145 et Jean Chrysostome, « HomĂ©lie XXXIV sur Jean 4, 28-39 », sur www.clerus.org, CongrĂ©gation pour le clergĂ© (consultĂ© le ).
Références
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- Commentaire de saint Jean Chrysostome sur l'Ăvangile selon Saint Matthieu. Partie II..
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Bibliographie
Ouvrages
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Articles
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- Sur lâinfluence et la postĂ©ritĂ©
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Articles connexes
Liens externes
- Ressources relatives aux beaux-arts :
- (en) British Museum
- (de + en + la) Sandrart.net
- (en) Union List of Artist Names
- Ressources relatives Ă la musique :
- Ressources relatives Ă la religion :
- (en) Catholic Hierarchy
- (en) GCatholic.org
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Saint Jean Chrysostome, Ćuvres complĂštes traduites en français (Ă©dition de Jeannin) sur le site de l'abbaye Saint-BenoĂźt de Port-Valais.
- Jean Chrysostome, Commentaire sur lâĂvangile selon saint Jean
- Jean Chrysostome, cours de patrologie de sĆur Gabriel Peters, o.s.b., site Patristique.org
- Ă©crits de saint Jean Chrysostome, informations gĂ©nĂ©rales sur les PĂšres de l'Ăglise, textes originaux, traductions, documentation pĂ©dagogique, priĂšres, mĂ©ditationsâŠ, site Patristique.org
- (el) Textes de Saint Jean Chrysostome en grec ancien sur le site Projet HomĂšre.
- Audience du pape Benoßt XVI du 19 septembre 2007 consacrée à Jean Chrysostome.
- Audience du pape Benoßt XVI du 26 septembre 2007 consacrée à Jean Chrysostome.
- (en) « St. John Chrysostom », sur newadvent.org, Catholic Encyclopedia.