Joseph et la femme de Putiphar
Joseph et la femme de Putiphar (ou Potiphar ; en hĂ©breu : ŚŚŚĄŚŁ ŚŚŚ©ŚȘ Ś€ŚŚŚŚ€Śš Yossef vĂšeshet Potiphar) est un Ă©pisode biblique du Livre de la GenĂšse, ainsi que dans le Coran Sourate 12- Yusuf (Joseph).
Joseph et la femme de Putiphar | ||||||||
Ăpisode du Livre de la GenĂšse | ||||||||
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Joseph et la femme de Putiphar, GenĂšse de Vienne (VIe siĂšcle), BibliothĂšque nationale autrichienne, Vienne | ||||||||
Localisation | GenĂšse 39 | |||||||
Parasha | Vayeshev | |||||||
Lieu(x) de lâaction | Ăgypte, la maison de Putiphar | |||||||
Personnages | Joseph, Putiphar et sa femme | |||||||
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Reprenant le cours du rĂ©cit aprĂšs avoir Ă©voquĂ© les alĂ©as de Juda, lâhistoire narre les dĂ©boires de Joseph en Ăgypte. Vendu en esclave Ă Putiphar, exĂ©cuteur en chef du roi dâĂgypte, Joseph se voit bĂ©ni par Dieu comme ses pĂšres avant lui, et monte rapidement dans la hiĂ©rarchie domestique mais il suscite le dĂ©sir de la femme de son maĂźtre. AprĂšs avoir tentĂ© de le sĂ©duire, elle le diffame en lâaccusant dâavoir voulu la violer et il se retrouve en prison.
Ce rĂ©cit, reprĂ©sentant un motif rĂ©pandu dans nombre de cultures, a en retour gĂ©nĂ©rĂ© de nombreuses Ă©laborations dans le judaĂŻsme, le christianisme et lâislam en revĂȘtant chaque fois de nouvelles formes. Il a inspirĂ© de nombreuses Ćuvres d'art.
ThĂšme
Le rĂ©cit biblique met en scĂšne Joseph (fils de Jacob), vendu comme esclave en Ăgypte, oĂč il a pour maĂźtre un officier de Pharaon nommĂ© Putiphar. Or la femme de Putiphar tente de sĂ©duire Joseph, qui repousse ses avances. Elle l'accuse alors d'avoir essayĂ© de la violer. Putiphar, qui la croit sur parole, fait incarcĂ©rer Joseph. Celui-ci restera en prison pendant deux ans, jusqu'Ă ce que Pharaon reconnaisse sa valeur et lui donne le commandement de l'Ăgypte (Gn 41:37-43). Cette intrigue semble inspirĂ©e de celle du conte cĂ©lĂšbre de l'Ăgypte antique intitulĂ© « Conte des deux frĂšres »[1], Ă savoir la femme qui essaie de sĂ©duire un homme et lui cause du tort Ă la suite de son refus, prĂ©tendant qu'il aurait essayĂ© d'avoir un rapport avec elle. Un autre Ă©lĂ©ment, la mention d'un taureau Ă©masculĂ©, est une similitude dans des interprĂ©tations rabbiniques de l'attribut de Joseph, le taureau[2].
Texte biblique
« Or, Joseph Ă©tait beau de taille et beau de figure. AprĂšs ces choses, il arriva que la femme de son maĂźtre porta les yeux sur Joseph, et dit : Couche avec moi ! Il refusa, et dit Ă la femme de son maĂźtre : Voici, mon maĂźtre ne prend avec moi connaissance de rien dans la maison, et il a remis entre mes mains tout ce qui lui appartient. Il nâest pas plus grand que moi dans cette maison, et il ne mâa rien interdit, exceptĂ© toi, parce que tu es sa femme. Comment ferais-je un aussi grand mal et pĂ©cherais-je contre Dieu ? Quoiquâelle parlĂąt tous les jours Ă Joseph, il refusa de coucher auprĂšs dâelle, dâĂȘtre avec elle. Un jour quâil Ă©tait entrĂ© dans la maison pour faire son ouvrage, et quâil nây avait lĂ aucun des gens de la maison, elle le saisit par son vĂȘtement, en disant : Couche avec moi ! Il lui laissa son vĂȘtement dans la main, et sâenfuit au-dehors. Lorsquâelle vit quâil lui avait laissĂ© son vĂȘtement dans la main, et quâil sâĂ©tait enfui dehors, elle appela les gens de sa maison, et leur dit : Voyez, il nous a amenĂ© un HĂ©breu pour se jouer de nous. Cet homme est venu vers moi pour coucher avec moi ; mais jâai criĂ© Ă haute voix. Et quand il a entendu que jâĂ©levais la voix et que je criais, il a laissĂ© son vĂȘtement Ă cĂŽtĂ© de moi et sâest enfui dehors. Et elle posa le vĂȘtement de Joseph Ă cĂŽtĂ© dâelle, jusquâĂ ce que son maĂźtre rentrĂąt Ă la maison. Alors elle lui parla ainsi : Lâesclave hĂ©breu que tu nous as amenĂ© est venu vers moi pour se jouer de moi. Et comme jâai Ă©levĂ© la voix et que jâai criĂ©, il a laissĂ© son vĂȘtement Ă cĂŽtĂ© de moi et sâest enfui dehors. AprĂšs avoir entendu les paroles de sa femme, qui lui disait : VoilĂ ce que mâa fait ton esclave ! le maĂźtre de Joseph fut enflammĂ© de colĂšre. Il prit Joseph, et le mit dans la prison, dans le lieu oĂč les prisonniers du roi Ă©taient enfermĂ©s : il fut lĂ , en prison[3]. »
Texte coranique
« [23] Or, celle qui lâavait reçu chez elle tenta de le sĂ©duire et, fermant toutes les portes, elle lui dit : «Viens ! Je suis Ă toi !» â «Dieu mâen prĂ©serve !, sâexclama Joseph. Je ne peux trahir mon maĂźtre qui mâa traitĂ© avec gĂ©nĂ©rositĂ©, car les traĂźtres ne peuvent jamais prospĂ©rer.» [24] Mais elle avait complĂštement succombĂ© Ă son charme et lui aussi lâaurait dĂ©sirĂ©e sâil nâavait pas Ă©tĂ© Ă©clairĂ© par un signe de son Seigneur. Et câest ainsi que Nous avons Ă©cartĂ© de lui le mal et la turpitude. Il Ă©tait, en effet, un de Nos serviteurs Ă©lus. [25] Tous deux se prĂ©cipitĂšrent vers la porte, et elle lui dĂ©chira sa tunique par derriĂšre. Ils trouvĂšrent le mari devant la porte, et aussitĂŽt la femme sâĂ©cria : «Quel chĂątiment mĂ©rite celui qui a voulu dĂ©shonorer ta femme, sinon la prison ou un supplice exemplaire?» [26] â «Câest elle, rĂ©pliqua Joseph, qui a voulu me sĂ©duire !» Un parent de lâĂ©pouse, qui assistait Ă la scĂšne, intervint alors en disant : «Si la tunique de Joseph est dĂ©chirĂ©e par devant, câest la femme qui dit vrai et câest Joseph qui ment. [27] Mais si la tunique est dĂ©chirĂ©e par derriĂšre, câest elle qui ment et câest Joseph qui est sincĂšre.» [28] Ayant vu que la tunique Ă©tait dĂ©chirĂ©e par derriĂšre, le mari dit : «VoilĂ bien une de vos perfidies ! Les perfidies des femmes sont vraiment redoutables ! [29] Joseph, oublie cet incident ! Et toi, femme, implore le pardon de ton pĂ©chĂ©, car tu as Ă©tĂ© vraiment fautive !» [30] Et lâon se mit Ă dire entre femmes en ville : «LâĂ©pouse du grand intendant sâest Ă©prise de son valet ; elle en est follement amoureuse, au point quâelle a perdu tout contrĂŽle sur elle-mĂȘme !» [31] Lorsquâelle eut vent de leurs mĂ©chants commĂ©rages, elle les invita chez elle Ă un banquet, et remit Ă chacune dâelles un couteau. Puis elle ordonna Ă Joseph de paraĂźtre. DĂšs quâelles lâaperçurent, elles furent Ă©merveillĂ©es au point que, dans leur trouble, elles se tailladĂšrent les mains, en sâĂ©criant : «Grand Dieu ! Ce nâest pas un ĂȘtre humain, mais câest un ange merveilleux !» [32] â «VoilĂ donc, dit-elle, celui qui mâa valu vos reproches. Jâai voulu effectivement le faire cĂ©der Ă mes dĂ©sirs, mais il a tenu Ă rester chaste. Or, sâil ne fait pas ce que je lui ordonne, il sera certainement jetĂ© en prison et connaĂźtra un sort misĂ©rable.» [33] «Seigneur, dit Joseph, je prĂ©fĂšre la prison au crime auquel me convient ces femmes ; et si Tu ne me prĂ©serves pas de leurs stratagĂšmes, je finirai par cĂ©der Ă mon penchant pour elles et sombrerai dans le paganisme.» [34] Son Seigneur lâexauça et le prĂ©serva de leurs ruses, car Il est Celui qui entend tout et sait tout. (sourate 12). »
Interprétations
La femme de Putiphar
La femme de Putiphar ne porte pas de nom dans la Bible ni dans la tradition chrétienne. En revanche, un midrash intitulé le Sefer haYashar (midrash) se fait l'écho de récits médiévaux qui lui donnent le nom de Zouleïkha.
Elle n'est pas davantage nommĂ©e dans le Coran, mais des traditions musulmanes du Moyen Ăge l'appellent Ă©galement ZouleĂŻkha. La scĂšne de sa tentative de sĂ©duction figure dans diverses miniatures persanes, notamment chez Behzad.
Ses vellĂ©itĂ©s d'adultĂšre sont habituellement expliquĂ©es par le fait que son mari pourrait ĂȘtre un eunuque, hypothĂšse reprise par Thomas Mann dans son roman Joseph en Ăgypte (1936). Dans ce troisiĂšme volet de sa tĂ©tralogie Joseph et ses frĂšres, Mann dĂ©peint la dĂ©chĂ©ance d'une Ă©pouse d'abord exemplaire puis peu Ă peu consumĂ©e par une passion morbide[4].
Iconographie
Le chapitre 39 du Livre de la GenĂšse a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par de nombreux maĂźtres de l'art chrĂ©tien, depuis au moins la GenĂšse de Vienne (premiĂšre moitiĂ© du VIe siĂšcle) jusqu'Ă La Chronique de Nuremberg (1493). Des sculptures, fresques, vitraux et enluminures relaient le thĂšme dans les cathĂ©drales de Bourges, Tours, Rouen et Chartres[5]. Dans ce dernier cas, la femme de Putiphar, sur le socle de la statue de Joseph au portail nord, tend l'oreille vers un dragon qui lui prĂȘche l'infidĂ©litĂ©.
Dans le domaine de la peinture et de la gravure, outre l'Ăcole de Fontainebleau, on peut citer Lucas van Leyden, Le Tintoret, Ludovico Cigoli, Leonello Spada, Orazio Gentileschi, Guido Reni, Battistello, Carlo Francesco Nuvolone, Murillo, Le Guerchin, Rembrandt, Artemisia Gentileschi, Francesco Solimena, Nattier, NoĂ«l HallĂ©, Fragonard, Gauguin... Certains d'entre eux ont traitĂ© Ă plusieurs reprises ce sujet, qui est l'un des classiques de l'art Ă©rotique.
Galerie
- Battistello, 1618
- Orazio Gentileschi, v. 1626-1630
- Artemisia Gentileschi (attr.), v. 1622-1640
- Guido Reni, v. 1630
- Le Guerchin, 1649
- Le Guerchin, 1649
- Carlo Francesco Nuvolone, v. 1640
- Murillo, v. 1640-1645
- Pietro Liberi, dit « Le Libertin », Musée national de Varsovie
- Rembrandt, 1655, National Gallery of Art
- Fragonard, 1760-1761
Musique
Richard Strauss a composĂ© en 1912-1914 la musique d'un ballet en un acte, La LĂ©gende de Joseph (Josephslegende, op. 63), inspirĂ© de l'histoire de Joseph et de la femme de Putiphar, sur un argument de Hofmannsthal et Harry Kessler. DestinĂ©e aux Ballets russes de Serge de Diaghilev, l'Ćuvre fut crĂ©Ă©e Ă l'OpĂ©ra de Paris le avec, non pas Nijinski dans le rĂŽle-titre, brouillĂ© avec Diaghilev, mais Leonide Massine.
Notes et références
- Gaston Maspero, Les contes populaires de l'Ăgypte ancienne, Librairie orientale et amĂ©ricaine, Guilmoto Ăditeur.
- Voir le commentaire de Rachi sur Gen 49 : 6.
- GenĂšse 39:6-20, traduction de Louis Segond (1910).
- Le Nouveau Dictionnaire des Ćuvres, Bouquins/Laffont, « Joseph ».
- « Sources iconographiques du cycle de Joseph à la cathédrale de Poitiers », par Marie-Dominique Gauthier-Walter, Cahiers de civilisation médiévale, 1991, vol. 34, n°134, p. 141-158.
Annexes
Bibliographie
- Kenneth Clark, The Nude : A Study in Ideal Form, Princeton University Press, 1984 (ISBN 0-691-01788-3)
Articles connexes
- La Femme de Putiphar, film britannique de 1931.