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Daniel de Morley

Daniel de Morley, Merlai, Merlac ou Marlach (v.1140 - v.1210), est un philosophe anglais connu pour avoir Ă©crit un traitĂ© d’astronomie et de philosophie naturelle en deux livres qu’on retrouve sous les titres de Philosophia Magistri Danielis de Merlac ou de Liber de naturis inferiorum et superiorum.

Daniel de Morley
Biographie
Naissance
DĂ©cĂšs
Vers
Morley (en)
Activité
Autres informations
Mouvement
École de traducteurs de Tolùde (en)
MaĂźtre

AprĂšs ses Ă©tudes en Angleterre, il sĂ©journe briĂšvement Ă  Paris puis se rend Ă  TolĂšde oĂč il devient l’élĂšve du traducteur GĂ©rard de CrĂ©mone. Il revient ensuite en Angleterre en rapportant plusieurs livres. En chemin, il rencontre John d’Oxford, Ă©vĂȘque de Norwich, son pĂšre spirituel. Ce dernier le questionne avec intĂ©rĂȘt sur ce qu’il a appris Ă  TolĂšde et en particulier sur l’astrologie. Ne pouvant rĂ©pondre immĂ©diatement Ă  toutes ses questions, il dĂ©cide d’écrire un ouvrage Ă  son intention. À la fin du XIIe siĂšcle, Daniel de Morley est prĂȘtre d’une petite Ă©glise de campagne Ă  Flitcham et fait partie de la regis curia, le Conseil du roi en matiĂšre lĂ©gislative.

La vie et l’Ɠuvre de Daniel de Morley s’inscrivent dans le phĂ©nomĂšne culturel que plusieurs appellent la Renaissance du XIIe siĂšcle. Cette Ă©poque se caractĂ©rise par la multiplication des Ă©coles urbaines qui conduiront Ă  la crĂ©ation des universitĂ©s, par un intĂ©rĂȘt renouvelĂ© pour les textes classiques et par une nouvelle attitude intellectuelle qui donne prĂ©sĂ©ance au raisonnement plutĂŽt qu’à l’autoritĂ© des auteurs. Certains Ă©rudits comme Daniel de Morley s’intĂ©ressent de plus en plus aux disciplines scientifiques comme l’astronomie qui ont Ă©tĂ© nĂ©gligĂ©es en Europe occidentale. Ce phĂ©nomĂšne de renaissance est accompagnĂ© et renforcĂ© par la dĂ©couverte de la culture islamique qui en plus de ses richesses donne accĂšs aux Ɠuvres oubliĂ©es des anciens philosophes grecs. La Sicile ainsi que les villes de Venise et de TolĂšde sont les principaux centres intellectuels oĂč les textes arabes et grecs sont Ă©tudiĂ©s et traduits en latin.

L’ouvrage de Daniel a survĂ©cu dans quelques manuscrits dont le plus Ă©tudiĂ© est London, British Library, Arundel 377. Des Ă©ditions complĂštes du texte original en latin ont Ă©tĂ© publiĂ©es, mais n’ont pas Ă©tĂ© traduites. L’étude philologique de ces Ă©ditions a notamment permis aux historiens d’identifier les principales sources du savoir de Daniel de Morley et d’émettre des hypothĂšses quant Ă  l’identification des livres qu'il a ramenĂ©s en Angleterre.

Daniel de Morley fut l’un des principaux instigateurs de l'introduction du savoir grĂ©co-arabe en Angleterre XIIe siĂšcle. Avec quelques-uns de ses contemporains comme GĂ©rard de CrĂ©mone, Roger de Hereford, Robert de Chester ou Alfred de Sareshel, il poursuivit les efforts d’AdĂ©lard de Bath pour le dĂ©veloppement des sciences en Europe. Il a peut-ĂȘtre aussi contribuĂ© directement Ă  la diffusion du savoir islamique et grec par les livres qu’il a rapportĂ©s de TolĂšde puisque plusieurs de ses prĂ©sumĂ©es sources se retrouvent aussi Ă  Oxford quelques annĂ©es aprĂšs son retour, lors des premiers moments de l’universitĂ© d'Oxford.

Sa vie

Comme le suggĂšre son nom, Daniel est probablement originaire de Morley dans le Norfolk. Presque tout ce qu’on connait sur sa vie est tirĂ© directement de la prĂ©face et de l’analyse philologique d’un traitĂ© d’astronomie et de philosophie naturelle qu’il a Ă©crit vers la fin du XIIe siĂšcle. Ce traitĂ© intitulĂ© Philosophia Magistri Danielis de Merlac ou de Liber de naturis inferiorum et superiorum nous est parvenu Ă  l’intĂ©rieur de quelques manuscrits produits de son vivant ou peu aprĂšs son dĂ©cĂšs[1].

Daniel serait nĂ© vers 1140 et aurait reçu son Ă©ducation Ă  Hereford et Oxford[2]. Dans la prĂ©face de son traitĂ©[3], il retrace son itinĂ©raire intellectuel qui commence par un sĂ©jour d’étude Ă  Paris vers les annĂ©es 1160 ou 1170[4]. Il est vite dĂ©goutĂ© par l’ignorance et par l’attitude pĂ©dante des clercs. Il est Ă©galement déçu par la prĂ©pondĂ©rance de l’étude du droit dans leurs Ă©coles[5]. Il entend alors que la doctrine des Arabes, presque entiĂšrement consacrĂ©e aux sciences du quadrivium, est trĂšs Ă©tudiĂ©e et enseignĂ©e Ă  TolĂšde. Il dĂ©cide donc de s’y rendre au plus vite afin de pouvoir « entendre les philosophes les plus sages du monde »[6].

Daniel s’installe ainsi Ă  TolĂšde et devient un Ă©lĂšve immĂ©diat de GĂ©rard de CrĂ©mone[7]. Leurs Ă©changes intellectuels sont directement attestĂ©s dans l’ouvrage de Daniel par la rĂ©fĂ©rence Ă  un dĂ©bat animĂ© Ă  propos de l’influence des Ă©toiles sur les affaires humaines[8]. On ne connait pas la durĂ©e de son sĂ©jour Ă  TolĂšde, mais il est reparti avant 1184 selon la trace d’une dette qu’il aurait contractĂ©e en Angleterre avant cette date[9].

Il Ă©crit ĂȘtre revenu en Angleterre Ă  la demande de ses amis en rapportant une « multitude de livres prĂ©cieux ». Sa premiĂšre rĂ©action en est une de dĂ©ception en constatant que les arts libĂ©raux se limitent chez lui comme Ă  Paris aux sciences du droit, et qu’Aristote et Platon sont tombĂ©s dans l’oubli. Mais il apprend que ce n’est pas le cas Ă  Northampton et dĂ©cide de s’y rendre, craignant sinon de devenir l’unique Grec parmi les Romains[6].

En route vers Northampton, il rencontre John d’Oxford, Ă©vĂȘque de Norwich, qu’il nous prĂ©sente comme son seigneur et son pĂšre spirituel. Ce dernier l’accueille chaleureusement et se montre trĂšs intĂ©ressĂ© par les connaissances acquises Ă  TolĂšde. La derniĂšre question de John sur le mouvement des astres les amĂšne Ă  parler de l’astrologie. John mentionne alors que « certaines choses sur cette terre semblent ĂȘtre subordonnĂ©es Ă  leurs supĂ©rieurs, comme sous un lien de rĂ©alitĂ© »[6]. N’ayant pas le temps de rĂ©pondre Ă  toutes les questions de John, Daniel dĂ©cide d’écrire Ă  son intention un ouvrage en deux livres; le premier portera sur la partie infĂ©rieure de l’univers, soit le monde terrestre, et le second sur la partie supĂ©rieure, c’est-Ă -dire le monde des astres[6].

Rien n’indique dans la prĂ©face ou ailleurs que Daniel se soit rendu Ă  Northampton. Mais il est fort possible qu’il soit passĂ© par Oxford qui se trouve sur le chemin. Deux faits militent d’ailleurs en faveur de cette hypothĂšse. D’une part, on sait que John a rĂ©sidĂ© Ă  Oxford au moins deux fois pendant qu’il Ă©tait Ă©vĂȘque de Norwich. D’autre part, on sait que certains des manuscrits qui font partie des sources les plus importantes de Daniel, et qui par consĂ©quent font peut-ĂȘtre partie des livres qu’il a ramenĂ©s de TolĂšde, Ă©taient connus Ă  Oxford Ă  cette Ă©poque qui correspond Ă  celle des dĂ©buts de l’universitĂ©[10].

Quelques informations supplĂ©mentaires sur la vie de Daniel de Morley proviennent d’autres sources historiques[9]. En 1198, il apparait dans une liste de membres de la curia regis c’est-Ă -dire du conseil du roi en matiĂšre lĂ©gislative. L’annĂ©e suivante, il y est inscrit avec la mention indiquant qu’il est prĂȘtre Ă  Flitcham, dans le Norfolk. On trouve aussi sa trace en 1205 alors qu’il occupe la mĂȘme fonction ecclĂ©siastique au mĂȘme endroit[9]. On ne connait pas la date de son dĂ©cĂšs.

Contexte historique

La vie et l’Ɠuvre de Daniel de Morley s’inscrivent dans le phĂ©nomĂšne culturel et intellectuel que certains historiens appellent la Renaissance du XIIe siĂšcle. Cette idĂ©e de renaissance est nĂ©e au XIXe siĂšcle et a Ă©tĂ© popularisĂ©e par un ouvrage de Charles Homer Haskins publiĂ© en 1927[11]. Du point de vue culturel, le XIIe siĂšcle se caractĂ©rise par la multiplication des Ă©coles urbaines[12], par une redĂ©couverte ou un intĂ©rĂȘt renouvelĂ© pour les textes latins classiques, et surtout par la dĂ©couverte des Ɠuvres classiques des anciens philosophes grecs et de la culture islamique. À la fin du siĂšcle, naĂźtront aussi les premiĂšres universitĂ©s Ă  Bologne, Paris et Oxford.

La multiplication des Ă©coles s’accompagne de nouvelles mĂ©thodes d’étude basĂ©es sur une utilisation accrue de la dialectique, l’un des 7 arts libĂ©raux qui avec la grammaire et la rhĂ©torique constituent le trivium. Les intellectuels sont amenĂ©s Ă  dĂ©velopper une nouvelle attitude dans l’étude des textes qui donne la prĂ©sĂ©ance Ă  la raison plutĂŽt qu’à l’autoritĂ© de l’auteur. Ce sera un premier pas vers le dĂ©veloppement d’une pensĂ©e vĂ©ritablement originale. Cette attitude est sĂ»rement renforcĂ©e par le contact avec la culture islamique. Dans Quaestiones Natural, par exemple, AdĂ©lard de Bath associe l’autoritĂ© Ă  un licou qui permet aux auteurs de nous diriger comme des bĂȘtes, et Ă©crit avoir appris des Arabes qu’il vaut mieux se laisser diriger par la raison[13].

En mĂȘme temps, l’intĂ©rĂȘt s’accroit pour les quatre disciplines des arts libĂ©raux qui forment le quadrivium, soit l’arithmĂ©tique, la gĂ©omĂ©trie, l’astronomie et la musique. Ces disciplines qui forment la base de ce qu’on appelle aujourd’hui les sciences continuent cependant d’ĂȘtre passablement nĂ©gligĂ©es par la plupart des intellectuels europĂ©ens. L’historien AndrĂ© Vauchez Ă©crit par exemple que « seuls quelques esprits curieux comme les Anglais AdĂ©lard de Bath ou Daniel de Morley manifestĂšrent un intĂ©rĂȘt particulier pour les sciences »[14]. Daniel n’est pas le seul Ă  suivre les traces d’AdĂ©lard de Bath. On peut ajouter GĂ©rard de CrĂ©mone, Roger de Hereford, Robert de Chester ou Alfred de Sareshel, par exemple, mais il est un des premiers[15]. Encore ici, le contact avec la culture islamique y est pour beaucoup puisque les Arabes cultivaient ce genre de savoir, comme Daniel le reconnait dans sa prĂ©face, et que c’est prĂ©cisĂ©ment par l’étude de leurs ouvrages que toutes ces personnes se sont initiĂ©es aux sciences.

Au XIIe siĂšcle, la Sicile ainsi que les villes de Venise et de TolĂšde sont les principaux lieux d’origine de la diffusion de la culture islamique et de celle des anciens Grecs. Dans la seconde moitiĂ© du XIIe siĂšcle, TolĂšde est dĂ©jĂ  cĂ©lĂšbre, comme en tĂ©moigne la prĂ©face de Daniel, comme un centre intellectuel de tout premier ordre et le principal centre de traduction d’ouvrages arabes en latin[16]. Les chrĂ©tiens ont repris la ville aux musulmans en 1085, soit presque 100 ans auparavant, mais l’arabe continue d’ĂȘtre compris et parlĂ© par plusieurs chrĂ©tiens, notamment par ceux qu’on appelle Mozarabes. L’un des traducteurs les plus prolifiques Ă  TolĂšde est GĂ©rard de CrĂ©mone. Il a en effet traduit plus de 70 Ɠuvres dans diverses disciplines comme les mathĂ©matiques, la mĂ©decine, la philosophie[17]. Il a notamment traduit de l’arabe l’Almageste de PtolĂ©mĂ©e et plusieurs Ɠuvres d’Aristote. Ces textes d’Aristote sur les sciences naturelles et la mĂ©decine sont alors nouveaux dans le monde latin[18]. Les intellectuels sont attirĂ©s Ă  TolĂšde pour l’accĂšs non seulement aux Ɠuvres des Arabes, mais aussi Ă  ceux des auteurs grecs qui ont Ă©tĂ© traduits en arabe. Les Anglais comme Daniel de Morley y sont d’ailleurs particuliĂšrement bien accueillis depuis le mariage en 1170 d’AliĂ©nor d'Angleterre, la fille d’Henri II et d’AliĂ©nor d'Aquitaine, avec Alphonse VIII, le roi de Castille et de TolĂšde.

Son Ɠuvre

Manuscrits

PremiÚre page du traité de Daniel de Morley, manuscrit London, British Library, Arundel 377, f. 88r.

L’ouvrage de Daniel de Morley a survĂ©cu et nous est parvenu dans son entier Ă  l’intĂ©rieur de quatre manuscrits et en partie dans un cinquiĂšme[19]. Le manuscrit London, British Library, Arundel 377 est celui qui a Ă©tĂ© le plus utilisĂ© pour l’étude du traitĂ©[20]. Il a Ă©tĂ© produit entre le dernier quart du XIIe siĂšcle et le premier quart du XIIIe siĂšcle et provient d’Ely, une petite ville Ă©piscopale situĂ©e tout prĂšs de Cambridge. Le traitĂ© de Daniel de Morley est long de 32 pages, entre les feuillets 88 recto et 103 verso, et est intitulĂ© Philosophia magistri Danielis de Merlai ad Johannem Norwicensem episcopum. Les manuscrits du Moyen Âge contiennent souvent plus qu’une Ɠuvre. Dans celui-ci, on trouve des textes astrologiques, un calendrier des saints, ainsi que les traitĂ©s suivants[21]:

Le manuscrit Berlin, SB, lat. Q. 387 est aussi une source importante pour l’étude du traitĂ© de Daniel de Morley puisqu’il a Ă©tĂ© utilisĂ© pour prĂ©ciser certaines parties du contenu du manuscrit Arundel 377[22]. Il date du XIIe siĂšcle et la prĂ©sence de nombreuses notes de copistes indique qu’il n’a pas Ă©tĂ© Ă©crit directement par Daniel ni copiĂ© Ă  partir de l’original. Son existence suggĂšre de plus que le traitĂ© de Daniel a connu Ă  l’origine une rapide diffusion[23].

Dans le manuscrit Oxford, Corpus Christi College, 95 le traitĂ© de Daniel est faussement attribuĂ© Ă  Guillaume de Conches[23]. Le manuscrit Cambridge, University Library, Kk.I.1 contient le traitĂ© en entier alors que le manuscrit Oxford, Oriel College, 7 ne contient que des extraits. On trouve par ailleurs des extraits dans un cahier de notes de Brian Twyne, un antiquaire d’Oxford du XVIIe siĂšcle[24].

Éditions

Le traitĂ© de Daniel est mentionnĂ© dans la littĂ©rature scientifique moderne dĂšs 1838 dans un ouvrage de Charles Jourdain sur la philosophie naturelle au XIIe siĂšcle[23]. Mais c’est Ă  partir du moment oĂč le traitĂ© est Ă©ditĂ© que les Ă©tudes du document se font plus nombreuses. Une Ă©dition partielle est d'abord publiĂ©e en 1874[25] puis une complĂšte en 1918[26]. Cette Ă©dition est basĂ©e sur le manuscrit Arundel 377, mais dĂšs l’annĂ©e suivante, des prĂ©cisions et corrections basĂ©es sur le manuscrit de Berlin sont publiĂ©es dans la mĂȘme revue[22]. La derniĂšre Ă©dition date de 1979. Le texte est dĂ©coupĂ© en sections et paragraphes, et des sous-titres identifient clairement le sujet de chacune des sections. Les noms des auteurs citĂ©s par Daniel sont de plus imprimĂ©s en majuscules pour faciliter leur repĂ©rage[27]. Le contenu de l’ouvrage de Daniel se prĂ©sente ainsi :

Liber primusLiber alter
PrefatioPrefatio
1. De homine1. De creatione celi et terre
2. De creatione mundi2. De immutabilitate celi
3. De Yle3. Difinitio celi
4. De elementorum primaria ordinatione4. De celi pondere, luciditate, simplicitate
5. De mundi principio5. De celi motu et forma
6. De compositione mundi6. De natura stellarum
7. De dispositione elementorum7. Quod stelle non sint calide
8. De qualitatibus elementorum8. De stellarum coloribus
9. De motu elementorum9. De virtute planetarum
10. Digressio de calumniatoribus astronomie
11. De circulis celestibus
12. De retrogradatione
13. De signis
14. De signorum virtutibus

Sources de Daniel de Morley

Daniel rĂ©fĂšre Ă  15 ouvrages originaux d’auteurs arabes ou grecs. Parmi eux 4 ont Ă©tĂ© traduits en latin par GĂ©rard de CrĂ©mone et il est apparent que les citations de Daniel proviennent de ces versions[28]. Les principales sources arabes sont :

Du premier de ces traitĂ©s, qui a Ă©tĂ© traduit par Jean de SĂ©ville, il tire l’astronomie ptolĂ©mĂ©enne[30]. De celui d’Al-FĂąrĂąbĂź, il tire sa division de l’astronomie en sous-domaines. Il emprunte notamment 7 des 8 domaines de la science proposĂ©s par l’auteur arabe. Ces 7 domaines sont la science des jugements, la science de la mĂ©decine, la science de la nĂ©cromancie selon les mĂ©decins (secundum phisicam), la science de l’agriculture, la science l’alchimie, la science des images et la science des miroirs[31]. Pour le huitiĂšme, Daniel remplace la navigation par la science des illusions magiques (scientia de prestigiis)[32].

L’auteur arabe le plus important pour Daniel semble ĂȘtre Abou Ma'shar puisqu’il cite son ouvrage au moins douze fois[33]. Il tire son astrologie d’une version abrĂ©gĂ©e du Maius introductorium traduite par AdĂ©lard de Bath et de la traduction d’Herman le Dalmate du Maius introductorium[30] plutĂŽt que de la traduction produite par son maĂźtre GĂ©rard de CrĂ©mone[34]. De la science islamique, il utilise aussi le traitĂ© d’AdĂ©lard de Bath, De opere astrolapsus pour expliquer et illustrer le mouvement des planĂštes[35].

Daniel cite 4 Ă©crits d’Aristote, soit Physica, De generatione et corruptione, De coelo et mundo, De sensu et sensato[18]. Il semble s’ĂȘtre servi de traductions de GĂ©rard de CrĂ©mone[28], mais pas exclusivement puisque plusieurs de ses citations d’Aristote viennent d’Avicenne[8]. Il a pu Ă©galement avoir accĂšs Ă  des versions grĂ©co-latines provenant de l’Italie[36]. Daniel cite l’Almageste de PtolĂ©mĂ©e, le traitĂ© d’astronomie le plus important que GĂ©rard ait traduit, mais il ne semble pas trĂšs bien connaitre cet ouvrage. Il se limite en effet Ă  des citations vagues ou Ă  des citations provenant d’autres ouvrages comme celui d’Abou Ma'shar[37]. Parmi les Ɠuvres grecques, la traduction de Chalcidius du TimĂ©e de Platon est une des sources importantes de Daniel et teinte la partie philosophique de son traitĂ©[38]. Dans ce domaine, l’influence de l’École de Chartres est aussi visible dans l’ouvrage[39].

Du cĂŽtĂ© des auteurs latins, Firmicus Maternus est la principale source de Daniel pour l’astrologie[38]. Il mentionne notamment un dĂ©bat animĂ© avec GĂ©rard sur l’influence des astres dans les affaires humaines, dans lequel ce dernier a recours Ă  Firmicus pour rĂ©futer une attaque de GrĂ©goire le Grand contre les astrologues[40]. Il cite Ă©galement Martianus Capella, mais seulement pour rejeter les erreurs qu’il fait Ă  son point de vue, comme presque tous les autres latins, sur le mouvement des planĂštes[39].

L’influence d’AdĂ©lard de Bath est manifeste Ă  plusieurs Ă©gards. Daniel copie des passages entiers de De opere astrolapsus et de la traduction du traitĂ© abrĂ©gĂ© de Abou Ma'shar[29]. Par ailleurs, la façon dont il parle de son itinĂ©raire intellectuel rappelle celle d’AdĂ©lard parti pendant sept ans vers la fin du XIe siĂšcle pour apprendre des Arabes[29]. Comme AdĂ©lard il formule l’idĂ©e d’avoir Ă©crit en latin ce qu’il avait appris des Arabes parce qu’on ne doit pas ĂȘtre ignorant de la composition du monde dans lequel on habite[41].

Impacts de Daniel de Morley

L’ouvrage de Daniel a peut-ĂȘtre connu une certaine diffusion Ă  l’origine, mais on ne trouve pas d’auteurs qui l’aient citĂ© par la suite. Cela s’explique peut-ĂȘtre par le fait que le contenu n’est pas vĂ©ritablement original et qu’il paraĂźt alors que les Ɠuvres sur lesquelles il est basĂ© commencent dĂ©jĂ  Ă  ĂȘtre connues[42]. Vers la fin du XIIe siĂšcle, l’Europe est en effet inondĂ©e de traductions latines des auteurs arabes et grecs[43].

La partie de son contenu qui concerne l’astrologie a peut-ĂȘtre suscitĂ© la controverse. Au XIIe siĂšcle, il Ă©tait naturel de chercher Ă  Ă©tendre la portĂ©e des lois rĂ©gissant le ciel et le mouvement des astres pour expliquer les phĂ©nomĂšnes terrestres et humains[44]. On cherchait par exemple Ă  Ă©tablir un parallĂšle entre le microcosme (le monde intĂ©rieur, l’homme) et le macrocosme (le monde extĂ©rieur, l’univers). On pouvait ainsi chercher des relations entre les 4 Ă©lĂ©ments qui composent le monde physique et les 4 humeurs qui composent le corps humain, et mĂȘme avec certaines qualitĂ©s intĂ©rieures comme la passion, la curiositĂ© ou la cruautĂ©[44]. L’astrologie pouvait donc dans ce contexte ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une science lĂ©gitime[45]. Mais ce n’était gĂ©nĂ©ralement pas l’avis de l’Église pour qui l’astrologie faisait partie des arts magiques et Ă©tait considĂ©rĂ©e comme reliĂ©e Ă  l’intervention ou Ă  la suggestion dĂ©moniaque[46]. Ces nouvelles connaissances devaient ĂȘtre condamnĂ©es selon des moines comme Hugues de Saint-Victor[47].

Avec son traitĂ©, Daniel a sĂ»rement eu une influence sur ses contemporains. Avec une poignĂ©e de personnes, il fait partie des tout premiers intellectuels Ă  participer au dĂ©veloppement du mouvement scolastique en Angleterre aprĂšs AdĂ©lard de Bath[15]. Sa contribution arrive au moment oĂč en plus de la science arabe, les Ɠuvres d’Aristote se rĂ©pandent en Angleterre[48]. Son ouvrage est ainsi un des premiers en Angleterre Ă  promouvoir la pensĂ©e aristotĂ©licienne en philosophie naturelle[49]. Dans le domaine de la philosophie, il a peut-ĂȘtre aussi contribuĂ© Ă  propager la pensĂ©e platonicienne et la tradition de l’École de Chartres[50].

Daniel de Morley a peut-ĂȘtre eu un impact additionnel par les livres qu’il a ramenĂ©s de TolĂšde. L’analyse de son traitĂ© permet d’émettre quelques hypothĂšses Ă  cet effet puisqu’il a Ă©tĂ© Ă©crit aprĂšs son retour en Angleterre. Parmi ces livres il y aurait la traduction d’Hermann du livre d’Abou Ma'shar[34], le De coelo et mundo d’Aristote et peut-ĂȘtre d’autres traductions de GĂ©rard de CrĂ©mone[37].

Bibliographie

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Liens externes

Notes et références

  1. Pollard 1894, p. 74.
  2. Russell 1932, p. 23.
  3. Une traduction française de la préface a été publiée dans Le Goff 2014, p. 23-24. Une traduction anglaise a également été publiée dans Burnett 1997, p. 61-62.
  4. Hunt 1936, p. 24; Burnett 1997, p. 68.
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  6. Burnett 1997, p. 61-62.
  7. Birkenmajer 1970, p. 698.
  8. Hunt 1936, p. 24.
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