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Trace (algĂšbre)

En algĂšbre linĂ©aire, la trace d'une matrice carrĂ©e A est dĂ©finie comme la somme de ses coefficients diagonaux et souvent[1] notĂ©e Tr(A). La trace peut ĂȘtre vue comme une forme linĂ©aire sur l'espace vectoriel des matrices. Elle vĂ©rifie l'identitĂ© : Tr(AB) = Tr(BA), et est en consĂ©quence invariante par similitude.

De façon voisine, si u est un endomorphisme d'un espace vectoriel de dimension finie sur un corps commutatif K, on peut définir la trace de l'opérateur u, par exemple comme trace de sa matrice dans n'importe quelle base.

Plus généralement, sur une algÚbre A, une trace est une forme linéaire λ telle que λ(ab) = λ(ba). Cette définition se rencontre en particulier dans l'étude des algÚbres de von Neumann, qui sont des algÚbres d'opérateurs sur des espaces de Hilbert.

Exemples d'applications

DĂ©finitions

Trace d'une matrice carrée

Étant donnĂ© une matrice carrĂ©e

à coefficients dans un corps commutatif K (ou seulement dans un anneau commutatif), sa trace, notée Tr(A), est le scalaire somme des coefficients de sa diagonale principale[2] :

.

Pour toutes matrices carrĂ©es A et B (de mĂȘme ordre) et pour tout scalaire α∊K, les propriĂ©tĂ©s suivantes sont vĂ©rifiĂ©es :

oĂč AT dĂ©signe la transposĂ©e de A.

Autrement dit, la trace est une forme linĂ©aire sur l'espace vectoriel[3] ℳn(K) des matrices carrĂ©es d'ordre n, invariante par transposition.

L'application Tr Ă©tant une forme linĂ©aire, son noyau est un hyperplan de ℳn(K).

Si maintenant A et B sont des matrices (n, m) et (m, n) (non nécessairement carrées, mais fournissant des matrices carrées par multiplication), on a l'identité[4] :

L'Ă©galitĂ© prĂ©cĂ©dente a pour consĂ©quence l'identitĂ© suivante, valable pour toute matrice carrĂ©e A et pour toute matrice inversible P de mĂȘme ordre[5] :

Autrement dit, la trace est un « invariant de similitude » pour les matrices carrĂ©es d'ordre donnĂ©, c'est-Ă -dire que deux matrices semblables ont mĂȘme trace, ce qui n'a rien de surprenant si l'on connaĂźt le lien entre la trace et le polynĂŽme caractĂ©ristique (voir infra) et l'invariance par similitude de ce dernier.

On peut montrer par une preuve assez brĂšve, faisant intervenir les unitĂ©s matricielles (en) (c.-Ă -d. les matrices de la base canonique de ℳn(K), qui sont les matrices dont un seul coefficient vaut 1 et tous les autres 0) qu'une forme linĂ©aire sur l'espace ℳn(K) invariante par similitude est nĂ©cessairement proportionnelle Ă  la trace[6] - [7].

En particulier
Applications
La trace du tenseur des contraintes T est un invariant. La pression isostatique vaut le tiers de la trace :
.

Trace d'un endomorphisme

Si la trace d'une matrice carrĂ©e peut ĂȘtre dĂ©finie sans technicitĂ© particuliĂšre sur n'importe quel anneau commutatif, il n'en est pas de mĂȘme pour la trace d'un endomorphisme. En utilisant une reprĂ©sentation matricielle, c'est faisable Ă  assez peu de frais pour un endomorphisme d'espace vectoriel ; une construction plus abstraite, utilisant l'algĂšbre tensorielle, permet d'Ă©tendre le concept Ă  certains endomorphismes de module — mais pas tous.

Dans un espace vectoriel

Si E est un espace vectoriel de dimension finie n, la trace d'un endomorphisme , notĂ©e , est dĂ©finie comme la trace de la matrice de u dans une base prĂ©alablement fixĂ©e de E[8]. Cette dĂ©finition ne dĂ©pend pas du choix arbitraire de car si est une autre base, la « formule de changement de base » montre que les matrices de u respectivement dans et sont semblables donc (cf. supra) ont mĂȘme trace.

Les propriétés suivantes sont vérifiées pour tous les endomorphismes , tout scalaire et tout w ∈ GL(E) (c'est-à-dire que w est un automorphisme de E)

Autrement dit : la trace est une forme linéaire sur l'espace vectoriel , invariante par conjugaison.

De plus, , oĂč dĂ©signe l'application transposĂ©e de u.

Dans un module

En utilisant la contraction tensorielle, il est possible d'Ă©tendre le concept de trace aux endomorphismes des modules projectifs de type fini[9].

Trace d'une forme quadratique

Soit (E,g) un espace euclidien. On définit une bijection (détaillée dans la section Forme bilinéaire symétrique (resp. forme hermitienne) associée de l'article Opérateur autoadjoint) entre les formes quadratiques q sur E, et les opérateurs symétriques A sur (E,g) par :

.

La trace de A est appelée trace de la forme quadratique q par rapport à g[10].

Exemples

Soit E un K-espace vectoriel de dimension finie n.

  • La trace de l'identitĂ© Id est :
  • La trace d'une transvection est aussi dim E.
  • La trace d'un projecteur vĂ©rifie Tr(p) = rg(p) 1K, oĂč rg(p) est le rang de p[11].
  • Pour deux endomorphismes u et v de E, on pose [u,v]=uv-vu (on l'appelle le commutateur de u et v). La trace de [u,v] est nulle : c'est une autre façon d'exprimer l'identitĂ© fondamentale Tr(uv)=Tr(vu).

Dans les espaces euclidiens :

  • La trace d'une rotation de ℝ2 d'angle Ξ est donnĂ©e par Tr(RΞ) = 2 cos Ξ.
  • De mĂȘme, la trace d'une rotation d'axe Δ et d'angle Ξ dans l'espace Ă  3 dimensions est donnĂ©e par Tr(RΔ , Ξ) = 1 + 2 cos Ξ.

Pour des matrices :

  • Toute permutation (oĂč reprĂ©sente le groupe symĂ©trique d'ordre n) est reprĂ©sentĂ©e par une matrice carrĂ©e d'ordre n, dĂ©finie par :
    La trace de la matrice Mσ s'interprĂšte alors comme le nombre de points fixes de la permutation σ :
  • La trace de la matrice d'adjacence d'un graphe est nulle (si un sommet ne boucle pas sur lui-mĂȘme).

Trace, polynÎme caractéristique et valeurs propres

Soit A une matrice carrée d'ordre n à coefficients dans un anneau commutatif.

On note pA(X) son polynÎme caractéristique et ci le coefficient de Xi dans pA(X). En d'autres termes on pose

,

oĂč In dĂ©signe la matrice identitĂ© d'ordre n. Alors,

.

Trace et polynÎme caractéristique

On démontre l'égalité ci-dessus et, si

(oĂč les λi appartiennent Ă  un anneau commutatif contenant les coefficients de A), l'Ă©galitĂ© suivante :

.

Trace d'un polynĂŽme de matrice

Soit q un polynÎme (à coefficients dans un anneau commutatif contenant les λi ci-dessus et les coefficients de A). Alors :

.

En particularisant la formule précédente au monÎme q = Xk, on obtient :

.

En caractĂ©ristique nulle, les polynĂŽmes symĂ©triques Ă©lĂ©mentaires peuvent ĂȘtre reconstituĂ©s polynomialement Ă  partir des sommes de Newton, via les identitĂ©s de Newton. De ce fait, il existe des formules polynomiales universelles permettant d'exprimer les coefficients du polynĂŽme caractĂ©ristique d'une matrice (n,n) en fonction des traces de ses puissances (et mĂȘme des puissances d'exposant infĂ©rieur ou Ă©gal Ă  n). Pour en donner un exemple :

En voici une application[14] : si A est une matrice (n,n) à coefficients dans un corps de caractéristique nulle et vérifie : , alors A est nilpotente.

Applications

Divergence

Étant donnĂ© un espace vectoriel rĂ©el E de dimension finie, le dĂ©terminant dĂ©finit une application det de l'espace des opĂ©rateurs sur E vers R, qui est homogĂšne de degrĂ© n. Le nombre det(u) s'exprime comme une fonction polynomiale en les coefficients de la matrice reprĂ©sentant u dans une base quelconque de E. La fonction det est donc diffĂ©rentiable. Sa diffĂ©rentielle en l'identitĂ© est la trace. Autrement dit, pour tout opĂ©rateur u sur E,

oĂč o(u) signifie que le reste est nĂ©gligeable devant u quand u tend vers zĂ©ro. Comme consĂ©quence, pour tout opĂ©rateur u sur E,

.

En particulier, l'exponentielle de u est de déterminant 1 si et seulement si u est un opérateur de trace nulle. Ce résultat s'interprÚte dans la théorie des groupes de Lie comme suit. L'application det est un morphisme continu de groupes, du groupe linéaire GL(E) vers R. Son noyau, l'ensemble des opérateurs de déterminant 1, donc est un sous-groupe de GL(E), noté SL(E). Il s'agit d'un groupe de Lie classique, c'est-à-dire d'un sous-groupe fermé de GL(E). Géométriquement, un opérateur appartient à SL(E) si et seulement s'il préserve le volume de Lebesgue de E. Son algÚbre de Lie est exactement l'ensemble des opérateurs u de trace nulle, noté .

Sur un ouvert U de E, un champ de vecteurs X est une application . Si cette application est lipschitzienne, le théorÚme de Cauchy-Lipschitz affirme l'existence de solutions maximales de l'équation différentielle ordinaire

(1).

Le flot de X est la famille de diffĂ©omorphismes ft qui envoient x sur c(t), oĂč c est la solution de (1) avec comme condition initiale c(0)=x. Le flot est dĂ©fini localement. On introduit la divergence de X

oĂč dX(x) dĂ©signe la diffĂ©rentielle de X en x, qui est un opĂ©rateur sur E. Le flot ft prĂ©serve le volume de Lebesgue ssi la divergence est nulle. Plus prĂ©cisĂ©ment, pour tout ouvert dont l'adhĂ©rence est incluse dans U,

.

(Cette égalité permet d'étendre la définition de la divergence, par exemple sur des variétés orientées en présence de formes volumes.)

Forme de Killing

Si est une algÚbre de Lie sur un corps K, la représentation adjointe de , notée ad, est donnée par

.

La forme de Killing sur est la forme bilinéaire symétrique

.

Les automorphismes de l'algĂšbre de Lie prĂ©servent la forme de Killing. En particulier, sa reprĂ©sentation adjointe prĂ©serve B. La forme de Killing a Ă©tĂ© introduite par Élie Cartan[15] pour caractĂ©riser la semi-simplicitĂ© des algĂšbres de Lie. Quand K=R, elle fournit aussi des informations sur le groupe de Lie associĂ©. Voir critĂšre de Cartan (en).

Soit G un groupe de Lie (par exemple, un sous-groupe fermé de GL(E)). Par définition, son algÚbre de Lie est l'espace des champs de vecteurs sur G invariants à gauche, muni du crochet de Lie [,] (commutateur de champs de vecteurs). La forme de Killing associée B définit une métrique pseudo-riemannienne bi-invariante sur G. Si la forme de Killing B est définie positive, alors la métrique associée est une métrique riemannienne à courbure positive. Le théorÚme de Meyers implique que G est compact. D'autres liens existent.

Produit scalaire canonique

Soit et deux matrices dans . On remarque que

On dispose ainsi d'une écriture agréable du produit scalaire canonique sur l'espace .

Si H est un espace euclidien ou hermitien, l'opérateur adjoint d'un opérateur u sur H est un opérateur sur H. On définit alors le produit scalaire suivant sur l'espace des opérateurs sur H :

.

Avec cette définition, il apparait clairement que les opérateurs autoadjoints et les opérateurs antiautoadjoints forment deux sous-espaces orthogonaux de . L'adjonction est la symétrie orthogonale par rapport à l'espace des opérateurs autoadjoints.

Laplacien

Soit U un ouvert de l'espace vectoriel réel contenant 0, et soit de classe C2. La hessienne H de f en 0 est une forme bilinéaire symétrique sur E, vérifiant

.

Par définition, le laplacien de f en 0 est la trace de la hessienne :

Les fonctions de classe C2 de laplacien nul sont dites harmoniques. Nécessairement analytiques, ces fonctions interviennent notamment en analyse complexe et en analyse fonctionnelle. En particulier, les fonctions de laplacien nul sont les solutions du problÚme de Dirichlet qui est la recherche des extrémales de l'énergie de Dirichlet.

Par ailleurs, la dĂ©finition du Laplacien se gĂ©nĂ©ralise en gĂ©omĂ©trie diffĂ©rentielle pour des fonctions sur des variĂ©tĂ©s riemanniennes (opĂ©rateur de Laplace-Beltrami), mais aussi pour des objets plus gĂ©nĂ©raux comme les formes diffĂ©rentielles. Y compris dans ce cadre plus gĂ©nĂ©ral, la dĂ©finition peut ĂȘtre donnĂ©e par des traces de formes bilinĂ©aires. Les formes de laplacien nul sont appelĂ©es harmoniques, et la thĂ©orie de Hodge en montre l'importance.

Termes de courbure

Étant donnĂ© une surface orientĂ©e lisse S de l'espace euclidien , la courbure moyenne de S en x est la moyenne des deux courbures principales de S en x. Formellement, ces courbures sont les valeurs propres d'une forme quadratique sur le plan tangent TxS, appelĂ©e la seconde forme fondamentale de S en x, notĂ©e IIx. La courbure moyenne de S en x est

.

La définition de la courbure moyenne s'étend aux sous-variétés lisses N des variétés riemanniennes. Sa valeur en x n'est plus un scalaire mais un vecteur orthogonal à TxN, qui se définit encore au moyen de traces. Les sous-variétés de courbure moyenne nulle sont appelées minimales et sont les extrémales du volume riemannien.

Opérateurs à trace

Soit H un espace de Hilbert, de base hilbertienne (ei)i∈I (non nĂ©cessairement dĂ©nombrable). Un opĂ©rateur bornĂ© A ∈ ℒ(H) est dit Ă  trace si

(Cette somme ne dépend pas du choix de la base hilbertienne.) Dans ce cas, on pose

Les opĂ©rateurs Ă  trace[16] sont compacts. Ils forment un idĂ©al de ℒ(H) notĂ© ℒ1(H), qui est complet pour la norme ‖ ‖1 dĂ©finie ci-dessous. La trace Tr est une forme linĂ©aire continue dĂ©finie positive sur ℒ1(H).

En dimension finie, la trace d'un opĂ©rateur est la somme des coefficients diagonaux d'une reprĂ©sentation matricielle. L'exemple suivant en est une gĂ©nĂ©ralisation. Soit ÎŒ une mesure borĂ©lienne sur un espace compact K. Soit f : K2 → ℝ une application continue. Sur l'espace de Hilbert L2(K,ℝ) des fonctions de K dans ℝ de carrĂ© sommable, l'opĂ©rateur Ă  noyau

est Ă  trace, et sa trace vaut :

Notes et références

  1. Par exemple Roger Godement, Cours d'algĂšbre, Hermann, 3e Ă©d., 1978, p. 526 ou N. Bourbaki, ÉlĂ©ments de mathĂ©matique, AlgĂšbre, Springer, , p. II.158. D'autres auteurs la notent tr(A) ou trace(A).
  2. Serge Lang, AlgÚbre, Dunod, [détail des éditions], p. 515, ou Bourbaki A, op. cit., p. II.158, présente la définition sous une forme légÚrement plus générale, et écrit la formule pour une matrice carrée supposée indexée par un ensemble fini quelconque, pas nécessairement celui des entiers entre 1 et n.
  3. Ou le module si K est seulement un anneau commutatif.
  4. Bourbaki A, op. cit., p. II.158.
  5. Lang 2004, op. cit., p. 515.
  6. Voir la feuille d'exercices « Propriétés de la trace » de la leçon « Trace et transposée de matrice » sur Wikiversité.
  7. Bourbaki A, op. cit., p. II.158, le démontre seulement pour une forme linéaire f vérifiant l'hypothÚse plus forte f(AB) = f(BA).
  8. Lang 2004, op. cit., p. 520.
  9. Bourbaki A, op. cit., p. II.78.
  10. N. Bourbaki, ÉlĂ©ments de mathĂ©matique, EVT, chap. V, §4, no 9 s'intitule : « Trace d'une forme quadratique par rapport Ă  une autre ».
  11. Henri Roudier, AlgÚbre linéaire : cours et exercices [corrigés], Paris, Vuibert, , 688 p. (ISBN 2-7117-8966-7).
  12. L'anneau n'étant pas supposé intÚgre, cette écriture n'est pas nécessairement unique.
  13. Lang 2004, op. cit., p. 576-579 (pour l'ensemble de la section, jusqu'Ă  l'appel de notes).
  14. E. Leichtnam, Oral Maths Polytechnique - ENS AlgÚbre et Géométrie, p. 70-71, ou Roudier 2003, op. cit., p. 512. La preuve fournie dans ces sources ne repose pas sur les identités de Newton mais est plus rapide, par récurrence sur la dimension en s'appuyant sur le lemme des noyaux.
  15. Élie Cartan, Sur la structure des groupes de transformations finis et continus, ThĂšse, Ă©d. Nony, 1894.
  16. (en) John B. Conway (en), A Course in Operator Theory, Providence (R.I.), AMS, , 372 p. (ISBN 978-0-8218-2065-0, lire en ligne), p. 86-94.

Voir aussi

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