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Famille sommable

La notion de famille sommable vise à étendre les calculs de sommes au cas d'un nombre infini de termes. Contrairement à la notion de série, on ne suppose pas que les termes sont donnés sous forme d'une suite ordonnée mais d'une famille indexée par un ensemble quelconque. Il s'agit donc de pouvoir en définir la somme de façon globale, sans préciser l'ordre dans lequel on procÚde. De ce fait la sommabilité est plus exigeante que la convergence de série, et a des propriétés supplémentaires.

La sommabilité donne notamment un cadre utile pour l'étude des séries doubles.

Exemple préliminaire

La sĂ©rie harmonique alternĂ©e, de terme gĂ©nĂ©ral (–1)n/n pour n entier strictement positif, converge vers –ln(2), tandis que celle obtenue en rĂ©ordonnant les termes de la suite de façon Ă  sommer deux fois plus vite les termes pairs que les impairs converge vers –ln(2)/2.

On souhaite introduire une dĂ©finition de la somme qui exclut ce genre de situation, et qui assure que la sommation donne le mĂȘme rĂ©sultat quel que soit l'ordre choisi.

DĂ©finition

Pour parler d'une famille sommable il faut dĂ©jĂ  une somme, c'est-Ă -dire une opĂ©ration de groupe commutatif. Ensuite, comme le nombre de termes dans la famille est infini, la somme va se dĂ©finir comme limite de sommes finies ; il faut donc avoir une topologie pour parler de limite. Le cadre le plus gĂ©nĂ©ral pour les familles sommables est donc un groupe topologique commutatif. Dans la suite de cet article, on se restreint au cadre plus usuel d'un ℝ-espace vectoriel normĂ©.

DĂ©finition — On considĂšre un espace vectoriel rĂ©el E muni d'une norme ║∙║. Soit (ui)i∈I une famille de vecteurs de E. Cette famille est dite sommable lorsqu'il existe un vecteur S de E tel que

Le vecteur S s'appelle la somme de la famille (ui)i∈I. Il est uniquement défini par la propriété ci-dessus et noté

Autrement dit, JΔ contient déjà tous les termes importants dans la somme vers le vecteur S ; rajouter un nombre fini quelconque de termes à JΔ ne modifie plus la valeur de la somme, à Δ prÚs. La sommabilité des familles de vecteurs ressemble à un passage à la limite sur des ensembles finis de plus en plus gros. (Il s'agit en fait d'une limite suivant un filtre[1], ou de limite d'une suite généralisée.)

Propriétés

  • Bien sĂ»r, si la famille admet seulement un nombre fini de valeurs non nulles (famille presque nulle), elle est sommable et l'on retrouve la valeur usuelle de la somme.
  • Il n'y a aucun ordre sur les indices dans la dĂ©finition de la sommabilitĂ©. Ainsi, si σ est une permutation de l'ensemble I, alors les familles (ui)i∈I et (uσ(i))i∈I sont de mĂȘme nature, et si elles sont sommables, ont la mĂȘme somme. Cette propriĂ©tĂ© est la gĂ©nĂ©ralisation de la commutativitĂ© des sommes finies.
  • Si la famille est sommable alors pour tout Δ > 0, est fini car inclus dans JΔ. Il en rĂ©sulte que l'ensemble des indices des vecteurs non nuls est au plus dĂ©nombrable, comme rĂ©union dĂ©nombrable d'ensembles finis :
    La théorie des familles sommables se ramÚne donc à celle des séries. Plus précisément :

ThĂ©orĂšme[2] — Une famille de vecteurs est sommable si et seulement si l'ensemble des indices de ses termes non nuls est au plus dĂ©nombrable et si les termes correspondants forment une sĂ©rie commutativement convergente. La somme de toute permutĂ©e de la sĂ©rie est alors Ă©gale Ă  celle de la famille.

  • Si une famille (ui)i∈I est sommable, l'ensemble de ses sommes finies est bornĂ©.
  • L'ensemble des familles sommables dans E indexĂ©es par un mĂȘme ensemble I constitue un sous-espace vectoriel de EI et l'application qui Ă  une famille associe sa somme est linĂ©aire.
  • Une famille Ă  valeurs dans un produit fini d'espaces vectoriels normĂ©s est sommable si et seulement si chacune de ses composantes l'est, et les composantes de la somme sont alors les sommes des composantes.

Exemples

Cas des réels positifs

Une famille de rĂ©els positifs est sommable si (et seulement si) l'ensemble de ses sommes finies est majorĂ©, la somme de la famille Ă©tant alors simplement la borne supĂ©rieure dans ℝ de cet ensemble.

Par conséquent :

  • une famille de rĂ©els positifs est sommable si et seulement si l'ensemble des indices de ses termes non nuls est au plus dĂ©nombrable et si « la » sĂ©rie correspondante converge ;
  • la somme de deux familles de rĂ©els positifs (indexĂ©es par un mĂȘme ensemble I) est sommable si et seulement si chacune d'elles l'est.

Cas de ℝn

À toute famille u de rĂ©els, on peut associer ses parties positive u+ et nĂ©gative u– : la valeur absolue |u| est la somme de ces deux familles de rĂ©els positifs et u est leur diffĂ©rence. Ainsi, si |u| est sommable alors u+ et u– le sont, donc — par linĂ©aritĂ© — u est sommable.

La rĂ©ciproque est vraie aussi, d'aprĂšs le thĂ©orĂšme de rĂ©arrangement de Riemann, qui assure que toute sĂ©rie de rĂ©els commutativement convergente est absolument convergente. Cette Ă©quivalence s'Ă©tend par produit fini Ă  ℝn. On peut donc ramener l'Ă©tude d'une famille de vecteurs de ℝn muni d'une norme arbitraire Ă  celle de n familles de rĂ©els ou d'une famille de rĂ©els positifs :

ThĂ©orĂšme — Une famille (ui)i∈I de vecteurs de ℝn est sommable si et seulement si ses n composantes le sont, ce qui est Ă©quivalent Ă  la sommabilitĂ© de la famille des normes (║ui║)i∈I.

De plus, de mĂȘme que dans ℝ+, on a encore dans ℝ[3] (donc aussi dans ℝn) : une famille est sommable si et seulement si l'ensemble de ses sommes finies est bornĂ©.

Cas particulier des complexes

Dans ℂ ≃ ℝ2, les composantes sont les parties rĂ©elle et imaginaire et la norme prĂ©fĂ©rĂ©e est le module.

  • Soit α rĂ©el. La famille (1/(p2 + q2)α), oĂč (p, q) dĂ©crit l'ensemble des couples non nuls d'entiers relatifs, est sommable si et seulement si α > 1.
  • Plus gĂ©nĂ©ralement, pour tout entier N strictement positif, la famille (1/(p12 + 
 + pN2)α), oĂč (p1, 
, pN) dĂ©crit l'ensemble des N-uplets non nuls d'entiers relatifs, est sommable si et seulement si α > N/2 (par comparaison sĂ©rie-intĂ©grale). Si α est complexe, la condition de sommabilitĂ© est donc Re(α) > N/2.
  • Soit n un entier et z1, 
, zn des complexes de modules strictement infĂ©rieurs Ă  1, alors la famille (z1k1, 
, znkn), oĂč chaque exposant ki dĂ©crit ℕ, est sommable (comme produit de sĂ©ries gĂ©omĂ©triques).

Associativité

La linéarité ci-dessus admet comme cas particulier la généralisation suivante de l'associativité des sommes finies : si deux familles v et w sont sommables alors leur réunion disjointe u l'est aussi, et la somme de u s'obtient en additionnant celles de v et de w.

Dans un espace vectoriel normĂ© non complet, la rĂ©ciproque est fausse. En effet, on sait que dans un tel espace, il existe des suites (vn)n∈ℕ telles que la somme des normes ║vn║ soit finie mais que la sĂ©rie vectorielle ne converge pas. La famille u constituĂ©e d'une telle suite v et de son opposĂ©e est alors sommable (de somme nulle) mais la sous-famille v de u ne l'est pas.

Il faut donc ajouter l'hypothĂšse de sommabilitĂ© des sous-familles. Moyennant quoi, on a mĂȘme une rĂ©ciproque plus gĂ©nĂ©rale, puisqu'elle s'applique aussi bien Ă  une partition infinie[4] :

Soit (It)t∈T une partition de I. Si la famille (ui)i∈I est sommable de somme S et si chaque sous-famille (ui)i∈It est sommable de somme St, alors la famille (St)t∈T est sommable, de somme S.

La gĂ©nĂ©ralisation analogue du sens direct est trivialement fausse dans ℝ mais vraie dans ℝ+, c'est-Ă -dire que si chaque (ui)i∈It est une famille de rĂ©els positifs de somme finie St et si (St)t∈T est sommable alors (ui)i∈I l'est[5].

Familles sommables dans un espace de Banach

CritĂšre de Cauchy dans les espaces de Banach

Le critĂšre de Cauchy est en gĂ©nĂ©ral une condition nĂ©cessaire de sommabilitĂ©, mais dans le cadre des espaces de Banach, il fournit une condition nĂ©cessaire et suffisante d'oĂč dĂ©coulent les propriĂ©tĂ©s remarquables associĂ©es Ă  la sommabilitĂ©.

Une famille (ui)i∈I satisfait le critÚre de Cauchy lorsque

En termes imagés, JΔ contient presque toute la somme puisqu'avec ce qui est ailleurs on ne parvient pas à dépasser Δ.

Une famille est de Cauchy si et seulement si l'ensemble des indices de ses termes non nuls est au plus dénombrable et si « la » série correspondante, ainsi que toutes ses permutées, vérifie le critÚre de Cauchy usuel.

Par conséquent, toute famille sommable vérifie le critÚre de Cauchy et lorsque E est complet, la réciproque est vraie. (Ceci montre que dans un espace de Banach, toute sous-famille d'une famille sommable est sommable.)

Exemple : dans l'espace ℓp(I) oĂč I est un ensemble quelconque, pour toute famille (λi)i∈I de scalaires de puissance p-iĂšme sommable, la famille (λiÎŽi)i∈I est sommable, puisqu'elle vĂ©rifie le critĂšre de Cauchy et que l'espace est complet.

Absolue sommabilité

La famille (ui)i∈I est dite absolument sommable — ou normalement sommable[6] — si la famille de rĂ©els positifs (║ui║)i∈I est sommable, autrement dit si l'ensemble des indices i des ui non nuls est au plus dĂ©nombrable et si « la » sĂ©rie correspondante est absolument convergente.

On déduit le corollaire suivant du critÚre de Cauchy, ou simplement du corollaire analogue pour les séries :

Corollaire[7] — Dans un espace de Banach, toute famille absolument sommable est sommable, et vĂ©rifie l'inĂ©galitĂ© triangulaire Ă©tendue

Dans ℝn, on a dĂ©jĂ  vu que rĂ©ciproquement, toute famille sommable est absolument sommable. Dans tout espace vectoriel normĂ© de dimension infinie, cette rĂ©ciproque est fausse[8].

Contre-exemple : dans l'espace de Hilbert ℓ2(ℕ*) muni de sa base hilbertienne canonique (ÎŽn)n∈ℕ*, la suite (ÎŽn/n)n∈ℕ* est sommable (d'aprĂšs le critĂšre de Cauchy, puisque (1/n)n∈ℕ* est de carrĂ© sommable), mais pas absolument (puisque la sĂ©rie des normes est la sĂ©rie harmonique).

Sommabilité et forme linéaire

Soient F un second espace vectoriel normé et λ une application linéaire continue de E dans F. Pour toute famille sommable (ui)i∈I de vecteurs de E, la famille (λ(ui))i∈I est sommable dans F, de somme

À partir de cette propriĂ©tĂ©, on peut dĂ©velopper la notion de sommabilitĂ© faible. Une famille de vecteurs (ui)i∈I est dite faiblement sommable lorsque pour toute forme linĂ©aire continue λ sur E, la famille de scalaires (λ(ui))i∈I est sommable. La propriĂ©tĂ© prĂ©cĂ©dente entraĂźne que toute famille sommable est faiblement sommable. Plus prĂ©cisĂ©ment[9], le critĂšre de Cauchy est vĂ©rifiĂ© par une famille (ui)i∈I de vecteurs de E si et seulement s'il est vĂ©rifiĂ© par les familles de scalaires (λ(ui))i∈I, uniformĂ©ment par rapport Ă  λ parcourant la boule unitĂ© du dual topologique E' de E.

Il n'existe pas toujours, pour une famille faiblement sommable, un vecteur S de E tel que les λ(S) soient les sommes des (λ(ui))i∈I, mais s'il en existe un alors il est unique (car E' sépare les points de E).

Produit dans les algĂšbres de Banach

Dans une algùbre de Banach, si (ui)i∈I et (vj)j∈J sont deux familles absolument sommables, alors la famille produit (uivj)(i,j)∈I×J est absolument sommable et l'on a :

Cette propriété peut se réinterpréter à l'aide des séries doubles.

Notes et références

  1. Gustave Choquet, Cours d'analyse, tome II : Topologie, p. 212.
  2. Choquet, p. 228-229.
  3. Choquet, p. 217-218.
  4. Choquet, p. 221.
  5. Choquet, p. 222.
  6. Nawfal El Hage Hassan, Topologie générale et espaces normés, Dunod, , 2e éd. (lire en ligne), p. 348, réserve l'appellation « absolument sommable » aux familles de scalaires.
  7. El Hage Hassan 2018, p. 349.
  8. Cf. ThéorÚme de Dvoretzky-Rogers et Choquet, p. 292.
  9. (en) Christopher Heil, A Basis Theory Primer : Expanded Edition, Springer, , 534 p. (ISBN 978-0-8176-4686-8, lire en ligne), p. 96-98.

Bibliographie

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