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Tortue luth

Dermochelys coriacea

Dermochelys coriacea
Description de cette image, également commentée ci-après
Tortue luth après la ponte.

Genre

Dermochelys
Blainville, 1816

Synonymes

  • Sphargis Merrem, 1820
  • Coriudo Fleming, 1822
  • Chelyra Rafinesque, 1832

Espèce

Dermochelys coriacea
(Vandelli, 1761)

Synonymes

  • Testudo coriacea Vandelli, 1761
  • Testudo arcuata Catesby, 1771
  • Testudo lyra Bonnaterre, 1789
  • Testudo marina Wilhelm, 1794
  • Testudo tuberculata Pennant in Schoepff, 1801
  • Testudo lutaria Rafinesque, 1814
  • Dermatochelys porcata Wagler, 1833
  • Dermochelys atlantica DumĂ©ril & Bibron, 1835
  • Sphargis coriacea schlegelii Garman, 1884
  • Sphargis angusta Philippi, 1899

Statut de conservation UICN

( VU )
VU A2bd : Vulnérable

Statut CITES

Sur l'annexe  I  de la CITES Annexe I , RĂ©v. du 04/02/1977

La Tortue luth (Dermochelys coriacea), unique représentant du genre Dermochelys, est une espèce de tortues de la famille des Dermochelyidae.

C'est la plus grande des sept espèces actuelles de tortues marines, la plus grande des tortues de manière générale, et le quatrième plus grand reptile après trois crocodiliens.

Elle ne possède pas d'écailles kératinisées sur sa carapace, mais une peau sur des os dermiques. C'est le seul représentant contemporain de la famille des Dermochelyidae, le clade des tortues à dos cuirassé, connu aussi par diverses espèces fossiles, dont certaines géantes comme l'Archelon.

La Tortue luth fréquente tous les océans de la planète, mais sa survie est gravement menacée par le braconnage, les filets de pêche, la pollution et l'artificialisation du littoral et par le réchauffement climatique car la température du sable influence le sexe de la future tortue. Elle figure sur la liste rouge de l'UICN des espèces en voie de disparition et fait l'objet de conventions et de programmes internationaux de protection et de conservation.

Description

Morphologie

Le trait le plus remarquable de la tortue luth est sa silhouette en forme de coque de navire renversé, traversée de sept carènes, avec son dos recouvert d'une carapace de peau, à l'aspect de cuir, de couleur bleue très foncé, moucheté de petits points blancs. La face ventrale de l'animal est de couleur rosé sombre, traversée par trois carènes peu marquées[1]. Par ailleurs sa simple taille la distingue des autres tortues marines.

  • Disposition des carènes sur le dos de la tortue luth ; en noir, la carène vertĂ©brale, en bleu, vert et rouge, les carènes latĂ©rales
    Disposition des carènes sur le dos de la tortue luth ; en noir, la carène vertébrale, en bleu, vert et rouge, les carènes latérales
  • Une tortue vue du dessus.
    Une tortue vue du dessus.
  • Vue de face.
    Vue de face.
  • La tĂŞte est très grande, ce qui contraste avec un museau peu dĂ©veloppĂ©. Sur le bec supĂ©rieur, on peut observer une pointe mĂ©diane très marquĂ©e entourĂ©e de deux grandes encoches[2]. L'intĂ©rieur de la bouche est occupĂ© par une multitude de cĂ´nes, utilisĂ©s aussi bien pour l'oxygĂ©nation[3] que l'alimentation.
  • Ses membres sont fortement aplatis et transformĂ©s en palettes natatoires appelĂ©es nageoire ou rames, ils sont dĂ©pourvus de griffes; ses nageoires antĂ©rieures sont en outre très longues en comparaison de celles des autres tortues de mer, elles font plus de la moitiĂ© de la longueur de la carapace.
  • Un large cou relie la tĂŞte aux Ă©paules. Il ne permet pas Ă  cette espèce de rentrer complètement sa tĂŞte Ă  l'intĂ©rieur de sa cuirasse.
  • La queue est de forme conique ; elle est rehaussĂ©e par une base Ă©paisse et possède parfois un pli qui prolonge la carène vertĂ©brale de la carapace.

Couleurs

La couleur de la peau de l'animal est d'un bleu très foncé. Elle est brillante et lisse, ce qui lui donne l'aspect du cuir. Les carènes de la dossière sont soulignées par un éclaircissement de la peau. Tout son corps est parsemé de petits points blanchâtres. Le plastron est rosé et plutôt sombre. La carène de la queue, quand elle existe, est également blanchâtre.

La tête de l'animal présente une tache, de couleur blanche à rosée, correspondant à un chanfrein. Cette tache a une forme unique pour chaque individu et permet leur identification sur photo[4] .

Taille et poids

Ă€ l'Ă©closion les bĂ©bĂ©s tortues mesurent 7 Ă  8 cm et pèsent seulement quelques dizaines de grammes[5].

Le ministère PĂŞches et OcĂ©ans Canada a mesurĂ© un poids moyen de 400 kg pour une longueur courbe de la carapace de 1,50 mètre, pour les individus adultes dans les eaux nationales de l'ocĂ©an Atlantique[6]. En Guyane, sur les sites de pontes et dans les eaux françaises, l'Office français de la biodiversitĂ© indique une moyenne de 400 kg pour le poids et une longueur d'environ 1,60 m[5]. Le plus gros spĂ©cimen, mesurĂ© au Pays de Galles, pesait 915 kg et dĂ©passait 2,20 m de longueur[7].

Squelette

Le squelette des tortues est caractérisé par un crâne anapside (avec une seule fosse pour les orbites)[8]. Les ceintures pelviennes et scapulaires sont positionnées à l’intérieur de la cage formée par les côtes[9].

La cuirasse dorsale est appelée « Dossière »

La partie ventrale de la carapace est appelée « plastron ».

Chez la tortue luth, la structure osseuse de la carapace est réduite à une mosaïque de petits osselets irréguliers[10], insérées dans une plaque de tissu conjonctif épais[11]. Les plus gros de ces osselets sont tuberculés et disposés en lignes. Ces lignes, visibles sous la peau, forment les crêtes ondulées appelées carènes qui filent de la tête vers la queue de l'animal[1].

Cette carapace profondément transformée n’est pas attachée à la colonne vertébrale et aux côtes mais en est séparée par une couche adipeuse. Du côté externe elle est complètement dépourvue de toute couverture d’écailles. La protection du dos est en revanche assurée par un épaississement marqué de la peau, qui forme ainsi une pseudo-carapace lisse ayant l'aspect du cuir. C'est un caractère unique chez les tortues actuelles, toutes les autres espèces possédant des écailles kératinisées sur une carapace osseuse[12].

Les os des mains sont fins, on n'observe pas d'épaississement liés à l'adaptation à la vie aquatique.

Physiologie

Longévité

Une tortue luth peut a priori vivre plus de 50 ans[13].

Capacité de plongée

La tortue luth est une excellente plongeuse puisque des scientifiques ont relevĂ© plusieurs observations de tortues luth jusqu'Ă  1 300 m de profondeur pour des plongĂ©es de 4 938 s[14] (soit plus de 80 min).

La tortue luth peut rester jusqu'à quatre-vingts minutes en plongée, en partie grâce à l'extraction de l'oxygène de l'eau à l'aide de longues papilles situées dans sa gorge et à la récupération d'oxygène dissous dans certains de ses tissus[13].

RĂ©sistance au froid

Avec un rythme mĂ©tabolique trois fois supĂ©rieur Ă  un reptile de cette dimension et l'isolation fournie par son corps massif et gras, la tortue luth peut supporter des eaux froides. La tempĂ©rature de son corps peut ĂŞtre supĂ©rieure de 18 °C[15] Ă  celle de l'eau dans laquelle elle Ă©volue. Ses nageoires l'aident Ă©galement Ă  conserver la chaleur. Elles fonctionnent comme des Ă©changeurs de chaleur Ă  contre-courant, c'est-Ă -dire que les artères chaudes rĂ©chauffent les veines froides. AlliĂ© Ă  sa carapace rĂ©sistante Ă  de fortes pressions[13], cela lui permet de plonger Ă  plus de 1 200 m de profondeur[15].

Éthologie et écologie

Migration

Plusieurs études de suivi par satellite pour connaître leur migration furent effectuées notamment par le CNRS et l'Institut polaire français Paul-Émile-Victor qui équipèrent des tortues luth de balises Argos[16].

Le comportement de migration des tortues luth peut être découpé en deux périodes :

  • Pendant la saison de ponte, entre deux pontes les tortues luth migrent Ă  faible distance gĂ©nĂ©ralement de façon passive et sans s'alimenter, pour rĂ©duire les dĂ©penses en Ă©nergie. Ce comportement connaĂ®t une exception pour les individus se reproduisant en Guyane et sur l'Ă®le de Sainte-Croix dans les CaraĂŻbes, qui se nourrissent de façon apparemment opportuniste, en plongĂ©e profonde et active. Une perte de poids d'environ 11% de la masse corporelle a lieu pendant cette pĂ©riode. Le domaine vital est plus grand que chez les autres espèces de tortues marines pendant cette pĂ©riode inter-ponte, les femelles luth s'Ă©loignent davantage des plages (entre 50 et 200 km, pour la population atlantique). Les plongĂ©es sont courtes et peu profondes, que ce soit dans l'Atlantique ou le Pacifique; cependant une grande variabilitĂ© de comportement a Ă©tĂ© observĂ© selon les individus, dans plusieurs Ă©tudes[17].
  • Après la ponte vient une phase de transit, en passant par des zones pauvres en nourriture, pour rejoindre les zones d'alimentation dans des eaux tempĂ©rĂ©es, que ce soit dans l'Atlantique ou le Pacifique. Les tortues luth semblent privilĂ©gier des zones de fronts ocĂ©anique, oĂą des eaux aux caractĂ©ristiques contrastĂ©es se rencontrent, par exemple la zone de rencontre entre les eaux glaciales du courant du Labrador et les eaux chaudes du Gulf Stream dans l'Atlantique nord ou le long du courant de Kuroshio dans le Pacifique[18]. Ce sont des zones oĂą le zooplancton est susceptible de se concentrer en masse.

Cette espèce parcourt, ainsi, plusieurs milliers de kilomètres lors de ses voyages transocéaniques pour rejoindre ses aires d'alimentation en méduses. Elles progressent en s'orientant à l'aide du champ magnétique terrestre[19].

Alimentation

La méduse constitue la majeure partie de l'alimentation de la tortue luth[20], mais elle peut également se nourrir de salpes, de poissons, de crustacés, de calmars, d'oursins et même de certains végétaux, dont des algues (surtout consommées par les jeunes spécimens). Elle peut consommer quotidiennement une quantité de méduses égale à son propre poids[21], soit jusqu’à 50 individus de grande méduse Rhizostoma pulmo[22]. La tortue luth a donc un rôle crucial dans l'équilibre écologique mais aussi économique du fait de son alimentation[23]. En effet, en consommant des méduses, elle réduit leur nombre et ces dernières consomment donc moins de poisson, ce qui laisse de nouvelles opportunités pour les pêcheurs. Elle aurait une influence positive sur les populations de poissons, les méduses étant d'importants prédateurs d'alevins[24].

Les tortues n'ayant pas de dents et les méduses étant difficiles à déchiqueter, les scientifiques se sont demandé[25] comment les tortues luth pouvaient s'alimenter avec ces animaux. On a découvert que l'œsophage de la tortue luth, tapissé d'épines, avait pour fonction le dépeçage des proies.

Prédateurs

Juvénile de tortue luth (Floride).

La prédation animale est importante lors de l'éclosion des œufs car le jeune animal de quelques centimètres à la naissance est menacé par les crabes, caïmans, oiseaux et mammifères s'aventurant sur les plages (par exemple, les coatis[26]). Mais, les œufs sont aussi directement menacés par les insectes et, en Guyane française notamment, par la courtilière[27]. Une fois arrivées à l'eau, les jeunes tortues luth ne sont pas encore en sécurité, elles deviennent les proies des pieuvres et gros poissons.

Reproduction

Comme les tortues luth ne s'approchent des côtes que pour pondre et préfèrent les grands fonds, elles sont qualifiées de pélagiques.

La maturitĂ© sexuelle de l'animal n'est pas bien dĂ©finie, mais selon certains scientifiques elle pourrait ĂŞtre atteinte vers l'âge de 6 ans[13] ; pour d'autres, elle se situe entre 10 et 12 ans. Les jeunes spĂ©cimens sont très difficilement observables et aucun Ă©levage en captivitĂ© n'a pu ĂŞtre rĂ©ussi. En effet, les tortues luth ne peuvent nager Ă  reculons, et en aquarium se heurtent donc sans cesse contre les parois. De plus les mâles ne retournent jamais sur leur lieu de naissance ce qui empĂŞche un dĂ©compte de leur population. L'accouplement est Ă©galement très dĂ©licat Ă  observer, aucun scientifique n'en a eu l'occasion, on ignore mĂŞme oĂą il a lieu dans la majoritĂ© des cas. Il est admis, Ă  partir de diffĂ©rents tĂ©moignages[3], que le mâle s'accroche au dos de la femelle avec ses nageoires souples. En cas d'alerte, l'accouplement s'arrĂŞte et les tortues se sĂ©parent, ce qui expliquerait aussi, en partie, les difficultĂ©s d'observation prĂ©cĂ©demment relevĂ©es.

Une seule fĂ©condation pourrait suffire Ă  4 Ă  10 pontes. Le record observĂ© par des scientifiques est de 17 pontes[3]. Elles sont toujours espacĂ©es de 10 Ă  15 jours. Elles se dĂ©roulent de mars Ă  juillet dans l'ocĂ©an Atlantique et de septembre Ă  mars dans l'ocĂ©an Pacifique. Elles ont lieu en bas des plages, Ă  marĂ©e haute, gĂ©nĂ©ralement de nuit. La nidification se dĂ©roule en sept phases[28] :

  • L'ascension : la femelle rejoint le haut de la plage, Ă  la lisière de la vĂ©gĂ©tation, en 10 minutes environ.
  • Le balayage : elle dĂ©blaie le sable avec ses pattes pendant un quart d'heure.
  • Le creusement : elle creuse un trou jusqu'Ă  80 cm de profondeur avec ses pattes arrière ; l'opĂ©ration prend environ 25 minutes.
  • La ponte : cette Ă©tape est accompagnĂ©e de respirations rauques et s'effectue par salves ; elle dure une vingtaine de minutes ; la prĂ©sence de l'homme ne peut plus la perturber ; les yeux de l'animal sĂ©crètent une substance gĂ©latineuse, a priori, pour Ă©vacuer le sel accumulĂ© par son organisme Ă  cause de son mode d'alimentation.
  • Le rebouchage : les pattes postĂ©rieures ramènent le sable sur les Ĺ“ufs et les nageoires postĂ©rieures le tassent pendant une petite dizaine de minutes.
  • Le camouflage : pendant 20 minutes, la tortue pivote sur elle-mĂŞme pour cacher les traces de son passage.
  • Le retour Ă  l'eau : parfois direct, parfois indirect, la tortue luth peut effectuer des boucles avant son dĂ©part.
Fichier audio
Sons Ă©mis par l'animal, sur la plage, en fin de ponte
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  • Le creusement
    Le creusement
  • La ponte
    La ponte

Une tortue luth peut pondre plus de 1 000 Ĺ“ufs en une annĂ©e. Ils sont de couleur blanche, mesurent environ 50 mm de diamètre et possèdent une membrane souple[24]. Ils sont accompagnĂ©s d'Ĺ“ufs stĂ©riles sans jaune, de diamètre infĂ©rieur aux Ĺ“ufs viables. Les scientifiques ne s'accordent pas Ă  comprendre leur utilitĂ© dans le nid, mĂŞme s'ils reprĂ©sentent presque la moitiĂ© de la ponte.

L'incubation varie de 60 Ă  70 jours et a lieu Ă  plus de 26 °C. En dessous de cette tempĂ©rature, les Ĺ“ufs ne se dĂ©veloppent pas. La dĂ©termination sexuelle dĂ©pend de la chaleur du nid[29]. Entre 26 et 30 °C, c'est l'incubation classique, produisant un mĂ©lange de mâles et femelles. Au-dessus de 30 °C, les tortues ne seront que des femelles.

À l'éclosion, le spécimen mesure de 7 à 8 centimètres de longueur[30]. Il possède des nageoires antérieures surdimensionnées[30]. Il est alors une proie facile pour de nombreux prédateurs. Le premier instinct de la tortue luth est de se diriger vers le point le plus brillant à l'horizon : la mer (qui reflète les rayons solaires), où de nouveaux dangers l'attendent.

Distribution et lieux de ponte

RĂ©partition des lieux de ponte de la tortue luth

Fond bleu : présence de tortues luth
Point jaune : lieux de ponte secondaires
Point rouge : lieux de ponte principaux[3] (listés ci-dessous)
- Australie (Queensland)
- Costa Rica
- États-Unis (Floride)
- Guyana
- Guyane française
- Malaisie
- Suriname
- Trinidad-et-Tobago (Trinidad)

La tortue luth est observable dans tous les océans du monde, sous des latitudes observées à plus de 60° au nord[31] c'est-à-dire jusqu'au cercle polaire arctique. Des études précises sont effectuées pour connaître précisément leurs migrations[32].

Comme la plupart des tortues marines, elle ne s'aventure sur la terre ferme que pour pondre ses Ĺ“ufs.

De nombreux lieux de ponte autrefois fréquentés par les tortues luth ne le sont presque plus ou plus du tout[3], comme la Sicile, la Turquie, la Libye ou Israël.
Si la morphologie ou les couleurs des tortues luth ne permet pas de les différencier selon leurs groupes régionaux, des analyses ADN marquent des différences entre celles du Pacifique-ouest, du Pacifique-est et de l'Atlantique[23].

Systématique et taxonomie

Description originale

Tortue luth par Ernst Haeckel dans Formes artistiques de la nature (1904).
  • Vandelli, 1761 : Epistola de holothurio, et testudine coriacea ad celeberrimum Carolum Linnaeum equitem naturae curiosum Dioscoridem II. Conzatti, Padua.
  • Blainville, 1816 : Prodrome d'une nouvelle distribution systĂ©matique du règne animal. Journal de Physique, de Chimie et d'Histoire Naturelle, vol. 83, p. 244-267 (texte intĂ©gral).

Classification phylogénétique

La tortue luth fait partie de l'ordre des Testudines et de la famille des Dermochelyidae, c'est le seul représentant actuel de cette famille[33]. On pense que la différenciation qui allait donner naissance à la lignée des Dermochelyidae et des Cheloniidae s'est faite, dès le début de la colonisation marine par les tortues au Crétacé entre 100 et 150 Ma[34].

Les principaux groupes évolutifs relatifs sont décrits ci-dessous par phylogénie[35] selon Hirayama (1997, 1998), Elliott, Irby et Hutchinson (1997), Moody (1997), Hooks (1998) et Lapparent de Broin (2000) :

-o Chelonioidea
 |--o Cheloniidae, les tortues marines
 `--o Dermochelyoidea
    |--o †Thalassemyidae 
    `—o 
       |--o Dermochelyidae Fitzinger, 1843
       |  `--o
       |     |--o †Cardiochelys  
       |     `—o
       |        |--o †Protosphargis Capellini, 1884
       |        `--o
       |           |--o †Eosphargis Lydekker, 1889
       |           `--o  
       |              |--o †Psephophorus Meyer, 1847
       |              |--o †Mesodermochelys Hirayama & Chitoku, 1996
       |              `--o Dermochelys Blainville, 1816
       `—o †Protostegidae Cope, 1872, au moins une quinzaine de taxons dont l'Archelon

Légende : † = éteint

La taxonomie de cette tortue a suivi l'évolution des connaissances sur la phylogénétique des tortues, qui a défini petit à petit des taxons plus précis. Cette espèce s'est donc retrouvée, tour à tour, classifiée dans les Testudines, Testudinata et Chelonia. Certains auteurs l'ont même classée dans le sous-ordre créé pour l'occasion des Athecae[36] - [37]. Mais il a été montré qu'elles étaient proches des autres tortues marines et placées dans la même super-famille[38].

Noms vernaculaires

La forme ressemblante du carambole donne Ă  la tortue son nom malais.

La tortue luth porte des noms différents selon les pays du monde mais la plupart se rapporte à la forme particulière de sa carapace. Si l'on compare, dans la langue française et dans la langue italienne (italien : liuto), la forme de la tortue à celle d'un luth, c'est vraisemblablement à cause de son éperon supercodal très développé.

En anglais (leatherback sea turtle) et en allemand (Lederschildkröten), c'est l'aspect de cuir qu'a sa peau qui lui a donné ses noms vernaculaires.

En malais, c'est sa forme, à nouveau, qui lui vaut son nom de penyu belimbing, soit en français : « tortue carambole ».

On retrouve de multiples dénominations de la tortue luth dans la langue créole guyanais :

  • toti cui (tortue cuir) ;
  • toti fran (tortue franche) ;
  • toti cerkeil (tortue cercueil).

Les habitants de la Guadeloupe la nomment aussi bataklin[39].

En kali'na, langue des amérindiens vivant près des grands sites de pontes en Guyane française et au Suriname, le nom de la tortue luth est kawana. Ce nom pourrait avoir été emprunté en français pour désigner la caouanne, une autre tortue marine Caretta caretta[40].

RĂ©gression et risque d'extinction

Estimation de population et statut de conservation

L'institut « PĂŞche et OcĂ©an Canada » estimait, en 2004, que la population de tortue luth dĂ©passait probablement les 100 000 individus dans l'Atlantique[41].

L'espèce est classée Vulnérable au niveau mondial[42], mais deux sous-populations sont en danger critique d'extinction, celle de l'ouest du Pacifique avec 1438 individus, et en déclin[43] et celle du sud-ouest de l'océan Indien avec ses 148 individus[44].

En Thaïlande, au sud-ouest de l'océan Indien dans la mer d'Andaman, de à , conséquence du confinement et de la quasi-absence de touristes sur les plages, les tortues luths ont pondu dans 11 nids[45] (événement qui ne s'était plus produit depuis 5 ans et nombre de nids le plus élevé de ces vingt dernières années)[46].

En Guyane, où se situe le principal site de ponte de l'espèce, le nombre d’événements de ponte par saison a chuté, passant de 50 000, dans les années 1990 à seulement 200 en 2018 selon un chercheur du CNRS, spécialiste de l'espèce[47]

Menaces anthropiques

Les activités humaines sont responsables du fait que la tortue luth soit une espèce en danger de disparition. La première cause est la pollution des eaux. L'hypothèse principale est que les tortues luth confondent les sacs en polyéthylène avec des méduses. Elles les mangent et ne peuvent les régurgiter, ce qui leur provoque des occlusions gastriques ou intestinales. C'est la plus grande cause de mortalité de l'animal[3]. Les déchets majoritairement ingurgités par les tortues luth sont les déchets flottants en plastique[48], suivi par les autres déchets plastiques et le matériel de pêche (bouts de cordage, de filets ou hameçons). Les quantités de plastique ingérées ont probablement rapidement augmenté entre 1960 et 1980 avant de se stabiliser. En 1987, 44 % des tortues luth adultes avait ingurgité du plastique, selon les estimations disponibles à cette date. L'ingestion de plus faibles quantités de plastique a également des effets sublétaux comme une perturbation générale du système digestif, une accumulation de gaz intestinaux liée à un dysfonctionnement de l’absorption des lipides, l'affaiblissement du système immunitaire, endocrinien et reproducteur à cause des polluants chimiques divers contenus dans les plastiques. Les tortues luth sont très susceptibles d'ingérer du plastique, car les déchets se concentrent dans les mêmes zones que leurs proies, zones privilégiées pour l'alimentation[49] .

Un autre facteur est la multiplication des filets de pêche[25] qui piègent sous l'eau les tortues et provoquent leur mort par noyade. En effet, la tortue luth, étant incapable de nager à reculons, ne peut s'en libérer. Cet autre facteur prend de plus en plus d'ampleur lorsque l'on sait qu'une bonne partie des déchets marins de nature anthropique sont aujourd'hui des filets usagés, des câbles et cordages, des anciennes lignes de pêche, etc. On pourra aussi noter que les tortues ont tendance à s'en rapprocher pour manger des proies déjà entravées dans ces obstacles ou juste par curiosité.

On peut ajouter la réduction de son espace disponible, notamment la perturbation des lieux de ponte par les constructions littorales, par exemple.

Enfin, la prédation humaine, en elle-même, est traditionnellement faible car la chair de l'animal n'est pas considérée comme comestible. Même si cela prête à controverse[20], il semblerait que la tortue luth soit l'une des deux tortues dont la chair est toxique. Elle contiendrait de la chelonitoxine, et les symptômes liés à sa consommation vont de la nausée ou du vomissement jusqu'au coma, voire à la mort. Pourtant, la prédation a tout de même augmenté puisque les œufs de l'animal, déjà utilisés traditionnellement dans l'alimentation des Kali'nas ou des Indonésiens[27], sont devenus la cible de nombreux braconniers. En effet, les œufs de tortue luth sont considérés comme aphrodisiaques au Mexique[50]. La chasse de l'animal en lui-même est parfois même constatée. Au Togo[51], notamment, des féticheurs réduisent la carapace de l'animal en poudre, la mêlent à du miel et s'en servent comme remède contre les syncopes infantiles. La graisse est utilisée contre les rhumatismes. Les carapaces, par ailleurs, sont aussi parfois utilisées dans l'art traditionnel local (une centaine d'entre elles sont exposées au Musée de Géologie de l’Université de Togo). Dans certains pays, les femelles sont tuées et leur peau est transformée en bijoux et autres souvenirs touristiques[52].

Protection

Représentation en trois dimensions de tortue luth au musée de Stralsund.

La tortue luth est une espèce protégée par de nombreuses conventions internationales, notamment par son inscription à l'annexe I de la CITES[23].

En France, elle est intégralement protégée (vente ou chasse) depuis l'arrêté ministériel du [53]. Malgré cette législation, le comité français de l'UICN n'a pu que déclarer la tortue luth au statut DD faute de données sur sa présence sur le territoire français métropolitain[54].

Au Canada, elle est désignée depuis 1981 comme espèce en voie de disparition à cause de son déclin mondial très important (supérieur à 70 % en quinze ans selon le COSEPAC)[55]. Son déclin au Canada serait majoritairement dû aux prises accidentelles dans la pêche commerciale[55]. Au Québec, la tortue luth obtient un statut de protection dû à sa présence dans le Golfe du Saint-Laurent. Elle est désignée comme espèce menacée puisque le gouvernement corrobore son danger de disparition à l'échelle mondiale. Il s'avance, en plus, en disant qu'à son rythme d'extinction, l'espèce sera éteinte d'ici 20 ans[56].

Aux États-Unis, le service de la faune et des poissons (United States Fish and Wildlife Service) désigne l'espèce comme en voie de disparition (endangered)[57].

Des mesures ont été prises pour mieux étudier l'animal et ainsi, le protéger, comme la mise en place de suivis par télémétrie et balises Argos[58]. De plus, la plage où a lieu le plus grand nombre de pontes en Afrique, au Gabon, est officiellement protégée à la suite de la création du Parc national Mayumba[59]. Le WWF propose quatre mesures principales de protection de la tortue luth[23] :

  • protĂ©ger les lieux de pontes en crĂ©ant des zones protĂ©gĂ©es ;
  • faire de la prĂ©vention près de ces lieux ;
  • faire de la tortue luth un attrait touristique dans certaines rĂ©gions ;
  • limiter la prĂ©sence de filets de pĂŞche près de la cĂ´te.

Parallèlement, des tentatives sont menées pour localiser les points de rencontre entre tortues luth et pêcheries[60] pour réduire les prises accidentelles de l'animal dans les filets des pêcheurs. Les chercheurs ont identifié des points de regroupement importants des tortues et tentent de réduire l'activité de pêche dans ces endroits.

Tortue luth dans la culture

La forme particulière de la carapace de la tortue luth a influencé l'art populaire de certaines civilisations. Ainsi, les Indiens Seri, en Californie, pensent que le monde avait commencé son développement sur le dos d'une tortue luth géante. Par coutume, ils peignent les squelettes des tortues luth retrouvées mortes[13].

La tortue luth est un animal emblématique[61] parmi les tortues marines et son image est souvent utilisée :

Notes et références

  1. « Tortue luth », sur Encyclopédie Larousse en ligne (consulté le )
  2. Alain Diringer (préf. Marc Taquet), Mammifères marins et reptiles marins de l'océan Indien et du Pacifique, Éditions Orphie, , 272 p. (ISBN 979-10-298-0254-6), Tortue luth pages 173-175
  3. Bonin, Devaux, Dupré.
  4. Serre-Collet Françoise, Maran Vincent et Fey Laurent, « Tortue luth - description », sur DORIS Données d'Observations pour la Reconnaissance et l'Identification de la faune et la flore Subaquatiques,
  5. ONCFS-OFB de Guyane, « Tortue luth » (consulté le )
  6. Pêches et Océans Canada, « Tortue luth (population de l'Atlantique) », sur le site officiel Canada.ca, (consulté le )
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  65. (en) Une capture d'Ă©cran sur clubic.com.

Annexes

Bibliographie

De nombreux media traitent exclusivement ou en partie de la tortue luth, en voici une liste non exhaustive (parmi lesquels ceux cités ci-dessus qui y sont reportés) :

  • Philippine Chambault, Distribution et comportement de plongĂ©e des tortues marines de Guyane française sous l’influence des structures ocĂ©anographiques (Thèse pour le grade de docteur en Ă©cologie / Ă©thologie), UniversitĂ© de Strasbourg, , 299 p. (lire en ligne). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
  • Études :
  • Livres :
    • Jacques Fretey, Les tortues de Guyane française, Ă©ditions Nature Guyanaise, (ISBN 2-906152-04-8)
    • (en) Bernice White, The leatherback : A peculiar sea turtle, Winston-Derek Pub, (ISBN 1-55523-762-2)
    • Franck Bonin, Bernard Devaux et Alain DuprĂ©, Toutes les tortues du monde, Ă©ditions Delachaux et NiestlĂ©/WWF, deuxième Ă©dition (1998), 254 p. (ISBN 978-2-603-01024-2 et 2-603-01024-7)Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
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    • (en) Melanie Watt, Leatherback turtles, Raintree, , 64 p. (ISBN 0-8172-4575-8)
    • (en) Eugene Gaffney, A phylogeny and classification of the higher categories of turtles., vol. 155, Bulletin of American Museum of Natural History, (lire en ligne)
  • Articles :
    • Étude des Ă©cosystèmes guyanais VII : Mensurations de tortues luths femelles adultes (Dermochelys coriacea) en Guyane française de Jacques Fretey, 1978, Bull. Soc. Zool. Fr., 103 (4) : 518-523.
    • Les pontes de la tortue luth (Dermochelys coriacea) en Guyane française de Jacques Fretey, 1988, Rev. Ecol. (Terre et Vie), 34 (4) : 649-654
    • RedĂ©couverte du type de dermochelys coriacea, de Jacques Fretey et Roger Bour, 1980, Boll. Zool. Padova, 47 : 193-205
    • Premier suivi par satellite en Atlantique d'une tortue luth de M. Duron-Dufresne, 1987, Compte-rendu de l'AcadĂ©mie des Sciences de Paris no 304 (p. 399-402)
    • (en) Movements and diving behavior of a leatherback turtle de J.A. Keinath et J.A. Musick, 1993, Copeia no 4 (p. 1010-1017)
    • Structures Ă©pithĂ©liales d'existence temporaire portĂ©es par les arcs branchiaux chez les embryons de tortue luth (Dermochelys coriacea L.) de Albert Raynaud, Jacques Fretey et Monique Clergue-Gazeaun, 1980, Bull. Biol. Fr. Belg., 114 (1) : 71-99
    • Note sur les traumas observĂ©s chez les tortues luths femelles adultes (Dermochelys coriacea) de Jacques Fretey, 1980, Rev. fr. Aquar., 8 (4) : 119-128
    • Suivi de luths femelles Ă  partir de la Guyane - Protocole expĂ©rimental, de Jacques Fretey et Jean-Marc Bretnacher, 1984, Argos Newsletter, 19 : 8-9
    • Attaques diurnes et nocturnes de tortues luth par des tabanidĂ©s et autres diptères hĂ©matophages en Guyane française et au Surinam de Jacques Fretey, 1989, L'Entomologiste, 45 (4/5) : 237-244
    • Apports scientifiques Ă  la stratĂ©gie de conservation des tortues luth en Guyane Française de J. Chevalier, B. Cazelles et M. Girondot, 1998, revue d'ethnobiologie JATBA no 40 (p. 219-238)
    • (en) The 7000-km oceanic journey of a leatherback turtle tracked by satellite de G.R. Hughes, P. Luschi, R. Mencacci et F. Papi, 1998, J. Exp. Marine Biology and ecology no 209 (p. 209-217)
  • Documentaires :
    • Les carnets de bord du commandant Cousteau, Ă©pisode L'odyssĂ©e de la tortue luth, dessin animĂ© sorti en DVD en , 45 minutes (destinĂ© aux enfants)

Articles connexes

Liens externes

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