Accueil🇫🇷Chercher

Noyade

La noyade est une asphyxie par inondation des voies respiratoires, causée par la submersion ou l'immersion dans un liquide et indépendamment des conséquences et de leur gravité[1]. L’immersion correspond au fait d’être recouvert de liquide (l’immersion de la face ou des voies aériennes seules suffit à causer la noyade). La submersion renvoie à un corps entier plongé dans du liquide[2].

Noyade
L'imprudente, Elizabeth Jane Gardner, 1884.
Présentation
Type
Cause de décès, circonstances du décès (en)

Circonstances

La noyade peut ĂŞtre collective : inondations et autres catastrophes naturelles comme un tsunami, des naufrages...

Parmi les noyades individuelles, on peut distinguer[3] :

  • les noyades primitives (90 % des noyades) ; nageur Ă©puisĂ©, chute dans l'eau sans savoir nager (surtout enfants de moins de 4 ans), dans des cuves industrielles (accident professionnel) ;
  • les noyades par syncope survenant dans l'eau (10 % des noyades) : traumatisme (plongeon dans une eau pas assez profonde), affection mĂ©dicale (trouble neurologique, cardiaque, mĂ©tabolique, allergie aux mĂ©duses, hydrocution, etc.).

La noyade est le mode de suicide le plus utilisé après la pendaison, plus fréquemment en été ; le suicide par noyade en baignoire s'accompagne de prise de psychotropes, d'alcool… Les meurtres par noyade sont rares, ils étaient historiquement un moyen d'infanticide[3].

MĂ©canisme

La noyade n'entraîne pas nécessairement la pénétration d'une grande quantité d'eau dans les poumons. Même en faible quantité, l'eau inhalée peut provoquer une apnée réflexe associée ou non à un laryngospasme[1]. L'épiglotte se ferme par spasme laryngé pour protéger les voies respiratoires. Par conséquent, l'oxygène disponible dans l'organisme diminue. On parle d'hypoxie. Si l'hypoxie cérébrale se prolonge, le spasme se lève, permettant l'entrée de l'eau dans les voies respiratoires[4]. Un laryngospasme peut ne pas entraîner de fermeture glottique complète[5]. Dès les années 1950, certains auteurs ont affirmé que 10 % des noyades mortelles se produisaient sans que l'eau pénètre dans les poumons : la victime mourrait d'un laryngospasme[5]. Des études du début des années 2000 suggèrent que l'incidence réelle de la noyade sans inhalation de liquide est beaucoup plus faible qu'estimée précédemment[6]. Une évaluation critique de la littérature ainsi que des observations cliniques ont conclu que la « noyade sèche » à la suite d'un laryngospasme n'existait pas. Si un laryngospasme se produit initialement, il cesse de fonctionner en raison de l'hypoxie progressive des muscles laryngés alors que les efforts respiratoires sous l'eau sont soutenus[7]. Des études médico-légales, utilisant également des traceurs microscopiques du liquide de noyade, indiquent que la pénétration de liquide dans les poumons se produit dans presque tous les décès par noyade même chez ceux qui ont un poumon macroscopiquement apparent sec[8].

Au niveau cardiaque, le cœur s'accélère dans un premier temps puis ralentit et s'arrête (asystolie) en quelques minutes[4]. Ce délai peut très sensiblement s'allonger en cas de noyade en eaux froides[9].

Le fait que la noyade se passe en eaux douces ou en eaux salées ne semble pas changer fondamentalement les données[10]. Le fait d’aspirer de l'eau douce ou de l’eau salée n’a pas de signification clinique[1]. Dans les deux cas, il y a destruction des alvéoles pulmonaires avec extravasation de sang avec œdème pulmonaire. Il existe également un lavage du surfactant pulmonaire.

Les séquelles persistant après la noyade de la victime sont en fonction de l'importance de l'hypoxie et de sa durée. L'introduction d'eau dans les poumons peut entraîner une contamination par des bactéries ou des champignons[1].

La noyade ne doit pas être réduite à une forme d'asphyxie. Ainsi, le premier danger est l'hypothermie : dans une eau à 10°, la mort survient au bout d'une à deux heures, indépendamment de la quantité d'eau inhalée. Elle peut être aussi un avantage, procurant une certaine protection contre l'hypoxie tissulaire permettant une récupération malgré une prise en charge un peu plus tardive.

Étapes

Le processus de noyade comporte quatre phases :

  • l'aquastress : la victime panique, a des gestes dĂ©sordonnĂ©s, et fait ce qu'on appelle « le bouchon » : s'enfoncer dans l'eau puis remonter successivement, la tĂŞte en arrière, en battant l'eau avec les bras, incapable d'appeler Ă  l'aide. Cette phase de la noyade, appelĂ©e rĂ©action instinctive Ă  la noyade, passe souvent inaperçue de ceux qui en sont pourtant tĂ©moins : la victime ne paraĂ®t pas se noyer, mais jouer dans l'eau. De nombreuses personnes se noient ainsi Ă  quelques mètres d'autres nageurs qui ne remarquent rien ;
  • la petite hypoxie : la victime commence Ă  ĂŞtre Ă©puisĂ©e, elle est toujours Ă  la surface de l'eau, toujours consciente mais elle a dĂ©jĂ  inhalĂ© ou bu plusieurs fois de l'eau ;
  • la grande hypoxie : la victime ne se maintient plus Ă  la surface, elle est complètement Ă©puisĂ©e. Elle a dĂ©jĂ  inhalĂ© beaucoup d'eau et elle est de moins en moins consciente ;
  • l'anoxie : la noyade dure depuis plusieurs minutes. La victime n'est plus consciente, ne respire plus, et ne montre plus de signe d'activitĂ© cardiaque.

Les victimes ne passent pas forcément par toutes ces étapes : dans des cas extrêmes d'hydrocution, d'arrêt cardiaque ou autre, l'inconscience, l'absence de respiration et de circulation sont immédiates. Ces noyades rapides (4 à 5 minutes), sont appelées submersion-inhibition, « noyade syncopale » ou « fausse noyade » (par opposition à la « noyade vraie » par asphyxie). Le phénomène réflexe d'hydrocution s'accompagne d'une fermeture des sphincters, ce qui fait que peu d'eau entre dans les voies aériennes supérieures. Ainsi, la blancheur cireuse des noyés par submersion-inhibition (appelés « noyés blancs ») s'oppose à la cyanose marquée sur le visage (avec les conjonctives hyperhémiées) et le corps des noyés par submersion-asphyxie (appelés « noyés bleus »)[11].

Statistiques

Il s'agit de la troisième cause de dĂ©cès accidentel (après les accidents de la circulation et les chutes) avec 376 000 morts par noyade en 2002 Ă  travers le monde[12]. Les noyades non fatales sont quatre fois plus frĂ©quentes[4].

En France

Les statistiques 2009 menées en France[13] concernent les situations ayant fait l'objet d'une intervention des secours. On a dénombré :

  • 934 noyades accidentelles, dont 284 dĂ©cès (30 %) ;
  • 127 noyades intentionnelles (suicides, tentatives de suicide, agressions) dont 83 dĂ©cès (65 %) ;
  • 100 noyades d'origine inconnue, dont 62 dĂ©cès (62 %).

Dans le tableau suivant, les pourcentages sont toujours indiqués par rapport au nombre total (934 noyades, 284 décès). La mortalité est le rapport entre le nombre de décès et le nombre de noyades.

RĂ©partition selon les lieux
LieuCas de noyade
(avec ou sans décès)
Cas de décèsMortalité
mer, total519 (56 %)105 (37 %)20 %
mer dans la bande des 300 m489 (52 %)94 (33 %)20 %
mer au-delĂ  de la bande des 300 m30 (3 %)11 (4 %)37 %
piscine, total178 (19 %)35 (12 %)20 %
piscine privée familiale104 (11 %)26 (9 %)25 %
piscine privée à usage collectif32 (3 %)6 (2 %)19 %
piscine payante (publique ou privée)42 (4 %)3 (1 %)7 %
plan d'eau
(lac, mare, Ă©tang)
108 (12 %)69 (24 %)64 %
cours d'eau
(fleuve, rivière, canal, rigole)
93 (10 %)60 (21 %)65 %
autres
(baignoire, bassin, …)
32 (3 %)15 (5 %)47 %
total 910 (100 %)284 (100 %) 31 %

Les lieux surveillĂ©s par des personnes formĂ©es — bande des 300 m en mer, piscines payantes — ont le taux de dĂ©cès le plus faible par rapport au nombre de noyades.

Le tableau suivant recense les cas de noyade selon l'âge.

Répartition selon l'âge
Tranche d'âgeCas de noyade
(avec ou sans décès)
Cas de décèsMortalité
0-5 ans150 (16 %)26 (9 %)17 %
6-12 ans81 (9 %)14 (5 %)17 %
13-19 ans136 (15 %)36 (13 %)26 %
20-24 ans64 (7 %)17 (6 %)27 %
25-44 ans150 (16 %)52 (18 %)35 %
45-64 ans189 (20 %)71 (25 %)38 %
65 ans et plus144 (15 %)64 (23 %)44 %
non répertorié20 (2 %)4 (1 %)20%
total 934 (100 %)284 (100 %) 30 %

Le taux de survie diminue avec l'âge.

Le cas des enfants de moins de 5 ans est particulier car ces décès sont porteurs d'une forte charge émotionnelle, tout en étant évitables par des mesures de surveillance et des barrières physiques efficaces, notamment pour les piscines de particuliers. Sur les 26 décès recensés :

  • 13 ont eu lieu en piscine privĂ©e familiale (50 %) ;
  • 5 sur des plans d'eau (19 %) ;
  • 1 en piscine privĂ©e Ă  usage collectif (4 %) ;
  • 7 dans d'autres lieux (27 %).

En Suisse

En moyenne 45 personnes se noient chaque année en Suisse, dont 80 % de sexe masculin et 7 domiciliées à l’étranger. Les changements des conditions météorologiques, et donc une fréquentation plus ou moins importante des eaux fraîches et de leur environnement proche, explique les fluctuations annuelles. Sur la période 2000–2010, soit sur onze ans, les personnes décédées de noyade en Suisse proviennent de plus de 25 pays et 42 Suisses se sont noyés à l’étranger[14].

Selon le bureau de prévention des accidents (BPA), la noyade (23 %) est la deuxième cause d'accidents de sport après la chute d’une certaine hauteur (53 %) sur la période 2000 - 2009 durant laquelle 458 personnes se sont noyées[15]. La noyade est également la deuxième cause de décès accidentels d'enfants après la route[16].

Les personnes de nationalité étrangère ont représenté une part importante des victimes de noyade en Suisse en 2015 et 2016 (26 noyades sur 49). Réagissant aux cas de noyade de demandeurs d’asile, de personnes issues de l’immigration ainsi que de touristes, la société suisse de sauvetage a traduit en 2015 les 6 Maximes de baignade et de comportement en rivières en tigrigna, arabe, tamoul, anglais, serbo-croate, portugais et somali. Ils sont disponibles dans les centres d’accueil des réfugiés et sur le site Internet de la SSS. En 2017, 41 personnes se sont noyées en Suisse, 21 dans des lacs et 18 dans des cours d'eau, dont 13 de nationalité étrangère soit un recul de 50 % par rapport à 2016.

Noyades mortelle en Suisse en 2016[17]
LacRivièrePiscinePlongéeDiversTotale
Hommes232103148 (84 %)
Femmes330006 (8 %)
Enfants031004 (7 %)
Totale26 (45,6 %)27 (47 %)1 (2 %)3 (6 %)1 (2 %)

Prévention

Campagne de prévention au Ghana

Les noyades en piscines privées concernent essentiellement les jeunes enfants (moins de 6 ans). La surveillance active d'un adulte est un minimum, mais elle s'avère en la matière insuffisante : si elle est efficace durant une activité aquatique — l'adulte est là à proximité et a conscience que l'enfant est dans l'eau ou proche de l'eau —, en revanche, l'enfant jouant dans le jardin ou la maison peut échapper à la surveillance des adultes et se glisser dans la piscine. Il n'y a pas toujours de chute provoquant de bruit caractéristique (plouf), ce qui explique le nombre important d'accident.

En France, la loi n°2003-9 du relative à la sécurité des piscines a introduit une nouvelle législation en ce sens dans le code de la construction et de l'habitation. Au sein du Livre Ier, elle est alors insérée au titre II, chap. viii, art. L128-1 et suiv., ainsi que Livre Ier, titre V, chap. ii, art. L152-12. Depuis la recodification entrée en vigueur le , elle est fixée par les articles L.134-10 et L.183-13 de ce code. Elle impose la mise en place d'un dispositif de sécurité normalisé :

  • barrière physique : barrière, abri ou couverture empĂŞchant l'accès Ă  l'eau ;
  • alarme sonore lors de l'approche (alarme pĂ©rimĂ©trique) ou de la chute dans l'eau (alarme d'immersion).

Ne pas se surestimer, prévenir un responsable de la sécurité du lieu de baignade lors d'apnées ou bien pour les personnes sujettes à crises de spasmophilie ou d'épilepsie et AVC. Nager dans de bonnes conditions (pas de coup de pompe, etc.) ne pas jouer avec les jeunes enfants dans une eau trop profonde. La présence d'une équipe de sauveteurs sur les lieux de baignades est également un facteur important de sécurité.

Facteurs de risque

Les principaux facteurs de risque sont l'âge, le sexe, la consommation d'alcool, le bas revenu, le manque d'éducation, la résidence rurale, l'exposition aquatique, le comportement à risque et le défaut de surveillance[21].

  • Ă‚ge : les enfants de moins de 14 ans, en particulier ceux de moins de 5 ans puis ceux de 5 Ă  9 ans ont les taux de noyade les plus Ă©levĂ©s[22].
Noyade dans le lac Kivu (RDC).
  • Sexe masculin : le taux de morts par noyade est deux fois plus Ă©levĂ© chez les hommes[22].
  • Consommation de boissons alcoolisĂ©es : l'alcool est associĂ© Ă  25 Ă  50 % des dĂ©cès par noyade d'adolescents et d'adultes[23].
  • MinoritĂ©s ethniques : dans les pays dĂ©veloppĂ©s, le taux de noyade des enfants issus de groupes raciaux et ethniques minoritaires est de 2 Ă  4 fois plus Ă©levĂ©. Parmi les explications avancĂ©es figurent la pauvretĂ©, le manque d'Ă©ducation et le dĂ©faut de surveillance[24].

Dans la plupart des pays d'Afrique et d'Amérique Centrale, l'incidence des noyades est 10 à 20 fois supérieure à celle des États-Unis[21].

À égalité d'exposition ajustée (baignade et trafic routier), le risque de noyade est 200 fois plus élevé que le risque d'accident de la route[21].

Pour les personnes épileptiques, le risque de noyade est 15 à 19 fois plus élevé que celui des non-épileptiques[21].

Tests sécuritaires

En France :

  • Sauv'Nage par le ComitĂ© InterFĂ©dĂ©ral des ActivitĂ©s Aquatiques (CIAA) dont fait partie la FF Natation ;
  • Aisance Aquatique et ses trois paliers, sous l'Ă©gide du Ministère des Sports[25] ;
  • Savoir-Nager et son attestation dĂ©finie dans le Code de l'Éducation[26] - [27].

Sauvetage

Le sauveteur d'une personne en proie à la panique risque de se faire agripper et entraîner sous l'eau. Quand c'est possible, il vaut mieux tendre une perche, lancer une corde ou une bouée que de s'exposer soi-même. L'appel des secours au plus tôt est impératif (sapeur-pompiers, SAMU, secours en mer). Voir aussi le personnel qualifié en mer, en piscine ou sur des plans d'eau surveillés (BNSSA, BEESAN).

La première étape consiste à soustraire la victime de son milieu aquatique. Il ne faut pas tenter de réanimer dans l’eau, cela n'est possible que par des sauveteurs spécialement entrainés[28].

Les principes de la prise en charge d'un noyé à terre sont les mêmes que pour l'évaluation d'une personne inconsciente. Le noyé est placé en position allongée sur le dos, stabilisé en respectant l’axe tête-cou-thorax, la tête en position neutre, suivi d'une évaluation rapide de l'état de conscience, de la respiration (et pour les sauveteurs entraînés à ce geste, de la présence d'un pouls) :

  • si victime inconsciente, respire, avec un pouls : mise en position latĂ©rale de sĂ©curitĂ©, puis prises des constantes (frĂ©quences ventilatoire et circulatoire, voire la tension artĂ©rielle), puis bilan ventilatoire complet et bilan circulatoire complet ;
  • si victime inconsciente et ne respire pas : faire le plus rapidement cinq insufflations puis alerter les secours, ensuite procĂ©der Ă  la rĂ©animation cardiopulmonaire (30 compressions thoraciques puis deux insufflations).

L'hypoxémie (manque d'oxygène dans le sang, voir anoxie) est l’élément capital, c’est à la fois l’élément déclencheur, l’élément aggravant et le principal facteur pronostic, car il conditionne la survenue de l'arrêt cardiaque par noyade. La réanimation respiratoire précoce est fondamentale. La libération des voies aériennes supérieures et oxygénation du patient devra être débuté le plus précocement possible, même si l’arrêt cardiorespiratoire semble être prolongé.

En cas d'arrêt cardiorespiratoire, une réanimation cardiopulmonaire doit être menée. Le massage cardiaque externe doit toujours être accompagné d'une ventilation artificielle par bouche-à-bouche ou par bouche-à-nez[29]. Les vomissements sont fréquents avec un risque d'inhalation du contenu gastrique[30].

La prise en charge médicalisée peut recourir à une oxygénothérapie au masque ou à une intubation trachéale avec mise sous ventilation mécanique. ; la mise en place d’une sonde gastrique pour vidanger l’estomac de l’eau déglutie ; la mise en place d’une voie veineuse.

L'hypothermie est protectrice : la noyade en eau glacée donne de meilleures chances de succès à la réanimation, surtout chez le sujet jeune[28].

Aux États-Unis, moins de 6 % des personnes sauvées par les garde-côtes doivent être hospitalisées. Selon l'état clinique, cela va de la simple observation de quelques heures jusqu'à l’admission en réanimation pour les formes les plus graves[28].

Aspects historiques

Méthode d'exécution

Scène de noyade, extraite de la Chronique de Nuremberg

La noyade fut utilisée comme méthode d'exécution rapide et économique pour tuer les condamnés. Le cas le plus fréquemment cité est celui des noyades de Nantes (1793-1794), ordonnées par Jean-Baptiste Carrier, pour vider les prisons des Vendéens qui s'y trouvaient. Ceux-ci étaient conduits au bord de la Loire, et, après avoir été dépouillés de leurs vêtements, étaient embarqués dans des barges que les bourreaux remorquaient avec des barques jusqu'au centre du fleuve. Là, les barges étaient coulées avec les condamnés, et les bourreaux achevaient à coup de sabre ceux qui cherchaient à nager. Carrier avait baptisé la Loire la « baignoire républicaine ».

La noyade était également un mode d'exécution classique à Venise, où elle se pratiquait le plus souvent de nuit. Les condamnés, au préalable enfermés à l’intérieur d'un sac lesté, étaient transférés des prisons jusqu'à une embarcation qui allait les jeter à l'eau dans le Rio degli Orfani, canal où la pêche était strictement interdite.

Une étude cite la « noyade dans un tonneau » aux Pays-Bas du XVIe au XVIIIe siècles[31]. Shakespeare raconte dans son Richard III que Georges Plantagenêt, duc de Clarence, frère d’Édouard IV et de Richard III, aurait été exécuté de cette manière dans un baril de vin de Malvoisie à la Tour de Londres en 1478.

La noyade a été appliquée à Genève aux XVIe et XVIIe siècles, voir par exemple le cas de Bartholomé Tecia condamné pour homosexualité[32].

Savoir médical

Au début des Lumières, la médecine fait l'objet de scepticisme et de discrédit. L'exemple de la noyade et la crainte de l'enterrement vivant illustrent son incapacité à distinguer la vie de la mort, et dans de tels cas à sauver des vies. Dans la première moitié du XVIIIe siècle, différents travaux sur les mécanismes de la noyade sont présentés devant l'Académie royale des sciences de Paris. La plupart des médecins pensent que la mort par noyade résulte d'une ingestion d'une trop grande quantité d'eau, ou encore d'un manque ou excès d'air dans les poumons provoqué par la fermeture de l'épiglotte[33].

En 1740, Réaumur recense les pratiques traditionnelles de secours dans son Avis pour donner du secours à ceux que l'on croit noyés. Il ne faut pas pendre le noyé par les pieds comme on le faisait habituellement, mais le déshabiller, le réchauffer, le faire vomir et éternuer, lui faire avaler des liqueurs ou de l'urine, insuffler de l'air chaud dans la bouche, de la fumée de tabac dans les intestins, faire une saignée à la jugulaire et une bronchotomie (trachéotomie)[34].

En 1748, le chirurgien Antoine Louis présente le résultat de ses recherches qui seront publiées en 1752 sous le titre Lettres sur la certitude des signes de la mort : où l'on rassure les citoyens de la crainte d'être enterrés vivans : avec des observations [et] des expériences sur les noyés. Il démontre que la mort par noyade résulte de la pénétration de l'eau dans les bronches.

Cette idée avait déjà été envisagée par Théophile Bonet (1620- 1689) et Giovanni Maria Lancisi (1654-1720) mais de façon spéculative. Louis prouve de façon expérimentale que tel est le cas, que ce mécanisme est le seul, et que la pénétration de l'eau dans les poumons se fait toujours avant et non après la mort. Le mécanisme de la noyade diffère complètement de celui observé dans la mort par pendaison ou asphyxie. Il devient possible de distinguer un noyé, d'une personne décédée jetée à l'eau pour simuler un suicide par noyade[34].

Louis confirme la valeur de la plupart des mesures proposées par Réaumur. Il rejette cependant l'ingestion d'alcool ou d'urine et la bronchotomie, en préférant insister plus particulièrement sur l'insufflation d'air chaud dans la bouche qui doit être pratiquée en maintenant fermé le nez du noyé. L'insufflation de tabac dans les intestins reste inexpliquée dans le cadre de la nouvelle théorie, mais Louis la justifie par son efficacité empirique. Il fait adapter pour l'usage de la réanimation des noyés, un soufflet intestinal de conception anglaise utilisé pour « libérer le ventre ». Le soufflet introduisant de la fumée de tabac par le rectum devient ainsi le premier appareil de réanimation[34].

Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, les travaux sur les secours aux noyés se multiplient : comme Méthodes pour rappeler les noyés à la vie (1771) de Jacques-François de Villiers ; ou encore Instructions sur les moyens d'administrer des secours aux personnes noyées pour les rappeler à la vie (1795) de Jean-Baptiste Desgranges (1751-1831)[35].

Organisation des secours

La notion d'urgence apparait avec Samuel Tissot (1728-1797) qui indique l'existence, chez les noyés, d'un temps limité au-delà duquel tous les secours sont vains ; alors que pour Réaumur les mesures de secours devaient être maintenues plusieurs heures dans tous les cas. Antoine Portal (1742-1832) recommande la promptitude des secours « C'est dans le bateau même qui a repêché le noyé qu'il faut commencer les secours ». Cette mesure est contenue dans le règlement sur les noyés de la ville de Paris en 1781[35].

La première société de secours aux noyés apparait à Amsterdam en 1767. Ses publications sont traduites en français et en anglais dès 1768. En 1774, à Londres, se crée la Society for the Recovery of Persons Apparently Drowned, qui existe toujours au XXIe siècle sous le nom de Royal Humane Society (en).

Celle de Paris est fondée en 1772, par Philippe-Nicolas Pia (1721-1779), apothicaire et échevin de Paris[36], qui fait disposer sur les berges de la seine des boîtes-entrepots contenant les instruments utiles au sauvetage avec leur mode d'emploi, tout en organisant des cours de secourisme. Les résultats sont publiés régulièrement à partir de 1773 dans Les détails des succès de l'établissement que la ville de Paris a fait en faveur des personnes noyées. Dès 1773, ce système est adopté par 95 villes. L'enseignement de la natation se répand largement pour multiplier les sauveteurs[35].

Notes et références

  1. « La noyade », sur Revue Medicale Suisse (consulté le )
  2. L. Ouanes-Besbes, F. Dachraoui, I. Ouanes, F. Abroug, « Noyades : aspects physiopathologiques et thérapeutiques », Réanimation, vol. 18, no 8,‎ , p. 703 (DOI 10.1016/j.reaurg.2009.08.010).
  3. Jean-Pierre Campana, Principes de médecine légale, Paris, Arnette, , 336 p. (ISBN 2-7184-1045-0), p. 112.
  4. Szpilman D, Bierens JJ, Handley AJ, Orlowski JP, Drowning, N Engl J Med, 2012;366:2102-2110
  5. (en) Dueker, Christopher W., « Laryngospasm in breath-hold diving. », breath-hold diving,‎ , p. 102-107 (lire en ligne)
  6. (en) Philippe Lunetta et Jerome H. Modell, « Macroscopical, Microscopical, and Laboratory Findings in Drowning Victims », dans Forensic Pathology Reviews, Humana Press, (ISBN 978-1-59259-910-3, DOI 10.1007/978-1-59259-910-3_1, lire en ligne), p. 3–77
  7. Joost J. L. M. Bierens, Philippe Lunetta, Mike Tipton et David S. Warner, « Physiology Of Drowning: A Review », Physiology, vol. 31, no 2,‎ , p. 147–166 (ISSN 1548-9213, DOI 10.1152/physiol.00002.2015, lire en ligne, consulté le )
  8. Philippe Lunetta, Jerome H. Modell et Antti Sajantila, « What Is the Incidence and Significance of “Dry-Lungs” in Bodies Found in Water? », American Journal of Forensic Medicine & Pathology, vol. 25, no 4,‎ , p. 291–301 (ISSN 0195-7910, DOI 10.1097/01.paf.0000146240.92905.7e, lire en ligne, consulté le )
  9. Tipton MJ, Golden FS, A proposed decision-making guide for the search, rescue and resuscitation of submersion (head under) victims based on expert opinion, Resuscitation, 2011;82:819-824
  10. Orlowski JP, Abulleil MM, Phillips JM, The hemodynamic and cardiovascular effects of near-drowning in hypotonic, isotonic, or hypertonic solutions, Ann Emerg Med, 1989;18:1044-1049
  11. Patrice Trapier et Raymond Docteur Martin, Morts suspectes. Les vérités d'un médecin légiste, Calmann-Lévy, , p. 151
  12. Injuries and violence prevention: non-communicable diseases and mental health: fact sheet on drowning, Geneva: World Health Organization, 2003
  13. « Enquête Noyades 2009 », Secourisme revue, no 168,‎ , p. 2-4
  14. Othmar Brügger, Giannina Bianchi, Christoph Müller, Steffen Niemann, Bureau de prévention des accidents (BPA), « Noyades mortelles en Suisse, 2000–2010 », Base connaissance du BPA,‎ berne, 2011 (lire en ligne [PDF], consulté le )
  15. Othmar Brügger, Christoph Müller, Steffen Niemann, Bureau de prévention des accidents (BPA), « Noyades mortelles en Suisse, 2000–2009 », Base connaissance du BPA,‎ berne 2010, p. 25 (lire en ligne [PDF], consulté le )
  16. La noyade est bien la deuxième cause de décès par accident chez les enfants, 7 juin 2017, rts.ch.
  17. Statistiques des noyades, Société suisse de sauvetage SSS.
  18. MétéoSuisse, « Bulletin climatologique été 2014 », Bulletin climatologique saison,‎ (lire en ligne [PDF], consulté le )
  19. Plus une personne de sexe non identifiable
  20. MétéoSuisse, « Bulletin climatologique été 2017 », Bulletin climatologique saison,‎ (lire en ligne [PDF], consulté le )
  21. D. Szpilman 2012, op. cit., p. 2102.
  22. Rapport mondial sur la noyade : Comment prévenir une cause majeure de décès, Espagne, Organisation mondiale de la Santé, , 76 p. (ISBN 978-92-4-256478-5, présentation en ligne, lire en ligne), p. 9
  23. M. Peden, Rapport mondial sur la prévention des traumatismes chez l'enfant, World Health Organization, , 228 p. (ISBN 978-92-4-256357-3, lire en ligne), p. 66
  24. M. Peden, Rapport mondial sur la prévention des traumatismes chez l'enfant, World Health Organization, , 228 p. (ISBN 978-92-4-256357-3, lire en ligne), p. 65
  25. Aisance Aquatique - 1ère étape
  26. Décret n° 2022-276 du 28 février 2022 relatif à l'attestation du « savoir-nager » en sécurité
  27. Arrêté du 28 février 2022 relatif à l'attestation du « savoir-nager » en sécurité
  28. D. Szpilman 2012, op. cit., p. 2103-2104.
  29. Vanden Hoek TL, Morrison LJ, Shuster M, et al Part 12: cardiac arrest in special situations: drowning: 2010 American Heart Association Guidelines for Cardiopulmonary Resuscitation and Emergency Cardiovascular Care, Circulation, 2010;122:Suppl 3:S847-S848
  30. Manolios N, Mackie I, Drowning and near-drowning on Australian beaches patrolled by life-savers: a 10-year study, 1973-1983, Med J Aust, 1988;148:165-171
  31. Gessler Jean, « La noyade dans un tonneau d'après une dissertation allemande », in Revue belge de philologie et d'histoire, tome 28 fasc. 3-4, 1950, pp. 1092-1103. En ligne, consulté le 23 mars 2013.
  32. Sonia Vernhes Rappaz, « La noyade judiciaire dans la République de Genève (1558-1619) », in Crime, histoire et sociétés, Vol. 13, No 1 (2009), p. 5-23 – Synthèse d'un mémoire de licence à l'université de Genève. Lire en ligne.
  33. Claudio Milanesi, Mort apparente, mort imparfaite, Médecine et mentalitésau XVIIIe siècle, Paris, Payot, coll. « Bibliothèque scientifique Payot », , 268 p. (ISBN 2-228-88293-3), p. 142 et 150-151.
  34. Claudio Milanesi 1991, op. cit., p. 158-160.
  35. « Organisation des secours au XVIIIe siècle », sur biusanté.parisdescartes.fr
  36. Francis Trépardoux, « Philippe-Nicolas Pia (1721-1799), échevin de Paris, pionnier du secourisme en faveur des noyés (première partie) », Revue d'histoire de la pharmacie, vol. 85, no 315,‎ , p. 257–268. (DOI 10.3406/pharm.1997.4543, lire en ligne, consulté le )

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplémentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimédias.