Akira Kurosawa
Akira Kurosawa (é»æŸ€ æ, Kurosawa Akira) est un rĂ©alisateur, producteur, scĂ©nariste et monteur japonais, nĂ© le Ă Tokyo, oĂč il est mort le . Il est considĂ©rĂ© comme lâun des cinĂ©astes les plus cĂ©lĂšbres et influents de lâhistoire du cinĂ©ma. En cinquante-sept ans de carriĂšre cinĂ©matographique, il a rĂ©alisĂ© plus de trente films.
é»æŸ€ æ
Surnom | AK, Sensei, lâEmpereur[1] |
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Naissance |
Shinagawa, Tokyo (Japon) |
Nationalité | japonaise |
DĂ©cĂšs |
(Ă 88 ans) Setagaya, Tokyo (Japon) |
Profession | Réalisateur, producteur, scénariste et monteur |
Films notables |
RashĆmon Les Sept SamouraĂŻs Barberousse Dersou Ouzala Kagemusha, lâOmbre du guerrier Ran |
AprĂšs une brĂšve expĂ©rience de peintre, Akira Kurosawa entre dans lâindustrie cinĂ©matographique japonaise en 1936 en tant quâassistant rĂ©alisateur et scĂ©nariste. Il fait ses dĂ©buts en tant que rĂ©alisateur pendant la Seconde Guerre mondiale avec le film dâaction populaire La LĂ©gende du grand judo (槿äžćé, Sugata SanshirĆ, 1943). Son huitiĂšme long mĂ©trage, LâAnge ivre (é ăă©ăć€©äœż, Yoidore tenshi), sort en 1948 et est acclamĂ© par la critique, consolidant sa rĂ©putation. Ce film marque les dĂ©buts de sa collaboration avec lâacteur ToshirĆ Mifune, qui va tourner dans seize de ses films.
Pour RashĆmon (çŸ çé), dont la premiĂšre a lieu Ă Tokyo en , Akira Kurosawa reçoit le Lion dâor de la Mostra de Venise. Cette rĂ©compense inattendue permet au film dâĂȘtre diffusĂ© en Europe et en AmĂ©rique du Nord. Son succĂšs public et critique ouvre les portes de lâOccident au cinĂ©ma japonais et permet Ă dâautres cinĂ©astes japonais dâobtenir une reconnaissance internationale. Des annĂ©es 1950 au dĂ©but des annĂ©es 1960, Kurosawa rĂ©alise environ un film par an, dont Vivre (çăă, Ikiru, 1952), Les Sept SamouraĂŻs (äžäșșăźäŸ, Shichinin no samurai, 1954) et Le Garde du corps (çšćżæŁ, YĆjinbĆ, 1961). Au dĂ©but des annĂ©es 1970, il devient beaucoup moins prolifique, mais ses Ćuvres tardives â dont Kagemusha, lâOmbre du guerrier (ćœ±æŠè , Kagemusha, 1980) et Ran (äč±, 1985) â continuent de remporter des prix, dont la Palme dâor au Festival de Cannes pour Kagemusha.
En 1990, il reçoit lâOscar dâhonneur dĂ©cernĂ© par lâAcademy of Motion Picture Arts and Sciences « pour lâensemble de ses rĂ©alisations qui ont inspirĂ©, ravi, enrichi et diverti le public mondial et influencĂ© les cinĂ©astes du monde entier ». En 1999, il est nommĂ© Ă titre posthume « PersonnalitĂ© asiatique du siĂšcle » dans la catĂ©gorie « Arts, littĂ©rature, et culture » par le magazine Asiaweek et CNN, prĂ©sentĂ© comme « lâune des cinq personnes ayant le plus contribuĂ© Ă lâĂ©panouissement de lâAsie durant les cent derniĂšres annĂ©es ».
Biographie
Enfance et éducation cinématographique (1910-1935)
Kurosawa naĂźt le [2] dans le quartier de HigashiĆi (arrondissement de Shinagawa) Ă Tokyo. Son pĂšre Isamu, descendant dâune famille de samouraĂŻs de la prĂ©fecture dâAkita, est directeur de lâĂ©cole secondaire de lâInstitut dâĂ©ducation physique de lâarmĂ©e, tandis que sa mĂšre vient dâune famille de marchands dâOsaka[3]. Il est le benjamin dâune lignĂ©e de sept enfants. Deux dâentre eux sont presquâadultes Ă sa naissance, et une de ses sĆurs meurt peu de temps aprĂšs. Kurosawa ne grandit alors quâavec trois de ses frĂšres et sĆurs[3] - [4].
En plus de promouvoir lâexercice physique, son pĂšre, Isamu Kurosawa, considĂšre la culture occidentale â et plus particuliĂšrement le cinĂ©ma et le thĂ©Ăątre â comme un point essentiel de lâĂ©ducation : le jeune Akira dĂ©couvre le cinĂ©ma Ă lâĂąge de 6 ans[5]. Sous lâinfluence dâun de ses professeurs dâĂ©cole Ă©lĂ©mentaire, M. Tachikawa, il se passionne pour la peinture et le dessin[6]. Ă cette Ă©poque, il Ă©tudie Ă©galement la calligraphie et le kendo[7].
Lâenfance dâAkira Kurosawa est Ă©galement trĂšs influencĂ©e par son frĂšre Heigo, de quatre ans son aĂźnĂ©. Kurosawa rapporte quâĂ la suite du sĂ©isme du KantĆ de 1923, Heigo lâemmĂšne dans les quartiers les plus dĂ©truits de la capitale et que lorsquâil tente de dĂ©tourner les yeux des cadavres jonchant les rues, son frĂšre lâen empĂȘche pour lâobliger Ă affronter ses peurs. Pour certains critiques, cet Ă©vĂ©nement a fortement influencĂ© la sensibilitĂ© de Kurosawa[8] - [9].
Heigo est un Ă©lĂšve brillant, mais Ă©choue Ă son examen dâentrĂ©e au lycĂ©e. Ă la suite de cet Ă©chec, il se dĂ©tache peu Ă peu de sa famille, et se concentre sur la littĂ©rature Ă©trangĂšre[4]. Ă la fin des annĂ©es 1920, Heigo devient benshi (commentateur de films muets) et se fait connaĂźtre sous le nom de Suda Teimei. Akira, qui veut alors devenir peintre de style occidental[10], emmĂ©nage avec son frĂšre[11]. GrĂące Ă Heigo, Akira dĂ©couvre non seulement le cinĂ©ma, mais Ă©galement le thĂ©Ăątre et le cirque[12]. Dans le mĂȘme temps, il expose ses toiles et travaux dans le cadre des expositions de la Ligue des artistes prolĂ©tariens. Mais il nâarrive pas Ă vivre de sa peinture et finit par sâen lasser. Il se dĂ©tourne aussi de la politique alors que la rĂ©pression policiĂšre sâest accentuĂ©e[13].
Avec lâavĂšnement du cinĂ©ma parlant au dĂ©but des annĂ©es 1930, il devient difficile pour les benshi comme Heigo de trouver du travail, et Akira retourne chez ses parents. En , Heigo se suicide avec sa compagne. Kurosawa dĂ©crit cette mort comme un sentiment durable de perte[14], et lâĂ©voque dans le chapitre intitulĂ© « Une histoire dont je ne veux pas parler » de son autobiographie[15]. Seulement quatre mois aprĂšs la mort de Heigo, son frĂšre aĂźnĂ© meurt Ă©galement[11] - [15].
Apprentissage de la réalisation (1935-1941)
En 1935, le nouveau studio de cinĂ©ma « Photo Chemical Laboratories » â abrĂ©gĂ© PCL, et qui devient par la suite le studio TĆhĆ â recherche des assistants rĂ©alisateurs. Bien quâil nâait jamais envisagĂ© de travailler dans le cinĂ©ma et quâil ait dĂ©jĂ un travail dâillustrateur de livres, Kurosawa rĂ©pond Ă lâannonce du studio, qui demande aux candidats de rĂ©diger un essai sur les dĂ©fauts fondamentaux des films japonais et les moyens dây remĂ©dier. Kurosawa explique dans son papier que si ces dĂ©fauts sont fondamentaux, alors il nây a aucun moyen de les corriger. Cette lettre au ton moqueur lui permet de passer les examens suivants. Le rĂ©alisateur KajirĆ Yamamoto, qui fait partie des recruteurs, insiste pour que Kurosawa soit embauchĂ©. En , Ă lâĂąge de 25 ans, Kurosawa entre chez PCL[16] - [17].
Au cours de ses cinq annĂ©es en tant quâassistant, Kurosawa travaille pour un nombre important de rĂ©alisateurs diffĂ©rents, mais celui qui lui apporte le plus reste KajirĆ Yamamoto. Sur ses vingt-quatre films en tant quâassistant rĂ©alisateur, dix-sept sont rĂ©alisĂ©s par Yamamoto, la plupart Ă©tant des comĂ©dies jouĂ©es par lâacteur Kenâichi Enomoto, plus connu sous le nom de « Enoken »[18]. Yamamoto cultive le talent de Kurosawa et le fait passer en une annĂ©e de troisiĂšme assistant à « assistant rĂ©alisateur en chef »[19]. Les responsabilitĂ©s de Kurosawa sâaccroissent, et son travail va de lâĂ©laboration des scĂšnes et du dĂ©veloppement du film aux repĂ©rages des lieux de tournage, en passant par la finition du scĂ©nario, les rĂ©pĂ©titions, lâĂ©clairage, le doublage, le montage et la direction de la seconde Ă©quipe[20]. Dans son dernier film en tant quâassistant rĂ©alisateur, Cheval (銏, Uma, 1941), Kurosawa prend en charge lâessentiel de la production, Yamamoto Ă©tant dĂ©jĂ occupĂ© par le tournage dâun autre film[21].
Yamamoto confie Ă Kurosawa quâun bon rĂ©alisateur doit avant tout ĂȘtre un excellent scĂ©nariste[22]. Kurosawa comprend alors quâil peut ĂȘtre davantage rĂ©munĂ©rĂ© en Ă©crivant des scĂ©narios plutĂŽt quâen restant assistant rĂ©alisateur[23]. Par la suite, il Ă©crit ou coĂ©crit tous ses films, et Ă©crit frĂ©quemment des scĂ©narios pour dâautres rĂ©alisateurs, comme celui du film Le Triomphe des ailes (çżŒăźć±æ, Tsubasa no gaika, 1942) de Satsuo Yamamoto. LâĂ©criture de scĂ©narios pour dâautres rĂ©alisateurs est pour Kurosawa une activitĂ© lucrative, qui dure jusque dans les annĂ©es 1960, bien aprĂšs quâil soit devenu cĂ©lĂšbre[24].
Guerre, censure et mariage (1942-1945)
Durant les deux ans suivant la sortie de Cheval en 1941, Kurosawa est en quĂȘte dâune histoire qui pourrait lancer sa carriĂšre de rĂ©alisateur. Vers la fin de lâannĂ©e 1942, environ un an aprĂšs le dĂ©but de la guerre entre le Japon et les Ătats-Unis, le romancier Tsuneo Tomita publie Sugata SanshirĆ, un roman sur la naissance du judo Ă©crit dans le style de Miyamoto Musashi. IntriguĂ© par le livre, Kurosawa lâachĂšte le jour de sa publication ; aprĂšs lâavoir lu dâune traite, il demande immĂ©diatement Ă la TĆhĆ dâen acquĂ©rir les droits dâadaptation. Son intuition sâest avĂ©rĂ©e juste puisque, en lâespace de quelques jours, trois autres grands studios japonais proposent Ă©galement dâacheter les droits. La TĆhĆ finit par les obtenir, et Kurosawa entame la prĂ©production de son premier film en tant que rĂ©alisateur[25] - [26].
Le tournage de La LĂ©gende du grand judo (槿äžćé, Sugata SanshirĆ) dĂ©bute Ă Yokohama en . La production du film ne pose pas de problĂšme, mais la censure, qui avait donnĂ© son accord en amont conformĂ©ment Ă la loi sur le cinĂ©ma de 1939[27], juge le rĂ©sultat du tournage trop « anglo-saxon ». La LĂ©gende du grand judo doit finalement sa sortie le au rĂ©alisateur YasujirĆ Ozu, qui dĂ©fend le film. NĂ©anmoins, dix-huit minutes de la version initiale sont censurĂ©es. La plupart de ces coupes sont aujourdâhui considĂ©rĂ©es comme dĂ©finitivement perdues[28] - [29]. La LĂ©gende du grand judo est un film caractĂ©ristique de lâidĂ©ologie de lâĂ©poque. Il exalte les vertus morales et lâabnĂ©gation du petit peuple, par opposition Ă lâĂ©goĂŻsme et Ă la mĂ©chancetĂ© des bourgeois occidentalisĂ©s, reprĂ©sentĂ©s par le personnage de Gennosuke.
Kurosawa sâintĂ©resse ensuite au sujet des femmes ouvriĂšres en temps de guerre dans Le Plus Beau (äžçȘçŸăă, Ichiban utsukushiku), un film de propagande tournĂ© dans un style semi-documentaire au dĂ©but de lâannĂ©e 1944. Le scĂ©nario, Ă©crit par Kurosawa, met en scĂšne un groupe de jeunes ouvriĂšres dans une usine de lentilles optiques Ă usage militaire qui fait tout son possible malgrĂ© les difficultĂ©s pour augmenter sa productivitĂ©. Pour obtenir des performances rĂ©alistes de la part des actrices, Kurosawa les fait vivre dans une vĂ©ritable usine pendant le tournage, manger la nourriture de lâusine et sâappeler les unes les autres par les noms de leurs personnages. Il utilise des mĂ©thodes similaires avec ses interprĂštes tout au long de sa carriĂšre[30] - [31].
Au cours de la production, YĆko Yaguchi[alpha 1], lâactrice interprĂ©tant la meneuse du groupe dâouvriĂšres, est choisie par ses collĂšgues pour prĂ©senter Ă Kurosawa leurs exigences. Paradoxalement, alors quâils sâopposent en permanence, Yaguchi et Kurosawa se rapprochent. Ils se marient le , alors que YĆko est enceinte de deux mois. Ils restent mariĂ©s jusquâĂ la mort de YĆko en 1985[32] - [33]. Ils ont ensemble deux enfants : un fils, Hisao, nĂ© le , producteur de quelques-uns des derniers projets de son pĂšre, et une fille, Kazuko, nĂ©e le , chef costumiĂšre[34].
Juste avant son mariage, Kurosawa est pressĂ© par le studio de donner une suite Ă La LĂ©gende du grand judo. Le film de propagande La Nouvelle LĂ©gende du grand judo (çș槿äžćé, Zoku Sugata SanshirĆ) sort en , et est souvent considĂ©rĂ© comme lâune des Ćuvres les moins abouties de Kurosawa[35] - [36] - [37] - [38] - [39].
Dans le contexte de pĂ©nurie des derniers mois de la guerre, Kurosawa dĂ©cide dâĂ©crire le scĂ©nario dâun film moins onĂ©reux Ă produire que les prĂ©cĂ©dents. Les Hommes qui marchĂšrent sur la queue du tigre (èăźć°Ÿăèžăç·é, Tora no o o fumu otokotachi), basĂ© sur la piĂšce de kabuki KanjinchĆ, avec Enoken, est achevĂ© en . Ă cette date, le Japon vient de capituler, et lâoccupation du pays par les AlliĂ©s a commencĂ©. Le systĂšme de censure mis en place par les AmĂ©ricains, Ă lâencontre de tous les films japonais rĂ©alisĂ©s pendant la guerre, bloque la diffusion du film, estimant quâil dĂ©fend des valeurs « fĂ©odales ». Le film avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© critiquĂ© par les censeurs japonais en temps de guerre, qui le jugeaient trop occidental et « dĂ©mocratique ». Ils regrettaient notamment le rĂŽle du porteur comique interprĂ©tĂ© par Enoken. Le film nâaurait donc probablement pas vu le jour mĂȘme si la guerre sâĂ©tait poursuivie plus longtemps. Il ne sort finalement quâen 1952, sept ans aprĂšs son tournage[40] - [41].
Travaux d'aprĂšs-guerre (1946-1950)
Au lendemain de la guerre, Kurosawa est inspirĂ© par les idĂ©aux dĂ©mocratiques du nouveau rĂ©gime nĂ© de lâoccupation. Le premier film rĂ©sultant de cette inspiration est Je ne regrette rien de ma jeunesse (ăăéæ„ă«æăȘă, Waga seishun ni kuinashi), sorti en 1946, basĂ© sur lâincident de Takigawa de 1933 et lâaffaire de lâespion Hotsumi Ozaki, dans lequel le rĂ©alisateur critique le rĂ©gime japonais dâavant-guerre[alpha 2]. Le personnage central du film est une femme, Yukie (interprĂ©tĂ©e par Setsuko Hara), qui cherche sa place dans un contexte de crise politique. Le scĂ©nario original, Ă©crit par EijirĆ Hisaita, doit ĂȘtre revu et corrigĂ© de façon importante en raison de ses thĂšmes politiques. Le film divise la critique, tant par son sujet controversĂ© que par le sexe de son personnage principal. En revanche, le succĂšs auprĂšs du public est prĂ©sent, et le titre du film devient une phrase culte dâaprĂšs-guerre[43] - [44] - [45] - [46].
Son film suivant, Un merveilleux dimanche (çŽ æŽăăăæ„ææ„, Subarashiki nichiyĆbi), sort en et reçoit un accueil critique mitigĂ©. Il sâagit de lâhistoire dâamour relativement simple dâun couple appauvri par la guerre qui souhaite profiter de son jour de repos. Pour ce film, Kurosawa est influencĂ© par les Ćuvres de Frank Capra, D. W. Griffith et F. W. Murnau, des cinĂ©astes quâil admire profondĂ©ment[47] - [48]. En 1947 sort La Montagne dâargent (éć¶șăźæăŠ, Ginrei no hate), un film de Senkichi Taniguchi et Ă©crit par Kurosawa. Ce film marque les dĂ©buts du jeune acteur ToshirĆ Mifune. Câest Kurosawa, avec lâaide de Yamamoto, qui insiste pour que le studio TĆhĆ engage Mifune[49].
LâannĂ©e suivante sort LâAnge ivre (é ăă©ăć€©äœż, Yoidore tenshi). Bien que le scĂ©nario doive ĂȘtre rĂ©Ă©crit Ă cause de la censure de lâoccupation, Kurosawa a le sentiment de pouvoir enfin sâexprimer librement. Le film raconte lâhistoire dâun mĂ©decin tentant de sauver un yakuza de la tuberculose. Il sâagit de la premiĂšre collaboration entre le rĂ©alisateur et Mifune. Cette collaboration se poursuit durant les seize films suivants du cinĂ©aste (hormis Vivre), oĂč Mifune joue les premiers rĂŽles. Ă lâorigine, Mifune nâest pas censĂ© jouer le personnage principal de LâAnge ivre, mais sa prestation de yakuza est telle quâil domine le film et Ă©clipse le rĂŽle du docteur alcoolique tenu par Takashi Shimura. Kurosawa dĂ©cide alors de ne pas gĂȘner la montĂ©e en puissance du jeune acteur. Le jeu de rebelle de Mifune conquiert aussitĂŽt le public. Lâavant-premiĂšre a lieu en , et le film est Ă©lu meilleur film de lâannĂ©e par la prestigieuse revue Kinema JunpĆ. Au total, trois films de Kurosawa seront ainsi rĂ©compensĂ©s[50] - [51] - [52] - [53].
Avec le producteur SĆjirĆ Motoki et les rĂ©alisateurs KajirĆ Yamamoto, Mikio Naruse et Senkichi Taniguchi, Kurosawa fonde lâAssociation artistique cinĂ©matographique (æ ç»èžèĄćäŒ, Eiga Geijutsu KyĆkai). Pour les dĂ©buts de cette organisation, et pour son premier film pour Daiei, Kurosawa adapte avec Taniguchi une piĂšce contemporaine de Kazuo Kikuta. Le Duel silencieux (éăăȘăæ±șé, Shizukanaru kettĆ) a pour tĂȘte dâaffiche ToshirĆ Mifune en jeune mĂ©decin idĂ©aliste luttant contre la syphilis. Il sâagit dâune tentative dĂ©libĂ©rĂ©e de Kurosawa de sortir Mifune des rĂŽles de gangsters. Sorti en , le film est un succĂšs au box-office, mais est gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ© comme lâun des moins bons du cinĂ©aste[54] - [55] - [56] - [57].
Son second film de lâannĂ©e 1949, Ă©galement produit par lâAssociation artistique cinĂ©matographique et distribuĂ© par la ShintĆhĆ, est Chien enragĂ© (éèŻçŹ, Nora inu), lâun de ses films les plus cĂ©lĂšbres. Ce film policier raconte lâhistoire dâun jeune dĂ©tective (interprĂ©tĂ© par Mifune) obsĂ©dĂ© par son pistolet volĂ© par un dĂ©muni qui sâen sert pour commettre des crimes. Il est chargĂ© dâassister le commissaire Sato, dont la perspicacitĂ© pour remonter jusquâau coupable rappelle celle du commissaire Maigret. AdaptĂ© dâun roman de Kurosawa lui-mĂȘme, et Ă©crit dans le style de lâun de ses auteurs favoris â en lâoccurrence Georges Simenon â, il sâagit avant tout de sa premiĂšre collaboration avec le scĂ©nariste RyĆ«zĆ Kikushima. Lâune des sĂ©quences les plus cĂ©lĂšbres du film, dâune durĂ©e de huit minutes et sans dialogues, reprĂ©sente le jeune dĂ©tective dĂ©guisĂ© en pauvre vĂ©tĂ©ran errant dans les rues Ă la recherche de son arme ; cette sĂ©quence utilise des plans dâun documentaire sur la ville de Tokyo ravagĂ©e par la guerre, rĂ©alisĂ© par IshirĆ Honda, un ami de Kurosawa et futur rĂ©alisateur de Godzilla (ăŽăžă©, Gojira)[58] - [59] - [60].
Scandale (éè, ShĆ«bun), produit par la ShĆchiku et sorti en , est inspirĂ© dâune expĂ©rience personnelle du rĂ©alisateur avec la presse Ă scandale. Le film mĂȘle drame judiciaire et problĂšmes sociaux sur fond de libertĂ© dâexpression et de responsabilitĂ©s personnelles. Mais Kurosawa juge le travail flou et peu satisfaisant, rejoignant ce que sâaccorde Ă dire la majoritĂ© des critiques[61] - [62] - [63] - [64]. Cependant, câest avec son second film de 1950, RashĆmon (çŸ çé), que Kurosawa finit par gagner un tout nouveau public.
Reconnaissance internationale (1950-1958)
AprĂšs la sortie de Scandale, Kurosawa est approchĂ© par les studios Daiei, afin quâil rĂ©alise un deuxiĂšme film pour eux aprĂšs Le Duel silencieux. Le rĂ©alisateur choisit alors le script dâun jeune scĂ©nariste, Shinobu Hashimoto, basĂ© sur la nouvelle de RyĆ«nosuke Akutagawa intitulĂ©e Dans le fourrĂ© (èȘăźäž, Yabu no naka) qui narre le meurtre dâun samouraĂŻ et le viol de sa femme. Kurosawa voit dans cette nouvelle un potentiel cinĂ©matographique, et dĂ©cide de la dĂ©velopper avec lâaide de Hashimoto. Daiei accueille le projet avec enthousiasme dâautant que le budget requis semble faible avec ses deux uniques dĂ©cors et un tournage majoritairement en extĂ©rieur[65]. MatsutarĆ Kawaguchi, alors cadre Ă la Daiei, se plaindra plus tard auprĂšs de Kurosawa dâavoir Ă©tĂ© roulĂ© tant lâimposant dĂ©cor de la porte RashĆ a Ă©tĂ© couteux[66].
Le tournage de RashĆmon se dĂ©roule du au dans les grands espaces montagneux de la forĂȘt de Nara puis dans la forĂȘt qui longe le Konkai kĆmyĆ-ji Ă Kyoto. La post-production du film dure une seule semaine, et est gĂȘnĂ©e par un incendie dans les studios. Lâavant-premiĂšre a lieu le au thĂ©Ăątre impĂ©rial de Tokyo, la sortie nationale le lendemain. Les critiques sont partagĂ©es, intriguĂ©es par le thĂšme unique du film. Il sâagit nĂ©anmoins dâun succĂšs financier modĂ©rĂ© pour la sociĂ©tĂ© Daiei[66] - [67] - [68].
Le film suivant de Kurosawa, pour ShĆchiku, est LâIdiot (çœçŽ, Hakuchi), une adaptation du roman de lâĂ©crivain prĂ©fĂ©rĂ© du rĂ©alisateur, Fiodor DostoĂŻevski. Le cinĂ©aste dĂ©localise lâhistoire de la Russie Ă HokkaidĆ, mais reste trĂšs fidĂšle Ă lâĆuvre originale, ce que de nombreuses critiques jugent dommageable pour le film. JugĂ© trop long, le film de Kurosawa est raccourci, passant de 265 minutes (prĂšs de 4 h 30) Ă 166 minutes, ce qui rend lâhistoire difficilement comprĂ©hensible. Ă sa sortie, les critiques sont trĂšs mauvaises, mais le film rencontre un succĂšs modĂ©rĂ© auprĂšs du public, essentiellement grĂące Ă la prĂ©sence de Setsuko Hara[69] - [70] - [71] - [72].
Pendant ce temps, Ă lâinsu de Kurosawa, RashĆmon est sĂ©lectionnĂ© Ă la Mostra de Venise grĂące aux efforts de Giuliana Stramigioli, une reprĂ©sentante basĂ©e au Japon dâune sociĂ©tĂ© de production italienne. Le , RashĆmon reçoit la plus haute distinction du festival, le Lion dâor. Cette rĂ©compense surprend lâensemble du monde du cinĂ©ma, qui Ă lâĂ©poque ignorait quasiment tout de la tradition cinĂ©matographique du Japon[73].
Daiei exploite alors briĂšvement le film Ă Los Angeles jusquâĂ ce que RKO rachĂšte les droits de distribution sur le sol des Ătats-Unis. Le risque est grand pour RKO : Ă lâĂ©poque, un seul film sous-titrĂ© est sur le marchĂ© amĂ©ricain, et le seul film japonais ayant Ă©tĂ© distribuĂ© Ă New York, une comĂ©die de Mikio Naruse en 1937, a Ă©tĂ© un Ă©chec critique et commercial. Pourtant, lâexploitation de RashĆmon est un succĂšs, aidĂ©e par de nombreux critiques dont Ed Sullivan : lors des trois premiĂšres semaines, le film engrange 35 000 $, et ce dans un seul cinĂ©ma de New York. Le public français quant Ă lui dĂ©couvre le film en salles en [74]. Ce succĂšs entraĂźne un regain dâintĂ©rĂȘt pour les films japonais en Occident dans les annĂ©es 1950, Ă©clipsant le cinĂ©ma nĂ©orĂ©aliste italien[75]. GrĂące Ă cette renommĂ©e, les films dâautres cinĂ©astes japonais commencent Ă recevoir des rĂ©compenses et Ă ĂȘtre distribuĂ©s en Occident, comme ceux de Kenji Mizoguchi, et plus tard ceux de YasujirĆ Ozu, des cinĂ©astes reconnus au Japon mais totalement inconnus dans cette partie du monde[76].
Sa carriĂšre gonflĂ©e par sa reconnaissance internationale, Kurosawa retourne chez TĆhĆ et travaille sur son prochain film, Vivre (çăă, Ikiru). Le film met en scĂšne Watanabe (Takashi Shimura), un fonctionnaire atteint dâun cancer qui cherche Ă donner un dernier sens Ă sa vie. Pour le scĂ©nario, Kurosawa sâallie Ă Hashimoto et Ă lâĂ©crivain Hideo Oguni, avec qui il coĂ©crit douze films. MalgrĂ© le sujet grave, les scĂ©naristes abordent le rĂ©cit dâune maniĂšre satirique, ce que certains comparent au travail de Bertolt Brecht. Cette stratĂ©gie leur a permis dâĂ©viter ce sentimentalisme commun qui rĂšgne habituellement autour de personnages atteints de maladies incurables. Vivre sort en , Kurosawa est rĂ©compensĂ© de son deuxiĂšme « meilleur film » de Kinema JunpĆ, et le film remporte un grand succĂšs au box-office[77] - [78] - [79].
En , Kurosawa sâisole durant 45 jours avec les deux scĂ©naristes de Ikiru, Shinobu Hashimoto et Hideo Oguni. Ensemble, ils Ă©crivent le scĂ©nario du prochain film du cinĂ©aste, Les Sept SamouraĂŻs (äžäșșăźäŸ, Shichinin no samurai). Il sâagit du premier vĂ©ritable chanbara de Kurosawa, genre pour lequel il est aujourdâhui le plus connu. Lâhistoire, celle dâun pauvre village de lâĂ©poque Sengoku qui fait appel Ă un groupe de samouraĂŻs afin de se dĂ©fendre des bandits, est traitĂ©e par Kurosawa dâune maniĂšre totalement Ă©pique, et lâaction est mĂ©ticuleusement dĂ©taillĂ©e durant les trois heures et demie. Le film sâappuie sur une distribution dâensemble impressionnante, composĂ©e notamment dâacteurs ayant dĂ©jĂ tournĂ© avec Kurosawa[80].
Trois mois sont nĂ©cessaires pour la prĂ©production, un mois pour les rĂ©pĂ©titions. Le tournage dure 148 jours Ă©talĂ©s sur prĂšs dâun an, interrompu entre autres par des difficultĂ©s de production et dâordre financier, ainsi que par les problĂšmes de santĂ© de Kurosawa. Le film sort finalement en , soit 6 mois aprĂšs la date prĂ©vue. Le film coĂ»te trois fois plus que prĂ©vu, et devient alors le film japonais le plus cher jamais rĂ©alisĂ©. Les critiques sont positives, et le succĂšs au box-office permet de rentrer rapidement dans les frais. AprĂšs de nombreuses modifications, il est distribuĂ© sur le marchĂ© international. Au fil du temps, et grĂące aux versions non modifiĂ©es diffusĂ©es par la suite, le film accroĂźt sa notoriĂ©tĂ©. En 1979, un vote parmi des critiques japonais le classe comme Ă©tant le meilleur film japonais de tous les temps. Aujourdâhui encore, il est considĂ©rĂ© comme tel par certains critiques[80] - [81] - [82].
En 1954, des tests nuclĂ©aires militaires dans le Pacifique crĂ©ent des incidents aux consĂ©quences dĂ©sastreuses, comme celui impliquant le thonier japonais Daigo FukuryĆ« Maru. Câest dans cette anxiĂ©tĂ© ambiante que Kurosawa conçoit son film suivant, Vivre dans la peur (çăăăźăźèšéČ, Ikimono no kiroku). Le propos porte sur un riche industriel (ToshirĆ Mifune) terrifiĂ© Ă lâidĂ©e dâune attaque nuclĂ©aire, et qui dĂ©cide dâemmener sa famille dans une ferme au BrĂ©sil pour ĂȘtre en sĂ©curitĂ©. La production est moins chaotique que lors du film prĂ©cĂ©dent, mais Ă quelques jours de la fin du tournage, Fumio Hayasaka, compositeur et ami de Kurosawa, meurt de la tuberculose. La bande originale est alors achevĂ©e par lâassistant de Hayasaka, Masaru SatĆ, qui travaille sur les huit films suivants de Kurosawa. Vivre dans la peur sort en , mais lâaccueil des critiques et du public est timide et rĂ©servĂ©. Le film devient alors le premier de Kurosawa Ă ne pas rentrer dans ses frais durant son exploitation en salle. Aujourdâhui, il est considĂ©rĂ© comme le meilleur film traitant des effets psychologiques de la paralysie nuclĂ©aire mondiale[83] - [84] - [85].
Le projet suivant de Kurosawa, Le ChĂąteau de lâaraignĂ©e (èèć·Łć, Kumonosu-jĆ), est une adaptation du Macbeth de William Shakespeare, dont lâhistoire est transposĂ©e en Asie Ă lâĂ©poque Sengoku. Kurosawa donne pour instruction aux acteurs, et notamment Ă lâactrice principale Isuzu Yamada, dâagir et de jouer comme sâil sâagissait dâun classique de la littĂ©rature japonaise et non occidentale. Le jeu des acteurs sâapparente alors aux techniques et styles du thĂ©Ăątre nĂŽ. Le film est tournĂ© en 1956 et sort en . Le succĂšs en salle est lĂ©gĂšrement moins mauvais que pour Vivre dans la peur. Ă lâĂ©tranger, le film devient rapidement une rĂ©fĂ©rence parmi les adaptations cinĂ©matographiques de Shakespeare[86] - [87] - [88] - [89].
La production dâune autre adaptation dâun classique europĂ©en suit immĂ©diatement celle du ChĂąteau de lâaraignĂ©e. Les Bas-fonds (ă©ăćș, Donzoko), adaptĂ© de la piĂšce du mĂȘme nom de Maxime Gorki, est rĂ©alisĂ© en mai et . Bien que lâadaptation soit trĂšs fidĂšle Ă la piĂšce de thĂ©Ăątre russe, lâexercice de transposition Ă lâĂ©poque dâEdo est considĂ©rĂ© comme une rĂ©ussite artistique. La premiĂšre a lieu en , et le film reçoit un accueil partagĂ©, similaire Ă celui reçu par Le ChĂąteau de lâaraignĂ©e. Certains critiques le classent parmi les Ćuvres les plus sous-estimĂ©es de Kurosawa[90] - [91] - [92] - [93].
Les trois films suivant Les Sept SamouraĂŻs nâont pas connu le mĂȘme succĂšs auprĂšs du public japonais. Le travail de Kurosawa est de plus en plus sombre et pessimiste, et le rĂ©alisateur aborde les questions de la rĂ©demption. Kurosawa, qui sâaperçoit de ces changements, dĂ©cide dĂ©libĂ©rĂ©ment de retourner Ă des films plus lĂ©gers et divertissants. Ă cette mĂȘme Ă©poque, le format Ă©cran large devient trĂšs populaire au Japon. En rĂ©sulte La Forteresse cachĂ©e (é ăç ŠăźäžæȘäșș, Kakushi toride no san-akunin), film dâaction et dâaventure mettant en scĂšne une princesse, son fidĂšle gĂ©nĂ©ral et deux paysans devant traverser les lignes ennemies pour pouvoir rejoindre leurs foyers. Sorti en 1958, La Forteresse cachĂ©e est un Ă©norme succĂšs au box-office, et est chaudement accueilli par les critiques. Aujourdâhui, le film est considĂ©rĂ© comme lâun des films les plus lĂ©gers et accessibles de Kurosawa, mais reste trĂšs populaire pour ses nombreuses influences, notamment sur Star Wars, le space opera de George Lucas sorti en 1977[94] - [95] - [96] - [97].
Naissance d'une entreprise et fin d'une Ăšre (1959-1965)
Depuis RashĆmon, les films de Kurosawa atteignent un public plus large, et la fortune du rĂ©alisateur augmente. TĆhĆ propose alors au rĂ©alisateur de financer lui-mĂȘme une partie de ses films, et ainsi de limiter les risques financiers pour la sociĂ©tĂ© de production, en Ă©change de quoi Kurosawa aurait davantage de libertĂ© artistique en tant que coproducteur. Kurosawa accepte, et la Kurosawa Production Company naĂźt en , avec TĆhĆ comme actionnaire principal[98].
Alors quâil met maintenant en jeu son propre argent, Kurosawa choisit de rĂ©aliser un film critiquant plus ouvertement la politique et lâĂ©conomie japonaise que ses prĂ©cĂ©dentes Ćuvres. Les salauds dorment en paix (æȘăć„Žă»ă©ăăç ă, Warui yatsu hodo yoku nemuru), basĂ© sur un scĂ©nario de Mike Inoue, neveu de Kurosawa, raconte la vengeance dâun jeune homme grimpant dans la hiĂ©rarchie dâune entreprise corrompue afin de dĂ©masquer les responsables de la mort de son pĂšre. Son thĂšme se rĂ©vĂšle dâactualitĂ© : pendant la production, de grandes manifestations ont lieu pour dĂ©noncer le traitĂ© de coopĂ©ration mutuelle et de sĂ©curitĂ© entre les Ătats-Unis et le Japon. Ce traitĂ© est considĂ©rĂ©, notamment par la jeunesse, comme une menace pour la dĂ©mocratie du pays car il donne plus de pouvoir aux entreprises et aux politiciens. Le film sort en sous une critique positive, mais le succĂšs au box-office est modeste. La sĂ©quence dâouverture de 25 minutes, dĂ©crivant une cĂ©rĂ©monie dâentreprise interrompue par des journalistes et la police, est considĂ©rĂ©e comme lâune des plus savamment orchestrĂ©es de Kurosawa, mais, par comparaison, le reste du film déçoit. Le film est Ă©galement critiquĂ© pour son hĂ©ros conventionnel luttant contre un mal social qui ne peut ĂȘtre rĂ©solu par des individualitĂ©s[99] - [100] - [101] - [102].
Le Garde du corps (çšćżæŁ, YĆjinbĆ), le second film de Kurosawa Productions, est centrĂ© sur le samouraĂŻ SanjĆ«rĆ qui pousse Ă sâentretuer deux clans se disputant violemment le contrĂŽle dâune ville du XIXe siĂšcle. Le rĂ©alisateur joue avec les conventions de genre, en particulier le western, et se permet un portrait artistique de la violence sans prĂ©cĂ©dent au Japon. SanjurĆ est parfois perçu comme un personnage fantaisiste qui renverse par magie le triomphe historique des marchands corrompus sur les samouraĂŻs. Le film sort en et obtient un immense succĂšs au box-office, rapportant plus dâargent que tous les films prĂ©cĂ©dents de Kurosawa. Le film dĂ©montre une influence importante du genre au Japon, et inaugure une nouvelle Ăšre pour les zankoku eiga, films de samouraĂŻs ultraviolents. Le film et son humour noir sont largement imitĂ©s Ă lâĂ©tranger â Pour une poignĂ©e de dollars de Sergio Leone en est par exemple un remake scĂšne-par-scĂšne non autorisĂ©. â, mais beaucoup sâaccordent Ă dire que lâoriginal de Kurosawa est supĂ©rieur aux imitations[103] - [104] - [105].
Ă la suite du succĂšs de Le Garde du corps, Kurosawa se retrouve sous la pression de la TĆhĆ, qui dĂ©sire une suite. Il sâoriente alors vers un scĂ©nario quâil Ă©crivit avant Le Garde du corps et le retravaille pour y inclure le hĂ©ros. Sanjuro (æ€żäžćé, Tsubaki SanjĆ«rĆ) est le premier des trois films de Kurosawa Ă ĂȘtre adaptĂ© des travaux de lâĂ©crivain ShĆ«gorĆ Yamamoto (les deux autres sont Barberousse et Dodesâkaden). Le film est plus lĂ©ger et plus conventionnel que Le Garde du corps, bien que lâhistoire de lutte de pouvoir au sein dâun clan de samouraĂŻs est dĂ©crite avec des nuances trĂšs comiques. Le film sort le et surpasse rapidement Le Garde du corps au box-office[106] - [107] - [108].
Pendant ce temps, la TĆhĆ acquiert Ă la demande de Kurosawa les droits dâadaptation de Rançon sur un thĂšme mineur (King's Ransom, 1959), roman policier de la sĂ©rie 87e District dâEd McBain. Kurosawa veut en effet rĂ©aliser un film dĂ©nonçant le kidnapping, quâil considĂšre comme lâun des pires crimes. Le thriller Entre le ciel et lâenfer (怩ćœăšć°ç, Tengoku to jigoku) est tournĂ© fin 1962 et sort en sous des critiques Ă©logieuses. Le film devient le plus gros succĂšs de Kurosawa au box-office, et le plus gros succĂšs de lâannĂ©e au Japon. Cependant, son succĂšs est quelque peu terni lorsque, ironiquement, le film entraĂźne une hausse du nombre dâenlĂšvements aprĂšs sa sortie. Kurosawa lui-mĂȘme reçoit des menaces dâenlĂšvement visant sa fille Kazuko. Entre le ciel et lâenfer est considĂ©rĂ© par de nombreux critiques comme lâune des Ćuvres les plus importantes du cinĂ©aste[109] - [110] - [111] - [112].
Kurosawa enchaĂźne rapidement avec son film suivant Barberousse (蔀ăČă, Akahige). Il se base pour cela sur des nouvelles de ShĆ«gorĆ Yamamoto, ainsi que sur HumiliĂ©s et OffensĂ©s de DostoĂŻevski. Ce film dâĂ©poque qui se dĂ©roule dans un hospice du milieu du XIXe siĂšcle permet Ă Kurosawa de mettre en avant les thĂšmes humanistes qui lui sont chers. Yasumoto, un jeune mĂ©decin formĂ© Ă lâĂ©tranger, vaniteux et matĂ©rialiste, est contraint de devenir interne dans la clinique pour pauvres du docteur Niide, surnommĂ© Akahige (Barberousse) et interprĂ©tĂ© par Mifune. Au dĂ©but rĂ©ticent, Yasumoto finit par admirer Barberousse et Ă respecter les patients quâil mĂ©prisait Ă son arrivĂ©e[113]. YĆ«zĆ Kayama, lâinterprĂšte du personnage de Yasumoto, est Ă lâĂ©poque une star de films et de musiques populaires. Cette cĂ©lĂ©britĂ© permet Ă Kurosawa de garantir un certain succĂšs Ă son film. Le tournage, le plus long jamais effectuĂ© par le rĂ©alisateur, sâĂ©tale sur prĂšs dâune annĂ©e aprĂšs 5 mois de prĂ©production, et sâachĂšve au printemps 1965. Barberousse sort en , devient le plus grand succĂšs de lâannĂ©e au Japon et remporte le trophĂ©e du meilleur film de Kinema JunpĆ, le troisiĂšme et dernier pour Kurosawa. Le film reste lâun des plus connus et des plus apprĂ©ciĂ©s de Kurosawa au Japon. Ă lâĂ©tranger, les critiques sont plus partagĂ©es. La plupart des critiques reconnaissent sa maĂźtrise technique (certains le situent mĂȘme parmi les meilleures rĂ©alisations de Kurosawa), tandis que dâautres insistent sur son manque de complexitĂ© et de puissance narrative. Dâautres prĂ©tendent enfin que ce film reprĂ©sente un recul de Kurosawa dans ses engagements politiques et sociaux[114] - [115] - [116] - [117].
Barberousse marque la fin dâune Ăšre pour Kurosawa. Le rĂ©alisateur lui-mĂȘme le reconnaĂźt Ă la sortie du film, et dĂ©clare au critique Donald Richie quâun cycle vient de se terminer, et que ses films Ă venir et ses mĂ©thodes de production seront diffĂ©rents[118]. Ă la fin des annĂ©es 1950, la tĂ©lĂ©vision se dĂ©veloppe et domine les audiences du cinĂ©ma. Les revenus des studios de cinĂ©ma chutent et ne sont plus investis dans des productions coĂ»teuses et Ă risques comme celles de Kurosawa[119]. Barberousse marque aussi chronologiquement la moitiĂ© de la carriĂšre du cinĂ©aste. Au cours de ses 29 premiĂšres annĂ©es dans lâindustrie du cinĂ©ma, il rĂ©alise 23 films, tandis que lors des 28 annĂ©es suivantes il nâen rĂ©alise que 7 de plus. En outre, pour des raisons jamais rĂ©ellement exposĂ©es, Barberousse est le dernier film de Kurosawa avec ToshirĆ Mifune. YĆ« Fujiki, un acteur ayant travaillĂ© sur Les Bas-fonds, dĂ©clare Ă propos de la complicitĂ© des deux hommes sur le plateau que « le cĆur de M. Kurosawa Ă©tait dans le corps de M. Mifune »[120]. Donald Richie dĂ©crit leurs rapports comme une symbiose unique[121].
Passage par Hollywood (1966-1968)
Quand le contrat dâexclusivitĂ© entre Kurosawa et TĆhĆ arrive Ă son terme en 1966, le rĂ©alisateur, alors ĂągĂ© de 56 ans, prend un virage important dans sa carriĂšre. Les problĂšmes rencontrĂ©s par lâindustrie cinĂ©matographique japonaise et les douzaines dâoffres Ă©manant de lâĂ©tranger lâincitent en effet Ă travailler pour la premiĂšre fois hors du Japon[122].
Pour son premier projet Ă©tranger, Kurosawa sâinspire dâun article du magazine Life. Ce thriller produit par Embassy Pictures, qui aurait dĂ» ĂȘtre tournĂ© en anglais et titrĂ© Runaway Train, aurait Ă©tĂ© le premier film en couleur de Kurosawa. Toutefois, la barriĂšre de la langue est un problĂšme majeur pour cette production, et la traduction en anglais du scĂ©nario nâest pas achevĂ©e Ă lâautomne 1966, alors que le tournage est censĂ© dĂ©buter. Le tournage nĂ©cessitant de la neige, il est reportĂ© Ă lâautomne 1967, puis annulĂ© en 1968. PrĂšs de vingt ans plus tard, AndreĂŻ Kontchalovski, un autre Ă©tranger Ă Hollywood, rĂ©alise finalement Runaway Train, un film au scĂ©nario totalement diffĂ©rent des travaux de Kurosawa[123].
MalgrĂ© cet Ă©chec, Kurosawa est par la suite impliquĂ© dans des projets hollywoodiens beaucoup plus ambitieux. Tora ! Tora ! Tora !, produit par la 20th Century Fox et Kurosawa Production, est une description de lâattaque de Pearl Harbor selon les points de vue amĂ©ricain et japonais. La partie japonaise du film est initialement confiĂ©e Ă Kurosawa, la partie amĂ©ricaine Ă un rĂ©alisateur anglophone. Kurosawa passe plusieurs mois Ă travailler sur le scĂ©nario en compagnie de RyĆ«zĆ Kikushima et Hideo Oguni, mais, rapidement, le projet commence Ă se dĂ©sagrĂ©ger. Le rĂ©alisateur choisi pour les passages amĂ©ricains nâest pas comme prĂ©vu le cĂ©lĂšbre anglais David Lean, ce que les producteurs avaient fait croire Ă Kurosawa, mais Richard Fleischer, un expert en effets spĂ©ciaux beaucoup moins connu que Lean. Le budget initial subit Ă©galement des coupes, et la durĂ©e de film allouĂ©e aux sĂ©quences japonaises ne doit pas excĂ©der 90 minutes, ce qui se rĂ©vĂšle un gros problĂšme pour Kurosawa, dont le script dĂ©passe les 4 heures. En , aprĂšs une multitude de modifications, un accord est trouvĂ© pour un scĂ©nario tronquĂ© et plus ou moins fini. Le tournage dĂ©bute en dĂ©cembre, mais Kurosawa reste Ă peine trois semaines en tant que rĂ©alisateur. Son Ă©quipe et ses mĂ©thodes de travail sont peu familiĂšres aux exigences dâune production hollywoodienne et laissent perplexes les producteurs amĂ©ricains, qui en concluent que Kurosawa est un malade mental. Au NoĂ«l 1968, les producteurs annoncent que Kurosawa quitte la production, officiellement pour « fatigue ». Officieusement, il en est congĂ©diĂ©. Finalement, il est remplacĂ© par les deux rĂ©alisateurs Kinji Fukasaku et Toshio Masuda[124].
Tora ! Tora ! Tora ! sort finalement en sous des critiques peu enthousiastes, et reste une vĂ©ritable tragĂ©die dans la carriĂšre du cinĂ©aste. Kurosawa consacra en effet plusieurs annĂ©es de sa vie sur un projet Ă la logistique cauchemardesque, pour finalement ne pas rĂ©aliser un seul mĂštre de film. De plus, son nom est enlevĂ© des crĂ©dits, alors que le script des sĂ©quences japonaises reste celui quâil a coĂ©crit. Par la suite, il se dĂ©tache de son collaborateur de longue date, lâĂ©crivain RyĆ«zĆ Kikushima, et ne travaille plus jamais avec lui. Le projet met Ă©galement au grand jour une affaire de corruption au sein de sa propre sociĂ©tĂ© de production â une situation proche dâun de ses films, Les salauds dorment en paix. Sa santĂ© mentale fut remise en question. Enfin, le milieu du cinĂ©ma japonais commence Ă le suspecter de vouloir mettre un terme Ă sa carriĂšre[125] - [126].
Une décennie difficile (1969-1977)
Sachant que sa rĂ©putation est en jeu aprĂšs la dĂ©bĂącle du trĂšs mĂ©diatisĂ© Tora ! Tora ! Tora !, Kurosawa passe rapidement Ă un nouveau projet. Keisuke Kinoshita, Masaki Kobayashi et Kon Ichikawa, trois amis de Kurosawa, viennent Ă©pauler le rĂ©alisateur. En , ils crĂ©ent Ă eux quatre une sociĂ©tĂ© de production quâils nomment le Club des Quatre Chevaliers (Yonki no kai). Bien que lâidĂ©e de base de cette sociĂ©tĂ© est de permettre aux quatre rĂ©alisateurs de crĂ©er un film chacun, il est parfois Ă©voquĂ© que la vĂ©ritable motivation des trois autres rĂ©alisateurs est dâoffrir plus facilement Ă Kurosawa la possibilitĂ© de mener Ă terme un film, et ainsi de signer son retour dans lâindustrie du cinĂ©ma[127] - [128].
Le premier projet proposĂ© est un film historique appelĂ© Dora-Heita, mais il est jugĂ© trop coĂ»teux, et Kurosawa se tourne alors vers Dodesâkaden (ă©ă§ăăă§ă, Dodesukaden), nouvelle adaptation dâune Ćuvre de Yamamoto portant Ă nouveau sur les pauvres et les dĂ©munis. Kurosawa voulant dĂ©montrer quâil est toujours capable de travailler rapidement et efficacement avec un budget restreint, le film est rapidement tournĂ© en neuf semaines. Pour son premier travail en couleur, il laisse de cĂŽtĂ© le montage dynamique et les compositions complexes et se concentre davantage sur la crĂ©ation dâune palette de couleurs primaires audacieuse, quasi surrĂ©aliste, afin de mettre en valeur la toxicitĂ© de lâenvironnement des personnages. Le film sort en au Japon, oĂč il rencontre un succĂšs limitĂ© auprĂšs des critiques et une totale indiffĂ©rence du public. LâĂ©chec financier important cause la dissolution du Club des Quatre Chevaliers. Ă sa sortie Ă lâĂ©tranger, le film est relativement bien accueilli par la critique, mais est depuis considĂ©rĂ© comme incomparable avec les meilleurs travaux du rĂ©alisateur[129].
AprĂšs avoir connu des difficultĂ©s pendant la production de Dodesukaden, Kurosawa se tourne vers la tĂ©lĂ©vision lâannĂ©e suivante, pour la seule fois de sa carriĂšre, avec Uma no uta (銏ăźè©©), un documentaire sur les chevaux de course pur-sang[130]. Il comporte une voix off narrĂ©e par un homme et un enfant fictifs, interprĂ©tĂ©s par les mĂȘmes acteurs que le mendiant et son fils dans Dodesukaden. Kurosawa retrouve aussi son collaborateur habituel Masaru SatĆ, qui compose la musique. Il sâagit du seul documentaire dans la filmographie de Kurosawa, et du seul film quâil nâa pas montĂ© lui-mĂȘme, dans la mesure oĂč un monteur est crĂ©ditĂ©[131].
Incapable dâobtenir des financements pour les projets Ă venir et souffrant de problĂšmes de santĂ©, Kurosawa semble atteindre un point de rupture : le , il se tranche la gorge et les poignets Ă plusieurs reprises. Cette tentative de suicide Ă©choue, et Kurosawa guĂ©rit assez rapidement. Il dĂ©cide alors de se rĂ©fugier dans sa vie privĂ©e, ne sachant pas sâil rĂ©alisera de nouveaux films[132].
Au dĂ©but de lâannĂ©e 1973, le studio soviĂ©tique Mosfilm souhaite travailler avec le rĂ©alisateur. Kurosawa leur propose alors lâadaptation dâune autobiographie de lâexplorateur russe Vladimir Arseniev, intitulĂ©e Dersou Ouzala, quâil souhaite rĂ©aliser depuis les annĂ©es 1930. Le roman traite dâun chasseur Hezhen vivant en harmonie avec la nature avant quâelle ne soit dĂ©truite par la civilisation. En , Kurosawa, alors ĂągĂ© de 63 ans, part sâinstaller un an et demi en Union SoviĂ©tique avec quatre de ses plus proches collaborateurs. Le tournage commence en en SibĂ©rie dans des conditions naturelles extrĂȘmement difficiles, et se termine en . Kurosawa, alors Ă©puisĂ© et souffrant du mal du pays, retourne au Japon dĂšs le mois de juin. La premiĂšre mondiale de Dersou Ouzala (ăă«ăčă»ăŠă¶ăŒă©, Derusu UzÄra) a lieu le . Alors que la critique japonaise reste muette, le film est chaleureusement accueilli Ă lâĂ©tranger, remportant le Prix dâOr du Festival international du film de Moscou ainsi que lâOscar du meilleur film en langue Ă©trangĂšre[alpha 3]. Le succĂšs au box-office est Ă©galement au rendez-vous. Aujourdâhui, la critique reste divisĂ©e : certains y voient un exemple du dĂ©clin de Kurosawa, tandis que dâautres comptent le film parmi ses travaux les plus aboutis[134] - [135].
Bien quâil reçoive des propositions de projets pour la tĂ©lĂ©vision, Kurosawa ne manifeste aucun intĂ©rĂȘt Ă sortir du monde du cinĂ©ma. NĂ©anmoins, en 1976, il accepte dâapparaĂźtre dans une sĂ©rie de publicitĂ©s tĂ©lĂ©visĂ©es pour le whisky Suntory. Craignant quâil ne puisse plus rĂ©aliser de nouveau film, le rĂ©alisateur continue nĂ©anmoins de travailler sur divers projets, dâĂ©crire de nouveaux scĂ©narios, et crĂ©e des illustrations dĂ©taillĂ©es de ses travaux dans lâintention de laisser derriĂšre lui une empreinte visuelle de ses plans, au cas oĂč il ne pourrait les filmer[136].
Deux grandes épopées (1978-1986)
En 1977, le rĂ©alisateur amĂ©ricain George Lucas sort le premier Ă©pisode de la saga Star Wars, un film de science-fiction au succĂšs planĂ©taire influencĂ© par La Forteresse cachĂ©e de Kurosawa. Lucas, qui vĂ©nĂšre Kurosawa et le considĂšre comme un modĂšle, est choquĂ© dâapprendre que le Japonais est incapable de trouver les fonds nĂ©cessaires pour un nouveau film. En , Lucas et Kurosawa se rencontrent Ă Los Angeles pour Ă©voquer le projet le moins risquĂ© du rĂ©alisateur japonais : Kagemusha, lâOmbre du guerrier (ćœ±æŠè , Kagemusha), une Ă©popĂ©e racontant lâhistoire dâun voleur qui devient le double dâun seigneur japonais. Lucas est passionnĂ© par le scĂ©nario et les illustrations de Kurosawa et use alors de son influence pour convaincre la 20th Century Fox de produire le film, dix ans aprĂšs lâĂ©chec de Tora ! Tora ! Tora !. Lucas parvient Ă©galement Ă engager Francis Ford Coppola â un autre fan de Kurosawa â en tant que coproducteur[137].
La production de Kagemusha dĂ©bute en avec un Kurosawa de bonne humeur. Le tournage sâĂ©tale de Ă et nâest pas Ă©pargnĂ© de problĂšmes, avec notamment le renvoi de lâacteur principal ShintarĆ Katsu. Katsu est remplacĂ© par Tatsuya Nakadai, qui joue alors le premier de ses deux rĂŽles principaux avec Kurosawa. Le film est terminĂ© avec quelques semaines de retard et sort Ă Tokyo en . Kagemusha devient rapidement un succĂšs au Japon. Il sâagit Ă©galement dâun succĂšs Ă lâĂ©tranger, tant au niveau des critiques quâau box-office. Le film remporte la Palme dâor au Festival de Cannes 1980 en mai. MalgrĂ© tout, certains critiques dĂ©noncent Ă lâĂ©poque et encore aujourdâhui une certaine froideur dans le film. Kurosawa passe le reste de lâannĂ©e 1980 Ă promouvoir son film, Ă recevoir des rĂ©compenses et Ă exposer ses peintures, qui ont servi de storyboards[138] - [139].
Le succĂšs international de Kagemusha permet Ă Kurosawa dâentamer son projet suivant, Ran (äč±), une autre Ă©popĂ©e. Le scĂ©nario, en partie fondĂ© sur la tragĂ©die Le Roi Lear de William Shakespeare, dĂ©peint un sanguinaire daimyo (interprĂ©tĂ© par Tatsuya Nakadai) qui, aprĂšs avoir banni son seul fils loyal, lĂšgue son royaume Ă ses deux autres fils, qui ne tardent pas Ă le trahir, plongeant alors le royaume tout entier dans une guerre fratricide. Les studios japonais sont rĂ©ticents pour produire un des films les plus coĂ»teux de lâhistoire du pays, et un financement Ă©tranger est une nouvelle fois nĂ©cessaire. Cette fois-ci, câest le producteur français Serge Silberman qui vient en aide Ă Kurosawa. Le tournage ne commence quâen , et dure plus dâun an[140].
En , la femme de Kurosawa, YĆko, tombe malade, et la production de Ran est stoppĂ©e. YĆko meurt le Ă lâĂąge de 64 ans. La premiĂšre du film a lieu le au Festival international du film de Tokyo. Le film est un succĂšs financier modeste au Japon, mais beaucoup plus important Ă lâĂ©tranger. Comme prĂ©cĂ©demment pour Kagemusha, Kurosawa commence un tour dâEurope pour la promotion de son film jusquâĂ la fin de lâannĂ©e[141].
Ran remporte plusieurs rĂ©compenses au Japon, mais nâest pas aussi acclamĂ© que dâautres travaux de Kurosawa des annĂ©es 1950 et 1960. Le monde du cinĂ©ma est trĂšs surpris lorsque le Japon dĂ©cide de ne pas sĂ©lectionner le film pour lâOscar du meilleur film en langue Ă©trangĂšre en 1986[alpha 3]. Mais Kurosawa et les producteurs attribuent ce choix Ă une incomprĂ©hension : Ă cause de la complexitĂ© du rĂšglement de lâAcademy, personne ne sait si le film peut concourir pour le Japon, pour la France (par son financement), ou bien pour les deux. En rĂ©ponse Ă ce petit scandale, le rĂ©alisateur Sidney Lumet milite pour que Kurosawa soit nommĂ© Ă lâOscar du meilleur rĂ©alisateur (remportĂ© cette annĂ©e-lĂ par Sydney Pollack pour Out of Africa). La costumiĂšre de Ran, Emi Wada, reçoit finalement le seul Oscar du film[142] - [143].
Kagemusha et Ran sont souvent citĂ©s parmi les films les plus aboutis dâAkira Kurosawa. AprĂšs sa sortie, Kurosawa Ă©voque Ran comme son meilleur film, contrairement Ă son attitude habituelle qui consistait Ă rĂ©pondre « le prochain » lorsquâon lui demandait de citer son meilleur film[144] - [145].
Derniers travaux et mort (1987-1998)
Pour son film suivant, Kurosawa choisit un sujet trĂšs diffĂ©rent de ce quâil a pu aborder tout au long de sa carriĂšre. RĂȘves (怹, Yume), un film profondĂ©ment personnel, est entiĂšrement basĂ© sur les propres rĂȘves du rĂ©alisateur. Pour la premiĂšre fois depuis prĂšs de quarante ans, Kurosawa sâattelle seul Ă lâĂ©criture du scĂ©nario. Bien que le budget prĂ©visionnel soit plus faible que Ran, les studios japonais restent rĂ©ticents Ă produire un nouveau film de Kurosawa. Le cinĂ©aste se tourne alors vers un autre de ses admirateurs cĂ©lĂšbres, le rĂ©alisateur amĂ©ricain Steven Spielberg, qui persuade la Warner Bros. de racheter les droits du film. Ce rachat permet Ă Hisao Kurosawa, le fils dâAkira, coproducteur et futur dirigeant de Kurosawa Productions, de nĂ©gocier plus facilement un prĂȘt au Japon permettant de couvrir les frais de production. Le tournage dure plus de huit mois, et RĂȘves est projetĂ© pour la premiĂšre fois en au Festival de Cannes. Lâaccueil au Festival est poli mais discret, et il en est de mĂȘme lors de sa diffusion internationale[146].
Kurosawa se tourne ensuite vers une histoire plus conventionnelle, Rhapsodie en aoĂ»t (ć «æăźçè©©æČ, Hachi-gatsu no kyĆshikyoku), qui sâintĂ©resse aux cicatrices du bombardement nuclĂ©aire de Nagasaki Ă la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le scĂ©nario est une adaptation du roman de Kiyoko Murata, mais les rĂ©fĂ©rences au bombardement viennent du rĂ©alisateur et non du livre. Le film, le premier entiĂšrement produit au Japon depuis Dodesâkaden, est Ă©galement le premier film de Kurosawa dans lequel apparaĂźt une star du cinĂ©ma amĂ©ricain, en lâoccurrence Richard Gere dans le petit rĂŽle du neveu de lâhĂ©roĂŻne. Le tournage a lieu dĂ©but 1991 et sort le de la mĂȘme annĂ©e. Les critiques sont trĂšs mauvaises, notamment aux Ătats-Unis oĂč Kurosawa est accusĂ© dâantiamĂ©ricanisme[147] - [148].
Kurosawa ne perd pas de temps et passe trĂšs rapidement Ă son projet suivant, Madadayo (ăŸăă ă ă, MÄdadayo). BasĂ© sur les essais autobiographiques de Hyakken Uchida, le film suit la vie dâun Japonais professeur dâallemand durant la Seconde Guerre mondiale et lâaprĂšs-guerre. Le rĂ©cit est centrĂ© sur les cĂ©lĂ©brations dâanniversaires avec ses Ă©lĂšves, au cours desquelles le protagoniste rĂ©pĂšte son refus de mourir tout de suite â un thĂšme de plus en plus rĂ©current dans les travaux du rĂ©alisateur alors ĂągĂ© de 81 ans. Le tournage dĂ©bute en et se termine en septembre. Le film sort le , mais rĂ©colte des critiques encore plus mauvaises et dĂ©cevantes que ses deux films prĂ©cĂ©dents[149].
Cet Ă©chec nâempĂȘche toutefois pas Kurosawa de continuer Ă travailler. En 1993, il Ă©crit le scĂ©nario original de La mer regarde (æ”·ăŻèŠăŠăă, Umi wa miteita), suivi en 1995 du script de AprĂšs la pluie (éšăăă, Ame agaru). Alors quâil finalise ce dernier en 1995, Kurosawa chute et se brise la base de la colonne vertĂ©brale. Ă la suite de cet accident, il doit utiliser un fauteuil roulant pour le reste de sa vie, mettant fin aux espoirs de le revoir un jour rĂ©aliser un nouveau film[150]. Son souhait rĂ©pĂ©tĂ© de mourir sur le tournage dâun film[148] - [151] ne se rĂ©alise pas.
AprĂšs cet accident en 1995, la santĂ© dâAkira Kurosawa commence Ă se dĂ©tĂ©riorer. Alors que son esprit est toujours vif et fort, son corps lâabandonne, et pour les six derniers mois de sa vie, le cinĂ©aste reste chez lui, au lit, Ă Ă©couter de la musique et regarder la tĂ©lĂ©vision. Le , Akira Kurosawa meurt dâune attaque cĂ©rĂ©brale Ă Setagaya (Tokyo) Ă lâĂąge de 88 ans[152].
Au moment de sa mort, Kurosawa a deux enfants, son fils Hisao, qui a Ă©pousĂ© Hiroko Hayashi, et sa fille Kazuko Kurosawa, qui a Ă©pousĂ© Harayuki KatĆ, ainsi que plusieurs petits-enfants[34]. Lâun de ses petits-enfants, lâacteur Takayuki KatĆ, fils de Kazuko, joue un second rĂŽle dans deux films dĂ©veloppĂ©s Ă titre posthume Ă partir de scĂ©narios Ă©crits par Kurosawa et restĂ©s sans suite de son vivant, AprĂšs la pluie (éšăăă, Ame agaru) de Takashi Koizumi et La mer regarde (æ”·ăŻèŠăŠăă, Umi wa miteita) de Kei Kumai, sortis respectivement en 1999 et 2002[153].
MĂ©thodes de travail
Toutes les sources biographiques sâaccordent Ă dire que Kurosawa est un rĂ©alisateur de terrain, passionnĂ©ment impliquĂ© dans chacun des aspects de la production de ses films. Comme le rĂ©sume un journaliste, « il (co)Ă©crit ses scĂ©narios, supervise la conception, fait rĂ©pĂ©ter les acteurs, met en place tous les plans et monte le film »[154]. Sa participation active sâĂ©tend du concept initial du film Ă sa finalisation.
Ăcriture du scĂ©nario
Kurosawa aime Ă rĂ©pĂ©ter que le scĂ©nario est le fondement absolu dâun bon film et que, si un mauvais rĂ©alisateur peut parfois faire dâun bon scĂ©nario un film correct, un grand rĂ©alisateur ne pourra jamais faire un bon film Ă partir dâun mauvais scĂ©nario[155]. Au cours de la pĂ©riode dâaprĂšs-guerre, il commence Ă collaborer avec un groupe de cinq scĂ©naristes : EijirĆ Hisaita, RyĆ«zĆ Kikushima, Shinobu Hashimoto, Hideo Oguni, et Masato Ide[156]. Quels que soient les membres de ce groupe Ă travailler sur un film, ils se rĂ©unissent autour dâune table, souvent dans une station thermale, oĂč ils ne peuvent ĂȘtre distraits par le monde extĂ©rieur. Par exemple, Les Sept SamouraĂŻs est Ă©crit de cette façon[157]. En gĂ©nĂ©ral, en dehors dâOguni qui agit comme arbitre, ils travaillent tous sur les mĂȘmes pages et Kurosawa choisit alors la meilleure version de chacune des scĂšnes concernĂ©es[158]. Cette mĂ©thode est choisie « afin que chaque contributeur puisse se mettre en valeur, contrĂŽlant la domination du point de vue de chacun »[159].
Souvent, en plus du vĂ©ritable script, Kurosawa rĂ©dige Ă ce stade de nombreuses notes trĂšs dĂ©taillĂ©es afin dâĂ©laborer, de prĂ©ciser sa pensĂ©e. Ainsi, pour Les Sept SamouraĂŻs, il Ă©crit six cahiers dans lesquels il crĂ©e, entre autres, les biographies dĂ©taillĂ©es des samouraĂŻs, comprenant par exemple ce quâils portent et mangent, leur maniĂšre de marcher, de parler, de se comporter, et mĂȘme leur façon de lacer leurs chaussures[157] - [160]. Pour les 101 personnages de paysans du film, il crĂ©e un registre de 23 familles et demande aux acteurs de vivre et travailler dans le cadre de ces « familles » pour toute la durĂ©e du tournage[161].
Tournage
Pour ses premiers films, Kurosawa utilise des objectifs standards et une profondeur de champ Ă©tendue. Ă partir des Sept SamouraĂŻs (1954), ses techniques de prises de vues changent radicalement, avec lâutilisation dâobjectifs de longue focale et de plusieurs camĂ©ras. Kurosawa affirme que lâutilisation de ces objectifs et de plusieurs camĂ©ras en simultanĂ© offre la possibilitĂ© de filmer Ă une distance plus Ă©levĂ©e sans que les acteurs ne sachent quelle camĂ©ra sera utilisĂ©e au montage final, ce qui leur permet de jouer beaucoup plus naturellement[162]. Tatsuya Nakadai reconnaĂźt dâailleurs que les camĂ©ras multiples lâaident lors de ses interprĂ©tations avec le rĂ©alisateur[163]. Ces changements ont Ă©galement un impact important sur lâaspect des scĂšnes dâaction du film, en particulier lors de la bataille finale sous la pluie. Selon Stephen Prince, « Il peut utiliser les tĂ©lĂ©objectifs pour passer sous les chevaux, entre leurs sabots, et ainsi nous plonger dans le chaos de cette bataille dâune maniĂšre visuellement sans prĂ©cĂ©dent, que ce soit dans son propre travail ou dans le cinĂ©ma de samouraĂŻs en gĂ©nĂ©ral »[164].
Dans La Forteresse cachĂ©e, Kurosawa utilise pour la premiĂšre fois de sa carriĂšre le format large anamorphosĂ©[165]. Ces trois techniques (objectifs de longue focale, camĂ©ras multiples et format large) sont par la suite pleinement exploitĂ©es par Kurosawa, mĂȘme lors de scĂšnes ne prĂ©sentant pas ou peu dâaction. Par exemple, lâutilisation de ces techniques dans les premiĂšres scĂšnes de Entre le ciel et lâenfer permet dâintensifier et de dramatiser les tensions et relations de pouvoir entre les diffĂ©rents personnages, le tout dans un espace trĂšs confinĂ©[166].
Pour tous ses films, et plus particuliĂšrement pour ses jidai-geki (æ代ć), Kurosawa insiste sur lâauthenticitĂ© absolue des dĂ©cors, costumes et accessoires. Ainsi, dans Le ChĂąteau de lâaraignĂ©e, dans la scĂšne ou Washizu (Mifune) est attaquĂ© par ses propres hommes, le rĂ©alisateur fait tirer des flĂšches rĂ©elles (Ă©vidĂ©es et guidĂ©es par des fils) en direction de Mifune Ă une distance dâenviron 3 mĂštres. Des marques au sol permettent Ă lâacteur de ne pas ĂȘtre touchĂ©. Certaines flĂšches atterrissent cependant Ă quelques centimĂštres seulement de Mifune, qui souffre par la suite de cauchemars. Celui-ci admet plus tard quâil nâa pas eu Ă forcer son talent pour paraĂźtre apeurĂ© Ă lâĂ©cran[167] - [168].
Dans Barberousse, afin de construire la porte dâenceinte de la clinique, Kurosawa demande Ă ses assistants de dĂ©monter dâanciens dĂ©cors et dâutiliser leur bois pourri afin de crĂ©er une porte paraissant ravagĂ©e par le temps[169]. Dans le mĂȘme film, pour les tasses quâutilisent les personnages, Kurosawa ordonne Ă son Ă©quipe de verser lâĂ©quivalent de cinquante ans de thĂ© dans les tasses pour quâelles soient suffisamment colorĂ©es[170].
Dans Ran, le directeur artistique YoshirĆ Muraki, qui construit le troisiĂšme chĂąteau sous la supervision du rĂ©alisateur, crĂ©e les pierres de lâouvrage Ă partir de photographies dâun cĂ©lĂšbre chĂąteau : il peint des blocs de polystyrĂšne en suivant scrupuleusement ces photographies puis les colle selon une technique dâempilement particuliĂšre appelĂ©e moellonage qui prend plusieurs mois. Plus tard, avant de filmer la scĂšne du chĂąteau en feu, il apparaĂźt nĂ©cessaire dâempĂȘcher les « pierres » de fondre. Pour cela, elles sont recouvertes de quatre couches de ciment puis doivent de nouveau ĂȘtre peintes[171].
Montage
Tout au long de sa carriĂšre, Kurosawa fait souvent remarquer quâil tourne un film dans lâunique but dâavoir de la matiĂšre pour le montage, car il sâagit pour lui de la partie la plus importante et artistiquement la plus intĂ©ressante dans la production dâun film[172]. LâĂ©quipe crĂ©ative de Kurosawa considĂšre le montage comme le plus grand talent du cinĂ©aste. Hiroshi Nezu, un superviseur de production, dĂ©clare : « Entre nous, nous pensons quâil est le meilleur rĂ©alisateur de TĆhĆ, le meilleur scĂ©nariste du Japon, et le meilleur monteur du monde. Ce qui le prĂ©occupe le plus est la qualitĂ© du dĂ©roulement, du rythme quâun film doit avoir. [âŠ] Le film de Kurosawa sâĂ©coule en quelque sorte le long des raccords »[173].
Teruyo Nogami, membre rĂ©currente de lâĂ©quipe du cinĂ©aste, confirme ce point de vue : « Le montage dâAkira Kurosawa Ă©tait exceptionnel, lâĆuvre dâun gĂ©nie. [âŠ] Personne ne lâĂ©galait »[174]. Elle raconte que Kurosawa peut se remĂ©morer prĂ©cisĂ©ment chaque prise, et que si, dans la salle de montage, elle lui tend la mauvaise prise dâune scĂšne, il le remarque immĂ©diatement, alors que, contrairement Ă elle, il ne prend pas de notes dĂ©taillĂ©es. Elle compare son cerveau Ă un ordinateur, qui fait avec les morceaux de films ce quâun ordinateur rĂ©alise de nos jours[175].
Contrairement aux standards hollywoodiens qui consistent Ă rĂ©aliser le montage aprĂšs la fin du tournage, Kurosawa a pour habitude de monter ses films de façon quotidienne, au fur et Ă mesure. Cette mĂ©thode lâaide beaucoup dans son travail lorsquâil commence Ă utiliser plusieurs camĂ©ras simultanĂ©ment et se retrouve avec une quantitĂ© importante de rushes Ă assembler. « Jâai toujours montĂ© le soir si nous avions une quantitĂ© suffisante dâimages dans la boĂźte. AprĂšs avoir visionnĂ© les prises, je vais gĂ©nĂ©ralement dans la salle de montage et travaille »[176]. En raison de cette mĂ©thode de travail, la postproduction peut ĂȘtre Ă©tonnamment courte. Par exemple, lâavant-premiĂšre de Yojimbo a lieu le , soit quatre jours seulement aprĂšs la fin du tournage le [177].
Le « Kurosawa-gumi »
Kurosawa travaille constamment avec un cercle fermĂ© de personnes quâil sâest lui-mĂȘme constituĂ© tout au long de sa carriĂšre, communĂ©ment appelĂ© le « Kurosawa-gumi » (é»æŸ€ç”). Voici une liste partielle des membres de ce groupe, rĂ©partis par profession. Les informations suivantes sont basĂ©es sur les pages IMDb des films dâAkira Kurosawa[178] et sur la filmographie Ă©tablie par Stuart Galbraith IV, biographe de Kurosawa[179].
- Compositeurs : Fumio Hayasaka (LâAnge ivre, Chien enragĂ©, Scandale, RashĆmon, L'Idiot, Vivre, Les Sept SamouraĂŻs, Vivre dans la peur) ; Masaru SatĆ (Le ChĂąteau de lâaraignĂ©e, Les Bas-fonds, La Forteresse cachĂ©e, Les salauds dorment en paix, Le Garde du corps, Sanjuro, Entre le ciel et lâenfer, Barberousse) ; TĆru Takemitsu (Dodesâkaden, Ran) ; Shin'ichirĆ Ikebe (Kagemusha, lâOmbre du guerrier, RĂȘves, Rhapsodie en aoĂ»t, Madadayo).
- Direction de la photographie : Asakazu Nakai (Je ne regrette rien de ma jeunesse, Un merveilleux dimanche, Chien enragĂ©, Vivre, Les Sept SamouraĂŻs, Vivre dans la peur, Le ChĂąteau de lâaraignĂ©e, Entre le ciel et lâenfer, Barberousse, Dersou Ouzala, Ran) ; Kazuo Miyagawa (RashĆmon, Le Garde du corps) [alpha 4] ; Kazuo Yamazaki (Les Bas-fonds, La Forteresse cachĂ©e) ; Takao SaitĆ (Sanjuro, Entre le ciel et lâenfer, Barberousse, Dodesâkaden, Kagemusha, lâOmbre du guerrier, Ran, RĂȘves, Rhapsodie en aoĂ»t, Madadayo).
- Direction artistique : YoshirĆ Muraki est le directeur artistique assistant, puis le directeur artistique de lâensemble des films de Kurosawa (Ă lâexception de Dersou Ouzala) depuis LâAnge ivre jusquâĂ la fin de la carriĂšre du cinĂ©aste.
- Ăquipe de production : Teruyo Nogami a travaillĂ© en tant que scripte, directrice de production, assistante rĂ©alisatrice ou assistante productrice sur tous les films de Kurosawa, depuis RashĆmon (1950) jusquâĂ la fin de la carriĂšre du rĂ©alisateur. Hiroshi Nezu a Ă©tĂ© directeur de production sur tous ses films Ă partir des Sept SamouraĂŻs jusquâĂ Dodesâkaden, Ă lâexception de Sanjuro. Plus de 30 ans aprĂšs avoir pris sa retraite en tant que rĂ©alisateur, IshirĆ Honda est revenu pour travailler Ă nouveau pour son ami et ancien mentor en tant que conseiller Ă la rĂ©alisation, directeur de production et consultant crĂ©atif sur les cinq derniers films de Kurosawa (Kagemusha, lâOmbre du guerrier, Ran, RĂȘves, Rhapsodie en aoĂ»t, Madadayo).
- Acteurs[181] :
- RĂŽles principaux : Takashi Shimura (21 films), ToshirĆ Mifune (16 films), Susumu Fujita (9 films), Masayuki Mori (6 films) et Tatsuya Nakadai (5 films) ;
- RĂŽles secondaires : Kamatari Fujiwara (13 films), Minoru Chiaki (11 films), Kokuten KĆdĆ, Masao Shimizu (10 films), Noriko Honma, Sachio Sakai, Yoshio Tsuchiya (9 films), Eiko Miyoshi, Senkichi Ćmura, Yutaka Sada, Gen Shimizu, Atsushi Watanabe (8 films), Bokuzen Hidari, KĆji Mitsui, Noriko Sengoku, Akira Tani, EijirĆ TĆno, KichijirĆ Ueda (7 films), IchirĆ Chiba, Takeshi KatĆ, Ikio Sawamura (6 films), KyĆko Kagawa, Isao Kimura, Akitake KĆno, Yoshio Kosugi, Seiji Miyaguchi, Chieko Nakakita, Nobuo Nakamura, Toranosuke Ogawa, IchirĆ Sugai, Kin Sugai, Yoshitaka Zushi, Hisashi Igawa (5 films), YĆ«nosuke ItĆ, Daisuke KatĆ, Akemi Negishi, KĆ Nishimura, DenjirĆ ĆkĆchi et Masayuki Yui (4 films).
Style
Une grande majoritĂ© des observateurs qualifient le style de Kurosawa dâaudacieux et de dynamique, et le comparent au style narratif hollywoodien traditionnel, qui met lâaccent sur la pensĂ©e linĂ©aire, chronologique, causale et historique[182]. Ils considĂšrent aussi que, depuis son tout premier film, Kurosawa dĂ©gage un style trĂšs distinct du style classique et sans faille dâHollywood : Kurosawa nâhĂ©site pas Ă perturber la scĂšne reprĂ©sentĂ©e Ă lâĂ©cran par lâutilisation de nombreuses prises de vues diffĂ©rentes, et sâoppose ainsi au traditionnel raccord 180° dĂ©veloppĂ© par Hollywood. Kurosawa, par lâutilisation de mouvements fluides de camĂ©ra plutĂŽt que dâun montage conventionnel, tend Ă©galement Ă intĂ©grer une dimension spatiale dans la narration temporelle[183].
Raccord dans l'axe
Dans ses films des annĂ©es 1940 et 1950, Kurosawa utilise frĂ©quemment le raccord dans lâaxe. La camĂ©ra se rapproche ou sâĂ©loigne du sujet, non pas par le biais dâun travelling ou dâun fondu enchaĂźnĂ©, mais par une sĂ©rie de plans rapprochĂ©s. Par exemple, dans La Nouvelle LĂ©gende du grand judo, le hĂ©ros prend congĂ© de la femme quâil aime, mais aprĂšs sâĂȘtre Ă©loignĂ© un peu, il se retourne et sâincline devant elle, puis, aprĂšs sâĂȘtre Ă©loignĂ© encore, il se retourne et sâincline Ă nouveau. Les trois plans ne sont pas reliĂ©s dans le film par des mouvements de camĂ©ra ou des fondus, mais par une sĂ©rie de deux coupes rapides. Cela a pour effet de souligner la durĂ©e du dĂ©part de Sanshiro[184].
Dans la sĂ©quence dâouverture des Sept SamouraĂŻs dans le village de paysans, le raccord dans lâaxe est utilisĂ© Ă deux reprises. Lorsque les villageois sont Ă lâextĂ©rieur, rĂ©unis en cercle, pleurant et se lamentant sur lâarrivĂ©e imminente des bandits, ils sont aperçus dâen haut dans un plan extrĂȘmement long ; puis, aprĂšs un raccord, ils sont filmĂ©s en plan beaucoup plus rapprochĂ©, puis dans un plan encore plus rapprochĂ© au niveau du sol. Ce nâest quâĂ ce moment-lĂ que le dialogue commence. Quelques minutes plus tard, lorsque les villageois se rendent au moulin pour demander conseil Ă lâancien du village, il y a un long plan du moulin, avec une roue qui tourne lentement dans la riviĂšre. Les plans se succĂšdent ainsi : un long plan du moulin, avec une roue qui tourne lentement dans la riviĂšre, un plan plus rapprochĂ© de cette roue, et un plan encore plus rapprochĂ© de celle-ci. Comme le moulin est lâendroit oĂč vit lâancien, ces plans permettent au spectateur dâassocier ce personnage au moulin[185].
Raccord dans le mouvement
Plusieurs spĂ©cialistes ont soulignĂ© la tendance de Kurosawa Ă utiliser le raccord dans le mouvement. Par exemple, dans une sĂ©quence du film Les Sept SamouraĂŻs, le samouraĂŻ ShichirĂŽji, debout, tente de consoler le paysan Manzo, assis par terre. ShichirĂŽji met alors un genou Ă terre pour lui parler. Kurosawa choisit de filmer cette simple action en deux prises au lieu dâune, en les raccordant juste aprĂšs que ShichirĂŽji commence Ă sâagenouiller, dans le but de mettre en avant lâhumilitĂ© du samouraĂŻ. Les exemples sont nombreux dans ce mĂȘme film. Couper lâaction, la fragmenter, est un moyen trĂšs utilisĂ© par Kurosawa pour crĂ©er de lâĂ©motion[186].
Volet
Le style de Kurosawa est Ă©galement marquĂ© par son usage du volet (wipe en anglais). Il sâagit dâun effet crĂ©Ă© par une tireuse optique, qui consiste, Ă la fin dâune scĂšne, Ă faire apparaĂźtre une ligne ou une barre qui se dĂ©place sur lâĂ©cran, effaçant lâimage et rĂ©vĂ©lant simultanĂ©ment la premiĂšre image de la scĂšne suivante. En tant que dispositif de transition, il est utilisĂ© comme substitut de la coupe directe ou du fondu enchaĂźnĂ© (bien quâil arrive souvent quâil utilise ces deux dispositifs ensemble). Dans ses Ćuvres les plus abouties, Kurosawa utilise le volet si frĂ©quemment quâil en devient une sorte de signature. LâAnge ivre compte ainsi pas moins de douze volets[187].
Il existe un certain nombre de thĂ©ories concernant lâobjectif de ce dispositif courant dans le cinĂ©ma muet mais plus rare dans le cinĂ©ma sonore et rĂ©aliste[188]. Goodwin affirme que les volets dans RashĆmon, par exemple, remplissent lâun des trois objectifs suivants : accentuer le mouvement dans les travellings, marquer les changements narratifs dans les scĂšnes de cour et marquer les ellipses temporelles entre les actions (par exemple entre la fin du tĂ©moignage dâun personnage et le dĂ©but de celui dâun autre)[188]. Il note Ă©galement que pour Les Bas-fonds, dans lequel Kurosawa nâutilise Ă aucune reprise le volet, il manie habilement les personnes et les accessoires dans le cadre afin de faire apparaĂźtre et disparaĂźtre de nouvelles images, comme le fait un volet[189].
Kurosawa utilise aussi le volet comme dispositif satirique dans Vivre. Un groupe de femmes se rend au bureau du gouvernement local pour demander aux bureaucrates de transformer un terrain vague en terrain de jeu pour les enfants. Le spectateur est alors confrontĂ© Ă une sĂ©rie de plans subjectifs de diffĂ©rents bureaucrates, reliĂ©s par des transitions rapides, chacun dâentre eux renvoyant le groupe Ă un autre service. Lâutilisation du volet rend la sĂ©quence plus drĂŽle, les images de bureaucrates sont empilĂ©es comme des cartes, chacune plus rigide que la prĂ©cĂ©dente[190].
Bande-son
De lâavis gĂ©nĂ©ral, Kurosawa accorde toujours une grande attention Ă la bande-son de ses films (les mĂ©moires de Teruyo Nogami en donnent de nombreux exemples)[191]. Ă la fin des annĂ©es 1940, il commence Ă utiliser la musique comme contrepoint du contenu Ă©motionnel dâune scĂšne, plutĂŽt que pour simplement renforcer lâĂ©motion, comme le fait le cinĂ©ma hollywoodien. Cette approche de la musique de ses films lui est inspirĂ©e par une tragĂ©die familiale. Lorsque Kurosawa apprend la mort de son pĂšre en 1948, il se met Ă errer sans but dans les rues de Tokyo. Son chagrin est amplifiĂ© lorsquâil entend soudain la chanson gaie Gökvalsen (Valse du coucou, 1918) composĂ©e par Johan Emanuel Jonasson. Il sâempresse alors dâĂ©chapper Ă cette « musique affreuse ». Il demande ensuite Ă son compositeur, Fumio Hayasaka, avec qui il travaille sur LâAnge ivre, dâutiliser cette chanson comme une sorte dâaccompagnement ironique de la scĂšne dans laquelle le gangster mourant, Matsunaga, tombe au plus bas[192].
Cette approche de la musique se retrouve Ă©galement dans Chien enragĂ©, sorti un an aprĂšs LâAnge ivre. Dans la scĂšne finale, le dĂ©tective Murakami se bat furieusement contre le meurtrier Yusa dans un champ boueux. On entend soudain un morceau de Mozart, jouĂ© au piano par une femme dans une maison voisine. La sĂ©rĂ©nitĂ© de la musique de Mozart semble dâun autre monde et contraste avec la violence primitive de la scĂšne, et en renforce la puissance. De la mĂȘme façon, dans Les Sept SamouraĂŻs, des oiseaux gazouillent en arriĂšre-plan durant les Ă©pisodes de meurtre et de mutilation comme dans la premiĂšre scĂšne oĂč les fermiers se lamentent sur leur sort[193].
ThÚmes récurrents
Dans ses Ćuvres, Akira Kurosawa sâattache Ă dĂ©crire ou Ă faire une parabole de la sociĂ©tĂ© humaine. Il dĂ©peint ainsi au long de ses films la pauvretĂ© (Les Bas-fonds, Dodesâkaden), la violence urbaine (Chien enragĂ©), la maladie et lâimmobilitĂ© des fonctionnaires (Vivre), la destruction de lâenvironnement (RĂȘves), ou encore la vieillesse (Madadayo).
Relation maĂźtre-disciple
De nombreux commentateurs notent chez Kurosawa la redondance du lien complexe entre un homme ĂągĂ© et un autre plus jeune entretenant une relation de maĂźtre-disciple. Ce sujet est clairement tirĂ© de lâexpĂ©rience personnelle du cinĂ©aste. Selon Joan Mellen, « Kurosawa vĂ©nĂ©rait ses professeurs, en particulier KajirĆ Yamamoto, son mentor Ă TĆhĆ. [âŠ] Lâimage salutaire dâune personne plus ĂągĂ©e enseignant Ă un jeune Ă©voque toujours dans les films de Kurosawa de grands moments dâĂ©motions »[112]. Le critique Tadao SatĆ considĂšre le personnage rĂ©current du maĂźtre comme un pĂšre de substitution, dont le rĂŽle est de guider le jeune protagoniste et de lâaider Ă mĂ»rir, Ă grandir[194].
Dans son tout premier film, La LĂ©gende du grand judo, aprĂšs que Yano, le maĂźtre judoka, est devenu le professeur et le guide spirituel du personnage principal, le rĂ©cit est une chronique de lâĂ©volution, Ă©tape par Ă©tape, de la maĂźtrise et de la maturitĂ© grandissantes du hĂ©ros Sanshiro Sugata[195]. Les relations maĂźtre-Ă©lĂšve qui apparaissent dans les films dâaprĂšs-guerre â tels LâAnge ivre, Chien enragĂ©, Les Sept SamouraĂŻs, Barberousse et Dersou Ouzala â utilisent trĂšs peu lâenseignement direct et thĂ©orique, mais beaucoup lâapprentissage par lâexpĂ©rience et lâexemple. Certains attribuent cette caractĂ©ristique Ă la nature silencieuse et privĂ©e de lâillumination zen[196].
Avec Kagemusha, lâOmbre du guerrier, cette relation Ă©volue. Un voleur choisi pour jouer le double dâun grand seigneur continue son imitation aprĂšs la mort de son maĂźtre. La prĂ©sence du maĂźtre est alors fantomatique, et la relation entre les deux personnages est entretenue depuis lâau-delĂ . Contrairement aux prĂ©cĂ©dents films, la fin de cette relation nâamĂšne alors pas au renouvellement de la vie et de ses engagements, mais Ă la mort[197]. Toutefois, dans son tout dernier film Madadayo â qui Ă©voque la relation entre un professeur et ses anciens Ă©lĂšves â une vision plus joyeuse rĂ©apparaĂźt. La fĂȘte dĂ©peinte par Kurosawa met en avant les joies simples que peuvent procurer les relations professeurs-Ă©lĂšves, les liens de parentĂ© et le simple fait dâĂȘtre en vie[198].
HĂ©ros
Le cinĂ©ma de Kurosawa est un cinĂ©ma Ă©pique, hĂ©roĂŻque, dont les films sont emmenĂ©s par un hĂ©ros unique dont les actes et le destin comptent plus que sa propre vie. LâĂ©mergence chez Kurosawa de ce hĂ©ros unique coĂŻncide avec la pĂ©riode dâaprĂšs-guerre et lâobjectif de lâoccupation du Japon par les Ătats-Unis de remplacer le fĂ©odalisme japonais par lâindividualisme. LâĂ©volution politique du pays nâest pas sans dĂ©plaire au cinĂ©aste, qui cherche alors Ă dĂ©velopper son propre style cinĂ©matographique[199]. Selon le critique Tadao SatĆ, le peuple japonais a beaucoup souffert de la dĂ©faite militaire du pays et sâest rendu compte que le gouvernement nâĂ©tait ni juste ni fiable. Pendant cette pĂ©riode de doutes et dâincertitudes, Kurosawa rĂ©alise une sĂ©rie de films soutenant lâopinion du peuple selon laquelle le sens de la vie nâest pas dictĂ© par le pays ou la nation, mais quâil sâagit lĂ de quelque chose que chaque individu doit dĂ©couvrir dans la souffrance[200]. Le rĂ©alisateur lui-mĂȘme se rend compte de ce lien entre son Ă©tat dâesprit et celui du peuple : « Je sentais que, sans lâinstauration du soi comme valeur positive, il ne pouvait y avoir ni libertĂ© ni dĂ©mocratie »[201].
Le premier de ces hĂ©ros dâaprĂšs-guerre fut une hĂ©roĂŻne, Yukie Yagihara, interprĂ©tĂ©e par Setsuko Hara dans Je ne regrette rien de ma jeunesse. Cette hĂ©roĂŻne nâhĂ©site pas Ă fuir sa famille et son milieu social, persĂ©vĂšre face aux obstacles quâelle rencontre, prend en main sa vie et celle des autres, et fait face Ă une solitude existentielle. Tous ces Ă©lĂ©ments forment le premier exemple cohĂ©rent de lâhĂ©roĂŻsme selon Kurosawa[202]. Cette solitude existentielle est Ă©galement illustrĂ©e par le docteur Sanada (interprĂ©tĂ© par Takashi Shimura) dans LâAnge ivre : Sanada sâoppose Ă la tradition et se bat, seul, pour un monde meilleur[203].
Les Sept SamouraĂŻs est considĂ©rĂ© comme la reprĂ©sentation ultime du hĂ©ros idĂ©al de Kurosawa. Selon Joan Mellen, « [le film] est avant tout un hommage Ă la classe des samouraĂŻs dans ce quâelle a de plus noble [âŠ]. Pour Kurosawa, les samouraĂŻs reprĂ©sentent le meilleur de la tradition et de lâintĂ©gritĂ© japonaises »[204]. Câest Ă cause, et non en dĂ©pit, de la guerre civile chaotique dĂ©peinte dans le film que les sept samouraĂŻs accĂšdent Ă la grandeur. « Kurosawa identifie les avantages inattendus, tout autant que la tragĂ©die de ce moment historique. Ce bouleversement contraint les samouraĂŻs Ă utiliser lâaltruisme de leur credo de service loyal au service des paysans »[205]. Cependant, cet hĂ©roĂŻsme est vain car « il y a dĂ©jĂ une classe marchande qui supplante lâaristocratie guerriĂšre »[206]. Ainsi, le courage et lâhabiletĂ© suprĂȘme des personnages centraux nâempĂȘcheront pas leur destruction finale ni celle de leur classe[206].
Ă mesure que la carriĂšre de Kurosawa progresse, il semble avoir de plus en plus de mal Ă soutenir lâidĂ©al hĂ©roĂŻque. Comme le note Prince, « Kurosawa a une vision essentiellement tragique de la vie, et cette sensibilitĂ© [âŠ] lâempĂȘche de rĂ©aliser un cinĂ©ma socialement engagĂ© »[207]. De plus, lâidĂ©al dâhĂ©roĂŻsme du rĂ©alisateur est subverti par lâhistoire elle-mĂȘme : « Lorsque lâhistoire est articulĂ©e comme elle lâest dans Le ChĂąteau de lâaraignĂ©e, comme une force aveugle [âŠ] lâhĂ©roĂŻsme cesse dâĂȘtre un problĂšme ou une rĂ©alitĂ© »[208]. Selon Prince, la vision du cinĂ©aste est finalement devenue si sombre quâil en est venu Ă considĂ©rer lâhistoire simplement comme une rĂ©pĂ©tition sans fin de violence, au sein de laquelle lâindividu est dĂ©peint non seulement comme non hĂ©roĂŻque, mais aussi comme totalement impuissant[208].
Nature
La nature est un Ă©lĂ©ment crucial dans les films dâAkira Kurosawa. Comme de nombreux artistes japonais, le rĂ©alisateur est trĂšs sensible aux subtilitĂ©s et Ă la beautĂ© des saisons et des paysages[209]. Il nâhĂ©site pas Ă utiliser le climat et la mĂ©tĂ©o comme des Ă©lĂ©ments parfois actifs de lâintrigue. Ainsi, dans Chien enragĂ© et Vivre dans la peur, la chaleur accablante est omniprĂ©sente : elle reprĂ©sente notamment le monde oppressĂ© par lâeffondrement Ă©conomique et la menace nuclĂ©aire[210]. Kurosawa lui-mĂȘme dĂ©clare : « Jâaime les Ă©tĂ©s chauds, les hivers froids, les fortes pluies, les fortes neiges, et je pense que la plupart de mes films le montrent. Jâaime les extrĂȘmes, car je les trouve plus vivants »[211].
Dans Le ChĂąteau de lâaraignĂ©e, le brouillard permet de renforcer lâambiance du film. Il produit un effet dâincertitude, dâhĂ©sitation, de menace et de peur chez le spectateur, sentiments vĂ©cus par les personnages eux-mĂȘmes[212]. Kurosawa dĂ©clare sur les dĂ©cors : « Nous avons construit le chĂąteau au pied du mont Fuji. Jâai voulu du brouillard. Contrairement au chĂąteau habituel, je lâai fait de forme plate de sorte quâil serpente au ras du terrain, pour donner une impression terrifiante afin que lâon pressente un Ă©vĂ©nement de mauvais augure »[213].
Le vent est Ă©galement un symbole puissant dans la filmographie de Kurosawa, il est la mĂ©taphore persistante du changement, du destin et de lâadversitĂ©[214]. Dans Le Garde du corps, lors de la bataille finale, les vents soufflent, crĂ©ant des nuages de poussiĂšres, gĂȘnant les combats[215].
Enfin, la pluie nâest jamais neutre chez le cinĂ©aste : il nâest jamais question dâune pluie faible, dâun petit filet, dâune bruine, mais toujours dâaverses frĂ©nĂ©tiques, violentes, de tempĂȘtes[216]. Dans Les Sept SamouraĂŻs, la bataille finale se dĂ©roule sous une pluie battante, aveuglante, permettant Ă Kurosawa de fusionner les diffĂ©rentes classes sociales. Mais cette fusion de lâidentitĂ© sociale est chaotique, symbolisĂ©e par une bataille qui se transforme peu Ă peu en un vortex de pluie et de boue[217].
Violence
Avec Le ChĂąteau de lâaraignĂ©e (1957) apparaĂźt une obsession pour les cycles historiques Ă la violence sauvage et inexorable[218]. Dans le film, la libertĂ© nâexiste pas, la seule loi existante est celle de cause Ă effet[219] dont les Ă©vĂ©nements qui en dĂ©coulent sont inscrits dans un cycle qui se rĂ©pĂšte indĂ©finiment[220]. En effet, le seigneur de Washizu qui â contrairement au bienveillant roi Duncan de la piĂšce de Shakespeare â assassine son propre seigneur des annĂ©es auparavant pour sâemparer du pouvoir, est lui-mĂȘme assassinĂ© par Washizu (Macbeth) pour les mĂȘmes raisons[220]. Selon Prince, « Le caractĂšre fatal de lâaction de Macbeth [âŠ] a Ă©tĂ© repris par Kurosawa qui a mis lâaccent sur lâaction prĂ©dĂ©terminĂ©e et lâĂ©crasement de la libertĂ© humaine sous la loi du karma »[220].
Prince affirme que les deux Ă©popĂ©es Kagemusha et Ran marquent un tournant majeur dans la vision du monde de Kurosawa. Dans Kagemusha, « alors qu'auparavant [âŠ] [le hĂ©ros] pouvait sâemparer des Ă©vĂšnements et les modeler selon ses impulsions, il nâest plus que lâĂ©piphĂ©nomĂšne dâun processus impitoyable, sanglant, qui le rĂ©duit en poussiĂšre sous le poids et la force de lâhistoire »[221]. LâĂ©popĂ©e suivante, Ran, est « une chronique implacable de la soif de pouvoir, de la trahison dâun pĂšre par ses fils, de guerres et de meurtres omniprĂ©sents »[222]. Le cadre historique du film est utilisĂ© comme « un commentaire sur ce que Kurosawa perçoit dĂ©sormais comme lâintemporalitĂ© des impulsions humaines vers la violence et lâautodestruction »[222]. « Lâhistoire cĂšde la place Ă une perception de la vie comme une roue de souffrance sans fin, tournant sans cesse, se rĂ©pĂ©tant sans cesse », qui est comparĂ©e Ă de nombreuses reprises dans le scĂ©nario Ă lâenfer[223]. « Kurosawa a trouvĂ© que lâenfer Ă©tait Ă la fois le rĂ©sultat inĂ©vitable du comportement humain et la visualisation appropriĂ©e de sa propre amertume et de sa dĂ©ception »[224].
Postérité
Reconnaissance
De nombreux cinĂ©astes disent avoir Ă©tĂ© influencĂ©s par lâĆuvre de Kurosawa. Ingmar Bergman qualifie son propre film La Source dâ« imitation minable de Kurosawa ». Il ajoute quâĂ la sortie du film, en 1960, son admiration pour le cinĂ©ma japonais Ă©tait Ă son comble[225]. Federico Fellini considĂ©rait Kurosawa comme « le plus grand exemple vivant de tout ce quâun auteur de cinĂ©ma devrait ĂȘtre »[226]. Steven Spielberg a soulignĂ© lâimportance du cinĂ©ma de Kurosawa dans le dĂ©veloppement de sa propre vision cinĂ©matographique[227]. Le cinĂ©aste Satyajit Ray, Ă qui a Ă©tĂ© dĂ©cernĂ© Ă titre posthume le prix Akira Kurosawa pour lâensemble de sa carriĂšre de rĂ©alisateur au Festival international du film de San Francisco en 1992[228], avait dĂ©clarĂ© ceci Ă propos de RashĆmon :
« Lâeffet du film sur moi [lors de son premier visionnage Ă Calcutta en 1952] a Ă©tĂ© Ă©lectrique. Je lâai vu trois fois de suite, et je me suis demandĂ© Ă chaque fois sâil existait un autre film qui donnait une preuve aussi durable et Ă©blouissante de la maĂźtrise dâun rĂ©alisateur sur tous les aspects de la crĂ©ation cinĂ©matographique. »[229]
Roman Polanski considĂšre Kurosawa comme lâun de ses trois cinĂ©astes prĂ©fĂ©rĂ©s, avec Orson Welles et Federico Fellini. Les Sept SamouraĂŻs, Le ChĂąteau de lâaraignĂ©e et La Forteresse cachĂ©e font ainsi partie de ses films prĂ©fĂ©rĂ©s[230]. Bernardo Bertolucci considĂšre lâinfluence de Kurosawa comme fondamentale : « Les films de Kurosawa et La dolce vita de Fellini sont les films qui mâont poussĂ©, amenĂ© Ă devenir un rĂ©alisateur de films »[231]. AndreĂŻ Tarkovski cite Kurosawa comme lâun de ses rĂ©alisateurs favoris et place Les Sept SamouraĂŻs parmi ses dix films prĂ©fĂ©rĂ©s[232]. Sidney Lumet qualifie quant Ă lui Kurosawa de « Beethoven des rĂ©alisateurs de films »[233]. Werner Herzog, interrogĂ© sur ses cinĂ©astes prĂ©fĂ©rĂ©s, Ă©voque RashĆmon en ces mots :
« Je me suis toujours demandĂ© comment Kurosawa avait pu rĂ©aliser un film aussi bon que RashĆmon ; lâĂ©quilibre et le rythme sont parfaits, et il utilise lâespace de maniĂšre si harmonieuse. Câest lâun des meilleurs films jamais rĂ©alisĂ©s. »[234]
Selon Anthony Frewin, assistant de Stanley Kubrick, ce dernier considĂšre Kurosawa comme « lâun des plus grands rĂ©alisateurs » et parle de lui « constamment et avec admiration »[235]. Ainsi, lorsque Kurosawa, qui admire aussi Kubrick, lui envoie une lettre, Ă la fin des annĂ©es 1990, Kubrick passe plusieurs mois Ă rĂ©Ă©crire sa rĂ©ponse[235]. Mais entre-temps, Kurosawa dĂ©cĂšde et Kubrick en est terriblement bouleversĂ©[235]. Robert Altman, lorsquâil dĂ©couvre RashĆmon pour la premiĂšre fois, est si impressionnĂ© par la sĂ©quence dâimages du soleil quâil incorpore ces mĂȘmes sĂ©quences dĂšs le lendemain dans son travail[236]. George Lucas cite La Forteresse cachĂ©e comme principale inspiration pour son space opera Star Wars (1977)[237]. Il mentionne Ă©galement dâautres films de Kurosawa comme ses favoris, notamment Les Sept SamouraĂŻs, Le Garde du corps et Vivre[237]. Zack Snyder cite Kurosawa comme lâune de ses influences pour son film Netflix alors en cours de dĂ©veloppement, Rebel Moon[238].
Critiques
Kenji Mizoguchi, rĂ©alisateur acclamĂ© des Contes de la lune vague aprĂšs la pluie (1953) et de LâIntendant Sansho (1954), est de onze ans lâaĂźnĂ© de Kurosawa. Ă partir du milieu des annĂ©es 1950, certains critiques de la Nouvelle Vague française commencent Ă prĂ©fĂ©rer Mizoguchi Ă Kurosawa. Le critique et cinĂ©aste de la Nouvelle Vague Jacques Rivette, en particulier, estime que Mizoguchi est le seul rĂ©alisateur japonais dont lâĆuvre est Ă la fois entiĂšrement japonaise et vĂ©ritablement universelle[239] ; Kurosawa, en revanche, est considĂ©rĂ© comme plus influencĂ© par le cinĂ©ma et la culture occidentaux, un point de vue qui reste contestĂ©[240].
Au Japon, certains critiques et cinĂ©astes considĂšrent que Kurosawa est Ă©litiste. Ils estiment quâil concentre ses efforts et son attention sur des personnages exceptionnels ou hĂ©roĂŻques. Dans son commentaire du DVD des Sept SamouraĂŻs, Joan Mellen soutient que certains plans des personnages de samouraĂŻs Kanbei et KyuzĆ, qui montrent que Kurosawa leur accorde un statut ou une validitĂ© supĂ©rieurs, constituent des preuves de ce point de vue. Ces critiques japonais affirment que Kurosawa nâest pas suffisamment progressiste parce que les paysans sont incapables de trouver des leaders dans leurs rangs. Dans une interview avec Mellen, Kurosawa sâen est dĂ©fendu en disant :
« Je voulais dire quâaprĂšs tout, les paysans Ă©taient les plus forts, sâaccrochant Ă©troitement Ă la terre⊠Ce sont les samouraĂŻs qui Ă©taient faibles parce quâils Ă©taient emportĂ©s par les vents du temps. »[186] - [241]
DĂšs le dĂ©but des annĂ©es 1950, Kurosawa est accusĂ© de vouloir satisfaire les goĂ»ts occidentaux en raison de sa popularitĂ© en Europe et en AmĂ©rique. Dans les annĂ©es 1970, le rĂ©alisateur de gauche Nagisa Ćshima, connu pour ses rĂ©actions critiques Ă lâĂ©gard de lâĆuvre de Kurosawa, accuse ce dernier de se plier aux croyances et idĂ©ologies occidentales[242]. Lâauteur Audie Bock, cependant, estime que Kurosawa ne joue jamais le jeu dâun public non japonais et quâil dĂ©nonce les rĂ©alisateurs qui lâont fait[243].
Adaptations de son Ćuvre
Au Japon, lâĆuvre de Kurosawa a fait lâobjet de nombreux remakes. Câest le cas de La LĂ©gende du grand judo, qui a inspirĂ© quatre films : Sugata SanshirĆ, rĂ©alisĂ© par Shigeo Tanaka en 1955, SanshirĆ Sugata, produit par Kurosawa et rĂ©alisĂ© par Seiichiro Uchikawa en 1965, NinkyĆ yawara ichidai, rĂ©alisĂ© par Sadao Nakajima en 1966, Dawn of Judo, rĂ©alisĂ© par Kunio Watanabe en 1970, ainsi que Sugata SanshirĆ, rĂ©alisĂ© par Kihachi Okamoto en 1977[244] - [245]. Chien enragĂ© a fait quant Ă lui lâobjet de deux reprises : un film rĂ©alisĂ© par Azuma Morisaki en 1973 pour la ShĆchiku[246] - [247] et un tĂ©lĂ©film rĂ©alisĂ© par Yasuo Tsuruhashi en 2013 pour TV Asahi[248] - [249]. En 2007, Entre le ciel et lâenfer inspire le tĂ©lĂ©film Tengoku to jigoku, rĂ©alisĂ© par Yasuo Tsuruhashi[250]. La mĂȘme annĂ©e, un remake de Sanjuro intitulĂ© Tsubaki SanjurĆ est rĂ©alisĂ© par Yoshimitsu Morita[251]. Enfin, La Forteresse cachĂ©e a inspirĂ© le film Kakushi toride no san-akunin: The Last Princess, rĂ©alisĂ© par Shinji Higuchi en 2008[252].
Les films de Kurosawa ont Ă©galement fait lâobjet de reprises hors du Japon. Les Sept SamouraĂŻs a inspirĂ© de nombreux remake, le premier Ă©tant le western Les Sept Mercenaires (The Magnificent Seven), rĂ©alisĂ© en 1960 par John Sturges[253]. Le film de Sturges fait lui-mĂȘme lâobjet en 2016 dâun remake dâAntoine Fuqua intitulĂ© Les Sept Mercenaires (The Magnificent Seven)[254]. Il existe dâautres adaptations moins connues des Sept SamouraĂŻs, comme Les Sept Sauvages (The Savage Seven), rĂ©alisĂ© en 1968 par Richard Rush[255], Les Mercenaires de lâespace (Battle Beyond the Stars), rĂ©alisĂ© en 1980 par Jimmy T. Murakami[255], Les Sept Gladiateurs (I sette magnifici gladiatori), rĂ©alisĂ© en 1983 par Bruno Mattei et Claudio Fragasso[253], ou encore un film kazakh, The Wild East (DikiĂŻ vostok), rĂ©alisĂ© en 1993 par Rachid Nougmanov[256]. Le film RashĆmon a fait lâobjet de deux remakes : le western amĂ©ricain L'Outrage (The Outrage) de Martin Ritt, sorti en 1964[257] et The Outrage (U mong pa meung), film thaĂŻlandais de Pantewanop Tewakul sorti en 2011[258]. Un autre film de Kurosawa Ă avoir fait lâobjet de plusieurs reprises est Le Garde du corps. Le plus connu dâentre eux est le western spaghetti Pour une poignĂ©e de dollars (Per un pugno di dollari), rĂ©alisĂ© par Sergio Leone en 1964. Bien que largement inspirĂ© du film de Kurosawa, Leone nâavait pas obtenu lâautorisation officielle pour faire un remake de ce film, qui Ă©tait protĂ©gĂ© par des droits dâauteur. Kurosawa a donc intentĂ© un procĂšs avec la TĆhĆ pour violation des droits dâauteur et a reçu les droits de distribution au Japon et dans dâautres pays ainsi que 15 % des recettes du box-office mondial[259] - [260]. Dernier Recours (Last Man Standing), rĂ©alisĂ© par Walter Hill en 1996 avec Bruce Willis et Christopher Walken, sâinspire Ă©galement du Garde du corps[261].
Scénarios posthumes
AprĂšs la mort de Kurosawa, plusieurs travaux posthumes basĂ©s sur ses scĂ©narios sont produits. Le film AprĂšs la pluie (éšăăă, Ame agaru) rĂ©alisĂ© par Takashi Koizumi sort en 1999[262] - [263], et La mer regarde (æ”·ăŻèŠăŠăă, Umi wa miteita) rĂ©alisĂ© par Kei Kumai sort en 2002[264]. Le scĂ©nario de Dora-Heita Ă©crit par le Club des Quatre Chevaliers Ă lâĂ©poque de la production de Dodesâkaden est finalement rĂ©alisĂ© par Kon Ichikawa, seul membre du Club encore en vie[265]. Dora-heita sort en 2000[266]. Huayi Brothers Media et CKF Pictures en Chine annoncent en 2017 leur intention de produire un scĂ©nario posthume de Kurosawa adaptĂ© de la nouvelle Le Masque de la mort rouge dâEdgar Allan Poe pour une sortie en 2020, sous le titre Le Masque de la mort noire[267]. Patrick Frater du magazine Variety dĂ©clare en , dĂ©clare que deux autres projets de films inachevĂ©s de Kurosawa sont prĂ©vus, le tournage de Silvering Spear devant commencer en 2018[268].
Société Kurosawa Production
En , il est annoncĂ© que les droits de remake de la plupart des films de Kurosawa et des scĂ©narios non produits sont cĂ©dĂ©s par lâAkira Kurosawa 100 Project Ă la sociĂ©tĂ© Splendent, basĂ©e Ă Los Angeles. La fondatrice de Splendent, Sakiko Yamada, dĂ©clare que son objectif est « dâaider les rĂ©alisateurs contemporains Ă faire dĂ©couvrir ces histoires inoubliables Ă une nouvelle gĂ©nĂ©ration de cinĂ©philes »[269].
La sociĂ©tĂ© Kurosawa Production, crĂ©Ă©e en 1959, continue de superviser de nombreux aspects de lâhĂ©ritage de Kurosawa. Le fils du rĂ©alisateur, Hisao Kurosawa, est lâactuel dirigeant de la sociĂ©tĂ©. Sa filiale amĂ©ricaine, Kurosawa Enterprises, est situĂ©e Ă Los Angeles. Les droits sur les Ćuvres de Kurosawa sont alors dĂ©tenus par Kurosawa Production et les studios de cinĂ©ma sous lesquels il travaillait, notamment la TĆhĆ. Ces droits sont ensuite cĂ©dĂ©s au Akira Kurosawa 100 Project avant dâĂȘtre rĂ©attribuĂ©s en 2011 Ă la sociĂ©tĂ© Splendent, basĂ©e Ă Los Angeles[269]. Kurosawa Production travaille en Ă©troite collaboration avec la Fondation Akira Kurosawa, crĂ©Ă©e en dĂ©cembre 2003 et Ă©galement dirigĂ©e par Hisao Kurosawa. La fondation organise un concours annuel de courts mĂ©trages et mĂšne des projets liĂ©s Ă Kurosawa, notamment un projet rĂ©cemment mis en veilleuse visant Ă construire un musĂ©e commĂ©moratif pour le rĂ©alisateur[270].
Hommages
En 1981, le Kurosawa Film Studio est ouvert Ă Yokohama ; deux autres sites sont ouverts par la suite au Japon[271]. Une vaste collection de documents dâarchives, notamment des scĂ©narios scannĂ©s, des photos et des articles de presse, est disponible sur lâAkira Kurosawa Digital Archive, un site Internet japonais gĂ©rĂ© par le centre de recherche des archives numĂ©riques de lâuniversitĂ© de RyĆ«koku en collaboration avec Kurosawa Production[272]. Une Ă©cole de cinĂ©ma Akira Kurosawa est crĂ©Ă©e Ă lâuniversitĂ© dâAnaheim au printemps 2009 avec le soutien de la famille Kurosawa et de Kurosawa Production. Elle propose des programmes en ligne sur la rĂ©alisation de films numĂ©riques, avec un siĂšge Ă Anaheim et un centre dâapprentissage Ă Tokyo[273].
En 1999, Kurosawa est nommĂ© « Asiatique du siĂšcle » dans la catĂ©gorie « Arts, LittĂ©rature, et Culture » par le magazine Asiaweek et CNN, citĂ© comme « lâune des cinq personnes ayant le plus contribuĂ© Ă lâĂ©panouissement de lâAsie durant les 100 derniĂšres annĂ©es »[274]. En commĂ©moration du 100e anniversaire de la naissance de Kurosawa en 2010, un projet appelĂ© AK100 est lancĂ© en 2008. Le projet AK100 vise à « exposer les jeunes qui sont les reprĂ©sentants de la prochaine gĂ©nĂ©ration, et tous les gens partout, Ă la lumiĂšre et Ă lâesprit dâAkira Kurosawa et au monde merveilleux quâil a crĂ©Ă© »[275]. Deux prix cinĂ©matographiques sont Ă©galement nommĂ©s en lâhonneur de Kurosawa. Le prix Akira Kurosawa rĂ©compense lâensemble de la carriĂšre dâun rĂ©alisateur est dĂ©cernĂ© lors du Festival international du film de San Francisco, tandis que le prix Akira Kurosawa est remis lors du Festival international du film de Tokyo[276] - [277].
Filmographie
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RĂ©alisateur
- 1943 : La LĂ©gende du grand judo (槿äžćé, Sugata SanshirĆ)
- 1944 : Le Plus Beau (äžçȘçŸăă, Ichiban utsukushiku)
- 1945 : La Nouvelle LĂ©gende du grand judo (çș槿äžćé, Zoku Sugata SanshirĆ)
- 1945 : Les Hommes qui marchĂšrent sur la queue du tigre (èăźć°Ÿăèžăç·é, Tora no o wo fumu otokotachi)
- 1946 : Ceux qui bĂątissent lâavenir (ææ„ăäœăäșșă , Asu o tsukuru hitobito) co-rĂ©alisĂ© avec KajirĆ Yamamoto et Hideo Sekigawa[alpha 2]
- 1946 : Je ne regrette rien de ma jeunesse (ăăéæ„ă«æăȘă, Waga seishun ni kui nashi)
- 1947 : Un merveilleux dimanche (çŽ æŽăăăæ„ææ„, Subarashiki nichiyobi)
- 1948 : LâAnge ivre (é ăă©ăć€©äœż, Yoidore tenshi)
- 1949 : Le Duel silencieux (éăăȘăæ±șé, Shizukanaru kettĆ)
- 1949 : Chien enragĂ© (éèŻçŹ, Nora-inu)
- 1950 : Scandale (éè, Shubun)
- 1950 : RashĆmon (çŸ çé, RashĆmon)
- 1951 : LâIdiot (çœçŽ, Hakuchi)
- 1952 : Vivre (çăă, Ikiru)
- 1954 : Les Sept SamouraĂŻs (äžäșșăźäŸ, Shichinin no samurai)
- 1955 : Vivre dans la peur (çăăăźăźèšéČ, Ikimono no kiroku)
- 1957 : Le ChĂąteau de lâaraignĂ©e (èèć·Łć, Kumonosu-jĆ)
- 1957 : Les Bas-Fonds (ă©ăćș, Donzoko)
- 1958 : La Forteresse cachĂ©e (é ăç ŠăźäžæȘäșș, Kakushi toride no san-akunin)
- 1960 : Les salauds dorment en paix (æȘăć„Žă»ă©ăăç ă, Warui yatsu hodo yoku nemuru)
- 1961 : Le Garde du corps (çšćżæŁ, YĆjinbĆ)
- 1962 : Sanjuro (æ€żäžćé, Tsubaki SanjĆ«rĆ)
- 1963 : Entre le ciel et lâenfer (怩ćœăšć°ç, Tengoku to jigoku)
- 1965 : Barberousse (蔀ăČă, Akahige)
- 1970 : Dodesâkaden (ă©ă§ăăă§ă, Dodesukaden)
- 1975 : Dersou Ouzala aussi appelĂ© LâAigle de la TaĂŻga (ăă«ăčă»ăŠă¶ăŒă©, Derusu UzÄra)
- 1980 : Kagemusha, lâOmbre du guerrier (ćœ±æŠè , Kagemusha)
- 1985 : Ran (äč±, Ran)
- 1990 : RĂȘves (怹, Yume)
- 1991 : Rhapsodie en aoĂ»t (ć «æăźçè©©æČ, Hachi-gatsu no kyĆshikyoku)
- 1993 : Madadayo (ăŸăă ă ă, MÄdadayo)
Scénariste
Akira Kurosawa est auteur ou co-auteur de tous les scĂ©narios de ses films Ă lâexception de trois dâentre eux : Ceux qui bĂątissent lâavenir et Je ne regrette rien de ma jeunesse en 1946 et Un merveilleux dimanche en 1947. Il a aussi Ă©crit ou co-Ă©crit des scĂ©narios pour dâautres cinĂ©astes :
- 1942 : Seishun no kiryĆ« (éæ„ăźæ°æ”) dâOsamu Fushimizu
- 1942 : Le Triomphe des ailes (çżŒăźć±æ, Tsubasa no gaika) de Satsuo Yamamoto
- 1944 : DohyĆ matsuri (ćäż”ç„) de SantarĆ Marune
- 1945 : Appare Isshin Tasuke (怩æŽăäžćżć€Șć©) de Kiyoshi Saeki
- 1947 : Quatre histoires dâamour (ćă€ăźæăźç©èȘ 珏äžè©± ćæ, Yottsu no koi no monogatari) de ShirĆ Toyoda
- 1947 : La Montagne dâargent (éć¶șăźæăŠ, Ginrei no hate) de Senkichi Taniguchi
- 1948 : Le Portrait (èć, ShĆzĆ) de Keisuke Kinoshita
- 1949 : La Femme de lâenfer (ć°çăźèČŽć©Šäșș, Jigoku no kifujin) de Motoyoshi Oda
- 1949 : Jakoman to Tetsu (ăžăŁăłèŹăšé) de Senkichi Taniguchi
- 1950 : Le DĂ©serteur de lâaube (æăźè±è”°, Akatsuki no dassĆ) de Senkichi Taniguchi
- 1950 : Jiruba no tetsu (ăžă«ăăźé) dâIsamu Kosugi
- 1950 : Danpei le tueur (æźșéŁćž«æź”ćčł, Tateshi Danpei) de Masahiro Makino
- 1951 : Ai to nikushimi no kanata e (æăšæăăżăźćœŒæčăž) de Senkichi Taniguchi
- 1951 : Kemono no yado (çŁăźćźż) de Tatsuo Ćsone
- 1952 : La Vendetta dâun samouraĂŻ : duel au coin de Kagiya (èæšććłèĄé æ±șéé”ć±ăźèŸ», Araki Mataemon: KettĆ Kagiya no tsuji) de Kazuo Mori
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- 1962 : Tateshi Danpei (æźșéŁćž«æź”ćčł) de Shunkai Mizuho
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- 1965 : Sugata SanshirĆ (槿äžćé) de SeiichirĆ Uchikawa
- Ćuvres posthumes
- 1998 : AprĂšs la pluie (éšăăă, Ame agaru) de Takashi Koizumi. La mise en scĂšne, le scĂ©nario et les dialogues sont signĂ©s dâAkira Kurosawa.
- 2000 : Dora-heita (ă©ăćčłć€Ș) de Kon Ichikawa
- 2003 : La mer regarde (æ”·ăŻèŠăŠăă, Umi wa miteita) de Kei Kumai, le dernier scĂ©nario Ă©crit par Kurosawa
Distinctions
De nombreux prix et rĂ©compenses sont dĂ©cernĂ©s Ă Kurosawa tout au long de sa vie. Ses films ont Ă©tĂ© rĂ©compensĂ©s aux Oscars du cinĂ©ma et dans les trois principaux festivals de cinĂ©ma du monde : le Festival de Cannes, la Mostra de Venise et la Berlinale. Lors de la 62e cĂ©rĂ©monie des Oscars en 1990, il reçoit un Oscar dâhonneur donnĂ© par deux de ses plus grands admirateurs : Steven Spielberg et George Lucas[278] - [279].
Kurosawa a reçu un certain nombre de dĂ©corations honorifiques tout au long de sa vie, notamment au Japon. Il est honorĂ© du prix de la personne de mĂ©rite culturel en 1976 et reçoit lâordre de la Culture en 1985[280] - [281]. Il est Ă©galement laurĂ©at du prix de la culture asiatique de Fukuoka en 1990, du Praemium Imperiale en 1992 et du Prix de Kyoto en 1994[282] - [280] - [283]. Enfin, Kurosawa reçoit Ă titre posthume en 1998 le Prix dâhonneur de la Nation, pour avoir « profondĂ©ment Ă©mu la nation avec ses nombreux chefs-dâĆuvre intemporels et laissĂ© une marque brillante dans lâhistoire du cinĂ©ma mondial »[284].
En Europe, Kurosawa est nommĂ© officier de la LĂ©gion dâhonneur française en 1984, commandeur des arts et des lettres en 1985 et chevalier grand-croix de lâOrdre du mĂ©rite de la RĂ©publique italienne en 1986[283] - [285] - [286].
RĂ©compenses
Sauf mention contraire, les informations suivantes sont basĂ©es sur la page IMDb dâAkira Kurosawa[287] et sur la filmographie Ă©tablie par Stuart Galbraith IV, biographe dâAkira Kurosawa[179].
Nominations
Notes et références
- (en)/(ja) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu des articles intitulĂ©s en anglais « Akira Kurosawa » (voir la liste des auteurs), « Filmmaking technique of Akira Kurosawa » (voir la liste des auteurs) et en japonais « é»æŸ€æ » (voir la liste des auteurs).
Notes
- Kurosawa est mariĂ© avec YĆko Yaguchi de 1945 Ă 1985.
- En 1946, Kurosawa corĂ©alise, avec son mentor, KajirĆ Yamamoto, et Hideo Sekigawa, le long mĂ©trage Ceux qui bĂątissent lâavenir (ææ„ăäœăäșșă , Asu o tsukuru hitobito). Il semblerait quâil ait Ă©tĂ© contraint de rĂ©aliser ce film contre sa volontĂ© par les studios TĆhĆ, avec lesquels il Ă©tait sous contrat Ă lâĂ©poque (il prĂ©tend que sa partie du film est tournĂ©e en une semaine seulement). Câest le seul film quâil ait jamais rĂ©alisĂ© et pour lequel il nâest pas crĂ©ditĂ© en tant que seul rĂ©alisateur, et le seul qui nâest jamais sorti en vidĂ©o, sous quelque forme que ce soit. Le film est rĂ©pudiĂ© par la suite par Kurosawa et nâest souvent pas comptĂ© avec les trente autres films quâil a rĂ©alisĂ©s, bien quâil soit mentionnĂ© dans certaines filmographies du rĂ©alisateur[42].
- LâOscar du meilleur film en langue Ă©trangĂšre a Ă©tĂ© renommĂ© Oscar du meilleur film international en 2019[133].
- Miyagawa a Ă©tĂ© engagĂ© comme directeur de la photographie pour Kagemusha, mais environ un mois aprĂšs le dĂ©but du tournage, des problĂšmes oculaires liĂ©s au diabĂšte lâont contraint Ă abandonner le projet[180].
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Annexes
Bibliographie
- : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
- Les ouvrages sont classés selon leur année de parution.
Ouvrages en anglais
- (en) Audie Bock, Japanese Film Directors, KĆdansha, , 380 p. (ISBN 0-87011-304-6).
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- (en) Akira Kurosawa, Something Like an Autobiography, Vintage Books, , 238 p. (ISBN 978-0-394-71439-4).
- (en) James Goodwin, Akira Kurosawa and Intertextual Cinema, Johns Hopkins University Press, , 284 p. (ISBN 0-8018-4661-7)
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- (en) Donald Richie, The Films of Akira Kurosawa, Berkeley (Californie), University of California Press, (réimpr. 1965, 1984, 1996), 273 p. (ISBN 0-520-22037-4).
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- (en) Eric San Juan, Akira Kurosawa : A Viewer's Guide, Rowman & Littlefield, , 260 p. (ISBN 978-1-5381-1090-4).
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Ouvrages en français
- Michel Mesnil, Kurosawa, Ăditions Seghers, .
- Hubert Niogret, Kurosawa, Paris, Payot et Rivages, , 212 p. (ISBN 2-86930-910-4).
- Michel EstĂšve, Akira Kurosawa, Paris, Lettres modernes/Minard, coll. « Ătudes cinĂ©matographiques », , 3e Ă©d., 184 p. (ISBN 2-256-90983-2).
- Charles Tesson, Akira Kurosawa, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « Grands cinéastes », , 95 p. (ISBN 978-2-86642-504-3).
- Alain Bonfand, Le cinéma d'Akira Kurosawa, Paris, Vrin, coll. « Essais d'art et de philosophie », , 200 p. (ISBN 978-2-7116-2343-3).
Ouvrages en japonais
- (ja) Tadao SatĆ, Akira Kurosawa no Sekai, Sanichishobo, .
Vidéographie
- (en) Kurosawa: The Last Emperor de Alex Cox, Channel 4/Exterminating Angel Productions, 1999, DVD
- (en) Kurosawa de Adam Low, WNET, BBC et NHK, coll. « Great Performances », 2002, DVD
- Yojimbo : Ădition remastĂ©risĂ©e de Akira Kurosawa, coll. « Criterion Collection Spine » (no 52), 2007, DVD
- Les Sept SamouraĂŻs : Ădition remastĂ©risĂ©e de Akira Kurosawa, coll. « Criterion Collection Spine » (no 2), 2007, DVD
Liens externes
- Ressources relatives Ă l'audiovisuel :
- Allociné
- Ciné-Ressources
- (en) AllMovie
- (en) American Film Institute
- (en) Anime News Network
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