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La dolce vita

La dolce vita (prononciation italienne : /la ˈdoltʃe ˈviːta/), sorti initialement en France sous le titre La Douceur de vivre, est un film italo-français rĂ©alisĂ© par Federico Fellini et sorti en 1960. Le film a obtenu la Palme d'or au 13e festival de Cannes en 1960, ainsi que l'Oscar des meilleurs costumes de 1962.

La dolce vita
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Titre original La dolce vita
RĂ©alisation Federico Fellini
Scénario Federico Fellini
Tullio Pinelli
Ennio Flaiano
Brunello Rondi
Pier Paolo Pasolini
Acteurs principaux
Sociétés de production Riama Film
Pathé Consortium Cinéma
Gray-Film
Pays de production Drapeau de la France France
Drapeau de l'Italie Italie
Genre chronique dramatique
Durée 167 minutes
Sortie 1960

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution

Construit comme une succession de petits épisodes, La dolce vita suit Marcello Rubini, un journaliste de presse people interprété par Marcello Mastroianni, au fil d'une semaine de vie mondaine à Rome dans une recherche infructueuse de l'amour et du bonheur. Ce film marque un tournant dans la filmographie de Federico Fellini, faisant suite à trois films proches du néoréalisme : La strada (1954), Il bidone (1955) et Les Nuits de Cabiria (Le notti di Cabiria) (1957). Il inaugure le vocabulaire cinématographique personnel qui deviendra, de maniÚre irrévocable, la marque de fabrique « fellinienne » des films suivants.

Aujourd'hui considéré comme un classique du cinéma italien et du cinéma en général, il a pourtant été accueilli par le scandale, à sa sortie, de sa description d'une société oisive et débauchée, la dolce vita du titre.

Synopsis

La dolce vita est composĂ©e d'une sĂ©rie d'Ă©pisodes en apparence dĂ©connectĂ©s. La structure du scĂ©nario n'est pas sans rappeler celle des films Ă  sketches chers au cinĂ©ma italien et auxquels Fellini a lui-mĂȘme eu recours plusieurs fois. SituĂ© Ă  Rome en 1959, le film suit, sur ce mode apparemment dĂ©cousu, les pĂ©rĂ©grinations de Marcello Rubini (jouĂ© par Marcello Mastroianni), un jeune provincial aux aspirations littĂ©raires, devenu chroniqueur dans un journal Ă  sensations.

L'analyse usuelle du scĂ©nario le dĂ©coupe en un prologue, sept Ă©pisodes principaux interrompus par un intermĂšde, et un Ă©pilogue, ce qui lui confĂšre une structure fortement symĂ©trique[1] - [2] - [3]. La longueur du film empĂȘche souvent d'en percevoir, lors de la premiĂšre vision, le caractĂšre extrĂȘmement structurĂ©. À travers des tableaux connectĂ©s par la prĂ©sence de Marcello et de quelques autres personnages-clĂ©s, Fellini explore l'intimitĂ©, dans le cadre plus large d'un monde en mutation, la sociĂ©tĂ© italienne du miracle Ă©conomique d'aprĂšs-guerre[1] - [2] - [3].

Les épisodes présentent chacun une voie qui s'offre à Marcello. Ces voies étant toutes sans issue, à la fin Marcello reste seul, comme tout héros fellinien[4].

Prologue - Marcello

Séquence de jour. La premiÚre scÚne présente un hélicoptÚre transportant une statue du Christ au-dessus d'un ancien aqueduc romain, tandis qu'un second hélicoptÚre de presse le suit dans le ciel de la ville. Ce dernier est momentanément retardé par un groupe de jeunes femmes en bikini qui prennent un bain de soleil sur le toit d'un immeuble élevé. Marcello mime ensuite une demande de numéro de téléphone, mais ne réussit pas à se faire comprendre et hausse les épaules avant de continuer son chemin en suivant le premier hélicoptÚre au-dessus de la place Saint-Pierre.

Épisodes 1 à 4

Épisode 1 - Maddalena

SĂ©quence de nuit. Dans une boĂźte de nuit « select », Marcello est pris Ă  partie par un homme cĂ©lĂšbre photographiĂ© contre sa volontĂ©. Il rencontre Maddalena (jouĂ©e par Anouk AimĂ©e), une femme dĂ©sƓuvrĂ©e de la grande bourgeoisie qui, fatiguĂ©e de Rome, cherche constamment de nouvelles sensations. Marcello lui explique qu'il trouve que la capitale italienne lui convient, car elle est comme « une jungle oĂč il pourrait se cacher ». Alors qu'ils se promĂšnent en voiture dans la Cadillac de Maddalena, ils dĂ©cident de raccompagner une prostituĂ©e chez elle, en banlieue romaine, et en Ă©change se font prĂȘter sa chambre pour y faire l'amour.

SĂ©quence Ă  l'aube. AprĂšs cette nuit avec Maddalena, Marcello Rubini retourne Ă  son appartement, oĂč il se rend compte que sa fiancĂ©e, Emma (Yvonne Furneaux), a fait une tentative de suicide. Sur le chemin de l'hĂŽpital, puis en salle de rĂ©animation, il lui dĂ©clare son amour Ă©ternel, alors qu'elle est encore demi-inconsciente. En attendant qu'elle se remette, il tĂ©lĂ©phone Ă  son amante bourgeoise.

Une jeune femme en robe de soirée dans une fontaine tend un bras dans l'eau qui coule et sourit - c'est Anita Ekberg
Anita Ekberg dans la fontaine.
Épisode 2 - Sylvia

Séquence de jour. Marcello couvre l'arrivée à l'aéroport de Sylvia Rank (Anita Ekberg), une célÚbre actrice internationale, qui est assaillie par une meute de journalistes. Pendant la conférence de presse de Sylvia, Marcello appelle chez lui pour s'assurer que sa fiancée Emma va bien, et il lui promet qu'il n'est pas seul avec la célÚbre actrice. C'est à ce moment que le petit ami de Sylvia, Robert (Lex Barker), entre dans la piÚce, complÚtement ivre. AprÚs la conférence, Sylvia visite, pleine d' énergie, la coupole de la basilique Saint-Pierre, semant les photographes qui la suivent, fatigués par la montée rapide des escaliers. Marcello finit par se retrouver seul avec elle, à admirer le Vatican depuis le sommet de l'édifice.

Séquence de nuit. Marcello danse avec Sylvia dans une boßte de nuit à ciel ouvert. Robert reste à l'écart, dessinant et discutant autour d'une table, mais il fait plusieurs remarques déplaisantes à sa petite amie, ce qui conduit cette derniÚre à quitter le groupe, suivie avidement par Marcello et ses collÚgues photographes. Prenant l'actrice à bord de sa voiture, Marcello réussit à se trouver de nouveau seul avec Sylvia. Il cherche vainement un lieu tranquille pour s'y réfugier avec elle, mais ils finissent par errer dans les ruelles de Rome. Trouvant un chaton abandonné en pleine nuit, Sylvia envoie Marcello lui chercher du lait. Lorsque celui-ci revient, il retrouve l'actrice qui s'est avancée toute habillée dans la fontaine de Trevi, et finit par l'y rejoindre. Marcello hésite à embrasser Sylvia, mais il est alors stoppé par la coupure soudaine de l'arrivée de l'eau qui se déversait dans le bassin.

SĂ©quence Ă  l'aube. Au petit jour, Marcello raccompagne enfin Sylvia Ă  son hĂŽtel. Malheureusement pour eux, ils tombent sur Robert, qui les attend dans sa voiture. Jaloux et pris d'une crise de colĂšre, il gifle sa compagne et frappe Ă©galement Marcello, en prĂ©sence de plusieurs photographes empressĂ©s d’immortaliser l'incident.

Épisode 3a - Steiner

SĂ©quence de jour. Dans une Ă©glise, Marcello retrouve un ami intellectuel et distinguĂ©, Steiner (Alain Cuny), qui lui montre son livre de grammaire du sanskrit. Le spectateur comprend alors qu'il a connu Marcello en d'autres temps, Ă  un moment oĂč celui-ci avait des ambitions littĂ©raires, avant de se fourvoyer dans le journalisme Ă  sensations. Steiner interprĂšte ensuite la toccata de Bach au clavier de l’orgue de l’église.

Épisode 4 - Les deux enfants

SĂ©quence de jour. Marcello, son ami le photographe Coriolano Paparazzo[alpha 1] (Walter Santesso) et Emma — la fiancĂ©e de Marcello — se rendent en pĂ©riphĂ©rie de Rome pour un reportage sur deux enfants qui ont prĂ©tendument vu la Vierge Marie. Bien que le clergĂ© soit officiellement sceptique, une foule de dĂ©vots, de curieux, de reporters et de carabiniers se rassemblent sur le site. Au fil des interviews, la famille des enfants se rĂ©vĂšle peu scrupuleuse.

SĂ©quence de nuit. L’évĂšnement est diffusĂ© Ă  la radio et Ă  la tĂ©lĂ©vision italiennes, alors que des malades incurables sont Ă©tendus sur des civiĂšres Ă  mĂȘme le sol Ă  l'endroit de la supposĂ©e apparition mariale. La foule suit aveuglĂ©ment les deux enfants qui prĂ©tendent voir la Vierge Ă  droite et Ă  gauche. Alors qu'une forte pluie s'abat sur les lieux, les enfants finissent par se retirer, et la foule dĂ©pouille un arbre qui aurait soi-disant abritĂ© la Madone.

SĂ©quence Ă  l'aube. AprĂšs la forte montĂ©e de ferveur religieuse, le jour se lĂšve sur la prise de conscience de l'escroquerie et la dĂ©tresse des croyants qui s’ensuit. Les derniĂšres personnes restantes veillent le corps d'un des malades, qui est mort pendant la nuit.

Épisode 3b - Steiner

SĂ©quence de nuit. Marcello et sa fiancĂ©e Emma assistent Ă  un dĂ©bat de salon littĂ©raire, dans la luxueuse maison de Steiner. Un groupe d'intellectuels y dĂ©clame de la poĂ©sie, joue de la guitare, philosophe et Ă©coute des sons de la nature sur un magnĂ©tophone. Sur la terrasse, Marcello confesse Ă  son ami Steiner son admiration pour ce qu'il reprĂ©sente, mais Steiner admet qu'il est dĂ©chirĂ© entre ce qu'offre la vie matĂ©rielle et une vie plus spirituelle, qui aurait le dĂ©savantage d'ĂȘtre moins sĂ»re. Il Ă©voque le besoin d'amour, et exprime sa peur de ce que ses enfants devront affronter un jour.

IntermĂšde - Paola

SĂ©quence de jour. RetirĂ© dans un petit restaurant de plage du littoral romain, Marcello essaye de reprendre l'Ă©criture aprĂšs une dispute tĂ©lĂ©phonique avec Emma. Le va-et-vient de la trĂšs jeune serveuse Paola (Valeria Ciangottini) le distrait et l'empĂȘche de continuer. Elle lui demande de lui apprendre Ă  taper Ă  la machine.

Épisodes 5 à 7

Épisode 5 - Le pùre de Marcello

SĂ©quence de nuit. Marcello rencontre sur la via Veneto son pĂšre (Annibale Ninchi), qui est venu visiter Rome. Avec Paparazzo, ils vont au club Cha-Cha-Cha, oĂč Marcello prĂ©sente Ă  son pĂšre Fanny (Magali NoĂ«l), une danseuse française, avec laquelle ce dernier commence Ă  flirter, comme s’il Ă©tait l’homme jeune du groupe.

Séquence à l'aube. Dans l'appartement de Fanny, le pÚre de Marcello a un léger malaise. Marcello voudrait que son pÚre reste à Rome, pour qu'il puisse se remettre et lui donner l'occasion de mieux le connaßtre, mais celui-ci insiste pour repartir par le premier train.

Épisode 6 - Les aristocrates

SĂ©quence de nuit. Marcello, la chanteuse Nico et d'autres amis rencontrĂ©s sur la via Veneto se rendent Ă  un chĂąteau hors de Rome, oĂč une fĂȘte bat dĂ©jĂ  son plein. Marcello y retrouve Maddalena, la grande bourgeoise. Ils explorent une maison en ruines annexĂ©e au chĂąteau. Maddalena et Marcello, assis Ă  distance dans deux piĂšces diffĂ©rentes, se parlent au moyen d'un systĂšme d'Ă©chos. Maddalena lui demande de l'Ă©pouser, tout en avouant qu'elle aimerait aussi continuer Ă  profiter d'autres hommes, mais alors que Marcello lui dĂ©clare son amour, un autre homme est dĂ©jĂ  en train de l'embrasser et elle ne rĂ©pond plus. Alors que Marcello la cherche, il se fait entraĂźner par le groupe, qui s'en va explorer les jardins et les bĂątiments, Ă  la recherche de fantĂŽmes.

SĂ©quence Ă  l'aube. ÉpuisĂ©, le groupe revient au chĂąteau en croisant ceux qui se rendent Ă  la messe.

Épisode 3c - Steiner

SĂ©quence de nuit. Sur une route, de nuit, Marcello et sa fiancĂ©e Emma se disputent dans une voiture Ă  l'arrĂȘt. Elle s'en va, il la convainc de revenir, mais ils continuent leur dispute, et il la chasse, avant de partir en voiture. Il revient la chercher Ă  l'aube.

SĂ©quence Ă  l'aube. Marcello et Emma sont enlacĂ©s au lit. Marcello reçoit un appel tĂ©lĂ©phonique. Il se rue vers l'appartement de Steiner, oĂč il apprend que ce dernier s'est suicidĂ© aprĂšs avoir tuĂ© ses deux enfants.

Séquence de jour. AprÚs avoir répondu aux questions de la police, Marcello et le commissaire vont à la rencontre de la femme de Steiner, évitant de lui annoncer l'horrible nouvelle devant les paparazzis qui l'assaillent.

Épisode 7 - Nadia

Cet Ă©pisode, Ă  l'Ă©poque oĂč est sortie La dolce vita, Ă©tait qualifiĂ© d'« orgie »[1]. De nos jours, il passerait plutĂŽt pour une soirĂ©e agitĂ©e.

SĂ©quence de nuit. Marcello et un groupe de fĂȘtards investissent une villa de bord de mer, propriĂ©tĂ© d’un ami de Marcello, Riccardo (Riccardo Garrone), absent de chez lui. Pour cĂ©lĂ©brer son rĂ©cent divorce d'avec Riccardo, Nadia (Nadia Gray) entame un striptease. Alors qu'elle est sur le point d'ĂŽter son dernier vĂȘtement, Riccardo apparaĂźt, et tente de mettre tout le monde dehors. Marcello, ivre, provoque et insulte les autres participants.

Épilogue - Le monstre marin

Visage d'une jeune fille blonde qui sourit avec la plage en arriĂšre plan
Valeria Ciangottini (Paola) sur la plage de Passoscuro.

SĂ©quence Ă  l'aube. Partant de la villa Ă  l'aube, les noctambules se retrouvent sur la plage, oĂč des pĂȘcheurs tirent un filet qui contient un Ă©norme poisson mort[alpha 2].

SĂ©quence de jour. AprĂšs avoir contemplĂ© longuement l'Ɠil glauque du « monstre », Marcello entend une voix l'appeler. C'est Paola, la jeune serveuse du restaurant voisin, rencontrĂ©e au moment de l’intermĂšde, qui l'interpelle. SĂ©parĂ© d'elle par l'embouchure d'une petite riviĂšre, Marcello ne peut comprendre ce qu'elle lui dit : le fort bruit des vagues accroĂźt l'impression d'incommunicabilitĂ©[5]. Marcello finit par lui tourner le dos pour retrouver le groupe des fĂȘtards. Le film se termine sur un gros plan du visage de la jeune fille qui, aprĂšs avoir fait un dernier signe Ă  Marcello, tourne lentement sa tĂȘte vers la camĂ©ra avec un sourire Ă©nigmatique.

Fiche technique

Distribution

Contexte

La dolce vita s'inscrit par bien des aspects dans son époque. Film de transition dans la carriÚre de Fellini, c'est aussi le film d'une époque-charniÚre, entre l'aprÚs-guerre et l'ouverture à d'autres modes de vie. Le contexte social est celui du boom économique, le contexte politique est celui du poids de la Démocratie chrétienne, et le contexte culturel au cinéma est celui de la fin du néoréalisme.

Le miracle Ă©conomique italien

Photo publicitaire d'une voiture sur de l'herbe avec un jeune couple marié courant vers elle
Image publicitaire pour la Fiat 600 D : le bonheur par la voiture.

À la fin des annĂ©es 1950, la croissance Ă©conomique dĂ©place les prĂ©occupations des Italiens, de la survie consĂ©cutive Ă  une terrible guerre perdue vers les plaisirs immĂ©diats. La consommation se dĂ©veloppe, c'est la fin des privations. Rome devient le centre de l'exhibition du mode de vie bourgeois[8]. Le traitĂ© de Rome de 1957 scelle la paix retrouvĂ©e et constitue le dĂ©but de l'intĂ©gration europĂ©enne. Les Jeux olympiques de Rome en 1960 marquent alors le retour de l'Italie sur la scĂšne internationale.

Rome devient aussi un second Hollywood, un « Hollywood-sur-Tibre », car les coĂ»ts de production des films sont plus bas Ă  CinecittĂ  qu'aux États-Unis, ce qui fait que les coproductions italo-amĂ©ricaines se multiplient, et que la via Veneto est de plus en plus frĂ©quentĂ©e par les vedettes amĂ©ricaines. Les frasques de la sociĂ©tĂ© mondaine, dans le monde des cafĂ©s et des cabarets, et dans cette nouvelle Babylone[alpha 4], sont scrutĂ©es par des journalistes, que l'on ne nomme pas encore paparazzis[8].

Les films de la veine néoréaliste racontaient l'aprÚs-guerre de la misÚre, par exemple Fellini avec sa description du monde minable des arnaques dans Il bidone, ou Luchino Visconti, avec ses personnages de vagabond et de femme qui se prostitue à son mari dans Les Amants diaboliques (Ossessione). On parle ensuite de « néoréalisme rose » pour la veine qui décrit toujours la réalité sociale, mais cette fois de façon plus souriante.

La censure

Deux hommes et une femme assis avec un large public derriĂšre - on reconnaĂźt Ă  gauche Giulio Andreotti et Anna Magnani
Giulio Andreotti et le cinéma : ici à la Mostra de 1947 avec Giovanni Ponti et Anna Magnani.

Le cinĂ©ma italien, c'est aussi une longue histoire de cache-cache avec la censure. En 1910, le ministre de l'IntĂ©rieur peut dĂ©jĂ  interdire des films. La loi fasciste du va ĂȘtre reconduite, Ă  quelques nuances prĂšs, en contradiction avec les principes de la Constitution rĂ©publicaine[9] entrĂ©e en vigueur le .

À la fin des annĂ©es 1950, l'influence du Vatican se fait toujours sentir[3], malgrĂ© l'article 7 de la Constitution italienne en vigueur, qui proclame la sĂ©paration de l'Église et de l'État, et l'article 21 qui consacre la libertĂ© de la presse[10] - [11].

Le prĂ©sident du Conseil, Giulio Andreotti, joue un rĂŽle ambigu. D'un cĂŽtĂ©, il soutient une politique de coproductions ambitieuses avec d'autres pays (la France en particulier), la distribution des films italiens, et des manifestations culturelles comme la Mostra de Venise : en 1955, l'industrie italienne du cinĂ©ma est la seconde au monde derriĂšre celle des États-Unis. D'un autre cĂŽtĂ©, Ă  travers censures, boycotts de films, Ă©tablissement de listes noires de cinĂ©astes de gauche, il agit sur les contenus. La DĂ©mocratie chrĂ©tienne organise des campagnes de presse[9]. Fellini est bien vu des milieux conservateurs et mal vu des communistes, mais La dolce vita va inverser la situation[alpha 5].

MalgrĂ© cette rĂ©action politique en Italie, l'Ă©poque est aux bouleversements politiques et moraux : on voit Ă©merger Ă  l'international les figures de Kennedy, Khrouchtchev et Jean XXIII. Tullio Kezich parle de « seconde libĂ©ration »[4] : une libĂ©ration des mƓurs aprĂšs la libĂ©ration militaire de 1945. La dolce vita est le signe annonciateur de cette libĂ©ration[12].

Toujours est-il que la censure est encore bien lĂ  : La dolce vita est saisie, coupĂ©e et remise en circulation en 1960 en mĂȘme temps que Rocco et ses frĂšres de Luchino Visconti, Les Adolescentes d'Alberto Lattuada et Ça s'est passĂ© Ă  Rome de Mauro Bolognini. L'avventura de Michelangelo Antonioni est saisie, puis remise en circulation sans coupure[9]. À sa sortie en Italie, La dolce vita est interdite aux mineurs de 18 ans ; il en sera de mĂȘme en France. L'Espagne, sous la coupe de Franco jusqu'en 1975, ne pourra pas voir le film avant 1981[13].

Le néoréalisme

Le néoréalisme, au cinéma, est un mouvement qui s'étale, selon les critiques, de 1943 au milieu des années 1950, ou au début des années 1960. Il présente le quotidien tel qu'il est, en adoptant une position moyenne entre scénario, réalité et documentaire, et en utilisant les « gens de la rue » à la place d'acteurs professionnels, en romançant en quelque sorte la « vraie vie ». La pénurie de moyens pour les films hors de la ligne fasciste, puis pour tous les films aprÚs la Libération, contraint à tourner dans la rue. Les studios de Cinecitta abritent des réfugiés[14], la pellicule manque. Les longs métrages s'acclimatent aux lieux authentiques : cela devient une sorte de code stylistique du néoréalisme qui va puiser dans ces contraintes, réelles ou apparentes, une incontestable qualité de vérité.

La collaboration entre Fellini et Roberto Rossellini, un des maßtres du néoréalisme, est déterminante. Rosselini propose à Fellini de participer au scénario de Rome, ville ouverte (1945). En 1946, Fellini est son assistant sur le tournage de Païsa. Rosellini fait jouer Fellini dans L'amore (1948) et l'associe au scénario des Onze Fioretti de François d'Assise. Fellini collabore aussi avec d'autres réalisateurs du néoréalisme, notamment Alberto Lattuada, qui lui confie la mise en scÚne, puis la co-réalisation avec Les Feux du music-hall (1950). Fellini continue en réalisant ses propres films : Le Cheik blanc (1952), Les Vitelloni (1953), La strada (1954), Il bidone (1955), Les Nuits de Cabiria (1957). Tous ces films appartiennent à la veine néoréaliste.

Avec La dolce vita, Fellini passe, selon Serge July, « du néoréalisme au réalisme visionnaire, comme il passera ensuite du réalisme visionnaire à l'onirisme »[3]. Pour Edouard Dor, « avec ce film, Fellini abandonne le néoréalisme et l'utilisation de décors naturels en faveur d'un subjectivisme prononcé et les tournages en studio[15] ». Pour Dominique Delouche, l'assistant de Fellini, le passage au studio, et à la réalité inventée, constitue un retour à son passé de dessinateur caricaturiste[16]. Pour Alberto Moravia, La dolce vita emprunte aux différentes veines, en fonction des besoins : « Du point de vue stylistique, La dolce vita est trÚs intéressante. Bien qu'il reste en permanence à un haut niveau expressif, Fellini semble changer de maniÚre en fonction du sujet des épisodes, dans une gamme de représentations qui vont de la caricature expressionniste au néoréalisme le plus sec[17]. »

Production et réalisation

Un homme d'Ăąge mur portant un chapeau, les mains dans les poches d'un manteau
L'homme d'affaires Angelo Rizzoli.

Production

La dolce vita est une coproduction italo-française[18]. Le film est tourné entre le printemps et l'été 1959[19].

Dino De Laurentiis, le producteur initial, avance 70 millions de lires. NĂ©anmoins, un dĂ©saccord provoque la rupture, et Fellini doit chercher un autre producteur, qui puisse rembourser l'avance de Dino De Laurentiis. Ce sont finalement Angelo Rizzoli et Giuseppe Amato qui sont retenus[2]. Giuseppe Amato, enthousiasmĂ© par l'idĂ©e d'un film dont le cadre est la via Veneto, insiste pour que le film s'appelle Via Veneto. Angelo Rizzoli, lui, n'aime pas ce film ultramoderne, mais se laissera convaincre par Amato[4].

Les rapports entre Fellini et Rizzoli sont courtois et restent cordiaux, mĂȘme si le budget est un peu dĂ©passĂ©. L'un des postes dont le coĂ»t est le plus important est la reconstruction de la via Veneto en studio. Selon le critique et biographe Tullio Kezich, le coĂ»t de ce film, qui rapportera plus de 2 milliards de lires en quelques annĂ©es[1], n'aurait pas dĂ©passĂ© 540 millions de lires, un budget raisonnable pour ce type de film [2].

Scénario

Fellini avait imaginĂ© en 1954 une suite de son film Les Vitelloni, sous le titre Moraldo in cittĂ  (« Moraldo Ă  la ville »), qui n'a jamais Ă©tĂ© tournĂ©e, mais constitue la graine d'oĂč germera La dolce vita. La dĂ©cision au printemps 1958 de relancer le projet vient de Dino De Laurentiis, qui juge encore bon le scĂ©nario, qui dort dans un tiroir depuis avant le tournage de La strada[4]. À l'origine, Marcello devait donc s'appeler « Moraldo », comme le personnage des Vitelloni, qui quitte sa province pour aller Ă  Rome Ă  la fin du film[20].

Federico Fellini, Tullio Pinelli et Ennio Flaiano ont Ă©crit le scĂ©nario[21] ; on retrouve ces trois noms au scĂ©nario de presque tous les films de Fellini entre Les Feux du music-hall (1950) et Juliette des esprits (1965). Tullio Pinelli et Federico Fellini se sont rencontrĂ©s en 1946[22] et ont dĂ©jĂ  collaborĂ© Ă  de nombreux scĂ©narios, comme celui du Miracle, le second segment de L'amore de Roberto Rossellini (1948). Ennio Flaiano connaĂźt lui aussi Fellini depuis longtemps, 1939, puisqu'il contribue au journal Omnibus Ă  l'Ă©poque oĂč Fellini travaille pour le Marc'Aurelio[23] - [24]. Bien qu'ayant collaborĂ© au scĂ©nario de La dolce vita, Pier Paolo Pasolini ne figure pas Ă  son gĂ©nĂ©rique : il fait partie des nombreuses personnes auxquelles Fellini demande leur avis, leur faisant faire un tour dans sa voiture et ne les libĂ©rant que lorsqu'il a obtenu la rĂ©ponse Ă  ses problĂšmes[4]. Brunello Rondi aide Ă  la dĂ©finition du personnage de Steiner[25].

Un des motifs de la rupture entre De Laurentiis et Fellini est le scénario, que le producteur trouve trop chaotique[2]. Par ailleurs, il veut faire disparaßtre le personnage de Steiner, en particulier à cause de l'assassinat de ses propres enfants, élément qu'il juge malsain. De Laurentiis transmet le scénario à Ivo Perilli, Gino Visentini et Luigi Chiarini, qui tous trois donnent un avis négatif[4].

Comme souvent dans les rĂ©alisations de Fellini, le scĂ©nario, provisoire, subit des mĂ©tamorphoses importantes au fil de l'Ɠuvre, et se remodĂšle autour des personnages et des situations. Deux scĂšnes, complĂštement absentes du scĂ©nario original, sont complĂštement « improvisĂ©es » : la fĂȘte des nobles au chĂąteau et le « miracle » des enfants, au milieu d'une foule de croyants, de forces de l'ordre et de militaires. Le critique de cinĂ©ma Tullio Kezich rapporte que Fellini s'oppose Ă  la publication du scĂ©nario, justement parce qu'il reste bien peu de choses du document original. Fellini affirme que le film ne trouve sa physionomie que sur l'Ă©cran, mais se laissera nĂ©anmoins convaincre par l'argument que le scĂ©nario est intĂ©ressant justement parce qu'il montre la base de dĂ©part du travail du rĂ©alisateur[2].

Le récit est agencé en grands blocs autonomes. Pour Jean Gili, La dolce vita est un film charniÚre, par l'abandon de la narration linéaire au profit d'une mosaïque, qui ne prend de sens que lorsqu'elle est envisagée dans son ensemble[12]. Fellini dit : « Il faut créer une sculpture à la Picasso, la casser en morceaux et la recomposer selon notre caprice[4]. »

ScĂšnes

Les diffĂ©rentes scĂšnes sont tirĂ©es de la rĂ©alitĂ©. Fellini dit : « Mes collaborateurs et moi-mĂȘme n’avons eu qu’à lire les journaux pour trouver des Ă©lĂ©ments de documentation passionnants »[26].

La scĂšne d'introduction, qui prĂ©sente une statue du Christ transportĂ©e en hĂ©licoptĂšre, reproduit un reportage de la Rai du , oĂč des statues avaient Ă©tĂ© transportĂ©es en hĂ©licoptĂšre Ă  Milan pour y ĂȘtre restaurĂ©es. D'aprĂšs l'historien Julien Neutres, le passage de la figure sacrĂ©e dans les nouveaux quartiers en construction de Rome fait allusion Ă  des scandales immobiliers qui avaient impliquĂ© la sociĂ©tĂ© immobiliĂšre du Vatican[16].

Au début du film, Marcello et Coriolano Paparazzo volent des images à des convives qui se rebiffent, comme le reporter romain Tazio Secchiaroli, qui se fit agresser le par l'ex-roi Farouk, alors qu'il le mitraillait de flashes[4].

Julien Neutres explique que la scÚne de la fontaine s'inspire d'un reportage photographique de Pierluigi Praturlon dans la Rome antique. Anita Ekberg s'était blessée au pied, et Pierluigi Praturlon l'avait fait poser, en robe blanche, le pied nu dans la fontaine de Trevi pour se soulager, puis entiÚrement avancée dans le bassin de la fontaine ; les photos en seront publiées dans Tempo illustrato en [16]. Tullio Kezich remarque que cette scÚne en rappelle une autre : en 1920, pendant leur lune de miel, Zelda Fitzgerald se jette dans la fontaine de l'Union Square à New York, et Scott, pour en faire autant, sautera dans celle de l'hÎtel Plaza[4].

L'épisode du faux miracle s'inspire d'un reportage de Tazio Secchiaroli de , sur l'apparition de la Madone à deux enfants dans une localité proche de Terni. Secchiaroli participe au tournage de la scÚne du faux miracle et dit que l'atmosphÚre de cet épisode est proche de celle qu'il a vécue lorsqu'il est arrivé dans cette petite localité d'Ombrie[2].

Le meurtre par Steiner de ses propres enfants, suivi par son propre suicide, est imaginé par le scénariste Tullio Pinelli. Celui-ci a été à l'école avec Cesare Pavese, et avait été touché par sa fin tragique[4].

L'Ă©pisode de la fĂȘte dans la villa au bord de la mer s'inspire sans doute de l'affaire Montesi. En 1953, le corps de Wilma Montesi, ĂągĂ©e de 21 ans, est dĂ©couvert sur la plage d'Ostie. On pense qu'elle a Ă©tĂ© tuĂ©e lors d'une orgie dans une propriĂ©tĂ© aristocratique proche. Une des personnes apparues dans l'enquĂȘte est Piero Piccioni, le fils du ministre des Affaires ÉtrangĂšres Attilio Piccioni. Pendant le procĂšs, qui dĂ©buta en 1957, des faits de drogue, de fĂȘtes et d'escapades sexuelles ont filtrĂ© dans la presse[1].

Une femme faisant un strip-tease devant un groupe de personnes amassés dans un restaurant
Le strip-tease d'Aïché Nana.

Le strip-tease de Nadia fait allusion à un strip-tease de l'actrice turque Aïché Nana au restaurant Rugantino du Trastevere en 1958, au milieu de la jet-set[alpha 6], scandaleux à l'époque et immortalisé par des photos de Tazio Secchiaroli[27] et d'autres reporters.

La scÚne du monstre marin évoque un fait divers : un horrible poisson d'une espÚce inconnue s'est échoué sur la plage Miramare de Rimini au printemps 1934. Federico Fellini en fait un dessin, publié par la Domenica della Corriere le [28].

Deux épisodes prévus dans le scénario ne figurent pas dans le film[2] :

  • Un de ces Ă©pisodes prĂ©sente une fĂȘte sur des hors-bords Ă  Ischia, qui se termine de façon tragique, une jeune fille Ă©tant brĂ»lĂ©e vive Ă  cause d'une fuite de gazole d'un des hors-bords. Cet Ă©pisode est mis de cĂŽtĂ© avant mĂȘme le dĂ©but du tournage du film, mĂȘme si l'idĂ©e plaisait beaucoup Ă  Fellini, car le producteur Rizzoli avait un faible pour l'Ăźle d'Ischia. Le rĂ©alisateur n'a pas voulu tourner un Ă©pisode trĂšs onĂ©reux, et la fin de la jeune fille brĂ»lĂ©e aurait attĂ©nuĂ© le tragique de la mort de Steiner.
  • L'autre Ă©pisode, restĂ© inĂ©dit, montre Marcello faisant lire son roman Ă  DolorĂšs, une Ă©crivaine. Cet Ă©pisode coupĂ© par Fellini fait doublon avec le personnage de Steiner. Les difficultĂ©s du contrat avec Luise Rainer, qui devait interprĂ©ter DolorĂšs, ont fini par convaincre Fellini de couper cette sĂ©quence.

Une fin alternative a aussi Ă©tĂ© tournĂ©e. Dans celle-ci, Ă  la sortie de la villa des fĂȘtards, Marcello ivre est laissĂ© seul par les autres participants. Si Fellini avait montĂ© cette fin, il aurait dĂ» supprimer la rencontre entre Marcello et Paola, qui n'aurait plus eu de sens[2].

Personnages

Tous les épisodes figurant dans le film ont été inspirés au cinéaste par des faits et des gens réels[27].

Marcello

Pour Serge July, Marcello est un journaliste « people » en crise existentielle. Il erre de fĂȘte en fĂȘte, de femme en femme. Entre ses frasques et ses articles futiles, il rĂȘve de littĂ©rature et d'art. Selon Tullio Kezich, « il aime et dĂ©teste Ă  la fois le milieu dans lequel il vit, il est juste assez dĂ©racinĂ© pour manquer se perdre Ă  chaque instant, et juste assez sensible pour avoir de brusques sursauts »[4] ».

Les critiques voient gĂ©nĂ©ralement en Marcello un « double » de Federico Fellini. Selon Àngel Quintana, « L'identification n'est pas totale, mais, malgrĂ© le dĂ©calage, il est Ă©vident qu'il y a quelque chose de lui dans ce Moraldo dĂ©barquĂ© Ă  Rome Ă  la fin des annĂ©es trente, poussĂ© par le dĂ©sir de dĂ©couvrir les plaisirs occultes de la capitale[8] ».

Alessandro Ruspoli, dit « Dado », roi de la « dolce vita » romaine, a par ailleurs été une source d'inspiration pour Federico Fellini[29].

Enfin, selon Fellini, le personnage de Marcello s'inspire aussi d'un journaliste, Gualtiero Jacopetti, lequel, venu de la presse à scandales, réalisera ensuite des documentaires-choc, les fameux mondos[3].

Paparazzo

Une femme essayant de séparer deux hommes, dont un photographe, qui se disputent
Mickey Hargitay frappe le paparazzi Rino Barillari sur la via Veneto en 1963.

Le mot paparazzi (désignant les photographes de presse qui ont pour domaine de prédilection la vie privée des célébrités) trouve son origine dans le film La dolce vita. En effet, le héros Marcello est souvent accompagné d'un jeune photographe du nom de Coriolano Paparazzo (joué par Walter Santesso). C'est de ce nom que dérivera par la suite le mot paparazzi, pluriel de paparazzo en italien[30]. Le personnage du jeune photographe avait entre autres été inspiré de Tazio Secchiaroli (1925-1998), un des plus grands photographes italiens du XXe siÚcle[31] - [2].

Il existe diverses théories sur l'origine exacte du nom Paparazzo. Selon la premiÚre, véhiculée par Robert Hendrickson dans son livre Word and Phrase (Mot et Phrase en français), le réalisateur Federico Fellini se serait inspiré d'un mot provenant d'un dialecte italien, et signifiant un bruit désagréable comme le vol d'un moustique. Cette étymologie a été proposée en interprétation à une phrase dite par Fellini lors d'une interview avec le magazine Time : « Paparazzo ... suggests to me a buzzing insect, hovering, darting, stinging » (c'est-à-dire Paparazzo me fait penser à un insecte bourdonnant, survolant, dardant, piquant)[30].

Selon une seconde explication, qui n'est pas incompatible, et qui a Ă©tĂ© soutenue par la femme de Federico Fellini, Giulietta Masina, dans une entrevue donnĂ©e Ă  l'hebdomadaire Oggi aprĂšs la sortie du film, c'est elle-mĂȘme qui lui aurait suggĂ©rĂ© ce nom, composĂ© Ă  partir de « pappataci » (« petits moustiques ») et « ragazzi » (« jeunes hommes »)[31].

La derniÚre théorie existante, et également une des plus diffusées, est due à Ennio Flaiano, l'un des scénaristes du film. Créateur du personnage de Paparazzo, il explique qu'il en a trouvé le nom dans un livre de voyages écrit en 1901 par le romancier britannique George Gissing (1857-1903) : By the Ionian Sea. Dans cet ouvrage, narrant le voyage de l'auteur en Italie du Sud sur la cÎte de la mer Ionienne, et traduit en italien par Margherita Guidacci sous le titre de Sulla riva dello Jonio, apparait un certain Coriolano Paparazzo qui est le propriétaire de l'auberge de la ville de Catanzaro dans laquelle George Gissing séjourne[32]. Cette version est aujourd'hui soutenue par de nombreux professeurs et étudiants en littérature, à la suite de la parution en 2000 de A Sweet and Glorious Land: Revisiting the Ionian Sea, écrit par John Keahey et Pierre Coustillas[1] - [33]. Coriolano Paparazzo est né à Catanzaro le de Fabio Paparazzo et Costanza Rocca sous le nom de Coriolano Stefano Achille Paparazzo. Il décÚde le , à peine deux ans aprÚs avoir rencontré Gissing[34].

Sylvia

Sylvia est le prototype de la star dont la presse Ă  scandales relate les moindres faits et gestes.

Lorsque, pendant la confĂ©rence de presse, on lui demande dans quelle tenue elle dort, c'est une allusion directe Ă  Marilyn Monroe qui, Ă  la mĂȘme question, avait rĂ©pondu « juste quelques gouttes de No 5 »[35], ce qui signifiait en fait qu'elle dormait nue.

Les disputes entre Sylvia et Robert, son compagnon, sont une allusion aux disputes entre Anita Ekberg elle-mĂȘme et son mari Anthony Steel, dĂ©voilĂ©es par la presse. L'actrice avait demandĂ© que le personnage s'appelle Sylvia et non Anita, justement pour que le film n'apparaisse pas comme une satire de sa vie privĂ©e[4].

Lorsqu'elle est habillée en cardinal, c'est une allusion à Ava Gardner[27].

Le pĂšre de Marcello

Le pÚre de Federico Fellini, Urbano, meurt en 1956. Fellini, qui s'est éloigné de son pÚre à cause de sa récente gloire internationale, va consacrer un épisode teinté de culpabilité à la figure du pÚre[3].

Fellini avait écrit en 1957 avec Tullio Pinelli un projet de film, Voyage avec Anita, dérivé de son expérience personnelle : son pÚre s'étant un jour trouvé mal, il s'était rendu à son chevet en urgence ; le médecin l'ayant rassuré, il est alors parti manger, et c'est au restaurant qu'on lui apprit la mort de son pÚre[36].

Voyage avec Anita aurait dû raconter le parcours de Guido (rÎle prévu pour Gregory Peck), et de son amante Anita (jouée par Sophia Loren) vers le chevet de mort du pÚre de Guido. Finalement, ce film sera réalisé par Mario Monicelli, avec Giancarlo Giannini dans le rÎle de Guido, et Goldie Hawn dans celui d'Anita ; il sortit en 1979.

Choix des interprĂštes

Afin de garantir par sa seule présence le succÚs sur le marché international, Dino De Laurentiis veut dans le premier rÎle un acteur célÚbre américain ou français, comme Paul Newman ou Gérard Philipe. Au contraire, Fellini porte son choix sur un acteur italien[2], Marcello Mastroianni, encore inconnu dans le monde du cinéma, et fait remplacer « Moraldo » par « Marcello » comme nom du personnage principal[20]. La rupture entre De Laurentiis et Fellini a porté essentiellement sur ce choix de Marcello Mastroianni, que De Laurentiis ne considérait pas comme adapté pour le rÎle[2].

Les divers changements de calendrier provoquent le désistement de divers acteurs retenus, en particulier des Américains, sur lesquels Fellini comptait beaucoup. Parmi ceux-ci figure Maurice Chevalier, qui devait incarner le pÚre de Marcello Rubini, joué finalement par Annibale Ninchi, que Mastroianni considÚra plus crédible dans le rÎle de son pÚre dans le film[2], et qui ressemblait à Urbano Fellini, le pÚre du réalisateur[4].

Le personnage de Steiner est confié à Alain Cuny, retenu parmi une cinquantaine d'acteurs potentiels. Fellini se rend d'abord à Milan pour proposer le rÎle à l'écrivain Elio Vittorini, mais celui-ci refuse[4]. Henry Fonda, pressenti, abandonne, mettant en difficulté Fellini, qui le considÚre comme le mieux taillé pour ce rÎle. Le réalisateur pense également à Peter Ustinov. Le choix final se fait finalement entre Alain Cuny et Enrico Maria Salerno. C'est Pier Paolo Pasolini, invité à une projection privée, qui arbitre en faveur d'Alain Cuny, le comparant à une « cathédrale gothique »[4].

La distribution devait également faire appel à Luise Rainer dans le rÎle de l'écrivaine DolorÚs, mais l'épisode a été coupé à la fois pour des raisons de scénario, et à cause des rapports difficiles entre Fellini et l'actrice. Luise Rainer n'était pas d'accord avec le cadre de vie du personnage proposé par Fellini, et le désaccord a empiré lorsque surgirent des difficultés liées au contrat de l'actrice[2].

De nombreux essais sont également faits pour le rÎle d'Emma, la compagne délaissée de Marcello. La napolitaine Angela Luce est pressentie, car, selon Tullio Kezich, le réalisateur veut donner « un poids vulgaire et charnel explicite », mais le choix de Fellini se porte finalement sur l'actrice française Yvonne Furneaux, contre l'avis de nombreux collaborateurs[2].

Fellini ne réussit pas à engager Silvana Mangano ni Edwige FeuillÚre dans le rÎle de Maddalena, la bourgeoise perverse, ni Greer Garson dans le rÎle de Nadia, qui fait le strip-tease[37].

La chanteuse et modÚle Nico (Christa PÀffgen)[13] et un tout jeune Adriano Celentano font une de leurs premiÚres apparitions au cinéma dans ce film, ainsi que l'actrice et chanteuse Liana Orfei, qui ne sera toutefois pas créditée au générique.

DĂ©cors

La majeure partie des scÚnes est tournée en studio[13]. Environ 80 décors sont mis en place[2]. Dans certains cas, la reproduction des lieux a une précision quasiment photographique, comme dans le cas de la via Veneto, reconstruite dans le théùtre 5 de Cinecittà[38], ou l'intérieur de la coupole de la basilique Saint-Pierre.

Via Veneto

La via Veneto reproduite sur le plateau 5 des studios CinecittĂ .

La via Veneto, une des plus cĂ©lĂšbres artĂšres de Rome, s'est affirmĂ©e dĂšs l'entre-deux-guerres comme le cƓur mondain et intellectuel de Rome[4]. Elle devient, devant la camĂ©ra de Fellini, un personnage Ă  part entiĂšre de La dolce vita servant de liant aux diffĂ©rents tableaux. C'est lĂ  que les personnages se croisent et que les soirĂ©es dĂ©butent.

Plaque commémorative en marbre, on lit A FEDERICO FELLINI CHE FECE DI VIA VENETO IL TEATRO DELLA DOLVE VITA SPQR 20 GENNAIO 1995
Plaque-hommage via Veneto : « À Federico Fellini qui fit de la via Veneto le thĂ©Ăątre de La dolce vita ».

« Je sais naturellement que, depuis La dolce vita, on lie obstinĂ©ment mon nom Ă  la via Veneto, Ă  la vie plus ou moins mondaine qui s'y dĂ©roule la nuit. [
] J'ai inventĂ© dans mon film une via Veneto qui n'existe pas du tout, je l'ai Ă©largie et modifiĂ©e, avec une libertĂ© poĂ©tique jusqu'Ă  ce qu'elle prenne la dimension d'une fresque allĂ©gorique. Il est un fait que la via Veneto s'est transformĂ©e aprĂšs La dolce vita, qu'elle a accompli des efforts considĂ©rables pour devenir telle que je l'ai reprĂ©sentĂ©e dans mon film[39]. »

Fellini voulait tourner sur les lieux réels, mais les contraintes imposées par la police, et les difficultés créées par les passants, l'ont obligé à la reconstruire en studio : « L'architecte Piero Gherardi commença à tout mesurer et me construisit un bon morceau de via Veneto dans le studio 5 de Cinecittà. La rue construite correspondait dans les moindres détails, à une exception prÚs : elle n'était pas en pente[12]. »

Appartements de la prostituée et d'Emma

L'extérieur de l'appartement de la prostituée est tourné à Tor de' Schiavi dans le quartier Centocelle, tandis que l'intérieur, inondé, est filmé dans la piscine de Cinecittà[2].

L'appartement d'Emma, la compagne de Marcello, est créé dans un souterrain des bùtiments prévus pour l'EUR de 1942 (Exposition universelle de Rome), qui n'a pas eu lieu à cause de la guerre[2].

Épisodes avec Sylvia

Marcello accueille la star à l'aéroport de Ciampino, qui est à l'époque le plus important aéroport de Rome. Il l'accompagne ensuite dans une ascension au pas de course dans la coupole de la basilique Saint-Pierre, reconstruite en studio.

Sylvia danse dans un night-club Ă  ciel ouvert construit aux thermes de Caracalla[40].

La scĂšne oĂč les personnages incarnĂ©s par Anita Ekberg et Marcello Mastroianni se retrouvent un soir dans le bassin de la fontaine de Trevi avec de l'eau jusqu'Ă  mi-cuisses est devenue une scĂšne culte du cinĂ©ma[41].

Rencontres avec Steiner

Colonnade d'un des bĂątiments du quartier de l'Exposition universelle.

L'appartement de Steiner se trouve dans le quartier de l'Exposition universelle, comme en tĂ©moigne une vue d'ensemble depuis son sĂ©jour, oĂč l'on voit le « champignon » caractĂ©ristique (un chĂąteau d'eau doublĂ© d'un restaurant panoramique).

Pour des raisons pratiques, les extérieurs sont tournés sur la place, devant la basilique San Giovanni Bosco, proche des studios de Cinecittà. Les bùtiments, à peine terminés à l'époque des prises de vue, sont conçus dans le style du rationalisme, comme également le quartier de l'Exposition universelle.

L'Ă©glise oĂč Marcello et Steiner discutent avant que ce dernier n'interprĂšte Ă  l'orgue la cĂ©lĂšbre Toccata et fugue en rĂ© mineur de Jean-SĂ©bastien Bach est l'Ă©glise Nostra Signora del Santissimo Sacramento e dei Santi Martiri Canadesi[42].

Maison de Maddalena, faux miracle, cabaret

Le cabaret oĂč Marcello emmĂšne son pĂšre est installĂ© aux thermes d'Acque Albule des bains de Tivoli. La piscine privĂ©e de Maddalena correspond en fait Ă  l'extĂ©rieur de ces thermes. Le terrain plat oĂč la scĂšne de la foule du faux miracle est tournĂ©e se trouve Ă  deux pas de ces thermes[4].

ChĂąteau des nobles

La sĂ©quence de la fĂȘte dans la famille noble a Ă©tĂ© tournĂ©e au palais Giustiniani Odescalchi de Bassano Romano, qui s'appelait Ă  l'Ă©poque Bassano di Sutri, dans la province de Viterbe.

AprĂšs la fĂȘte, les invitĂ©s explorent une maison abandonnĂ©e proche du palais : il s'agit de La Rocca, un ancien pavillon de chasse[43].

Plage et villa voisine

La plage de la scĂšne du restaurant avec Paola, puis de la scĂšne finale, oĂč des pĂȘcheurs ramĂšnent un monstre marin dans leurs filets, et oĂč Marcello dit au revoir Ă  Paola, est en fait Passoscuro[44], prĂšs de Fregene, une petite station Ă  30 kilomĂštres au nord de Rome. Des pins ont Ă©tĂ© plantĂ©s sur la plage spĂ©cialement pour les prises de vues[2].

AprĂšs avoir visitĂ© une vingtaine de maisons Ă  Fregene pour y tourner la fĂȘte finale, Fellini dĂ©cide de faire construire ce dĂ©cor Ă  partir de rien par Piero Gherardi. Celui-ci s'inspire d'une maison populaire qu'il a vue auparavant Ă  Bagni di Tivoli[2]. L'extĂ©rieur de la scĂšne de la fĂȘte est tournĂ© dans la pinĂšde de Fregene.

Costumes

Robe noire décolletée et large étole blanche en fourrure exposées sur un mannequin en plastique
La robe d'Anita Ekberg, exposée à Cinecittà.

Piero Gherardi donne un aspect unique au film non seulement par ses décors, mais aussi par ses costumes. Ce sont ces derniers qui lui valent un Oscar en 1962.

Marcello Mastroianni exprime sa masculinitĂ© nonchalante dĂšs la premiĂšre scĂšne ; on le reconnaĂźt immĂ©diatement comme un « latin lover ». Il porte des costumes Ă©troits, des smokings ajustĂ©s, des cravates fines ou des nƓuds papillon. Il revĂȘt des lunettes de soleil de nuit comme de jour. Dans la scĂšne finale, il apparaĂźt dans un costume blanc avec une chemise noire, comme si cette tenue aux couleurs inversĂ©es rĂ©vĂ©lait sa fragilitĂ©[45].

Anouk AimĂ©e, dans le rĂŽle de Maddalena, est aussi Ă©lĂ©gante que dĂ©pravĂ©e. Elle porte de petites robes noires. Elle aussi se cache derriĂšre des lunettes noires mĂȘme la nuit, qui inspirent plus tard Tom Ford lorsqu'il crĂ©e ses lunettes de soleil retro et les nomme « Anouk »[45].

La robe d'Anita Ekberg dans la scĂšne de la fontaine dĂ©fie la gravitĂ©[45]. Elle la porte avec une Ă©tole de vison blanche. Quant Ă  la robe qui imite la tenue d'un prĂȘtre, elle avait Ă©tĂ© crĂ©Ă©e par les sƓurs Fontana pour Ava Gardner[46] en 1956.

Musique

On a dit et répété que le cinéma de Fellini est inséparable de la musique de Nino Rota, et de fait, les deux hommes sont plus qu'amis, presque frÚres. Pour donner une ambiance, et faire ressentir le contexte, la musique est jouée en playback sur le décor. Dans le cas de La dolce vita, dans l'esprit de Fellini, tous les morceaux joués sur le plateau sont destinés à finir dans la bande son du film[47]. Le thÚme principal du film alterne différents motifs musicaux. Nino Rota y cite Les Pins de Rome d'Ottorino Respighi[48].

Alain Cuny joue à l'orgue la Toccata et fugue en ré mineur de Bach.

Au night club avec le pÚre de Marcello, Polidor nous offre une de ces scÚnes poétiques de clown dont Fellini était friand. Il joue à la trompette une valse lente de Nino Rota, Parlami di me, restée célÚbre (au début, Fellini avait prévu Charmaine, dont la version par Mantovani était célÚbre en Italie).

Adriano Celentano chante aux thermes de Caracalla Ready Teddy, rock rendu cĂ©lĂšbre en 1956 par Little Richard. Autre air extrĂȘmement connu Ă  l'Ă©poque, Patricia du « roi du mambo » PĂ©rez Prado s'entend Ă  deux reprises : dans le restaurant au bord de la plage et lors de la scĂšne du strip-tease.

Fellini renonce à utiliser Mackie Messer de Kurt Weil, pressenti pour figurer dans la bande originale du film[47], les droits étant trop élevés.

Tournage

Deux hommes dont un serre la main d'une femme - on reconnaĂźt Ă  droite Federico Fellini et Anita Ekberg
Ennio Flaiano, Federico Fellini et Anita Ekberg lors d'une pause pendant le tournage du film.

Clemente Fracassi est directeur de production. Tullio Kezich rapporte qu'il a du mal à suivre les constants changements imposés par Fellini[4].

Otello Martelli est à la photographie. Le film est tourné en Totalscope, une variante italienne du CinemaScope, avec un ratio de 1,25 pour 1, en noir et blanc.

Les prises de vue dĂ©butent Ă  CinecittĂ  le Ă  11 h 35 avec l'aide rĂ©alisateur Gianfranco Mingozzi Ă  la rĂ©gie. La scĂšne est celle oĂč Anita Ekberg monte les marches Ă©troites Ă  l'intĂ©rieur de la coupole de Saint-Pierre, reconstruite sur le plateau 14 de CinecittĂ [2].

Les acteurs jouent chacun dans leur langue maternelle[2].

La scĂšne cĂ©lĂšbre de la fontaine de Trevi est tournĂ©e un soir de mars[4] - [49] - [alpha 7]. Anita Ekberg n'a pas de problĂšme Ă  rester dans l'eau pendant des heures ; en revanche, Marcello Mastroianni, en accord avec Fellini, avant de tourner pour supporter le froid, enfile une combinaison de plongĂ©e sous les vĂȘtements et boit une bouteille de vodka [13]. Le tournage de cette scĂšne dure une dizaine de jours et est suivi Ă  la fois par les badauds et la presse, ce qui fait dire Ă  Julien Neutres que Fellini invente le « teasing » en crĂ©ant un vĂ©ritable Ă©vĂšnement autour de son film[16].

Un autre moment délicat pour la santé des acteurs est celui du tournage de la scÚne du faux miracle : des centaines de figurants sont copieusement arrosés à la lance à incendie afin de simuler une pluie battante[4].

Les prises de vues se terminent en . En six mois, ce sont 92 000 mĂštres de pellicule qui sont filmĂ©s.

Post-production

Leo Catozzo commence le montage Ă  la mi-septembre, avec l'aide d'Angelo Rizzoli. Ce monteur expĂ©rimentĂ© a dĂ©jĂ  montĂ© La strada et Les Nuits de Cabiria pour Fellini[alpha 8]. En mĂȘme temps, les voix de tous les comĂ©diens sont doublĂ©es et Nino Rota compose la musique originale[4]. Giuseppe Amato essaye d'interfĂ©rer pour couper les scĂšnes les plus sujettes Ă  controverse par peur des consĂ©quences[50].

AprĂšs le montage, il ne reste que 5 000 mĂštres de pellicule, soit quatre heures de film, rĂ©duites Ă  trois avec des coupes[21] - [alpha 3]. Par cette durĂ©e exceptionnelle, le film s'apparente aux entreprises les plus dĂ©mesurĂ©es du cinĂ©ma et constitue un grand tableau descriptif, lĂ  oĂč Fellini n'avait voulu composer qu'une sĂ©rie d'anecdotes[4].

Accueil

Le scandale

Lors de la premiĂšre projection du film au Capitol de Milan le , le public trouve le film trop long, peu amusant, et surtout immoral. Lors de l'« orgie » finale, les gens quittent la salle en protestant Ă  haute voix[4]. À la fin, le film est sifflĂ© malgrĂ© quelques applaudissements. Quand il descend les marches du balcon, Fellini reçoit un crachat. Marcello Mastroianni est insultĂ© : « lĂąche, clochard, communiste ! ». Le lendemain, la foule s'amasse devant le cinĂ©ma et en brise les portes de verre pour voir le film avant qu'il ne soit interdit par la censure. Le phĂ©nomĂšne s'Ă©tend aux autres villes et le film fait des records d'entrĂ©e Ă  Rome et Ă  Milan[4] - [51].

Des critiques trĂšs dures fusent de tous les bords politiques. Dans Il Secolo d'Italia, les fascistes titrent « Sifflets mĂ©ritĂ©s Ă  Milan ! Honte ! »[4]. Le , le parlement italien juge utile de se rĂ©unir pour discuter de la valeur morale de l'Ɠuvre. Le Centre catholique du cinĂ©ma interdit Ă  tout catholique d'aller le voir, l'Action catholique romaine et L'Osservatore Romano demandent Ă  ce qu'il soit renvoyĂ© devant la censure. Ce journal officiel du Vatican publie une sĂ©rie d'articles non signĂ©s sous le titre La sconcia vita (« La vie rĂ©pugnante ») ; cette tribune est plus tard attribuĂ©e au futur prĂ©sident de la RĂ©publique italienne, Oscar Luigi Scalfaro, qui ne dĂ©ment pas[alpha 9]. Des pĂšres jĂ©suites de San Fedele qui n'ont pas montrĂ© d'hostilitĂ© pour le film sont rĂ©primandĂ©s, interdits d'antenne, de parler de cinĂ©ma ou mutĂ©s. Le film est dĂ©fendu par le parti socialiste et le parti communiste. Pendant les mois qui suivent, le dĂ©bat envahit la presse[4] - [52].

Alors que les catholiques voient dans La dolce vita un film dĂ©cadent, certains intellectuels de gauche y ont vu une manifestation profonde du catholicisme italien et de sa morale. Aussi bien Pier Paolo Pasolini, dans sa critique du film publiĂ©e dans Filmcritica, qu'Italo Calvino dans Cinema Nuovo Ă©crivent que La dolce vita est un film idĂ©ologique catholique. Pasolini dit que La dolce vita est « le plus Ă©levĂ© et le plus absolu modĂšle du catholicisme » des derniĂšres annĂ©es. Calvino juge que l'Ă©pisode du suicide de Steiner « montre Ă  quels rĂ©sultats de non-vĂ©ritĂ© peut amener une construction Ă  froid de film Ă  ossature idĂ©ologique »[53]. Pasolini loue en mĂȘme temps un contenu culturel de grande importance :

« C'est une Ɠuvre qui compte dans notre culture, qui marque une date, et en tant que telle elle est fondamentale[54]. »

Accueil critique en France

La critique française est plus modérée :

« Le tĂ©moignage est lĂ , sur un monde pourri. Fellini, en pleine possession de son gĂ©nie, nous flanque par la vue cette Ɠuvre qui est considĂ©rable. La ComĂ©die humaine aussi a ses longueurs, cela n’empĂȘche nullement Balzac d’ĂȘtre un gĂ©nie. Fellini est un de nos monstres sacrĂ©s, sans doute le plus grand, le plus important du cinĂ©ma. La dolce vita est un monument. On peut n’en pas aimer toutes les perspectives, on peut chicaner des dĂ©tails, on ne peut en nier la force, ni l’utilitĂ©. »

— Michel Duran, Le Canard enchaĂźnĂ©, 18 mai 1960

« Une somme : la galerie de portraits, comme la suite de sĂ©quences, apparemment sans rapport, font plus d’une fois songer Ă  Balzac (
). Mais beaucoup plus qu’une peinture de la sociĂ©tĂ© son film est une quĂȘte au sens philosophique du terme, un constant interrogatoire. »

— Henry Chapier, Combat, 12 mai 1960

« Les hĂ©ros ne sont plus les ĂȘtres plats et simplets du fait divers brutal, ils fascinent et repoussent, irritent et Ă©meuvent Ă  travers le regard que Fellini jette sur eux. C’est le regard de l’archange punisseur : plein de colĂšre mais plein de piĂ©tĂ©. La dolce vita, c’est le sermon que ferait Ă  ses pĂȘcheurs un prĂ©dicateur qui aurait prĂ©fĂ©rĂ© la camĂ©ra Ă  l’éloquence. »

— France Roche, France-Soir, 12 mai 1960

« Ce qui manque Ă  La dolce vita c’est la structure d’un chef-d’Ɠuvre. Le film n’est pas construit, il n’est qu’une addition sĂ©duisante de plus ou moins grands moments de cinĂ©ma (
). Au vent de la critique, La dolce vita se dĂ©mantĂšle, s’éparpille, il ne reste qu’une suite d’actualitĂ©s plus ou moins extraordinaires qu’aucun Ă©lĂ©ment fort ne lie et ne conduit Ă  une signification gĂ©nĂ©rale
 ce qui est pourtant le but avouĂ© du film. »

— Jacques Doniol-Valcroze, France Observateur, 19 mai 1960

« Pour moi, cette "Douceur de vivre" Ă©voque d’abord L'Âge d'or. J’ai Ă©tĂ© bien heureux que le Festival m’ait valu la prĂ©sence de Luis Buñuel et que cet ami trĂšs cher m’ait permis de vĂ©rifier mon propre jugement. Il est allĂ© pendant deux jours rĂ©pĂ©tant ses louanges et s’étonnant de ne pas trouver Ă  La dolce vita plus d’admirateurs. Buñuel disait en substance qu’on suscite mieux la puretĂ© en montrant les monstres (qui vous dĂ©goĂ»tent) que la puretĂ© (qui peut Ă©cƓurer). »

— Georges Sadoul, Les Lettres françaises, 14 mai 1960

SuccĂšs commercial

AprĂšs quinze jours de projection, les recettes du film couvrent dĂ©jĂ  les frais du producteur. Celles-ci atteignent le milliard de lires aprĂšs trois ou quatre semaines de programmation, dĂ©passant le milliard et demi aprĂšs deux mois[21]. À la fin de la saison cinĂ©matographique 1959-1960, ce sont les meilleures rentrĂ©es de l'annĂ©e en Italie[55], avec 13 617 148 entrĂ©es totalisant 2 220 716 000 lires[56].

Les recettes totales en AmĂ©rique du Nord s'Ă©lĂšvent Ă  19 millions de dollars[57]. Non seulement le film obtient la Palme d'or au festival de Cannes, mais il fait aussi une belle carriĂšre commerciale en France, avec 2 956 094 entrĂ©es[12]. Le film enregistre Ă©galement environ 5 millions d'entrĂ©es en Allemagne de l'Ouest[58].

RĂ©compenses

Nominations

Analyse

La dolce vita a fait couler beaucoup d'encre et suscité de trÚs nombreuses analyses, parfois morales, esthétiques, sociologiques, psychologiques et philosophiques.

Pour J. M. G. Le Clézio en 1971, La dolce vita est avant tout la peinture de la « décadence » de la société occidentale : « Corrompue, débauchée, ivre, grimaçante, la société que nous fait voir Fellini est en complÚte décadence. Mais elle ne l'est pas inconsciemment : Fellini est le plus impitoyable témoin du pourrissement du monde occidental. »[60].

Pour Peter Bondanella, Fellini ne s'arrĂȘte pas Ă  la dĂ©nonciation de la dĂ©cadence et de la corruption, il est plus intĂ©ressĂ© par le potentiel de renaissance que cette situation apporte Ă  l'artiste. CĂ©dant la parole Ă  Fellini : « Je trouve que la dĂ©cadence est indispensable Ă  la renaissance... Je suis donc heureux de vivre Ă  une Ă©poque oĂč tout chavire. C'est une Ă©poque merveilleuse, prĂ©cisĂ©ment parce que de nombreux idĂ©ologies, concepts et conventions sont renversĂ©s... Je ne le vois pas comme un signe de la mort de la civilisation, mais au contraire comme un signe de vie. »[1].

Pour Tullio Kezich, il n'y a pas de jugement moral ni de dĂ©nonciation politique dans La dolce vita. Les personnages ne sont ni bons ni mauvais, ainsi derriĂšre l'horrible faux miracle il y a une authentique tension spirituelle, derriĂšre l'aspect de statues de cire des nobles il y a une aura de dignitĂ©. La dolce vita est ambigĂŒe parce qu'il y a la conscience que tout jugement humain est fortuit ou rĂ©versible[4]. Pour Jean Gili aussi, « le cinĂ©aste ne joue pas les moralistes, il s'aventure dans des territoires inconnus, lĂ  oĂč les monstres sont assoupis »[12]. Fellini lui-mĂȘme se voit plus comme un « complice » de ses personnages que comme un « juge »[16].

Pour Tony McKibbin, le film parle de la confrontation de la perte des valeurs au besoin de l'amour. L'amour est ici Ă  la fois l'amour charnel, le sentiment amoureux, l'amour filial, l'amour pour ses enfants. La « douce vie » serait en fait une « douce nausĂ©e ». Fellini dit, faisant allusion Ă  un prĂȘtre qui a vu le film : « Il y a un prĂȘtre qui a trouvĂ© une assez bonne dĂ©finition de La dolce vita. Il a dit : C'est quand le silence de Dieu tombe sur les gens[61]. »

Notes et références

(it)/(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu des articles intitulés en italien « La dolce vita » (voir la liste des auteurs) et en anglais « La dolce vita » (voir la liste des auteurs).

Notes

  1. Ce nom de personnage choisi par Fellini est ensuite passĂ© dans le langage courant pour dĂ©signer, dans de nombreuses langues, les journalistes et photographes avides d’informations privĂ©es sur des personnalitĂ©s publiques : en français, on l’emploie souvent avec son pluriel italien, paparazzi.
  2. Sans doute une raie.
  3. 174 minutes en Italie, 177 en Allemagne, 165 au Portugal et 180 aux États-Unis.
  4. La dolce vita a failli s'appeler Babylone 2000.
  5. Les communistes — qui voient par exemple dans La strada une histoire de rĂ©demption chrĂ©tienne — verront dans La dolce vita une critique de la « dĂ©cadence bourgeoise ».
  6. C'Ă©tait au cours d’une fĂȘte privĂ©e organisĂ©e par le milliardaire amĂ©ricain Peter Howard Vanderbild pour l’anniversaire de sa fiancĂ©e la comtesse Olga de Robilant. Anita Ekberg Ă©tait prĂ©sente.
  7. Anita Ekberg affirme dans une entrevue publiée dans les suppléments de la version en DVD que la scÚne est tournée en janvier, mais c'est erroné.
  8. Ils s'étaient rencontrés sur le plateau du Diamant mystérieux en 1943.
  9. Fellini se souvient de ce geste dans son sketch de Boccace 70, lorsque le personnage incarné par Peppino De Filippo reproduit un épisode de la vie d'Oscar Luigi Scalfaro rendu célÚbre par les journaux : celui-ci, en 1950, a réprimandé une dame décolletée avec trop d'audace.

Références

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  2. (it) Tullio Kezich, La dolce vita di Federico Fellini, Cappelli, .
  3. Serge July, La dolce vita et son époque, livret d'accompagnement de l'édition 2 DVD chez Pathé cinéma de 2011.
  4. Tullio Kezich (trad. de l'italien), Federico Fellini, sa vie et ses films, Paris, Gallimard, , 412 p. (ISBN 978-2-07-077493-7), p. 200 Ă  213.
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  6. (it) « La dolce vita », sur cinematografo.it (consulté le ).
  7. (en) « Production », sur IMDB.
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  9. Laurence Schifano, Le cinéma italien de 1945 à nos jours : crise et création, Paris, Armand Colin, , 3e éd., 126 p. (ISBN 978-2-200-27262-3), p. 11-13.
  10. (it) « Articolo 7 », sur Sénat italien.
  11. (it) « Articolo 21 », sur Sénat italien.
  12. Jean A. Gili, Fellini, le magicien du réel, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes », , 127 p. (ISBN 978-2-07-039624-5), p. 29-37.
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Voir aussi

Bibliographie

  • (it) Tullio Kezich, La dolce vita di Federico Fellini, Cappelli,
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  • (it) Pier Marco De Santi, La dolce vita : scandalo a Roma, Palma d'oro a Cannes, ETS, , 177 p. (ISBN 88-467-0942-X)
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  • (en) Alessia Ricciardi, « The spleen of Rome: mourning modernism in Fellini's La Dolce Vita », Modernism/Modernity, vol. 7, no 2,‎
  • Julien Neutres, « Le cinĂ©ma fait-il l'histoire ? Le cas de La Dolce vita », VingtiĂšme SiĂšcle. Revue d'histoire, no 83,‎ (lire en ligne)
  • (en) Tullio Kezich, « Federico Fellini and the Making of La Dolce Vita », Cineaste, vol. 31, no 1,‎ (ISSN 0009-7004)

Filmographie

Articles connexes

Liens externes


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