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CĂ­cero Dantas Martins

CĂ­cero Dantas Martins, connu aussi sous son titre nobiliaire de baron de Jeremoabo, ou simplement comme Jeremoabo (SĂŁo JoĂŁo Batista de Jeremoabo, 1838 — CĂ­cero Dantas, anciennement Bom Conselho, 1903), Ă©tait un grand propriĂ©taire terrien et homme politique brĂ©silien.

CĂ­cero Dantas Martins
Illustration.
CĂ­cero Dantas Martins, baron de Jeremoabo
Fonctions
Député général pour la province de la Bahia
De 1869 Ă  1872 ; de 1872 Ă  1875 ; en 1877 ; et de 1886 Ă  1889 (4 lĂ©gislatures) –
Groupe politique Conservateurs
DĂ©putĂ© Ă  l’assemblĂ©e provinciale de la Bahia
–
SĂ©nateur de l’État de la Bahia
–
PrĂ©sident du sĂ©nat de l’État de la Bahia
–
Biographie
Date de naissance
Lieu de naissance Jeremoabo (province de la Bahia, Brésil)
Date de décÚs
Lieu de dĂ©cĂšs Bom Conselho (État de la Bahia, BrĂ©sil)
Nature du décÚs Mort naturelle
SĂ©pulture Igreja Matriz (Ă©glise mĂšre) de Bom Conselho
Nationalité Drapeau du Brésil Brésilienne
Parti politique Parti conservateur ou saquarema (sous l’Empire) ; Parti RĂ©publicain FĂ©dĂ©raliste (jusqu’en 1894) ; Parti RĂ©publicain Constitutionnel (jusqu’à sa mort)
PĂšre JoĂŁo Dantas JĂșnior
MĂšre Mariana Francisca da Silveira
Fratrie Cadet d’une fratrie de 6 enfants
Conjoint Mariana da Costa Pinto
Enfants Deux fils
Entourage Aristocratie fonciĂšre de l’arriĂšre-pays bahianais ; fut l’ami intime de JosĂ© Gonçalves da Silva, gouverneur de l’État de la Bahia
DiplĂŽmĂ© de École de droit de Recife (Pernambouc)
Profession Fazendeiro
Religion Catholique
RĂ©sidence Bom Conselho (principale), Itapicuru, Jeremoabo.

HĂ©ritier des vastes Ă©tendues de terres acquises progressivement par la famille Dantas, il fut l’un des plus grands propriĂ©taires terriens, sinon le plus grand, de tout le Nordeste brĂ©silien, et en tant que tel, un reprĂ©sentant typique du coronĂ©lisme, c’est-Ă -dire un potentat local combinant en sa personne, par une confusion permanente entre sphĂšre publique et sphĂšre privĂ©e, le pouvoir Ă©conomique privĂ©, appuyĂ© sur la grande propriĂ©tĂ© terrienne et l’esclavagisme, et divers postes et positions d’influence dans le domaine public, que ce soit dans la politique et l’administration municipales, la magistrature, la police (Ă  travers la nomination des commissaires), les milices supplĂ©tives locales ou dans la Garde nationale (chargĂ©e du maintien de l’ordre).

DotĂ© d’un diplĂŽme de licenciĂ© en droit, et assurĂ© du soutien de sa famille et de toute la clientĂšle de celle-ci, il se lança dans la politique Ă  l’échelon national et sut se faire Ă©lire Ă  plusieurs reprises dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral (national) pour sa circonscription de l’arriĂšre-pays (sertĂŁo) bahianais, tout en assumant, Ă  l’instar de ses ancĂȘtres, des fonctions dans la politique locale. Ses efforts, Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s comme dans les autres instances politiques, tendront alors tout entiers Ă  la prĂ©servation des privilĂšges et du pouvoir discrĂ©tionnaire de sa classe — l’aristocratie fonciĂšre agro-commerciale esclavagiste — et consisteront Ă  composer avec l’autoritĂ©, Ă  louvoyer, Ă  anticiper, rĂ©frĂ©ner, diffĂ©rer ou dĂ©samorcer tout projet de loi prĂ©judiciable aux intĂ©rĂȘts de sa caste, et ce par-delĂ  les divers soubresauts de l’histoire (guerre du Paraguay, coup d’État rĂ©publicain) et surtout Ă  rebours des nouvelles Ă©volutions sociales (Ă©mergence d’une couche urbaine libĂ©rale, principalement dans le sud du pays), politiques (montĂ©e en puissance de ses adversaires libĂ©raux, au dĂ©triment des conservateurs), administratives (loi Ă©lectorale, forte centralisation sous l’Empire, fĂ©dĂ©ralisation sous la RĂ©publique), Ă©conomiques (dĂ©clin de la canne Ă  sucre, crise financiĂšre, prĂ©pondĂ©rance croissante des cafĂ©iculteurs du sud), mais aussi personnelles (scission de sa parentĂšle entre conservateurs et libĂ©raux), etc.

La question de l’esclavage apparaĂźt particuliĂšrement illustrative de l’attitude du baron de Jeremoabo : sous la pression abolitionniste, il soutint, pour donner le change, diverses lois qui tendaient, mais en apparence seulement, Ă  une Ă©mancipation partielle des esclaves. L’acte d’abolition, finalement adoptĂ© et signĂ© par la fille mĂȘme de l’empereur en 1888, signifia dans le chef de CĂ­cero Dantas la rupture de la convergence d’intĂ©rĂȘts, de la symbiose, qui avait jusque-lĂ  prĂ©valu tellement quellement entre le rĂ©gime impĂ©rial et la vieille aristocratie brĂ©silienne. Ce fait, suivi bientĂŽt de la proclamation de la rĂ©publique en 1889 et l’instauration du fĂ©dĂ©ralisme, et l’avĂšnement subsĂ©quent d’un pouvoir adverse Ă  la tĂȘte de sa province, devenue État fĂ©dĂ©rĂ©, incita CĂ­cero Dantas Ă  se replier dĂ©sormais davantage sur son fief et Ă  renforcer son coronĂ©lisme.

Ascendances familiales

NĂ© le 28 juin 1838 Ă  la fazenda (=grand domaine agricole) CaritĂĄ, sise dans la commune de Jeremoabo, en plein sertĂŁo bahianais, CĂ­cero Dantas Martins grandit dans un milieu aux traditions dĂ©jĂ  bien ancrĂ©es. En effet, fils du commandeur JoĂŁo Dantas dos Reis et de Mariana Francisca da Silveira, il appartenait Ă  l’antique famille Dantas, dont les membres furent autrefois les rĂ©gisseurs attitrĂ©s des Torre de Garcia d’Ávila, famille de grands propriĂ©taires fonciers Ă©tablis dans l’arriĂšre-pays semi-aride (sertĂŁo) de la Bahia depuis les dĂ©buts de la colonisation. La famille Dantas rĂ©ussit au fil du temps, tout en administrant ces vastes Ă©tendues, Ă  en acquĂ©rir pour elle-mĂȘme de grandes portions, de sorte que CĂ­cero Dantas Martins pouvait passer pour l’un des plus grands fazendeiros, sinon le plus grand, de tout le Nordeste brĂ©silien, possĂ©dant soixante-et-une propriĂ©tĂ©s rurales dans les provinces (ultĂ©rieurement États fĂ©dĂ©rĂ©s) de la Bahia et du Sergipe.

CĂ­cero Dantas appartenait Ă  la 6e gĂ©nĂ©ration d’un clan Ă©tabli de longue date dans le sertĂŁo bahianais ; sa famille en effet, qui remontait aux Gonçalves Leite, originaires du nord du Portugal, Ă©tait arrivĂ©e au BrĂ©sil dans la 1re moitiĂ© du XVIIIe siĂšcle, oĂč elle obtint des sesmarias dans le sertĂŁo de Tiuiu (dĂ©nomination tombĂ©e en dĂ©suĂ©tude aujourd’hui), Ă©tendue alors intĂ©grĂ©e au territoire d’Itapicuru de Cima, ressortissant lui-mĂȘme Ă  la municipalitĂ© de Tucano, dans le nord-ouest de l’actuel État de la Bahia. La famille d’origine, qui Ă©tait arrivĂ©e au BrĂ©sil avec ses enfants dĂ©jĂ  nĂ©s — Ă  savoir deux filles, dont Leandra Sancha Leite de Souza, trisaĂŻeule de CĂ­cero Dantas Martins —, ainsi que ses gĂ©nĂ©rations successives, s’adonna Ă  l’élevage et Ă  la plantation du coton, du manioc, et surtout de la canne Ă  sucre. Leandra Sancha Ă©pousera le sous-lieutenant, ultĂ©rieurement capitaine, Baltazar dos Reis Porto, Portugais originaire de Porto, qui entrera ainsi en possession des sesmarias de la famille Gonçalves Leite situĂ©es dans le sertĂŁo de Tiutiu, prise de possession dĂ»ment confirmĂ©e par acte officiel en juillet 1749.

Le chĂąteau des Garcia d’Ávila Ă  Mata de SĂŁo JoĂŁo. Les Garcia d’Ávila Ă©taient les plus gros propriĂ©taires terriens du BrĂ©sil aux XVIe et XVIIe siĂšcles.

Baltazar dos Reis Porto, en plus d’ĂȘtre militaire, Ă©tait depuis fort longtemps liĂ© Ă  la famille Ávila, exerçant en effet depuis de longues annĂ©es la charge d’intendant pour la maison Da Torre, qui Ă©tait aux XVIe et XVIIe siĂšcles le plus grand latifundiaire du BrĂ©sil, propriĂ©taire du domaine dit des D’Ávila[1]. En octobre 1754, il rĂ©solut d’acheter Ă  la veuve de Garcia d’Ávila Pereira, descendant de 5e gĂ©nĂ©ration, peu aprĂšs la mort de celui-ci, le domaine de CamuciatĂĄ, dans l’actuelle municipalitĂ© d’Itapicuru, puis s’y fixa et y fit Ă©difier un moulin Ă  sucre. Il fut le second, sinon le premier, de la famille Ă  se lancer dans l’industrie sucriĂšre, laquelle, si elle constituait l’activitĂ© Ă©conomique de base dans le BrĂ©sil des XVIe et XVIIe siĂšcles, se trouvait alors (dans la 2e moitiĂ© du XVIIIe) dĂ©jĂ  dans une phase de dĂ©clin au BrĂ©sil, ce pays ayant Ă  ce moment en effet cessĂ© d’ĂȘtre le plus grand producteur de sucre au monde, par suite de la concurrence des Hollandais, lesquels, chassĂ©s du Pernambouc, s’étaient rĂ©installĂ©s aux Antilles, oĂč la productivitĂ©, comparĂ©e au BrĂ©sil, allait presque du simple au triple[2]. Mais Baltazar dos Reis Porto eut soin de dĂ©velopper en outre une sĂ©rie d’autres activitĂ©s lucratives : exploitation forestiĂšre, plantations de tabac, poterie, Ă©levage. Il engagea de lourds investissements dans l’amĂ©nagement de la propriĂ©tĂ©, notamment dans la construction d’un moulin Ă  sucre — impressionnant ensemble de bĂątiments comprenant, outre les ateliers de production : un grand corps de logis, de style nĂ©oclassique, Ă  Ă©tage, mĂ©lange de forteresse, d’hĂŽpital et de bureau ; des logements pour les esclaves ; et une chapelle, placĂ©e sous le vocable de saint Antoine. Ses quatre enfants, dont l’aĂźnĂ©, InĂĄcio, bisaĂŻeul de CĂ­cero Dantas, se retrouvĂšrent donc, Ă  sa mort, Ă©conomiquement fort bien nantis[3].

Le bisaĂŻeul : InĂĄcio dos Reis Leite

InĂĄcio dos Reis Leite, habilitĂ© par acte de juillet 1752 Ă  rester sesmeiro Ă  Tiuiu, s’impliqua aussi dans la vie sociale et politique d’Itapicuru. Cette localitĂ©, Ă  l’origine mission franciscaine, dotĂ©e d’une chapelle en 1648 et Ă©levĂ©e au rang de paroisse (freguesia) en 1698, sous le nom de Nossa Senhora de NazarĂ© do Itapicuru de Cima, s’estima, compte tenu de l’accroissement de son nombre d’habitants, fondĂ©e Ă  solliciter le statut de bourg (vila), demande Ă  laquelle accĂ©da le vice-roi du BrĂ©sil, le comte de Sabugosa, en avril 1728[3]. À l’époque coloniale, la fonction des vilas Ă©tait de servir de point de contact entre l’administration portugaise et le pouvoir local des seigneurs, en plus d’assumer la fonction sociale de lier entre eux les rĂ©sidents des fazendas et les propriĂ©taires des moulins Ă  sucre (engenhos). InĂĄcio dos Reis Leite fut ainsi appelĂ© Ă  exercer les charges publiques d’échevin (adjoint au maire, en port. vereador) et d’estimateur public. En tant que membre de l’élite coloniale, il put bĂ©nĂ©ficier de la politique royale, non seulement par les donations de sesmaria, mais aussi par les rĂŽles dirigeants qui lui furent dĂ©volus dans les organes politiques locaux, lesquels Ă©taient (Ă  l’instar du Portugal) la mairie et la Chambre municipale. Le maire en effet Ă©tait nommĂ© par la capitainerie, dont en retour il Ă©tait le subordonnĂ©, tandis que la Chambre, Ă©lective, organe le plus important de l’administration, Ă©tait intĂ©grĂ©e elle aussi dans l’administration gĂ©nĂ©rale, en ce sens qu’elle Ă©tait subordonnĂ©e au gouverneur, et donc instrument exĂ©cuteur des dĂ©cisions de celui-ci. Le gouvernement local, qui se composait de deux juges ordinaires, de trois Ă©chevins, d’un greffier, d’un procureur (procurador) et de deux almotacĂ©s (fonctionnaire chargĂ© de contrĂŽler les poids et mesures, ainsi que l’hygiĂšne et la qualitĂ© des produits vendus sur place), Ă©tait Ă©lu annuellement, par scrutin indirect ; n’était admis Ă  prendre part au vote que le peuple qualifiĂ©, les hommes de qualitĂ© ; pour figurer dans la liste Ă©lectorale, la condition principale Ă©tait d’ĂȘtre propriĂ©taire foncier et dĂ©tenteur d’esclaves. La rĂ©pression de la petite dĂ©linquance (vols, petites agressions et offenses), l'entretien de la voirie, la fixation des impĂŽts municipaux (Ă  acquitter par les commerçants et artisans), relevaient des attributions du conseil d’échevins. À InĂĄcio dos Reis Leite, qui se prĂ©sentait aux Ă©lections chaque annĂ©e, Ă©chut Ă©galement de remplir Ă  Itapicuru la fonction d’avaliador (litt. estimateur public), ample fonction englobant les attributions d’un juge des affaires civiles chargĂ© de l’exĂ©cution des testaments, de l’administration des biens des dĂ©cĂ©dĂ©s, des absents et des orphelins, ainsi que celles de procureur, d’estimateur, de greffier du TrĂ©sor, tout cela contre Ă©moluments.

InĂĄcio dos Reis Leite Ă©pousa Maria Francisca de Souza Dantas, fille de propriĂ©taires de fazenda, de qui il eut sept enfants, dont JoĂŁo d’Antas dos Reis PortĂĄtil, nĂ© en 1773, grand-pĂšre de CĂ­cero Dantas. InĂĄcio dos Reis Leite mourut avant 1832, dans son domaine de CamuciatĂĄ[4].

Le grand-pĂšre : JoĂŁo Dantas dos Reis PortĂĄtil

DĂšs le jeune Ăąge, JoĂŁo Dantas se voua aux activitĂ©s agricole, pastorale et industrielle (sucre, eau-de-vie), d’abord comme auxiliaire de son pĂšre, puis comme hĂ©ritier et propriĂ©taire du domaine CamuciatĂĄ. Il agrandit le domaine en achetant, Ă  des parents voisins ou Ă  des Ă©trangers, des parcelles limitrophes, et y fit construire un nouveau moulin, ainsi qu’un alambic de cuivre. Il ne cessa par ailleurs de pratiquer parallĂšlement l’élevage. Cette derniĂšre activitĂ© avait fait figure, au XVIIe siĂšcle au BrĂ©sil, et dans le RecĂŽncavo en particulier, de simple annexe Ă  la production sucriĂšre, les enclos se situant alors Ă  proximitĂ© des plantations de canne ; peu Ă  peu, avec l’augmentation du peuplement, l’élevage n’était plus destinĂ© qu’à remplir les besoins des moulins Ă  sucre, et cet antagonisme entre agriculture et Ă©levage aboutira finalement Ă  ce que ce dernier sera dĂ©placĂ© du littoral vers les sertĂ”es de l’intĂ©rieur, loin des Ă©tendues cultivĂ©es. Au milieu du XVIIIe, l’élevage s’était ainsi Ă©tabli dans les arriĂšre-pays semi-arides de la Bahia, dans de grandes propriĂ©tĂ©s fonciĂšres, les zones d’élevage bahianaises tendant Ă  se concentrer le long du rĂ­o San Francisco, du rio das Velhas, du rio das RĂŁs, et des fleuves Verde, Paramirim, JacuĂ­pe et Itapicuru[5].

À l’instar de son pĂšre, JoĂŁo Dantas se fit un devoir d’assumer des fonctions publiques. Ainsi se mit-il au service du gouvernement colonial en se chargeant, directement ou Ă  titre de mandataire, de la perception des dĂźmes royales, parcourant les freguesias d’Água Fria, de CamisĂŁo, d’Itapicuru, d’Inhambupe, de Jacobina, de Jeremoabo, de Monte Santo, d’Ouriçangas, de Pambu et de Tucano. Le titre de percepteur Ă©tait aurĂ©olĂ© de prestige et la collecte d’impĂŽts faisait l’objet d’un monopole, dĂ©tenu par un ensemble d’individus dominant la politique. Les impĂŽts Ă©taient levĂ©s en vente publique, les percepteurs-commissaires, souvent des Ă©chevins, versant ensuite les sommes ainsi perçues Ă  la municipalitĂ©, en quatre versements annuels. Les produits les plus lucratifs Ă  cet Ă©gard Ă©taient le bĂ©tail (bovins, mules, Ă©quidĂ©s, lapins), les cuirs et les peaux, le pĂ©trole lampant et la poudre Ă  canon. Cependant, des conflits ne manquaient jamais de survenir entre les percepteurs et les parties imposables, et JoĂŁo Dantas n’y faisait pas exception ; Ă  certaine occasion, en 1813, alors qu’il passait la nuit Ă  Jeremoabo, il fut « fourbement maltraitĂ© d’un tir de carabine, qui manqua de lui ĂŽter la vie, ce qui le lĂ©gitima, au regard de la disposition du 27 avril de 1814, Ă  user de ses armes, lui et ses deux hommes d’escorte »[6]. L’auteur du coup de feu Ă©tait LuĂ­s de Almeida, parent de JoĂŁo Dantas.

En plus de celle de percepteur, JoĂŁo Dantas occupa d’autres fonctions publiques Ă  ItapicurĂș, y compris celles de juge ordinaire et de juge des tutelles (juiz de ĂłrfĂŁos, litt. juge des orphelins), fonctions d’une grande importance politique et sociale, car faisant partie intĂ©grante de l’administration judiciaire brĂ©silienne dĂšs les dĂ©buts de la colonisation.

Il Ă©pousa en 1795 Francisca Xavier de Souza Dantas, sa cousine au deuxiĂšme degrĂ© et niĂšce des sƓurs Joana VitĂłria de Souza Leite et de Maria VitĂłria de Souza, respectivement premiĂšre et seconde Ă©pouse du susmentionnĂ© LuĂ­s de Almeida. Elle lui donna huit enfants.

Les fils de famille appartenant Ă  la noblesse rurale jouissaient de certains privilĂšges dans la carriĂšre des armes, leur permettant d’acquĂ©rir aisĂ©ment les grades supĂ©rieurs de colonel et de lieutenant-colonel dans la hiĂ©rarchie de la milice, ou le pompeux titre de capitaine-major d’ordonnance (en port. CapitĂŁo-mor de Ordenanças), avec Ă  la clef le commandement de la force de troisiĂšme ligne d’un district ; en revanche, dans les troupes de premiĂšre ligne, le privilĂšge se limitait Ă  un statut de soldat noble, les faveurs allant ici d’abord aux cadets. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, c’est pour la premiĂšre des possibilitĂ©s qu’avaient coutume d’opter JoĂŁo Dantas et ses descendants. Le premier fut capitaine d’ordonnance d’ItapicurĂș, sergent-major et capitaine-major, par patente du , confirmĂ©e en janvier 1825, et son fils JoĂŁo Dantas dos Reis PortĂĄtil JĂșnior, pĂšre de CĂ­cero Dantas, fut lieutenant-colonel du rĂ©giment de cavalerie de milice d’ItapicurĂș, en vertu d’une patente confirmĂ©e par dĂ©cret de fĂ©vrier 1824[7]. Du reste, plusieurs parents de JoĂŁo Dantas occupaient des charges dans des corps militaires. Il est Ă  signaler qu’en ce temps-lĂ , des corps auxiliaires, notamment des rĂ©giments de milices et d’ordonnances, contribuaient Ă  la dĂ©fense des territoires bahianais ; ces corps, Ă©tablis moyennant l’aval des autoritĂ©s, Ă©taient placĂ©s sous le commandement direct des classes privilĂ©giĂ©es, Ă  qui il incombait d’en assurer l’entretien. Être officier de milices reprĂ©sentait souvent le premier pas en vue d’obtenir l’anoblissement et ouvrait la voie Ă  ce que les fils pussent servir par la suite comme cadets dans les forces armĂ©es rĂ©guliĂšres. JoĂŁo Dantas quant Ă  lui brĂ»la les Ă©tapes, en dĂ©pit de ce qu’il n’eĂ»t jamais fait partie d’aucun corps de milices auparavant, et monta bientĂŽt au grade de capitaine-major. C’était lĂ , dans les bourgs de campagne, l’autoritĂ© la plus Ă©levĂ©e, chargĂ©e d’inspecter les troupes et les armes, d’assurer le bon fonctionnement des instances civiles, tant financiĂšres que judiciaires, et aussi de dresser les listes des citoyens aptes Ă  ĂȘtre recrutĂ©s dans la troupe rĂ©guliĂšre ou dans les milices. Les hauts gradĂ©s des milices Ă©taient choisis dans les familles fortunĂ©es de chaque localitĂ© respective, parmi les dĂ©tenteurs de bĂ©tail bovin et parmi les propriĂ©taires importants de plantations de canne. Les capitaines-majors, dĂ©signĂ©s par les chambres municipales, devaient obligatoirement ĂȘtre confirmĂ©s par le roi, par la voie de lettres patentes, ce qui renforçait le prestige de la fonction[8].

En 1821, annĂ©e au cours de laquelle s’intensifiĂšrent dans la Bahia les mouvements en faveur de l’indĂ©pendance du BrĂ©sil, JoĂŁo Dantas Ă©tait dĂ©jĂ  capitaine-major. GagnĂ© par le sentiment patriotique, il ne put, comme beaucoup de Bahianais, accepter la nomination du brigadier InĂĄcio LuĂ­s Madeira de Melo Ă  la tĂȘte des forces armĂ©es de la Bahia. En fĂ©vrier 1822, les officiers quittĂšrent le fort Saint-Pierre (forte de SĂŁo Pedro) Ă  Salvador pour organiser une guĂ©rilla dans les forĂȘts s’étendant de Brotas de MacaĂșbas Ă  Fazenda Garcia. En juin, les Bahianais vinrent se joindre Ă  eux Ă  Cachoeira, donnant le signal de la guerre d’indĂ©pendance. JoĂŁo Dantas, qui avait immĂ©diatement adhĂ©rĂ© au mouvement d’émancipation du BrĂ©sil, eut une part active dans tous les Ă©vĂ©nements qui amenĂšrent au conflit ouvert entre BrĂ©siliens et Portugais, obtenant entre autres qu’ItapicurĂș s’engageĂąt dans la campagne, jusqu’à l’acclamation dans cette ville, en juillet de la mĂȘme annĂ©e, de Pedro I DĂ©fenseur perpĂ©tuel et constitutionnel du BrĂ©sil. En consĂ©quence de cette attitude, il fut Ă©lu, au titre de reprĂ©sentant d’ItapicurĂș, membre du premier comitĂ© conciliateur, lequel se mua bientĂŽt en gouvernement Ă  la suite de l’adhĂ©sion des autres villes et bourgs du RecĂŽncavo et du sertĂŁo[9]. Son enthousiasme pour la cause indĂ©pendantiste porta JoĂŁo Dantas, selon une pratique courante pendant l’annĂ©e prĂ©cĂ©dant l’indĂ©pendance, Ă  adopter le nom de JoĂŁo d’Antas dos Imperiais ItapicurĂș. La plupart de ces noms furent dans la suite abandonnĂ©s par les familles, et les enfants du capitaine-major n’agirent pas autrement.

La lutte entre-temps avait pris des allures de guerre, requĂ©rant la mise en place de quartiers gĂ©nĂ©raux, l’élaboration de stratĂ©gies militaires, la mise sur pied de bataillons de cavalerie, de gardes civiques, de corps de milice, etc. JoĂŁo Dantas, invitĂ© Ă  s’engager dans le combat, entreprit d’organiser et de commander la garde civique Ă  Cachoeira, fit mouvement vers PirajĂĄ Ă  la tĂȘte du bataillon de cavalerie, composĂ© de 500 hommes, mais dut ensuite s’éloigner du champ de bataille pour cause de maladie[10]. ParallĂšlement aux combats dans la Bahia, le grand-pĂšre de CĂ­cero Dantas intervint Ă©galement dans la province de Sergipe voisine, encore hostile Ă  la cause de l’indĂ©pendance ; ayant, conjointement avec ses fils InĂĄcio, JosĂ© et JoĂŁo Dantas JĂșnior (pĂšre de CĂ­cero Dantas), et d’autres parents et patriotes, organisĂ© un contingent de 2 000 hommes, il entama, sur instruction du Conseil de la province et du gĂ©nĂ©ral français Pierre Labatut, commandant en chef des insurgĂ©s, une marche sur cette province et fit acclamer Don Pedro par les patriotes sergipiens dans les minicipalitĂ©s de Campos, Lagarto, Santo Luzia, Estancia, SĂŁo CristovĂŁo et ailleurs[11].

L’empereur Pierre Ier, en signe de reconnaissance de la lutte des Bahianais pour l’indĂ©pendance, dĂ©cerna une sĂ©rie de rĂ©compenses, d’insignes honorifiques et de bĂ©nĂ©fices aux combattants de la guerre et visita la Bahia en fĂ©vrier et mars 1826. Le capitaine-major Dantas fut admis dans l’ordre de Notre-Seigneur-JĂ©sus-Christ, et dĂ©corĂ© en octobre 1823 officier de l’Ordre impĂ©ral de la Croix. De mĂȘme, les trois fils de JoĂŁo Dantas qui s’étaient engagĂ©s furent rĂ©compensĂ©s d’ordres honorifiques ; JoĂŁo Dantas JĂșnior, par exemple, reçut en octobre 1823 le grade de chevalier de l’Ordre de la Croix, puis en avril 1824 se vit dĂ©cerner le titre de chevalier du HĂĄbito de Cristo[12].

JoĂŁo Dantas dos Imperiais ItapicurĂș passa le dernier quart de sa vie exerçant ses fonctions de capitaine-major et de juge ordinaire et des tutelles Ă  ItapicurĂș. Par un long et minutieux testament, il lĂ©gua une partie de ses biens aux Ă©glises du sertĂŁo, et laissa Ă  sa femme et Ă  ses six enfants encore en vie (deux Ă©taient morts mineurs d’ñge) une considĂ©rable fortune[13].

Le pĂšre : JoĂŁo Dantas JĂșnior

JoĂŁo Dantas dos Reis PortĂĄtil JĂșnior, cinquiĂšme enfant du capitaine-major JoĂŁo Dantas dos Reis PortĂĄtil et pĂšre de CĂ­cero Dantas, naquit dans la propriĂ©tĂ© de CamuciatĂĄ en juillet 1802, et fut donc un reprĂ©sentant de la troisiĂšme gĂ©nĂ©ration en ligne directe Ă  naĂźtre sur le domaine. ConformĂ©ment aux traditions familiales, il suivit les cours du sĂ©minaire archiĂ©piscopal de Salvador, dont les Ă©lĂšves Ă©taient issus des couches moyennes de la sociĂ©tĂ© bahianaise, et oĂč il bĂ©nĂ©ficia d’une solide formation humaniste et religieuse, notamment en langue française, rhĂ©torique, philosophie rationnelle, histoire de l’Église, thĂ©ologie dogmatique et morale, composant une socle culturel que JoĂŁo Dantas JĂșnior maintiendra toute sa vie durant. Sans doute poussĂ© par les circonstances politiques du moment, il quitta prĂ©maturĂ©ment le sĂ©minaire et s’en revint Ă  CamuciatĂĄ. Sous l’impulsion de son pĂšre, lequel s’était fortement engagĂ© dans le combat pour l’indĂ©pendance, il s’impliqua lui aussi dans la lutte. En fĂ©vrier 1824, il fut nommĂ© par le gĂ©nĂ©ral Labatut lieutenant-colonel du rĂ©giment de cavalerie de milices d’Itapicuru[14].

AprĂšs l’indĂ©pendance, JoĂŁo Dantas JĂșnior devint Ă©chevin (vereador) pour la pĂ©riode 1829-1832, prĂ©sidant le collĂšge des Ă©chevins[15]. Il entama sa carriĂšre politique au moment oĂč la structure du nouvel État brĂ©silien subissait une profonde restructuration. En effet, la loi du , portant transformation des anciennes capitaineries en provinces, institua la fonction de prĂ©sident de province, tout en gardant la municipalitĂ© (municĂ­pio) comme Ă©chelon de base de l’administration. Cette mutation politique et administrative dĂ©notait en fait la dĂ©termination du nouvel État Ă  avoir la haute main sur toutes les activitĂ©s de la vie publique brĂ©silienne. Ainsi l’institution du gouvernement provincial fut-elle remaniĂ©e de sorte Ă  amenuiser le pouvoir des municĂ­pios, dĂ©marche renforcĂ©e encore par une loi promulguĂ©e en 1828 restreignant davantage encore les compĂ©tences municipales. Chaque ville comptait dĂ©sormais neuf vereadores (ou sept, pour les villes de moindre importance), Ă©lus pour une pĂ©riode de quatre ans, Ă©tant entendu que le pouvoir des chambres municipales serait dĂ©sormais de nature purement administrative. Toutes les rĂ©glementations municipales, qui avaient d’ordinaire trait au maintien de l’ordre et Ă  des questions sanitaires, devaient ĂȘtre sanctionnĂ©es par les Conseils gĂ©nĂ©raux des provinces, lesquels Ă©taient habilitĂ©s Ă  les amender, voire Ă  les rĂ©voquer ; ainsi p.ex. pour vendre, louer ou changer la destination de biens immobiliers de la municipalitĂ©, les chambres devaient en rĂ©fĂ©rer d’abord au prĂ©sident de province. JoĂŁo Dantas JĂșnior certes rĂ©ussit, pour certains aspects, Ă  contourner la lĂ©gislation et Ă  y ouvrir quelques brĂšches pour pouvoir prendre ses propres dĂ©cisions.

Toujours dans la sphĂšre du pouvoir municipal et local, JoĂŁo Dantas remplit deux autres fonctions importantes : celle de juge de paix et celle de colonel de la Garde nationale. La premiĂšre de ces fonctions s’inscrivait dans la nouvelle structure du pouvoir judiciaire telle que prĂ©vue par la constitution de 1824. Chaque circonscription judiciaire disposait de ses juges municipaux, de ses juges de tutelle (juizes de ĂłrfĂŁos) et de procureurs nommĂ©s par le gouvernement, et chaque paroisse Ă©lisait son juge de paix. Avec l’élection de ces magistrats, concomitante avec celle des conseillers municipaux, la justice restait jusqu’à 1841 dans une large mesure aux mains de magistrats issus du choix populaire, qui acquĂ©raient ainsi un pouvoir supĂ©rieur Ă  celui des conseillers municipaux. Ceux-ci en contrepartie Ă©taient choisis parmi la notabilitĂ© locale, laquelle par ce biais s’assurait en retour un contrĂŽle sur l’appareil judiciaire.

En 1841, annĂ©e de la rĂ©forme du Code pĂ©nal, le juge de paix JoĂŁo Dantas perdit une partie de son pouvoir. L’administration provinciale, soucieuse de centraliser le pouvoir, retira aux juges de paix une grande partie de leurs prĂ©rogatives, en particulier certains pouvoirs discrĂ©tionnaires, comme la nomination des chefs de police et de leurs subordonnĂ©s, quasi rĂ©duisant leur fonction Ă  des tĂąches de greffier[16].

En 1840, il fut nommĂ© colonel en chef de la 2e lĂ©gion de la Garde nationale d’ItapicurĂș, et fut en 1869 promu colonel commandant en chef des arrondissements de Jeremoabo et Monte Santo. La Garde nationale, crĂ©Ă©e en aoĂ»t 1831, recrutait « tous les bons citoyes » libres ĂągĂ©s de dix-huit Ă  soixante ans, dont les rentes dĂ©passaient un certain montant, assez Ă©levĂ©, ce dont on peut infĂ©rer le caractĂšre Ă©litiste de ce corps. À la diffĂ©rence des milices, elle n’était pas destinĂ©e Ă  assurer la dĂ©fense territoriale, qui Ă©tait du ressort exclusif de l’armĂ©e brĂ©silienne, mais Ă©tait seulement responsable du maintien de l’ordre public, de la capture et de la dĂ©tention des dĂ©linquants, de la rĂ©pression de toute rĂ©volte armĂ©e et de la chasse aux esclaves fugitifs, et Ă©tait chargĂ©e d’escorter les transports de fonds publics et de denrĂ©es alimentaires. C’était au titre de ces derniĂšres responsabilitĂ©s que le colonel JoĂŁo Dantas, sous la seconde administration du vicomte de SĂŁo Lourenço, se porta au secours des victimes de la sĂ©cheresse, leur fournissant, Ă  ses propres frais, argent, vivres et vĂȘtements[17]. Cependant, la Garde nationale perdit de son importance, au fur et Ă  mesure que les structures administratives de l’Empire allaient se renforçant. En 1873, soit l’annĂ©e suivant la mort du colonel Dantas, la Garde nationale fut dĂ©pouillĂ©e de ses compĂ©tences policiĂšres. À l’intĂ©rieur des terres toutefois, les chefs locaux, presque invariablement des propriĂ©taires fonciers, et leur clientĂšle continuĂšrent de leur cĂŽtĂ© Ă  dicter les lois. Le prestige et l’influence des tout-puissants coronĂ©is[18], ainsi qu’on continua de les appeler, ne s’en trouvĂšrent donc guĂšre altĂ©rĂ©s, mĂȘme aprĂšs la suppression des postes de la Garde nationale, et pour longtemps encore le coronĂ©lisme marqua de son empreinte la politique rĂ©gionale.

JoĂŁo Dantas JĂșnior, dĂ©jĂ  veuf, s’éteignit dans le domaine de CamuciatĂĄ en aoĂ»t 1872, des suites de son diabĂšte.

La mĂšre : Mariana Francisca da Silveira

Les parents de CĂ­cero Dantas s’étaient rencontrĂ©s Ă  l’époque des luttes pour l’indĂ©pendance, lors des dĂ©placements des Dantas vers le bourg de Jeremoabo, dans les annĂ©es 1822/23.

La mĂšre Ă©tait la fille de JoĂŁo Martins Fontes et d’Ana Francisca da Silveira et petite-fille du capitaine-major d’ordonnance AntĂłnio Martins Fontes, descendant direct du fondateur de la famille Fontes au Sergipe, Gaspar Fontes, qui avait obtenu une sesmaria en 1601 en bordure du rio Vaza-Barris. JoĂŁo Martins Fontes, nĂ© en 1762, exerça Ă  plusieurs reprises Ă  partir de 1801 la fonction de juge ordinaire et fut prĂ©sident de la chambre municipale de Lagarto et de SĂŁo CristovĂŁo, dans le Sergipe. Son grand idĂ©al Ă©tait de pouvoir acclamer le prince rĂ©gent dans la Sergipe.

En ce temps-lĂ , Mariana Ă©tait dĂ©jĂ  mariĂ©e Ă  Francisco Felix de Carvalho, capitaine-major commandant de la brigade de Jeremoabo et maĂźtre de la fazenda CaritĂĄ. Une fois achevĂ©e la pacification des villes du Sergipe, Felix de Carvalho s’en retourna Ă  sa fazenda CaritĂĄ, oĂč il mourut entre 1823 et 1828. PassĂ©e la pĂ©riode de deuil, Mariana choisit parmi plusieurs prĂ©tendants le colonel JoĂŁo Dantas de CamuciatĂĄ, fils du vieil ami de son pĂšre ; le mariage des parents de CĂ­cero Dantas fut cĂ©lĂ©brĂ© en 1829[19].

Jeunes années et éducation

Cícero Dantas vint au monde en 1838, comme sixiÚme enfant du couple, dans la fazenda Caritå, sise dans la freguesia et municipalité de São João Batista de Jeremoabo, dans le nord-est de la Bahia, aux confins du Sergipe.

L'Ă©mergence de cette freguesia, qui ne comptait alors que 300 foyers et 2 000 Ăąmes, s’inscrit dans le processus de peuplement du rio SĂŁo Francisco et des Ă©tendues adjacentes, en cours depuis la deuxiĂšme moitiĂ© du XVIIe siĂšcle. La localitĂ© voit le jour en 1679, sous la forme d’une chapelle dĂ©pendant de la paroisse Notre-Dame-de-Nazareth d’ItapicurĂș, et se situait au milieu des terres (et donc sous la tutelle) de la maison da Torre.

CĂ­cero Dantas Martins passa son enfance dans la zone semi-aride du sertĂŁo bahianais, sur les bords du Vaza-Barris, oĂč se trouvait la fazenda CaritĂĄ. CĂ­cero et ses frĂšres et sƓurs grandirent en accord avec les coutumes d’alors, dans une atmosphĂšre d’austĂ©ritĂ© et de respectabilitĂ©, et dans un milieu dĂ©pourvu de toute distraction pour les jeunes. La fratrie obĂ©issait aux consignes paternelles sans jamais songer Ă  les mettre en cause, et la vie s’écoulait dans une monotonie absolue. Il y avait entre le cadet et l’aĂźnĂ© des enfants 15 ans d’écart. Le pĂšre JoĂŁo Dantas porta les plus grands soins Ă  l’éducation de ses enfants, en s’efforçant de les tenir Ă  distance de toute mondanitĂ©. Les fillettes en particulier, Ă  l’issue des heures d’études, effectuĂ©es Ă  domicile, passĂšrent le temps aux traditionnels travaux d’aiguille, crochet et confection de dentelles, toujours assistĂ©es d’esclaves de confiance, devenant fort versĂ©es en ouvrages de broderie et de dentelle. Le pĂšre, qui sans doute rĂ©servait une des piĂšces de la maison pour servir de salle de classe Ă  ses huit enfants, s’était assurĂ© les services d’un prĂ©cepteur, qui venait enseigner chaque avant-midi[20].

Sa sƓur Francisca, comme cela Ă©tait trĂšs commun Ă  cette Ă©poque, Ă©pousa un sien cousin, Fiel JosĂ© de Carvalho e Oliveira, mĂ©decin de son Ă©tat, s’occupant de politique dans la Bahia et le Sergipe, et inspecteur des douanes Ă  Salvador[21].

À un certain moment, le pĂšre, ĂągĂ© dĂ©jĂ , dĂ©sira que CĂ­cero Dantas et son frĂšre BenĂ­cio, qui Ă©taient les plus proches en Ăąge, pussent Ă©largir leurs connaissances et les envoya Ă  la ville d’EstĂąncia dans le Sergipe, rĂ©gion natale des ancĂȘtres de sa mĂšre, laquelle du reste Ă©tait alors dĂ©jĂ  dĂ©cĂ©dĂ©e. Quoiqu’il existĂąt Ă  cette Ă©poque les dĂ©nommĂ©s professores rĂ©gios (professeurs royaux), financĂ©s par le trĂ©sor royal, CĂ­cero et BenĂ­cio furent placĂ©s sous les soins du vicaire local, le pĂšre Raimundo, un de ces enseignants, prĂȘtres sĂ©culiers ou laĂŻcs, qui avaient pris le relais des jĂ©suites et s’étaient chargĂ©s de l’alphabĂ©tisation des enfants au temps de la colonisation et sous l’Empire. Cette Ă©tape accomplie, le jeune Ă©tudiant, ayant aux alentours de quinze ans, se transporta vers la ville de Salvador, parcourant Ă  dos de mule pas moins de 75 lieues, soit un voyage de 3 Ă  4 jours[22].

Pour la poursuite des Ă©tudes de son fils dans la capitale de la province, le pĂšre fixa son choix sur un des Ă©tablissements privĂ©s d’enseignement qui, au nombre de dix environ Ă  ce moment, Ă©taient autorisĂ©s Ă  dispenser des cours dĂšs avant la permission formelle octroyĂ©e en 1881. Dans cette Ă©cole catholique, le collĂšge Saint-Vincent-de-Paul fondĂ© en 1852, il fut initiĂ© aux lettres, au grec, Ă  la philosophie, au latin, Ă  la rhĂ©torique, Ă  la gĂ©ographie, au français, Ă  l’anglais et Ă  la gĂ©omĂ©trie. Il lui en resta un goĂ»t durable pour la lecture, Ă  telle enseigne qu’il arrivera Ă  possĂ©der quelques annĂ©es plus tard, dans son manoir de CamuciatĂĄ, deux ou trois centaines de volumes, comprenant des Ɠuvres des littĂ©ratures française, anglaise, portugaise et brĂ©silienne, en plus d’ouvrages spĂ©cialisĂ©s d’histoire naturelle, de chimie et physique, d’ouvrages religieux d’auteurs catholiques, des dictionnaires, etc[23].

C’est probablement lors de vacances scolaires, en milieu d’annĂ©e, que CĂ­cero, revenu Ă  Jeremoabo au sein de sa famille, reçut le sacrement de la confirmation par les soins d’un missionnaire capucin. En plus de diriger les villages indiens, les capucins accomplissaient des missions itinĂ©rantes, parcourant les freguesias des arriĂšre-pays pour « prĂ©parer le peuple Ă  la pĂ©nitence, l’instruire dans le catholicisme, le conduire dans le catĂ©chisme, l’amener au baptĂȘme, Ă  la pratique de la vertu et du bien, au Royaume de Dieu ». D’autre part, ce capucin apposa au prĂ©nom CĂ­cero celui de CornĂ©lio, ne pouvant admettre en effet que dans une famille catholique il y eĂ»t quelqu’un portant le nom de l’accusateur de Catilina, qui Ă©tait paĂŻen. Le jeune Ă©tudiant adopta ainsi le nom de CornĂ©lio CĂ­cero Dantas Martins et le garda jusqu’à ce qu’il obtĂźnt le titre de licenciĂ© (bacharel) en sciences sociales et juridiques, en 1859[24].

Formation universitaire

En 1855, Ă  l’ñge de 17 ans, il remplissait dĂ©jĂ  toutes les conditions d’accĂšs aux facultĂ©s de droit brĂ©siliennes, conditions fixĂ©es par une loi d’aoĂ»t 1827 portant crĂ©ation des Ă©coles de droit au BrĂ©sil, CĂ­cero Dantas ayant en effet rĂ©ussi ses Ă©preuves de langue française, de grammaire latine, de rhĂ©torique, de philosophie rationnelle et morale, et de gĂ©omĂ©trie[25].

Il fut inscrit Ă  la facultĂ© de droit de Recife, qui venait d’ĂȘtre transfĂ©rĂ©e de la ville d’Olinda vers Recife. Un dĂ©cret d’avril 1854 avait confĂ©rĂ© de nouveaux statuts Ă  l’enseignement du droit, en l’organisant dĂ©sormais sous la forme de facultĂ©s de droit[26]. Pour les assister, lui et ses frĂšres, son pĂšre, conformĂ©ment Ă  la coutume de l’époque, les fit accompagner pendant leur sĂ©jour Ă  Recife par un de ses domestiques, Paulo, pour qui les frĂšres avaient une affection particuliĂšre.

Le prĂ©sident de la facultĂ© de droit Ă©tait alors le docteur Pedro Francisco de Paula Cavalcanti, baron puis vicomte de Camaragibe, qui, nommĂ© Ă  ce poste en novembre 1854, allait exercer cette charge tout au long des Ă©tudes de CĂ­cero Dantas. Dans le premier cursus Ă©taient enseignĂ©s le droit naturel, le droit public universel et l’analyse de la constitution de l’Empire ; dans le second, le droit canonique. Il venait alors de paraĂźtre, en 1855, CompĂȘndio de Teoria e PrĂĄtica do Processo Civil Comparado com o Comercial, de Francisco de Paula Batista, ouvrage qui fait figure d’innovation pour l’étude du droit au BrĂ©sil, compte tenu notamment que les conceptions juridiques plus critiques ne devaient pas surgir avant la dĂ©cennie 1860-70, sous l’impulsion de Tobias Barreto. Cependant, pendant les annĂ©es d’études de CĂ­cero Dantas, des juristes comme Álvaro Barbalho, Aristides Lobo, Pedro de Calasans, Franklin DĂłrea, Francisco Manuel Paraizo Cavalcante, JosĂ© Pires de Carvalho e Albuquerque, AntĂŽnio Ferreira VelĂŽso et d’autres s’appliquaient dĂ©jĂ  Ă  enseigner un droit naturel moins subordonnĂ© au thĂ©ologisme ; un courant d’idĂ©es faisait alors son chemin qui voyait le droit comme crĂ©ation de l’Homme, se perfectionnant au fur et Ă  mesure du dĂ©veloppement de la civilisation, Ă  rebours donc de ce que professaient les penseurs du droit naturel, qui se le figuraient essentiellement comme Ă©tant d’inspiration divine[27].

CĂ­cero Dantas s’apprĂȘtait ainsi Ă  devenir le premier licenciĂ© en droit (bacharel) de la famille ; son frĂšre aĂźnĂ© ne le devint pas, et lorsque son propre pĂšre avait eu atteint l’ñge des Ă©tudes universitaires, le BrĂ©sil ne possĂ©dait pas encore de facultĂ© de droit.

Il y eut durant les Ă©tudes universitaires de CĂ­cero Dantas une modification assez profonde du contexte politique. En 1847 fut promulguĂ©e une nouvelle loi Ă©lectorale et crĂ©Ă©e la fonction de premier ministre. Ces mesures contribuĂšrent Ă  installer un certain Ă©quilibre entre libĂ©raux et conservateurs, en permettant une alternance dans l’exercice du pouvoir. Cependant, la chute en 1847 du cabinet libĂ©ral prĂ©sidĂ© par Manuel Alves Branco fut le point de dĂ©part d’une nouvelle pĂ©riode, qui se prolongea pendant 14 ans et dans laquelle s’inscrit notamment l’intervalle politique dit conciliação, au cours duquel les deux principaux partis, le conservateur et le libĂ©ral, s’entendirent au parlement en se partageant le pouvoir sous la houlette du marquis de ParanĂĄ. De 1853 Ă  1856, le ministĂšre de la Conciliation, ainsi qu’il vint Ă  ĂȘtre appelĂ©, s’attacha Ă  ne pas alimenter les anciennes querelles partidaires, en veillant Ă  Ă©carter les voix les plus exaltĂ©es. Ce contexte politique plus apaisĂ© rĂ©gnant dans la dĂ©cennie 1849-1859, qui permit au rĂ©gime monarchique de se consolider, incita les jeunes universitaires Ă  s’éloigner quelque peu de la politique, et contribua Ă  ce qu’ils se vouassent davantage au monde des idĂ©es, Ă  la littĂ©rature, voire au romantisme sentimental. Pour le reste, la ville de Recife n’avait que peu de distractions Ă  offrir ; les loisirs de CĂ­cero Dantas consistaient en la lecture de revues, de journaux Ă  l’existence souvent Ă©phĂ©mĂšre, de livres de vers.

Le 16 dĂ©cembre 1859, en mĂȘme temps que 80 condisciples, dont 13 Bahianais, CĂ­cero Dantas acheva ses Ă©tudes et obtint la nouvelle licence en droit[28]. À son retour dans la terre natale, le sertĂŁo Ă©tait en fĂȘte : un sertanejo Ă©levĂ© au rang de doutor (docteur) Ă©tait en effet d’une occurrence rare.

DĂ©buts dans la vie publique

Le bourg campagnard de Bom Conselho, rĂ©sidence de prĂ©dilection de CĂ­cero Dantas. Au centre, l'Igreja Matriz, oĂč reposent les restes du baron.

Le pouvoir politique et le prestige social de la famille Dantas ne se limitait pas aux seules localitĂ©s d’ItapicurĂș et de Jeremoabo, mais s’étendait sur la quasi-totalitĂ© des chapellenies, paroisses et bourgs de l’arriĂšre-pays bahianais[29]. CĂ­cero Dantas cependant affectionnait particuliĂšrement l’étendue de terres oĂč, en juillet 1812, le missionnaire capucin ApolĂŽnio de Todi avait fait Ă©riger une chapelle en hommage Ă  Notre-Dame-de-Bon-Conseil (en port. Nossa Senhora do Bom Conselho) et qui en 1817 fut Ă©levĂ©e au statut de freguesia, aprĂšs avoir Ă©tĂ© sĂ©parĂ©e pour partie d’avec la paroisse de Jeremoabo et pour partie d’avec celle d’ItapicurĂș. Son grand-pĂšre, le capitaine-major JoĂŁo Dantas dos Imperiais, y avait dĂ©jĂ  mis pied dĂšs le dĂ©but du XIXe siĂšcle, comme l'atteste le fait que le dernier enregistrement cadastral de la maison Da Torre, datĂ© d’octobre 1815, mentionnait parmi les mĂ©tayers des D’Ávila le nom de JoĂŁo Dantas, avec les fazendas respectives. Avant 1832 dĂ©jĂ , le capitaine-major JoĂŁo Dantas avait resserrĂ© encore les liens de sa famille avec la freguesia de Bom Conselho (rebaptisĂ© depuis CĂ­cero Dantas) en acquĂ©rant de la dĂ©cadente Casa da Torre les terrains qui composaient ladite freguesia. Outre ces terres, le grand-pĂšre de CĂ­cero Dantas, tirant parti de la mĂ©gestion des terres mises en fermage par les seigneurs Da Torre et de la progressive perte de contrĂŽle de ceux-ci sur les Ă©tendues concernĂ©es, sut acquĂ©rir des fermes, des fazendas, de vastes extensions de terre, qui firent de lui et de ses descendants les successeurs des Garcia d’Ávila dans le sertĂŁo.

C’est dans cet environnement, faisant le va-et-vient entre Jeremoabo, Bom Conselho et ItapicurĂș, que le licenciĂ© en droit CĂ­cero Dantas s’employa Ă  consolider ses premiĂšres amitiĂ©s, dont quelques-unes lui Ă©taient venues par son pĂšre. C’est lĂ  aussi que, suivant l'exemple de son pĂšre, de son grand-pĂšre et de son bisaĂŻeul, verra le jour l’homme politique CĂ­cero Dantas Martins.

Plusieurs licenciĂ©s en droit de sa gĂ©nĂ©ration, Ă  peine eurent-ils quittĂ© les bancs de la facultĂ©, qu’ils faisaient leur entrĂ©e dans les assemblĂ©es provinciales et nationales (« gĂ©nĂ©rales »). Encore Ă©tudiant, CĂ­cero Dantas fut Ă©lu supplĂ©ant d’un dĂ©putĂ© provincial dans la Bahia, pour la 10e circonscription, pendant la lĂ©gislature 1860-1861, et alla occuper, le 3 aoĂ»t de cette derniĂšre annĂ©e, le siĂšge de son beau-frĂšre Fiel de Carvalho, Ă©lu dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral pour le Sergipe ; il n’exerça ainsi aucune fonction durable dans la magistrature, le passage par celle-ci faisant office, pour les licenciĂ©s en droit, d’une sorte de stage prĂ©paratoire Ă  l’entrĂ©e en politique — les licenciĂ©s passant de procureur Ă  juge, puis de juge Ă  dĂ©putĂ©, et ainsi de suite[30].

CĂ­cero Dantas entra en politique Ă  la fin de l’époque que l’historiographie brĂ©silienne dĂ©signe par Tempo Saquarema, d’aprĂšs le surnom donnĂ© aux conservateurs[31]. Il s’agit non seulement d’une pĂ©riode qui fut marquĂ©e par une prĂ©dominance temporelle des cabinets ministĂ©riels conservateurs au pouvoir (18 ans) relativement Ă  ceux libĂ©raux (5 ans), mais encore d’une pĂ©riode oĂč, idĂ©ologiquement, le projet de construction et de consolidation de l’État impĂ©rial suivait une voie conservatrice, au sens du maintien interne des privilĂšges coloniaux et de la mise en place d’une classe seigneuriale appelĂ©e Ă  reprĂ©senter ledit État[30]. L’historien Imar Rohloff de Mattos souligne qu’« un sentiment aristocratique — synthĂšse de la vision sur la politique et la sociĂ©tĂ© prĂ©valant Ă  cette Ă©poque —exprimait un fond historique forgĂ© par la colonisation, que les forces qui avaient jouĂ© un rĂŽle prĂ©dominant dans le processus d’émancipation politique (vis-Ă -vis du Portugal, NdT) ne se proposaient pas de modifier : le caractĂšre colonial et esclavagiste de cette sociĂ©tĂ© ». En rĂ©alitĂ©, il n’y avait pas, sous ce rapport, de diffĂ©rences essentielles entre les deux partis, puisque tous deux, conservateurs et libĂ©raux, Ă©taient Ă©galement conservateurs et conjuguaient leurs efforts pour empĂȘcher toute participation du peuple Ă  la prise de dĂ©cision politique ; l’aristocratie rurale, de toute maniĂšre, Ă©tait porteuse d’une politique antidĂ©mocratique et antipopulaire[32].

Le pĂšre de CĂ­cero Dantas, JoĂŁo Dantas, ses oncles JosĂ©, InĂĄcio et MaurĂ­cio, engagĂ©s dans le projet saquarema de construction et de prĂ©servation de l’ordre Ă©tabli et du statu quo, se maintinrent unis pendant quelque temps dans le but politique de faire obstacle aux diverses rĂ©bellions Ă  tendance libĂ©rale et de sauvegarder la hiĂ©rarchisation socio-politique et Ă©conomique existante.

La politique dite de conciliation adoptĂ©e par le marquis de ParanĂĄ, qui se prolongea jusqu’à 1857, donna suffisamment de latitude aux frĂšres Dantas pour se maintenir unis, mĂȘme si ce ne fut pas jusqu’à la fin de la pĂ©riode. Cependant, un projet de rĂ©forme administrative et Ă©lectorale du marquis de ParanĂĄ visait Ă  ce que dorĂ©navant la reprĂ©sentation politique provinciale et nationale fĂ»t dĂ©terminĂ©e Ă  l’échelon des villes et bourgs de l’intĂ©rieur, ce qui revenait Ă  Ă©vincer les politiciens de projection nationale pour leur substituer des jeunes gens frais Ă©moulus des Ă©coles de droit de SĂŁo Paulo et de Recife, il est vrai sous l’égide de chefs politiques locaux liĂ©s Ă  eux par les liens du sang. Par ce nouveau systĂšme Ă©lectoral par circonscription, le marquis se promettait une meilleure reprĂ©sentation de la rĂ©alitĂ© politique du pays et escomptait la formation d’une dĂ©putation authentique, de laquelle seraient choisis Ă  faire partie ceux qui dĂ©tenaient un prestige lĂ©gitime.

Pour CĂ­cero Dantas, qui faisait alors ses premiers pas en politique, se faire Ă©lire Ă  ce moment requĂ©rait plus que jamais l’appui des chefs locaux de son fief (commandant de corps militaire, coronel, juge), en l’occurrence son pĂšre et ses oncles. Cependant, l'entrĂ©e dĂ©finitive en politique de CĂ­cero Dantas, qui convoitait un siĂšge Ă  l’assemblĂ©e provinciale, se fit Ă  un moment oĂč sa famille se trouvait dĂ©jĂ  scindĂ©e en deux, par suite de la loi des Circonscriptions (Lei dos CĂ­rculos) entrĂ©e en vigueur en 1855 et d’un effet dĂ©sastreux pour la politique locale, attendu que chaque chef local, si petite que fĂ»t sa circonscription, Ă©tait en droit de prĂ©senter un candidat. Quand en 1859, avec l’aide de son pĂšre, CĂ­cero Dantas commença Ă  se mettre en quĂȘte de voix en faveur de sa candidature Ă  un siĂšge Ă  l’assemblĂ©e provinciale, il ne pouvait dĂ©jĂ  plus compter sur un soutien total de sa parentĂšle au complet[33].

Dans l’intervalle entre la premiĂšre Ă©lection disputĂ©e par CĂ­cero Dantas en 1859 et la deuxiĂšme, en 1861, cette fois pour le parlement national (la Chambre gĂ©nĂ©rale, en port. CĂąmara geral), quelques mutations eurent lieu dans le fonctionnement des institutions et dans le paysage socio-politique du BrĂ©sil. Le temps de l’hĂ©gĂ©monie saquarema touchait Ă  sa fin. Progressivement, les libĂ©raux avaient acquis l’appui des grands centres urbains d’alors — Rio de Janeiro, SĂŁo Paulo et Ouro Preto —, lesquels dĂ©fendaient une politique Ă©conomique plus ouverte, en opposition Ă  la mentalitĂ© saquarema, qui cherchait Ă  prĂ©server l’ancienne structure coloniale et seigneuriale, en porte-Ă -faux avec un ordre mondial plus progressiste et libĂ©ral.

Les Ă©lections de 1861 virent l’élection de grands reprĂ©sentants luzias (surnom des libĂ©raux), tels que TeĂłfilo Otoni, membre du groupe des libĂ©raux historiques de la pĂ©riode de la rĂ©gence (1831-1840). Cette grande victoire des libĂ©raux dans les urnes, qu’avait favorisĂ©e l’aspiration Ă  la libertĂ© Ă©conomique, permit la mise Ă  l’écart du pouvoir des conservateurs radicaux et l’ascension des modĂ©rĂ©s radicaux auxquels s’associĂšrent les anciens libĂ©raux, les premiers souhaitant se borner Ă  quelques rĂ©formes partielles et les seconds s’appliquant Ă  Ă©viter de possibles rĂ©volutions. Les Dantas, qui Ă©taient restĂ©s jusque-lĂ , malgrĂ© toutes les querelles dĂ©clenchĂ©es par la loi des Circonscriptions, au sein du mĂȘme parti, rompirent Ă  prĂ©sent officiellement et se sĂ©parĂšrent dans des groupes opposĂ©s. Le colonel JosĂ© Dantas, son fils Gualberto, son gendre et neveu le Dr JoĂŁo Dantas et ses neveux Manuel et MaurĂ­cio Dantas rejoignirent les politiciens nationaux Nabuco, Zacarias, Olinda et Saraiva, lesquels s’étaient Ă©loignĂ©s du parti conservateur et avaient fait alliance avec la dĂ©nommĂ©e Ligue (ou Parti) progressiste, devenant de ce fait des Luzias, tandis que le colonel JoĂŁo Dantas, ses fils JoĂŁo, CĂ­cero et BenĂ­cio, son gendre Fiel et ses neveux JosĂ© InĂĄcio et PortĂĄtil, demeuraient des Saquaremas[34].

CĂ­cero Dantas, Ă  cause de ces dissensions familiales, ne parvint pas en 1861 Ă  s’emparer d’un siĂšge Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s gĂ©nĂ©raux. Les fraudes et falsifications Ă©lectorales, notamment la fabrication d’électeurs fantĂŽmes, Ă©taient des pratiques communes tout au long de la pĂ©riode monarchique et ne se limitaient pas Ă  tel ou tel parti. Les annĂ©es 1860, oĂč le parti conservateur tendait Ă  perdre de ses forces, furent donc difficiles pour CĂ­cero Dantas, qui dut se rĂ©signer Ă  subir une enfilade de cabinets libĂ©raux : Zacarias, Olinda, Francisco JosĂ© Furtado, puis derechef Zacarias.

NĂ©anmoins, CĂ­cero Dantas rĂ©solut de relever le dĂ©fi et en 1863 entra en lice pour un siĂšge de dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral, dans le cadre de la 12e lĂ©gislature (1864-1866), pour la 4e circonscription. Comme de juste, il perdit l’élection, au bĂ©nĂ©fice de son cousin Manuel Pinto de Souza Dantas, Ă©lu conjointement avec JosĂ© AntĂŽnio Saraiva et JoĂŁo Ferreira de Moura. Ne rĂ©ussissant pas Ă  se faire Ă©lire pendant sept ans, vu que son parti se trouvait Ă©cartĂ© du pouvoir, CĂ­cero Dantas occupa ses journĂ©es Ă  aider son pĂšre dans la vie politique locale de Bom Conselho et de Jeremoabo, Ă  vaquer Ă  ses affaires de fils de fazendeiro et Ă  accomplir quelques voyages pour Salvador[35]. C’est vraisemblablement Ă  l’occasion d’un de ces voyages, Ă  Salvador mĂȘme ou de passage dans le RecĂŽncavo, qu’il fit la connaissance de Mariana da Costa Pinto ; celle-ci appartenait Ă  une grande famille de la rĂ©gion, installĂ©e lĂ  vers la fin du XVIIIe siĂšcle et dont la figure tutĂ©laire Ă©tait AntĂŽnio da Costa Pinto (son grand-pĂšre paternel), le fondateur, originaire de la province portugaise d’Entre-Douro e Minho, venu dans la Bahia, comme nombre d'autres patriciens, pour y faire du commerce et finissant par s’y installer comme propriĂ©taire rural, possĂ©dant dĂ©jĂ , en 1799, plusieurs propriĂ©tĂ©s Ă  Santo Amaro, Cachoeira et Água Fria. CĂ­cero Dantas eut, pour Ă©pouser cette jeune fille issue de la caste trĂšs fermĂ©e des patrons de plantation et de moulin Ă  sucre (engenho) du RecĂŽncavo, Ă  franchir deux obstacles : celui de n’ĂȘtre pas propriĂ©taire de terres sises dans la mĂȘme rĂ©gion, susceptibles d'ĂȘtre adjointes Ă  celles de l’épousĂ©e, la stratĂ©gie matrimoniale consistant en effet Ă  toujours augmenter ou du moins conserver les biens que l’on possĂšde ; et celui de s’introduire dans une famille oĂč, sur 26 mariages rĂ©alisĂ©s, 12 furent endogames, c’est-Ă -dire contractĂ©s avec des membres de la mĂȘme famille[36].

Les Ă©pousailles eurent lieu en novembre 1865 dans le domaine Regalo, qui devint, Ă  titre de dot, propriĂ©tĂ© du nouveau mĂ©nage. À partir de cet instant, CĂ­cero Dantas cessa d’ĂȘtre un simple sertanejo et pouvait se considĂ©rer appartenant Ă©galement au monde du RecĂŽncavo sucrier.

ActivitĂ© politique sous l’Empire

Dans l’intervalle de 30 ans qui va de 1859 Ă  1889, c’est-Ă -dire tout au long de la partie de sa vie publique qui se situe sous l’Empire, CĂ­cero Dantas Martins tĂącha de mener une action politique au service des valeurs et principes conservateurs. Au cours de sa trajectoire de parlementaire, de patron d’exploitation sucriĂšre et de grand propriĂ©taire terrien, il se trouvait ainsi en parfaite rĂ©sonance avec le grand dessein de la classe seigneuriale, et par lĂ  mĂȘme — abstraction faite de la toute fin de cette phase — avec le rĂ©gime impĂ©rial[36].

Il est lĂ©gitime de postuler l’existence d’une Ăšre saquarema, caractĂ©risĂ©e par la dĂ©fense d’un intĂ©rĂȘt supĂ©rieur dans tous les secteurs du systĂšme patrimonialiste, d’abord Ă  l’époque de la colonie, puis pendant le processus de bureaucratisation de l’Empire. Cet intĂ©rĂȘt supĂ©rieur s’incarne dans les piliers mĂȘmes du rĂ©gime monarchique et de la classe qui le reprĂ©sente, Ă  savoir la continuation de l’esclavage et le maintien d’une Ă©conomie agraire d’exportation, ce qui impliquait la perpĂ©tuation d’une Ă©lite politique qui s’était constituĂ©e Ă  l’époque coloniale. Tant les conservateurs que les libĂ©raux avaient une sorte de gouverne interne guidĂ©e par leurs propres intĂ©rĂȘts politiques, Ă©conomiques et sociaux, qui se rĂ©sumaient en un seul dessein : la non mise en cause des privilĂšges de la classe seigneuriale dont ils faisaient partie et unis dans laquelle, en dĂ©pit de leurs diffĂ©rences, ils Ă©laboraient une mentalitĂ© commune qui leur Ă©tait spĂ©cifique[37].

L’historiographie brĂ©silienne a subdivisĂ© l’Empire en trois pĂ©riodes — les pĂ©riodes d’action, de rĂ©action et de transition[38]. La phase de rĂ©action peut ĂȘtre situĂ©e entre 1836 et 1852 : l’élite dirigeante en effet inaugure une pĂ©riode de stabilitĂ© politique dans la mesure oĂč ladite Ă©lite, une fois terminĂ©es les rĂ©bellions de la rĂ©gence, eut dorĂ©navant le loisir de mettre en Ɠuvre sa stratĂ©gie politique de survie, en se raidissant sur le maintien d’une Ă©conomie agraire d’exportation et du systĂšme esclavagiste, et en s’appliquant Ă  Ă©carter de la reprĂ©sentativitĂ© Ă©lectorale les autres secteurs de la sociĂ©tĂ©. Cette pĂ©riode culmine avec le gouvernement du marquis de ParanĂĄ (1853-1858)[39].

La dĂ©nommĂ©e loi des Circonscriptions entra en vigueur en septembre 1855. Aux termes de cette loi, les candidats Ă  un siĂšge de dĂ©putĂ© cessaient de reprĂ©senter telle ou telle province dans son ensemble, mais uniquement telle circonscription Ă©lectorale Ă  l’intĂ©rieur de la province concernĂ©e, chaque circonscription Ă©lisant un unique dĂ©putĂ© ; trois ans plus tard, l’on fixa le nombre de dĂ©putĂ©s Ă  trois par circonscription. DĂ©sormais, la reprĂ©sentation politique provinciale et nationale serait dĂ©terminĂ©e au niveau des villes et bourgs de l’intĂ©rieur, sous l’égide des chefs politiques locaux, dont beaucoup Ă©taient liĂ©s entre eux par les liens du sang. Le nouvel arrangement offrait plus de possibilitĂ©s aux jeunes frais sortis des Ă©coles de droit de SĂŁo Paulo et de Recife, qui, retournĂ©s diplĂŽme en poche dans leurs villes et municipalitĂ©s, guettaient le moment oĂč ils pourraient faire leur entrĂ©e dans la vie publique.

C’est dans ce contexte que le baron de Jeremoabo se lança dans la politique, concomitamment avec ses frĂšres et cousins germains. Ces dĂ©buts cependant ne se feront pas dans un climat d’harmonie, car, en confirmation des craintes de l’opposition, la loi eut pour effet d’encourager une politique clientĂ©liste et entraĂźna un renforcement de l’autoritĂ© des potentats locaux. Les vieux Dantas, qui dominaient la 10e circonscription, Ă©taient en dĂ©saccord quant aux personnalitĂ©s Ă  dĂ©signer pour reprĂ©senter leur circonscription. Chaque notable prĂ©sentait son propre candidat en fonction de ses intĂ©rĂȘts et compte tenu des liens du sang, faisant ainsi la claire dĂ©monstration de la fusion entre public et privĂ© dans la vie politique brĂ©silienne. La querelle politique entre les Dantas, commencĂ©e sur des enjeux Ă©lectoralistes purement locaux, s’exacerba en 1861, quand les parties adverses furent amenĂ©es Ă  se positionner plus clairement par rapport Ă  l’antagonisme politique entre parti conservateur et libĂ©ral Ă  l’échelon national[40]. Dans l’intervalle entre la premiĂšre Ă©lection disputĂ©e par CĂ­cero Dantas en 1859 et la deuxiĂšme en 1861, pour un siĂšge au parlement national, quelques changements s’étaient produits. Les libĂ©raux, tenus Ă  l’écart de la prĂ©sidence du Conseil depuis 1848, avaient rĂ©ussi Ă  obtenir progressivement des appuis de la part des grands centres urbains (Rio de Janeiro, SĂŁo Paulo et Ouro Preto) dĂ©sireux d’une politique Ă©conomique plus ouverte. Le scrutin de 1861 fut gagnĂ© par de hautes personnalitĂ©s luzias, comme TeĂłfilo Ottoni. Ces glissements finirent par provoquer un rĂ©arrangement des forces politiques au niveau national : les conservateurs radicaux en furent Ă©loignĂ©s, devant faire place aux conservateurs modĂ©rĂ©s, lesquels conclurent un compromis avec les anciens libĂ©raux. De cette reconfiguration surgit un groupe qui se qualifia de progressiste, fondant une ligue que l’on allait appeler Ligue progressiste. Face Ă  cela, les Dantas, qui en dĂ©pit de toutes les dissensions causĂ©es par la loi des Circonscriptions Ă©taient restĂ©s ensemble au sein du parti conservateur, rompirent maintenant officiellement, en se rĂ©partissant dans des groupements opposĂ©s. Le pĂšre de CĂ­cero Dantas, JoĂŁo Dantas, et ses fils restĂšrent dans le parti conservateur, tandis que son oncle JosĂ© Dantas et ses cousins prirent leurs distances vis-Ă -vis du parti conservateur, adhĂ©rĂšrent au parti (ou Ă  la ligue) Progressiste en rejoignant Nabuco, Zacarias, Olinda et Saraiva, et se muaient ainsi en Luzias.

José Gonçalves da Silva, allié et ami intime de Cícero Dantas.

Mettant Ă  profit l’avĂšnement du cabinet conservateur du vicomte d'ItaboraĂ­ en juillet 1868, CĂ­cero Dantas se porta candidat pour la 4e circonscription, en vue d’un siĂšge de dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral pour la 14e lĂ©gislature, et fut Ă©lu en mĂȘme temps que son grand ami JosĂ© Gonçalves et que le magistrat LuĂ­s AntĂŽnio Pereira Franco. Son cousin du parti libĂ©ral JoĂŁo Gualberto Dantas l’accusa d’avoir, conjointement avec son pĂšre, le colonel JoĂŁo Dantas, commis des violences et des actions arbitraires afin de gagner les Ă©lections ; il est vrai que depuis les dĂ©buts de l’Empire existait l’idĂ©e qu’il n’y avait pas d’autre moyen de parvenir au pouvoir si ce n’est par la violence. Les antagonismes politiques tendaient Ă  devenir sanglants, et gouverner Ă©tait devenu Ă©quivalent Ă  exercer un pouvoir arbitraire. Il Ă©tait de coutume que, pour dominer le pays, le parti au gouvernement national nommĂąt des prĂ©sidents de province Ă  son grĂ© et fĂźt remplacer les autoritĂ©s judiciaires et policiĂšres dont la loyautĂ© pouvait lui apparaĂźtre douteuse. Pendant que se tenaient les Ă©lections, les chefs politiques postaient des bandes armĂ©es dans les rues ; le gouvernement mettait les Ă©lecteurs sous contrainte et falsifiait le rĂ©sultat des urnes. Les libĂ©raux autant que les conservateurs eurent recours Ă  de telles pratiques, aussitĂŽt qu’ils occupaient le pouvoir[41].

Dans cette mĂȘme pĂ©riode, CĂ­cero Dantas fut Ă©lu Ă©galement Ă  l’AssemblĂ©e provinciale, pour la lĂ©gislature de 1870 Ă  1871. De la date de son Ă©lection comme dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral en 1869, jusqu’à la chute du cabinet de Caxias-Cotegipe en 1878, il connut dix annĂ©es politiquement fastes, avec l’arrivĂ©e au pouvoir de quatre cabinets ministĂ©riels conservateurs. Pour le reste, CĂ­cero Dantas ne se sentait pas une Ăąme d’orateur, et parla peu. Sa participation au travail de la Chambre se situa davantage dans les commissions parlementaires que dans les dĂ©bats en sĂ©ance plĂ©niĂšre. Il fit ses dĂ©buts parlementaires au niveau national au sein de la commission de l’Agriculture, des Mines et des ForĂȘts, dont il fut Ă©lu membre. Au cours de sa seule premiĂšre lĂ©gislature (1869-1872), il assista Ă  l’action de trois cabinets ministĂ©riels diffĂ©rents. En 1871, alors que Rio Branco assurait dĂ©jĂ  la prĂ©sidence du Conseil, CĂ­cero Dantas fut choisi avec d’autres collĂšgues pour recevoir l’empereur dans l’enceinte parlementaire et l’entendre prononcer son discours du trĂŽne, qui avait cette annĂ©e-lĂ  pour sujet principal le programme du gouvernement Rio Branco, en particulier la question de l’esclavage et de la libertĂ© des ventres[42].

En 1872, Ă  l’approche de la fin de la 14e lĂ©gislature, il lui fallut retourner au plus vite dans sa province pour y prĂ©parer le combat Ă©lectoral Ă  venir. La 4e circonscription, zone d’influence des Dantas depuis le dĂ©but de la dĂ©cennie 1860, de vaste Ă©tendue, comprenait 13 collĂšges Ă©lectoraux, englobait une trentaine de paroisses avec 858 Ă©lecteurs, et devait Ă©lire 3 dĂ©putĂ©s. CĂ­cero Dantas disposait de trois mois pour mener sa campagne, la date des Ă©lections Ă©tant fixĂ©e au 18 aoĂ»t. Il eut fort Ă  faire Ă  se renseigner sur l’attitude des diffĂ©rents procureurs, juges municipaux et des tutelles dispersĂ©s dans les arrondissements sous son influence. La lutte se jouait avec ĂąpretĂ© car, si un gouvernement conservateur se trouvait alors au pouvoir, ses cousins luzias bĂ©nĂ©ficiaient de l’aide de Manuel Dantas, qui Ă  ce moment jouissait dĂ©jĂ  d’un prestige de portĂ©e nationale. CĂ­cero Dantas fut Ă©lu, mais pas Ă  son entiĂšre satisfaction ; en effet, au lieu de son vieux compagnon JosĂ© Gonçalves, ce fut InocĂȘncio Marques de AraĂșjo Gois JĂșnior qui rĂ©ussit Ă  se faire Ă©lire. Le dĂ©compte, reconnu et acceptĂ©, s’établissait comme suit pour la 4e circonscription de la Bahia : LuĂ­s AntĂŽnio Pereira Franco, 814 voix ; CĂ­cero Dantas Martins, 787 voix ; InocĂȘncio Marques de AraĂșjo GĂłes JĂșnior, 681 voix[43]. Cette Ă©lection, qui marqua le dĂ©but de sa maturitĂ© politique, est Ă  considĂ©rer sans doute comme l’une des plus difficiles de sa vie, attendu qu’il eut Ă  lutter quasiment seul pour s’attacher des voix ; en particulier, il dut se passer de l’appui de son pĂšre, qui, vieilli, s’éteignit le 7 aoĂ»t Ă  CamuciatĂĄ, la veille du scrutin. Son frĂšre aĂźnĂ© Ă©lira domicile dans le Sergipe, son frĂšre BenĂ­cio mourra en 1866, et son beau-frĂšre Fiel sera amenĂ© Ă  prendre part Ă  la vie politique sergipienne, demeurant dans la capitale de cette province jusqu’à la fin de sa vie.

Durant les lĂ©gislatures de 1872 Ă  1875 et de 1876 Ă  1877, il fut donnĂ© Ă  CĂ­cero Dantas de s’impliquer dans deux questions qui eurent leur part dans le processus de dĂ©sintĂ©gration du rĂ©gime monarchique : la question religieuse et la rĂ©forme Ă©lectorale. Compte tenu que l’Église catholique reprĂ©sentait un important pilier sur lequel s’appuyait le trĂŽne, les dĂ©putĂ©s gĂ©nĂ©raux et les sĂ©nateurs Ă©taient conscients de la gravitĂ© du problĂšme, Ă  telle enseigne que la question religieuse fut pendant un temps le sujet principal des dĂ©bats du Parlement et ne laissa de prĂ©occuper le dĂ©putĂ© CĂ­cero Dantas, quand mĂȘme il ne prit jamais position officiellement Ă  la Chambre[44]. Entre-temps, CĂ­cero Dantas continua son travail quotidien au sein des commissions parlementaires ; en mai 1874, il fut Ă©lu membre de la commission chargĂ©e des affaires des assemblĂ©es provinciales.

En juillet 1874, la date approchait de la naissance de son deuxiĂšme fils, dont il voulait qu’il fĂ»t bahianais (son premier fils, JoĂŁo da Costa Pinto Dantas, Ă©tait nĂ© Ă  Rio de Janeiro, en juillet 1873, loin de la terre natale de ses ancĂȘtres). C’est pourquoi sa femme Mariana s’était abstenue d’accompagner son mari lors de cette lĂ©gislature. L’enfant vint au monde en aoĂ»t 1874 dans le domaine sucrier de son grand-pĂšre maternel et fut baptisĂ© du nom de celui-ci, AntĂŽnio da Costa Pinto Dantas.

Contrairement Ă  ses prĂ©visions pessimistes, CĂ­cero Dantas remporta les Ă©lections en vue de la 16e lĂ©gislature (1876-1877). Il fut Ă©lu en mĂȘme temps que son cousin libĂ©ral, le conselheiro Dantas, et que le licenciĂ© Pedro LeĂŁo Veloso. Ces victoires Ă©lectorales entraĂźnant de constants voyages vers la capitale nationale, CĂ­cero Dantas ressentit par contrecoup la nĂ©cessitĂ© de s’intĂ©resser davantage Ă  ses fiefs Ă©lectoraux. Bom Conselho Ă©tait son fief prĂ©fĂ©rĂ©, et prĂ©sentait l’avantage, par rapport Ă  ItapicurĂș, qu’il y Ă©tait le chef unique et incontestĂ© de la rĂ©gion. Conjointement avec d’autres rĂ©sidents de la localitĂ©, il sollicita, en sa qualitĂ© de dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral, auprĂšs du prĂ©sident de la province de Bahia, JoĂŁo Capistrano Bandeira de Melo, que cette freguesia fĂ»t Ă©levĂ©e au rang de vila sous le nom de Nossa Senhora do Bom Conselho do Montes do BoqueirĂŁo, Ă  quoi il fut accĂ©dĂ© en juin 1875 ; en mars 1876, CĂ­cero Dantas prit ses fonctions de vereador et de prĂ©sident de la premiĂšre chambre municipale de Bom Conselho[45].

À la fin de la lĂ©gislature l’attendait une nouvelle bataille Ă©lectorale, que son parti, Ă©cartĂ© du pouvoir, perdit ; furent Ă©lus en revanche son cousin libĂ©ral Rodolfo Epifanio de Souza Dantas, le conselheiro Dantas et d’autres personnalitĂ©s parmi ses adversaires. AprĂšs huit annĂ©es d’allĂ©es et venues entre la capitale et ses terres, son espace quotidien sera constituĂ© dĂ©sormais, pendant sept ans, jusqu’au retour au pouvoir de la faction conservatrice, de ses plantations de canne Ă  sucre et de la caatinga du sertĂŁo, mĂȘme s’il ne se tint pas totalement Ă  l’écart de l’agitation politique.

Il entra en lice pour la 18e lĂ©gislature, pendant qu’était dĂ©jĂ  en vigueur la loi Saraiva, qui avait rĂ©tabli les circonscriptions Ă  un seul dĂ©putĂ©, levait quelques incompatibilitĂ©s, imposait des peines sĂ©vĂšres en cas de fraude, Ă©tendait le vote aux naturalisĂ©s, aux non catholiques et aux esclaves affranchis, et surtout introduisait les titres Ă©lectoraux[46]. Parmi les motifs principaux Ă  l’origine de cette modification du systĂšme Ă©lectoral, le problĂšme le plus complexe Ă©tait celui de la fraude, si frĂ©quente lors des Ă©lections. Nonobstant tous les remodelages, la fraude Ă©lectorale ne cessera jamais d’exister, changeant seulement quant Ă  sa forme. CĂ­cero Dantas, son parti Ă©tant Ă©cartĂ© du pouvoir, sera victime de ces fraudes, notamment Ă  l’occasion de l’établissement des listes Ă©lectorales, dont, dit-il dans une lettre Ă  Gonçalves, ses amis avaient Ă©tĂ© exclus.

CĂ­cero Dantas passa trois ans de plus sans mandat politique, ce qui lui laissa le temps de s’occuper de sa famille et de ses domaines. Pour distraire ses proches, il organisa des fĂȘtes de la Saint-Jean, suivies de neuvaines. Chaque nuit de ces neuvaines Ă©tait consacrĂ©e Ă  un groupe de personnes rĂ©unies selon la position sociale, la profession qu’elles exerçaient dans la fazenda, ou le degrĂ© de parentĂ© ou d’intimitĂ© avec la famille du propriĂ©taire. Une nuit Ă©tait ainsi vouĂ©e aux gardiens de bĂ©tail (vaqueiros), une autre aux voituriers, et ainsi de suite jusqu’à la neuviĂšme et derniĂšre nuit, dĂ©diĂ©e au maĂźtre de cĂ©ans et Ă  sa famille[47].

Au second semestre de 1884, une nouvelle Ă©lection pour laquelle il souhaitait se porter candidat le conduisit de nouveau Ă  sillonner le sertĂŁo. Il savait que dans ce scrutin, oĂč il aurait Ă  affronter un autre sien cousin, le Dr JoĂŁo dos Reis de Souza Dantas Filho, dĂ©butant en politique, et pour la Chambre provinciale un autre personnage Ă  l’égard duquel il Ă©prouvait une grande antipathie, sa victoire apparaissait quasi impossible, Ă©tant donnĂ© que son adversaire Ă©tait le neveu du conselheiro Dantas, qui occupait depuis le 6 juin la prĂ©sidence du Conseil, appelĂ© Ă  ce poste pour aider Ă  rĂ©soudre la crise financiĂšre.

Dans le mĂȘme temps avait dĂ©butĂ© la pĂ©riode de la propagande abolitionniste. La classe dominante esclavagiste se trouva contrainte de faire de nouvelles concessions, lesquelles en rĂ©alitĂ© avaient pour but de freiner le mouvement abolitionniste. Le cabinet Dantas, circonspect, avait adoptĂ© la devise « ne pas s’immobiliser, ne pas rĂ©trocĂ©der, ne pas prĂ©cipiter », et proposa une loi tendant Ă  l’affranchissement de tout esclave ayant atteint l’ñge de 60 ans — mesure dĂ©pourvue de sens, attendu qu’un esclave sexagĂ©naire n’aurait de toute la façon plus la force de travailler et de survivre en libertĂ©. CĂ­cero Dantas, qui avait bien perçu la duperie de cette loi, Ă©crivit Ă  Gonçalves le 18 juin 1884 : « Admire le cynisme avec lequel Dantas se prĂ©sente devant les Chambres donnant lecture du cĂ©lĂšbre programme Ă©crit. Il est l’homme taillĂ© pour la situation ».

En dĂ©pit de la conjoncture dĂ©favorable, CĂ­cero Dantas prĂ©para en octobre dans son domaine de CamuciatĂĄ un memorandum Ă©crit, destinĂ© Ă  solliciter des voix, mais perdit la partie, par 24 voix seulement[48]. Le cabinet de son cousin Dantas tomba le 6 mai pour n’avoir pas pu faire passer la loi d’affranchissement des sexagĂ©naires. Lui succĂ©dera celui de Saraiva, le 6 mai 1885, qui adaptera la loi et la fera approuver dans le cabinet suivant. Ensuite, en un peu plus d’un mois, les conservateurs, emmenĂ©s par le baron de Cotegipe, rĂ©ussirent Ă  revenir au pouvoir, ce qui fut copieusement fĂȘtĂ© au domaine de Regalo[49].

Caricature du baron dans la revue satirique O Faísca (l'Étincelle) en 1885.

La candidature de CĂ­cero Dantas pour la 20e lĂ©gislature, la derniĂšre de l’Empire, se prĂ©senta donc sous les meilleurs auspices ; mĂȘme Ă  ItapicurĂș, il put faire le plein des voix, car son cousin libĂ©ral JoĂŁo Gualberto Dantas avait fait la paix avec lui. Mais, contrariant les perspectives politiques et causant la surprise chez les conservateurs, CĂ­cero Dantas publia inopinĂ©ment un manifeste dans le Jornal de NotĂ­cias du 30 octobre 1885, oĂč il annonçait qu’il se retirait de l’activitĂ© politique et prenait congĂ© de ses amis, en invoquant ses doutes quant Ă  sa capacitĂ© d’ĂȘtre encore utile, ses fatigues et son « extĂ©nuation » aprĂšs un combat sans trĂȘve de plus de 25 ans, sa longue et amĂšre expĂ©rience, et enfin son Ăąge et son Ă©tat de santĂ©. En rĂ©alitĂ©, il avait eu quelques ennuis avec les dirigeants du parti. Cependant, cĂ©dant aux pressions de la direction du parti, qui dans une circulaire du 25 novembre conjura le baron d’assumer sa candidature, affirmant « ne pouvoir se passer des prĂ©cieux services et des patriotiques efforts d’un alliĂ© si prestigieux », CĂ­cero Dantas finit par se raviser et, le 15 janvier 1886, prit part aux Ă©lections dans le sertĂŁo, l’emportant par 591 voix sur un total de 1020 Ă©lecteurs participants. Avant de se mettre en route pour la capitale Rio de Janeiro, il passa d’abord, prĂ©occupĂ© par la production de ses propriĂ©tĂ©s, un mois dans ses deux principaux domaines et moulins Ă  sucre, CamuciatĂĄ et Regalo, pour y mettre les travaux en bon ordre[50]. Jusqu’à la chute de l’Empire en 1889, il connut encore trois cabinets ministĂ©riels, celui de Cotegipe, de JoĂŁo Alfredo et d’Ouro Preto, ce dernier libĂ©ral. Les principales questions dĂ©battues durant cette pĂ©riode (1885-1889) s’insĂ©raient dans le contexte du processus de dĂ©composition de la monarchie dĂ©jĂ  en cours depuis la dĂ©cennie 1870 ; les ferments de ce processus qu’étaient le mĂ©contentement dans l’armĂ©e, les idĂ©es abolitionnistes, les clubs rĂ©publicains, se manifestĂšrent avec plus d’intensitĂ© Ă  mesure que les contradictions du rĂ©gime monarchique s’exacerbaient, et finirent par le faire chanceler. Dans ce climat d’incertitude politique, tant pour lui-mĂȘme que pour le rĂ©gime qu’il reprĂ©sentait, CĂ­cero Dantas tint registre des dĂ©fections successives et se posa en observateur des crises qui allaient peu Ă  peu miner les structures de l’Empire brĂ©silien[51].

En association avec la famille Costa Pinto de son beau-frĂšre, CĂ­cero Dantas fonda dans le RecĂŽncavo un moulin Ă  sucre, dĂ©nommĂ© Engenho Central do Bom Jardim, dont la construction fut confiĂ©e Ă  une firme française, la compagnie de Fives-Lille, et qui fut inaugurĂ© en janvier 1880 ; ce sera l’une des ultimes tentatives de la vieille Ă©lite aristocratique bahianaise de conserver ses privilĂšges. Mettant Ă  profit la premiĂšre loi provinciale, votĂ©e en 1874, subventionnant la construction d’usines dites centrales, puis l’adoption du dĂ©cret lĂ©gislatif de novembre 1875, assurant la garantie des intĂ©rĂȘts tirĂ©s de ces usines centrales, les principaux associĂ©s du projet (les familles Costa Pinto et Jeremoabo) tablaient sur l’union des secteurs privĂ© et public comme unique moyen d’assurer la survie des exportations agricoles.

En guise de reconnaissance de services rendus au pays, l’empereur Pedro II confĂ©ra un titre nobiliaire Ă  AntĂŽnio da Costa Pinto, Ă©levĂ© Ă  la dignitĂ© de comte de Sergimirim, au baron da Oliveira, Ă©levĂ© Ă  la dignitĂ© de vicomte, et au licenciĂ© en droit CĂ­cero Dantas Martins, Ă©levĂ© Ă  la dignitĂ© de baron de Jeremoabo[52]. Ce dernier fut en particulier remerciĂ© par l’empereur pour avoir eu la dĂ©licatesse de lui envoyer le premier sac de sucre raffinĂ© dans son usine[53]. La raffinerie fut revendue en 1891, Ă  la suite de quoi l’intĂ©rĂȘt de CĂ­cero Dantas se reporta Ă  nouveau sur ses domaines de l’intĂ©rieur[54].

En 1879, CĂ­cero Dantas vit l’occasion d’augmenter encore ses possessions, quand le directeur du service des Affaires indiennes, le comte de Sergimirim, neveu de Jeremoabo, dĂ©cida d’invalider les revendications indigĂšnes sur les Ă©tendues de terre qui avaient autrefois appartenu aux dĂ©nommĂ©es missions indiennes dans la Bahia ; pourtant, ces terres, sises dans les environs de Jeremoabo, Pombal et Itapicuru, avaient Ă©tĂ© concĂ©dĂ©es aux villages indiens et avaient jusque-lĂ  Ă©tĂ© considĂ©rĂ©es comme lĂ©galement sacro-saintes[55].

Sous la RĂ©publique

Contextualisation

La proclamation de la république, par Benedito Calixto.

La proclamation de la RĂ©publique en 1889 provoqua la surprise dans toutes les provinces de l’Empire, mais surtout par la maniĂšre — au moyen d'un coup d'État militaire — dont l’évĂ©nement se produisit. L’élite politique impĂ©riale, si elle s’attendait Ă  l’instauration d’un nouveau rĂ©gime, avait espĂ©rĂ© en mĂȘme temps, comme Jeremoabo et au contraire des mouvements radicaux, que le changement politique se mettrait en place graduellement. CĂ­cero Dantas Ă©crivit Ă  Gonçalves : « ... Le changement de gouvernement ne m’a pas surpris et n’a pas dĂ» te surprendre non plus ; la surprise a Ă©tĂ© la rapiditĂ© et la façon dont cela s’accomplit... »

Conservateurs et libĂ©raux, redoutant que le nouveau rĂ©gime se rĂ©clamĂąt d’une idĂ©ologie tendant Ă  dĂ©faire l’organisation traditionnelle du pouvoir, ne se rangĂšrent Ă  l’ordre nouveau que deux jours plus tard (le 17 novembre), lorsqu’ils s’avisĂšrent que la situation Ă©tait irrĂ©versible[56]. Rui Barbosa, surgissant comme l’un des hommes forts du rĂ©gime rĂ©publicain, fut nommĂ© vice-prĂ©sident du gouvernement provisoire et ministre des finances. Cette situation, en plus de perpĂ©tuer le prestige des cousins libĂ©raux de CĂ­cero Dantas, lesquels cousins, en particulier Ă  travers la personne du conselheiro Dantas, avaient Ă©tĂ© les parrains et les grands protecteurs de Rui Barbosa dans la vie publique, Ă©tait susceptible de donner Ă  ce dernier beaucoup de pouvoir, c'est-Ă -dire Ă  quelqu’un qui s’était toujours montrĂ© un ennemi implacable des conservateurs et n’avaient voulu entretenir des relations d’aucune nature avec Jeremoabo. Lors des Ă©lections directes de dĂ©cembre 1884, alors que son parti, le parti libĂ©ral, se trouvait au pouvoir, Rui Barbosa avait Ă©tĂ© battu dans la 8e circonscription par InocĂȘncio GĂłes, grĂące au concours dĂ©cisif apportĂ© par Jeremoabo, puis, lors de la constituante fĂ©dĂ©rale, Jeremoabo s’opposa ouvertement Ă  lui. Le gouvernement provisoire fixa au 15 septembre 1890 la date de la premiĂšre Ă©lection de l’ùre rĂ©publicaine, en vue de la composition de l’AssemblĂ©e constituante nationale.

Aux dĂ©buts de la RĂ©publique, la Bahia ne disposait plus en rĂ©alitĂ© de dirigeants politiques de premier plan. Des politiciens moins influents allaient prendre la tĂȘte du parti conservateur aussi bien que du parti libĂ©ral, et le baron de Cotegipe mourut en fĂ©vrier 1890. À l’avĂšnement du nouveau rĂ©gime, les partis conservateur et libĂ©ral Ă©taient Ă  bout de souffle, rendant nĂ©cessaire la mise sur pied d’organisations nouvelles aptes Ă  recueillir les innombrables personnalitĂ©s politiques de l’Empire dĂ©chu, en quĂȘte de nouveaux partis qui les mettraient en mesure d’accĂ©der de nouveau au pouvoir et de s’y maintenir[57].

Action politique sous la république

La PremiĂšre RĂ©publique brĂ©silienne (dite RepĂșblica Velha, la Vieille RĂ©publique) peut se diviser en quatre pĂ©riodes.

La premiĂšre, qui va de 1889 Ă  1893 et coĂŻncide avec la phase d’implantation du nouveau rĂ©gime, peut Ă  son tour ĂȘtre subdivisĂ©e en deux autres : l’une, qui s’étend du 15 novembre 1889 jusqu’au 5 fĂ©vrier 1891, date de la tenue des Ă©lections en vue de composer l’AssemblĂ©e constituante, et pendant laquelle CĂ­cero Dantas n’occupa aucune charge publique, se contentant, comme la majoritĂ© des politiques bahianais, d’attendre la mise en place des nouvelles institutions ; et l’autre, allant de 1891, annĂ©e oĂč il fut Ă©lu sĂ©nateur de l’État de la Bahia, Ă  1893, annĂ©e de la premiĂšre scission du groupe oligarchique dominant de la province, devenue État fĂ©dĂ©rĂ©. InstallĂ©e le 7 avril, l’AssemblĂ©e constituante bahianaise acheva ses travaux le 2 juillet, Ă  l’issue de 55 sessions, en mĂȘme temps que fut promulguĂ©e la constitution de l’État. En accord avec une des dispositions transitoires de la loi constitutionnelle, il fut procĂ©dĂ© Ă  l’élection du premier gouverneur constitutionnel de l’État de la Bahia. JosĂ© Gonçalves se trouvait au pouvoir depuis le 16 novembre 1890, y ayant Ă©tĂ© nommĂ© par Manuel Deodoro da Fonseca[58].

Au moment du choix du prĂ©sident de l’AssemblĂ©e de la Bahia, l’action de Gonçalves fut dĂ©cisive. Les Ă©lecteurs prĂ©fĂ©raient LuĂ­s AntĂŽnio Barbosa de Oliveira, homme de grand savoir juridique, que des liens familiaux unissaient Ă  Rui Barbosa, le tout-puissant ministre des finances. Cependant, JosĂ© Gonçalves, qui Ă©tait celui qui distribuait les cartes Ă  Bahia, rĂ©ussit Ă  faire Ă©lire LuĂ­s Viana. Le 2 juillet 1891, face Ă  LuĂ­s Viana, JosĂ© Gonçalves, Ă©lu au suffrage indirect par le corps lĂ©gislatif, prit possession du poste de gouverneur de la Bahia.

Dans ce mĂȘme laps de temps, et avant de se rendre Ă  Rio de Janeiro, CĂ­cero Dantas, que prĂ©occupait la rĂ©forme de l’instruction publique, y participa activement, s’engageant en faveur d’une sĂ©rie d’amĂ©liorations de l’enseignement dans l’intĂ©rieur de l’État et prĂ©conisant des modifications de la lĂ©gislation, tendant notamment Ă  la nomination Ă  vie des enseignants bahianais. Une autre de ses prĂ©occupations Ă©tait l’organisation de la magistrature, piĂšce maĂźtresse du processus Ă©lectoral de la PremiĂšre RĂ©publique.

Le 3 novembre 1891, le marĂ©chal Deodoro da Fonseca accomplit un coup d’État et ordonna la dissolution du CongrĂšs constituant. Le gouverneur JosĂ© Gonçalves rĂ©solut de l’appuyer, en dĂ©pit de l’opposition de la chambre constituante[59]. Le 23 du mĂȘme mois, le vice-prĂ©sident Floriano Peixoto accĂ©da Ă  la prĂ©sidence de la RĂ©publique et rĂ©tablit les pouvoirs constitutionnels du pays, et dĂšs lors, la dĂ©mission du gouverneur de l’État de Bahia Ă©tait inĂ©luctable.

Par suite de la dĂ©mission de LuĂ­s Viana, pour lors prĂ©sident du sĂ©nat bahianais et substitut constitutionnel du gouverneur, de nouvelles Ă©lections furent proclamĂ©es, qui virent la victoire du sĂ©nateur Francisco Leal Ferreira JĂșnior, qui vint alors Ă  occuper provisoirement le gouvernement. Nonobstant tous ces Ă©vĂ©nements dĂ©favorables, JosĂ© Gonçalves, qui n’avait jamais perdu l’appui des principaux dirigeants de l’État, rĂ©ussit Ă  se ressaisir, en cofondant avec lesdits dirigeants, en mai 1892, le Parti RĂ©publicain FĂ©dĂ©raliste, lequel fit bloc pour permettre l’élection, le 28 mai 1892, de Joaquim Manuel Rodrigues Lima au poste de gouverneur de la Bahia. Ce fut la premiĂšre Ă©lection au suffrage populaire Ă  laquelle participa Jeremoabo. En fĂ©vrier, il s’était transportĂ© vers son domaine de CamuciatĂĄ pour, Ă  partir de lĂ , diriger la campagne Ă©lectorale. S’il parvint Ă  faire Ă©lire son candidat, il en demeura insatisfait nĂ©anmoins, s’inquiĂ©tant en particulier de la politique dictatoriale du marĂ©chal de fer, qui allait Ă  rebours des principes fĂ©dĂ©ralistes et d’autonomie des États fĂ©dĂ©rĂ©s.

Cependant, la sĂ©curitĂ© politique fut telle pour Jeremoabo qu’en mai 1892 il adressa un manifeste Ă  ses amis leur recommandant, en vue d’un siĂšge au SĂ©nat fĂ©dĂ©ral, le nom de Rui Barbosa, son ennemi politique durant tout l’Empire et crĂ©ature politique de ses cousins libĂ©raux[60].

La rĂ©union, dans un parti unique, des principaux cercles dirigeants de la Bahia permit Ă  la faction gouvernementale de l’emporter aisĂ©ment dans les Ă©lections qui suivirent, notamment Ă  celle de dĂ©cembre 1892, qui allait renouveler un tiers du sĂ©nat de l’État fĂ©dĂ©rĂ© et Ă©lire les dĂ©putĂ©s de l’assemblĂ©e lĂ©gislative bahianaise. La tactique employĂ©e consista Ă  diviser l’État en zones d’influence et de dĂ©signer pour chacune d’entre elles un chef politique responsable. CĂ­cero Dantas Ă©tait le coordinateur de cette rĂ©partition des responsabilitĂ©s.

En fĂ©vrier 1893, il entra en fonction comme Ă©chevin municipal d’Itapicuru, le premier Ă  ĂȘtre Ă©lu sous le rĂ©gime rĂ©publicain constitutionnel[61]. En avril 1893, InocĂȘncio GalvĂŁo, occupant dĂ©jĂ  le poste de commandant du 3e district militaire, dĂ©clina la charge de prĂ©sident du sĂ©nat de la Bahia, et Ă  sa place fut Ă©lu, le mĂȘme jour, le baron de Jeremoabo, qui exerça ensuite la prĂ©sidence jusqu’au 22 avril 1895.

Au cours de l’annĂ©e 1894 survint la scission du groupe oligarchique dominant, sĂ©parant ses principaux chefs en deux camps opposĂ©s. Cette scission, qui fut consommĂ©e au siĂšge du Parti RĂ©publicain FĂ©dĂ©raliste, donna lieu Ă  la fondation d’une part du Parti RĂ©publicain FĂ©dĂ©ral de la Bahia le 15 avril 1894 par LuĂ­s Viana et Rodrigues Lima, et d’autre part du Parti RĂ©publicain Constitutionnel par JosĂ© Gonçalves da Silva et CĂ­cero Dantas Martins le 19 aoĂ»t de la mĂȘme annĂ©e. Des divergences politiques, portant sur la politique nationale et, au niveau de l’État fĂ©dĂ©rĂ©, sur les intĂ©rĂȘts Ă©lectoraux, avaient existĂ© dĂšs la formation du Parti RĂ©publicain FĂ©dĂ©raliste. Gonçalves avait Ă©tĂ© destituĂ© du gouvernement de la Bahia par Floriano Peixoto, d’oĂč son antiflorianisme, opposĂ© au florianisme de LuĂ­s Viana, favorable quant Ă  lui Ă  ce que les militaires demeurassent Ă  la prĂ©sidence du BrĂ©sil[62]. Mais, au-delĂ  de la divergence d’intĂ©rĂȘts sur le plan Ă©lectoraliste, les deux factions oligarchiques n’étaient plus en mesure de maintenir une union de façade entre littoral et sertĂŁo, entre Ă©conomie rurale et Ă©conomie urbaine. Le baron de Jeremoabo, qui au dĂ©but de l’annĂ©e 1893 exerçait encore confortablement sa fonction de prĂ©sident du sĂ©nat bahianais, fut amenĂ© Ă  laisser de cĂŽtĂ© son attitude jusque-lĂ  accommodante pour s’engager rĂ©solument dans une lutte politique, qui allait de plus en plus s’assortir de pratiques coronĂ©listes ; en mĂȘme temps, le RecĂŽncavo sucrier ne lui Ă©tant plus guĂšre rentable et le pouvoir politique y ayant changĂ© de mains, il tendit Ă  s’enraciner de plus en plus dans le sertĂŁo, pour notamment porter une attention accrue Ă  son fief Ă©lectoral. Les sessions du mois d’aoĂ»t 1893 au sĂ©nat de la Bahia, prĂ©sidĂ©es par le baron, rĂ©vĂšlent le climat d’animositĂ© qui s’y Ă©tait installĂ©. Tout projet prĂ©sentĂ© lors de sessions ordinaires, quelque peu important qu’il fĂ»t, donnait lieu Ă  querelle, voire souvent Ă  des Ă©clats de violence[63].

La deuxiĂšme phase (1893-1895) dĂ©buta alors que CĂ­cero Dantas exerçait la fonction de sĂ©nateur et que se trouvait Ă  la tĂȘte du gouvernement bahianais Rodrigues Lima, qui avait fait alliance avec le groupe des vianistes. Le baron de Jeremoabo cessa Ă  partir de cette date (1893) d’agir en coronel gouvernemental pour se muer en coronel oppositionnel.

LuĂ­s Viana, d’abord alliĂ©, puis adversaire de CĂ­cero Dantas.

Lors des Ă©lections sĂ©natoriales fĂ©dĂ©rales de mars 1894, LuĂ­s Viana visait Ă  renforcer son prestige politique, songeant dĂ©jĂ  Ă  une possible future candidature au gouvernement de l’État bahianais. JosĂ© Gonçalves et son groupe, en position moins avantageuse, car privĂ©s de l’appui de la machine administrative de l’État bahianais, voulaient surtout prendre la mesure de l’influence de LuĂ­s Viana, y compris au niveau fĂ©dĂ©ral. Manuel Vitorino fut pressenti pour reprĂ©senter le groupe gouvernemental, et dans le camp de l’opposition, c’est JosĂ© Gonçalves lui-mĂȘme qui s’engagea dans le combat. Ce scrutin, qui fut rude, et en vue duquel le baron de Jeremoabo, dĂšs que fut confirmĂ©e la candidature de son ami pour un siĂšge au sĂ©nat, s’était retranchĂ© dans son bureau pour rĂ©diger des lettres aux chefs politiques de toutes les municipalitĂ©s oĂč il avait quelque influence en recommandant le nom de JosĂ© Gonçalves, se solda le 1er mars 1894 par la victoire de Manuel Vitorino. Le groupe gonçalviste ne cessait de perdre des forces, et le 15 avril 1894, comme indiquĂ© ci-haut, les vianistes constituĂšrent le Parti RĂ©publicain FĂ©dĂ©ral[64].

Dans la perspective des Ă©lections de novembre 1894, destinĂ©es Ă  Ă©lire les dĂ©putĂ©s de l’État de Bahia et un tiers du sĂ©nat, le groupe gonçalviste dĂ©cida en aoĂ»t 1894 de faire corps en fondant un parti politique qui les rĂ©unĂźt, le dĂ©jĂ  nommĂ© Parti RĂ©publicain Constitutionnel, qu’allait prĂ©sider CĂ­cero Dantas. C’était la premiĂšre Ă©lection au niveau de l’État de la Bahia oĂč les principaux dirigeants politiques se retrouvaient dans des partis opposĂ©s. Le moment de plus forte tension fut celui du dĂ©compte des voix, marquĂ© par la crainte de fraudes, de substitutions de listes Ă©lectorales, de falsifications de vote, etc. JosĂ© Gonçalves sollicita le baron de venir Ă  Vila Nova da Rainha, zone sous son influence, pour l’aider Ă  surveiller le comptage des voix ; Jeremoabo ne put cependant rĂ©pondre Ă  ces instances, devant en effet superviser le dĂ©compte Ă  ItapicurĂș, Bom Conselho et d’autres communes encore. Le gouverneur Rodrigues Lima, et avec lui LuĂ­s Viana, ne voulut accepter le rĂ©sultat du dĂ©pouillement, ni l’intermĂ©diation faite par le conseil municipal de Vila Nova reprĂ©sentĂ© par Gonçalves, et en consĂ©quence intervint en dĂ©pĂȘchant dans la commune la force de police pour faire valoir sa propre dĂ©cision[65].

Le dĂ©but de la troisiĂšme phase se situe le 7 avril 1895, jour fixĂ© par la constitution bahianaise pour l’inauguration du travail lĂ©gislatif. Le groupe emmenĂ© par Viana reconnut les candidats de son parti et leur fit prendre possession de leur siĂšge, tandis que le groupe dirigĂ© par JosĂ© Gonçalves agit de mĂȘme avec ses propres candidats. Le baron de Jeremoabo, quoiqu’étant le prĂ©sident officiel du sĂ©nat bahianais, n’eut pas les moyens de faire valoir son autoritĂ©, attendu que le gouverneur Rodrigues Lima accorda son soutien Ă  l’aile vianiste, de sorte que la grande majoritĂ© des candidats de cette faction furent agrĂ©Ă©s au dĂ©triment des gonçalvistes. En guise de protestation, CĂ­cero Dantas, en compagnie des autres sĂ©nateurs de son parti, contestant la lĂ©gitimitĂ© de l’exĂ©cutif qui fut installĂ© ensuite, abandonna le siĂšge pour lequel il avait Ă©tĂ© Ă©lu en 1891. Le , le nouveau comitĂ© du sĂ©nat, sur l’allĂ©gation d’un grand nombre d’irrĂ©gularitĂ©s, dĂ©clara vacants les siĂšges au sĂ©nat du groupe de Jeremoabo. À partir de ce moment et jusqu’à 1901, CĂ­cero Dantas fut totalement mis Ă  l’écart de la sphĂšre d’action institutionnelle de l’oligarchie bahianaise dominante. DĂšs 1893, il avait cessĂ© dĂ©jĂ  de partager les faveurs et privilĂšges du pouvoir exĂ©cutif, mais Ă  prĂ©sent perdait la derniĂšre attache avec la structure gouvernementale qu’il dĂ©tenait encore par le biais du pouvoir lĂ©gislatif[66].

Pendant six annĂ©es, on le considĂ©ra comme un politicien d’opposition radical, annĂ©es au cours desquelles il fut notamment confrontĂ© Ă  la guerre de Canudos (1896-97, cf. ci-dessous), oĂč, s’il mit alors en cause le gouvernement, fut lui-mĂȘme accusĂ© de participation et de connivence avec les rebelles dans le but d’en retirer des bĂ©nĂ©fices politiques. En 1898, pendant que LuĂ­s Viana se trouvait dĂ©jĂ  Ă  la tĂȘte de l’État de la Bahia, il n’eut aucune part au grand compromis politique proposĂ© par Campos Sales et appelĂ© politique des gouverneurs. Viana en effet, substitut du prĂ©sident Prudente de Morais et reprĂ©sentant du premier gouvernement civil de la RĂ©publique brĂ©silienne, rĂ©pudia toute alliance avec des personnalitĂ©s d’opposition.

La quatriĂšme phase enfin commence en mai 1900, Ă  l’accession au pouvoir de Severino dos Santos Vieira comme gouverneur de la Bahia, lequel, succĂ©dant Ă  LuĂ­s Viana, resta au dĂ©but en bons termes avec son prĂ©dĂ©cesseur, mais s’en sĂ©para par la suite. En avril 1901, Severino Vieira mit sur pied un nouveau mouvement politique, qui prit nom Parti RĂ©publicain de la Bahia. Cette situation nouvelle redonna l’espoir Ă  Jeremoabo de se voir Ă  nouveau favorisĂ© et reconnu par le gouvernement en place. DĂ©cidĂ© Ă  se muer en coronel situacionista, c'est-Ă -dire qui fait allĂ©geance au gouvernement en place, il s’empressa donc de revitaliser les rĂ©seaux et connexions de son pouvoir local, sans doute quelque peu ankylosĂ©s par six ans d’éloignement d’avec l’oligarchie bahianaise dominante. Il ne put plus cependant cueillir les fruits de la constellation politique nouvelle, car la mort le saisit le . Il fut inhumĂ© dans l’église-mĂšre (Igreja Matriz, oĂč ils reposent encore) de la municipalitĂ© de Bom Conselho, dont le nom fut changĂ© en son honneur en CĂ­cero Dantas.

Idéologie et positionnements politiques

Conservatisme

Dans le BrĂ©sil du XIXe siĂšcle, il faut entendre par conservateur une personne qui, au-delĂ  de son appartenance Ă  tel ou tel parti politique, Ă©tait dotĂ© d’une mentalitĂ© particuliĂšre et se rĂ©clamait du projet politique de la gĂ©nĂ©ration qui, aprĂšs avoir concouru Ă  consolider l’Empire lors de la phase de rĂ©action conservatrice, maintint intacts ses idĂ©aux et ses positions, appuyĂ©s sur ses intĂ©rĂȘts politiques, Ă©conomiques et sociaux, et ce mĂȘme jusque dans les dĂ©cennies 1860 et 1870, voire au-delĂ .

La date de 1862, qui correspond au dĂ©but d’une pĂ©riode de prĂ©dominance du parti libĂ©ral au sein des gouvernements nationaux successifs, peut ĂȘtre retenue comme point de dĂ©part du renouveau libĂ©ral. Le BrĂ©sil passa, au cours de la deuxiĂšme moitiĂ© du XIXe siĂšcle, par un processus de modernisation, d’urbanisation et de diversification sociale, se manifestant par deux aspects : d’un cĂŽtĂ© l’apparition des couches sociales urbaines, de l’autre le conflit d’intĂ©rĂȘts entre d’une part la vieille aristocratie esclavagiste dĂ©pendante de l’exportation de produits agricoles, et d’autre part la nouvelle aristocratie cafĂ©iĂšre implantĂ©e dans l’est de la province de SĂŁo Paulo et la nouvelle bourgeoise industrielle, laquelle plaidait en faveur d’une politique protectionniste, au contraire de la faction plus traditionnelle[67].

Quand le baron de Jeremoabo fit son entrĂ©e dans la politique nationale en 1869, et qu’il devint un membre effectif de l’élite politique impĂ©riale, celle-ci se sentait en symbiose avec la bureaucratie de l’État, oĂč selon JosĂ© Murilo de Carvalho, « bien qu’il y eĂ»t une distinction formelle et institutionnelle entre les tĂąches judiciaires, exĂ©cutives et lĂ©gislatives, celles-ci souvent se confondaient dans la personne des exĂ©cutants, et la carriĂšre judiciaire en particulier Ă©tait devenue une partie intĂ©grante de l’itinĂ©raire conduisant au congrĂšs et aux conseils de gouvernement » ; mais l’entrĂ©e en politique du baron eut lieu aussi en une pĂ©riode oĂč les structures du conservatisme Ă©taient dĂ©jĂ  chancelantes et oĂč le rĂ©gime impĂ©rial lui-mĂȘme commençait Ă  montrer ses premiers signes de crise. L’inflation persistait depuis le dĂ©but de la dĂ©cennie 1860, et les dĂ©penses militaires (consĂ©cutives aux conflits constants avec l’Argentine, mais surtout avec l’Uruguay, pays avec lequel le BrĂ©sil Ă©tait en guerre permanente) pesaient trop lourdement dans le budget de l'État. À partir de 1864, la situation se dĂ©tĂ©riora encore, lorsque les tensions qui opposaient BrĂ©siliens, Uruguayens et Argentins au chef d’État paraguayen Solano LĂłpez entraĂźnĂšrent le BrĂ©sil dans une guerre qui se prolongera jusqu’en 1870. Les effets de cette guerre, combinĂ©s Ă  un gouvernement libĂ©ral, furent dĂ©sastreux pour le jeune CĂ­cero Dantas, en ce qu’ils provoquĂšrent des difficultĂ©s Ă©conomiques pour sa province et risquaient de l’empĂȘcher d’obtenir un siĂšge au parlement national. La premiĂšre fois qu’il fut donnĂ© Ă  CĂ­cero Dantas d’occuper une fonction dans la politique nationale, ce ne fut donc pas dans des circonstances favorables Ă  ce conservatisme qui avait façonnĂ© sa maniĂšre de penser et d’agir et qui apparaissait le plus propice au maintien du statut Ă  lui lĂ©guĂ© par son pĂšre et par ses aĂŻeux, statut se concrĂ©tisant par une grande quantitĂ© de terres, par la dĂ©tention d’esclaves et par une influence politique effective. En 1869, lorsqu’il rĂ©ussit Ă  se faire Ă©lire dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral (=national), la circonstance qui lui avait Ă©tĂ© favorable Ă©tait la chute du 22e ministĂšre, d’étiquette libĂ©rale, prĂ©sidĂ© par Zacarias de GĂłes e Vasconcelos, suivi de l’ascension au pouvoir d’une Ă©quipe gouvernementale conservatrice menĂ©e par le vicomte d’ItaboraĂ­. Toutefois, Ă  partir de ce moment et jusqu’à la proclamation de la RĂ©publique en 1889, la conjoncture Ă©conomique de l’Empire ne cessa de se dĂ©tĂ©riorer pour l’antique aristocratie du sucre dont il Ă©tait un reprĂ©sentant[68].

Le baron de Jeremoabo, qui vĂ©cut les deux phases (l’ùre saquarema et le renouveau libĂ©ral), puis survĂ©cut sous la RĂ©publique, se laissa toujours orienter dans son action politique par ce mĂȘme sentiment aristocratique dans lequel il grandit et avait Ă©tĂ© formĂ© — sentiment qui Ă©tait « la synthĂšse de la vision de la politique et de la sociĂ©tĂ© telle qu’elle prĂ©valait depuis l’époque de la Maioridade (fin de la rĂ©gence), qui correspondait Ă  un fonds historique forgĂ© par la colonisation, et que les forces prĂ©dominantes dans le processus d’émancipation politique ne se proposaient pas d’altĂ©rer : le caractĂšre colonial et esclavagiste de cette sociĂ©tĂ©... »[69].

Contexte politique de l’Empire et attitude de Jeremoabo

La participation de Jeremoabo Ă  la sphĂšre gouvernante sous l’Empire Ă©tait fortement tributaire de l’alternance des partis conservateur et libĂ©ral au pouvoir. À cet Ă©gard, la participation du baron de Jeremoabo au rĂ©gime monarchique peut se diviser en deux phases : une premiĂšre pĂ©riode, oĂč il assuma de droit le pouvoir institutionnalisĂ© et qui correspond aux dix annĂ©es durant lesquelles il remplit le mandat de dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral lors des 14e, 15e, 16e et 20e lĂ©gislatures ; et une seconde pĂ©riode correspondant aux annĂ©es oĂč le parti libĂ©ral dĂ©tenait les leviers du pouvoir et oĂč par consĂ©quent le baron ne parvenait plus Ă  se faire Ă©lire pour un siĂšge au parlement national.

Dans la structure politique de la monarchie, il y avait un pouvoir essentiel : le pouvoir modĂ©rateur, incarnĂ© par la figure de l’empereur lui-mĂȘme. En thĂ©orie, ce pouvoir, tel du moins qu’il se trouve exposĂ© dans le Cours de politique constitutionnelle de Benjamin Constant, lequel avait une grande influence dans le BrĂ©sil du XIXe siĂšcle, devait ĂȘtre un pouvoir neutre, qui garantĂźt l’harmonie entre les trois pouvoirs. Toutefois, dans l’Empire du BrĂ©sil, ce pouvoir modĂ©rateur se mua en le vĂ©ritable pouvoir et devint l’instrument de la propre volontĂ© personnelle de l’empereur et de son despotisme. C’était en effet Ă  ce pouvoir modĂ©rateur qu’il incombait d’approuver ou non les mesures Ă©manant du lĂ©gislatif, de nommer les sĂ©nateurs Ă  vie, et jusqu’à dissoudre la Chambre des dĂ©putĂ©s. Si le ministĂšre Ă©tait bien, du moins lĂ©galement, responsable devant le pouvoir lĂ©gislatif, le parlement ne pouvait dans les faits rien entreprendre Ă  l’encontre des ministres, qui gouvernaient en ignorant le lĂ©gislatif et n’en rĂ©fĂ©raient qu’à l’Empereur[70]. Mais, Ă©tant donnĂ© que la volontĂ© centralisatrice de l’empereur coĂŻncidait avec les aspirations de l’élite rurale et aussi de l’appareil d’État comme ensemble, le baron de Jeremoabo, en tant que membre de l’antique aristocratie campagnarde sucriĂšre, apportait donc son concours Ă  l’ordre existant, que ce soit Ă  travers un travail de persuasion dans les coulisses ou par sa participation active au travail lĂ©gislatif par son vote de dĂ©putĂ©.

La seule fonction Ă©lective qu’il Ă©chut Ă  Jeremoabo de remplir tout au long de l’Empire Ă  l’échelon national — au niveau de sa province il fut Ă©galement dĂ©putĂ© provincial, et au niveau municipal Ă©chevin de Bom Conselho — fut celle de dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral. Dans l’échelle de pouvoir de l’appareil d’État impĂ©rial brĂ©silien, le groupe des dĂ©putĂ©s, le plus puissant en nombre, se situait sous celui des ministres et sous celui des sĂ©nateurs, mĂȘme si la phase de l’histoire du BrĂ©sil oĂč les parlementaires eurent le plus de pouvoir fut la pĂ©riode impĂ©riale. Le dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral occupait, dans la pyramide sociale du pouvoir, une position intermĂ©diaire, disposant d’un pouvoir qui ne se limitait certes plus Ă  la seule sphĂšre provinciale, mais qui n’atteignait pas l’influence qu’un sĂ©nateur nommĂ© Ă  vie ou qu’un ministre pouvaient avoir auprĂšs de l’empereur[71].

On peut s’interroger pourquoi CĂ­cero Dantas ne devint jamais sĂ©nateur. Pour lui, le plus difficile ne fut pas d’entrer dans la sphĂšre du pouvoir, n’ayant eu en effet qu’une seule condition Ă  remplir pour entamer une carriĂšre politique : l’obtention d’un diplĂŽme en droit, obtenu Ă  Recife Ă  l’ñge de 21 ans ; Ă  partir de lĂ , il put s’épargner le parcours que beaucoup devaient accomplir avant d’accĂ©der au pouvoir : la magistrature, la presse, le barreau, la mĂ©decine ou la prĂȘtrise. L’ascendant dont jouissait sa famille dans le nord-est de la Bahia, de la municipalitĂ© d’Inhambupe jusqu’à Jeremoabo, sur une zone comprenant plus de 15 municipalitĂ©s, Ă©tait tellement considĂ©rable que cela suffisait Ă  mener le jeune licenciĂ© en droit Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s. L’appui de la parentĂšle et des amis, et le parrainage des pouvoirs locaux Ă©tablis, incarnĂ©s dans son cas par son propre pĂšre et par ses oncles, fut une caractĂ©ristique permanente dans chaque Ă©tape de sa carriĂšre politique. Élu dĂ©putĂ© provincial, puis gĂ©nĂ©ral, Jeremoabo n’était plus qu’à un pas des fonctions les plus hautes du pouvoir, auxquelles l’on parvenait par la combinaison de qualitĂ©s propres et de parrainages, l’empereur ayant cependant une voix dĂ©cisive et le dernier mot dans le processus de dĂ©signation.

CĂ­cero Dantas tenta d’entrer au sĂ©nat Ă  l’occasion de la vacance d’un siĂšge en dĂ©cembre 1887. Dans l’organigramme du pouvoir, les sĂ©nateurs arrivaient juste derriĂšre le groupe des ministres. ConformĂ©ment Ă  la lĂ©gislation, ils Ă©taient sĂ©lectionnĂ©s par le souverain sur la base de listes triples Ă©tablies Ă  la suite d’un scrutin populaire. Le pouvoir principal du sĂ©nat, que Jeremoabo du reste critiqua, mais auquel en mĂȘme temps il aspirait, dĂ©rivait en grande partie de la nomination Ă  vie de ses membres ; en effet, une fois acceptĂ©e sa candidature, pour laquelle l’ñge minimum Ă©tait de 40 ans, le sĂ©nateur avait dĂ©sormais l’assurance de rester en place pour le restant de sa vie sans ĂȘtre tributaire des oscillations du pouvoir gouvernemental, sur lequel l’empereur, qui mettait plus de poids tantĂŽt du cĂŽtĂ© conservateur, tantĂŽt du cĂŽtĂ© libĂ©ral, gardait la haute main. En outre, les Ă©moluments d’un sĂ©nateur Ă©quivalaient au double de ceux d’un dĂ©putĂ©[72]. À la vĂ©ritĂ©, le fait que les dĂ©putĂ©s gĂ©nĂ©raux Ă©taient l’unique corps constituĂ© habilitĂ© Ă  dĂ©faire les ministĂšres et Ă  rĂ©unir les majoritĂ©s nĂ©cessaires Ă  permettre la formation d’un gouvernement, ne les mettait nullement Ă  l’abri d’une possible dĂ©chĂ©ance. Ils redoutaient avant tout l’ostracisme qui Ă  chaque instant pouvait les frapper s’il plaisait Ă  l’empereur de pencher un peu plus du cĂŽtĂ© opposĂ©.

Toujours est-il que CĂ­cero Dantas Ă©choua Ă  s’élever plus avant dans la hiĂ©rarchie politique. Cette dĂ©convenue s’explique par le sempiternel antagonisme entre conservateurs et libĂ©raux, c'est-Ă -dire en l’espĂšce les dissensions entre le baron de Jeremoabo et Manuel Pinto de Souza Dantas, alias le conselheiro Dantas. Ce dernier peut du reste, sous le rapport de la trajectoire politique, faire figure de contre-exemple ; il n’avait pas Ă©tĂ© Ă©lu Ă  la Chambre sans avoir prĂ©alablement passĂ©, dans son parcours politique rĂ©el, par presque toutes les Ă©tapes prĂ©paratoires nĂ©cessaires Ă  l’ascension dans la structure de pouvoir, en effet : son titre de licenciĂ© en droit obtenu Ă  Recife en 1857, il fut nommĂ© procureur supplĂ©ant du tribunal administratif, puis successivement juge substitut des tutelles de la capitale Salvador, juge municipal et des tutelles de Santo Amaro, accusateur public Ă  Salvador, juge au tribunal de l’arrondissement de Maruim ; parallĂšlement Ă  ces activitĂ©s dans la sphĂšre judiciaire, il Ă©tait actif dans la politique depuis 1852, date Ă  laquelle il fut Ă©lu dĂ©putĂ© provincial de la Bahia, devenant le 1er vice-prĂ©sident de l’assemblĂ©e ; quatre ans plus tard, on le retrouve dĂ©jĂ  Ă  la Chambre gĂ©nĂ©rale, Ă  laquelle il sera Ă©lu pour cinq lĂ©gislatures. En outre, le jeune politicien connut, aprĂšs sa premiĂšre nomination comme juge dans le Sergipe, d’autres provinces que celle oĂč il avait fait ses Ă©tudes de droit. Fin 1859, aprĂšs avoir Ă©tĂ© Ă©lu dĂ©putĂ© provincial et gĂ©nĂ©ral, il fut nommĂ© Ă  la tĂȘte de la police de la province du MaranhĂŁo, puis occupa le poste de prĂ©sident d’Alagoas. Ce ne fut qu’ensuite qu’il arriva Ă  la prĂ©sidence du Conseil, dirigeant un gouvernement connu sous son patronyme Dantas.

Réformes libérales

Lorsque le licenciĂ© en droit (bacharel) CĂ­cero Dantas Martins fit son entrĂ©e dans la politique nationale en 1869, la suprĂ©matie de la faction conservatrice Ă©tait dĂ©jĂ  finissante, aprĂšs une pĂ©riode de 14 annĂ©es successives de cabinets conservateurs (1848-1862), y inclus la pĂ©riode dite de la Conciliation (1853-1857) ; ensuite, de 1862 jusqu’en novembre 1889 (date de la chute de l’Empire), on observe, du point de vue quantitatif, un Ă©quilibre dans le nombre d’annĂ©es oĂč chaque parti se trouvait au pouvoir (14 ans de gouvernement conservateur et 13 ans et six mois de gouvernement libĂ©ral, alors que dans la pĂ©riode prĂ©cĂ©dente, de 1840 Ă  1862, des cabinets conservateurs avaient dĂ©tenu le pouvoir pendant 18 ans, contre 8 ans pour les libĂ©raux). D’autre part, quoique mĂȘme dans la seconde phase les gouvernements conservateurs aient en durĂ©e dĂ©passĂ© de six mois les libĂ©raux, cette lĂ©gĂšre prĂ©dominance, compte tenu des nouvelles conjonctures socio-Ă©conomiques et politiques de l’Empire, ne fut qu’apparente. L’ordre impĂ©rial, appuyĂ© sur la centralisation, la prĂ©Ă©minence de l’Empereur franche de toute opposition, commença Ă  partir de la dĂ©cennie 1860 Ă  ĂȘtre secouĂ©e par une bourrasque qui avait ses origines dans la pĂ©riode de la RĂ©gence, mais qui ne s’était pas apaisĂ©e totalement. De nouvelles forces sociales Ă©taient en train de surgir, l’aristocratie cafĂ©iĂšre supplantait la sucriĂšre, la guerre du Paraguay Ă©veilla des forces jusque-lĂ  assoupies, l’économie mondiale capitaliste industrielle faisait pression sur le BrĂ©sil, restĂ© agraire et esclavagiste — toute la conjoncture dĂ©terminait un renouveau libĂ©ral tant dans le domaine des idĂ©es que dans celui Ă©conomique. L’Empereur fut amenĂ© Ă  cĂ©der de plus en plus aux aspirations libĂ©rales, dans une tentative de retarder la dĂ©composition du rĂ©gime impĂ©rial. Enfin, dans la sphĂšre locale, CĂ­cero Dantas eut Ă  souffrir de la pression exercĂ©e par la politique d’opposition que dirigeait son cousin libĂ©ral JoĂŁo dos Reis de Souza Dantas, frĂšre du conselheiro Dantas ; ce dernier donnait depuis Rio de Janeiro carte blanche Ă  son frĂšre pour agir au nom des Luzias.

Vis-Ă -vis des rĂ©formes libĂ©rales, CĂ­cero Dantas se rangea Ă  la stratĂ©gie de la couronne et tĂącha de s’unir avec ses pairs conservateurs et de renforcer la convergence avec les Saquaremas, dans le but d’anticiper les innovations proposĂ©es par les Luzias et d’en minimiser la portĂ©e. Ainsi tenta-t-il, par son vote Ă  la Chambre, de retarder les projets libĂ©raux relatifs Ă  la rĂ©forme Ă©lectorale, Ă  l’abolition de l’esclavage, etc., et s’ingĂ©niait-il souvent Ă  prendre les devants afin de garder l’initiative et de ne pas perdre totalement le contrĂŽle de la situation, l’enjeu Ă©tant en effet sa propre survie et celle de sa classe, engoncĂ©e dans un conservatisme s’appuyant sur la possession de la terre, la dĂ©tention d’esclaves et le monopole du pouvoir[73].

Au niveau local, il s’appliqua Ă  dĂ©fendre une politique Ă©conomique dont il tirait profit. Il eut soin que l’autoritĂ© de potentat local qu’il exerçait demeurĂąt toujours en concordance avec les consignes de la politique centralisatrice de la couronne. S’il avait une nette conscience de l’autoritĂ© que, dans les municipalitĂ©s oĂč il disposait d’une majoritĂ© des voix, il dĂ©tenait sur ses esclaves et sur ceux qui sĂ©journaient dans ses domaines, il se dĂ©fendait cependant d’outrepasser les limites de cette autoritĂ©, et avait soin de l’assujettir aux divers pouvoirs qu’avait instituĂ©s l’appareil d’État, sans pour autant qu’il restĂąt toujours passif face aux dĂ©cisions qui se prenaient, Ă©tant en effet capable d’instrumentaliser la bureaucratie du gouvernement Ă  son propre avantage.

Centralisation

Sous l’Empire, le gouvernement central dirigeait les affaires locales notamment par le biais de ses administrations policiĂšres et judiciaires. À partir de 1841, le gouvernement resserra davantage encore son emprise centralisatrice en mettant en place un nouveau systĂšme judiciaire qui devait perdurer, avec peu de modifications, jusqu’à la fin du rĂ©gime impĂ©rial. La charge de juge de paix, crĂ©Ă©e en 1828, continua certes d’exister, mais avec des attributions assez rĂ©duites. La magistrature civile comprenait l’ensemble des juges, depuis les juges municipaux jusqu’aux ministres de la Cour suprĂȘme. Les juges municipaux et des tutelles Ă©taient choisis parmi les licenciĂ©s en droit (bacharĂ©is) ayant une expĂ©rience judiciaire d’au moins un an et nommĂ©s pour quatre ans ; ils pouvaient ensuite ĂȘtre promus Ă  la magistrature du siĂšge (juiz de direito)[74]. La nomination d’un juge Ă©tait du ressort du gouvernement central, mais se faisait en gĂ©nĂ©ral en faveur d’une personne indiquĂ©e ou qui reprĂ©sentait un potentat local. L’État brĂ©silien sous la colonisation ou aux dĂ©buts de l’Empire n’avait pas la possibilitĂ© d’étendre ses pouvoirs jusque dans les diffĂ©rentes localitĂ©s du pays, en raison de quoi il se vit contraint d’établir un rĂ©seau de compromis avec les grands propriĂ©taires terriens, qui en contrepartie assistaient l’État par des services particuliers, ou par l’intermĂ©diaire de groupes qu’ils dirigeaient, en Ă©change de faveurs ou de l’octroi de privilĂšges. À partir de 1841, par suite de la rĂ©organisation des forces conservatrices, qui entreprirent de rĂ©interprĂ©ter l’Acte additionnel de 1834 (Ato Adicional, rĂ©vision de la constitution), qui avait donnĂ© plus de pouvoir aux provinces, et de refondre le Code de procĂ©dure criminelle, le gouvernement central devint rĂ©ellement l’arbitre des conflits locaux, en particulier des litiges entre puissants. Au moment oĂč, avec le dĂ©cĂšs de son pĂšre en 1872, le baron de Jeremoabo prit la direction de la politique locale, les nouvelles structures administratives Ă©taient dĂ©jĂ  bien en place. Comme potentat local, Jeremoabo Ă©tait conscient de son pouvoir, mais n’avait garde de se leurrer quant Ă  l’étendue de celui-ci. Il s’efforça de s’ajuster Ă  la nouvelle hiĂ©rarchisation du pouvoir, oĂč figurait en bonne place dĂ©sormais le prĂ©sident de province en tant que reprĂ©sentant du gouvernement, lequel le choisissait en accord avec le parti dominant. Si le prĂ©sident de province, auquel CĂ­cero Dantas restait ainsi subordonnĂ©, Ă©tait un conservateur, les portes lui seraient grandes ouvertes, dans le cas contraire, il aurait les plus grandes difficultĂ©s, y compris dans sa propre zone d’influence. Cette dĂ©pendance nouvelle vis-Ă -vis du pouvoir central, lequel de son cĂŽtĂ© Ă©tait poussĂ© Ă  jouer le jeu des partis, ne laissait de le prĂ©occuper.

Notamment, la possibilitĂ© de l’ascension d’un libĂ©ral Ă  la prĂ©sidence de sa province le rendait circonspect et prĂ©voyant, et l’incita, dĂšs avant qu’une telle chose n’advĂźnt, Ă  pourvoir le plus rapidement possible Ă  la nomination des juges, procureurs et commissaires de police dans sa zone d’influence. De mĂȘme, il lui fallait Ă©galement, tant que cela Ă©tait encore possible, consolider ses alliances avec les autoritĂ©s judiciaires au niveau local, afin de s’assurer pour le moins leur sympathie ou leur connivence aux moments oĂč il serait nĂ©cessaire de contourner la loi ou de fausser les rĂ©sultats Ă©lectoraux, Ă  l’effet de n’ĂȘtre pas tout Ă  fait tenu Ă  l’écart de la prise de dĂ©cision politique dans les pĂ©riodes d’ostracisme. C’est Ă  cette Ă©poque qu’il se mit Ă  renforcer ses relations de clientĂ©lisme et Ă  dissoudre par lĂ  les limites entre sphĂšres publique et privĂ©e. Mais son souci ne concernait pas que le juge municipal ; il Ă©tait impĂ©ratif de s’attacher le plus grand nombre possible d’agents de la puissance publique. La nomination par le gouvernement, Ă  partir de 1850, des dĂ©lĂ©guĂ©s et des sous-dĂ©lĂ©guĂ©s, des officiers de la Garde nationale, des procureurs et de leurs substituts qui prenaient du service dans les arrondissements et n’étaient d’ordinaire pas des juges graduĂ©s, n’entamait guĂšre l’autoritĂ© des chefs locaux, la renforçait au contraire, dans la mesure oĂč la rĂ©glementation visait aussi Ă  restreindre autant que possible la participation de magistrats aux fonctions politiques. Aussi les puissants les avaient-ils Ă  leur botte, pour les besoins de leurs intĂ©rĂȘts Ă©lectoraux. En fait, l’exercice du pouvoir par les chefs locaux ne fut pas mis en pĂ©ril durant l’Empire, moyennant certes qu’ils se soumettent Ă  un processus d’ajustement et de remise Ă  jour, grĂące Ă  quoi les chefs locaux restaient Ă  mĂȘme de canaliser leur autoritĂ© vers la sphĂšre publique[75].

Le niveau provincial

À partir de 1874, alors qu’il occupait un siĂšge de dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral sous la 15e lĂ©gislature (1872-1875), Jeremoabo eut Ă  faire face au pouvoir hostile du prĂ©sident de province. Celui-ci, en plus d’avoir sous ses ordres les agents de la puissance publique (sous-dĂ©lĂ©guĂ©s et juges) dans les procĂ©dures Ă©lectorales, possĂ©dait, mĂȘme en dehors des pĂ©riodes d’élections, des compĂ©tences importantes, ayant en effet pouvoir de dĂ©cision dans plusieurs nominations stratĂ©giques, telles que celle des procureurs, des dĂ©lĂ©guĂ©s et des sous-dĂ©lĂ©guĂ©s de police et des officiers de la Garde nationale. Fort de telles attributions, le prĂ©sident de la Bahia pendant la pĂ©riode 1873-1874, AntĂŽnio CĂąndido da Cruz Machado, affronta ouvertement l’autoritĂ© locale de Jeremoabo. La capacitĂ© d’intervention du prĂ©sident de province Ă©tait si Ă©tendue qu’il pouvait s’ingĂ©rer y compris dans la gestion des fonctions les plus basses de l’organisation de l’État et d’en tirer avantage pour les Ă©lections[76].

La situation s’aggrava encore quand l’antagonisme entre Luzias et Saquaremas vint Ă  se doubler de vieilles querelles de famille, c'est-Ă -dire aprĂšs que les Dantas, qui jusqu’à la dĂ©cennie 1850 s’étaient trouvĂ©s unis dans le parti conservateur, se furent en 1861 divisĂ©s en partis opposĂ©s. En 1878, Ă  l’issue de huit annĂ©es de mandat au parlement national (trois lĂ©gislatures consĂ©cutives), CĂ­cero Dantas dut affronter un scrutin placĂ© Ă  prĂ©sent sous les auspices du parti libĂ©ral, attendu que le 5 janvier de cette mĂȘme annĂ©e le libĂ©ral JoĂŁo Lins Vieira Cansanção de Sinimbu, futur vicomte de Sinimbu, avait accĂ©dĂ© au pouvoir Ă  Salvador. Jusqu’en aoĂ»t 1885, date Ă  laquelle les conservateurs purent revenir au pouvoir sous la prĂ©sidence du baron de Cotegipe, les libĂ©raux se relayeront Ă  la tĂȘte de l’État, changeant de prĂ©sident du Conseil Ă  6 reprises. Comme de juste, Jeremoabo perdit toutes les Ă©lections durant cet intervalle, la premiĂšre fois en 1878 en vue de la 17e lĂ©gislature (1878-1881), et n'eut d'autre choix que de consacrer son temps Ă  ses plantations de canne de Regalo et de CamuciatĂĄ[77]. C’est au cours de cette mĂȘme pĂ©riode (1878-1885) qu’il se heurtera Ă  l’opposition la plus vigoureuse de la part de ses cousins libĂ©raux. C’était aussi l’époque oĂč une des stratĂ©gies politiques du gouvernement central Ă©tait de nommer Ă  la plus haute fonction de l’exĂ©cutif provincial, c'est-Ă -dire Ă  un poste considĂ©rĂ© comme une des piĂšces clef du processus Ă©lectoral, uniquement des personnalitĂ©s qui ne fussent point des enfants de la rĂ©gion, Ă  l’effet d’éviter ainsi un lien trop fort entre la personnalitĂ© dĂ©signĂ©e et la province sous sa tutelle. Dans la majoritĂ© des cas, la politique adoptĂ©e par la Couronne vis-Ă -vis des prĂ©sidents de province en Ă©tait une de situations Ă  dessein transitoires et de rotations — une mĂȘme personne en arrivant parfois Ă  prĂ©sider successivement trois ou quatre provinces diffĂ©rentes, s’efforçant chaque fois de donner satisfaction au parti qu’il reprĂ©sentait et d’appuyer les candidats dĂ©signĂ©s par celui-ci. Pour atteindre ces objectifs, il n’était pas rare que les limites de la lĂ©galitĂ© vinssent Ă  ĂȘtre franchies.

En ce qui concerne les Ă©lections de dĂ©cembre 1884, oĂč CĂ­cero Dantas briguait un siĂšge en vue de la 19e et avant-derniĂšre lĂ©gislature de l’Empire, en concurrence avec son cousin JoĂŁo dos Reis de Souza Dantas Filho, le baron, dĂšs juin de cette annĂ©e, ne se faisait guĂšre d’illusions sur sa victoire. Ce scrutin, oĂč CĂ­cero Dantas s’inclina devant son cousin avec un Ă©cart de 24 voix seulement, permit Ă  celui-ci de prĂ©sider le 32e gouvernement[78].

La 9e circonscription, zone d’influence du groupe conservateur autour de la famille Dantas, se composait de 13 paroisses, dans lesquelles, quoique son parti fĂ»t Ă©cartĂ© du pouvoir, Jeremoabo pouvait compter sur une majoritĂ© d’électeurs. Cependant, le parti au pouvoir trouvait les moyens d’empĂȘcher sinon la victoire des candidats n’appartenant pas Ă  son camp, du moins leur reconnaissance au cas oĂč l’un d’eux eĂ»t obtenu le plus grand nombre de voix. En effet, le rĂ©sultat des Ă©lections dĂ©pendait fortement de leur organisation. Dans un article qu’il fit paraĂźtre dans la Gazeta da Bahia en dĂ©cembre 1884, CĂ­cero Dantas souligne le rĂŽle de la Chambre dans le dĂ©roulement des Ă©lections municipales et l’importance de la composition des bureaux de vote, et se plaignit de pratiques frauduleuses, insinuant l’existence d’electeurs manipulĂ©s et d’un dĂ©compte arbitraire des voix Ă©mises. Pourtant, Luzias autant que Saquaremas eurent recours Ă  ce genre de pratiques ; au demeurant, peu importaient les diffĂ©rences entre les deux factions, puisque les intĂ©rĂȘts Ă©taient fondamentalement les mĂȘmes et qu’existait une mentalitĂ© conservatrice commune, propre Ă  cette Ă©poque et poursuivant un objectif commun : gagner les Ă©lections et prĂ©server leur position Ă©conomique et sociale liĂ©e Ă  la possession de la terre et la dĂ©tention d’esclaves[79].

LĂ©gislation Ă©lectorale

La loi Ă©lectorale d’aoĂ»t 1860, qui Ă©tablit des Ă©lections au suffrage indirect par circonscription de trois dĂ©putĂ©s, ne fut plus ensuite amendĂ©e qu’en 1875, par la loi dite du tiers ou de la reprĂ©sentation des minoritĂ©s, qui Ă©tait impulsĂ©e par le courant libĂ©ral, auquel il Ă©tait Ă  ce moment-lĂ  difficile de faire barrage. Étaient prescrites dĂ©sormais des Ă©lections au suffrage direct dans la capitale nationale, les capitales de province et les villes de plus de dix mille habitants ; mais le point principal concernait la reprĂ©sentation des minoritĂ©s, auxquelles il Ă©tait obligatoire dorĂ©navant de rĂ©server un tiers des voix, dans des circonscriptions Ă  nouveau Ă©largies Ă  toute une province.

En janvier 1881 entra en vigueur une nouvelle loi Ă©lectorale, la loi dite Saraiva. Le projet de loi, qui a pu au dĂ©part sembler libĂ©ral, ne faisait en rĂ©alitĂ© que maintenir les privilĂšges des classes possĂ©dantes, en Ă©cartant du systĂšme politique toute participation populaire. La loi comportait deux propositions : instauration de l’élection au suffrage direct, mais en excluant les analphabĂštes (et les esclaves, exclus y compris de la citoyennetĂ©) et en doublant le montant du cens Ă©lectoral. Jeremoabo, pourtant dans l’opposition, se positionna en faveur de la loi, dĂšs sept ans avant sa mise en application. Cette apparente concession devait en fait servir Ă  amortir les pressions des secteurs urbains libĂ©raux, qui, poussĂ©s par les nouvelles conjonctures Ă©conomiques de la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle, rĂ©clamaient plus de libĂ©ralisme, quand mĂȘme celui-ci s’accordait mal avec la rĂ©alitĂ© socio-Ă©conomico-politique de l’Empire du BrĂ©sil. Les dĂ©sidĂ©rata conservateurs, que Jeremoabo partageait avec toutes les Ă©lites dirigeantes, furent satisfaits : le peuple pourrait donc voter directement, mais seulement ceux de ses membres capables de parler au nom des intĂ©rĂȘts politico-Ă©conomiques agraires des seigneurs. Les mesures prises par le gouvernement impĂ©rial pour rĂ©former le systĂšme Ă©lectoral ne reprĂ©sentaient rien autre qu’une posture conciliatrice destinĂ©e Ă  briser l’élan des nouvelles forces sociales en train d’émerger[80].

Enjeux Ă©conomiques et esclavagisme

SĂ©ance du sĂ©nat national lors de laquelle fut approuvĂ©e la loi d’abolition de l’esclavage, dite loi d’Or, le 12 mai 1888.

Sur le plan Ă©conomique se jouait au BrĂ©sil un conflit d’intĂ©rĂȘts entre la vieille aristocratie esclavagiste et la nouvelle Ă©lite des planteurs cafĂ©iers installĂ©s dans l’ouest de l’État de SĂŁo Paulo. Dans la deuxiĂšme moitiĂ© du XIXe, la modernisation et l’urbanisation que connaissaient principalement les provinces du sud donna lieu Ă  un processus de diversification sociale. La classe conservatrice de la province de la Bahia, dont faisait partie le baron, Ă©tait depuis un certain temps dĂ©jĂ  sur le dĂ©clin et exclue du dĂ©veloppement Ă©conomique engagĂ© par les conservateurs du sud. L’expansion de la cafĂ©iculture entraĂźna, dans les pratiques socio-Ă©conomiques, une transition de l’esclavage colonial vers un mode production capitaliste effectif, utilisant comme main-d'Ɠuvre des immigrĂ©s salariĂ©s. Dans le mĂȘme temps, dans les zones Ă©conomiquement pĂ©riclitantes du Nordeste, l’économie sucriĂšre tendait Ă  stagner et la baisse de sa lucrativitĂ© ne permettait plus aux fazendeiros de continuer Ă  dĂ©tenir des esclaves, lesquels Ă©taient alors vendus aux plantations de cafĂ© du sud ou transformĂ©s en ouvriers agricoles, en colons et en d’autres formes de relation Ă©conomique non esclavagiste. Dans la dĂ©cennie 1870 se cĂŽtoyaient dĂ©sormais, du point de vue Ă©conomico-financier, deux rĂ©alitĂ©s distinctes : les provinces du sud, sur la pente du progrĂšs, et celles du nord, en dĂ©clin. Le commerce bancaire de la capitale bahianaise, en grande expansion, stimulĂ© par les capitaux auparavant utilisĂ©s dans le trafic des esclaves et Ă  prĂ©sent libĂ©rĂ©s, avait jusqu’alors permis au fazendeiro de ParaĂ­ba d’augmenter leurs plantations, et de payer le prix de l’esclave, nonobstant que son montant avait doublĂ© par suite de la fin du trafic, rendant ainsi le planteur Ă  mĂȘme d’équilibrer malgrĂ© tout ses comptes. À partir de la dĂ©cennie 1850 et au cours des annĂ©es 1860, les rĂ©coltes furent sans cesse en hausse, aiguillonnĂ©es par des prix Ă©levĂ©s. Mais dans le nord, la pĂ©nurie locale de liquiditĂ©s, la concurrence des producteurs Ă©trangers et la progressive perte de sa main-d’Ɠuvre conduisit la principale production de l’économie coloniale, le sucre de canne, vers une totale perdition. Dans le nord, au contraire du sud, l’agriculture ne rĂ©engageait pas ses recettes libres dans les plantations et resta exclue des investissements ; conditionnĂ©e par les variations du marchĂ© international, elle perdit sa capacitĂ© de garantir les emprunts qu’elle souscrivait. L’on s’accordait Ă  considĂ©rer que l’activitĂ© sucriĂšre n’était plus rentable, vu le prix Ă©levĂ© des esclaves, et l’on se rĂ©signait alors souvent Ă  ceder ces derniers aux plantations de cafĂ©[81].

Les incessantes migrations d’esclaves des provinces du nord vers celles du sud, la compagne abolitionniste et la loi dite d’Or portant abolition de l’esclavage sur quoi elle dĂ©boucha, non seulement furent prĂ©judiciables Ă  Jeremoabo dans ses affaires de Bom Jardim et eurent pour effet de dĂ©sorganiser toutes ses activitĂ©s Ă©conomiques, mais contribuĂšrent aussi Ă  inflĂ©chir sa perception du pouvoir politique en place. CĂ­cero Dantas ne put comprendre, en tant que conservateur, reprĂ©sentant d’une classe aristocratique remontant Ă  l’époque coloniale qui s’était toujours appuyĂ©e sur le binĂŽme terre-esclave et qui avait Ă©tĂ© pendant longtemps le point d’équilibre de la couronne impĂ©riale, que la propre fille de l’Empereur eĂ»t signĂ© la loi d'affranchissement et portĂąt le coup de grĂące d’une maniĂšre aussi radicale, sans moyens termes et sans indemnisation. UlcĂ©rĂ© et aigri, il cessa de se sentir au diapason avec le pouvoir politique. Jusque-lĂ , il avait suffi qu’il fĂźt cause commune avec ses pairs et avisĂąt avec eux aux moyens de freiner l’avancĂ©e libĂ©rale ; ensemble, ils avaient eu l’habilitĂ© de ne jamais rien faire de façon radicale, la demi-teinte Ă©tant de mise, comme en tĂ©moigne la promulgation de la loi des Ventres libres de 1871 : quand Jeremoabo dĂ©cida d’appuyer cette loi, d’une portĂ©e humanitaire seulement apparente, il Ă©tait conscient des Ă©normes avantages qu’elle lui apporterait, car elle lui permettait de garder ses esclaves pendant la durĂ©e de leur plus grande productivitĂ© de travail, ou sinon toucher un important dĂ©dommagement pĂ©cuniaire de la part de l’État. Le sursis ainsi obtenu par les esclavocrates prit bientĂŽt fin quand les campagnes abolitionnistes s’intensifiĂšrent de nouveau. La classe dominante se vit alors contrainte Ă  de nouvelles concessions ; vint alors, en 1885, la loi proposĂ©e par son cousin Manuel Pinto de Souza Dantas (le conselheiro Dantas), dĂ©nommĂ©e loi Saraiva-Cotegipe ou loi des SexagĂ©naires, prescrivant l’affranchissement des esclaves de plus de 60 ans, qui avait le mĂȘme but que la loi des Ventres libres, Ă  savoir encore une fois d’amortir le mouvement libĂ©ral. Cette fois cependant, le ridicule de la loi fut tel que celle-ci ne parvint nullement Ă  neutraliser les exigences d’émancipation totale Ă  laquelle aspirait le pays tout entier. Jeremoabo et JosĂ© Gonçalves, dĂ©sespĂ©rĂ©s pour leurs plantations et usines Ă  sucre par la fugue de leurs esclaves sous les encouragements et la protection des abolitionnistes, ne pouvaient plus s’en rapporter Ă  l’armĂ©e pour capturer les fugitifs, car aprĂšs la guerre du Paraguay, les militaires refusaient d’accomplir cette tĂąche[82].

Coronélisme

L'avĂšnement du rĂ©gime rĂ©publicain portera Jeremoabo Ă  se muer de grand dignitaire de l’Empire en coronel du sertĂŁo. La pĂ©riode politique vĂ©cue par le baron sous la monarchie n’était plus dĂ©sormais celle oĂč l’autoritĂ© centrale, soucieuse de consolider son autoritĂ©, choisissait de dĂ©lĂ©guer certains pouvoirs aux potentats locaux. Il est vrai que le temps de sa carriĂšre politique avait coĂŻncidĂ© avec le moment oĂč les gouvernements centraux ambitionnaient de prendre dĂ©finitivement et intĂ©gralement le contrĂŽle du pouvoir sur la totalitĂ© du territoire, s’appliquant Ă  colmater les brĂšches qui avaient Ă©tĂ© laissĂ©es ouvertes durant la pĂ©riode coloniale, abstraction faite de quelques fonctions publiques cĂ©dĂ©es au pouvoir privĂ© dans le souci de maintenir un certain Ă©quilibre.

Jeremoabo commença sa carriĂšre politique en 1861, Ă  un moment oĂč l’État avait cessĂ© dĂ©jĂ  d’ĂȘtre patrimonial pour se faire bureaucratique. Au fur et Ă  mesure de cette transformation, il eut soin d’adapter son comportement et rĂ©visa sa conception de l’autoritĂ©. Ce faisant, il agit nĂ©anmoins toujours en conservateur, tout en prenant en compte la politique centralisatrice des gouvernements successifs, administrant son pouvoir local et privĂ© avec souplesse, mais toujours en s’agrippant aux divers fils de la toile politique qui le rattachaient au centre politique, reprĂ©sentĂ© tantĂŽt par le prĂ©sident de province, tantĂŽt par le prĂ©sident du Conseil, tantĂŽt par l’Empereur lui-mĂȘme. Au-dedans de ces limites, il peut ĂȘtre affirmĂ© qu’il fut, dĂšs l’Empire, un coronel, compte tenu que dans ses domaines CamuciatĂĄ et Regalo, il avait sous ses ordres une lĂ©gion de travailleurs, et disposait de nombreux affidĂ©s Ă  qui il indiquait pour qui ils devaient voter. Mais par-dessus ces traits caractĂ©ristiques du coronel prĂ©valait dans son esprit l’engagement politique conservateur consistant notamment Ă  ne protĂ©ger que celui qui admirĂąt l’Empereur et que celui qui fĂ»t saquarema ; en dĂ©finitive, il se devait d’ĂȘtre fidĂšle Ă  la structure de pouvoir qui le reconnaissait comme gentilhomme-fermier (tabarĂ©u fidalgo). Toutefois, s’il fut un coronel dĂšs l’Empire, il ne put l’ĂȘtre pour de vrai : il en Ă©tait empĂȘchĂ© par le centralisme de l’État impĂ©rial, et son indĂ©pendance se trouvait donc ĂȘtre limitĂ©e. Les juges et les procureurs Ă©taient nommĂ©s avec l’accord du prĂ©sident de province, lequel Ă  son tour reprĂ©sentait la volontĂ© de l’Empereur[83].

La rĂ©publique en revanche promettait la dĂ©centralisation et l’autonomie pour les provinces, devenues États fĂ©dĂ©rĂ©s. Les traits propres au coronel tendirent alors Ă  s’accentuer, et du baron saquarema il ne devait plus guĂšre demeurer que le titre, que Jeremoabo tenait cependant Ă  prĂ©server. L’instabilitĂ© politique engendrĂ©e par la transition politique porta le baron, selon ses propres paroles, Ă  « rester, par circonspection, dans une expectative sympathique ».

La guerre de Canudos

À partir de la fin des annĂ©es 1860, un prĂ©dicateur laĂŻc, AntĂŽnio Conselheiro, originaire du CearĂĄ, rĂ©ussit, par ses prĂ©dications et ses bonnes Ɠuvres, Ă  acquĂ©rir un grand ascendant auprĂšs des populations rurales de la Bahia et de quelques États voisins, et de se constituer un groupe nombreux d’adeptes. Bien que ne troublant pas l’ordre public et se tenant dans les strictes limites de la religiositĂ© catholique traditionnelle, il finit par susciter l’hostilitĂ© de l’aristocratie fonciĂšre locale et de la hiĂ©rarchie ecclĂ©siastique. Initialement, CĂ­cero Dantas se montra tolĂ©rant envers AntĂŽnio Conselheiro, mais le devint moins lorsque l’influence de Conselheiro sur la population se fit manifeste. Du reste, CĂ­cero Dantas eut l’occasion de rencontrer Conselheiro personnellement et nota ses impressions[84].

La premiĂšre tentative connue d’interdire les activitĂ©s d’AntĂŽnio Conselheiro coĂŻncida avec la dĂ©cision prise par CĂ­cero Dantas, en collusion avec l’archevĂȘque de Salvador, de neutraliser l’influence grandissante du prĂ©dicateur ; il est Ă  rappeler sous ce rapport que CĂ­cero Dantas, dont la personnalitĂ© incarnait l’imbrication des rĂ©seaux des diverses Ă©lites bahianaises, Ă©tait non seulement un puissant coronel campagnard, mais avait aussi ses entrĂ©es dans l’aristocratie du RecĂŽncavo, grĂące Ă  son mariage avec une jeune fille de la famille Costa Pinto, alliance qui fit de lui le gendre du vicomte de Sergimirim[85]. Si l’on en est rĂ©duit Ă  spĂ©culer si CĂ­cero Dantas eut la main dans l’arrestation d’AntĂŽnio Conselheiro Ă  Itapicuru en juin 1876, sur l’accusation (infondĂ©e) de meurtre de son Ă©pouse, il est un fait en revanche que plus qu’aucun autre fazendeiro de la rĂ©gion, il avait fini par adopter une attitude trĂšs hostile vis-Ă -vis d’AntĂŽnio Conselheiro et s’irritait du crĂ©dit croissant de celui-ci sur la population locale. Il rĂ©solut donc de porter le conflit sur l’arĂšne politique ; il suffit qu’en 1887, ainsi qu’il appert de la correspondance (conservĂ©e) de Jeremoaba, le commissaire de police local, en mĂȘme temps propriĂ©taire d’une Ă©picerie, marri de voir une partie de sa clientĂšle lui Ă©chapper Ă  cause d’AntĂŽnio Conselheiro, Ă©crivĂźt Ă  Jeremoabo que « Conselheiro dĂ©voyait le comportement de la population », pour que CĂ­cero Dantas dĂ©cidĂąt d’intervenir personnellement contre Conselheiro, requĂ©rant le gouvernement provincial de se saisir de sa personne. Cependant, informĂ©s, AntĂŽnio Conselheiro et ses adeptes quittĂšrent prĂ©cipitamment Itapicuru et trouvĂšrent momentanĂ©ment refuge dans le Sergipe voisin, attendant que les choses s’apaisent[86].

Si AntĂŽnio Conselheiro eut soin de se tenir Ă  l’écart de la politique, en dĂ©pit de son hostilitĂ© ouverte envers la rĂ©publique nouvellement proclamĂ©e, certains Ă©lĂ©ments portent Ă  croire que les conselheiristes, et plus tard les jagunços de Canudos, aient pu servir les intĂ©rĂȘts Ă©lectoraux de la faction dirigĂ©e par LuĂ­s Viana, en offrant d’intervenir comme fĂłsforos (litt. allumettes), c’est-Ă -dire comme rabatteurs de voix ; en effet, aprĂšs le schisme du Parti RĂ©publicain FĂ©dĂ©raliste, les lieutenants d’AntĂŽnio Conselheiro cherchĂšrent des appuis auprĂšs de la faction vianiste, escomptant sans doute que celle-ci remporterait le gouvernorat provincial. Il n’est pas certain que des contacts aient jamais Ă©tĂ© pris entre partisans vianistes et conselheiristes, ou que ces derniers aient pu agir comme fĂłsforos au profit des vianistes, et encore moins que cela se soit fait Ă  l’instigation de Conselheiro ; il est Ă©tabli par contre que la faction vianiste brĂ»lait publiquement les impopulaires Ă©dits gonçalvistes instituant de nouvelles taxes, et l’on peut donc supposer que les incidents violents qui eurent lieu en 1893 Ă  Bom Conselho, au cƓur de la zone d’influence du baron de Jeremoabo, et dans lesquels fut impliquĂ© AntĂŽnio Conselheiro, sont Ă  situer dans le cadre de cette campagne d’autodafĂ©s[87].

Cet incident, valant rĂ©bellion ouverte contre les autoritĂ©s, conduisit AntĂŽnio Conselheiro Ă  mettre fin Ă  ses longues annĂ©es d’errance et Ă  se fixer avec la troupe de ses sectateurs dans la fazenda abandonnĂ©e et ruinĂ©e de Canudos, sise sur le rives du fleuve Vaza-Barris, dans une zone Ă©cartĂ©e mais relativement fertile. Cette fazenda se trouvait appartenir Ă  une niĂšce de CĂ­cero Dantas, la baronne SĂŁo Francisco do Conde, qui avait son domaine principal dans le RecĂŽncavo et n’avait pas jugĂ© Ă  propos d’engager les frais nĂ©cessaires pour rĂ©habiliter le site ; au grand dĂ©pit de Jeremoabo, elle se montra par la suite rĂ©ticente Ă  en faire dĂ©loger les conselheiristes[88]. La colonie fondĂ©e par AntĂŽnio Conselheiro, appelĂ©e Belo Monte, atteignit bientĂŽt plusieurs dizaines de milliers d’habitants.

Plusieurs facteurs peuvent ĂȘtre invoquĂ©s pour expliquer pourquoi le village de Canudos fut attaquĂ© par les autoritĂ©s, une premiĂšre fois en novembre 1896 par un dĂ©tachement de police de l’État de Bahia, suivie par trois autres expĂ©ditions, mises sur pied cette fois par le gouvernement central. JouĂšrent ici un rĂŽle : la nuisance provoquĂ©e par les jagunços de Conselheiro, sans doute rĂ©elle, mĂȘme si les fazendeiros de la rĂ©gion tendaient Ă  en exagĂ©rer fortement l’ampleur (contredite par le fait que les jagunços apportaient Ă  l’occasion leur concours Ă  la police[89]) ; l’hostilitĂ© de l’Église, engagĂ©e dans une rĂ©forme ultramontaine ; le mĂ©contentement des coroneis, Ă  qui l’exode massif de populations hors de leurs fazendas Ă  destination de Canudos faisait redouter une pĂ©nurie de main-d’Ɠuvre ; un ensemble de mobiles liĂ©s Ă  la politique bahianaise, mais bientĂŽt aussi Ă  la politique nationale, le rĂ©gime rĂ©publicain, encore mal assurĂ©, s’évertuant en effet Ă  resserrer les rangs par une lutte vitale (sujette Ă  toutes les surenchĂšres) contre un ennemi commun, en l’occurrence largement phantasmĂ©, se prĂ©sentant sous les espĂšces d’un grand complot monarchiste international, dont Canudos serait le centre nĂ©vralgique. On ajoutera enfin, aprĂšs l’échec de la premiĂšre expĂ©dition, l’entĂȘtement de part et d’autre et une dynamique propre du conflit prenant l’allure typique d’une escalade militaire incoercible.

Lors des dĂ©bats qui eurent lieu Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s de la Bahia au dĂ©but de 1894, alors que la population de Canudos s’élevait dĂ©jĂ  Ă  plus de 14 000 personnes, la ligne de dĂ©marcation entre adversaires et dĂ©fenseurs du Conselheiro coĂŻncidait avec celle sĂ©parant les deux partis opposĂ©s : d’une part les gonçalvistes, alliĂ©s de Jeremoabo et d’autres coroneis, rĂ©clamant une prompte intervention, et d’autre part les vianistes, dĂ©fendant le droit des Canudenses de vivre sans ĂȘtre inquiĂ©tĂ©s[90]. Les vianistes l’emportĂšrent dans un premier temps, et Jeremoabo et ses partisans remisĂšrent temporairement leur requĂȘte. Cependant, les choses changĂšrent lorsque Viana eut pris le pouvoir en mai 1896. Celui-ci en effet, ayant maintenant rĂ©ussi Ă  consolider son hĂ©gĂ©monie Ă  Salvador, pouvait dĂ©sormais se passer de l’appui et des services des jagunços, et paradoxalement se permettre Ă  prĂ©sent de prĂȘter une oreille complaisante aux sollicitations des fazendeiros de l’arriĂšre-pays. Quand survint le prĂ©texte d’intervenir (une anodine affaire de marchandises non livrĂ©es quoique dĂ»ment payĂ©es par Conselheiro, lequel se rĂ©pandit en menaces), il n’y eut plus personne pour prendre la dĂ©fense de Canudos[91].

Pendant la campagne militaire, la famille Danzas s’employa Ă  entretenir la psychose. Ainsi AmĂ©rico Camillo de Souza Velho, propriĂ©taire terrien et cousin de CĂ­cero Dantas, fit-il imprimer Ă  ses frais et diffuser un billet dans lequel il affirmait qu’il avait Ă©tĂ© rĂ©veillĂ© un certain matin par l’un de ses propres espions lui annonçant que les jagunços de Conselheiro se dirigeaient vers son logis pour le punir d’avoir ravitaillĂ© les troupes de la troisiĂšme expĂ©dition et qu’il avait Ă©tĂ© forcĂ© d’évacuer toute sa famille ; les hommes de main de Canudos, dĂ©clarait-il encore, ayant trouvĂ© la maison vide, entreprirent alors de la ravager de fond en comble[89].

En septembre 1897, la quatriĂšme et derniĂšre expĂ©dition vint finalement Ă  bout de la rĂ©sistance des Canudenses. La campagne s’acheva par la destruction complĂšte du village et le massacre de la presque totalitĂ© de ses habitants.

Écrits

À cĂŽtĂ© de ses occupations politiques et de fazendeiro, CĂ­cero Dantas Martins dĂ©ploya une activitĂ© Ă©pistolaire prolifique. Entre les annĂ©es 1873 et 1903, il expĂ©dia 44 411 lettres, soit une moyenne de 1 432 l’an, dont il tint mĂ©ticuleusement registre dans un carnet et dont il gardait chaque fois une copie. Pendant toute sa vie, il avait coutume de se retrancher dans son bureau pour y rĂ©diger sa correspondance, au dĂ©triment de sa santĂ©. La plus grande partie de cette correspondance s’est perdue, mais il en subsiste environ 1 300 lettres, pour la plupart des lettres reçues par lui ; ces derniĂšres, conservĂ©es dans leur presque totalitĂ©, Ă©taient souvent assorties de photographies reprĂ©sentant, outre les membres de sa famille, ses amis et d’autres grands propriĂ©taires terriens, un certain nombre de personnages importants de l’histoire du BrĂ©sil, tels que JosĂ© de Alencar, Rio Branco, le baron de Cotegipe, le vicomte de NiterĂłi. Quant aux lettres Ă©crites et adressĂ©es par lui Ă  des personnes haut placĂ©es — gouverneurs, juges, ministres, secrĂ©taires d’État, grands propriĂ©taires, installĂ©es dans diffĂ©rentes localitĂ©s et dans d'autres provinces ou États —, mais aussi Ă  des vaqueiros (gardiens de bĂ©tail), quasi aucune n’a Ă©tĂ© conservĂ©e, hormis celles qu’il Ă©crivit entre 1865, date de la premiĂšre, et 1902, date de la derniĂšre, Ă  son ami JosĂ© Gonçalves da Silva, le premier gouverneur constitutionnel de la Bahia sous le rĂ©gime rĂ©publicain. Ces lettres prĂ©servĂ©es, dĂ©couvertes rĂ©cemment, constituent une riche source d’informations sur certains Ă©pisodes de l’histoire du BrĂ©sil au XIXe siĂšcle, en particulier sur la guerre de Canudos. Est en outre parvenu jusqu’à nous un carnet, commencĂ© en 1895, oĂč il s’appliquait Ă  consigner avec soin les dĂ©cĂšs, naissances, mariages et autres Ă©vĂ©nements de la vie civile, en plus de quelques opinions personnelles sur divers sujets. Enfin, l’on a gardĂ© de lui quelques articles de sa main parus dans la presse de l’époque[92].

Notes et références

  1. Les possessions de cette famille s'Ă©tendaient sur quelque 300 000 km2, selon une estimation rĂ©cente de Moniz Bandeira. Le chiffre de 800 000 km2 donnĂ© çà et lĂ , notamment sur les panneaux d’information Ă  Praia do Forte ainsi que dans certains guides de voyage, apparaĂźt donc comme une exagĂ©ration. Cf. Ângelo Emilio da Silva Pessoa, As ruĂ­nas da tradição: 'A Casa da Torre' de Garcia D' Ávila - famĂ­lia e propriedade no nordeste colonial, thĂšse de doctorat, universitĂ© de SĂŁo Paulo, 2003, consultable en ligne.
  2. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 28.
  3. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 30.
  4. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 32-33.
  5. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 34.
  6. Le , au procĂšs relatif Ă  cette tentative d’homicide menĂ© devant le Tribunal Ă  Salvador, l’inculpĂ© LuĂ­s de Almeida, parent de JoĂŁo Dantas, fut condamnĂ©, en premiĂšre instance, Ă  quatre ans de bannissement vers une des colonies d’Afrique ; si le condamnĂ© Ă©chappa Ă  cette peine, celle-ci ne pouvant en effet ĂȘtre infligĂ©e Ă  des mineurs de moins de 16 ans ou Ă  des personnes ayant dĂ©passĂ© les 55 ans, il dut toutefois s’acquitter d’une amende de deux-cent-mille rĂ©is, en sus des frais de justice Ă  hauteur de cent mille rĂ©is. Cf. Álvaro Pinto Dantas, CĂ­cero Dantas Martins — De BarĂŁo a Coronel, p. 35-36.
  7. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 37.
  8. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 38.
  9. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 39.
  10. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 40.
  11. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 41.
  12. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 42.
  13. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 43.
  14. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 44.
  15. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 45.
  16. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 46.
  17. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 48.
  18. On voudra bien noter les pluriels portugais : coroneis, de coronel, bachareis, de bacharel, gerais, de geral, sertÔes, de sertão, etc. Ces pluriels sont réguliers.
  19. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 36 et 48.
  20. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 52.
  21. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 54.
  22. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 55.
  23. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 56.
  24. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 58.
  25. L’art. 80 de ladite loi stipule : « Les Ă©tudiants qui dĂ©sirent s’inscrire Ă  un cursus juridique doivent pouvoir produire un certificat Ă©tablissant qu’ils ont atteint l’ñge de quinze ans rĂ©volus et ont rĂ©ussi aux examens de langue française, de grammaire latine, de rhĂ©torique, de philosophie rationnelle et morale, et de gĂ©omĂ©trie », Álvaro Pinto Dantas, CĂ­cero Dantas Martins — De BarĂŁo a Coronel, p. 58.
  26. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 59.
  27. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 61.
  28. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 62.
  29. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 63.
  30. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 65.
  31. De Saquarema, nom d’une ville de la province de Rio de Janeiro, qui Ă©tait aux mains des conservateurs en 1845, c'est-Ă -dire Ă  une pĂ©riode oĂč les libĂ©raux (surnommĂ©s Luzias) dirigeaient le gouvernement. Cette annĂ©e-lĂ , lors d’une confrontation Ă©lectorale, la ville Ă©tait menacĂ©e par un ecclĂ©siastique, sous-dĂ©lĂ©guĂ© Ă  la police, qui voulait gagner l’élection Ă  tout prix ; les dirigeants conservateurs cependant rĂ©ussirent Ă  sauvegarder la ville. L’appellation Luzias provient de Santa Luzia, ville des Minas Gerais, cf. Álvaro Pinto Dantas, CĂ­cero Dantas Martins — De BarĂŁo a Coronel, p. 80 et 81.
  32. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 66.
  33. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 66-67.
  34. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 71.
  35. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 72.
  36. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 74.
  37. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 84.
  38. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 85 etss.
  39. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 86.
  40. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 88.
  41. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 89.
  42. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 91.
  43. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 92.
  44. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 93.
  45. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 97.
  46. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 99.
  47. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 100.
  48. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 102.
  49. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 103.
  50. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 104.
  51. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 106.
  52. Baron de Vasconcelos, baron Smith de Vasconcelos, Arquivo NobiliĂĄrquico Brasileiro, Lausanne, Imprimerie La Concorde, 1918. Geremoabo, p. 159.
  53. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 135.
  54. Robert M. Levine, Vale of Tears. Revisiting the Canudos Massacre in Northeastern Brazil, 1893-1897, University of California Press, Berkeley & Los Angeles, 1992, p. 135.
  55. Caros Ott, VestĂ­gios de cultura indĂ­gina, Salvador, Secretaria de Educação e SaĂșde, 1945, citĂ© par R. Levine, Vale of Tears, p. 264.
  56. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 145.
  57. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 146.
  58. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 161.
  59. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 163.
  60. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 164.
  61. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 165.
  62. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 166.
  63. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 167.
  64. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 168.
  65. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 169.
  66. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 171.
  67. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 107.
  68. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 108.
  69. Ilmar Rohlolf Mattos, O Tempo Saquarema. A Formação do Estado Imperial, Rio de Janvier, éd. Access, 1994, p. 107 (cité par Álvaro de Carvalho, p. 109.
  70. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 133.
  71. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 144.
  72. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 116.
  73. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 11.
  74. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 120.
  75. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. p121-122.
  76. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 123.
  77. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 124.
  78. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 125-126.
  79. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 129-130.
  80. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 131.
  81. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 131-132.
  82. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 137-138.
  83. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 159.
  84. R. Levine, Vale of Tears, p. 140.
  85. R. Levine, Vale of Tears, p. 135.
  86. R. Levine, Vale of Tears, p. 136.
  87. R. Levine, Vale of Tears, p. 141.
  88. R. Levine, Vale of Tears, p. 147.
  89. R. Levine, Vale of Tears, p. 168.
  90. R. Levine, Vale of Tears, p. 142.
  91. R. Levine, Vale of Tears, p. 143.
  92. Álvaro Pinto Dantas, Cícero Dantas Martins — De Barão a Coronel, p. 18-20.

Bibliographie

  • Álvaro Pinto Dantas de Carvalho JĂșnior, O BarĂŁo de Jeremoabo e a PolĂ­tica do seu Tempo, Ă©d. EGB, Salvador, 2006 (ISBN 85-7505-147-4)
  • Consuelo Novais Sampaio (dir.), Canudos: Cartas para o BarĂŁo, 2e Ă©d., Ă©d. USP, SĂŁo Paulo, 2001 (ISBN 85-3140-538-6)

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