CĂcero Dantas Martins
CĂcero Dantas Martins, connu aussi sous son titre nobiliaire de baron de Jeremoabo, ou simplement comme Jeremoabo (SĂŁo JoĂŁo Batista de Jeremoabo, 1838 â CĂcero Dantas, anciennement Bom Conselho, 1903), Ă©tait un grand propriĂ©taire terrien et homme politique brĂ©silien.
CĂcero Dantas Martins | |
CĂcero Dantas Martins, baron de Jeremoabo | |
Fonctions | |
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Député général pour la province de la Bahia | |
De 1869 Ă 1872 ; de 1872 Ă 1875 ; en 1877 ; et de 1886 Ă 1889 (4 lĂ©gislatures) â | |
Groupe politique | Conservateurs |
DĂ©putĂ© Ă lâassemblĂ©e provinciale de la Bahia | |
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SĂ©nateur de lâĂtat de la Bahia | |
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PrĂ©sident du sĂ©nat de lâĂtat de la Bahia | |
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Biographie | |
Date de naissance | |
Lieu de naissance | Jeremoabo (province de la Bahia, Brésil) |
Date de décÚs | |
Lieu de dĂ©cĂšs | Bom Conselho (Ătat de la Bahia, BrĂ©sil) |
Nature du décÚs | Mort naturelle |
SĂ©pulture | Igreja Matriz (Ă©glise mĂšre) de Bom Conselho |
Nationalité | Brésilienne |
Parti politique | Parti conservateur ou saquarema (sous lâEmpire) ; Parti RĂ©publicain FĂ©dĂ©raliste (jusquâen 1894) ; Parti RĂ©publicain Constitutionnel (jusquâĂ sa mort) |
PĂšre | JoĂŁo Dantas JĂșnior |
MĂšre | Mariana Francisca da Silveira |
Fratrie | Cadet dâune fratrie de 6 enfants |
Conjoint | Mariana da Costa Pinto |
Enfants | Deux fils |
Entourage | Aristocratie fonciĂšre de lâarriĂšre-pays bahianais ; fut lâami intime de JosĂ© Gonçalves da Silva, gouverneur de lâĂtat de la Bahia |
DiplĂŽmĂ© de | Ăcole de droit de Recife (Pernambouc) |
Profession | Fazendeiro |
Religion | Catholique |
RĂ©sidence | Bom Conselho (principale), Itapicuru, Jeremoabo. |
HĂ©ritier des vastes Ă©tendues de terres acquises progressivement par la famille Dantas, il fut lâun des plus grands propriĂ©taires terriens, sinon le plus grand, de tout le Nordeste brĂ©silien, et en tant que tel, un reprĂ©sentant typique du coronĂ©lisme, câest-Ă -dire un potentat local combinant en sa personne, par une confusion permanente entre sphĂšre publique et sphĂšre privĂ©e, le pouvoir Ă©conomique privĂ©, appuyĂ© sur la grande propriĂ©tĂ© terrienne et lâesclavagisme, et divers postes et positions dâinfluence dans le domaine public, que ce soit dans la politique et lâadministration municipales, la magistrature, la police (Ă travers la nomination des commissaires), les milices supplĂ©tives locales ou dans la Garde nationale (chargĂ©e du maintien de lâordre).
DotĂ© dâun diplĂŽme de licenciĂ© en droit, et assurĂ© du soutien de sa famille et de toute la clientĂšle de celle-ci, il se lança dans la politique Ă lâĂ©chelon national et sut se faire Ă©lire Ă plusieurs reprises dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral (national) pour sa circonscription de lâarriĂšre-pays (sertĂŁo) bahianais, tout en assumant, Ă lâinstar de ses ancĂȘtres, des fonctions dans la politique locale. Ses efforts, Ă la Chambre des dĂ©putĂ©s comme dans les autres instances politiques, tendront alors tout entiers Ă la prĂ©servation des privilĂšges et du pouvoir discrĂ©tionnaire de sa classe â lâaristocratie fonciĂšre agro-commerciale esclavagiste â et consisteront Ă composer avec lâautoritĂ©, Ă louvoyer, Ă anticiper, rĂ©frĂ©ner, diffĂ©rer ou dĂ©samorcer tout projet de loi prĂ©judiciable aux intĂ©rĂȘts de sa caste, et ce par-delĂ les divers soubresauts de lâhistoire (guerre du Paraguay, coup dâĂtat rĂ©publicain) et surtout Ă rebours des nouvelles Ă©volutions sociales (Ă©mergence dâune couche urbaine libĂ©rale, principalement dans le sud du pays), politiques (montĂ©e en puissance de ses adversaires libĂ©raux, au dĂ©triment des conservateurs), administratives (loi Ă©lectorale, forte centralisation sous lâEmpire, fĂ©dĂ©ralisation sous la RĂ©publique), Ă©conomiques (dĂ©clin de la canne Ă sucre, crise financiĂšre, prĂ©pondĂ©rance croissante des cafĂ©iculteurs du sud), mais aussi personnelles (scission de sa parentĂšle entre conservateurs et libĂ©raux), etc.
La question de lâesclavage apparaĂźt particuliĂšrement illustrative de lâattitude du baron de Jeremoabo : sous la pression abolitionniste, il soutint, pour donner le change, diverses lois qui tendaient, mais en apparence seulement, Ă une Ă©mancipation partielle des esclaves. Lâacte dâabolition, finalement adoptĂ© et signĂ© par la fille mĂȘme de lâempereur en 1888, signifia dans le chef de CĂcero Dantas la rupture de la convergence dâintĂ©rĂȘts, de la symbiose, qui avait jusque-lĂ prĂ©valu tellement quellement entre le rĂ©gime impĂ©rial et la vieille aristocratie brĂ©silienne. Ce fait, suivi bientĂŽt de la proclamation de la rĂ©publique en 1889 et lâinstauration du fĂ©dĂ©ralisme, et lâavĂšnement subsĂ©quent dâun pouvoir adverse Ă la tĂȘte de sa province, devenue Ătat fĂ©dĂ©rĂ©, incita CĂcero Dantas Ă se replier dĂ©sormais davantage sur son fief et Ă renforcer son coronĂ©lisme.
Ascendances familiales
NĂ© le 28 juin 1838 Ă la fazenda (=grand domaine agricole) CaritĂĄ, sise dans la commune de Jeremoabo, en plein sertĂŁo bahianais, CĂcero Dantas Martins grandit dans un milieu aux traditions dĂ©jĂ bien ancrĂ©es. En effet, fils du commandeur JoĂŁo Dantas dos Reis et de Mariana Francisca da Silveira, il appartenait Ă lâantique famille Dantas, dont les membres furent autrefois les rĂ©gisseurs attitrĂ©s des Torre de Garcia dâĂvila, famille de grands propriĂ©taires fonciers Ă©tablis dans lâarriĂšre-pays semi-aride (sertĂŁo) de la Bahia depuis les dĂ©buts de la colonisation. La famille Dantas rĂ©ussit au fil du temps, tout en administrant ces vastes Ă©tendues, Ă en acquĂ©rir pour elle-mĂȘme de grandes portions, de sorte que CĂcero Dantas Martins pouvait passer pour lâun des plus grands fazendeiros, sinon le plus grand, de tout le Nordeste brĂ©silien, possĂ©dant soixante-et-une propriĂ©tĂ©s rurales dans les provinces (ultĂ©rieurement Ătats fĂ©dĂ©rĂ©s) de la Bahia et du Sergipe.
CĂcero Dantas appartenait Ă la 6e gĂ©nĂ©ration dâun clan Ă©tabli de longue date dans le sertĂŁo bahianais ; sa famille en effet, qui remontait aux Gonçalves Leite, originaires du nord du Portugal, Ă©tait arrivĂ©e au BrĂ©sil dans la 1re moitiĂ© du XVIIIe siĂšcle, oĂč elle obtint des sesmarias dans le sertĂŁo de Tiuiu (dĂ©nomination tombĂ©e en dĂ©suĂ©tude aujourdâhui), Ă©tendue alors intĂ©grĂ©e au territoire dâItapicuru de Cima, ressortissant lui-mĂȘme Ă la municipalitĂ© de Tucano, dans le nord-ouest de lâactuel Ătat de la Bahia. La famille dâorigine, qui Ă©tait arrivĂ©e au BrĂ©sil avec ses enfants dĂ©jĂ nĂ©s â Ă savoir deux filles, dont Leandra Sancha Leite de Souza, trisaĂŻeule de CĂcero Dantas Martins â, ainsi que ses gĂ©nĂ©rations successives, sâadonna Ă lâĂ©levage et Ă la plantation du coton, du manioc, et surtout de la canne Ă sucre. Leandra Sancha Ă©pousera le sous-lieutenant, ultĂ©rieurement capitaine, Baltazar dos Reis Porto, Portugais originaire de Porto, qui entrera ainsi en possession des sesmarias de la famille Gonçalves Leite situĂ©es dans le sertĂŁo de Tiutiu, prise de possession dĂ»ment confirmĂ©e par acte officiel en juillet 1749.
Baltazar dos Reis Porto, en plus dâĂȘtre militaire, Ă©tait depuis fort longtemps liĂ© Ă la famille Ăvila, exerçant en effet depuis de longues annĂ©es la charge dâintendant pour la maison Da Torre, qui Ă©tait aux XVIe et XVIIe siĂšcles le plus grand latifundiaire du BrĂ©sil, propriĂ©taire du domaine dit des DâĂvila[1]. En octobre 1754, il rĂ©solut dâacheter Ă la veuve de Garcia dâĂvila Pereira, descendant de 5e gĂ©nĂ©ration, peu aprĂšs la mort de celui-ci, le domaine de CamuciatĂĄ, dans lâactuelle municipalitĂ© dâItapicuru, puis sây fixa et y fit Ă©difier un moulin Ă sucre. Il fut le second, sinon le premier, de la famille Ă se lancer dans lâindustrie sucriĂšre, laquelle, si elle constituait lâactivitĂ© Ă©conomique de base dans le BrĂ©sil des XVIe et XVIIe siĂšcles, se trouvait alors (dans la 2e moitiĂ© du XVIIIe) dĂ©jĂ dans une phase de dĂ©clin au BrĂ©sil, ce pays ayant Ă ce moment en effet cessĂ© dâĂȘtre le plus grand producteur de sucre au monde, par suite de la concurrence des Hollandais, lesquels, chassĂ©s du Pernambouc, sâĂ©taient rĂ©installĂ©s aux Antilles, oĂč la productivitĂ©, comparĂ©e au BrĂ©sil, allait presque du simple au triple[2]. Mais Baltazar dos Reis Porto eut soin de dĂ©velopper en outre une sĂ©rie dâautres activitĂ©s lucratives : exploitation forestiĂšre, plantations de tabac, poterie, Ă©levage. Il engagea de lourds investissements dans lâamĂ©nagement de la propriĂ©tĂ©, notamment dans la construction dâun moulin Ă sucre â impressionnant ensemble de bĂątiments comprenant, outre les ateliers de production : un grand corps de logis, de style nĂ©oclassique, Ă Ă©tage, mĂ©lange de forteresse, dâhĂŽpital et de bureau ; des logements pour les esclaves ; et une chapelle, placĂ©e sous le vocable de saint Antoine. Ses quatre enfants, dont lâaĂźnĂ©, InĂĄcio, bisaĂŻeul de CĂcero Dantas, se retrouvĂšrent donc, Ă sa mort, Ă©conomiquement fort bien nantis[3].
Le bisaĂŻeul : InĂĄcio dos Reis Leite
InĂĄcio dos Reis Leite, habilitĂ© par acte de juillet 1752 Ă rester sesmeiro Ă Tiuiu, sâimpliqua aussi dans la vie sociale et politique dâItapicuru. Cette localitĂ©, Ă lâorigine mission franciscaine, dotĂ©e dâune chapelle en 1648 et Ă©levĂ©e au rang de paroisse (freguesia) en 1698, sous le nom de Nossa Senhora de NazarĂ© do Itapicuru de Cima, sâestima, compte tenu de lâaccroissement de son nombre dâhabitants, fondĂ©e Ă solliciter le statut de bourg (vila), demande Ă laquelle accĂ©da le vice-roi du BrĂ©sil, le comte de Sabugosa, en avril 1728[3]. Ă lâĂ©poque coloniale, la fonction des vilas Ă©tait de servir de point de contact entre lâadministration portugaise et le pouvoir local des seigneurs, en plus dâassumer la fonction sociale de lier entre eux les rĂ©sidents des fazendas et les propriĂ©taires des moulins Ă sucre (engenhos). InĂĄcio dos Reis Leite fut ainsi appelĂ© Ă exercer les charges publiques dâĂ©chevin (adjoint au maire, en port. vereador) et dâestimateur public. En tant que membre de lâĂ©lite coloniale, il put bĂ©nĂ©ficier de la politique royale, non seulement par les donations de sesmaria, mais aussi par les rĂŽles dirigeants qui lui furent dĂ©volus dans les organes politiques locaux, lesquels Ă©taient (Ă lâinstar du Portugal) la mairie et la Chambre municipale. Le maire en effet Ă©tait nommĂ© par la capitainerie, dont en retour il Ă©tait le subordonnĂ©, tandis que la Chambre, Ă©lective, organe le plus important de lâadministration, Ă©tait intĂ©grĂ©e elle aussi dans lâadministration gĂ©nĂ©rale, en ce sens quâelle Ă©tait subordonnĂ©e au gouverneur, et donc instrument exĂ©cuteur des dĂ©cisions de celui-ci. Le gouvernement local, qui se composait de deux juges ordinaires, de trois Ă©chevins, dâun greffier, dâun procureur (procurador) et de deux almotacĂ©s (fonctionnaire chargĂ© de contrĂŽler les poids et mesures, ainsi que lâhygiĂšne et la qualitĂ© des produits vendus sur place), Ă©tait Ă©lu annuellement, par scrutin indirect ; nâĂ©tait admis Ă prendre part au vote que le peuple qualifiĂ©, les hommes de qualitĂ© ; pour figurer dans la liste Ă©lectorale, la condition principale Ă©tait dâĂȘtre propriĂ©taire foncier et dĂ©tenteur dâesclaves. La rĂ©pression de la petite dĂ©linquance (vols, petites agressions et offenses), l'entretien de la voirie, la fixation des impĂŽts municipaux (Ă acquitter par les commerçants et artisans), relevaient des attributions du conseil dâĂ©chevins. Ă InĂĄcio dos Reis Leite, qui se prĂ©sentait aux Ă©lections chaque annĂ©e, Ă©chut Ă©galement de remplir Ă Itapicuru la fonction dâavaliador (litt. estimateur public), ample fonction englobant les attributions dâun juge des affaires civiles chargĂ© de lâexĂ©cution des testaments, de lâadministration des biens des dĂ©cĂ©dĂ©s, des absents et des orphelins, ainsi que celles de procureur, dâestimateur, de greffier du TrĂ©sor, tout cela contre Ă©moluments.
InĂĄcio dos Reis Leite Ă©pousa Maria Francisca de Souza Dantas, fille de propriĂ©taires de fazenda, de qui il eut sept enfants, dont JoĂŁo dâAntas dos Reis PortĂĄtil, nĂ© en 1773, grand-pĂšre de CĂcero Dantas. InĂĄcio dos Reis Leite mourut avant 1832, dans son domaine de CamuciatĂĄ[4].
Le grand-pĂšre : JoĂŁo Dantas dos Reis PortĂĄtil
DĂšs le jeune Ăąge, JoĂŁo Dantas se voua aux activitĂ©s agricole, pastorale et industrielle (sucre, eau-de-vie), dâabord comme auxiliaire de son pĂšre, puis comme hĂ©ritier et propriĂ©taire du domaine CamuciatĂĄ. Il agrandit le domaine en achetant, Ă des parents voisins ou Ă des Ă©trangers, des parcelles limitrophes, et y fit construire un nouveau moulin, ainsi quâun alambic de cuivre. Il ne cessa par ailleurs de pratiquer parallĂšlement lâĂ©levage. Cette derniĂšre activitĂ© avait fait figure, au XVIIe siĂšcle au BrĂ©sil, et dans le RecĂŽncavo en particulier, de simple annexe Ă la production sucriĂšre, les enclos se situant alors Ă proximitĂ© des plantations de canne ; peu Ă peu, avec lâaugmentation du peuplement, lâĂ©levage nâĂ©tait plus destinĂ© quâĂ remplir les besoins des moulins Ă sucre, et cet antagonisme entre agriculture et Ă©levage aboutira finalement Ă ce que ce dernier sera dĂ©placĂ© du littoral vers les sertĂ”es de lâintĂ©rieur, loin des Ă©tendues cultivĂ©es. Au milieu du XVIIIe, lâĂ©levage sâĂ©tait ainsi Ă©tabli dans les arriĂšre-pays semi-arides de la Bahia, dans de grandes propriĂ©tĂ©s fonciĂšres, les zones dâĂ©levage bahianaises tendant Ă se concentrer le long du rĂo San Francisco, du rio das Velhas, du rio das RĂŁs, et des fleuves Verde, Paramirim, JacuĂpe et Itapicuru[5].
Ă lâinstar de son pĂšre, JoĂŁo Dantas se fit un devoir dâassumer des fonctions publiques. Ainsi se mit-il au service du gouvernement colonial en se chargeant, directement ou Ă titre de mandataire, de la perception des dĂźmes royales, parcourant les freguesias dâĂgua Fria, de CamisĂŁo, dâItapicuru, dâInhambupe, de Jacobina, de Jeremoabo, de Monte Santo, dâOuriçangas, de Pambu et de Tucano. Le titre de percepteur Ă©tait aurĂ©olĂ© de prestige et la collecte dâimpĂŽts faisait lâobjet dâun monopole, dĂ©tenu par un ensemble dâindividus dominant la politique. Les impĂŽts Ă©taient levĂ©s en vente publique, les percepteurs-commissaires, souvent des Ă©chevins, versant ensuite les sommes ainsi perçues Ă la municipalitĂ©, en quatre versements annuels. Les produits les plus lucratifs Ă cet Ă©gard Ă©taient le bĂ©tail (bovins, mules, Ă©quidĂ©s, lapins), les cuirs et les peaux, le pĂ©trole lampant et la poudre Ă canon. Cependant, des conflits ne manquaient jamais de survenir entre les percepteurs et les parties imposables, et JoĂŁo Dantas nây faisait pas exception ; Ă certaine occasion, en 1813, alors quâil passait la nuit Ă Jeremoabo, il fut « fourbement maltraitĂ© dâun tir de carabine, qui manqua de lui ĂŽter la vie, ce qui le lĂ©gitima, au regard de la disposition du 27 avril de 1814, Ă user de ses armes, lui et ses deux hommes dâescorte »[6]. Lâauteur du coup de feu Ă©tait LuĂs de Almeida, parent de JoĂŁo Dantas.
En plus de celle de percepteur, JoĂŁo Dantas occupa dâautres fonctions publiques Ă ItapicurĂș, y compris celles de juge ordinaire et de juge des tutelles (juiz de ĂłrfĂŁos, litt. juge des orphelins), fonctions dâune grande importance politique et sociale, car faisant partie intĂ©grante de lâadministration judiciaire brĂ©silienne dĂšs les dĂ©buts de la colonisation.
Il Ă©pousa en 1795 Francisca Xavier de Souza Dantas, sa cousine au deuxiĂšme degrĂ© et niĂšce des sĆurs Joana VitĂłria de Souza Leite et de Maria VitĂłria de Souza, respectivement premiĂšre et seconde Ă©pouse du susmentionnĂ© LuĂs de Almeida. Elle lui donna huit enfants.
Les fils de famille appartenant Ă la noblesse rurale jouissaient de certains privilĂšges dans la carriĂšre des armes, leur permettant dâacquĂ©rir aisĂ©ment les grades supĂ©rieurs de colonel et de lieutenant-colonel dans la hiĂ©rarchie de la milice, ou le pompeux titre de capitaine-major dâordonnance (en port. CapitĂŁo-mor de Ordenanças), avec Ă la clef le commandement de la force de troisiĂšme ligne dâun district ; en revanche, dans les troupes de premiĂšre ligne, le privilĂšge se limitait Ă un statut de soldat noble, les faveurs allant ici dâabord aux cadets. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, câest pour la premiĂšre des possibilitĂ©s quâavaient coutume dâopter JoĂŁo Dantas et ses descendants. Le premier fut capitaine dâordonnance dâItapicurĂș, sergent-major et capitaine-major, par patente du , confirmĂ©e en janvier 1825, et son fils JoĂŁo Dantas dos Reis PortĂĄtil JĂșnior, pĂšre de CĂcero Dantas, fut lieutenant-colonel du rĂ©giment de cavalerie de milice dâItapicurĂș, en vertu dâune patente confirmĂ©e par dĂ©cret de fĂ©vrier 1824[7]. Du reste, plusieurs parents de JoĂŁo Dantas occupaient des charges dans des corps militaires. Il est Ă signaler quâen ce temps-lĂ , des corps auxiliaires, notamment des rĂ©giments de milices et dâordonnances, contribuaient Ă la dĂ©fense des territoires bahianais ; ces corps, Ă©tablis moyennant lâaval des autoritĂ©s, Ă©taient placĂ©s sous le commandement direct des classes privilĂ©giĂ©es, Ă qui il incombait dâen assurer lâentretien. Ătre officier de milices reprĂ©sentait souvent le premier pas en vue dâobtenir lâanoblissement et ouvrait la voie Ă ce que les fils pussent servir par la suite comme cadets dans les forces armĂ©es rĂ©guliĂšres. JoĂŁo Dantas quant Ă lui brĂ»la les Ă©tapes, en dĂ©pit de ce quâil nâeĂ»t jamais fait partie dâaucun corps de milices auparavant, et monta bientĂŽt au grade de capitaine-major. CâĂ©tait lĂ , dans les bourgs de campagne, lâautoritĂ© la plus Ă©levĂ©e, chargĂ©e dâinspecter les troupes et les armes, dâassurer le bon fonctionnement des instances civiles, tant financiĂšres que judiciaires, et aussi de dresser les listes des citoyens aptes Ă ĂȘtre recrutĂ©s dans la troupe rĂ©guliĂšre ou dans les milices. Les hauts gradĂ©s des milices Ă©taient choisis dans les familles fortunĂ©es de chaque localitĂ© respective, parmi les dĂ©tenteurs de bĂ©tail bovin et parmi les propriĂ©taires importants de plantations de canne. Les capitaines-majors, dĂ©signĂ©s par les chambres municipales, devaient obligatoirement ĂȘtre confirmĂ©s par le roi, par la voie de lettres patentes, ce qui renforçait le prestige de la fonction[8].
En 1821, annĂ©e au cours de laquelle sâintensifiĂšrent dans la Bahia les mouvements en faveur de lâindĂ©pendance du BrĂ©sil, JoĂŁo Dantas Ă©tait dĂ©jĂ capitaine-major. GagnĂ© par le sentiment patriotique, il ne put, comme beaucoup de Bahianais, accepter la nomination du brigadier InĂĄcio LuĂs Madeira de Melo Ă la tĂȘte des forces armĂ©es de la Bahia. En fĂ©vrier 1822, les officiers quittĂšrent le fort Saint-Pierre (forte de SĂŁo Pedro) Ă Salvador pour organiser une guĂ©rilla dans les forĂȘts sâĂ©tendant de Brotas de MacaĂșbas Ă Fazenda Garcia. En juin, les Bahianais vinrent se joindre Ă eux Ă Cachoeira, donnant le signal de la guerre dâindĂ©pendance. JoĂŁo Dantas, qui avait immĂ©diatement adhĂ©rĂ© au mouvement dâĂ©mancipation du BrĂ©sil, eut une part active dans tous les Ă©vĂ©nements qui amenĂšrent au conflit ouvert entre BrĂ©siliens et Portugais, obtenant entre autres quâItapicurĂș sâengageĂąt dans la campagne, jusquâĂ lâacclamation dans cette ville, en juillet de la mĂȘme annĂ©e, de Pedro I DĂ©fenseur perpĂ©tuel et constitutionnel du BrĂ©sil. En consĂ©quence de cette attitude, il fut Ă©lu, au titre de reprĂ©sentant dâItapicurĂș, membre du premier comitĂ© conciliateur, lequel se mua bientĂŽt en gouvernement Ă la suite de lâadhĂ©sion des autres villes et bourgs du RecĂŽncavo et du sertĂŁo[9]. Son enthousiasme pour la cause indĂ©pendantiste porta JoĂŁo Dantas, selon une pratique courante pendant lâannĂ©e prĂ©cĂ©dant lâindĂ©pendance, Ă adopter le nom de JoĂŁo dâAntas dos Imperiais ItapicurĂș. La plupart de ces noms furent dans la suite abandonnĂ©s par les familles, et les enfants du capitaine-major nâagirent pas autrement.
La lutte entre-temps avait pris des allures de guerre, requĂ©rant la mise en place de quartiers gĂ©nĂ©raux, lâĂ©laboration de stratĂ©gies militaires, la mise sur pied de bataillons de cavalerie, de gardes civiques, de corps de milice, etc. JoĂŁo Dantas, invitĂ© Ă sâengager dans le combat, entreprit dâorganiser et de commander la garde civique Ă Cachoeira, fit mouvement vers PirajĂĄ Ă la tĂȘte du bataillon de cavalerie, composĂ© de 500 hommes, mais dut ensuite sâĂ©loigner du champ de bataille pour cause de maladie[10]. ParallĂšlement aux combats dans la Bahia, le grand-pĂšre de CĂcero Dantas intervint Ă©galement dans la province de Sergipe voisine, encore hostile Ă la cause de lâindĂ©pendance ; ayant, conjointement avec ses fils InĂĄcio, JosĂ© et JoĂŁo Dantas JĂșnior (pĂšre de CĂcero Dantas), et dâautres parents et patriotes, organisĂ© un contingent de 2 000 hommes, il entama, sur instruction du Conseil de la province et du gĂ©nĂ©ral français Pierre Labatut, commandant en chef des insurgĂ©s, une marche sur cette province et fit acclamer Don Pedro par les patriotes sergipiens dans les minicipalitĂ©s de Campos, Lagarto, Santo Luzia, Estancia, SĂŁo CristovĂŁo et ailleurs[11].
Lâempereur Pierre Ier, en signe de reconnaissance de la lutte des Bahianais pour lâindĂ©pendance, dĂ©cerna une sĂ©rie de rĂ©compenses, dâinsignes honorifiques et de bĂ©nĂ©fices aux combattants de la guerre et visita la Bahia en fĂ©vrier et mars 1826. Le capitaine-major Dantas fut admis dans lâordre de Notre-Seigneur-JĂ©sus-Christ, et dĂ©corĂ© en octobre 1823 officier de lâOrdre impĂ©ral de la Croix. De mĂȘme, les trois fils de JoĂŁo Dantas qui sâĂ©taient engagĂ©s furent rĂ©compensĂ©s dâordres honorifiques ; JoĂŁo Dantas JĂșnior, par exemple, reçut en octobre 1823 le grade de chevalier de lâOrdre de la Croix, puis en avril 1824 se vit dĂ©cerner le titre de chevalier du HĂĄbito de Cristo[12].
JoĂŁo Dantas dos Imperiais ItapicurĂș passa le dernier quart de sa vie exerçant ses fonctions de capitaine-major et de juge ordinaire et des tutelles Ă ItapicurĂș. Par un long et minutieux testament, il lĂ©gua une partie de ses biens aux Ă©glises du sertĂŁo, et laissa Ă sa femme et Ă ses six enfants encore en vie (deux Ă©taient morts mineurs dâĂąge) une considĂ©rable fortune[13].
Le pĂšre : JoĂŁo Dantas JĂșnior
JoĂŁo Dantas dos Reis PortĂĄtil JĂșnior, cinquiĂšme enfant du capitaine-major JoĂŁo Dantas dos Reis PortĂĄtil et pĂšre de CĂcero Dantas, naquit dans la propriĂ©tĂ© de CamuciatĂĄ en juillet 1802, et fut donc un reprĂ©sentant de la troisiĂšme gĂ©nĂ©ration en ligne directe Ă naĂźtre sur le domaine. ConformĂ©ment aux traditions familiales, il suivit les cours du sĂ©minaire archiĂ©piscopal de Salvador, dont les Ă©lĂšves Ă©taient issus des couches moyennes de la sociĂ©tĂ© bahianaise, et oĂč il bĂ©nĂ©ficia dâune solide formation humaniste et religieuse, notamment en langue française, rhĂ©torique, philosophie rationnelle, histoire de lâĂglise, thĂ©ologie dogmatique et morale, composant une socle culturel que JoĂŁo Dantas JĂșnior maintiendra toute sa vie durant. Sans doute poussĂ© par les circonstances politiques du moment, il quitta prĂ©maturĂ©ment le sĂ©minaire et sâen revint Ă CamuciatĂĄ. Sous lâimpulsion de son pĂšre, lequel sâĂ©tait fortement engagĂ© dans le combat pour lâindĂ©pendance, il sâimpliqua lui aussi dans la lutte. En fĂ©vrier 1824, il fut nommĂ© par le gĂ©nĂ©ral Labatut lieutenant-colonel du rĂ©giment de cavalerie de milices dâItapicuru[14].
AprĂšs lâindĂ©pendance, JoĂŁo Dantas JĂșnior devint Ă©chevin (vereador) pour la pĂ©riode 1829-1832, prĂ©sidant le collĂšge des Ă©chevins[15]. Il entama sa carriĂšre politique au moment oĂč la structure du nouvel Ătat brĂ©silien subissait une profonde restructuration. En effet, la loi du , portant transformation des anciennes capitaineries en provinces, institua la fonction de prĂ©sident de province, tout en gardant la municipalitĂ© (municĂpio) comme Ă©chelon de base de lâadministration. Cette mutation politique et administrative dĂ©notait en fait la dĂ©termination du nouvel Ătat Ă avoir la haute main sur toutes les activitĂ©s de la vie publique brĂ©silienne. Ainsi lâinstitution du gouvernement provincial fut-elle remaniĂ©e de sorte Ă amenuiser le pouvoir des municĂpios, dĂ©marche renforcĂ©e encore par une loi promulguĂ©e en 1828 restreignant davantage encore les compĂ©tences municipales. Chaque ville comptait dĂ©sormais neuf vereadores (ou sept, pour les villes de moindre importance), Ă©lus pour une pĂ©riode de quatre ans, Ă©tant entendu que le pouvoir des chambres municipales serait dĂ©sormais de nature purement administrative. Toutes les rĂ©glementations municipales, qui avaient dâordinaire trait au maintien de lâordre et Ă des questions sanitaires, devaient ĂȘtre sanctionnĂ©es par les Conseils gĂ©nĂ©raux des provinces, lesquels Ă©taient habilitĂ©s Ă les amender, voire Ă les rĂ©voquer ; ainsi p.ex. pour vendre, louer ou changer la destination de biens immobiliers de la municipalitĂ©, les chambres devaient en rĂ©fĂ©rer dâabord au prĂ©sident de province. JoĂŁo Dantas JĂșnior certes rĂ©ussit, pour certains aspects, Ă contourner la lĂ©gislation et Ă y ouvrir quelques brĂšches pour pouvoir prendre ses propres dĂ©cisions.
Toujours dans la sphĂšre du pouvoir municipal et local, JoĂŁo Dantas remplit deux autres fonctions importantes : celle de juge de paix et celle de colonel de la Garde nationale. La premiĂšre de ces fonctions sâinscrivait dans la nouvelle structure du pouvoir judiciaire telle que prĂ©vue par la constitution de 1824. Chaque circonscription judiciaire disposait de ses juges municipaux, de ses juges de tutelle (juizes de ĂłrfĂŁos) et de procureurs nommĂ©s par le gouvernement, et chaque paroisse Ă©lisait son juge de paix. Avec lâĂ©lection de ces magistrats, concomitante avec celle des conseillers municipaux, la justice restait jusquâĂ 1841 dans une large mesure aux mains de magistrats issus du choix populaire, qui acquĂ©raient ainsi un pouvoir supĂ©rieur Ă celui des conseillers municipaux. Ceux-ci en contrepartie Ă©taient choisis parmi la notabilitĂ© locale, laquelle par ce biais sâassurait en retour un contrĂŽle sur lâappareil judiciaire.
En 1841, annĂ©e de la rĂ©forme du Code pĂ©nal, le juge de paix JoĂŁo Dantas perdit une partie de son pouvoir. Lâadministration provinciale, soucieuse de centraliser le pouvoir, retira aux juges de paix une grande partie de leurs prĂ©rogatives, en particulier certains pouvoirs discrĂ©tionnaires, comme la nomination des chefs de police et de leurs subordonnĂ©s, quasi rĂ©duisant leur fonction Ă des tĂąches de greffier[16].
En 1840, il fut nommĂ© colonel en chef de la 2e lĂ©gion de la Garde nationale dâItapicurĂș, et fut en 1869 promu colonel commandant en chef des arrondissements de Jeremoabo et Monte Santo. La Garde nationale, crĂ©Ă©e en aoĂ»t 1831, recrutait « tous les bons citoyes » libres ĂągĂ©s de dix-huit Ă soixante ans, dont les rentes dĂ©passaient un certain montant, assez Ă©levĂ©, ce dont on peut infĂ©rer le caractĂšre Ă©litiste de ce corps. Ă la diffĂ©rence des milices, elle nâĂ©tait pas destinĂ©e Ă assurer la dĂ©fense territoriale, qui Ă©tait du ressort exclusif de lâarmĂ©e brĂ©silienne, mais Ă©tait seulement responsable du maintien de lâordre public, de la capture et de la dĂ©tention des dĂ©linquants, de la rĂ©pression de toute rĂ©volte armĂ©e et de la chasse aux esclaves fugitifs, et Ă©tait chargĂ©e dâescorter les transports de fonds publics et de denrĂ©es alimentaires. CâĂ©tait au titre de ces derniĂšres responsabilitĂ©s que le colonel JoĂŁo Dantas, sous la seconde administration du vicomte de SĂŁo Lourenço, se porta au secours des victimes de la sĂ©cheresse, leur fournissant, Ă ses propres frais, argent, vivres et vĂȘtements[17]. Cependant, la Garde nationale perdit de son importance, au fur et Ă mesure que les structures administratives de lâEmpire allaient se renforçant. En 1873, soit lâannĂ©e suivant la mort du colonel Dantas, la Garde nationale fut dĂ©pouillĂ©e de ses compĂ©tences policiĂšres. Ă lâintĂ©rieur des terres toutefois, les chefs locaux, presque invariablement des propriĂ©taires fonciers, et leur clientĂšle continuĂšrent de leur cĂŽtĂ© Ă dicter les lois. Le prestige et lâinfluence des tout-puissants coronĂ©is[18], ainsi quâon continua de les appeler, ne sâen trouvĂšrent donc guĂšre altĂ©rĂ©s, mĂȘme aprĂšs la suppression des postes de la Garde nationale, et pour longtemps encore le coronĂ©lisme marqua de son empreinte la politique rĂ©gionale.
JoĂŁo Dantas JĂșnior, dĂ©jĂ veuf, sâĂ©teignit dans le domaine de CamuciatĂĄ en aoĂ»t 1872, des suites de son diabĂšte.
La mĂšre : Mariana Francisca da Silveira
Les parents de CĂcero Dantas sâĂ©taient rencontrĂ©s Ă lâĂ©poque des luttes pour lâindĂ©pendance, lors des dĂ©placements des Dantas vers le bourg de Jeremoabo, dans les annĂ©es 1822/23.
La mĂšre Ă©tait la fille de JoĂŁo Martins Fontes et dâAna Francisca da Silveira et petite-fille du capitaine-major dâordonnance AntĂłnio Martins Fontes, descendant direct du fondateur de la famille Fontes au Sergipe, Gaspar Fontes, qui avait obtenu une sesmaria en 1601 en bordure du rio Vaza-Barris. JoĂŁo Martins Fontes, nĂ© en 1762, exerça Ă plusieurs reprises Ă partir de 1801 la fonction de juge ordinaire et fut prĂ©sident de la chambre municipale de Lagarto et de SĂŁo CristovĂŁo, dans le Sergipe. Son grand idĂ©al Ă©tait de pouvoir acclamer le prince rĂ©gent dans la Sergipe.
En ce temps-lĂ , Mariana Ă©tait dĂ©jĂ mariĂ©e Ă Francisco Felix de Carvalho, capitaine-major commandant de la brigade de Jeremoabo et maĂźtre de la fazenda CaritĂĄ. Une fois achevĂ©e la pacification des villes du Sergipe, Felix de Carvalho sâen retourna Ă sa fazenda CaritĂĄ, oĂč il mourut entre 1823 et 1828. PassĂ©e la pĂ©riode de deuil, Mariana choisit parmi plusieurs prĂ©tendants le colonel JoĂŁo Dantas de CamuciatĂĄ, fils du vieil ami de son pĂšre ; le mariage des parents de CĂcero Dantas fut cĂ©lĂ©brĂ© en 1829[19].
Jeunes années et éducation
CĂcero Dantas vint au monde en 1838, comme sixiĂšme enfant du couple, dans la fazenda CaritĂĄ, sise dans la freguesia et municipalitĂ© de SĂŁo JoĂŁo Batista de Jeremoabo, dans le nord-est de la Bahia, aux confins du Sergipe.
L'Ă©mergence de cette freguesia, qui ne comptait alors que 300 foyers et 2 000 Ăąmes, sâinscrit dans le processus de peuplement du rio SĂŁo Francisco et des Ă©tendues adjacentes, en cours depuis la deuxiĂšme moitiĂ© du XVIIe siĂšcle. La localitĂ© voit le jour en 1679, sous la forme dâune chapelle dĂ©pendant de la paroisse Notre-Dame-de-Nazareth dâItapicurĂș, et se situait au milieu des terres (et donc sous la tutelle) de la maison da Torre.
CĂcero Dantas Martins passa son enfance dans la zone semi-aride du sertĂŁo bahianais, sur les bords du Vaza-Barris, oĂč se trouvait la fazenda CaritĂĄ. CĂcero et ses frĂšres et sĆurs grandirent en accord avec les coutumes dâalors, dans une atmosphĂšre dâaustĂ©ritĂ© et de respectabilitĂ©, et dans un milieu dĂ©pourvu de toute distraction pour les jeunes. La fratrie obĂ©issait aux consignes paternelles sans jamais songer Ă les mettre en cause, et la vie sâĂ©coulait dans une monotonie absolue. Il y avait entre le cadet et lâaĂźnĂ© des enfants 15 ans dâĂ©cart. Le pĂšre JoĂŁo Dantas porta les plus grands soins Ă lâĂ©ducation de ses enfants, en sâefforçant de les tenir Ă distance de toute mondanitĂ©. Les fillettes en particulier, Ă lâissue des heures dâĂ©tudes, effectuĂ©es Ă domicile, passĂšrent le temps aux traditionnels travaux dâaiguille, crochet et confection de dentelles, toujours assistĂ©es dâesclaves de confiance, devenant fort versĂ©es en ouvrages de broderie et de dentelle. Le pĂšre, qui sans doute rĂ©servait une des piĂšces de la maison pour servir de salle de classe Ă ses huit enfants, sâĂ©tait assurĂ© les services dâun prĂ©cepteur, qui venait enseigner chaque avant-midi[20].
Sa sĆur Francisca, comme cela Ă©tait trĂšs commun Ă cette Ă©poque, Ă©pousa un sien cousin, Fiel JosĂ© de Carvalho e Oliveira, mĂ©decin de son Ă©tat, sâoccupant de politique dans la Bahia et le Sergipe, et inspecteur des douanes Ă Salvador[21].
Ă un certain moment, le pĂšre, ĂągĂ© dĂ©jĂ , dĂ©sira que CĂcero Dantas et son frĂšre BenĂcio, qui Ă©taient les plus proches en Ăąge, pussent Ă©largir leurs connaissances et les envoya Ă la ville dâEstĂąncia dans le Sergipe, rĂ©gion natale des ancĂȘtres de sa mĂšre, laquelle du reste Ă©tait alors dĂ©jĂ dĂ©cĂ©dĂ©e. Quoiquâil existĂąt Ă cette Ă©poque les dĂ©nommĂ©s professores rĂ©gios (professeurs royaux), financĂ©s par le trĂ©sor royal, CĂcero et BenĂcio furent placĂ©s sous les soins du vicaire local, le pĂšre Raimundo, un de ces enseignants, prĂȘtres sĂ©culiers ou laĂŻcs, qui avaient pris le relais des jĂ©suites et sâĂ©taient chargĂ©s de lâalphabĂ©tisation des enfants au temps de la colonisation et sous lâEmpire. Cette Ă©tape accomplie, le jeune Ă©tudiant, ayant aux alentours de quinze ans, se transporta vers la ville de Salvador, parcourant Ă dos de mule pas moins de 75 lieues, soit un voyage de 3 Ă 4 jours[22].
Pour la poursuite des Ă©tudes de son fils dans la capitale de la province, le pĂšre fixa son choix sur un des Ă©tablissements privĂ©s dâenseignement qui, au nombre de dix environ Ă ce moment, Ă©taient autorisĂ©s Ă dispenser des cours dĂšs avant la permission formelle octroyĂ©e en 1881. Dans cette Ă©cole catholique, le collĂšge Saint-Vincent-de-Paul fondĂ© en 1852, il fut initiĂ© aux lettres, au grec, Ă la philosophie, au latin, Ă la rhĂ©torique, Ă la gĂ©ographie, au français, Ă lâanglais et Ă la gĂ©omĂ©trie. Il lui en resta un goĂ»t durable pour la lecture, Ă telle enseigne quâil arrivera Ă possĂ©der quelques annĂ©es plus tard, dans son manoir de CamuciatĂĄ, deux ou trois centaines de volumes, comprenant des Ćuvres des littĂ©ratures française, anglaise, portugaise et brĂ©silienne, en plus dâouvrages spĂ©cialisĂ©s dâhistoire naturelle, de chimie et physique, dâouvrages religieux dâauteurs catholiques, des dictionnaires, etc[23].
Câest probablement lors de vacances scolaires, en milieu dâannĂ©e, que CĂcero, revenu Ă Jeremoabo au sein de sa famille, reçut le sacrement de la confirmation par les soins dâun missionnaire capucin. En plus de diriger les villages indiens, les capucins accomplissaient des missions itinĂ©rantes, parcourant les freguesias des arriĂšre-pays pour « prĂ©parer le peuple Ă la pĂ©nitence, lâinstruire dans le catholicisme, le conduire dans le catĂ©chisme, lâamener au baptĂȘme, Ă la pratique de la vertu et du bien, au Royaume de Dieu ». Dâautre part, ce capucin apposa au prĂ©nom CĂcero celui de CornĂ©lio, ne pouvant admettre en effet que dans une famille catholique il y eĂ»t quelquâun portant le nom de lâaccusateur de Catilina, qui Ă©tait paĂŻen. Le jeune Ă©tudiant adopta ainsi le nom de CornĂ©lio CĂcero Dantas Martins et le garda jusquâĂ ce quâil obtĂźnt le titre de licenciĂ© (bacharel) en sciences sociales et juridiques, en 1859[24].
Formation universitaire
En 1855, Ă lâĂąge de 17 ans, il remplissait dĂ©jĂ toutes les conditions dâaccĂšs aux facultĂ©s de droit brĂ©siliennes, conditions fixĂ©es par une loi dâaoĂ»t 1827 portant crĂ©ation des Ă©coles de droit au BrĂ©sil, CĂcero Dantas ayant en effet rĂ©ussi ses Ă©preuves de langue française, de grammaire latine, de rhĂ©torique, de philosophie rationnelle et morale, et de gĂ©omĂ©trie[25].
Il fut inscrit Ă la facultĂ© de droit de Recife, qui venait dâĂȘtre transfĂ©rĂ©e de la ville dâOlinda vers Recife. Un dĂ©cret dâavril 1854 avait confĂ©rĂ© de nouveaux statuts Ă lâenseignement du droit, en lâorganisant dĂ©sormais sous la forme de facultĂ©s de droit[26]. Pour les assister, lui et ses frĂšres, son pĂšre, conformĂ©ment Ă la coutume de lâĂ©poque, les fit accompagner pendant leur sĂ©jour Ă Recife par un de ses domestiques, Paulo, pour qui les frĂšres avaient une affection particuliĂšre.
Le prĂ©sident de la facultĂ© de droit Ă©tait alors le docteur Pedro Francisco de Paula Cavalcanti, baron puis vicomte de Camaragibe, qui, nommĂ© Ă ce poste en novembre 1854, allait exercer cette charge tout au long des Ă©tudes de CĂcero Dantas. Dans le premier cursus Ă©taient enseignĂ©s le droit naturel, le droit public universel et lâanalyse de la constitution de lâEmpire ; dans le second, le droit canonique. Il venait alors de paraĂźtre, en 1855, CompĂȘndio de Teoria e PrĂĄtica do Processo Civil Comparado com o Comercial, de Francisco de Paula Batista, ouvrage qui fait figure dâinnovation pour lâĂ©tude du droit au BrĂ©sil, compte tenu notamment que les conceptions juridiques plus critiques ne devaient pas surgir avant la dĂ©cennie 1860-70, sous lâimpulsion de Tobias Barreto. Cependant, pendant les annĂ©es dâĂ©tudes de CĂcero Dantas, des juristes comme Ălvaro Barbalho, Aristides Lobo, Pedro de Calasans, Franklin DĂłrea, Francisco Manuel Paraizo Cavalcante, JosĂ© Pires de Carvalho e Albuquerque, AntĂŽnio Ferreira VelĂŽso et dâautres sâappliquaient dĂ©jĂ Ă enseigner un droit naturel moins subordonnĂ© au thĂ©ologisme ; un courant dâidĂ©es faisait alors son chemin qui voyait le droit comme crĂ©ation de lâHomme, se perfectionnant au fur et Ă mesure du dĂ©veloppement de la civilisation, Ă rebours donc de ce que professaient les penseurs du droit naturel, qui se le figuraient essentiellement comme Ă©tant dâinspiration divine[27].
CĂcero Dantas sâapprĂȘtait ainsi Ă devenir le premier licenciĂ© en droit (bacharel) de la famille ; son frĂšre aĂźnĂ© ne le devint pas, et lorsque son propre pĂšre avait eu atteint lâĂąge des Ă©tudes universitaires, le BrĂ©sil ne possĂ©dait pas encore de facultĂ© de droit.
Il y eut durant les Ă©tudes universitaires de CĂcero Dantas une modification assez profonde du contexte politique. En 1847 fut promulguĂ©e une nouvelle loi Ă©lectorale et crĂ©Ă©e la fonction de premier ministre. Ces mesures contribuĂšrent Ă installer un certain Ă©quilibre entre libĂ©raux et conservateurs, en permettant une alternance dans lâexercice du pouvoir. Cependant, la chute en 1847 du cabinet libĂ©ral prĂ©sidĂ© par Manuel Alves Branco fut le point de dĂ©part dâune nouvelle pĂ©riode, qui se prolongea pendant 14 ans et dans laquelle sâinscrit notamment lâintervalle politique dit conciliação, au cours duquel les deux principaux partis, le conservateur et le libĂ©ral, sâentendirent au parlement en se partageant le pouvoir sous la houlette du marquis de ParanĂĄ. De 1853 Ă 1856, le ministĂšre de la Conciliation, ainsi quâil vint Ă ĂȘtre appelĂ©, sâattacha Ă ne pas alimenter les anciennes querelles partidaires, en veillant Ă Ă©carter les voix les plus exaltĂ©es. Ce contexte politique plus apaisĂ© rĂ©gnant dans la dĂ©cennie 1849-1859, qui permit au rĂ©gime monarchique de se consolider, incita les jeunes universitaires Ă sâĂ©loigner quelque peu de la politique, et contribua Ă ce quâils se vouassent davantage au monde des idĂ©es, Ă la littĂ©rature, voire au romantisme sentimental. Pour le reste, la ville de Recife nâavait que peu de distractions Ă offrir ; les loisirs de CĂcero Dantas consistaient en la lecture de revues, de journaux Ă lâexistence souvent Ă©phĂ©mĂšre, de livres de vers.
Le 16 dĂ©cembre 1859, en mĂȘme temps que 80 condisciples, dont 13 Bahianais, CĂcero Dantas acheva ses Ă©tudes et obtint la nouvelle licence en droit[28]. Ă son retour dans la terre natale, le sertĂŁo Ă©tait en fĂȘte : un sertanejo Ă©levĂ© au rang de doutor (docteur) Ă©tait en effet dâune occurrence rare.
DĂ©buts dans la vie publique
Le pouvoir politique et le prestige social de la famille Dantas ne se limitait pas aux seules localitĂ©s dâItapicurĂș et de Jeremoabo, mais sâĂ©tendait sur la quasi-totalitĂ© des chapellenies, paroisses et bourgs de lâarriĂšre-pays bahianais[29]. CĂcero Dantas cependant affectionnait particuliĂšrement lâĂ©tendue de terres oĂč, en juillet 1812, le missionnaire capucin ApolĂŽnio de Todi avait fait Ă©riger une chapelle en hommage Ă Notre-Dame-de-Bon-Conseil (en port. Nossa Senhora do Bom Conselho) et qui en 1817 fut Ă©levĂ©e au statut de freguesia, aprĂšs avoir Ă©tĂ© sĂ©parĂ©e pour partie dâavec la paroisse de Jeremoabo et pour partie dâavec celle dâItapicurĂș. Son grand-pĂšre, le capitaine-major JoĂŁo Dantas dos Imperiais, y avait dĂ©jĂ mis pied dĂšs le dĂ©but du XIXe siĂšcle, comme l'atteste le fait que le dernier enregistrement cadastral de la maison Da Torre, datĂ© dâoctobre 1815, mentionnait parmi les mĂ©tayers des DâĂvila le nom de JoĂŁo Dantas, avec les fazendas respectives. Avant 1832 dĂ©jĂ , le capitaine-major JoĂŁo Dantas avait resserrĂ© encore les liens de sa famille avec la freguesia de Bom Conselho (rebaptisĂ© depuis CĂcero Dantas) en acquĂ©rant de la dĂ©cadente Casa da Torre les terrains qui composaient ladite freguesia. Outre ces terres, le grand-pĂšre de CĂcero Dantas, tirant parti de la mĂ©gestion des terres mises en fermage par les seigneurs Da Torre et de la progressive perte de contrĂŽle de ceux-ci sur les Ă©tendues concernĂ©es, sut acquĂ©rir des fermes, des fazendas, de vastes extensions de terre, qui firent de lui et de ses descendants les successeurs des Garcia dâĂvila dans le sertĂŁo.
Câest dans cet environnement, faisant le va-et-vient entre Jeremoabo, Bom Conselho et ItapicurĂș, que le licenciĂ© en droit CĂcero Dantas sâemploya Ă consolider ses premiĂšres amitiĂ©s, dont quelques-unes lui Ă©taient venues par son pĂšre. Câest lĂ aussi que, suivant l'exemple de son pĂšre, de son grand-pĂšre et de son bisaĂŻeul, verra le jour lâhomme politique CĂcero Dantas Martins.
Plusieurs licenciĂ©s en droit de sa gĂ©nĂ©ration, Ă peine eurent-ils quittĂ© les bancs de la facultĂ©, quâils faisaient leur entrĂ©e dans les assemblĂ©es provinciales et nationales (« gĂ©nĂ©rales »). Encore Ă©tudiant, CĂcero Dantas fut Ă©lu supplĂ©ant dâun dĂ©putĂ© provincial dans la Bahia, pour la 10e circonscription, pendant la lĂ©gislature 1860-1861, et alla occuper, le 3 aoĂ»t de cette derniĂšre annĂ©e, le siĂšge de son beau-frĂšre Fiel de Carvalho, Ă©lu dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral pour le Sergipe ; il nâexerça ainsi aucune fonction durable dans la magistrature, le passage par celle-ci faisant office, pour les licenciĂ©s en droit, dâune sorte de stage prĂ©paratoire Ă lâentrĂ©e en politique â les licenciĂ©s passant de procureur Ă juge, puis de juge Ă dĂ©putĂ©, et ainsi de suite[30].
CĂcero Dantas entra en politique Ă la fin de lâĂ©poque que lâhistoriographie brĂ©silienne dĂ©signe par Tempo Saquarema, dâaprĂšs le surnom donnĂ© aux conservateurs[31]. Il sâagit non seulement dâune pĂ©riode qui fut marquĂ©e par une prĂ©dominance temporelle des cabinets ministĂ©riels conservateurs au pouvoir (18 ans) relativement Ă ceux libĂ©raux (5 ans), mais encore dâune pĂ©riode oĂč, idĂ©ologiquement, le projet de construction et de consolidation de lâĂtat impĂ©rial suivait une voie conservatrice, au sens du maintien interne des privilĂšges coloniaux et de la mise en place dâune classe seigneuriale appelĂ©e Ă reprĂ©senter ledit Ătat[30]. Lâhistorien Imar Rohloff de Mattos souligne quâ« un sentiment aristocratique â synthĂšse de la vision sur la politique et la sociĂ©tĂ© prĂ©valant Ă cette Ă©poque âexprimait un fond historique forgĂ© par la colonisation, que les forces qui avaient jouĂ© un rĂŽle prĂ©dominant dans le processus dâĂ©mancipation politique (vis-Ă -vis du Portugal, NdT) ne se proposaient pas de modifier : le caractĂšre colonial et esclavagiste de cette sociĂ©tĂ© ». En rĂ©alitĂ©, il nây avait pas, sous ce rapport, de diffĂ©rences essentielles entre les deux partis, puisque tous deux, conservateurs et libĂ©raux, Ă©taient Ă©galement conservateurs et conjuguaient leurs efforts pour empĂȘcher toute participation du peuple Ă la prise de dĂ©cision politique ; lâaristocratie rurale, de toute maniĂšre, Ă©tait porteuse dâune politique antidĂ©mocratique et antipopulaire[32].
Le pĂšre de CĂcero Dantas, JoĂŁo Dantas, ses oncles JosĂ©, InĂĄcio et MaurĂcio, engagĂ©s dans le projet saquarema de construction et de prĂ©servation de lâordre Ă©tabli et du statu quo, se maintinrent unis pendant quelque temps dans le but politique de faire obstacle aux diverses rĂ©bellions Ă tendance libĂ©rale et de sauvegarder la hiĂ©rarchisation socio-politique et Ă©conomique existante.
La politique dite de conciliation adoptĂ©e par le marquis de ParanĂĄ, qui se prolongea jusquâĂ 1857, donna suffisamment de latitude aux frĂšres Dantas pour se maintenir unis, mĂȘme si ce ne fut pas jusquâĂ la fin de la pĂ©riode. Cependant, un projet de rĂ©forme administrative et Ă©lectorale du marquis de ParanĂĄ visait Ă ce que dorĂ©navant la reprĂ©sentation politique provinciale et nationale fĂ»t dĂ©terminĂ©e Ă lâĂ©chelon des villes et bourgs de lâintĂ©rieur, ce qui revenait Ă Ă©vincer les politiciens de projection nationale pour leur substituer des jeunes gens frais Ă©moulus des Ă©coles de droit de SĂŁo Paulo et de Recife, il est vrai sous lâĂ©gide de chefs politiques locaux liĂ©s Ă eux par les liens du sang. Par ce nouveau systĂšme Ă©lectoral par circonscription, le marquis se promettait une meilleure reprĂ©sentation de la rĂ©alitĂ© politique du pays et escomptait la formation dâune dĂ©putation authentique, de laquelle seraient choisis Ă faire partie ceux qui dĂ©tenaient un prestige lĂ©gitime.
Pour CĂcero Dantas, qui faisait alors ses premiers pas en politique, se faire Ă©lire Ă ce moment requĂ©rait plus que jamais lâappui des chefs locaux de son fief (commandant de corps militaire, coronel, juge), en lâoccurrence son pĂšre et ses oncles. Cependant, l'entrĂ©e dĂ©finitive en politique de CĂcero Dantas, qui convoitait un siĂšge Ă lâassemblĂ©e provinciale, se fit Ă un moment oĂč sa famille se trouvait dĂ©jĂ scindĂ©e en deux, par suite de la loi des Circonscriptions (Lei dos CĂrculos) entrĂ©e en vigueur en 1855 et dâun effet dĂ©sastreux pour la politique locale, attendu que chaque chef local, si petite que fĂ»t sa circonscription, Ă©tait en droit de prĂ©senter un candidat. Quand en 1859, avec lâaide de son pĂšre, CĂcero Dantas commença Ă se mettre en quĂȘte de voix en faveur de sa candidature Ă un siĂšge Ă lâassemblĂ©e provinciale, il ne pouvait dĂ©jĂ plus compter sur un soutien total de sa parentĂšle au complet[33].
Dans lâintervalle entre la premiĂšre Ă©lection disputĂ©e par CĂcero Dantas en 1859 et la deuxiĂšme, en 1861, cette fois pour le parlement national (la Chambre gĂ©nĂ©rale, en port. CĂąmara geral), quelques mutations eurent lieu dans le fonctionnement des institutions et dans le paysage socio-politique du BrĂ©sil. Le temps de lâhĂ©gĂ©monie saquarema touchait Ă sa fin. Progressivement, les libĂ©raux avaient acquis lâappui des grands centres urbains dâalors â Rio de Janeiro, SĂŁo Paulo et Ouro Preto â, lesquels dĂ©fendaient une politique Ă©conomique plus ouverte, en opposition Ă la mentalitĂ© saquarema, qui cherchait Ă prĂ©server lâancienne structure coloniale et seigneuriale, en porte-Ă -faux avec un ordre mondial plus progressiste et libĂ©ral.
Les Ă©lections de 1861 virent lâĂ©lection de grands reprĂ©sentants luzias (surnom des libĂ©raux), tels que TeĂłfilo Otoni, membre du groupe des libĂ©raux historiques de la pĂ©riode de la rĂ©gence (1831-1840). Cette grande victoire des libĂ©raux dans les urnes, quâavait favorisĂ©e lâaspiration Ă la libertĂ© Ă©conomique, permit la mise Ă lâĂ©cart du pouvoir des conservateurs radicaux et lâascension des modĂ©rĂ©s radicaux auxquels sâassociĂšrent les anciens libĂ©raux, les premiers souhaitant se borner Ă quelques rĂ©formes partielles et les seconds sâappliquant Ă Ă©viter de possibles rĂ©volutions. Les Dantas, qui Ă©taient restĂ©s jusque-lĂ , malgrĂ© toutes les querelles dĂ©clenchĂ©es par la loi des Circonscriptions, au sein du mĂȘme parti, rompirent Ă prĂ©sent officiellement et se sĂ©parĂšrent dans des groupes opposĂ©s. Le colonel JosĂ© Dantas, son fils Gualberto, son gendre et neveu le Dr JoĂŁo Dantas et ses neveux Manuel et MaurĂcio Dantas rejoignirent les politiciens nationaux Nabuco, Zacarias, Olinda et Saraiva, lesquels sâĂ©taient Ă©loignĂ©s du parti conservateur et avaient fait alliance avec la dĂ©nommĂ©e Ligue (ou Parti) progressiste, devenant de ce fait des Luzias, tandis que le colonel JoĂŁo Dantas, ses fils JoĂŁo, CĂcero et BenĂcio, son gendre Fiel et ses neveux JosĂ© InĂĄcio et PortĂĄtil, demeuraient des Saquaremas[34].
CĂcero Dantas, Ă cause de ces dissensions familiales, ne parvint pas en 1861 Ă sâemparer dâun siĂšge Ă la Chambre des dĂ©putĂ©s gĂ©nĂ©raux. Les fraudes et falsifications Ă©lectorales, notamment la fabrication dâĂ©lecteurs fantĂŽmes, Ă©taient des pratiques communes tout au long de la pĂ©riode monarchique et ne se limitaient pas Ă tel ou tel parti. Les annĂ©es 1860, oĂč le parti conservateur tendait Ă perdre de ses forces, furent donc difficiles pour CĂcero Dantas, qui dut se rĂ©signer Ă subir une enfilade de cabinets libĂ©raux : Zacarias, Olinda, Francisco JosĂ© Furtado, puis derechef Zacarias.
NĂ©anmoins, CĂcero Dantas rĂ©solut de relever le dĂ©fi et en 1863 entra en lice pour un siĂšge de dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral, dans le cadre de la 12e lĂ©gislature (1864-1866), pour la 4e circonscription. Comme de juste, il perdit lâĂ©lection, au bĂ©nĂ©fice de son cousin Manuel Pinto de Souza Dantas, Ă©lu conjointement avec JosĂ© AntĂŽnio Saraiva et JoĂŁo Ferreira de Moura. Ne rĂ©ussissant pas Ă se faire Ă©lire pendant sept ans, vu que son parti se trouvait Ă©cartĂ© du pouvoir, CĂcero Dantas occupa ses journĂ©es Ă aider son pĂšre dans la vie politique locale de Bom Conselho et de Jeremoabo, Ă vaquer Ă ses affaires de fils de fazendeiro et Ă accomplir quelques voyages pour Salvador[35]. Câest vraisemblablement Ă lâoccasion dâun de ces voyages, Ă Salvador mĂȘme ou de passage dans le RecĂŽncavo, quâil fit la connaissance de Mariana da Costa Pinto ; celle-ci appartenait Ă une grande famille de la rĂ©gion, installĂ©e lĂ vers la fin du XVIIIe siĂšcle et dont la figure tutĂ©laire Ă©tait AntĂŽnio da Costa Pinto (son grand-pĂšre paternel), le fondateur, originaire de la province portugaise dâEntre-Douro e Minho, venu dans la Bahia, comme nombre d'autres patriciens, pour y faire du commerce et finissant par sây installer comme propriĂ©taire rural, possĂ©dant dĂ©jĂ , en 1799, plusieurs propriĂ©tĂ©s Ă Santo Amaro, Cachoeira et Ăgua Fria. CĂcero Dantas eut, pour Ă©pouser cette jeune fille issue de la caste trĂšs fermĂ©e des patrons de plantation et de moulin Ă sucre (engenho) du RecĂŽncavo, Ă franchir deux obstacles : celui de nâĂȘtre pas propriĂ©taire de terres sises dans la mĂȘme rĂ©gion, susceptibles d'ĂȘtre adjointes Ă celles de lâĂ©pousĂ©e, la stratĂ©gie matrimoniale consistant en effet Ă toujours augmenter ou du moins conserver les biens que lâon possĂšde ; et celui de sâintroduire dans une famille oĂč, sur 26 mariages rĂ©alisĂ©s, 12 furent endogames, câest-Ă -dire contractĂ©s avec des membres de la mĂȘme famille[36].
Les Ă©pousailles eurent lieu en novembre 1865 dans le domaine Regalo, qui devint, Ă titre de dot, propriĂ©tĂ© du nouveau mĂ©nage. Ă partir de cet instant, CĂcero Dantas cessa dâĂȘtre un simple sertanejo et pouvait se considĂ©rer appartenant Ă©galement au monde du RecĂŽncavo sucrier.
ActivitĂ© politique sous lâEmpire
Dans lâintervalle de 30 ans qui va de 1859 Ă 1889, câest-Ă -dire tout au long de la partie de sa vie publique qui se situe sous lâEmpire, CĂcero Dantas Martins tĂącha de mener une action politique au service des valeurs et principes conservateurs. Au cours de sa trajectoire de parlementaire, de patron dâexploitation sucriĂšre et de grand propriĂ©taire terrien, il se trouvait ainsi en parfaite rĂ©sonance avec le grand dessein de la classe seigneuriale, et par lĂ mĂȘme â abstraction faite de la toute fin de cette phase â avec le rĂ©gime impĂ©rial[36].
Il est lĂ©gitime de postuler lâexistence dâune Ăšre saquarema, caractĂ©risĂ©e par la dĂ©fense dâun intĂ©rĂȘt supĂ©rieur dans tous les secteurs du systĂšme patrimonialiste, dâabord Ă lâĂ©poque de la colonie, puis pendant le processus de bureaucratisation de lâEmpire. Cet intĂ©rĂȘt supĂ©rieur sâincarne dans les piliers mĂȘmes du rĂ©gime monarchique et de la classe qui le reprĂ©sente, Ă savoir la continuation de lâesclavage et le maintien dâune Ă©conomie agraire dâexportation, ce qui impliquait la perpĂ©tuation dâune Ă©lite politique qui sâĂ©tait constituĂ©e Ă lâĂ©poque coloniale. Tant les conservateurs que les libĂ©raux avaient une sorte de gouverne interne guidĂ©e par leurs propres intĂ©rĂȘts politiques, Ă©conomiques et sociaux, qui se rĂ©sumaient en un seul dessein : la non mise en cause des privilĂšges de la classe seigneuriale dont ils faisaient partie et unis dans laquelle, en dĂ©pit de leurs diffĂ©rences, ils Ă©laboraient une mentalitĂ© commune qui leur Ă©tait spĂ©cifique[37].
Lâhistoriographie brĂ©silienne a subdivisĂ© lâEmpire en trois pĂ©riodes â les pĂ©riodes dâaction, de rĂ©action et de transition[38]. La phase de rĂ©action peut ĂȘtre situĂ©e entre 1836 et 1852 : lâĂ©lite dirigeante en effet inaugure une pĂ©riode de stabilitĂ© politique dans la mesure oĂč ladite Ă©lite, une fois terminĂ©es les rĂ©bellions de la rĂ©gence, eut dorĂ©navant le loisir de mettre en Ćuvre sa stratĂ©gie politique de survie, en se raidissant sur le maintien dâune Ă©conomie agraire dâexportation et du systĂšme esclavagiste, et en sâappliquant Ă Ă©carter de la reprĂ©sentativitĂ© Ă©lectorale les autres secteurs de la sociĂ©tĂ©. Cette pĂ©riode culmine avec le gouvernement du marquis de ParanĂĄ (1853-1858)[39].
La dĂ©nommĂ©e loi des Circonscriptions entra en vigueur en septembre 1855. Aux termes de cette loi, les candidats Ă un siĂšge de dĂ©putĂ© cessaient de reprĂ©senter telle ou telle province dans son ensemble, mais uniquement telle circonscription Ă©lectorale Ă lâintĂ©rieur de la province concernĂ©e, chaque circonscription Ă©lisant un unique dĂ©putĂ© ; trois ans plus tard, lâon fixa le nombre de dĂ©putĂ©s Ă trois par circonscription. DĂ©sormais, la reprĂ©sentation politique provinciale et nationale serait dĂ©terminĂ©e au niveau des villes et bourgs de lâintĂ©rieur, sous lâĂ©gide des chefs politiques locaux, dont beaucoup Ă©taient liĂ©s entre eux par les liens du sang. Le nouvel arrangement offrait plus de possibilitĂ©s aux jeunes frais sortis des Ă©coles de droit de SĂŁo Paulo et de Recife, qui, retournĂ©s diplĂŽme en poche dans leurs villes et municipalitĂ©s, guettaient le moment oĂč ils pourraient faire leur entrĂ©e dans la vie publique.
Câest dans ce contexte que le baron de Jeremoabo se lança dans la politique, concomitamment avec ses frĂšres et cousins germains. Ces dĂ©buts cependant ne se feront pas dans un climat dâharmonie, car, en confirmation des craintes de lâopposition, la loi eut pour effet dâencourager une politique clientĂ©liste et entraĂźna un renforcement de lâautoritĂ© des potentats locaux. Les vieux Dantas, qui dominaient la 10e circonscription, Ă©taient en dĂ©saccord quant aux personnalitĂ©s Ă dĂ©signer pour reprĂ©senter leur circonscription. Chaque notable prĂ©sentait son propre candidat en fonction de ses intĂ©rĂȘts et compte tenu des liens du sang, faisant ainsi la claire dĂ©monstration de la fusion entre public et privĂ© dans la vie politique brĂ©silienne. La querelle politique entre les Dantas, commencĂ©e sur des enjeux Ă©lectoralistes purement locaux, sâexacerba en 1861, quand les parties adverses furent amenĂ©es Ă se positionner plus clairement par rapport Ă lâantagonisme politique entre parti conservateur et libĂ©ral Ă lâĂ©chelon national[40]. Dans lâintervalle entre la premiĂšre Ă©lection disputĂ©e par CĂcero Dantas en 1859 et la deuxiĂšme en 1861, pour un siĂšge au parlement national, quelques changements sâĂ©taient produits. Les libĂ©raux, tenus Ă lâĂ©cart de la prĂ©sidence du Conseil depuis 1848, avaient rĂ©ussi Ă obtenir progressivement des appuis de la part des grands centres urbains (Rio de Janeiro, SĂŁo Paulo et Ouro Preto) dĂ©sireux dâune politique Ă©conomique plus ouverte. Le scrutin de 1861 fut gagnĂ© par de hautes personnalitĂ©s luzias, comme TeĂłfilo Ottoni. Ces glissements finirent par provoquer un rĂ©arrangement des forces politiques au niveau national : les conservateurs radicaux en furent Ă©loignĂ©s, devant faire place aux conservateurs modĂ©rĂ©s, lesquels conclurent un compromis avec les anciens libĂ©raux. De cette reconfiguration surgit un groupe qui se qualifia de progressiste, fondant une ligue que lâon allait appeler Ligue progressiste. Face Ă cela, les Dantas, qui en dĂ©pit de toutes les dissensions causĂ©es par la loi des Circonscriptions Ă©taient restĂ©s ensemble au sein du parti conservateur, rompirent maintenant officiellement, en se rĂ©partissant dans des groupements opposĂ©s. Le pĂšre de CĂcero Dantas, JoĂŁo Dantas, et ses fils restĂšrent dans le parti conservateur, tandis que son oncle JosĂ© Dantas et ses cousins prirent leurs distances vis-Ă -vis du parti conservateur, adhĂ©rĂšrent au parti (ou Ă la ligue) Progressiste en rejoignant Nabuco, Zacarias, Olinda et Saraiva, et se muaient ainsi en Luzias.
Mettant Ă profit lâavĂšnement du cabinet conservateur du vicomte d'ItaboraĂ en juillet 1868, CĂcero Dantas se porta candidat pour la 4e circonscription, en vue dâun siĂšge de dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral pour la 14e lĂ©gislature, et fut Ă©lu en mĂȘme temps que son grand ami JosĂ© Gonçalves et que le magistrat LuĂs AntĂŽnio Pereira Franco. Son cousin du parti libĂ©ral JoĂŁo Gualberto Dantas lâaccusa dâavoir, conjointement avec son pĂšre, le colonel JoĂŁo Dantas, commis des violences et des actions arbitraires afin de gagner les Ă©lections ; il est vrai que depuis les dĂ©buts de lâEmpire existait lâidĂ©e quâil nây avait pas dâautre moyen de parvenir au pouvoir si ce nâest par la violence. Les antagonismes politiques tendaient Ă devenir sanglants, et gouverner Ă©tait devenu Ă©quivalent Ă exercer un pouvoir arbitraire. Il Ă©tait de coutume que, pour dominer le pays, le parti au gouvernement national nommĂąt des prĂ©sidents de province Ă son grĂ© et fĂźt remplacer les autoritĂ©s judiciaires et policiĂšres dont la loyautĂ© pouvait lui apparaĂźtre douteuse. Pendant que se tenaient les Ă©lections, les chefs politiques postaient des bandes armĂ©es dans les rues ; le gouvernement mettait les Ă©lecteurs sous contrainte et falsifiait le rĂ©sultat des urnes. Les libĂ©raux autant que les conservateurs eurent recours Ă de telles pratiques, aussitĂŽt quâils occupaient le pouvoir[41].
Dans cette mĂȘme pĂ©riode, CĂcero Dantas fut Ă©lu Ă©galement Ă lâAssemblĂ©e provinciale, pour la lĂ©gislature de 1870 Ă 1871. De la date de son Ă©lection comme dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral en 1869, jusquâĂ la chute du cabinet de Caxias-Cotegipe en 1878, il connut dix annĂ©es politiquement fastes, avec lâarrivĂ©e au pouvoir de quatre cabinets ministĂ©riels conservateurs. Pour le reste, CĂcero Dantas ne se sentait pas une Ăąme dâorateur, et parla peu. Sa participation au travail de la Chambre se situa davantage dans les commissions parlementaires que dans les dĂ©bats en sĂ©ance plĂ©niĂšre. Il fit ses dĂ©buts parlementaires au niveau national au sein de la commission de lâAgriculture, des Mines et des ForĂȘts, dont il fut Ă©lu membre. Au cours de sa seule premiĂšre lĂ©gislature (1869-1872), il assista Ă lâaction de trois cabinets ministĂ©riels diffĂ©rents. En 1871, alors que Rio Branco assurait dĂ©jĂ la prĂ©sidence du Conseil, CĂcero Dantas fut choisi avec dâautres collĂšgues pour recevoir lâempereur dans lâenceinte parlementaire et lâentendre prononcer son discours du trĂŽne, qui avait cette annĂ©e-lĂ pour sujet principal le programme du gouvernement Rio Branco, en particulier la question de lâesclavage et de la libertĂ© des ventres[42].
En 1872, Ă lâapproche de la fin de la 14e lĂ©gislature, il lui fallut retourner au plus vite dans sa province pour y prĂ©parer le combat Ă©lectoral Ă venir. La 4e circonscription, zone dâinfluence des Dantas depuis le dĂ©but de la dĂ©cennie 1860, de vaste Ă©tendue, comprenait 13 collĂšges Ă©lectoraux, englobait une trentaine de paroisses avec 858 Ă©lecteurs, et devait Ă©lire 3 dĂ©putĂ©s. CĂcero Dantas disposait de trois mois pour mener sa campagne, la date des Ă©lections Ă©tant fixĂ©e au 18 aoĂ»t. Il eut fort Ă faire Ă se renseigner sur lâattitude des diffĂ©rents procureurs, juges municipaux et des tutelles dispersĂ©s dans les arrondissements sous son influence. La lutte se jouait avec ĂąpretĂ© car, si un gouvernement conservateur se trouvait alors au pouvoir, ses cousins luzias bĂ©nĂ©ficiaient de lâaide de Manuel Dantas, qui Ă ce moment jouissait dĂ©jĂ dâun prestige de portĂ©e nationale. CĂcero Dantas fut Ă©lu, mais pas Ă son entiĂšre satisfaction ; en effet, au lieu de son vieux compagnon JosĂ© Gonçalves, ce fut InocĂȘncio Marques de AraĂșjo Gois JĂșnior qui rĂ©ussit Ă se faire Ă©lire. Le dĂ©compte, reconnu et acceptĂ©, sâĂ©tablissait comme suit pour la 4e circonscription de la Bahia : LuĂs AntĂŽnio Pereira Franco, 814 voix ; CĂcero Dantas Martins, 787 voix ; InocĂȘncio Marques de AraĂșjo GĂłes JĂșnior, 681 voix[43]. Cette Ă©lection, qui marqua le dĂ©but de sa maturitĂ© politique, est Ă considĂ©rer sans doute comme lâune des plus difficiles de sa vie, attendu quâil eut Ă lutter quasiment seul pour sâattacher des voix ; en particulier, il dut se passer de lâappui de son pĂšre, qui, vieilli, sâĂ©teignit le 7 aoĂ»t Ă CamuciatĂĄ, la veille du scrutin. Son frĂšre aĂźnĂ© Ă©lira domicile dans le Sergipe, son frĂšre BenĂcio mourra en 1866, et son beau-frĂšre Fiel sera amenĂ© Ă prendre part Ă la vie politique sergipienne, demeurant dans la capitale de cette province jusquâĂ la fin de sa vie.
Durant les lĂ©gislatures de 1872 Ă 1875 et de 1876 Ă 1877, il fut donnĂ© Ă CĂcero Dantas de sâimpliquer dans deux questions qui eurent leur part dans le processus de dĂ©sintĂ©gration du rĂ©gime monarchique : la question religieuse et la rĂ©forme Ă©lectorale. Compte tenu que lâĂglise catholique reprĂ©sentait un important pilier sur lequel sâappuyait le trĂŽne, les dĂ©putĂ©s gĂ©nĂ©raux et les sĂ©nateurs Ă©taient conscients de la gravitĂ© du problĂšme, Ă telle enseigne que la question religieuse fut pendant un temps le sujet principal des dĂ©bats du Parlement et ne laissa de prĂ©occuper le dĂ©putĂ© CĂcero Dantas, quand mĂȘme il ne prit jamais position officiellement Ă la Chambre[44]. Entre-temps, CĂcero Dantas continua son travail quotidien au sein des commissions parlementaires ; en mai 1874, il fut Ă©lu membre de la commission chargĂ©e des affaires des assemblĂ©es provinciales.
En juillet 1874, la date approchait de la naissance de son deuxiĂšme fils, dont il voulait quâil fĂ»t bahianais (son premier fils, JoĂŁo da Costa Pinto Dantas, Ă©tait nĂ© Ă Rio de Janeiro, en juillet 1873, loin de la terre natale de ses ancĂȘtres). Câest pourquoi sa femme Mariana sâĂ©tait abstenue dâaccompagner son mari lors de cette lĂ©gislature. Lâenfant vint au monde en aoĂ»t 1874 dans le domaine sucrier de son grand-pĂšre maternel et fut baptisĂ© du nom de celui-ci, AntĂŽnio da Costa Pinto Dantas.
Contrairement Ă ses prĂ©visions pessimistes, CĂcero Dantas remporta les Ă©lections en vue de la 16e lĂ©gislature (1876-1877). Il fut Ă©lu en mĂȘme temps que son cousin libĂ©ral, le conselheiro Dantas, et que le licenciĂ© Pedro LeĂŁo Veloso. Ces victoires Ă©lectorales entraĂźnant de constants voyages vers la capitale nationale, CĂcero Dantas ressentit par contrecoup la nĂ©cessitĂ© de sâintĂ©resser davantage Ă ses fiefs Ă©lectoraux. Bom Conselho Ă©tait son fief prĂ©fĂ©rĂ©, et prĂ©sentait lâavantage, par rapport Ă ItapicurĂș, quâil y Ă©tait le chef unique et incontestĂ© de la rĂ©gion. Conjointement avec dâautres rĂ©sidents de la localitĂ©, il sollicita, en sa qualitĂ© de dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral, auprĂšs du prĂ©sident de la province de Bahia, JoĂŁo Capistrano Bandeira de Melo, que cette freguesia fĂ»t Ă©levĂ©e au rang de vila sous le nom de Nossa Senhora do Bom Conselho do Montes do BoqueirĂŁo, Ă quoi il fut accĂ©dĂ© en juin 1875 ; en mars 1876, CĂcero Dantas prit ses fonctions de vereador et de prĂ©sident de la premiĂšre chambre municipale de Bom Conselho[45].
Ă la fin de la lĂ©gislature lâattendait une nouvelle bataille Ă©lectorale, que son parti, Ă©cartĂ© du pouvoir, perdit ; furent Ă©lus en revanche son cousin libĂ©ral Rodolfo Epifanio de Souza Dantas, le conselheiro Dantas et dâautres personnalitĂ©s parmi ses adversaires. AprĂšs huit annĂ©es dâallĂ©es et venues entre la capitale et ses terres, son espace quotidien sera constituĂ© dĂ©sormais, pendant sept ans, jusquâau retour au pouvoir de la faction conservatrice, de ses plantations de canne Ă sucre et de la caatinga du sertĂŁo, mĂȘme sâil ne se tint pas totalement Ă lâĂ©cart de lâagitation politique.
Il entra en lice pour la 18e lĂ©gislature, pendant quâĂ©tait dĂ©jĂ en vigueur la loi Saraiva, qui avait rĂ©tabli les circonscriptions Ă un seul dĂ©putĂ©, levait quelques incompatibilitĂ©s, imposait des peines sĂ©vĂšres en cas de fraude, Ă©tendait le vote aux naturalisĂ©s, aux non catholiques et aux esclaves affranchis, et surtout introduisait les titres Ă©lectoraux[46]. Parmi les motifs principaux Ă lâorigine de cette modification du systĂšme Ă©lectoral, le problĂšme le plus complexe Ă©tait celui de la fraude, si frĂ©quente lors des Ă©lections. Nonobstant tous les remodelages, la fraude Ă©lectorale ne cessera jamais dâexister, changeant seulement quant Ă sa forme. CĂcero Dantas, son parti Ă©tant Ă©cartĂ© du pouvoir, sera victime de ces fraudes, notamment Ă lâoccasion de lâĂ©tablissement des listes Ă©lectorales, dont, dit-il dans une lettre Ă Gonçalves, ses amis avaient Ă©tĂ© exclus.
CĂcero Dantas passa trois ans de plus sans mandat politique, ce qui lui laissa le temps de sâoccuper de sa famille et de ses domaines. Pour distraire ses proches, il organisa des fĂȘtes de la Saint-Jean, suivies de neuvaines. Chaque nuit de ces neuvaines Ă©tait consacrĂ©e Ă un groupe de personnes rĂ©unies selon la position sociale, la profession quâelles exerçaient dans la fazenda, ou le degrĂ© de parentĂ© ou dâintimitĂ© avec la famille du propriĂ©taire. Une nuit Ă©tait ainsi vouĂ©e aux gardiens de bĂ©tail (vaqueiros), une autre aux voituriers, et ainsi de suite jusquâĂ la neuviĂšme et derniĂšre nuit, dĂ©diĂ©e au maĂźtre de cĂ©ans et Ă sa famille[47].
Au second semestre de 1884, une nouvelle Ă©lection pour laquelle il souhaitait se porter candidat le conduisit de nouveau Ă sillonner le sertĂŁo. Il savait que dans ce scrutin, oĂč il aurait Ă affronter un autre sien cousin, le Dr JoĂŁo dos Reis de Souza Dantas Filho, dĂ©butant en politique, et pour la Chambre provinciale un autre personnage Ă lâĂ©gard duquel il Ă©prouvait une grande antipathie, sa victoire apparaissait quasi impossible, Ă©tant donnĂ© que son adversaire Ă©tait le neveu du conselheiro Dantas, qui occupait depuis le 6 juin la prĂ©sidence du Conseil, appelĂ© Ă ce poste pour aider Ă rĂ©soudre la crise financiĂšre.
Dans le mĂȘme temps avait dĂ©butĂ© la pĂ©riode de la propagande abolitionniste. La classe dominante esclavagiste se trouva contrainte de faire de nouvelles concessions, lesquelles en rĂ©alitĂ© avaient pour but de freiner le mouvement abolitionniste. Le cabinet Dantas, circonspect, avait adoptĂ© la devise « ne pas sâimmobiliser, ne pas rĂ©trocĂ©der, ne pas prĂ©cipiter », et proposa une loi tendant Ă lâaffranchissement de tout esclave ayant atteint lâĂąge de 60 ans â mesure dĂ©pourvue de sens, attendu quâun esclave sexagĂ©naire nâaurait de toute la façon plus la force de travailler et de survivre en libertĂ©. CĂcero Dantas, qui avait bien perçu la duperie de cette loi, Ă©crivit Ă Gonçalves le 18 juin 1884 : « Admire le cynisme avec lequel Dantas se prĂ©sente devant les Chambres donnant lecture du cĂ©lĂšbre programme Ă©crit. Il est lâhomme taillĂ© pour la situation ».
En dĂ©pit de la conjoncture dĂ©favorable, CĂcero Dantas prĂ©para en octobre dans son domaine de CamuciatĂĄ un memorandum Ă©crit, destinĂ© Ă solliciter des voix, mais perdit la partie, par 24 voix seulement[48]. Le cabinet de son cousin Dantas tomba le 6 mai pour nâavoir pas pu faire passer la loi dâaffranchissement des sexagĂ©naires. Lui succĂ©dera celui de Saraiva, le 6 mai 1885, qui adaptera la loi et la fera approuver dans le cabinet suivant. Ensuite, en un peu plus dâun mois, les conservateurs, emmenĂ©s par le baron de Cotegipe, rĂ©ussirent Ă revenir au pouvoir, ce qui fut copieusement fĂȘtĂ© au domaine de Regalo[49].
La candidature de CĂcero Dantas pour la 20e lĂ©gislature, la derniĂšre de lâEmpire, se prĂ©senta donc sous les meilleurs auspices ; mĂȘme Ă ItapicurĂș, il put faire le plein des voix, car son cousin libĂ©ral JoĂŁo Gualberto Dantas avait fait la paix avec lui. Mais, contrariant les perspectives politiques et causant la surprise chez les conservateurs, CĂcero Dantas publia inopinĂ©ment un manifeste dans le Jornal de NotĂcias du 30 octobre 1885, oĂč il annonçait quâil se retirait de lâactivitĂ© politique et prenait congĂ© de ses amis, en invoquant ses doutes quant Ă sa capacitĂ© dâĂȘtre encore utile, ses fatigues et son « extĂ©nuation » aprĂšs un combat sans trĂȘve de plus de 25 ans, sa longue et amĂšre expĂ©rience, et enfin son Ăąge et son Ă©tat de santĂ©. En rĂ©alitĂ©, il avait eu quelques ennuis avec les dirigeants du parti. Cependant, cĂ©dant aux pressions de la direction du parti, qui dans une circulaire du 25 novembre conjura le baron dâassumer sa candidature, affirmant « ne pouvoir se passer des prĂ©cieux services et des patriotiques efforts dâun alliĂ© si prestigieux », CĂcero Dantas finit par se raviser et, le 15 janvier 1886, prit part aux Ă©lections dans le sertĂŁo, lâemportant par 591 voix sur un total de 1020 Ă©lecteurs participants. Avant de se mettre en route pour la capitale Rio de Janeiro, il passa dâabord, prĂ©occupĂ© par la production de ses propriĂ©tĂ©s, un mois dans ses deux principaux domaines et moulins Ă sucre, CamuciatĂĄ et Regalo, pour y mettre les travaux en bon ordre[50]. JusquâĂ la chute de lâEmpire en 1889, il connut encore trois cabinets ministĂ©riels, celui de Cotegipe, de JoĂŁo Alfredo et dâOuro Preto, ce dernier libĂ©ral. Les principales questions dĂ©battues durant cette pĂ©riode (1885-1889) sâinsĂ©raient dans le contexte du processus de dĂ©composition de la monarchie dĂ©jĂ en cours depuis la dĂ©cennie 1870 ; les ferments de ce processus quâĂ©taient le mĂ©contentement dans lâarmĂ©e, les idĂ©es abolitionnistes, les clubs rĂ©publicains, se manifestĂšrent avec plus dâintensitĂ© Ă mesure que les contradictions du rĂ©gime monarchique sâexacerbaient, et finirent par le faire chanceler. Dans ce climat dâincertitude politique, tant pour lui-mĂȘme que pour le rĂ©gime quâil reprĂ©sentait, CĂcero Dantas tint registre des dĂ©fections successives et se posa en observateur des crises qui allaient peu Ă peu miner les structures de lâEmpire brĂ©silien[51].
En association avec la famille Costa Pinto de son beau-frĂšre, CĂcero Dantas fonda dans le RecĂŽncavo un moulin Ă sucre, dĂ©nommĂ© Engenho Central do Bom Jardim, dont la construction fut confiĂ©e Ă une firme française, la compagnie de Fives-Lille, et qui fut inaugurĂ© en janvier 1880 ; ce sera lâune des ultimes tentatives de la vieille Ă©lite aristocratique bahianaise de conserver ses privilĂšges. Mettant Ă profit la premiĂšre loi provinciale, votĂ©e en 1874, subventionnant la construction dâusines dites centrales, puis lâadoption du dĂ©cret lĂ©gislatif de novembre 1875, assurant la garantie des intĂ©rĂȘts tirĂ©s de ces usines centrales, les principaux associĂ©s du projet (les familles Costa Pinto et Jeremoabo) tablaient sur lâunion des secteurs privĂ© et public comme unique moyen dâassurer la survie des exportations agricoles.
En guise de reconnaissance de services rendus au pays, lâempereur Pedro II confĂ©ra un titre nobiliaire Ă AntĂŽnio da Costa Pinto, Ă©levĂ© Ă la dignitĂ© de comte de Sergimirim, au baron da Oliveira, Ă©levĂ© Ă la dignitĂ© de vicomte, et au licenciĂ© en droit CĂcero Dantas Martins, Ă©levĂ© Ă la dignitĂ© de baron de Jeremoabo[52]. Ce dernier fut en particulier remerciĂ© par lâempereur pour avoir eu la dĂ©licatesse de lui envoyer le premier sac de sucre raffinĂ© dans son usine[53]. La raffinerie fut revendue en 1891, Ă la suite de quoi lâintĂ©rĂȘt de CĂcero Dantas se reporta Ă nouveau sur ses domaines de lâintĂ©rieur[54].
En 1879, CĂcero Dantas vit lâoccasion dâaugmenter encore ses possessions, quand le directeur du service des Affaires indiennes, le comte de Sergimirim, neveu de Jeremoabo, dĂ©cida dâinvalider les revendications indigĂšnes sur les Ă©tendues de terre qui avaient autrefois appartenu aux dĂ©nommĂ©es missions indiennes dans la Bahia ; pourtant, ces terres, sises dans les environs de Jeremoabo, Pombal et Itapicuru, avaient Ă©tĂ© concĂ©dĂ©es aux villages indiens et avaient jusque-lĂ Ă©tĂ© considĂ©rĂ©es comme lĂ©galement sacro-saintes[55].
Sous la RĂ©publique
Contextualisation
La proclamation de la RĂ©publique en 1889 provoqua la surprise dans toutes les provinces de lâEmpire, mais surtout par la maniĂšre â au moyen d'un coup d'Ătat militaire â dont lâĂ©vĂ©nement se produisit. LâĂ©lite politique impĂ©riale, si elle sâattendait Ă lâinstauration dâun nouveau rĂ©gime, avait espĂ©rĂ© en mĂȘme temps, comme Jeremoabo et au contraire des mouvements radicaux, que le changement politique se mettrait en place graduellement. CĂcero Dantas Ă©crivit Ă Gonçalves : « ... Le changement de gouvernement ne mâa pas surpris et nâa pas dĂ» te surprendre non plus ; la surprise a Ă©tĂ© la rapiditĂ© et la façon dont cela sâaccomplit... »
Conservateurs et libĂ©raux, redoutant que le nouveau rĂ©gime se rĂ©clamĂąt dâune idĂ©ologie tendant Ă dĂ©faire lâorganisation traditionnelle du pouvoir, ne se rangĂšrent Ă lâordre nouveau que deux jours plus tard (le 17 novembre), lorsquâils sâavisĂšrent que la situation Ă©tait irrĂ©versible[56]. Rui Barbosa, surgissant comme lâun des hommes forts du rĂ©gime rĂ©publicain, fut nommĂ© vice-prĂ©sident du gouvernement provisoire et ministre des finances. Cette situation, en plus de perpĂ©tuer le prestige des cousins libĂ©raux de CĂcero Dantas, lesquels cousins, en particulier Ă travers la personne du conselheiro Dantas, avaient Ă©tĂ© les parrains et les grands protecteurs de Rui Barbosa dans la vie publique, Ă©tait susceptible de donner Ă ce dernier beaucoup de pouvoir, c'est-Ă -dire Ă quelquâun qui sâĂ©tait toujours montrĂ© un ennemi implacable des conservateurs et nâavaient voulu entretenir des relations dâaucune nature avec Jeremoabo. Lors des Ă©lections directes de dĂ©cembre 1884, alors que son parti, le parti libĂ©ral, se trouvait au pouvoir, Rui Barbosa avait Ă©tĂ© battu dans la 8e circonscription par InocĂȘncio GĂłes, grĂące au concours dĂ©cisif apportĂ© par Jeremoabo, puis, lors de la constituante fĂ©dĂ©rale, Jeremoabo sâopposa ouvertement Ă lui. Le gouvernement provisoire fixa au 15 septembre 1890 la date de la premiĂšre Ă©lection de lâĂšre rĂ©publicaine, en vue de la composition de lâAssemblĂ©e constituante nationale.
Aux dĂ©buts de la RĂ©publique, la Bahia ne disposait plus en rĂ©alitĂ© de dirigeants politiques de premier plan. Des politiciens moins influents allaient prendre la tĂȘte du parti conservateur aussi bien que du parti libĂ©ral, et le baron de Cotegipe mourut en fĂ©vrier 1890. Ă lâavĂšnement du nouveau rĂ©gime, les partis conservateur et libĂ©ral Ă©taient Ă bout de souffle, rendant nĂ©cessaire la mise sur pied dâorganisations nouvelles aptes Ă recueillir les innombrables personnalitĂ©s politiques de lâEmpire dĂ©chu, en quĂȘte de nouveaux partis qui les mettraient en mesure dâaccĂ©der de nouveau au pouvoir et de sây maintenir[57].
Action politique sous la république
La PremiĂšre RĂ©publique brĂ©silienne (dite RepĂșblica Velha, la Vieille RĂ©publique) peut se diviser en quatre pĂ©riodes.
La premiĂšre, qui va de 1889 Ă 1893 et coĂŻncide avec la phase dâimplantation du nouveau rĂ©gime, peut Ă son tour ĂȘtre subdivisĂ©e en deux autres : lâune, qui sâĂ©tend du 15 novembre 1889 jusquâau 5 fĂ©vrier 1891, date de la tenue des Ă©lections en vue de composer lâAssemblĂ©e constituante, et pendant laquelle CĂcero Dantas nâoccupa aucune charge publique, se contentant, comme la majoritĂ© des politiques bahianais, dâattendre la mise en place des nouvelles institutions ; et lâautre, allant de 1891, annĂ©e oĂč il fut Ă©lu sĂ©nateur de lâĂtat de la Bahia, Ă 1893, annĂ©e de la premiĂšre scission du groupe oligarchique dominant de la province, devenue Ătat fĂ©dĂ©rĂ©. InstallĂ©e le 7 avril, lâAssemblĂ©e constituante bahianaise acheva ses travaux le 2 juillet, Ă lâissue de 55 sessions, en mĂȘme temps que fut promulguĂ©e la constitution de lâĂtat. En accord avec une des dispositions transitoires de la loi constitutionnelle, il fut procĂ©dĂ© Ă lâĂ©lection du premier gouverneur constitutionnel de lâĂtat de la Bahia. JosĂ© Gonçalves se trouvait au pouvoir depuis le 16 novembre 1890, y ayant Ă©tĂ© nommĂ© par Manuel Deodoro da Fonseca[58].
Au moment du choix du prĂ©sident de lâAssemblĂ©e de la Bahia, lâaction de Gonçalves fut dĂ©cisive. Les Ă©lecteurs prĂ©fĂ©raient LuĂs AntĂŽnio Barbosa de Oliveira, homme de grand savoir juridique, que des liens familiaux unissaient Ă Rui Barbosa, le tout-puissant ministre des finances. Cependant, JosĂ© Gonçalves, qui Ă©tait celui qui distribuait les cartes Ă Bahia, rĂ©ussit Ă faire Ă©lire LuĂs Viana. Le 2 juillet 1891, face Ă LuĂs Viana, JosĂ© Gonçalves, Ă©lu au suffrage indirect par le corps lĂ©gislatif, prit possession du poste de gouverneur de la Bahia.
Dans ce mĂȘme laps de temps, et avant de se rendre Ă Rio de Janeiro, CĂcero Dantas, que prĂ©occupait la rĂ©forme de lâinstruction publique, y participa activement, sâengageant en faveur dâune sĂ©rie dâamĂ©liorations de lâenseignement dans lâintĂ©rieur de lâĂtat et prĂ©conisant des modifications de la lĂ©gislation, tendant notamment Ă la nomination Ă vie des enseignants bahianais. Une autre de ses prĂ©occupations Ă©tait lâorganisation de la magistrature, piĂšce maĂźtresse du processus Ă©lectoral de la PremiĂšre RĂ©publique.
Le 3 novembre 1891, le marĂ©chal Deodoro da Fonseca accomplit un coup dâĂtat et ordonna la dissolution du CongrĂšs constituant. Le gouverneur JosĂ© Gonçalves rĂ©solut de lâappuyer, en dĂ©pit de lâopposition de la chambre constituante[59]. Le 23 du mĂȘme mois, le vice-prĂ©sident Floriano Peixoto accĂ©da Ă la prĂ©sidence de la RĂ©publique et rĂ©tablit les pouvoirs constitutionnels du pays, et dĂšs lors, la dĂ©mission du gouverneur de lâĂtat de Bahia Ă©tait inĂ©luctable.
Par suite de la dĂ©mission de LuĂs Viana, pour lors prĂ©sident du sĂ©nat bahianais et substitut constitutionnel du gouverneur, de nouvelles Ă©lections furent proclamĂ©es, qui virent la victoire du sĂ©nateur Francisco Leal Ferreira JĂșnior, qui vint alors Ă occuper provisoirement le gouvernement. Nonobstant tous ces Ă©vĂ©nements dĂ©favorables, JosĂ© Gonçalves, qui nâavait jamais perdu lâappui des principaux dirigeants de lâĂtat, rĂ©ussit Ă se ressaisir, en cofondant avec lesdits dirigeants, en mai 1892, le Parti RĂ©publicain FĂ©dĂ©raliste, lequel fit bloc pour permettre lâĂ©lection, le 28 mai 1892, de Joaquim Manuel Rodrigues Lima au poste de gouverneur de la Bahia. Ce fut la premiĂšre Ă©lection au suffrage populaire Ă laquelle participa Jeremoabo. En fĂ©vrier, il sâĂ©tait transportĂ© vers son domaine de CamuciatĂĄ pour, Ă partir de lĂ , diriger la campagne Ă©lectorale. Sâil parvint Ă faire Ă©lire son candidat, il en demeura insatisfait nĂ©anmoins, sâinquiĂ©tant en particulier de la politique dictatoriale du marĂ©chal de fer, qui allait Ă rebours des principes fĂ©dĂ©ralistes et dâautonomie des Ătats fĂ©dĂ©rĂ©s.
Cependant, la sĂ©curitĂ© politique fut telle pour Jeremoabo quâen mai 1892 il adressa un manifeste Ă ses amis leur recommandant, en vue dâun siĂšge au SĂ©nat fĂ©dĂ©ral, le nom de Rui Barbosa, son ennemi politique durant tout lâEmpire et crĂ©ature politique de ses cousins libĂ©raux[60].
La rĂ©union, dans un parti unique, des principaux cercles dirigeants de la Bahia permit Ă la faction gouvernementale de lâemporter aisĂ©ment dans les Ă©lections qui suivirent, notamment Ă celle de dĂ©cembre 1892, qui allait renouveler un tiers du sĂ©nat de lâĂtat fĂ©dĂ©rĂ© et Ă©lire les dĂ©putĂ©s de lâassemblĂ©e lĂ©gislative bahianaise. La tactique employĂ©e consista Ă diviser lâĂtat en zones dâinfluence et de dĂ©signer pour chacune dâentre elles un chef politique responsable. CĂcero Dantas Ă©tait le coordinateur de cette rĂ©partition des responsabilitĂ©s.
En fĂ©vrier 1893, il entra en fonction comme Ă©chevin municipal dâItapicuru, le premier Ă ĂȘtre Ă©lu sous le rĂ©gime rĂ©publicain constitutionnel[61]. En avril 1893, InocĂȘncio GalvĂŁo, occupant dĂ©jĂ le poste de commandant du 3e district militaire, dĂ©clina la charge de prĂ©sident du sĂ©nat de la Bahia, et Ă sa place fut Ă©lu, le mĂȘme jour, le baron de Jeremoabo, qui exerça ensuite la prĂ©sidence jusquâau 22 avril 1895.
Au cours de lâannĂ©e 1894 survint la scission du groupe oligarchique dominant, sĂ©parant ses principaux chefs en deux camps opposĂ©s. Cette scission, qui fut consommĂ©e au siĂšge du Parti RĂ©publicain FĂ©dĂ©raliste, donna lieu Ă la fondation dâune part du Parti RĂ©publicain FĂ©dĂ©ral de la Bahia le 15 avril 1894 par LuĂs Viana et Rodrigues Lima, et dâautre part du Parti RĂ©publicain Constitutionnel par JosĂ© Gonçalves da Silva et CĂcero Dantas Martins le 19 aoĂ»t de la mĂȘme annĂ©e. Des divergences politiques, portant sur la politique nationale et, au niveau de lâĂtat fĂ©dĂ©rĂ©, sur les intĂ©rĂȘts Ă©lectoraux, avaient existĂ© dĂšs la formation du Parti RĂ©publicain FĂ©dĂ©raliste. Gonçalves avait Ă©tĂ© destituĂ© du gouvernement de la Bahia par Floriano Peixoto, dâoĂč son antiflorianisme, opposĂ© au florianisme de LuĂs Viana, favorable quant Ă lui Ă ce que les militaires demeurassent Ă la prĂ©sidence du BrĂ©sil[62]. Mais, au-delĂ de la divergence dâintĂ©rĂȘts sur le plan Ă©lectoraliste, les deux factions oligarchiques nâĂ©taient plus en mesure de maintenir une union de façade entre littoral et sertĂŁo, entre Ă©conomie rurale et Ă©conomie urbaine. Le baron de Jeremoabo, qui au dĂ©but de lâannĂ©e 1893 exerçait encore confortablement sa fonction de prĂ©sident du sĂ©nat bahianais, fut amenĂ© Ă laisser de cĂŽtĂ© son attitude jusque-lĂ accommodante pour sâengager rĂ©solument dans une lutte politique, qui allait de plus en plus sâassortir de pratiques coronĂ©listes ; en mĂȘme temps, le RecĂŽncavo sucrier ne lui Ă©tant plus guĂšre rentable et le pouvoir politique y ayant changĂ© de mains, il tendit Ă sâenraciner de plus en plus dans le sertĂŁo, pour notamment porter une attention accrue Ă son fief Ă©lectoral. Les sessions du mois dâaoĂ»t 1893 au sĂ©nat de la Bahia, prĂ©sidĂ©es par le baron, rĂ©vĂšlent le climat dâanimositĂ© qui sây Ă©tait installĂ©. Tout projet prĂ©sentĂ© lors de sessions ordinaires, quelque peu important quâil fĂ»t, donnait lieu Ă querelle, voire souvent Ă des Ă©clats de violence[63].
La deuxiĂšme phase (1893-1895) dĂ©buta alors que CĂcero Dantas exerçait la fonction de sĂ©nateur et que se trouvait Ă la tĂȘte du gouvernement bahianais Rodrigues Lima, qui avait fait alliance avec le groupe des vianistes. Le baron de Jeremoabo cessa Ă partir de cette date (1893) dâagir en coronel gouvernemental pour se muer en coronel oppositionnel.
Lors des Ă©lections sĂ©natoriales fĂ©dĂ©rales de mars 1894, LuĂs Viana visait Ă renforcer son prestige politique, songeant dĂ©jĂ Ă une possible future candidature au gouvernement de lâĂtat bahianais. JosĂ© Gonçalves et son groupe, en position moins avantageuse, car privĂ©s de lâappui de la machine administrative de lâĂtat bahianais, voulaient surtout prendre la mesure de lâinfluence de LuĂs Viana, y compris au niveau fĂ©dĂ©ral. Manuel Vitorino fut pressenti pour reprĂ©senter le groupe gouvernemental, et dans le camp de lâopposition, câest JosĂ© Gonçalves lui-mĂȘme qui sâengagea dans le combat. Ce scrutin, qui fut rude, et en vue duquel le baron de Jeremoabo, dĂšs que fut confirmĂ©e la candidature de son ami pour un siĂšge au sĂ©nat, sâĂ©tait retranchĂ© dans son bureau pour rĂ©diger des lettres aux chefs politiques de toutes les municipalitĂ©s oĂč il avait quelque influence en recommandant le nom de JosĂ© Gonçalves, se solda le 1er mars 1894 par la victoire de Manuel Vitorino. Le groupe gonçalviste ne cessait de perdre des forces, et le 15 avril 1894, comme indiquĂ© ci-haut, les vianistes constituĂšrent le Parti RĂ©publicain FĂ©dĂ©ral[64].
Dans la perspective des Ă©lections de novembre 1894, destinĂ©es Ă Ă©lire les dĂ©putĂ©s de lâĂtat de Bahia et un tiers du sĂ©nat, le groupe gonçalviste dĂ©cida en aoĂ»t 1894 de faire corps en fondant un parti politique qui les rĂ©unĂźt, le dĂ©jĂ nommĂ© Parti RĂ©publicain Constitutionnel, quâallait prĂ©sider CĂcero Dantas. CâĂ©tait la premiĂšre Ă©lection au niveau de lâĂtat de la Bahia oĂč les principaux dirigeants politiques se retrouvaient dans des partis opposĂ©s. Le moment de plus forte tension fut celui du dĂ©compte des voix, marquĂ© par la crainte de fraudes, de substitutions de listes Ă©lectorales, de falsifications de vote, etc. JosĂ© Gonçalves sollicita le baron de venir Ă Vila Nova da Rainha, zone sous son influence, pour lâaider Ă surveiller le comptage des voix ; Jeremoabo ne put cependant rĂ©pondre Ă ces instances, devant en effet superviser le dĂ©compte Ă ItapicurĂș, Bom Conselho et dâautres communes encore. Le gouverneur Rodrigues Lima, et avec lui LuĂs Viana, ne voulut accepter le rĂ©sultat du dĂ©pouillement, ni lâintermĂ©diation faite par le conseil municipal de Vila Nova reprĂ©sentĂ© par Gonçalves, et en consĂ©quence intervint en dĂ©pĂȘchant dans la commune la force de police pour faire valoir sa propre dĂ©cision[65].
Le dĂ©but de la troisiĂšme phase se situe le 7 avril 1895, jour fixĂ© par la constitution bahianaise pour lâinauguration du travail lĂ©gislatif. Le groupe emmenĂ© par Viana reconnut les candidats de son parti et leur fit prendre possession de leur siĂšge, tandis que le groupe dirigĂ© par JosĂ© Gonçalves agit de mĂȘme avec ses propres candidats. Le baron de Jeremoabo, quoiquâĂ©tant le prĂ©sident officiel du sĂ©nat bahianais, nâeut pas les moyens de faire valoir son autoritĂ©, attendu que le gouverneur Rodrigues Lima accorda son soutien Ă lâaile vianiste, de sorte que la grande majoritĂ© des candidats de cette faction furent agrĂ©Ă©s au dĂ©triment des gonçalvistes. En guise de protestation, CĂcero Dantas, en compagnie des autres sĂ©nateurs de son parti, contestant la lĂ©gitimitĂ© de lâexĂ©cutif qui fut installĂ© ensuite, abandonna le siĂšge pour lequel il avait Ă©tĂ© Ă©lu en 1891. Le , le nouveau comitĂ© du sĂ©nat, sur lâallĂ©gation dâun grand nombre dâirrĂ©gularitĂ©s, dĂ©clara vacants les siĂšges au sĂ©nat du groupe de Jeremoabo. Ă partir de ce moment et jusquâĂ 1901, CĂcero Dantas fut totalement mis Ă lâĂ©cart de la sphĂšre dâaction institutionnelle de lâoligarchie bahianaise dominante. DĂšs 1893, il avait cessĂ© dĂ©jĂ de partager les faveurs et privilĂšges du pouvoir exĂ©cutif, mais Ă prĂ©sent perdait la derniĂšre attache avec la structure gouvernementale quâil dĂ©tenait encore par le biais du pouvoir lĂ©gislatif[66].
Pendant six annĂ©es, on le considĂ©ra comme un politicien dâopposition radical, annĂ©es au cours desquelles il fut notamment confrontĂ© Ă la guerre de Canudos (1896-97, cf. ci-dessous), oĂč, sâil mit alors en cause le gouvernement, fut lui-mĂȘme accusĂ© de participation et de connivence avec les rebelles dans le but dâen retirer des bĂ©nĂ©fices politiques. En 1898, pendant que LuĂs Viana se trouvait dĂ©jĂ Ă la tĂȘte de lâĂtat de la Bahia, il nâeut aucune part au grand compromis politique proposĂ© par Campos Sales et appelĂ© politique des gouverneurs. Viana en effet, substitut du prĂ©sident Prudente de Morais et reprĂ©sentant du premier gouvernement civil de la RĂ©publique brĂ©silienne, rĂ©pudia toute alliance avec des personnalitĂ©s dâopposition.
La quatriĂšme phase enfin commence en mai 1900, Ă lâaccession au pouvoir de Severino dos Santos Vieira comme gouverneur de la Bahia, lequel, succĂ©dant Ă LuĂs Viana, resta au dĂ©but en bons termes avec son prĂ©dĂ©cesseur, mais sâen sĂ©para par la suite. En avril 1901, Severino Vieira mit sur pied un nouveau mouvement politique, qui prit nom Parti RĂ©publicain de la Bahia. Cette situation nouvelle redonna lâespoir Ă Jeremoabo de se voir Ă nouveau favorisĂ© et reconnu par le gouvernement en place. DĂ©cidĂ© Ă se muer en coronel situacionista, c'est-Ă -dire qui fait allĂ©geance au gouvernement en place, il sâempressa donc de revitaliser les rĂ©seaux et connexions de son pouvoir local, sans doute quelque peu ankylosĂ©s par six ans dâĂ©loignement dâavec lâoligarchie bahianaise dominante. Il ne put plus cependant cueillir les fruits de la constellation politique nouvelle, car la mort le saisit le . Il fut inhumĂ© dans lâĂ©glise-mĂšre (Igreja Matriz, oĂč ils reposent encore) de la municipalitĂ© de Bom Conselho, dont le nom fut changĂ© en son honneur en CĂcero Dantas.
Idéologie et positionnements politiques
Conservatisme
Dans le BrĂ©sil du XIXe siĂšcle, il faut entendre par conservateur une personne qui, au-delĂ de son appartenance Ă tel ou tel parti politique, Ă©tait dotĂ© dâune mentalitĂ© particuliĂšre et se rĂ©clamait du projet politique de la gĂ©nĂ©ration qui, aprĂšs avoir concouru Ă consolider lâEmpire lors de la phase de rĂ©action conservatrice, maintint intacts ses idĂ©aux et ses positions, appuyĂ©s sur ses intĂ©rĂȘts politiques, Ă©conomiques et sociaux, et ce mĂȘme jusque dans les dĂ©cennies 1860 et 1870, voire au-delĂ .
La date de 1862, qui correspond au dĂ©but dâune pĂ©riode de prĂ©dominance du parti libĂ©ral au sein des gouvernements nationaux successifs, peut ĂȘtre retenue comme point de dĂ©part du renouveau libĂ©ral. Le BrĂ©sil passa, au cours de la deuxiĂšme moitiĂ© du XIXe siĂšcle, par un processus de modernisation, dâurbanisation et de diversification sociale, se manifestant par deux aspects : dâun cĂŽtĂ© lâapparition des couches sociales urbaines, de lâautre le conflit dâintĂ©rĂȘts entre dâune part la vieille aristocratie esclavagiste dĂ©pendante de lâexportation de produits agricoles, et dâautre part la nouvelle aristocratie cafĂ©iĂšre implantĂ©e dans lâest de la province de SĂŁo Paulo et la nouvelle bourgeoise industrielle, laquelle plaidait en faveur dâune politique protectionniste, au contraire de la faction plus traditionnelle[67].
Quand le baron de Jeremoabo fit son entrĂ©e dans la politique nationale en 1869, et quâil devint un membre effectif de lâĂ©lite politique impĂ©riale, celle-ci se sentait en symbiose avec la bureaucratie de lâĂtat, oĂč selon JosĂ© Murilo de Carvalho, « bien quâil y eĂ»t une distinction formelle et institutionnelle entre les tĂąches judiciaires, exĂ©cutives et lĂ©gislatives, celles-ci souvent se confondaient dans la personne des exĂ©cutants, et la carriĂšre judiciaire en particulier Ă©tait devenue une partie intĂ©grante de lâitinĂ©raire conduisant au congrĂšs et aux conseils de gouvernement » ; mais lâentrĂ©e en politique du baron eut lieu aussi en une pĂ©riode oĂč les structures du conservatisme Ă©taient dĂ©jĂ chancelantes et oĂč le rĂ©gime impĂ©rial lui-mĂȘme commençait Ă montrer ses premiers signes de crise. Lâinflation persistait depuis le dĂ©but de la dĂ©cennie 1860, et les dĂ©penses militaires (consĂ©cutives aux conflits constants avec lâArgentine, mais surtout avec lâUruguay, pays avec lequel le BrĂ©sil Ă©tait en guerre permanente) pesaient trop lourdement dans le budget de l'Ătat. Ă partir de 1864, la situation se dĂ©tĂ©riora encore, lorsque les tensions qui opposaient BrĂ©siliens, Uruguayens et Argentins au chef dâĂtat paraguayen Solano LĂłpez entraĂźnĂšrent le BrĂ©sil dans une guerre qui se prolongera jusquâen 1870. Les effets de cette guerre, combinĂ©s Ă un gouvernement libĂ©ral, furent dĂ©sastreux pour le jeune CĂcero Dantas, en ce quâils provoquĂšrent des difficultĂ©s Ă©conomiques pour sa province et risquaient de lâempĂȘcher dâobtenir un siĂšge au parlement national. La premiĂšre fois quâil fut donnĂ© Ă CĂcero Dantas dâoccuper une fonction dans la politique nationale, ce ne fut donc pas dans des circonstances favorables Ă ce conservatisme qui avait façonnĂ© sa maniĂšre de penser et dâagir et qui apparaissait le plus propice au maintien du statut Ă lui lĂ©guĂ© par son pĂšre et par ses aĂŻeux, statut se concrĂ©tisant par une grande quantitĂ© de terres, par la dĂ©tention dâesclaves et par une influence politique effective. En 1869, lorsquâil rĂ©ussit Ă se faire Ă©lire dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral (=national), la circonstance qui lui avait Ă©tĂ© favorable Ă©tait la chute du 22e ministĂšre, dâĂ©tiquette libĂ©rale, prĂ©sidĂ© par Zacarias de GĂłes e Vasconcelos, suivi de lâascension au pouvoir dâune Ă©quipe gouvernementale conservatrice menĂ©e par le vicomte dâItaboraĂ. Toutefois, Ă partir de ce moment et jusquâĂ la proclamation de la RĂ©publique en 1889, la conjoncture Ă©conomique de lâEmpire ne cessa de se dĂ©tĂ©riorer pour lâantique aristocratie du sucre dont il Ă©tait un reprĂ©sentant[68].
Le baron de Jeremoabo, qui vĂ©cut les deux phases (lâĂšre saquarema et le renouveau libĂ©ral), puis survĂ©cut sous la RĂ©publique, se laissa toujours orienter dans son action politique par ce mĂȘme sentiment aristocratique dans lequel il grandit et avait Ă©tĂ© formĂ© â sentiment qui Ă©tait « la synthĂšse de la vision de la politique et de la sociĂ©tĂ© telle quâelle prĂ©valait depuis lâĂ©poque de la Maioridade (fin de la rĂ©gence), qui correspondait Ă un fonds historique forgĂ© par la colonisation, et que les forces prĂ©dominantes dans le processus dâĂ©mancipation politique ne se proposaient pas dâaltĂ©rer : le caractĂšre colonial et esclavagiste de cette sociĂ©tĂ©... »[69].
Contexte politique de lâEmpire et attitude de Jeremoabo
La participation de Jeremoabo Ă la sphĂšre gouvernante sous lâEmpire Ă©tait fortement tributaire de lâalternance des partis conservateur et libĂ©ral au pouvoir. Ă cet Ă©gard, la participation du baron de Jeremoabo au rĂ©gime monarchique peut se diviser en deux phases : une premiĂšre pĂ©riode, oĂč il assuma de droit le pouvoir institutionnalisĂ© et qui correspond aux dix annĂ©es durant lesquelles il remplit le mandat de dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral lors des 14e, 15e, 16e et 20e lĂ©gislatures ; et une seconde pĂ©riode correspondant aux annĂ©es oĂč le parti libĂ©ral dĂ©tenait les leviers du pouvoir et oĂč par consĂ©quent le baron ne parvenait plus Ă se faire Ă©lire pour un siĂšge au parlement national.
Dans la structure politique de la monarchie, il y avait un pouvoir essentiel : le pouvoir modĂ©rateur, incarnĂ© par la figure de lâempereur lui-mĂȘme. En thĂ©orie, ce pouvoir, tel du moins quâil se trouve exposĂ© dans le Cours de politique constitutionnelle de Benjamin Constant, lequel avait une grande influence dans le BrĂ©sil du XIXe siĂšcle, devait ĂȘtre un pouvoir neutre, qui garantĂźt lâharmonie entre les trois pouvoirs. Toutefois, dans lâEmpire du BrĂ©sil, ce pouvoir modĂ©rateur se mua en le vĂ©ritable pouvoir et devint lâinstrument de la propre volontĂ© personnelle de lâempereur et de son despotisme. CâĂ©tait en effet Ă ce pouvoir modĂ©rateur quâil incombait dâapprouver ou non les mesures Ă©manant du lĂ©gislatif, de nommer les sĂ©nateurs Ă vie, et jusquâĂ dissoudre la Chambre des dĂ©putĂ©s. Si le ministĂšre Ă©tait bien, du moins lĂ©galement, responsable devant le pouvoir lĂ©gislatif, le parlement ne pouvait dans les faits rien entreprendre Ă lâencontre des ministres, qui gouvernaient en ignorant le lĂ©gislatif et nâen rĂ©fĂ©raient quâĂ lâEmpereur[70]. Mais, Ă©tant donnĂ© que la volontĂ© centralisatrice de lâempereur coĂŻncidait avec les aspirations de lâĂ©lite rurale et aussi de lâappareil dâĂtat comme ensemble, le baron de Jeremoabo, en tant que membre de lâantique aristocratie campagnarde sucriĂšre, apportait donc son concours Ă lâordre existant, que ce soit Ă travers un travail de persuasion dans les coulisses ou par sa participation active au travail lĂ©gislatif par son vote de dĂ©putĂ©.
La seule fonction Ă©lective quâil Ă©chut Ă Jeremoabo de remplir tout au long de lâEmpire Ă lâĂ©chelon national â au niveau de sa province il fut Ă©galement dĂ©putĂ© provincial, et au niveau municipal Ă©chevin de Bom Conselho â fut celle de dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral. Dans lâĂ©chelle de pouvoir de lâappareil dâĂtat impĂ©rial brĂ©silien, le groupe des dĂ©putĂ©s, le plus puissant en nombre, se situait sous celui des ministres et sous celui des sĂ©nateurs, mĂȘme si la phase de lâhistoire du BrĂ©sil oĂč les parlementaires eurent le plus de pouvoir fut la pĂ©riode impĂ©riale. Le dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral occupait, dans la pyramide sociale du pouvoir, une position intermĂ©diaire, disposant dâun pouvoir qui ne se limitait certes plus Ă la seule sphĂšre provinciale, mais qui nâatteignait pas lâinfluence quâun sĂ©nateur nommĂ© Ă vie ou quâun ministre pouvaient avoir auprĂšs de lâempereur[71].
On peut sâinterroger pourquoi CĂcero Dantas ne devint jamais sĂ©nateur. Pour lui, le plus difficile ne fut pas dâentrer dans la sphĂšre du pouvoir, nâayant eu en effet quâune seule condition Ă remplir pour entamer une carriĂšre politique : lâobtention dâun diplĂŽme en droit, obtenu Ă Recife Ă lâĂąge de 21 ans ; Ă partir de lĂ , il put sâĂ©pargner le parcours que beaucoup devaient accomplir avant dâaccĂ©der au pouvoir : la magistrature, la presse, le barreau, la mĂ©decine ou la prĂȘtrise. Lâascendant dont jouissait sa famille dans le nord-est de la Bahia, de la municipalitĂ© dâInhambupe jusquâĂ Jeremoabo, sur une zone comprenant plus de 15 municipalitĂ©s, Ă©tait tellement considĂ©rable que cela suffisait Ă mener le jeune licenciĂ© en droit Ă la Chambre des dĂ©putĂ©s. Lâappui de la parentĂšle et des amis, et le parrainage des pouvoirs locaux Ă©tablis, incarnĂ©s dans son cas par son propre pĂšre et par ses oncles, fut une caractĂ©ristique permanente dans chaque Ă©tape de sa carriĂšre politique. Ălu dĂ©putĂ© provincial, puis gĂ©nĂ©ral, Jeremoabo nâĂ©tait plus quâĂ un pas des fonctions les plus hautes du pouvoir, auxquelles lâon parvenait par la combinaison de qualitĂ©s propres et de parrainages, lâempereur ayant cependant une voix dĂ©cisive et le dernier mot dans le processus de dĂ©signation.
CĂcero Dantas tenta dâentrer au sĂ©nat Ă lâoccasion de la vacance dâun siĂšge en dĂ©cembre 1887. Dans lâorganigramme du pouvoir, les sĂ©nateurs arrivaient juste derriĂšre le groupe des ministres. ConformĂ©ment Ă la lĂ©gislation, ils Ă©taient sĂ©lectionnĂ©s par le souverain sur la base de listes triples Ă©tablies Ă la suite dâun scrutin populaire. Le pouvoir principal du sĂ©nat, que Jeremoabo du reste critiqua, mais auquel en mĂȘme temps il aspirait, dĂ©rivait en grande partie de la nomination Ă vie de ses membres ; en effet, une fois acceptĂ©e sa candidature, pour laquelle lâĂąge minimum Ă©tait de 40 ans, le sĂ©nateur avait dĂ©sormais lâassurance de rester en place pour le restant de sa vie sans ĂȘtre tributaire des oscillations du pouvoir gouvernemental, sur lequel lâempereur, qui mettait plus de poids tantĂŽt du cĂŽtĂ© conservateur, tantĂŽt du cĂŽtĂ© libĂ©ral, gardait la haute main. En outre, les Ă©moluments dâun sĂ©nateur Ă©quivalaient au double de ceux dâun dĂ©putĂ©[72]. Ă la vĂ©ritĂ©, le fait que les dĂ©putĂ©s gĂ©nĂ©raux Ă©taient lâunique corps constituĂ© habilitĂ© Ă dĂ©faire les ministĂšres et Ă rĂ©unir les majoritĂ©s nĂ©cessaires Ă permettre la formation dâun gouvernement, ne les mettait nullement Ă lâabri dâune possible dĂ©chĂ©ance. Ils redoutaient avant tout lâostracisme qui Ă chaque instant pouvait les frapper sâil plaisait Ă lâempereur de pencher un peu plus du cĂŽtĂ© opposĂ©.
Toujours est-il que CĂcero Dantas Ă©choua Ă sâĂ©lever plus avant dans la hiĂ©rarchie politique. Cette dĂ©convenue sâexplique par le sempiternel antagonisme entre conservateurs et libĂ©raux, c'est-Ă -dire en lâespĂšce les dissensions entre le baron de Jeremoabo et Manuel Pinto de Souza Dantas, alias le conselheiro Dantas. Ce dernier peut du reste, sous le rapport de la trajectoire politique, faire figure de contre-exemple ; il nâavait pas Ă©tĂ© Ă©lu Ă la Chambre sans avoir prĂ©alablement passĂ©, dans son parcours politique rĂ©el, par presque toutes les Ă©tapes prĂ©paratoires nĂ©cessaires Ă lâascension dans la structure de pouvoir, en effet : son titre de licenciĂ© en droit obtenu Ă Recife en 1857, il fut nommĂ© procureur supplĂ©ant du tribunal administratif, puis successivement juge substitut des tutelles de la capitale Salvador, juge municipal et des tutelles de Santo Amaro, accusateur public Ă Salvador, juge au tribunal de lâarrondissement de Maruim ; parallĂšlement Ă ces activitĂ©s dans la sphĂšre judiciaire, il Ă©tait actif dans la politique depuis 1852, date Ă laquelle il fut Ă©lu dĂ©putĂ© provincial de la Bahia, devenant le 1er vice-prĂ©sident de lâassemblĂ©e ; quatre ans plus tard, on le retrouve dĂ©jĂ Ă la Chambre gĂ©nĂ©rale, Ă laquelle il sera Ă©lu pour cinq lĂ©gislatures. En outre, le jeune politicien connut, aprĂšs sa premiĂšre nomination comme juge dans le Sergipe, dâautres provinces que celle oĂč il avait fait ses Ă©tudes de droit. Fin 1859, aprĂšs avoir Ă©tĂ© Ă©lu dĂ©putĂ© provincial et gĂ©nĂ©ral, il fut nommĂ© Ă la tĂȘte de la police de la province du MaranhĂŁo, puis occupa le poste de prĂ©sident dâAlagoas. Ce ne fut quâensuite quâil arriva Ă la prĂ©sidence du Conseil, dirigeant un gouvernement connu sous son patronyme Dantas.
Réformes libérales
Lorsque le licenciĂ© en droit (bacharel) CĂcero Dantas Martins fit son entrĂ©e dans la politique nationale en 1869, la suprĂ©matie de la faction conservatrice Ă©tait dĂ©jĂ finissante, aprĂšs une pĂ©riode de 14 annĂ©es successives de cabinets conservateurs (1848-1862), y inclus la pĂ©riode dite de la Conciliation (1853-1857) ; ensuite, de 1862 jusquâen novembre 1889 (date de la chute de lâEmpire), on observe, du point de vue quantitatif, un Ă©quilibre dans le nombre dâannĂ©es oĂč chaque parti se trouvait au pouvoir (14 ans de gouvernement conservateur et 13 ans et six mois de gouvernement libĂ©ral, alors que dans la pĂ©riode prĂ©cĂ©dente, de 1840 Ă 1862, des cabinets conservateurs avaient dĂ©tenu le pouvoir pendant 18 ans, contre 8 ans pour les libĂ©raux). Dâautre part, quoique mĂȘme dans la seconde phase les gouvernements conservateurs aient en durĂ©e dĂ©passĂ© de six mois les libĂ©raux, cette lĂ©gĂšre prĂ©dominance, compte tenu des nouvelles conjonctures socio-Ă©conomiques et politiques de lâEmpire, ne fut quâapparente. Lâordre impĂ©rial, appuyĂ© sur la centralisation, la prĂ©Ă©minence de lâEmpereur franche de toute opposition, commença Ă partir de la dĂ©cennie 1860 Ă ĂȘtre secouĂ©e par une bourrasque qui avait ses origines dans la pĂ©riode de la RĂ©gence, mais qui ne sâĂ©tait pas apaisĂ©e totalement. De nouvelles forces sociales Ă©taient en train de surgir, lâaristocratie cafĂ©iĂšre supplantait la sucriĂšre, la guerre du Paraguay Ă©veilla des forces jusque-lĂ assoupies, lâĂ©conomie mondiale capitaliste industrielle faisait pression sur le BrĂ©sil, restĂ© agraire et esclavagiste â toute la conjoncture dĂ©terminait un renouveau libĂ©ral tant dans le domaine des idĂ©es que dans celui Ă©conomique. LâEmpereur fut amenĂ© Ă cĂ©der de plus en plus aux aspirations libĂ©rales, dans une tentative de retarder la dĂ©composition du rĂ©gime impĂ©rial. Enfin, dans la sphĂšre locale, CĂcero Dantas eut Ă souffrir de la pression exercĂ©e par la politique dâopposition que dirigeait son cousin libĂ©ral JoĂŁo dos Reis de Souza Dantas, frĂšre du conselheiro Dantas ; ce dernier donnait depuis Rio de Janeiro carte blanche Ă son frĂšre pour agir au nom des Luzias.
Vis-Ă -vis des rĂ©formes libĂ©rales, CĂcero Dantas se rangea Ă la stratĂ©gie de la couronne et tĂącha de sâunir avec ses pairs conservateurs et de renforcer la convergence avec les Saquaremas, dans le but dâanticiper les innovations proposĂ©es par les Luzias et dâen minimiser la portĂ©e. Ainsi tenta-t-il, par son vote Ă la Chambre, de retarder les projets libĂ©raux relatifs Ă la rĂ©forme Ă©lectorale, Ă lâabolition de lâesclavage, etc., et sâingĂ©niait-il souvent Ă prendre les devants afin de garder lâinitiative et de ne pas perdre totalement le contrĂŽle de la situation, lâenjeu Ă©tant en effet sa propre survie et celle de sa classe, engoncĂ©e dans un conservatisme sâappuyant sur la possession de la terre, la dĂ©tention dâesclaves et le monopole du pouvoir[73].
Au niveau local, il sâappliqua Ă dĂ©fendre une politique Ă©conomique dont il tirait profit. Il eut soin que lâautoritĂ© de potentat local quâil exerçait demeurĂąt toujours en concordance avec les consignes de la politique centralisatrice de la couronne. Sâil avait une nette conscience de lâautoritĂ© que, dans les municipalitĂ©s oĂč il disposait dâune majoritĂ© des voix, il dĂ©tenait sur ses esclaves et sur ceux qui sĂ©journaient dans ses domaines, il se dĂ©fendait cependant dâoutrepasser les limites de cette autoritĂ©, et avait soin de lâassujettir aux divers pouvoirs quâavait instituĂ©s lâappareil dâĂtat, sans pour autant quâil restĂąt toujours passif face aux dĂ©cisions qui se prenaient, Ă©tant en effet capable dâinstrumentaliser la bureaucratie du gouvernement Ă son propre avantage.
Centralisation
Sous lâEmpire, le gouvernement central dirigeait les affaires locales notamment par le biais de ses administrations policiĂšres et judiciaires. Ă partir de 1841, le gouvernement resserra davantage encore son emprise centralisatrice en mettant en place un nouveau systĂšme judiciaire qui devait perdurer, avec peu de modifications, jusquâĂ la fin du rĂ©gime impĂ©rial. La charge de juge de paix, crĂ©Ă©e en 1828, continua certes dâexister, mais avec des attributions assez rĂ©duites. La magistrature civile comprenait lâensemble des juges, depuis les juges municipaux jusquâaux ministres de la Cour suprĂȘme. Les juges municipaux et des tutelles Ă©taient choisis parmi les licenciĂ©s en droit (bacharĂ©is) ayant une expĂ©rience judiciaire dâau moins un an et nommĂ©s pour quatre ans ; ils pouvaient ensuite ĂȘtre promus Ă la magistrature du siĂšge (juiz de direito)[74]. La nomination dâun juge Ă©tait du ressort du gouvernement central, mais se faisait en gĂ©nĂ©ral en faveur dâune personne indiquĂ©e ou qui reprĂ©sentait un potentat local. LâĂtat brĂ©silien sous la colonisation ou aux dĂ©buts de lâEmpire nâavait pas la possibilitĂ© dâĂ©tendre ses pouvoirs jusque dans les diffĂ©rentes localitĂ©s du pays, en raison de quoi il se vit contraint dâĂ©tablir un rĂ©seau de compromis avec les grands propriĂ©taires terriens, qui en contrepartie assistaient lâĂtat par des services particuliers, ou par lâintermĂ©diaire de groupes quâils dirigeaient, en Ă©change de faveurs ou de lâoctroi de privilĂšges. Ă partir de 1841, par suite de la rĂ©organisation des forces conservatrices, qui entreprirent de rĂ©interprĂ©ter lâActe additionnel de 1834 (Ato Adicional, rĂ©vision de la constitution), qui avait donnĂ© plus de pouvoir aux provinces, et de refondre le Code de procĂ©dure criminelle, le gouvernement central devint rĂ©ellement lâarbitre des conflits locaux, en particulier des litiges entre puissants. Au moment oĂč, avec le dĂ©cĂšs de son pĂšre en 1872, le baron de Jeremoabo prit la direction de la politique locale, les nouvelles structures administratives Ă©taient dĂ©jĂ bien en place. Comme potentat local, Jeremoabo Ă©tait conscient de son pouvoir, mais nâavait garde de se leurrer quant Ă lâĂ©tendue de celui-ci. Il sâefforça de sâajuster Ă la nouvelle hiĂ©rarchisation du pouvoir, oĂč figurait en bonne place dĂ©sormais le prĂ©sident de province en tant que reprĂ©sentant du gouvernement, lequel le choisissait en accord avec le parti dominant. Si le prĂ©sident de province, auquel CĂcero Dantas restait ainsi subordonnĂ©, Ă©tait un conservateur, les portes lui seraient grandes ouvertes, dans le cas contraire, il aurait les plus grandes difficultĂ©s, y compris dans sa propre zone dâinfluence. Cette dĂ©pendance nouvelle vis-Ă -vis du pouvoir central, lequel de son cĂŽtĂ© Ă©tait poussĂ© Ă jouer le jeu des partis, ne laissait de le prĂ©occuper.
Notamment, la possibilitĂ© de lâascension dâun libĂ©ral Ă la prĂ©sidence de sa province le rendait circonspect et prĂ©voyant, et lâincita, dĂšs avant quâune telle chose nâadvĂźnt, Ă pourvoir le plus rapidement possible Ă la nomination des juges, procureurs et commissaires de police dans sa zone dâinfluence. De mĂȘme, il lui fallait Ă©galement, tant que cela Ă©tait encore possible, consolider ses alliances avec les autoritĂ©s judiciaires au niveau local, afin de sâassurer pour le moins leur sympathie ou leur connivence aux moments oĂč il serait nĂ©cessaire de contourner la loi ou de fausser les rĂ©sultats Ă©lectoraux, Ă lâeffet de nâĂȘtre pas tout Ă fait tenu Ă lâĂ©cart de la prise de dĂ©cision politique dans les pĂ©riodes dâostracisme. Câest Ă cette Ă©poque quâil se mit Ă renforcer ses relations de clientĂ©lisme et Ă dissoudre par lĂ les limites entre sphĂšres publique et privĂ©e. Mais son souci ne concernait pas que le juge municipal ; il Ă©tait impĂ©ratif de sâattacher le plus grand nombre possible dâagents de la puissance publique. La nomination par le gouvernement, Ă partir de 1850, des dĂ©lĂ©guĂ©s et des sous-dĂ©lĂ©guĂ©s, des officiers de la Garde nationale, des procureurs et de leurs substituts qui prenaient du service dans les arrondissements et nâĂ©taient dâordinaire pas des juges graduĂ©s, nâentamait guĂšre lâautoritĂ© des chefs locaux, la renforçait au contraire, dans la mesure oĂč la rĂ©glementation visait aussi Ă restreindre autant que possible la participation de magistrats aux fonctions politiques. Aussi les puissants les avaient-ils Ă leur botte, pour les besoins de leurs intĂ©rĂȘts Ă©lectoraux. En fait, lâexercice du pouvoir par les chefs locaux ne fut pas mis en pĂ©ril durant lâEmpire, moyennant certes quâils se soumettent Ă un processus dâajustement et de remise Ă jour, grĂące Ă quoi les chefs locaux restaient Ă mĂȘme de canaliser leur autoritĂ© vers la sphĂšre publique[75].
Le niveau provincial
Ă partir de 1874, alors quâil occupait un siĂšge de dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©ral sous la 15e lĂ©gislature (1872-1875), Jeremoabo eut Ă faire face au pouvoir hostile du prĂ©sident de province. Celui-ci, en plus dâavoir sous ses ordres les agents de la puissance publique (sous-dĂ©lĂ©guĂ©s et juges) dans les procĂ©dures Ă©lectorales, possĂ©dait, mĂȘme en dehors des pĂ©riodes dâĂ©lections, des compĂ©tences importantes, ayant en effet pouvoir de dĂ©cision dans plusieurs nominations stratĂ©giques, telles que celle des procureurs, des dĂ©lĂ©guĂ©s et des sous-dĂ©lĂ©guĂ©s de police et des officiers de la Garde nationale. Fort de telles attributions, le prĂ©sident de la Bahia pendant la pĂ©riode 1873-1874, AntĂŽnio CĂąndido da Cruz Machado, affronta ouvertement lâautoritĂ© locale de Jeremoabo. La capacitĂ© dâintervention du prĂ©sident de province Ă©tait si Ă©tendue quâil pouvait sâingĂ©rer y compris dans la gestion des fonctions les plus basses de lâorganisation de lâĂtat et dâen tirer avantage pour les Ă©lections[76].
La situation sâaggrava encore quand lâantagonisme entre Luzias et Saquaremas vint Ă se doubler de vieilles querelles de famille, c'est-Ă -dire aprĂšs que les Dantas, qui jusquâĂ la dĂ©cennie 1850 sâĂ©taient trouvĂ©s unis dans le parti conservateur, se furent en 1861 divisĂ©s en partis opposĂ©s. En 1878, Ă lâissue de huit annĂ©es de mandat au parlement national (trois lĂ©gislatures consĂ©cutives), CĂcero Dantas dut affronter un scrutin placĂ© Ă prĂ©sent sous les auspices du parti libĂ©ral, attendu que le 5 janvier de cette mĂȘme annĂ©e le libĂ©ral JoĂŁo Lins Vieira Cansanção de Sinimbu, futur vicomte de Sinimbu, avait accĂ©dĂ© au pouvoir Ă Salvador. Jusquâen aoĂ»t 1885, date Ă laquelle les conservateurs purent revenir au pouvoir sous la prĂ©sidence du baron de Cotegipe, les libĂ©raux se relayeront Ă la tĂȘte de lâĂtat, changeant de prĂ©sident du Conseil Ă 6 reprises. Comme de juste, Jeremoabo perdit toutes les Ă©lections durant cet intervalle, la premiĂšre fois en 1878 en vue de la 17e lĂ©gislature (1878-1881), et n'eut d'autre choix que de consacrer son temps Ă ses plantations de canne de Regalo et de CamuciatĂĄ[77]. Câest au cours de cette mĂȘme pĂ©riode (1878-1885) quâil se heurtera Ă lâopposition la plus vigoureuse de la part de ses cousins libĂ©raux. CâĂ©tait aussi lâĂ©poque oĂč une des stratĂ©gies politiques du gouvernement central Ă©tait de nommer Ă la plus haute fonction de lâexĂ©cutif provincial, c'est-Ă -dire Ă un poste considĂ©rĂ© comme une des piĂšces clef du processus Ă©lectoral, uniquement des personnalitĂ©s qui ne fussent point des enfants de la rĂ©gion, Ă lâeffet dâĂ©viter ainsi un lien trop fort entre la personnalitĂ© dĂ©signĂ©e et la province sous sa tutelle. Dans la majoritĂ© des cas, la politique adoptĂ©e par la Couronne vis-Ă -vis des prĂ©sidents de province en Ă©tait une de situations Ă dessein transitoires et de rotations â une mĂȘme personne en arrivant parfois Ă prĂ©sider successivement trois ou quatre provinces diffĂ©rentes, sâefforçant chaque fois de donner satisfaction au parti quâil reprĂ©sentait et dâappuyer les candidats dĂ©signĂ©s par celui-ci. Pour atteindre ces objectifs, il nâĂ©tait pas rare que les limites de la lĂ©galitĂ© vinssent Ă ĂȘtre franchies.
En ce qui concerne les Ă©lections de dĂ©cembre 1884, oĂč CĂcero Dantas briguait un siĂšge en vue de la 19e et avant-derniĂšre lĂ©gislature de lâEmpire, en concurrence avec son cousin JoĂŁo dos Reis de Souza Dantas Filho, le baron, dĂšs juin de cette annĂ©e, ne se faisait guĂšre dâillusions sur sa victoire. Ce scrutin, oĂč CĂcero Dantas sâinclina devant son cousin avec un Ă©cart de 24 voix seulement, permit Ă celui-ci de prĂ©sider le 32e gouvernement[78].
La 9e circonscription, zone dâinfluence du groupe conservateur autour de la famille Dantas, se composait de 13 paroisses, dans lesquelles, quoique son parti fĂ»t Ă©cartĂ© du pouvoir, Jeremoabo pouvait compter sur une majoritĂ© dâĂ©lecteurs. Cependant, le parti au pouvoir trouvait les moyens dâempĂȘcher sinon la victoire des candidats nâappartenant pas Ă son camp, du moins leur reconnaissance au cas oĂč lâun dâeux eĂ»t obtenu le plus grand nombre de voix. En effet, le rĂ©sultat des Ă©lections dĂ©pendait fortement de leur organisation. Dans un article quâil fit paraĂźtre dans la Gazeta da Bahia en dĂ©cembre 1884, CĂcero Dantas souligne le rĂŽle de la Chambre dans le dĂ©roulement des Ă©lections municipales et lâimportance de la composition des bureaux de vote, et se plaignit de pratiques frauduleuses, insinuant lâexistence dâelecteurs manipulĂ©s et dâun dĂ©compte arbitraire des voix Ă©mises. Pourtant, Luzias autant que Saquaremas eurent recours Ă ce genre de pratiques ; au demeurant, peu importaient les diffĂ©rences entre les deux factions, puisque les intĂ©rĂȘts Ă©taient fondamentalement les mĂȘmes et quâexistait une mentalitĂ© conservatrice commune, propre Ă cette Ă©poque et poursuivant un objectif commun : gagner les Ă©lections et prĂ©server leur position Ă©conomique et sociale liĂ©e Ă la possession de la terre et la dĂ©tention dâesclaves[79].
LĂ©gislation Ă©lectorale
La loi Ă©lectorale dâaoĂ»t 1860, qui Ă©tablit des Ă©lections au suffrage indirect par circonscription de trois dĂ©putĂ©s, ne fut plus ensuite amendĂ©e quâen 1875, par la loi dite du tiers ou de la reprĂ©sentation des minoritĂ©s, qui Ă©tait impulsĂ©e par le courant libĂ©ral, auquel il Ă©tait Ă ce moment-lĂ difficile de faire barrage. Ătaient prescrites dĂ©sormais des Ă©lections au suffrage direct dans la capitale nationale, les capitales de province et les villes de plus de dix mille habitants ; mais le point principal concernait la reprĂ©sentation des minoritĂ©s, auxquelles il Ă©tait obligatoire dorĂ©navant de rĂ©server un tiers des voix, dans des circonscriptions Ă nouveau Ă©largies Ă toute une province.
En janvier 1881 entra en vigueur une nouvelle loi Ă©lectorale, la loi dite Saraiva. Le projet de loi, qui a pu au dĂ©part sembler libĂ©ral, ne faisait en rĂ©alitĂ© que maintenir les privilĂšges des classes possĂ©dantes, en Ă©cartant du systĂšme politique toute participation populaire. La loi comportait deux propositions : instauration de lâĂ©lection au suffrage direct, mais en excluant les analphabĂštes (et les esclaves, exclus y compris de la citoyennetĂ©) et en doublant le montant du cens Ă©lectoral. Jeremoabo, pourtant dans lâopposition, se positionna en faveur de la loi, dĂšs sept ans avant sa mise en application. Cette apparente concession devait en fait servir Ă amortir les pressions des secteurs urbains libĂ©raux, qui, poussĂ©s par les nouvelles conjonctures Ă©conomiques de la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle, rĂ©clamaient plus de libĂ©ralisme, quand mĂȘme celui-ci sâaccordait mal avec la rĂ©alitĂ© socio-Ă©conomico-politique de lâEmpire du BrĂ©sil. Les dĂ©sidĂ©rata conservateurs, que Jeremoabo partageait avec toutes les Ă©lites dirigeantes, furent satisfaits : le peuple pourrait donc voter directement, mais seulement ceux de ses membres capables de parler au nom des intĂ©rĂȘts politico-Ă©conomiques agraires des seigneurs. Les mesures prises par le gouvernement impĂ©rial pour rĂ©former le systĂšme Ă©lectoral ne reprĂ©sentaient rien autre quâune posture conciliatrice destinĂ©e Ă briser lâĂ©lan des nouvelles forces sociales en train dâĂ©merger[80].
Enjeux Ă©conomiques et esclavagisme
Sur le plan Ă©conomique se jouait au BrĂ©sil un conflit dâintĂ©rĂȘts entre la vieille aristocratie esclavagiste et la nouvelle Ă©lite des planteurs cafĂ©iers installĂ©s dans lâouest de lâĂtat de SĂŁo Paulo. Dans la deuxiĂšme moitiĂ© du XIXe, la modernisation et lâurbanisation que connaissaient principalement les provinces du sud donna lieu Ă un processus de diversification sociale. La classe conservatrice de la province de la Bahia, dont faisait partie le baron, Ă©tait depuis un certain temps dĂ©jĂ sur le dĂ©clin et exclue du dĂ©veloppement Ă©conomique engagĂ© par les conservateurs du sud. Lâexpansion de la cafĂ©iculture entraĂźna, dans les pratiques socio-Ă©conomiques, une transition de lâesclavage colonial vers un mode production capitaliste effectif, utilisant comme main-d'Ćuvre des immigrĂ©s salariĂ©s. Dans le mĂȘme temps, dans les zones Ă©conomiquement pĂ©riclitantes du Nordeste, lâĂ©conomie sucriĂšre tendait Ă stagner et la baisse de sa lucrativitĂ© ne permettait plus aux fazendeiros de continuer Ă dĂ©tenir des esclaves, lesquels Ă©taient alors vendus aux plantations de cafĂ© du sud ou transformĂ©s en ouvriers agricoles, en colons et en dâautres formes de relation Ă©conomique non esclavagiste. Dans la dĂ©cennie 1870 se cĂŽtoyaient dĂ©sormais, du point de vue Ă©conomico-financier, deux rĂ©alitĂ©s distinctes : les provinces du sud, sur la pente du progrĂšs, et celles du nord, en dĂ©clin. Le commerce bancaire de la capitale bahianaise, en grande expansion, stimulĂ© par les capitaux auparavant utilisĂ©s dans le trafic des esclaves et Ă prĂ©sent libĂ©rĂ©s, avait jusquâalors permis au fazendeiro de ParaĂba dâaugmenter leurs plantations, et de payer le prix de lâesclave, nonobstant que son montant avait doublĂ© par suite de la fin du trafic, rendant ainsi le planteur Ă mĂȘme dâĂ©quilibrer malgrĂ© tout ses comptes. Ă partir de la dĂ©cennie 1850 et au cours des annĂ©es 1860, les rĂ©coltes furent sans cesse en hausse, aiguillonnĂ©es par des prix Ă©levĂ©s. Mais dans le nord, la pĂ©nurie locale de liquiditĂ©s, la concurrence des producteurs Ă©trangers et la progressive perte de sa main-dâĆuvre conduisit la principale production de lâĂ©conomie coloniale, le sucre de canne, vers une totale perdition. Dans le nord, au contraire du sud, lâagriculture ne rĂ©engageait pas ses recettes libres dans les plantations et resta exclue des investissements ; conditionnĂ©e par les variations du marchĂ© international, elle perdit sa capacitĂ© de garantir les emprunts quâelle souscrivait. Lâon sâaccordait Ă considĂ©rer que lâactivitĂ© sucriĂšre nâĂ©tait plus rentable, vu le prix Ă©levĂ© des esclaves, et lâon se rĂ©signait alors souvent Ă ceder ces derniers aux plantations de cafĂ©[81].
Les incessantes migrations dâesclaves des provinces du nord vers celles du sud, la compagne abolitionniste et la loi dite dâOr portant abolition de lâesclavage sur quoi elle dĂ©boucha, non seulement furent prĂ©judiciables Ă Jeremoabo dans ses affaires de Bom Jardim et eurent pour effet de dĂ©sorganiser toutes ses activitĂ©s Ă©conomiques, mais contribuĂšrent aussi Ă inflĂ©chir sa perception du pouvoir politique en place. CĂcero Dantas ne put comprendre, en tant que conservateur, reprĂ©sentant dâune classe aristocratique remontant Ă lâĂ©poque coloniale qui sâĂ©tait toujours appuyĂ©e sur le binĂŽme terre-esclave et qui avait Ă©tĂ© pendant longtemps le point dâĂ©quilibre de la couronne impĂ©riale, que la propre fille de lâEmpereur eĂ»t signĂ© la loi d'affranchissement et portĂąt le coup de grĂące dâune maniĂšre aussi radicale, sans moyens termes et sans indemnisation. UlcĂ©rĂ© et aigri, il cessa de se sentir au diapason avec le pouvoir politique. Jusque-lĂ , il avait suffi quâil fĂźt cause commune avec ses pairs et avisĂąt avec eux aux moyens de freiner lâavancĂ©e libĂ©rale ; ensemble, ils avaient eu lâhabilitĂ© de ne jamais rien faire de façon radicale, la demi-teinte Ă©tant de mise, comme en tĂ©moigne la promulgation de la loi des Ventres libres de 1871 : quand Jeremoabo dĂ©cida dâappuyer cette loi, dâune portĂ©e humanitaire seulement apparente, il Ă©tait conscient des Ă©normes avantages quâelle lui apporterait, car elle lui permettait de garder ses esclaves pendant la durĂ©e de leur plus grande productivitĂ© de travail, ou sinon toucher un important dĂ©dommagement pĂ©cuniaire de la part de lâĂtat. Le sursis ainsi obtenu par les esclavocrates prit bientĂŽt fin quand les campagnes abolitionnistes sâintensifiĂšrent de nouveau. La classe dominante se vit alors contrainte Ă de nouvelles concessions ; vint alors, en 1885, la loi proposĂ©e par son cousin Manuel Pinto de Souza Dantas (le conselheiro Dantas), dĂ©nommĂ©e loi Saraiva-Cotegipe ou loi des SexagĂ©naires, prescrivant lâaffranchissement des esclaves de plus de 60 ans, qui avait le mĂȘme but que la loi des Ventres libres, Ă savoir encore une fois dâamortir le mouvement libĂ©ral. Cette fois cependant, le ridicule de la loi fut tel que celle-ci ne parvint nullement Ă neutraliser les exigences dâĂ©mancipation totale Ă laquelle aspirait le pays tout entier. Jeremoabo et JosĂ© Gonçalves, dĂ©sespĂ©rĂ©s pour leurs plantations et usines Ă sucre par la fugue de leurs esclaves sous les encouragements et la protection des abolitionnistes, ne pouvaient plus sâen rapporter Ă lâarmĂ©e pour capturer les fugitifs, car aprĂšs la guerre du Paraguay, les militaires refusaient dâaccomplir cette tĂąche[82].
Coronélisme
L'avĂšnement du rĂ©gime rĂ©publicain portera Jeremoabo Ă se muer de grand dignitaire de lâEmpire en coronel du sertĂŁo. La pĂ©riode politique vĂ©cue par le baron sous la monarchie nâĂ©tait plus dĂ©sormais celle oĂč lâautoritĂ© centrale, soucieuse de consolider son autoritĂ©, choisissait de dĂ©lĂ©guer certains pouvoirs aux potentats locaux. Il est vrai que le temps de sa carriĂšre politique avait coĂŻncidĂ© avec le moment oĂč les gouvernements centraux ambitionnaient de prendre dĂ©finitivement et intĂ©gralement le contrĂŽle du pouvoir sur la totalitĂ© du territoire, sâappliquant Ă colmater les brĂšches qui avaient Ă©tĂ© laissĂ©es ouvertes durant la pĂ©riode coloniale, abstraction faite de quelques fonctions publiques cĂ©dĂ©es au pouvoir privĂ© dans le souci de maintenir un certain Ă©quilibre.
Jeremoabo commença sa carriĂšre politique en 1861, Ă un moment oĂč lâĂtat avait cessĂ© dĂ©jĂ dâĂȘtre patrimonial pour se faire bureaucratique. Au fur et Ă mesure de cette transformation, il eut soin dâadapter son comportement et rĂ©visa sa conception de lâautoritĂ©. Ce faisant, il agit nĂ©anmoins toujours en conservateur, tout en prenant en compte la politique centralisatrice des gouvernements successifs, administrant son pouvoir local et privĂ© avec souplesse, mais toujours en sâagrippant aux divers fils de la toile politique qui le rattachaient au centre politique, reprĂ©sentĂ© tantĂŽt par le prĂ©sident de province, tantĂŽt par le prĂ©sident du Conseil, tantĂŽt par lâEmpereur lui-mĂȘme. Au-dedans de ces limites, il peut ĂȘtre affirmĂ© quâil fut, dĂšs lâEmpire, un coronel, compte tenu que dans ses domaines CamuciatĂĄ et Regalo, il avait sous ses ordres une lĂ©gion de travailleurs, et disposait de nombreux affidĂ©s Ă qui il indiquait pour qui ils devaient voter. Mais par-dessus ces traits caractĂ©ristiques du coronel prĂ©valait dans son esprit lâengagement politique conservateur consistant notamment Ă ne protĂ©ger que celui qui admirĂąt lâEmpereur et que celui qui fĂ»t saquarema ; en dĂ©finitive, il se devait dâĂȘtre fidĂšle Ă la structure de pouvoir qui le reconnaissait comme gentilhomme-fermier (tabarĂ©u fidalgo). Toutefois, sâil fut un coronel dĂšs lâEmpire, il ne put lâĂȘtre pour de vrai : il en Ă©tait empĂȘchĂ© par le centralisme de lâĂtat impĂ©rial, et son indĂ©pendance se trouvait donc ĂȘtre limitĂ©e. Les juges et les procureurs Ă©taient nommĂ©s avec lâaccord du prĂ©sident de province, lequel Ă son tour reprĂ©sentait la volontĂ© de lâEmpereur[83].
La rĂ©publique en revanche promettait la dĂ©centralisation et lâautonomie pour les provinces, devenues Ătats fĂ©dĂ©rĂ©s. Les traits propres au coronel tendirent alors Ă sâaccentuer, et du baron saquarema il ne devait plus guĂšre demeurer que le titre, que Jeremoabo tenait cependant Ă prĂ©server. LâinstabilitĂ© politique engendrĂ©e par la transition politique porta le baron, selon ses propres paroles, à « rester, par circonspection, dans une expectative sympathique ».
La guerre de Canudos
Ă partir de la fin des annĂ©es 1860, un prĂ©dicateur laĂŻc, AntĂŽnio Conselheiro, originaire du CearĂĄ, rĂ©ussit, par ses prĂ©dications et ses bonnes Ćuvres, Ă acquĂ©rir un grand ascendant auprĂšs des populations rurales de la Bahia et de quelques Ătats voisins, et de se constituer un groupe nombreux dâadeptes. Bien que ne troublant pas lâordre public et se tenant dans les strictes limites de la religiositĂ© catholique traditionnelle, il finit par susciter lâhostilitĂ© de lâaristocratie fonciĂšre locale et de la hiĂ©rarchie ecclĂ©siastique. Initialement, CĂcero Dantas se montra tolĂ©rant envers AntĂŽnio Conselheiro, mais le devint moins lorsque lâinfluence de Conselheiro sur la population se fit manifeste. Du reste, CĂcero Dantas eut lâoccasion de rencontrer Conselheiro personnellement et nota ses impressions[84].
La premiĂšre tentative connue dâinterdire les activitĂ©s dâAntĂŽnio Conselheiro coĂŻncida avec la dĂ©cision prise par CĂcero Dantas, en collusion avec lâarchevĂȘque de Salvador, de neutraliser lâinfluence grandissante du prĂ©dicateur ; il est Ă rappeler sous ce rapport que CĂcero Dantas, dont la personnalitĂ© incarnait lâimbrication des rĂ©seaux des diverses Ă©lites bahianaises, Ă©tait non seulement un puissant coronel campagnard, mais avait aussi ses entrĂ©es dans lâaristocratie du RecĂŽncavo, grĂące Ă son mariage avec une jeune fille de la famille Costa Pinto, alliance qui fit de lui le gendre du vicomte de Sergimirim[85]. Si lâon en est rĂ©duit Ă spĂ©culer si CĂcero Dantas eut la main dans lâarrestation dâAntĂŽnio Conselheiro Ă Itapicuru en juin 1876, sur lâaccusation (infondĂ©e) de meurtre de son Ă©pouse, il est un fait en revanche que plus quâaucun autre fazendeiro de la rĂ©gion, il avait fini par adopter une attitude trĂšs hostile vis-Ă -vis dâAntĂŽnio Conselheiro et sâirritait du crĂ©dit croissant de celui-ci sur la population locale. Il rĂ©solut donc de porter le conflit sur lâarĂšne politique ; il suffit quâen 1887, ainsi quâil appert de la correspondance (conservĂ©e) de Jeremoaba, le commissaire de police local, en mĂȘme temps propriĂ©taire dâune Ă©picerie, marri de voir une partie de sa clientĂšle lui Ă©chapper Ă cause dâAntĂŽnio Conselheiro, Ă©crivĂźt Ă Jeremoabo que « Conselheiro dĂ©voyait le comportement de la population », pour que CĂcero Dantas dĂ©cidĂąt dâintervenir personnellement contre Conselheiro, requĂ©rant le gouvernement provincial de se saisir de sa personne. Cependant, informĂ©s, AntĂŽnio Conselheiro et ses adeptes quittĂšrent prĂ©cipitamment Itapicuru et trouvĂšrent momentanĂ©ment refuge dans le Sergipe voisin, attendant que les choses sâapaisent[86].
Si AntĂŽnio Conselheiro eut soin de se tenir Ă lâĂ©cart de la politique, en dĂ©pit de son hostilitĂ© ouverte envers la rĂ©publique nouvellement proclamĂ©e, certains Ă©lĂ©ments portent Ă croire que les conselheiristes, et plus tard les jagunços de Canudos, aient pu servir les intĂ©rĂȘts Ă©lectoraux de la faction dirigĂ©e par LuĂs Viana, en offrant dâintervenir comme fĂłsforos (litt. allumettes), câest-Ă -dire comme rabatteurs de voix ; en effet, aprĂšs le schisme du Parti RĂ©publicain FĂ©dĂ©raliste, les lieutenants dâAntĂŽnio Conselheiro cherchĂšrent des appuis auprĂšs de la faction vianiste, escomptant sans doute que celle-ci remporterait le gouvernorat provincial. Il nâest pas certain que des contacts aient jamais Ă©tĂ© pris entre partisans vianistes et conselheiristes, ou que ces derniers aient pu agir comme fĂłsforos au profit des vianistes, et encore moins que cela se soit fait Ă lâinstigation de Conselheiro ; il est Ă©tabli par contre que la faction vianiste brĂ»lait publiquement les impopulaires Ă©dits gonçalvistes instituant de nouvelles taxes, et lâon peut donc supposer que les incidents violents qui eurent lieu en 1893 Ă Bom Conselho, au cĆur de la zone dâinfluence du baron de Jeremoabo, et dans lesquels fut impliquĂ© AntĂŽnio Conselheiro, sont Ă situer dans le cadre de cette campagne dâautodafĂ©s[87].
Cet incident, valant rĂ©bellion ouverte contre les autoritĂ©s, conduisit AntĂŽnio Conselheiro Ă mettre fin Ă ses longues annĂ©es dâerrance et Ă se fixer avec la troupe de ses sectateurs dans la fazenda abandonnĂ©e et ruinĂ©e de Canudos, sise sur le rives du fleuve Vaza-Barris, dans une zone Ă©cartĂ©e mais relativement fertile. Cette fazenda se trouvait appartenir Ă une niĂšce de CĂcero Dantas, la baronne SĂŁo Francisco do Conde, qui avait son domaine principal dans le RecĂŽncavo et nâavait pas jugĂ© Ă propos dâengager les frais nĂ©cessaires pour rĂ©habiliter le site ; au grand dĂ©pit de Jeremoabo, elle se montra par la suite rĂ©ticente Ă en faire dĂ©loger les conselheiristes[88]. La colonie fondĂ©e par AntĂŽnio Conselheiro, appelĂ©e Belo Monte, atteignit bientĂŽt plusieurs dizaines de milliers dâhabitants.
Plusieurs facteurs peuvent ĂȘtre invoquĂ©s pour expliquer pourquoi le village de Canudos fut attaquĂ© par les autoritĂ©s, une premiĂšre fois en novembre 1896 par un dĂ©tachement de police de lâĂtat de Bahia, suivie par trois autres expĂ©ditions, mises sur pied cette fois par le gouvernement central. JouĂšrent ici un rĂŽle : la nuisance provoquĂ©e par les jagunços de Conselheiro, sans doute rĂ©elle, mĂȘme si les fazendeiros de la rĂ©gion tendaient Ă en exagĂ©rer fortement lâampleur (contredite par le fait que les jagunços apportaient Ă lâoccasion leur concours Ă la police[89]) ; lâhostilitĂ© de lâĂglise, engagĂ©e dans une rĂ©forme ultramontaine ; le mĂ©contentement des coroneis, Ă qui lâexode massif de populations hors de leurs fazendas Ă destination de Canudos faisait redouter une pĂ©nurie de main-dâĆuvre ; un ensemble de mobiles liĂ©s Ă la politique bahianaise, mais bientĂŽt aussi Ă la politique nationale, le rĂ©gime rĂ©publicain, encore mal assurĂ©, sâĂ©vertuant en effet Ă resserrer les rangs par une lutte vitale (sujette Ă toutes les surenchĂšres) contre un ennemi commun, en lâoccurrence largement phantasmĂ©, se prĂ©sentant sous les espĂšces dâun grand complot monarchiste international, dont Canudos serait le centre nĂ©vralgique. On ajoutera enfin, aprĂšs lâĂ©chec de la premiĂšre expĂ©dition, lâentĂȘtement de part et dâautre et une dynamique propre du conflit prenant lâallure typique dâune escalade militaire incoercible.
Lors des dĂ©bats qui eurent lieu Ă la Chambre des dĂ©putĂ©s de la Bahia au dĂ©but de 1894, alors que la population de Canudos sâĂ©levait dĂ©jĂ Ă plus de 14 000 personnes, la ligne de dĂ©marcation entre adversaires et dĂ©fenseurs du Conselheiro coĂŻncidait avec celle sĂ©parant les deux partis opposĂ©s : dâune part les gonçalvistes, alliĂ©s de Jeremoabo et dâautres coroneis, rĂ©clamant une prompte intervention, et dâautre part les vianistes, dĂ©fendant le droit des Canudenses de vivre sans ĂȘtre inquiĂ©tĂ©s[90]. Les vianistes lâemportĂšrent dans un premier temps, et Jeremoabo et ses partisans remisĂšrent temporairement leur requĂȘte. Cependant, les choses changĂšrent lorsque Viana eut pris le pouvoir en mai 1896. Celui-ci en effet, ayant maintenant rĂ©ussi Ă consolider son hĂ©gĂ©monie Ă Salvador, pouvait dĂ©sormais se passer de lâappui et des services des jagunços, et paradoxalement se permettre Ă prĂ©sent de prĂȘter une oreille complaisante aux sollicitations des fazendeiros de lâarriĂšre-pays. Quand survint le prĂ©texte dâintervenir (une anodine affaire de marchandises non livrĂ©es quoique dĂ»ment payĂ©es par Conselheiro, lequel se rĂ©pandit en menaces), il nây eut plus personne pour prendre la dĂ©fense de Canudos[91].
Pendant la campagne militaire, la famille Danzas sâemploya Ă entretenir la psychose. Ainsi AmĂ©rico Camillo de Souza Velho, propriĂ©taire terrien et cousin de CĂcero Dantas, fit-il imprimer Ă ses frais et diffuser un billet dans lequel il affirmait quâil avait Ă©tĂ© rĂ©veillĂ© un certain matin par lâun de ses propres espions lui annonçant que les jagunços de Conselheiro se dirigeaient vers son logis pour le punir dâavoir ravitaillĂ© les troupes de la troisiĂšme expĂ©dition et quâil avait Ă©tĂ© forcĂ© dâĂ©vacuer toute sa famille ; les hommes de main de Canudos, dĂ©clarait-il encore, ayant trouvĂ© la maison vide, entreprirent alors de la ravager de fond en comble[89].
En septembre 1897, la quatriĂšme et derniĂšre expĂ©dition vint finalement Ă bout de la rĂ©sistance des Canudenses. La campagne sâacheva par la destruction complĂšte du village et le massacre de la presque totalitĂ© de ses habitants.
Ăcrits
Ă cĂŽtĂ© de ses occupations politiques et de fazendeiro, CĂcero Dantas Martins dĂ©ploya une activitĂ© Ă©pistolaire prolifique. Entre les annĂ©es 1873 et 1903, il expĂ©dia 44 411 lettres, soit une moyenne de 1 432 lâan, dont il tint mĂ©ticuleusement registre dans un carnet et dont il gardait chaque fois une copie. Pendant toute sa vie, il avait coutume de se retrancher dans son bureau pour y rĂ©diger sa correspondance, au dĂ©triment de sa santĂ©. La plus grande partie de cette correspondance sâest perdue, mais il en subsiste environ 1 300 lettres, pour la plupart des lettres reçues par lui ; ces derniĂšres, conservĂ©es dans leur presque totalitĂ©, Ă©taient souvent assorties de photographies reprĂ©sentant, outre les membres de sa famille, ses amis et dâautres grands propriĂ©taires terriens, un certain nombre de personnages importants de lâhistoire du BrĂ©sil, tels que JosĂ© de Alencar, Rio Branco, le baron de Cotegipe, le vicomte de NiterĂłi. Quant aux lettres Ă©crites et adressĂ©es par lui Ă des personnes haut placĂ©es â gouverneurs, juges, ministres, secrĂ©taires dâĂtat, grands propriĂ©taires, installĂ©es dans diffĂ©rentes localitĂ©s et dans d'autres provinces ou Ătats â, mais aussi Ă des vaqueiros (gardiens de bĂ©tail), quasi aucune nâa Ă©tĂ© conservĂ©e, hormis celles quâil Ă©crivit entre 1865, date de la premiĂšre, et 1902, date de la derniĂšre, Ă son ami JosĂ© Gonçalves da Silva, le premier gouverneur constitutionnel de la Bahia sous le rĂ©gime rĂ©publicain. Ces lettres prĂ©servĂ©es, dĂ©couvertes rĂ©cemment, constituent une riche source dâinformations sur certains Ă©pisodes de lâhistoire du BrĂ©sil au XIXe siĂšcle, en particulier sur la guerre de Canudos. Est en outre parvenu jusquâĂ nous un carnet, commencĂ© en 1895, oĂč il sâappliquait Ă consigner avec soin les dĂ©cĂšs, naissances, mariages et autres Ă©vĂ©nements de la vie civile, en plus de quelques opinions personnelles sur divers sujets. Enfin, lâon a gardĂ© de lui quelques articles de sa main parus dans la presse de lâĂ©poque[92].
Notes et références
- Les possessions de cette famille s'Ă©tendaient sur quelque 300 000 km2, selon une estimation rĂ©cente de Moniz Bandeira. Le chiffre de 800 000 km2 donnĂ© çà et lĂ , notamment sur les panneaux dâinformation Ă Praia do Forte ainsi que dans certains guides de voyage, apparaĂźt donc comme une exagĂ©ration. Cf. Ăngelo Emilio da Silva Pessoa, As ruĂnas da tradição: 'A Casa da Torre' de Garcia D' Ăvila - famĂlia e propriedade no nordeste colonial, thĂšse de doctorat, universitĂ© de SĂŁo Paulo, 2003, consultable en ligne.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 28.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 30.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 32-33.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 34.
- Le , au procĂšs relatif Ă cette tentative dâhomicide menĂ© devant le Tribunal Ă Salvador, lâinculpĂ© LuĂs de Almeida, parent de JoĂŁo Dantas, fut condamnĂ©, en premiĂšre instance, Ă quatre ans de bannissement vers une des colonies dâAfrique ; si le condamnĂ© Ă©chappa Ă cette peine, celle-ci ne pouvant en effet ĂȘtre infligĂ©e Ă des mineurs de moins de 16 ans ou Ă des personnes ayant dĂ©passĂ© les 55 ans, il dut toutefois sâacquitter dâune amende de deux-cent-mille rĂ©is, en sus des frais de justice Ă hauteur de cent mille rĂ©is. Cf. Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 35-36.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 37.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 38.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 39.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 40.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 41.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 42.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 43.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 44.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 45.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 46.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 48.
- On voudra bien noter les pluriels portugais : coroneis, de coronel, bachareis, de bacharel, gerais, de geral, sertÔes, de sertão, etc. Ces pluriels sont réguliers.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 36 et 48.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 52.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 54.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 55.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 56.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 58.
- Lâart. 80 de ladite loi stipule : « Les Ă©tudiants qui dĂ©sirent sâinscrire Ă un cursus juridique doivent pouvoir produire un certificat Ă©tablissant quâils ont atteint lâĂąge de quinze ans rĂ©volus et ont rĂ©ussi aux examens de langue française, de grammaire latine, de rhĂ©torique, de philosophie rationnelle et morale, et de gĂ©omĂ©trie », Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 58.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 59.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 61.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 62.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 63.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 65.
- De Saquarema, nom dâune ville de la province de Rio de Janeiro, qui Ă©tait aux mains des conservateurs en 1845, c'est-Ă -dire Ă une pĂ©riode oĂč les libĂ©raux (surnommĂ©s Luzias) dirigeaient le gouvernement. Cette annĂ©e-lĂ , lors dâune confrontation Ă©lectorale, la ville Ă©tait menacĂ©e par un ecclĂ©siastique, sous-dĂ©lĂ©guĂ© Ă la police, qui voulait gagner lâĂ©lection Ă tout prix ; les dirigeants conservateurs cependant rĂ©ussirent Ă sauvegarder la ville. Lâappellation Luzias provient de Santa Luzia, ville des Minas Gerais, cf. Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 80 et 81.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 66.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 66-67.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 71.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 72.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 74.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 84.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 85 etss.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 86.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 88.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 89.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 91.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 92.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 93.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 97.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 99.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 100.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 102.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 103.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 104.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 106.
- Baron de Vasconcelos, baron Smith de Vasconcelos, Arquivo NobiliĂĄrquico Brasileiro, Lausanne, Imprimerie La Concorde, 1918. Geremoabo, p. 159.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 135.
- Robert M. Levine, Vale of Tears. Revisiting the Canudos Massacre in Northeastern Brazil, 1893-1897, University of California Press, Berkeley & Los Angeles, 1992, p. 135.
- Caros Ott, VestĂgios de cultura indĂgina, Salvador, Secretaria de Educação e SaĂșde, 1945, citĂ© par R. Levine, Vale of Tears, p. 264.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 145.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 146.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 161.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 163.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 164.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 165.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 166.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 167.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 168.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 169.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 171.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 107.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 108.
- Ilmar Rohlolf Mattos, O Tempo Saquarema. A Formação do Estado Imperial, Rio de Janvier, Ă©d. Access, 1994, p. 107 (citĂ© par Ălvaro de Carvalho, p. 109.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 133.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 144.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 116.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 11.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 120.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. p121-122.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 123.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 124.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 125-126.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 129-130.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 131.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 131-132.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 137-138.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 159.
- R. Levine, Vale of Tears, p. 140.
- R. Levine, Vale of Tears, p. 135.
- R. Levine, Vale of Tears, p. 136.
- R. Levine, Vale of Tears, p. 141.
- R. Levine, Vale of Tears, p. 147.
- R. Levine, Vale of Tears, p. 168.
- R. Levine, Vale of Tears, p. 142.
- R. Levine, Vale of Tears, p. 143.
- Ălvaro Pinto Dantas, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel, p. 18-20.
Bibliographie
Liens externes
- Ălvaro Pinto Dantas de Carvalho JĂșnior, CĂcero Dantas Martins â De BarĂŁo a Coronel. TrajetĂłria polĂtica de um lĂder conservateur na Bahia, 1838-1903., thĂšse de doctorat, UniversitĂ© fĂ©dĂ©rale de Bahia (UFBA), fac. de Philosophie et Sciences humaines, Salvador, 2000. Consultable Ă©galement ici, dans un autre emballage.
- Smith de Vasconcelos, baron de Vasconcelos, Arquivo Nobiliårquico Brasileiro (« Archives nobiliaires brésiliennes », art. sur Geremoabo, p. 159), Imprimerie La Concorde, Lausanne 1918. Titre de baron octroyé en 1880.