Abordage de la flottille pour Gaza
Lâabordage de la flottille pour Gaza est une opĂ©ration de l'armĂ©e israĂ©lienne du dirigĂ©e, en haute mer, contre une flottille de bateaux de militants pro-palestiniens qui tentaient de briser le blocus de la bande de Gaza. La « flottille de la libertĂ© » ou « flottille Free Gaza » comprenait huit cargos transportant prĂšs de 700[1] passagers, de lâaide humanitaire et des matĂ©riaux de construction destinĂ©s Ă la population de la bande de Gaza.
L'intervention militaire a fait neuf morts et vingt-huit blessés parmi les militants, et dix blessés parmi les militaires israéliens[2]. La suite d'événements ayant conduit à ces morts a fait l'objet d'une bataille de communication. Les autorités israéliennes ont notamment diffusé une vidéo[3] qui montre des passagers attaquer et blesser avec des armes les soldats au moment de l'arraisonnement, à laquelle les militants parlent d'une réaction à l'armée israélienne, sans provocation de leur part[4].
Cette action a Ă©tĂ© largement condamnĂ©e par la communautĂ© internationale[5] et a placĂ© IsraĂ«l dans une situation dĂ©licate. Divers avis juridiques sur lâabordage du Mavi Marmara ont Ă©tĂ© donnĂ©s, certains dont Serge Sur estimant quâil est « indiscutablement contraire au droit international »[6], dâautres, comme Alan Dershowitz, estiment quâil est tout Ă fait lĂ©gal. Le , l'ONU rend public le rapport de sa commission d'enquĂȘte (rapport Palmer) prĂ©sentant les responsabilitĂ©s des diffĂ©rentes parties : d'une part le blocus maritime est estimĂ© lĂ©gal, IsraĂ«l Ă©tant donc justifiĂ© Ă intercepter la flottille ainsi qu'Ă faire usage de la force « Ă des fins de lĂ©gitime dĂ©fense » dĂšs lors que les militaires « ont Ă©tĂ© accueillis par une rĂ©sistance organisĂ©e et violente d'un groupe de passagers » ; d'autre part, la procĂ©dure israĂ©lienne d'arraisonnement du navire est estimĂ©e « excessive et dĂ©raisonnable », et le nombre de victimes est considĂ©rĂ© « inacceptable »[7] - [8]. La Turquie, qui estime toujours le blocus comme illĂ©gal, a dĂ©cidĂ© de porter l'affaire devant la Cour internationale de justice[9]. Les Comores portent plainte auprĂšs de la Cour pĂ©nale internationale en . Cette plainte est initialement rejetĂ©e par la procureure, qui estime que les crimes ne sont pas « suffisamment graves pour que la Cour y donne suite ». Elle est contredite par la chambre prĂ©liminaire de la CPI, et le devenir de la plainte est suspendu en puis dĂ©finitivement rejetĂ©e en [10].
Composition de la flottille
Navires
Le convoi compte huit navires, immatriculĂ©s dans diffĂ©rents Ătats et appartiennent Ă diffĂ©rents organisateurs. Six seront arraisonnĂ©s le , le septiĂšme, retardĂ© Ă la suite d'avaries, sera arraisonnĂ© le , et le huitiĂšme abandonnera le voyage.
- Navires arraisonnés le
- Challenger I[11]
- Battant un pavillon des Ătats-Unis, le Challenger I est exploitĂ© par le mouvement Free Gaza.
- Sfendoni[12]
- Eleftheri Mesogeios[12]
- La Mésogée Eleftheria (« méditerranéenne de libre ») est un cargo battant un pavillon grec et le Sfendoni (« fronde, lance-pierre ») est un navire à passagers, exploités par l'association grecque Un bateau pour Gaza et la Campagne européenne pour mettre fin le siÚge de Gaza. Les deux navires ont quitté Le Pirée le 25 mai pour rejoindre le reste de la flotte à Chypre.
- MV Mavi Marmara (Blue Marmara)[13]
- Le Mavi Marmara (« Marmara bleue ») est un navire à passagers turc sous un pavillon des Comores, anciennement exploité par la Istanbul Fast Ferries Co. Inc dans la mer de Marmara. Il a été spécialement acheté pour le voyage à Gaza par la Fondation pour les droits de l'homme et la liberté et d'assistance (IHH).
- Il a quitté l'Anatolie, le pour rejoindre le reste de la flotte. Il porte a son bord 581 passagers, dont la grande majorité des ressortissants turcs.
- Gazze[14]
- Defne Y[14]
- Le Y Defne (« laurier Y ») est un cargo battant un pavillon de Kiribati exploité par l'IHH. Il transporte 150 tonnes de fer, 98 groupes électrogÚnes, 50 maisons préfabriquées, 16 unités de terrains de jeux d'enfants et d'équipements médicaux spécialisés, ainsi que 23 membres d'équipage et sept passagers. Il part d'Anatolie, le 22 mai.
- Navire arraisonné le
- MV Rachel Corrie[15]
- Affrété par l'organisation irlandaise, sous pavillon cambodgien, ce navire tire son nom de Rachel Corrie, militante pacifiste américaine écrasée par un bulldozer israélien au cours d'une manifestation à Gaza en 2003. Le bateau n'arrive pas à temps pour rejoindre la flotte, à cause de problÚmes mécaniques qui l'ont forcé à faire des réparations à Malte. Il est en route, le , lorsque le reste de la flottille est interceptée. Les 11 membres d'équipage décident de poursuivre le voyage vers la bande de Gaza, en dépit des avertissements en provenance d'Israël. Le bateau est un ancien Merchant exploité par Free Gaza. Le en fin de matinée, l'armée israélienne prend le contrÎle du cargo irlandais et le déroute, sans faire de victime, vers le port d'Ashdod.
- Autre navire
- Challenger II[11]
- à la suite d'avaries mécaniques, ce navire abandonne le trajet.
Cargaison
Quatre des sept navires de la flottille sont chargĂ©s de 2 000 tonnes de matĂ©riaux de construction (outils, gravats, toilettes, Ă©viers, cimentâŠ) destinĂ©s Ă la population de la bande de Gaza, ainsi que de matĂ©riel d'aide humanitaire. Sur les 26 camions ayant transportĂ© cette aide au , on trouvait : 300 fauteuils roulants, 300 scooters, 100 scooters spĂ©ciaux pour handicapĂ©s, des centaines de bĂ©quilles, 250 lits dâhĂŽpital, 50 canapĂ©s, quatre tonnes de mĂ©dicaments, 20 tonnes de vĂȘtements, tapis, sacs dâĂ©cole, tissus et chaussures usagĂ©s, des Ă©quipements hospitaliers divers â des placards et des armoires, des jouets, des matelas.
Entre le et le (aprĂšs l'abordage), 484 camions ont ainsi transfĂ©rĂ© d'IsraĂ«l Ă Gaza par voie terrestre 12 413 tonnes de denrĂ©es alimentaires, de produits hygiĂ©niques, de mĂ©dicaments, de vĂȘtements et de matĂ©riaux[16]. Selon IsraĂ«l, le Hamas refuse dans un premier temps cette aide humanitaire, bloquant les camions Ă Kerem Shalom. Le ministre des Affaires sociales du gouvernement Hamas, Ahmad al-Kurd, a pour sa part affirmĂ© Ă des journalistes que l'aide ne devrait entrer qu'Ă condition que « rien ne soit volĂ© aux activistes et sans aucune exception ». « Cela inclut les maisons prĂ©fabriquĂ©es, le ciment, le fer, et les gĂ©nĂ©rateurs Ă©lectriques », a-t-il soulignĂ©, en rĂ©fĂ©rence Ă des produits rĂ©guliĂšrement bloquĂ©s par IsraĂ«l[17].
Passagers
Le convoi compte 682 passagers originaires de 42 pays : 380 Turcs, 38 Grecs, 32 AlgĂ©riens, 31 Britanniques, 30 Jordaniens, 15 KoweĂŻtiens, 12 IndonĂ©siens, 11 SuĂ©dois, 11 AmĂ©ricains, 11 Allemands, 11 Malaisiens, 9 Français, 9 Australiens, 7 Irlandais, 7 Marocains, 6 Italiens, 5 Belges, 4 Arabes israĂ©liens, 4 Syriens, 4 TchĂšques, 4 YĂ©mĂ©nites, 4 BahreĂŻniens, 3 Canadiens, 3 Libanais, 3 Ăgyptiens, 3 MacĂ©doniens, 3 NorvĂ©giens, 3 Mauritaniens, 3 Pakistanais, 2 Bulgares, 2 NĂ©erlandais, 2 AzerbaĂŻdjanais, 1 Serbe, 1 Kosovar, 1 Omanais, 1 NĂ©o-ZĂ©landais, 1 Sud-Africain et 1 Bosnien[18].
- Abderrazak Makri, docteur en médecine et vice-président du Mouvement de la société pour la paix ;
- Kate Geraghty, photographe au Sydney Morning Herald ;
- Paul McGeough, journaliste au Sydney Morning Herald ;
- Iara Lee, réalisatrice brésilienne[19] ;
- Annette Groth, députée de Die Linke au Bundestag allemand ;
- Inge Höger, député de Die Linke au Bundestag allemand ;
- Matthias Jochheim, prĂ©sident adjoint de lâAssociation internationale des mĂ©decins pour la prĂ©vention de la guerre nuclĂ©aire (IPPNW) ;
- Nader el Sakka, président de la communauté palestinienne de Hambourg ;
- Norman Paech, ancien député de Die Linke au Bundestag allemand ;
- Denis Halliday, ancien coordinateur humanitaire de lâONU en Irak ;
- Hanin Zoabi, députée de Balad à la Knesset ;
- Raed Salah, dirigeant de la branche nord du Mouvement islamique en Israël[20] ;
- Hamam Said, dirigeant des FrĂšres musulmans en Jordanie[21] ;
- Waleed Al-Tabtabaie, membre du parlement du KoweĂŻt ;
- Abbas Nasser, journaliste au sein dâAl Jazeera ;
- Mairead Corrigan Maguire[22], prix Nobel de la paix 1976 ;
- Ridha Agha, correspondant de lâAAJ TV (chaĂźne de tĂ©lĂ©vision pakistanaise) ;
- Talat Hussain, directeur exĂ©cutif de lâAAJ TV ;
- Mahmad Tzoalha, membre du Hamas[21] ;
- Sahar Albirawi, membre du Hamas[21] ;
- Jamal Elshayyal, correspondant dâAl Jazeera international ;
- Dror Feiler, musicien israélo-suédois ;
- Mattias Gardell, spécialiste de la religion comparée ;
- Mehmet Kaplan, membre du Parlement suédois ;
- Edda Manga, historienne ;
- Henning Mankell, auteur de romans policiers suédois ;
- Hilarion Capucci, ancien archevĂȘque catholique grec de JĂ©rusalem ;
- Abbas Al Lawati, journaliste au quotidien anglophone Gulf News ;
- Edward Peck, ancien ambassadeur américain en Mauritanie et en Irak ;
- Hedy Epstein ( - ), survivante de la Shoah et membre de lâInternational Solidarity Movement ;
- Huwaida Arraf, cofondatrice de l'International Solidarity Movement ;
- Joe Meadors, ancien marin survivant de lâincident du USS Liberty, un navire espion amĂ©ricain attaquĂ© par lâaviation israĂ©lienne en 1967 durant la guerre des Six Jours alors qu'il se trouvait en haute mer.
Déroulement des événements
DĂ©part de la flottille
Le , Israël invite la flottille à venir décharger sa cargaison à Ashdod avant inspection et transfert à Gaza[23], offre à laquelle les organisateurs de la flottille ne donnent pas suite, la qualifiant de « ridicule et d'offensante »[24].
Les huit navires de la flottille commencent leur voyage Ă partir de diffĂ©rents ports europĂ©ens et tentent de se rĂ©unir le samedi dans les eaux internationales prĂšs de Chypre. Sur les huit bateaux, seulement six parviennent au rendez-vous, deux d'entre eux ayant Ă©tĂ© immobilisĂ©s pour des raisons mĂ©caniques « suspectes » dâaprĂšs le mouvement organisateur. Selon le Colonel israĂ©lien Itzik Turgeman, cinq navires auraient Ă©tĂ© sabotĂ©s par des agents israĂ©liens, dont le MV Rachel Corrie, affrĂ©tĂ© par la branche irlandaise de Free Gaza[25]. Ce dernier sera arraisonnĂ© Ă son tour le [26]. Ces autres bateaux ont Ă©voquĂ© en outre des « dĂ©saccords » avec les autoritĂ©s chypriotes[27] - [28].
Le convoi appareille de Chypre le en fin dâaprĂšs-midi, sans tenir compte de la proposition israĂ©lienne dâaccoster dans le port dâAshdod afin quâIsraĂ«l transfĂšre la cargaison, aprĂšs vĂ©rification, par voie terrestre[29] - [30] - [31].
La mĂ©diatisation de la flottille, dâabord faible, prend de l'ampleur lorsquâIsraĂ«l indique que les autoritĂ©s ne permettront pas Ă ce convoi de rejoindre Gaza, mĂȘme si cela devait impliquer lâutilisation de la force militaire[32].
Assaut du 31 mai
Les commandos israĂ©liens du Shayetet 13 donnent lâassaut sur la flottille le , Ă environ 4 heures 30 IST, alors quâelle se trouve dans les eaux internationales, Ă environ 150 kilomĂštres des cĂŽtes israĂ©liennes[22]. Cette opĂ©ration, appelĂ©e « Vents du ciel », fait neuf morts parmi les passagers du convoi humanitaire (dont huit ressortissants turcs et un AmĂ©ricain de 19 ans[33], d'origine turque[34]).
Arraisonnement du Mavi Marmara
Lâabordage de la flottille Free Gaza, « opĂ©ration Vents du ciel » pour l'Ă©tat-major israĂ©lien, se dĂ©roule le dans les eaux internationales[22] - [35], au large de la bande de Gaza. Au cours de l'assaut donnĂ© aux navires, des coups de feu sont tirĂ©s sur lâun des navires, le Mavi Marmara, faisant neuf morts et vingt-huit blessĂ©s parmi les militants et dix blessĂ©s parmi les militaires israĂ©liens[2]. Les versions divergent quant au dĂ©roulement des Ă©vĂ©nements.
Version israélienne
Selon le gouvernement israĂ©lien, ce sont les passagers qui dĂ©clenchent les violences et ouvrent le feu avec des armes quâils possĂšdent Ă bord[36] - [37].
Le ministĂšre de la DĂ©fense israĂ©lien indique qu'une cinquantaine dâentre eux seraient liĂ©s Ă des groupes du Jihad islamique, principalement Ă Al-QaĂŻda : ils nâont pas de papiers dâidentitĂ©, portent sur eux dâimportantes sommes dâargent, sont Ă©quipĂ©s de gilets pare-balles en kevlar et de lunettes de vision nocturne et armĂ©s de couteaux, de barres de fer et de frondes[38] - [39] - [40].
The Jerusalem Post suggĂšre que le manque de renseignements serait la cause principale de lâissue tragique de lâopĂ©ration[41].
Selon Yediot Aharonot, la dĂ©cision dâaborder la flottille dans les eaux internationales est prise par le chef de la marine israĂ©lienne pour surprendre les militants pro-palestiniens avant le lever du jour, en dĂ©pit du risque quâIsraĂ«l puisse ĂȘtre accusĂ© dâ« acte de piraterie » : lâamiral Eliezer Marom aurait assistĂ© lui-mĂȘme Ă lâopĂ©ration sur un bĂątiment de guerre Ă proximitĂ©[42].
Le quotidien turc Hurriyet publie des photos de soldats israĂ©liens battus par les passagers Ă bord du Mavy Marmara. Sur les photos, prises au moment oĂč Tsahal prend le contrĂŽle du navire, les soldats sont montrĂ©s en sang et d'autres sont soignĂ©s par l'Ă©quipage[43]. Le porte-parole de Tsahal exprime sa satisfaction avec la dĂ©cision de la presse turque de publier les photos : « C'est bien la preuve des allĂ©gations rĂ©pĂ©tĂ©es d'IsraĂ«l, que le bateau transportait des mercenaires, dont le seul but Ă©tait de tuer les soldats. Les images auraient pu ĂȘtre diffĂ©rentes si les soldats n'avaient choisi de tirer. GrĂące Ă leur profonde comprĂ©hension de l'Ă©vĂ©nement, les commandos de la Marine ont rĂ©ussi Ă Ă©tablir une distinction entre un militant pacifique et un terroriste. »[44] - [45] - [46] - [47] Selon le journal, les soldats auraient au prĂ©alable dĂ©truit les clichĂ©s pour ne pas montrer leurs commandos d'Ă©lite dans des situations humiliantes. Le journal a rĂ©ussi Ă se procurer les clichĂ©s en reconstituant les donnĂ©es numĂ©riques effacĂ©es[43] - [48].
Témoignages des soldats israéliens
Les soldats israéliens impliqués dans le raid militaire sur la flottille de Gaza décrivent la situation auxquels ils ont fait face comme un «lynchage». Un soldat qui a subi une fracture témoigne de plusieurs militants armés les attendant lors de l'arraisonnement : «Ils ont juste commencé à le frapper, à le mettre en piÚces - c'était un lynchage». Les armes décrites sont des tiges métalliques, des couteaux, des lance-pierres et de bouteilles en verre et à un momment donné des tirs à balles réelles[49].
Un autre soldat témoigne qu'ils étaient «lourdement armés de tiges métalliques et de couteaux - et je ne parle pas de couteaux à beurre, je veux dire de gros couteaux d'un film de Rambo»[49].
Selon le capitaine de l'unitĂ©, il y'avait la crainte d'ĂȘtre tuĂ©s, jetĂ©s par-dessus bord - comme cela s'est produit dans un cas - ou encore d'ĂȘtre kidnappĂ©s[49].
Version des membres de la flottille
Les passagers, de leur cĂŽtĂ©, affirment que les soldats ont ouvert le feu immĂ©diatement aprĂšs lâembarquement[50], bien quâils nâaient pas tirĂ© Ă balles rĂ©elles[51]. Pour le journaliste Dan Israel, du magazine français ArrĂȘt sur images, les vidĂ©os prĂ©sentĂ©es par l'armĂ©e israĂ©lienne sont peu convaincantes[52].
Manuel Tapial, membre de lâONG espagnole Cultura, dĂ©clare Ă la radio privĂ©e Cadena Ser que les militaires israĂ©liens « sont arrivĂ©s en tuant. Dâabord avec des Zodiac, tirant des fumigĂšnes, des bombes assourdissantes, des bombes Ă fragmentations » entraĂźnant selon lui la mort de deux ou trois militants. De son cĂŽtĂ©, aprĂšs trois jours de dĂ©tention et dâinterrogatoire en IsraĂ«l, Bulent Yildirim, le prĂ©sident de lâorganisation humanitaire qui a affrĂ©tĂ© le bateau, confirme que des membres de la flottille se sont emparĂ©s des armes dâune dizaine de soldats israĂ©liens. Il estime que « cela aurait Ă©tĂ© de la lĂ©gitime dĂ©fense y compris si nous en avions fait usage », mais indique qu'ils les ont jetĂ©es Ă la mer sans les utiliser[53].
Srdjan Stojiljkovic, camĂ©raman serbe, tĂ©moigne d'une « scĂšne dâapocalypse » sur les ondes de B92 : il dĂ©crit au quotidien Blic que les soldats israĂ©liens « sont arrivĂ©s sans bruit et ont tentĂ© de monter Ă bord, lançant des bombes assourdissantes alors que lâĂ©quipage braquait des projecteurs et des lances dâincendie contre eux ». Il explique que des membres dâun commando descendant en rappel un Ă un dâun hĂ©licoptĂšre sont alors arrivĂ©s sur le navire et que « la panique sâest rĂ©pandue, des coups de feu ont retenti. Des personnes Ă bord, non armĂ©es, se sont emparĂ©s de lâun des soldats, lâont dĂ©sarmĂ© et lâont expulsĂ© du pont [sic] ». Selon le camĂ©raman, « lâune des victimes a Ă©tĂ© abattue dâun coup de feu tirĂ© entre les yeux ». Srdjan Stojiljkovic tente de filmer la scĂšne, mais les IsraĂ©liens « ont tout pris, Ă lâexception des documents dâidentitĂ© » des personnes interpellĂ©es. Les journalistes sont sĂ©parĂ©s des autres passagers et les personnes venues des pays arabes se voient d'aprĂšs lui rĂ©server un « traitement bien plus dur que pour nous, venus dâEurope ou du monde occidental »[54].
Youssef Benderbal, responsable de la communication du Comité de bienfaisance et de secours aux Palestiniens (CBSP), a déclaré au quotidien Le Monde : « l'agression, ce n'est pas nous qui l'avons cherchée, nous avons été agressés »[55].
Un parlementaire Ă©gyptien, Mohamed Beltagy, qui Ă©tait Ă©galement Ă bord d'un bateau, a quant Ă lui affirmĂ© avoir, avec ses collĂšgues, capturĂ© trois soldats israĂ©liens et pris le contrĂŽle de leurs armes. Ces dĂ©clarations, admettant l'emploi de la force par des membres de la flottille contre les soldats israĂ©liens, ont suscitĂ© une grande Ă©motion en Ăgypte[56].
Selon Michalis Grigoropoulos, membre de lâĂ©quipage de lâElefthĂ©ri Mesogeio, les soldats israĂ©liens « ont tirĂ© des gaz lacrymogĂšnes et des balles en caoutchouc. [âŠ] les commandos ont ensuite fait subir des Ă©lectrochocs Ă certains des militants »[57]. Les passagers français Ă©voquent lâusage de « matraques et de Taser »[51]. Mounia Cherif, membre du CBSP, affirme Ă©galement que les soldats israĂ©liens les « ont frappĂ©s avec des matraques, des Tasers ». Elle confirme par ailleurs que l'arraisonnement a bien eu lieu dans les eaux internationales[58].
Norman Paech, ancien dĂ©putĂ© de Die Linke au Bundestag, a expliquĂ© que « câĂ©tait une attaque sur une mission pacifique dans les eaux internationales. Les IsraĂ©liens peuvent vouloir dĂ©fendre leur zone militaire, mais nous Ă©tions en dehors de ces limites, ce nâĂ©tait donc pas un acte de lĂ©gitime dĂ©fense mais un crime de guerre »[59].
LâĂ©crivain suĂ©dois Henning Mankell, un des passagers de la flottille, pose les questions en ces termes : « Que se passera-t-il lâan prochain lorsque nous viendrons avec une centaine de bateaux ? Tireront-ils une bombe atomique ? » Pour lui, « IsraĂ«l est sur les genoux. Personne nâaurait pu sâattendre Ă ce que le reste du monde rĂ©agisse de cette façon. Ils sont complĂštement isolĂ©s »[60]. Il rĂ©flĂ©chit Ă interdire la traduction de ses livres en IsraĂ«l[61].
Thomas Sommer, coordinateur de la Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien (CCIPPP), dĂ©clare au journal Le Monde : « nous avons Ă©tĂ© attaquĂ©s par des bĂątiments de guerre, nous avons eu droit aux frĂ©gates, Ă des navires Ă©normes, et aussi des Zodiac remplis de commandos cagoulĂ©s, habillĂ©s en noir, et des hĂ©licoptĂšres de combat » ; « Ils ont sorti des Taser et ont tirĂ© Ă bout portant sur les copains qui Ă©taient les premiers devant eux. Ils sont tombĂ©s sur le coup puis ils se sont fait tabasser. » Quant aux armes que les soldats israĂ©liens ont trouvĂ©es, couteau, barre de fer, hache, il affirme que ce genre de matĂ©riel se trouve dans « nâimporte quel bateau civil »[62]. Les propos de Thomas Sommer sont corroborĂ©s par Henning Mankell[61].
Lors d'un entretien à la chaßne Al-watan (Koweït) le député Dr Waleed Al-Tabtabaei, qui était à bord du Mavi Marmara, a décrit « comment les activistes ont résisté aux soldats israéliens qui attaquaient leur Flottille de la Liberté. Il a expliqué qu'aprÚs que des activistes aient pris en otage trois soldats puissamment armés les troupes israéliennes ont ouvert le feu sans discrimination tuant 16 activistes. »
Il dit qu'« à 23:00 les troupes israéliennes entourÚrent leur navire ⊠elles abordÚrent à l'aube le jour suivant. Il expliqua que les troupes israéliennes tuÚrent deux activistes à bord de leur bateau avant de monter sur le vaisseau le Mavi Marmara, tirant sur l'un à partir d'un hélicoptÚre et sur le second depuis une embarcation. Les troupes utilisÚrent ensuite des bombes fumigÚnes pour prendre contrÎle du navire ce qui amena les activistes turcs à leur résister »[63].
AprĂšs l'arraisonnement
Les passagers sont dâabord enfermĂ©s Ă la prison de Beer-Sheva avant dâĂȘtre rapidement libĂ©rĂ©s par IsraĂ«l et expulsĂ©s du pays, Ă lâexception de quelques blessĂ©s intransportables qui restent hospitalisĂ©s[64].
Selon le Jerusalem Post, un rapport au sujet des interrogations lors de l'enquĂȘte, montre que le capitaine et l'Ă©quipage du Mavi Marmara ont essayĂ© d'empĂȘcher des actes de violence de la part des militants d'IHH qui avaient pris le contrĂŽle du navire. Svante Cornell, un SuĂ©dois expert en sĂ©curitĂ©, dit : « Il n'est pas concevable que l'opĂ©ration Gaza de l'IHH ait pu ĂȘtre rĂ©alisĂ©e en l'absence d'un aval Ă un haut niveau du gouvernement [turc] » et un journaliste qui Ă©tait Ă bord parle de soutien du gouvernement turc et d'instructions pour le dĂ©part donnĂ© par le Premier ministre Erdogan[65].
Selon le quotidien britannique The Guardian, plusieurs passagers de la flottille pour Gaza ont constatĂ© que leurs cartes de crĂ©dit ainsi que leurs portables, confisquĂ©s par les autoritĂ©s israĂ©liennes lors de lâarraisonnement des bateaux, avaient Ă©tĂ© utilisĂ©es en IsraĂ«l[66].
Les marchandises sont quant à elles transférées par voie routiÚre vers la bande de Gaza.
Bilan
Parmi les passagers, on dénombre neuf morts et vingt-huit blessés[67].
Le , des reprĂ©sentants du ComitĂ© International de la Croix-Rouge rendent visite Ă tous les ressortissants de pays nâentretenant pas de relations diplomatiques avec lâĂtat dâIsraĂ«l, tant dans les hĂŽpitaux que dans les centres de dĂ©tention. Une partie de la presse israĂ©lienne s'en Ă©meut, le Jerusalem Post sous-titrant ainsi lâarticle traitant de cette visite par « pendant ce temps Gilad Shalit, lui, attend toujours la visite de lâorganisation internationale »[68].
Le Guardian rĂ©vĂšle le 4 juin le contenu du rapport d'autopsie des autoritĂ©s turques. Plusieurs corps prĂ©sentent plusieurs impacts de balles tirĂ©es Ă bout portant (dans la tempe ou le visage) ou dans le dos et Ă l'arriĂšre de la tĂȘte[69] - [70] :
- Cengiz Alquyz (42 ans) : quatre blessures par balles, une dans le cou, cÎté droit du visage, du dos, la jambe gauche ;
- Ibrahim Bilgen (60 ans) : quatre blessures par balle Ă la poitrine droite, le dos, la hanche droite, la tempe droite ;
- Bengie Ali Haydar (39 ans) : six blessures par balles dans la poitrine, le ventre, le bras droit, jambe droite, main gauche (deux) ;
- Furkan Dogan (19 ans) : cinq coups de feu Ă moins de 45 centimĂštres, face Ă l'arriĂšre de la tĂȘte, deux jambes et l'autre sur le dos ;
- Cegdet Kiliclar (38 ans) : blessure par balle au front ;
- Cengiz Songur (47 ans) : une blessure par balle Ă l'avant du cou ;
- Topcuoglu Ăetin (54 ans) : trois balles dans le cou, le cĂŽtĂ© gauche de la tĂȘte, du cĂŽtĂ© droit de l'estomac ;
- Yaldiz Sahri (Ăąge inconnu) : quatre balles dans la poitrine Ă gauche, la jambe gauche, jambe droite (deux) ;
- Necdet Yildirim (32 ans) : deux blessures par balle Ă l'Ă©paule droite, Ă gauche en arriĂšre.
RĂ©actions internationales
Cette action est largement condamnĂ©e par la communautĂ© internationale[5] et place IsraĂ«l dans une situation dĂ©licate dans la mesure oĂč, effectuĂ©e dans les eaux internationales, elle est « indiscutablement contraire au droit international »[6] pour certains, et tout Ă fait lĂ©gale pour d'autres[71] - [72].
Refusant le principe d'une mission d'enquĂȘte internationale comme le demandait une rĂ©solution adoptĂ©e par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies[73], IsraĂ«l met sur pied sa propre commission d'enquĂȘte dirigĂ©e par un ancien juge de la Cour suprĂȘme israĂ©lienne avec pour mission d'« enquĂȘter sur les aspects relatifs Ă lâaction entreprise par lâĂtat dâIsraĂ«l pour empĂȘcher des navires dâatteindre les cĂŽtes de Gaza »[74].
Ă la suite des pressions de la communautĂ© internationale, IsraĂ«l dĂ©cide le de lever l'embargo sur les « biens Ă usage civil », tout en maintenant le blocus maritime afin d'empĂȘcher l'importation de matĂ©riel de guerre[75]. Alain Gresh signalera tout de mĂȘme « dans le mĂȘme temps, ne surestimons pas ce qui a Ă©tĂ© fait : le blocus se poursuit (mĂȘme si le terminal de Rafah est dĂ©sormais ouvert). Avant le blocus, le nombre moyen de camions se rendant chaque mois Ă Gaza Ă©tait de 12 350, soit 400 par jour. Au mois de juillet 2008, ce nombre Ă©tait tombĂ© Ă un millier, avant de descendre en novembre Ă 23 camions. Au printemps 2010, il en passait 2 500 par mois, soit moins du quart des besoins estimĂ©s. En juillet 2010, Ă la suite de lâassouplissement, ce chiffre grimpait Ă 4 000, bien moins quâavant le blocus. »[76]
Le rapport Palmer est le rĂ©sultat de lâenquĂȘte sur l'abordage de la flottille pour Gaza du menĂ©e Ă la demande du SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations unies, Ban Ki-moon, le . Le rapport qui a Ă©tĂ© publiĂ© le conclut que le blocus israĂ©lien de la bande de Gaza est lĂ©gal mais, en rĂ©fĂ©rence Ă l'abordage, estime que « la dĂ©cision d'IsraĂ«l de prendre le contrĂŽle des bateaux avec une telle force Ă grande distance de la zone du blocus et sans mise en garde prĂ©alable Ă©tait excessive et dĂ©raisonnable ». La commission note toutefois que « [les soldats de] l'armĂ©e israĂ©lienne ont Ă©tĂ© accueillis par une rĂ©sistance organisĂ©e et violente d'un groupe de passagers » durant l'arraisonnement du Mavi Marmara et que « l'usage de la force Ă©tait nĂ©cessaire Ă des fins de lĂ©gitime dĂ©fense » mais Ă©galement que « les pertes de vie et les blessures rĂ©sultant de l'usage de la force par les forces israĂ©liennes lors de la prise de contrĂŽle du Mavi Marmara Ă©tai[en]t inacceptable[s] » tout en considĂ©rant que les militants Ă bord des six bateaux de la flottille avaient « agi de façon imprudente en essayant de forcer le blocus naval »[77] - [7] - [78] - [79].
Plainte auprÚs de la Cour pénale internationale
Le , le gouvernement des Comores, sous pavillon duquel naviguait le Mavi Marmara, dĂ©fĂšre le cas auprĂšs de la procureure de la Cour pĂ©nale internationale et transmet un renvoi, en lui demandant d'enquĂȘter sur les crimes relevant de sa compĂ©tence au titre des articles 12, 13 et 14 du Statut de Rome. Le procureur indique qu'il va procĂ©der Ă un examen prĂ©liminaire[80]. Le , la procureure indique qu'elle ne poursuivra pas IsraĂ«l, mĂȘme s'il est raisonnable de penser que des crimes de guerre ont Ă©tĂ© commis, car ces crimes ne sont pas « suffisamment graves pour que la Cour y donne suite », la CPI devant « avant tout se concentrer sur les crimes de guerre commis Ă grande Ă©chelle ou dans la poursuite d'un plan ou d'une politique »[81]. Le , les Comores, appuyĂ©es par le reprĂ©sentant des victimes, font appel de la dĂ©cision[82]. Le , la Chambre prĂ©liminaire de la CPI demande Ă la procureure de revoir sa dĂ©cision, et parle d'erreurs fait dans l'apprĂ©ciation du dossier[83] ; cette demande provoque la colĂšre d'IsraĂ«l[84]. Le , la procureure rejette les recommandations des juges, et fait appel en interne de leur dĂ©cision[85]. La dĂ©cision est donc suspendue Ă la dĂ©cision de la chambre d'appel[82]. Le 16 septembre 2020, les juges de la CPI dĂ©clarent dans un communiquĂ© rejeter la demande des Comores[86].
En 2016, Israël a versé 20 millions de US dollars (env. 18 000 000 d'euros) à la Turquie à titre d'indemnités pour l'arraisonnement du Mavi Marmara et la mort de 10 militants turcs. Israël aurait aussi présenté des excuses à la Turquie et se serait engagé à alléger le blocus de Gaza. En contrepartie, la Turquie abandonne les poursuites contre des ex-chefs militaires israéliens et normalise ses relations diplomatiques avec Israël[87].
Notes et références
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- « La Chambre prĂ©liminaire I de la CPI demande au Procureur de reconsidĂ©rer sa dĂ©cision de ne pas enquĂȘter sur la situation renvoyĂ©e par l'Union des Comores », CPI, 16 juillet 2015.
- « Mavi Marmara : La CPI va réexaminer la décision de ne pas poursuivre Israël », i24news.com, 16 juille 2015.
- « Mavi Marmara : la procureur de la CPI rejette la recommandation des juges », i24news.com, 27 juillet 2015.
- « Flottille Gaza : la CPI rejette un appel contre le refus de poursuivre Israël », sur The Times of Israel,
- dĂ©pĂȘche AFP du 3 oct. 2016 citĂ©e par http://www.cclj.be/actu/israel/israel-verse-20-millions-dollars-indemnites-turquie.
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- (en) Texte intégral du rapport Palmer aux Nations unies.
- (en) Page officielle IHH pour la Flottille pour Gaza.
- Thomas Sommer-Houdeville, La Flottille - SolidaritĂ© internationale et piraterie d'Ătat au large de Gaza, Zones / La DĂ©couverte, Paris, 2011.
- Réponse israélienne
- Communiqué du porte-parole IDF avec des liens vers des vidéos IDF, MinistÚre des Affaires étrangÚres israélien, .
- RĂ©ponse des activistes