Sima de los Huesos
La Sima de los Huesos signifie en espagnol « gouffre aux ossements » et désigne un aven qui contient un gisement paléolithique ùgé de 430 000 ans[2]. Sa richesse en fossiles en fait la source d'information principale de la paléoanthropologie de cette période en Europe. La cavité est constituée d'une chambre au fond d'un puits de 14 mÚtres et a été creusée par une ancienne riviÚre souterraine dans la Cueva Mayor de la sierra d'Atapuerca en Espagne, massif classé au patrimoine mondial[3] - [4].
Coordonnées |
42° 21âČ N, 3° 30âČ O |
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Pays | |
Communautés autonomes d'Espagne|Communauté autonome | |
Province | |
Massif |
Sierra d'Atapuerca |
Localité voisine | |
Voie d'accĂšs |
Camino del Pajarillo |
Type | |
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Altitude de l'entrée |
1 080 m |
PĂ©riode de formation | |
Occupation humaine | |
Patrimonialité |
La Sima de los Huesos a Ă©veillĂ© l'intĂ©rĂȘt pour la sierra d'Atapuerca aprĂšs la dĂ©couverte d'une mandibule humaine archaĂŻque complĂšte en 1976[3]. Elle a depuis livrĂ© une grande quantitĂ© de fossiles appartenant Ă au moins 28 individus[5], ce qui constitue l'un des deux plus grands gisements humains du registre fossile, avec les grottes de Rising Star qui ont livrĂ© Homo naledi en Afrique du Sud[6]. Le caractĂšre non accidentel de ce rassemblement d'os pourrait peut-ĂȘtre en faire la plus ancienne manifestation documentĂ©e d'un acte rituel[7] - [8] - [9], plus de 300 000 ans avant les sites attestĂ©s de Es Skhul et Qafzeh en IsraĂ«l. De multiples impacts, certains lĂ©taux, sur plusieurs crĂąnes, tĂ©moignent de la violence de certaines morts, un individu au moins ayant Ă©tĂ© la victime d'un meurtre[9] - [1]. Ces personnes Ă©taient droitiĂšres[10] - [11] - [12]. Ă ce jour aucun contre-indice au langage parlĂ© n'a pu ĂȘtre dĂ©celĂ© chez ces individus, portant peut-ĂȘtre l'apparition du langage assez tĂŽt dans l'Ă©volution humaine[13] - [11] - [12] - [14]. D'une stature semblable aux hommes de NĂ©andertal, leur large ossature suggĂšre un corps plus lourd que les hommes modernes pour une taille plus petite[15] - [16] - [17] - [18] - [19].
Les fossiles prĂ©sentent un Ă©tat de conservation si exceptionnel qu'il a permis d'en extraire les plus anciens ADN humains jamais analysĂ©s en 2013 (mitochondrial) puis en 2016 (nuclĂ©aire), malgrĂ© leur Ăąge. Ces informations ont permis de reconstituer l'arbre phylogĂ©nĂ©tique probable entre les espĂšces humaines rĂ©centes dont l'ADN est dĂ©jĂ connu : Homme de NĂ©andertal, Homme de Denisova et Homme moderne[20] - [21]. L'attribution initiale des fossiles Ă Homo heidelbergensis[22] a Ă©tĂ© infirmĂ©e par l'Ă©quipe d'Atapuerca en 2014[2]. Ces spĂ©cimens sont dĂ©sormais attribuĂ©s Ă l'Homme de NĂ©andertal. Les individus de la Sima de los Huesos seraient de proches descendants de l'ancĂȘtre commun des DĂ©nisoviens et des NĂ©andertaliens, qui ont perdurĂ© respectivement en Asie et en Europe pendant quelque 400 000 ans, jusqu'Ă l'arrivĂ©e de l'Homme moderne il y a environ 50 000 ans[23] - [2] - [20] - [21]. Les fouilles se poursuivent chaque Ă©tĂ© depuis 1984[3]. Au rythme de quelques centimĂštres par an, elles promettent encore de nombreuses dĂ©couvertes.
DĂ©couverte
Visites récentes
La grotte est citĂ©e dĂšs le Xe siĂšcle dans des documents du monastĂšre de San Pedro de Cardeña de Burgos. Les visiteurs ont depuis longtemps laissĂ© des graffitis indiquant leur passage et le complexe de la Cueva Mayor en contient aujourd'hui une grande quantitĂ©. La plus ancienne inscription indique ainsi l'an 1444 et est situĂ©e dans la GalerĂa del Silo. Les ingĂ©nieurs des mines Sampayo et Zuaznavar, qui visitĂšrent la grotte en 1868 et publiĂšrent un livre relatant leur exploration, rapportent avoir vu une inscription qu'ils estimĂšrent du XIIIe siĂšcle ainsi qu'une aux motifs qui leur ont paru arabes (les arabes ont quittĂ© la rĂ©gion au VIIIe siĂšcle). D'autres suivent alors de plus en plus nombreuses. Par ailleurs une chronique du bouffon de l'empereur Charles Quint relate une visite de la cour dans la grotte. Bien qu'il n'y ait rien de certain Ă partir de ce tĂ©moignage, il dĂ©montre que l'endroit n'Ă©tait pas inconnu[24]. Toutefois il n'y a aucune indication que ces visiteurs aient Ă©galement pĂ©nĂ©trĂ© dans la Sima : elle Ă©tait d'ailleurs alors connue sous le nom du puits seulement, El Silo, d'oĂč le nom de la galerie qui y mĂšne, la GalerĂa del Silo.
La plus ancienne visite documentĂ©e de la Sima de los Huesos est un manuscrit de 1795. Il dĂ©crit une visite par des habitants du village de Rubena qui apportent des cordes et explorent les puits de la grotte. Devant l'absence d'inscription dans la Sima de los Huesos ils pensent ĂȘtre les premiers Ă y descendre. Ils y dĂ©couvrent l'amoncellement d'os qu'ils fouillent en surface, Ă la base du puits seulement, renonçant Ă descendre la rampe. Ils pensent qu'ils proviennent de grands animaux d'aprĂšs la taille des os et des dents et en emportent quelques-uns[25].
Le complexe karstique est ensuite décrit dans l'ouvrage de 1868 de Sampoyo et Zuaznavar. Il est accompagné d'un plan et de dessins de la grotte. Les auteurs y décrivent en détail la cavité, ses stalactites et silos, mais ne pénÚtrent pas dans le silo riche en ossements faute de moyens[26].
Enfin, des passionnés de spéléologie fondent l'association Grupo Espeológico Edelweiss en 1951 à Burgos et acquiÚrent une connaissance importante de la sierra d'Atapuerca, dont ils cartographient le systÚme karstique et la Sima de los Huesos. Ils découvrent des fossiles dans la Trinchera del Ferrocarril, sans autorisation de fouilles et avec des moyens parfois peu orthodoxes, mais sur indications du paléontologue catalan Miquel Crusafont. Certains seront confisqués tandis que d'autres serviront à alimenter l'Institut Provincial de Paleontologia créé par ce dernier en Catalogne en 1969, aujourd'hui Institut de Paleontologia Miquel Crusafont de Sabadell[27].
DĂ©couverte officielle
En un Ă©tudiant en thĂšse, Trinidad de Torres, participe Ă une confĂ©rence sur la conservation des grottes Ă Burgos. Il discute des fossiles de la Trinchera del Ferrocarril avec les membres du Groupe Edelweiss et ces derniers l'invitent Ă y organiser une expĂ©dition l'Ă©tĂ© suivant. La campagne dĂ©bute en aoĂ»t 1976 dans la Trinchera dont Torres divise et rebaptise les sites en Gran Dolina et Tres Simas (GalerĂa). Torres Ă©tait Ă la recherche de fossiles, mais les rĂ©sultats manquent, jusqu'au oĂč le groupe arrive dans la Sima de los Huesos. Le premier fossile humain alors officiellement dĂ©couvert fut une mandibule, baptisĂ©e AT-1. TrouvĂ©e par des membres du groupe de fouille constituĂ© par Torres, elle Ă©tait situĂ©e sous une couche contenant des os d'ours de Deninger, eux-mĂȘmes ancĂȘtres des ours des cavernes, rĂ©vĂ©lant ainsi la grande anciennetĂ© du site.
Torres rĂ©alise l'immense potentiel de la cavitĂ© : Ă elle seule cette dĂ©couverte est aussi importante que celle de la mandibule de Mauer en 1907, pourtant une grande quantitĂ© d'ossements humains supplĂ©mentaires s'annonce. Il demande une autorisation au dĂ©tenteur du permis de fouilles archĂ©ologiques dans la Cueva Mayor, alors attribuĂ© pour El PortalĂłn, le gisement de l'AntiquitĂ© situĂ© Ă l'entrĂ©e de la Cueva Mayor. Le la dĂ©couverte est Ă©voquĂ©e dans le journal local. Le 28, le Groupe Edelweiss ferme dĂ©libĂ©rĂ©ment la jonction entre la Cueva del Silo et la Cueva Mayor qui se faisait Ă quelques mĂštres de la Sima, pour Ă©viter les pillages. Trinidad de Torres est depuis considĂ©rĂ© comme celui qui a compris le premier l'intĂ©rĂȘt de la sierra d'Atapuerca[27]. Cependant Trinidad Ă©tait encore en doctorat, son directeur de thĂšse Emiliano Aguirre prit donc la main sur l'organisation d'un groupe d'Ă©tude pour Atapuerca. Il dirigea les recherches jusqu'Ă sa retraite en 1990, tandis que Torres cessa d'appartenir Ă l'Ă©quipe[28]. La direction des fouilles est ensuite transmise Ă Juan Luis Arsuaga, Eudald Carbonell et JosĂ© MarĂa BermĂșdez de Castro. Ă ce titre ils reçurent le Prix Prince des Asturies de la Recherche Scientifique et Technique, et le Prix Castilla y LeĂłn des Sciences Sociales et HumanitĂ©s en 1997. Trinidad de Torres ne fut pas invitĂ©, Emiliano Aguirre le cita cependant dans son discours[28].
Les fouilles rĂ©guliĂšres des sĂ©diments dĂ©butĂšrent dans la saison 1984. En 1987, un Ă©chafaudage a Ă©tĂ© accrochĂ© aux parois pour ne pas marcher sur le sol. Pendant la mĂȘme saison, un puits a Ă©tĂ© creusĂ© entre le toit de la Salle des Cyclopes et le sol extĂ©rieur sus-jacent pour rĂ©duire l'Ă©quipement Ă emporter et Ă©vacuer les dĂ©couvertes facilement. Ce puits sert aussi Ă aĂ©rer l'air ambiant pour les Ă©quipes de fouilles dans l'aven. Lors des premiĂšres recherches, des blocs de grĂšs avaient Ă©tĂ© fragmentĂ©s pour y trouver des fossiles. Les dĂ©bris avaient ensuite Ă©tĂ© laissĂ©s dans un trou, dans la Salle des Cyclopes. Pendant les saisons 90 et 91 ces dĂ©bris ont Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©s et ont permis la dĂ©couverte de 161 nouveaux fossiles, dont des dents appartenant Ă la mandibule AT-1[3].
Avec les autres sites de la Sierra d'Atapuerca, la Sima de los Huesos a été inscrite au patrimoine mondial en 2000 et maintenue en 2014[4].
Description de la cavité
L'aven dans la Cueva Mayor
Pour accéder à la Sima il faut aujourd'hui parcourir un demi-kilomÚtre depuis l'entrée du complexe karstique principal, la Cueva Mayor. L'entrée de la Sima de los Huesos est située dans la Sala de los Ciclopes ou Salle des Cyclopes. Cette Salle des Cyclopes communiquait aussi avec la Cueva del Silo par un conduit étroit découvert en 1965 lors d'une exploration par le groupe spéléologique Edelweiss de Burgos. Cette voie fut ensuite obturée par sécurité et pour restreindre l'accÚs à la Sima.
L'étude des parois de la Salle des Cyclopes montre que sa moitié sud a un temps été remplie par des sédiments qui ont ensuite été charriés dans une phase érosive de l'histoire du karst. Il reste encore aujourd'hui des sédiments attachés aux parois et au plafond[29]. Ces sédiments ont pu venir d'une ou plusieurs entrées disparues aujourd'hui. En bas du mur sud de la salle des Cyclopes, un court passage mÚne à une petite salle puis s'achÚve par un éboulis. Des mesures gravimétriques et magnétométriques suggÚrent la présence d'une autre entrée. On y trouve par ailleurs des griffades d'ours. En revanche, on n'y trouve pas d'outils de pierre ou de fossiles. La hauteur des griffades sur les parois montre que la topographie des lieux n'a plus beaucoup changé depuis la venue du dernier ours.
Dans le coin sud-est de Salle des Cyclopes, une raide pente sĂ©dimentaire de 5 m mĂšne Ă une terrasse oĂč se trouve l'entrĂ©e du puits qui donne dans la Sima de los Huesos. L'accĂšs Ă l'aven se fait lĂ par un gouffre de 13 m de profondeur qui aboutit au-dessus d'une pente d'une douzaine de mĂštres. Cette rampe descend vers l'ouest et donne enfin sur une chambre basse de 27 m2, plafonnĂ©e par un conduit vertical qui se rĂ©trĂ©cit sur plusieurs mĂštres avant que le grĂšs ne l'obstrue[3].
Stratigraphie
La lithostratigraphie de la grotte est établie par l'étude des différents niveaux de planchers stalagmitiques, numérotés par unité lithostratigraphique (UL) de bas en haut. Au-dessus d'un sol de marnes blanches, les couches les plus intéressantes sont surtout la UL6, qui a livré les restes humains ainsi que des os d'ours de Deninger et d'autres carnivores, puis la UL7 dans laquelle les ours s'accumulent encore plus largement[2] - [1] - [30].
La rĂ©partition horizontale des os laisse entendre que les ours pris au piĂšge et des Ă©coulements ont brisĂ© et dispersĂ© les fossiles du haut vers le bas de l'aven notamment, crĂ©ant aussi quelques remaniements entre les os des carnivores et les restes humains plus anciens. Cette hypothĂšse est d'autant plus probable que des griffades sont encore visibles Ă la base du puits, comme dans d'autres exemples d'avens oĂč des ours survivent Ă la chute puis tentent de sortir[3] - [8] - [30].
Datations
- En 1997 et 2003 des prélÚvements de planchers stalagmitiques recouvrant les restes humains ont été datés par la méthode Uranium/Thorium et évalués à environ l'équilibre isotopique, soit au moins 350 000 ans[31] - [32].
- En 2007 d'autres prélÚvements de spéléothÚme recouvrant les restes humains ont été datés par spectrométrie de masse à ionisation thermique et par la méthode Uranium/Thorium à au moins 530 000 ans, ce qui bouscula assez les considérations en cours[33].
- En 2014 l'équipe de fouille dévoile une série de datations réalisée par ESR, par TT-OSL et par pIR-IR. Les résultats de ces différentes méthodes convergent vers une datation de l'ùge de la couche de sédiments contenant les restes humains à 430 000 ans, avec une incertitude bien inférieure cette fois[2] - [34]. Cette derniÚre estimation à environ 430 000 ans est en vigueur depuis sa publication[21] - [9].
On note aussi que l'analyse d'ADN mitochondrial d'un des os d'ours de Deninger a permis une estimation à environ 409 000 ans d'aprÚs le taux de mutation supposé de l'espÚce sur cette période, ce malgré une incertitude de plus de 200 000 ans[35].
Le biface Excalibur
Un seul artĂ©fact a Ă©tĂ© dĂ©couvert : il s'agit d'un biface, retrouvĂ© en 1998. Outil emblĂ©matique de la culture de mode II, l'AcheulĂ©en, le biface est apparu en Europe il y a 500 000 ans. TaillĂ© dans un bloc de quartzite rouge et jaune, il correspond Ă la technologie identifiĂ©e dans la couche GIIb du site voisin de GalerĂa. Il a subi une premiĂšre phase de configuration au percuteur dur pour la forme gĂ©nĂ©rale, et une seconde au percuteur tendre pour travailler la finition des bords convexes distaux[8] - [36]. D'une taille de 15 cm, supĂ©rieure Ă la moyenne, il est d'une symĂ©trie assez soignĂ©e. Il semble n'avoir jamais servi puisque certains Ă©clats de fabrication sur les bords qui viennent d'ĂȘtre frappĂ©s ne sont pas encore dĂ©tachĂ©s. Des traces d'abrasion formĂ©es par des sĂ©diments sableux sur la totalitĂ© de la surface et particuliĂšrement sur les arĂȘtes et les bords pourraient cependant avoir effacĂ© des marques d'utilisation Ă©ventuelles[8].
L'absence d'autres outils ainsi que le matériau et l'aspect généralement remarquable de ce biface interrogent sur son éventuel rÎle dans la Sima. L'hypothÚse qu'il ait été déposé à titre symbolique est à considérer. Il s'agirait alors du premier acte symbolique humain documenté dans l'histoire[7]. Toutefois cette hypothÚse reste invérifiable, et on peut toujours imaginer que le biface soit arrivé là par accident. Il a été surnommé Excalibur par les anthropologues qui l'ont dégagé de la roche qui le contenait depuis 400 000 ans.
Restes humains
La grotte contient environ 200 ours de Deninger, anciens habitants naturels de ces grottes, mais aussi 23 renards, 4 mustélidés, 3 félidés, un loup et au moins 28 humains[8] - [37].
En 2016, 6 800 fragments osseux humains avaient été retrouvés. Toutes les parties du squelette sont représentées. On considÚre que 7 % des restes humains ont été déplacés vers la surface lors des premiÚres recherches non professionnelles dans la Sima[3] - [1]. Les fossiles humains sont mélangés à de nombreux autres animaux mais ni fossile d'herbivore ni outils lithiques, à l'exception du biface, n'ont été retrouvés. Ce site n'est donc pas lié à la consommation de nourriture[8] - [38] - [39].
Les restes prĂ©sentent de nombreuses fractures qui ont pu ĂȘtre analysĂ©es : les os ne cassent pas de la mĂȘme façon si le corps est dĂ©jĂ dĂ©composĂ© et qu'ils sont secs, ou si les tissus les protĂšgent encore. L'Ă©tude a conclu que les cassures visibles ont Ă©tĂ© pour la plupart produites post-mortem par la chute dans l'aven et par la pression des couches sĂ©dimentaires supĂ©rieures[39] - [1]. Seul 1 % des os prĂ©sentent des traces de morsure telles qu'en laissent les carnivores[40]. Les ossements ont Ă©tĂ© placĂ©s sur une courte pĂ©riode de temps puisqu'ils ne sont pas sĂ©parĂ©s de couches de sĂ©diments stĂ©riles en fossiles. Les restes animaux et humains ne prĂ©sentent pas de stries de dĂ©carnisation contrairement Ă ceux de Tautavel Ă la mĂȘme pĂ©riode. Ainsi aucun cannibalisme n'est avĂ©rĂ© dans la Sima de los Huesos et l'origine du gisement ne semble pas ĂȘtre de cause naturelle[3].
Démographie des individus identifiés
28 individus au moins ont été retrouvés dans la Sima de los Huesos. Il s'agit d'un nombre minimum : tous les squelettes ne sont pas entiÚrement assemblés. La répartition des ùges et sexes des individus montre que ces os n'appartiennent pas à des chasseurs piégés un à un par hasard dans l'aven : tous les ùges et genres y figurent[5]. à part l'absence notoire de jeunes individus on constate un profil de mort naturelle, avec un pic à l'adolescence pour les femmes lors de l'accouchement, et une diminution rapide pour les hommes aprÚs 20 ans. Un des individus a pourtant pu dépasser 45 ans[41] - [15]. La classification équivalente pour les ours montre le contraire : eux ont bien été pris au piÚge[37].
CrĂąnes
L'Ă©volution humaine rĂ©cente s'exprime Ă travers des diffĂ©rences caractĂ©ristiques de la face, des dents, de la forme du crĂąne, et leur analyse est essentielle pour dĂ©gager des points en commun et des diffĂ©rences avec d'autres fossiles, et mieux cerner les Ă©tapes de l'histoire humaine. Chez les individus de la Sima de los Huesos, la morphologie gĂ©nĂ©rale des crĂąnes reconstituĂ©s prĂ©figure les NĂ©andertaliens. Le bourrelet sus-orbitaire, le prognathisme, l'os temporal[43] et l'os occipital en possĂšdent notamment quelques traits, mais le crĂąne n'a pas encore la forme de celui d'un homme de NĂ©andertal : on n'y retrouve pas l'aspect dolichocĂ©phale ni le chignon occipital qui sont caractĂ©ristiques des NĂ©andertaliens[2] - [44]. De mĂȘme l'homme de NĂ©andertal a une structure de l'oreille interne caractĂ©ristique due Ă la large base de son crĂąne et Ă son volume important ; on retrouve quelques-uns de ses caractĂšres seulement dans la Sima de los Huesos[45].
- CrĂąne 4 de trois quarts.
- Crùne 4 de trois quarts, en contre-plongée.
- CrĂąne 5, dit MiguelĂłn, de face.
- CrĂąne 5 de trois quarts.
- CrĂąne 5 de droite.
Volumes et coefficients d'encéphalisation
Le volume moyen des crùnes retrouvés dans la Sima est de 1 232 cm3, ce qui est clairement au-dessus de la moyenne de l'Homo erectus asiatique[2]. Le crùne 4, surnommé Agamemnon en référence au vainqueur de Troie de l'Iliade, a un volume de 1 390 cm3. Ce nombre est légÚrement inférieur à celui de l'homme de Néandertal, alors que les hominidés de la Sima sont d'allure plus forte d'aprÚs le pelvis 1. Le volume du crùne 5 est lui de 1 125 cm3.
Si on accepte le poids déduit du pelvis 1 et qu'on le reporte aux volumes crùniens précédents pour calculer le coefficient d'encéphalisation des hommes de la Sima de los Huesos, on trouve des valeurs entre 3,1 et 4,0. à titre de comparaison, les Néandertaliens ont un crùne plus gros sur un corps moins massif, leur coefficient d'encéphalisation est d'environ 5, tandis que les hommes modernes, aux volumes crùniens intermédiaires mais aux corps encore plus graciles, ont un coefficient d'encéphalisation semblable d'environ 5,3[41] - [15].
Quelques crĂąnes et l'origine violente des fractures
Les marques de violence lĂ©tales sont bien documentĂ©es dans le NĂ©olithique mais sont plus rares avant. Elles renseignent sur la compĂ©tition pour l'accĂšs aux ressources et sur les relations sociales des diffĂ©rentes civilisations de chasseurs-cueilleurs[9]. En 2016, sur plus de 1850 fragments crĂąniens retrouvĂ©s, plus de 560 ont pu ĂȘtre reconstituĂ©s pour former 17 crĂąnes : 5 enfants, 3 adolescents et 9 adultes[2]. Or ces crĂąnes prĂ©sentent de nombreuses fractures. La plupart proviennent des facteurs taphonomiques internes Ă l'aven, d'autres proviennent de la chute tandis que certains peuvent ĂȘtre vus comme des traces de violences entre individus[1]. Ce dernier cas est le plus Ă©vident sur le crĂąne 17[9] mais aussi probable pour les crĂąnes 5 et 11[1].
- Le crĂąne 5
Devenu un symbole d'Atapuerca, le fossile AT-700 est le cinquiĂšme crĂąne dĂ©couvert dans la Sima. Il a Ă©tĂ© exhumĂ© pendant la campagne de fouille de l'Ă©tĂ© 1992[6], durant laquelle le cycliste espagnol Miguel Indurain a remportĂ© le Tour d'Italie et le Tour de France ; il a donc Ă©tĂ© surnommĂ© MiguelĂłn en son honneur et bien que son sexe ne soit pas identifiable[22]. C'est dĂ©sormais une des piĂšces principales du musĂ©e de l'Ăvolution humaine de Burgos depuis son ouverture en 2010. On y note un impact important sur l'os pariĂ©tal gauche, reçu alors que l'os n'Ă©tait pas sec : peut-ĂȘtre Ă cause de la chute dans l'aven aprĂšs sa mort, ou bien du vivant de son propriĂ©taire et alors probablement causĂ© par un autre individu d'aprĂšs ses caractĂ©ristiques[1]. Le maxillaire gauche prĂ©sente des signes d'une infection chronique qu'un impact violent aurait pu occasionner. Ce traumatisme, couplĂ© avec l'infection de plusieurs dents fracturĂ©es aurait pu provoquer la mort par septicĂ©mie[46]. L'analyse de son endocrĂąne par tomodensitomĂ©trie montre qu'il Ă©tait droitier[47]. Aujourd'hui le musĂ©e de l'Ăvolution humaine communique sur Twitter avec un compte de 14 000 abonnĂ©s au nom de MiguelĂłn[48], on peut aussi voir des fresques murales dans la ville de Burgos reprĂ©sentant l'individu, immense fiertĂ© locale[49].
- Le crĂąne 17, un homicide il y a 430 000 ans
En 2015, la reconstitution du crĂąne 17 a permis d'identifier deux impacts sur son os frontal. L'analyse rĂ©vĂšle que leur cause est certainement humaine[9]. D'abord, un os fracturĂ© se consolide lorsque son propriĂ©taire survit quelques jours au moins. Ici les fractures ne prĂ©sentent pas de trace de consolidation, renseignant sur leur caractĂšre peri-mortem. Ensuite, tandis que les fractures droites prĂ©sentes sur le reste du crĂąne et sur les autres crĂąnes sont typiques de cassures post-mortem sur os secs, dus Ă la pression sĂ©dimentaire notamment, les deux trous dus aux impacts sont bien localisĂ©s et ont des contours adoucis avec peu de fractures radiales, autres marqueurs d'un trauma peri-mortem oĂč l'os a encore les propriĂ©tĂ©s physiques normales. Enfin, ils ont aussi une forme identifiable par une entaille similaire et ont Ă©tĂ© effectuĂ©s sous deux angles diffĂ©rents, suggĂ©rant deux coups rĂ©pĂ©tĂ©s avec le mĂȘme objet et excluant que la chute du corps dans l'aven en soit l'origine. Les facteurs taphonomiques Ă l'intĂ©rieur de la cavitĂ©, comme les nombreux ours qui y ont Ă©tĂ© piĂ©gĂ©s plus tard, sont aussi Ă exclure puisqu'ils n'ont causĂ© aucun impact semblable sur les autres crĂąnes[2] - [9]. Accessoirement, les statistiques montrent que les impacts de face sont plus souvent associĂ©s Ă des violences interpersonnelles[50]. On constate aussi que ces impacts se trouvent sur le cĂŽtĂ© gauche, rĂ©vĂ©lant que l'auteur Ă©tait alors droitier[9]. Ce crĂąne semble ĂȘtre la plus lointaine trace connue d'un meurtre entre deux humains[9].
Dentition
Comme chez beaucoup d'espĂšces, les caractĂ©ristiques de la dentition humaine tendent Ă Ă©voluer rapidement dans le temps. L'analyse des dents se montre une source d'informations prĂ©cieuses pour comparer NĂ©andertaliens, DĂ©nisoviens, leurs ancĂȘtres et les hommes modernes. Avec 533 restes dentaires retrouvĂ©s dĂ©but 2017, dont 8 dents dĂ©ciduales, l'Ă©quipe d'Atapuerca a eu l'occasion de publier de nombreuses Ă©tudes sur le sujet. Une Ă©tude des premiĂšre molaires M1 montre qu'elles sont plus petites que chez les premiers hommes, et de taille identique Ă celles de l'homme moderne. Plus loin dans le temps en effet, Homo antecessor a lui des premiĂšres molaires plus grosses et avec des motifs similaires Ă Homo erectus[51] - [52] - [53]. Toutefois les motifs du cuspide, identiques chez l'homme moderne et NĂ©andertal, sont diffĂ©rents dans la Sima de los Huesos, suggĂ©rant l'appartenance Ă une lignĂ©e particuliĂšre parmi les PrĂ©nĂ©andertaliens[53]. L'expression des motifs de crĂȘtes trigonides montre de mĂȘme la proximitĂ© avec NĂ©andertal bien qu'avec quelques caractĂšres propres[54]. Plus gĂ©nĂ©ralement, l'aspect des dents dans leur ensemble montre une Ă©troite proximitĂ© avec les caractĂšres nĂ©andertaliens, plus encore qu'Ă Mauer ou Arago, suggĂ©rant la coexistence de plusieurs lignĂ©es prĂ©cĂ©dant NĂ©andertal, selon un modĂšle d'accrĂ©tion et au contraire d'un scĂ©nario d'Ă©volution linĂ©aire[55]. Ces caractĂšres dĂ©rivĂ©s communs aux NĂ©andertaliens classiques favorisent d'ailleurs le modĂšle d'accrĂ©tion de l'apparition de l'homme de NĂ©andertal : les autres hommes du PlĂ©istocĂšne moyen ont d'autres caractĂšres nĂ©andertaliens que n'ont pas les individus de la Sima. Mais cette quasi identitĂ© entre la dentition de NĂ©andertal et celle de la Sima montre que l'apparition de NĂ©andertal vient d'abord d'une adaptation et spĂ©cialisation de l'appareil masticatoire avant l'apparition de ses autres caractĂšres[2].
Préférence manuelle
La prĂ©fĂ©rence manuelle est une caractĂ©ristique unique de l'homme dans le rĂšgne animal. Or on ignore Ă la fois son origine, et la raison qui amĂšne les droitiers Ă ĂȘtre autant plus nombreux que les gauchers[56]. En palĂ©oanthropologie, c'est un autre aspect de l'analyse dentaire qui renseigne sur la prĂ©fĂ©rence manuelle : les motifs d'abrasion parfois visibles sur les dents antĂ©rieures. Ces motifs, marques de coupures, sont aussi bien documentĂ©es chez NĂ©andertal que dans des sociĂ©tĂ©s traditionnelles contemporaines comme les aborigĂšnes d'Australie qui se servent de leurs dents comme troisiĂšme main. En effet si un objet souple a besoin d'ĂȘtre dĂ©coupĂ©, en l'absence d'outil moderne, il peut ĂȘtre maintenu entre les dents antĂ©rieures d'un bout, tendu par une main de l'autre bout. De cette façon la main dominante peut dĂ©couper l'objet Ă proximitĂ© de la dent, avec un outil en pierre taillĂ©e, et abĂźme occasionnellement l'Ă©mail. Dans cette situation les mouvements d'une main gauche sont limitĂ©s autour de sa direction, de mĂȘme pour une main droite. L'orientation des coupures sur l'Ă©mail rĂ©vĂšlent alors la prĂ©fĂ©rence manuelle du propriĂ©taire de la dent.
Pour les individus de la Sima de los Huesos cette pratique Ă©tait d'un usage primordial[57] - [58] et de telles marques sont mĂȘmes retrouvĂ©es sur un enfant de 3 Ă 4 ans[11]. DĂšs 1988 les comparaisons des marques d'usures montrent que les individus de la Sima Ă©taient droitiers Ă 93 %[10], comme chez les hommes modernes. Dans une nouvelle Ă©tude de 2009 le constat est confirmĂ© sur une Ă©tude portant sur au moins 20 des 28 individus de la Sima, mais rĂ©vĂšle plutĂŽt une prĂ©fĂ©rence droite Ă 100%, l'absence de gauchers sur ce faible Ă©chantillon Ă©tant attribuĂ©e au hasard[11] - [12]. En 2015, l'analyse des motifs laissĂ©s par les circonvolutions sur l'endocrĂąne a Ă©tĂ© analysĂ©e sur 4 crĂąnes : par la diffĂ©rence d'irrigation on peut Ă©tablir la latĂ©ralitĂ© cĂ©rĂ©brale, supposĂ©e plus importante dans l'hĂ©misphĂšre gauche pour les droitiers. Trois crĂąnes ont confirmĂ© la prĂ©fĂ©rence manuelle identifiĂ©e sur leurs dents, tandis qu'un cas ne permet pas de conclure avec certitude[14]. L'association de la latĂ©ralitĂ© cĂ©rĂ©brale avec la prĂ©fĂ©rence manuelle reste toutefois bien hypothĂ©tique[59].
Langage
On peut discuter de l'aptitude au langage par la proximitĂ© de certaines caractĂ©ristiques avec l'homme d'aujourd'hui. Par exemple le fameux gĂšne FOXP2, dont l'absence provoque une incapacitĂ© Ă formuler ou comprendre un discours, est identique chez NĂ©andertal et donc avec son ancĂȘtre commun d'avec Homo sapiens. On conclut que l'obstacle gĂ©nĂ©tique, en l'Ă©tat des connaissances, n'empĂȘche pas une grammaire basique tĂŽt dans l'Ă©volution humaine[60]. Plus encore, une configuration particuliĂšre de l'os hyoĂŻde dans le larynx est nĂ©cessaire pour l'Ă©locution de l'homme moderne. En 2016 le registre fossile ne contient que cinq os hyoĂŻdes, dont deux des trois plus anciens proviennent de la Sima de los Huesos. L'analyse de ces deux os en 2008 montre qu'ils sont similaires Ă ceux de l'homme de NĂ©andertal et de l'homme moderne, laissant lĂ aussi imaginer que leur ancĂȘtre commun avait cette mĂȘme capacitĂ©[13].
D'autres indices moins probants sont aussi discutĂ©s comme la latĂ©ralitĂ© cĂ©rĂ©brale et la prĂ©fĂ©rence manuelle : les tĂąches liĂ©es Ă l'abstraction et Ă la parole semblent tout autant associĂ©es Ă la latĂ©ralisation. Par extrapolation, on imagine que l'absence de prĂ©fĂ©rence manuelle serait un problĂšme pour dĂ©montrer la capacitĂ© d'une espĂšce Ă la parole. Il se trouve que cette prĂ©fĂ©rence manuelle est aussi avĂ©rĂ©e chez l'homme de NĂ©andertal[12]. Ătant quasiment tous droitiers, les individus de la Sima de los Huesos n'infirment pas ces hypothĂšses. Toutefois la corrĂ©lation entre latĂ©ralitĂ© cĂ©rĂ©brale et prĂ©fĂ©rence manuelle reste douteuse[59]. Les endocrĂąnes de la Sima suggĂšrent par ailleurs la prĂ©sence de l'aire de Broca[14], mais cet indice est aussi affaibli par la remise en question actuelle du modĂšle des aires cĂ©rĂ©brales en neurochirurgie.
Morphologie post-crĂąnienne
DÚs 1997 l'analyse des membres antérieurs (humérus, omoplate et articulation de l'épaule) démontre des caractÚres proches de Néandertal, suggérant la plus grande proximité de la Sima avec ce clade[61]. L'étude des cervicales, qui permet d'ailleurs de prolonger le crùne 5 de 5 vertÚbres, montre leur caractÚre intermédiaire entre Néandertal et l'homme moderne[62].
Taille
Les os des membres infĂ©rieurs montrent, comme chez NĂ©andertal, une plus grande robustesse que chez les hommes rĂ©cents[63]. En Ă©tudiant les proportions des os longs des membres infĂ©rieurs et supĂ©rieurs on peut aussi estimer la taille moyenne des individus de la Sima : environ 163,6 cm. Le mĂȘme protocole d'analyse estime la taille moyenne des hommes NĂ©andertal Ă 160,6 cm. Chez les premiers hommes modernes identifiĂ©s Ă Es Skhul et Qafzeh, la moyenne est Ă 177,5 cm avec 185,1 cm pour les hommes et 169,8 cm pour les femmes.
Estimation de la taille moyenne des espÚces d'hominidés à partir de leurs os longs[18].
MalgrĂ© le nombre impressionnant d'individus Ă la Sima, et la taille de l'hypodigme de NĂ©andertal, ces Ă©chantillons restent en faible quantitĂ© pour valider statistiquement ces chiffres Ă l'Ă©chelle d'une population gĂ©nĂ©rale, c'est encore plus vrai pour les estimations de taille des premiers hommes modernes oĂč les Ă©chantillons sont moins nombreux. Toutefois en Ă©largissant l'analyse Ă d'autres espĂšces on trouve des rĂ©sultats cohĂ©rents : Homo georgicus ferait ainsi 149 cm, quelques fossiles du Homo ergaster africain conduiraient en moyenne Ă une taille de 166,1 cm, Homo antecessor Ă 172,6 cm, la femme de Jinniushan ferait elle 166,7 cm, ce qui dans les standards actuels est plutĂŽt grand. Au contraire aucun des os attribuables Ă des femmes, chez la Sima et les NĂ©andertal, ne conduit Ă une estimation supĂ©rieure Ă 160 cm, ce qui interroge sur le sexe de l'individu de Jinniushan. L'ulna nĂ©andertalien d'El SidrĂłn amĂšne Ă une estimation de 167,2 cm, des Ă©chantillons mĂąles de Homo erectus asiatiques amĂšnent Ă une taille de 169,1 cm. Ă Kabwe dont le crĂąne est fameux, un tibia semble pouvoir lui ĂȘtre associĂ©, et conduit Ă une taille Ă©tonnante de 181,2 cm. Toutes les prĂ©cautions doivent demeurer sur ces estimations, car mĂȘme si la formule a fait ses preuves, les Ă©chantillons sont encore une fois en faible nombre, et dans toute population on trouve des variations avec des individus beaucoup plus grands ou plus petits que la moyenne. Mais un aperçu gĂ©nĂ©ral des tailles d'individus montre qu'elle est en fait relativement constante dans le PlĂ©istocĂšne moyen, avec un Homo georgicus assez petit, des NĂ©andertaliens de taille normale, et des premiers Homo sapiens beaucoup plus grands que tous les autres, et mĂȘme plus grands en moyenne que les hommes d'aujourd'hui[18].
Ces estimations rĂ©alisĂ©es Ă partir des os longs des membres infĂ©rieurs ou supĂ©rieurs, sont confirmĂ©es avec l'Ă©tude d'autres os moins Ă©loquents, comme les calcanei. Ceux-ci indiquent une moyenne de 175,3 cm pour les hommes et 160,6 cm pour les femmes. Les calcanei sont larges, comme NĂ©andertal, et suggĂšrent que l'ancĂȘtre commun a un poids important[17]. De mĂȘme les talus suggĂšrent une taille moyenne chez la Sima de 174,4 cm pour les hommes et 161,9 cm pour les femmes, assez cohĂ©rent avec l'analyse prĂ©cĂ©dente. Ces analyses apportent en fait une lumiĂšre nouvelle sur la rĂ©ussite de Homo sapiens, qui se rĂ©vĂšle un biotype beaucoup plus compĂ©titif : bien plus grand et plus lĂ©ger[19].
Corpulence
En 1999, parmi les ossements retrouvĂ©s, un pelvis complet a pu ĂȘtre reconstituĂ©, le pelvis 1[41]. Cette reconstitution a Ă©tĂ© rĂ©Ă©valuĂ©e en 2010 et quatre vertĂšbres lombaires y ont Ă©tĂ© ajoutĂ©es, faisant de lui le pelvis humain le mieux conservĂ© de tout le registre fossile[15]. L'Ăąge de leur propriĂ©taire Ă sa mort a Ă©tĂ© estimĂ© Ă au moins 45 ans. Trois fĂ©murs de la Sima peuvent ĂȘtre associĂ©s Ă ce pelvis et conduisent Ă estimer l'individu Ă environ 170 cm pour 91 kg. Ce pelvis est attribuĂ© Ă un homme : des fragments de pelvis attribuables Ă des femmes sont de taille lĂ©gĂšrement infĂ©rieure, suggĂ©rant un dimorphisme sexuel plus faible que chez l'homme moderne. Les lombaires sont significativement plus larges que celles des hommes modernes, et un peu plus que celles des hommes de NĂ©andertal.
Trois pathologies ont Ă©tĂ© identifiĂ©es : une spondylolisthĂ©sis qui semble d'origine dĂ©veloppementale a pu ĂȘtre distinguĂ©e entre la vertĂšbre lombaire L5 et la vertĂšbre sacrĂ©e S1, entraĂźnant un sacrum en dĂŽme. Une nette cyphose lombaire a Ă©tĂ© mise en Ă©vidence entre L2 et L4, et une maladie de Baastrup entre L4 et L5. L'individu devait ainsi avoir du mal Ă se mouvoir, excluant des activitĂ©s de chasse. Aujourd'hui les hommes modernes qui souffrent des mĂȘmes pathologies tĂ©moignent d'intenses douleurs dans le bas du dos. Des processus inflammatoires Ă©taient d'ailleurs Ă l'Ćuvre Ă la mort de l'individu. Une cause imaginable peut ĂȘtre le transport de lourdes charges sur de longues distances[15]. Ce pelvis est couramment surnommĂ© Elvis en rĂ©fĂ©rence Ă Elvis Presley.
En 2015 l'analyse de certains os du pied, les tali révÚle en revanche un poids moyen de 70 kg, à 10 kg prÚs, bien que ce ne soit pas la meilleure méthode pour déduire le poids d'un corps. Cependant elle montre que deux pieds similaires ont bien du supporter un individu d'environ 90 kg. Il se pourrait ainsi que le pelvis reconstitué n'appartienne qu'à un individu plus fort que les autres[16]. Les analyses des vertÚbres, des calcanei et des os longs conduisent pourtant toutes à une corpulence assez large comme Néandertal, sans permettre d'estimation de masse[15] - [63] - [17].
Ătudes gĂ©nĂ©tiques
MalgrĂ© un Ăąge d'un demi-million d'annĂ©es, les ossements sont si bien conservĂ©s que leur ADN lui-mĂȘme reste partiellement identifiable, permettant la rĂ©alisation d'Ă©tudes gĂ©nĂ©tiques sans prĂ©cĂ©dent Ă un Ăąge aussi reculĂ© pour l'Homme. Les conditions durant tous ces milliers d'annĂ©es tendent vers l'asepsie idĂ©ale : l'enterrement des fossiles loin dans les profondeurs de la sierra d'Atapuerca, oĂč l'air est sec et froid, rĂ©duit au minimum les catalyses enzymatiques, sans compter que la grotte est pratiquement inaccessible. Depuis leur dĂ©couverte, l'Ă©quipe porte aussi une attention particuliĂšre aux restes excavĂ©s[64].
DĂšs 2010 la gĂ©nĂ©tique avait dĂ©jĂ rĂ©vĂ©lĂ© que lorsque les hommes modernes sont sortis d'Afrique entre 75 000 et 50 000 ans, au moins deux populations d'hommes archaĂŻques, NĂ©andertaliens et DĂ©nisoviens, occupaient l'Eurasie[65] - [66]. La comparaison d'un ADN de NĂ©andertal et d'un autre de Denisova a Ă©galement montrĂ© en 2014 qu'ils ont partagĂ© ensemble un ancĂȘtre commun avant de diverger entre 381 000 ans et 473 000 ans[67]. La datation des restes humains de la Sima de los Huesos Ă environ 430 000 ans la mĂȘme annĂ©e[2] encourageait Ă poursuivre ces Ă©tudes gĂ©nĂ©tiques pour en apprendre davantage sur les liens de parentĂ© entre ces hommes archaĂŻques et avec l'homme moderne. Toutes ces analyses gĂ©nĂ©tiques sur ADN fossile ont Ă©tĂ© effectuĂ©es Ă l'Institut Max-Planck d'anthropologie Ă©volutionniste de Leipzig, par les Ă©quipes de Svante PÀÀbo qui en est le prĂ©curseur.
Parenté avec les hommes archaïques
En 2013 un premier sĂ©quençage d'ADN mitochondrial d'un fĂ©mur de la Sima de los Huesos a d'abord pu ĂȘtre effectuĂ©[20]. Puis en 2016 une nouvelle analyse sur 4 Ă©chantillons a permis de nouveaux sĂ©quençages d'ADN mitochondrial et mĂȘme d'ADN nuclĂ©aire, ce qui en fait en 2016 les plus anciens ADN humains analysĂ©s[21].
Ces études ont conclu que les échantillons analysés sont des Néandertaliens, puisque l'ADN nucléaire montre une plus proche parenté avec l'homme de Néandertal, comme l'analyse morphologique le laissait entendre[2]. En revanche l'ADN mitochondrial, dans les analyses de 2013 comme de 2016, se révÚle étonnamment plus proche de l'homme de Denisova. Une explication serait que les Néandertaliens aient ensuite reçu un flux de gÚnes mitochondriaux extérieur qui les aurait d'autant plus éloignés génétiquement[20] - [2] - [21].
Un tel flux d'ADN mitochondrial viendrait d'un accouplement prĂ©fĂ©rentiel des hommes de NĂ©andertal avec des femmes d'une population diffĂ©rente[68]. Cette hypothĂšse peut notamment ĂȘtre reliĂ©e Ă l'introduction de la culture acheulĂ©enne d'Afrique en Europe il y a environ 800 000 ans et au dĂ©veloppement de la culture de moustĂ©rienne il y a environ 350 000 ans[69] - [70]. Un flux de gĂšnes d'Afrique pourrait aussi peut-ĂȘtre expliquer l'absence de caractĂšres morphologiques nĂ©andertaliens dans des fossiles europĂ©ens du PlĂ©istocĂšne moyen comme ceux de Ceprano et de Mala Balanica[71] - [72].
Parenté avec les hommes modernes
En comparant ces ADN avec le gĂ©nome d'un homme moderne, cette Ă©tude suggĂšre enfin que la sĂ©paration entre les hommes modernes et les humains archaĂŻques, DĂ©nisoviens et NĂ©andertaliens, a eu lieu entre 550 000 et 765 000 ans. Ce rĂ©sultat dĂ©ment toute attribution des squelettes plus jeunes de Tautavel (400 Ă 570 000 ans) et de Petralona Ă leur ancĂȘtre commun[23] - [21]. Mais pour la premiĂšre fois, les liens entre diffĂ©rents reprĂ©sentants du genre Homo peuvent ĂȘtre Ă©tablis.
Interprétations
Explication du gisement : le premier rituel funéraire ?
Deux hypothĂšses peuvent expliquer ce gisement. La quantitĂ© des fossiles dĂ©couverts, le fait qu'ils aient Ă©tĂ© placĂ©s dans l'aven avant la dĂ©composition des corps selon l'analyse des fractures[39], l'absence de lien apparent avec des facteurs taphonomiques[40] - [30], l'absence de toutes les traces d'occupation humaine attendues ou encore de cannibalisme[3], la prĂ©sence singuliĂšre du biface[8] et la certitude qu'au moins un individu est mort assassinĂ©[9] - [1], sont autant d'arguments en faveur d'une origine non naturelle : le gisement serait le rĂ©sultat d'une pratique funĂ©raire rituelle, les corps auraient Ă©tĂ© jetĂ©s dans le puits Ă leur mort et le biface pourrait avoir un rĂŽle d'offrande. Ainsi la Sima de los Huesos offre peut-ĂȘtre le plus ancien tĂ©moignage d'un acte rituel humain jamais documentĂ©, 300 000 ans avant les traces ultĂ©rieures de cette pratique en Europe attestĂ©e Ă Es Skhul et Qafzeh[7] - [3] - [8] - [40] - [9] - [30] - [1]. L'hypothĂšse a toutefois le problĂšme de ne pas expliquer pourquoi on ne retrouve pas l'intĂ©gralitĂ© des squelettes. L'existence d'une autre entrĂ©e, aujourd'hui disparue, dans la Salle des Cyclopes, ne permet pas d'exclure le charriage des corps d'un groupe auquel il serait arrivĂ© un accident brutal, ou bien l'apport soudain de cadavres pas encore dĂ©composĂ©s par une meute de charognards, ces scĂ©narios ayant eux-mĂȘmes leurs faiblesses[3] - [38]. Ainsi sans plus d'Ă©lĂ©ments, le dĂ©pĂŽt intentionnel des corps reste l'explication la plus simple envisagĂ©e par l'Ă©quipe des fouilles[73].
Les premiers NĂ©andertal
Lorsque la Sima de los Huesos est dĂ©couverte en 1976, avec son amoncellement d'os, l'homme de NĂ©andertal est bien connu. En revanche on ignore son origine : d'oĂč est-il apparu ? On ne le croise qu'en Europe, alors quel est son lien avec l'Afrique, continent d'origine ? Quant Ă Homo sapiens, les questions sont les mĂȘmes. D'ailleurs, s'agit-il d'espĂšces diffĂ©rentes ? On commence parfois Ă accepter le clade Homo sapiens neanderthalensis. Mais si ces hommes sont des espĂšces distinctes, quand ces deux lignĂ©es se sont-elles sĂ©parĂ©es, qui est l'ancĂȘtre commun, d'oĂč vient-il[23] ? Quand Torres dĂ©couvre la Sima en 1976 la taxonomie d'avant NĂ©andertal et Homo sapiens est dĂ©jĂ obscure : le concept assez vague de Homo heidelbergensis, aux nombreuses dĂ©finitions proposĂ©es, devient une chronoespĂšce par dĂ©faut pour les fossiles qui prĂ©cĂšdent NĂ©andertal[23]. Ă Atapuerca, faute de datation les premiĂšres publications sont timides sur la taxonomie[74]. Depuis l'Ă©quipe des fouilles n'a cessĂ© de remarquer la proximitĂ© de la Sima avec les caractĂšres nĂ©andertaliens, plus importante encore que d'autres fossiles contemporains, avec cependant d'autres caractĂšres plus archaĂŻques.
En 1997 l'Ă©quipe se dĂ©cide Ă utiliser une nouvelle dĂ©finition de Homo heidelbergensis pour dĂ©crire les individus de la Sima, souhaitant que la masse de fossiles apporte plus de stabilitĂ© Ă ce taxon alors en vogue. Homo heidelbergensis est alors dĂ©fini comme une Ă©tape prĂ©cĂ©dent NĂ©andertal, sans rupture de continuitĂ© reproductive, tout comme Ursus deningeri reprĂ©sente l'ancĂȘtre de Ursus spelaeus, et excluerait alors les fossiles africains[22]. Cependant Homo heidelbergensis souffre de ses nombreuses dĂ©finitions concurrentes, et son holotype qui est une unique mandibule ne permet pas de comparer de nombreux autres caractĂšres. Un dernier Ă©lĂ©ment jette la confusion : en 2007 la datation d'un spĂ©lĂ©othĂšme de la Sima montrerait un Ăąge d'au moins 530 000 ans, voire plutĂŽt 600 000 ans. Quelle que soit l'issue, toutes les thĂ©ories seraient contraintes au grand Ă©cart. Vu l'importance du site de la Sima, la communautĂ© internationale des palĂ©oanthropologues s'en retrouve bien gĂȘnĂ©e[75]. Certains questionnent cette datation et poussent alors pour classer les individus de la Sima de los Huesos avec NĂ©andertal, sous la forme de leurs premiers reprĂ©sentants, dans une volontĂ© de clarifier la cladistique de l'Ă©volution humaine[23] : on devrait classer en Homo neanderthalensis tout fossile oĂč on observe des caractĂšres dĂ©rivĂ©s propres aux NĂ©andertaliens[76].
Le changement s'amorce en 2014 quand l'Ă©quipe d'Atapuerca publie une nouvelle analyse des crĂąnes Ă jour des reconstructions effectuĂ©es depuis 1997. La publication livre enfin une sĂ©rie de datations toutes cohĂ©rentes et convergentes vers un dĂ©pĂŽt de 430 000 ans, rĂ©glant cette question. Elle rejoint surtout la conclusion qui se dessinait depuis plusieurs annĂ©es sur Homo heidelbergensis : faute de points communs avec la mandibule de Mauer, on ne peut pas utiliser ce taxon pour dĂ©crire les individus de la Sima. Que choisir alors ? Dans l'immĂ©diat les auteurs prĂ©fĂšrent ne rien affirmer : l'ensemble des caractĂšres qui dĂ©crivent NĂ©andertal n'Ă©tant pas visibles, on peut toujours choisir d'en faire une espĂšce distincte sur la lignĂ©e qui mĂšne Ă NĂ©andertal, selon le concept initial qui les conduisait Ă Homo heidelbergensis en 1997[2] - [77] - [78]. D'autre part depuis 2013 l'analyse d'ADN mitochondrial amĂšnerait peut-ĂȘtre mĂȘme Ă en faire des DĂ©nisoviens[20]. Toutefois la fameuse analyse de l'ADN nuclĂ©aire qui suit en 2016 concourt alors Ă accorder les principaux partis : elle montre bien l'appartenance premiĂšre de la Sima Ă la lignĂ©e de NĂ©andertal. Question cladistique, les auteurs d'Atapuerca y cosignent l'affirmation que la Sima sont les premiers NĂ©andertal (ou leur sont Ă©troitement apparentĂ©s). Il est Ă©vident que l'apparition d'une espĂšce est progressive, mais ces Ă©lĂ©ments permettent en tout cas une premiĂšre convergence des dĂ©finitions[21] - [79].
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Voir aussi
Articles connexes
Sur le site d'Atapuerca :
Sur les karsts :
Sur les humains relatifs Ă la Sima de los Huesos :
- Homo heidelbergensis
- Homme de NĂ©andertal
- Homme de Denisova
- Histoire évolutive de la lignée humaine
Sur les fossiles d'hominidés :
Sur la paléogénétique :
Principaux paléoanthropologues liés à la Sima de los Huesos :
Liens externes
- « Page du site archéologique de la Sierra d'Atapuerca sur le site web de l'UNESCO »
- « Site web du Musée de l'Evolution humaine de Burgos »
- « Le CENIEH, Centro Nacional de Investigación sobre la Evolución Humana à Burgos »
- (es) « Site de la fondation Atapuerca »
- (en) « Site web de l'IPHES »
- (es) « Atapuerca sur le site web du groupe spéléologique Edelweiss de Burgos »
- (es) « Blog de JosĂ© MarĂa BermĂșdez de Castro »
- (es) « Blog de Roberto Såez »