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Homo ergaster

Homo ergaster, ou « l'homme artisan », du latin ergaster (du grec ancien áŒ”ÏÎłÎżÎœ, Ă©rgon, « travail »), est une espĂšce Ă©teinte du genre Homo, apparue en Afrique il y a environ 1,9 million d'annĂ©es. La plupart des fossiles aujourd'hui attribuĂ©s Ă  ce taxon Ă©taient anciennement attribuĂ©s Ă  Homo erectus.

Historique

KNM-ER 42700

En 1975, les paléoanthropologues Groves et Mazak ont été les premiers à identifier et à nommer l'espÚce Homo ergaster, à partir d'une mandibule (KNM-ER 992) découverte en 1971 au Kenya par l'équipe de Richard Leakey. Par la suite, plusieurs découvertes de fossiles vinrent enrichir l'hypodigme de cette espÚce, en particulier le squelette presque complet du Garçon de Turkana, découvert en 1984 par l'équipe de Richard Leakey.

En 1991, Bernard Wood, à l'époque à l'université de Liverpool, a proposé d'étendre le nom d'Homo ergaster au groupe africain de fossiles d'Homo erectus, plus généraliste et plus primitif que le groupe indonésien et chinois[1]. Dans cette optique, Homo erectus était désormais considéré comme exclusivement asiatique. Pour beaucoup de chercheurs, les fossiles humains africains de cette époque ont en effet des spécificités qui justifient leur classement au sein d'une espÚce distincte. Ce point de vue a donc été assez largement adopté par la communauté des paléoanthropologues et les fossiles africains autrefois attribués à Homo erectus sont présentés aujourd'hui comme relevant d'Homo ergaster, une espÚce assez proche des Homo erectus asiatiques, mais plus primitive.

Quelques auteurs continuent Ă  refuter Homo ergaster en tant qu'espĂšce distincte, considĂ©rant le fossile comme une simple variĂ©tĂ© gĂ©ographique d'Homo erectus. Ainsi, pour Fred Spoor[2], « quand j'ai vraiment examinĂ© les plus petits dĂ©tails [
], j'ai Ă©tĂ© obligĂ© de conclure qu'il n'y a pas de sĂ©paration claire entre les deux. [Le fossile KNM-ER 42700 du Kenya] prĂ©sente en effet des caractĂšres typiquement « asiatiques » : une carĂšne sagittale sur l'os frontal et l'os pariĂ©tal ; des arrangements de la base crĂąnienne [
] qui sont reliĂ©s avec l'orientation du canal auditif identiques Ă  ceux que Franz Weidenreich avait dĂ©crit dans les annĂ©es 1940 pour l'homme de PĂ©kin[1] ».

David Lordkipanidze conteste également la définition d'H. ergaster comme espÚce indépendante : il écrit que le squelette kenyan du « garçon de Turkana », ou « Turkana boy », daté de 1,6 million d'années, et considéré par les partisans de l'existence d'H. ergaster comme leur meilleure preuve, est en fait « le squelette d'Homo erectus le mieux préservé »[3].

Chronologie

Homo ergaster est attesté en Afrique entre environ 1,9 et 1 million d'années avant le présent. Au début de son existence, il cohabitait avec Homo rudolfensis, Homo habilis, et Paranthropus boisei en Afrique de l'Est[4], et avec Homo gautengensis et Paranthropus robustus en Afrique australe.

Morphologie

Son volume endocrĂąnien varie de 750 Ă  1 050 cm3, avec une tendance Ă  l'augmentation au fil du temps. Cet accroissement du volume du cerveau semble avoir Ă©tĂ© favorisĂ© par une consommation rĂ©guliĂšre de viande[5].

Les spĂ©cimens dĂ©couverts avaient une taille estimĂ©e entre 1,55 m et 1,70 m, pour un poids de 50 Ă  65 kg. Le dimorphisme sexuel de cette espĂšce serait plus rĂ©duit que chez Homo habilis. Homo ergaster reste cependant trĂšs archaĂŻque de faciĂšs, avec un nez absent et une mĂąchoire trĂšs prognathe.

Ses membres infĂ©rieurs plus longs que ceux d’Homo habilis font d’Homo ergaster un bon marcheur. Les hanches des femelles restent par contre plus larges que celles de l’Homo sapiens femelle.

Bipédie

Comparaison d'empreintes de pas :
* Ă  gauche : AustralopithĂšque (3,7 Ma)
* au milieu : Homo ergaster (1,5 Ma)
* Ă  droite : Homo sapiens

En 2007, des traces de pas fossilisĂ©es ont Ă©tĂ© dĂ©couvertes non loin du village d'Ileret, prĂšs du lac Turkana, au Kenya, appartenant clairement Ă  des individus bipĂšdes. Elles ont Ă©tĂ© datĂ©es de 1,52 million d'annĂ©es, d'aprĂšs l'Ăąge des couches sĂ©dimentaires oĂč elles ont Ă©tĂ© trouvĂ©es.

Alors que les traces de pas d'AustralopithĂšques dĂ©couvertes en 1976 par Mary Leakey Ă  Laetoli, en Tanzanie, montraient des pieds et des orteils un peu plus longs proportionnellement que chez l'Homme moderne, et un hallux (gros orteil) faiblement Ă©cartĂ© des autres orteils, ce qui indiquait une capacitĂ© arboricole rĂ©siduelle, les traces de pas d'Ileret montrent des pieds aux proportions modernes et un hallux complĂštement parallĂšle aux autres orteils. De plus, ces mĂȘmes empreintes rĂ©vĂšlent la prĂ©sence d'une voute plantaire, comparable Ă  celle d'Homo sapiens, alors qu'elle Ă©tait absente sur les traces de pas de Laetoli. Ces diffĂ©rents caractĂšres montrent que les auteurs des empreintes d'Ileret pratiquaient une bipĂ©die avancĂ©e et exclusive, que l'on pense apparue pour la premiĂšre fois chez Homo ergaster[6] - [7].

En 2016 a été publiée la découverte, sur cinq sites différents situés autour d'Ileret (Kenya), de 97 empreintes supplémentaires laissées par au moins 20 individus appartenant probablement tous à l'espÚce Homo ergaster. L'étude indique qu'au moins un de ces individus a laissé des traces indiscernables de celles qu'aurait laissé un Homme moderne. Ceci confirme que les pieds d'Homo ergaster avaient une anatomie et un fonctionnement trÚs similaires à ceux d'Homo sapiens[7].

Culture et techniques

Homo ergaster utilise des outils de pierre taillée plus élaborés que ses prédécesseurs. Il est considéré comme l'inventeur de l'industrie acheuléenne, apparue en Afrique de l'Est il y a 1,76 Ma et qui se diffuse rapidement sur le reste du continent africain. Les deux outils emblématiques de cette industrie sont le biface et le hachereau.

Son outillage lithique et son profil corporel permettent de supposer qu’il devient plus chasseur que charognard. Bien avant la domestication du feu, Homo ergaster aurait consommĂ© de la viande animale sans pouvoir la faire cuire. Or la viande crue est bien plus difficile Ă  mĂącher et Ă  digĂ©rer que la viande cuite. Elle requiert un appareil masticatoire et un systĂšme digestif nettement plus dĂ©veloppĂ©s que ceux des hommes modernes. Homo ergaster aurait prĂ©alablement dĂ©coupĂ© ou Ă©crasĂ© la viande Ă  l'aide d'outils lithiques, ce qui aurait permis de gagner une partie des avantages de la cuisson. La mise en Ɠuvre de cette forme de prĂ©mĂąchage aurait ouvert la voie Ă  un changement Ă©volutif vers la rĂ©duction de la taille des dents, des muscles masticateurs, et de la longueur des intestins. Le visage se serait ainsi modifiĂ© en s'affinant. Des dents plus petites auraient favorisĂ© le dĂ©veloppement de la parole[8] - [9].

La taille du cerveau des nouveau-nĂ©s d’Homo ergaster (450 cm3) laisse supposer qu’ils Ă©taient Ă  peu prĂšs aussi dĂ©munis que les nouveau-nĂ©s d’Homo sapiens. Homo ergaster avait donc probablement Ă  protĂ©ger sa progĂ©niture pendant plusieurs annĂ©es, ce qui devait nĂ©cessiter une structure familiale solide.

Sortie d'Afrique

Homo ergaster n'est pas le premier membre du genre Homo Ă  quitter l'Afrique, conquĂ©rant de nouveaux habitats. Comme pour ses prĂ©dĂ©cesseurs, il ne s’agissait bien sĂ»r pas pour lui d’une stratĂ©gie, mais juste de suivre les sources de nourriture.

Les dĂ©couvertes d’Homo georgicus, d'Homo floresiensis, et d'un nombre croissant de sites asiatiques d'au moins 2 Ma comme Riwat au Pakistan[10] - [11], Longgudong (2 Ma)[12], Shangchen (2,1 Ma), et Longgupo (2,48 Ma)[13], en Chine, et Masol (2,7 Ma)[14] en Inde du Nord, montrent des sorties d'Afrique par une ou des espĂšces humaines antĂ©rieures.

Phylogénie

Homo ergaster serait l’ancĂȘtre d'Homo erectus en Asie. Il est probable qu’il soit aussi l’ancĂȘtre d'Homo antecessor en Europe.

Le taxon Ă©tant considĂ©rĂ© par certains chercheurs comme pertinent jusqu'Ă  l'orĂ©e du PlĂ©istocĂšne moyen, Homo ergaster pourrait ĂȘtre l'ancĂȘtre commun d'Homo rhodesiensis et d'Homo heidelbergensis.

Principaux fossiles

KNM-ER 992

RĂ©plique de la mandibule KNM-ER 992

La mandibule fossile KNM-ER 992 datĂ©e de 1,5 million d'annĂ©es a Ă©tĂ© dĂ©couverte en 1971 par une Ă©quipe dirigĂ©e par Richard Leakey Ă  Koobi Fora (Ileret), prĂšs du lac Turkana au Kenya. Elle a Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme l'holotype d'Homo ergaster par Groves et MazĂĄk en 1975[15] - [16].

KNM-ER 3733

KNM-ER 3733 est un crĂąne dĂ©couvert en 1975 Ă  Koobi Fora par Bernard Ngeneo, membre de l'Ă©quipe de Richard Leakey. Ce crĂąne presque complet a une capacitĂ© d'environ 850 cm3[15]. Son Ăąge est estimĂ© Ă  1,7 Ma, faisant de lui l'un des plus anciens fossiles significatifs connus d'Homo ergaster[17].

Garçon du Turkana

Le fossile le plus complet découvert à ce jour est celui d'un jeune spécimen, inventorié sous le numéro KNM-WT 15000, exhumé en 1984 à Nariokotome, à l'ouest du lac Turkana (Kenya) et surnommé « Garçon du Turkana ». Il a été découvert par Kamoya Kimeu, membre de l'équipe de Richard Leakey, et Alan Walker[18] - [19].

Homme de Buya

Les restes de l'Homme de Buya, les crĂąnes de deux humains et leurs grands os longs, ont Ă©tĂ© dĂ©couverts dans le dĂ©sert de Danakil en ÉrythrĂ©e en 1995.

Selon les chercheurs, cet Homo ergaster vivait dans une forĂȘt prĂšs d'un grand fleuve, avec une faune trĂšs diversifiĂ©e (21 espĂšces de vertĂ©brĂ©s, 16 de mammifĂšres). Pour l'Homme de Buya, l'Ă©volution la plus Ă©vidente est celle des jambes trĂšs peu arquĂ©es et des pieds Ă  doigts parallĂšles adaptĂ©s Ă  la marche et Ă  la course. La mĂąchoire est massive. Les pariĂ©taux sont presque parallĂšles. La conservation du crĂąne a permis une reconstitution numĂ©rique qui indique un volume crĂąnien de 1 000 cm3, plus des deux tiers de celui d'Homo sapiens, une forte irrigation sanguine, une asymĂ©trie semblable Ă  celle du cerveau moderne.

De nombreuses traces laissées par ses outils de pierre ont été observées sur des os d'antilopes, d'hippopotames et de quelques crocodiles, mais pas d'autres prédateurs comme les lions ou les hyÚnes. Les hommes de Buya allaient quelquefois chercher loin les pierres qu'ils sélectionnaient soigneusement pour leurs outils ; les tailler suppose une certaine habileté, de la mémoire, et des capacités de conception en trois dimensions, ce qui évoque une pratique de la transmission et de l'apprentissage. L'Homme de Buya est daté d'un million d'années[20] - [21] - [22].

Notes et références

  1. « Homo erectus africains et asiatiques », entretien avec Fred Spoor, La Recherche, mai 2008
  2. En 2008, professeur au département d'anatomie du University College de Londres, membre de l'équipe de fouille de Koobi Fora, au Kenya.
  3. Lordkipanidze D., « Étonnants primitifs de Dmanissi », La Recherche, mai 2008, n° 419, pp. 28-32.
  4. Spoor et al., 2007, « Implications of new early Homo fossils from Ileret, east of Lake Turkana, Kenya », Nature, 448, 688-691
  5. (en) Charles Q. Choi, « Eating Meat Made Us Human, Suggests New Skull Fossil », sur livescience.com, (consulté le ).
  6. Matthew R. Bennett et al., Early Hominin Foot Morphology Based on 1.5-Million-Year-Old Footprints from Ileret, Kenya, Science, volume 323, numéro 5918, p.1197-1201, DOI : 10.1126/science.1168132, 27 février 2009, lien Science
  7. Laurent Sacco, « Homo erectus marchait comme nous il y a 1,5 million d'années », sur futura-sciences.com,
  8. (en) Katherine D. Zink et Daniel E. Lieberman, « Impact of meat and Lower Palaeolithic food processing techniques on chewing in humans », Nature, vol. 531, no 7595,‎ , p. 500–503 (ISSN 1476-4687, DOI 10.1038/nature16990, lire en ligne)
  9. « Il a mangé de la viande crue, et la face de l'homme en a été changée »,
  10. (en) Dennell R. W, « Early tool-making in Asia : two-million-year-old artefacts in Pakistan », Antiquity,‎ , p. 98-106 (ISSN 0003-598X, DOI: https://dx.doi.org/10.1017/S0003598X00073555)
  11. (en) Dennell R. W, « Late Pliocene Artefacts from Northern Pakistan », Current Anthropology,‎ , p. 495–498. (ISSN 0011-3204, doi:10.1086/203666)
  12. (en) Hao Li., ChaoRong Li, Kathleen Kuman, « Longgudong, an Early Pleistocene site in Jianshi, South China, with stratigraphic association of human teeth and lithics », Science China Earth Science,‎ , p. 452-462 (ISSN 1674-7313, lire en ligne)
  13. (en) Fei Han et al., « The earliest evidence of hominid settlement in China : Combined electron spin resonance and uranium series (ESR/U-series) dating of mammalian fossil teeth from Longgupo cave », Quaternary International,‎ , p. 75-83 (ISSN 1040-6182, lire en ligne)
  14. « Siwaliks : les homininĂ©s du haut bassin de l’Indus depuis le PliocĂšne », sur CNRS
  15. (en) Bernard Wood, Wiley-Blackwell Encyclopedia of Human Evolution, Wiley-Blackwell, , 1056 p. (ISBN 978-1-118-65099-8, DOI 10.1002/9781444342499)
  16. (en) « Homo ergaster: KNM ER 992 », sur http://efossils.org (consulté le )
  17. (en) C. J. Lepre et D. V. Kent, « New magnetostratigraphy for the Olduvai Subchron in the Koobi Fora Formation, northwest Kenya, with implications for early Homo », Earth and Planetary Science Letters, vol. 290, nos 3–4,‎ , p. 362 (DOI 10.1016/j.epsl.2009.12.032, Bibcode 2010E&PSL.290..362L.).
  18. (en) Alan Walker et Richard Leakey, The Nariokotome Homo erectus Skeleton, Berlin/Heidelberg/London, Harvard University Press, , 457 p. (ISBN 3-540-56301-6, présentation en ligne).
  19. (en) Franck Brown, John Harris, Richard Leakey et Alan Walker, « Early Homo erectus skeleton from west Lake Turkana, Kenya », Nature, vol. 316,‎ , p. 788-792 (DOI 10.1038/316788a0).
  20. ExpĂ©dition extrĂȘme aux origines de l'humanitĂ©, Comment l'homme prĂ©historique a-t-il pu dĂ©velopper son intelligence ?, film documentaire de Michael Kaschner, Tamara Spitzing, avec Lucas Bondioli, Yosief Dibsekal, Clemens Eibner, Thomas Junker, Lorenzo Rook, Roberto Macchiarelli, Mark Stoneking, Production ZDF, 2009, Allemagne, 53 min.
  21. Ernesto Abbate, Andrea Albianelli, Augusto Azzaroli, Marco Benvenuti, Berhane Tesfamariam, Piero Bruni, Nicola Cipriani, Ronald J. Clarke, Giovanni Ficcarelli, Roberto Macchiarelli, Giovanni Napoleone, Mauro Papini, Lorenzo Rook, Mario Sagri, Tewelde Medhin Tecle, Danilo Torre et Igor Villa, « A one-million-year-old Homo cranium from the Danakil (Afar) Depression of Eritrea », 24/09/2007, Nature, 393, p. 458-460.
  22. Rook Lorenzo et al., « Fossil vertebrates from Dandero Basin (Buia, Northern Danakil Depression, Eritrea): Biochronology and Paleoenvironments », 32nd IGC, Florence, 2004.

Voir aussi

Articles connexes

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