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Rostom (roi de Karthli)

Rostom Khan (nĂ© Ă  Ispahan en 1567 et mort Ă  Tiflis le ; en gĂ©orgien : როსჱომ ჼანი), aussi connu sous les noms de KaĂŻkhosro Bagration (áƒ„áƒáƒ˜áƒźáƒáƒĄáƒ áƒ ბაგრაჱიონი) ou Khosro-Mirza (ჼოსრო-მირზა) est un homme politique et militaire persan et gĂ©orgien du XVIIe siĂšcle qui sert comme darugha (prĂ©fet) d'Ispahan (1618-1658), qollar-aghassi (commandant) des forces armĂ©es sĂ©fĂ©vides (1629-1632), puis roi de Karthli (1632-1658) et de KakhĂ©tie (1648-1656).

Rostom Khan
Illustration.
Titre
Roi de Kakhétie
–
Prédécesseur Teïmouraz Ier
Successeur Selim Khan (en tant que gouverneur persan)
Artchil (roi en 1664)
Roi de Karthli
Vali du Gourdjistan
–
Premier ministre Chah Navaz Khan (1653-1658)
Prédécesseur Teïmouraz Ier
Successeur Vakhtang V
Qollar-aghassi
–
Monarque Chah Abbas (1629)
Chah SĂ©fi (1629-1632)
Prédécesseur Qaratchaqaï Khan
Successeur Siavoch Beg
Darugha d'Ispahan
–
Monarque Chah Abbas (1618-1629)
Chah SĂ©fi (1629-1642)
Abbas II (1642-1658)
Successeur Badadeh Beg
Biographie
Nom de naissance Khosro Mirza
Date de naissance
Lieu de naissance Ispahan
Date de décÚs
Lieu de décÚs Tiflis
Nature du décÚs Naturel
SĂ©pulture Qom
PĂšre David XI
Fratrie Bagrat VII
Conjoint Tinatine Djaqeli
Ketevan Abachichvili (1635-1636)
Mariam Dadiani (1638-1658)
Enfants Louarsab (adoptif)
Vakhtang (adoptif)
Famille Bagrations de Karthli
Religion islam

Signature de Rostom Khan

Rostom (roi de Karthli)
Liste des rois de Karthli

Membre de l'ancienne dynastie gĂ©orgienne des Bagrations, il est le fils illĂ©gitime du roi David XI de Karthli et passe la plus grande partie de sa vie en Perse. AprĂšs une courte tentative de s'impliquer dans la politique gĂ©orgienne en 1605, il regagne rapidement la Perse, oĂč il tombe dans la pauvretĂ© pendant plusieurs annĂ©es avant d'ĂȘtre sauvĂ© par le gĂ©nĂ©ral gĂ©orgien Georges SaakadzĂ©, qui l'introduit auprĂšs de chah Abbas le Grand et fait de lui le membre plus influent de la grande communautĂ© gĂ©orgienne de Perse. NommĂ© prĂ©fet de la capitale sĂ©fĂ©vide en 1618, une position qu'il garde jusqu'Ă  la fin de sa vie, il amasse une grande fortune et devient l'un des plus proches conseillers du chah, jusqu'Ă  la mort de celui-ci en 1629.

Général talentueux, il participe aux campagnes militaires de la Perse en Géorgie (1625) et en Iraq (1630) et devient commandant-en-chef de l'armée séfévide, une position qui l'aide à porter sur le trÎne le chah Séfi Ier en 1629 et à évincer et à liquider la famille Oundiladzé, l'un des plus puissants clans de la Perse. Devenu Rostom Khan, il est nommé vali du Gourdjistan en 1632 par le gouvernement séfévide et est envoyé avec une grande armée pour envahir la Karthli, chassant le roi rebelle Teïmouraz et le remplaçant comme roi de Karthli.

Durant son rĂšgne, Rostom se fait remarquer par une politique de tolĂ©rance entre sa propre religion musulmane et la puissante influence de l'Église orthodoxe gĂ©orgienne. Parvenu au pouvoir aprĂšs des dĂ©cennies de guerres, il organise un vaste programme de reconstruction national, notamment en reconstruisant la capitale Tiflis et Gori et en promouvant la classe marchande du royaume. Il rĂ©organise le gouvernement gĂ©orgien conformĂ©ment aux coutumes sĂ©fĂ©vides et reçoit un important soutien financier et militaire d'Ispahan. C'est exactement cette politique pro-persane qui mĂšne Ă  de nombreuses tentatives d'assassinat et rĂ©voltes nobiliaires, notamment lors du complot de 1642 qui se solde par une victoire du roi et l'exĂ©cution du catholicos EudĂšme. En 1648, il dĂ©fait une derniĂšre fois le roi TeĂŻmouraz et envahit la KakhĂ©tie, l'annexant Ă  ses domaines.

Sa diplomatie tortueuse qui l'amÚne à entretenir des relations secrÚtes avec la Russie dans les années 1650 et à conclure une alliance militaire avec la Mingrélie vers 1635, lui permet de combiner l'influence islamique et une renaissance chrétienne, fait de Rostom l'un des personnages les plus intéressants de l'histoire de la Géorgie. Il meurt à l'ùge avancé de 91 ans en 1658 et a pour successeur son fils adoptif Vakhtang V, qui fonde la dynastie des Bagrations de Moukhran.

Biographie

Jeunesse

Représentation de son pÚre David XI de Karthli.

Kaïkhosro Bagration[1] naßt en 1567[2] à Ispahan[3], la capitale impériale de la Perse. Il est le fils illégitime du monarque Daoud Khan (David XI), qui gouverne au moins partiellement le royaume de Karthli au nom de la Perse depuis 1562[Note 1], et d'une concubine inconnue, une paysanne originaire du village de Chindissi[4] et travaillant à la cour royale comme servante[5]. Daoud Khan n'obtient le plein pouvoir qu'en 1569, aprÚs avoir vaincu les forces anti-persanes de Géorgie, et il passe une grande partie de son temps avant son ascension auprÚs de la cour du chah Tahmasp Ier. C'est durant une de ces visites que Kaïkhosro est né[6] et est élevé dans la foi islamique[7].

Il est Ă©levĂ© Ă  la cour royale de son pĂšre en GĂ©orgie, mais quand celui-ci trahit la Perse lors de la Guerre ottomano-persane de 1578-1590, Daoud Khan se rĂ©fugie Ă  Constantinople, tandis que ses enfants, KaĂŻkhosro et Bagrat, sont enlevĂ©s par les Perses en 1579[8] pour devenir de jeunes esclaves Ă  la cour de Mohammad Khodabandeh, oĂč KaĂŻkhosro devient Khosro-Mirza[9] et passe son enfance auprĂšs de sa mĂšre[10].

MalgrĂ© le fait qu'il ait Ă©tĂ© Ă©duquĂ© en Perse, Khosro-Mirza est considĂ©rĂ© comme un patriote car il parle couramment le gĂ©orgien et se passionne par l'histoire de son pays[11]. DĂšs son jeune Ăąge, il rĂȘve de devenir un jour roi de GĂ©orgie. Le dĂ©but de sa carriĂšre est obscur, mais il maintient certains liens avec sa dynastie des Bagrations. Au dĂ©but du XVIIe siĂšcle, il se retrouve aux cĂŽtĂ©s d'Alexandre II de KakhĂ©tie quand celui-ci regagne son trĂŽne aprĂšs s'ĂȘtre rĂ©conciliĂ© avec la Perse en 1602. Lors des nĂ©gociations de ce dernier avec la Russie au sujet d'un protectorat russe sur la GĂ©orgie, Khosro-Mirza est proposĂ© comme potentiel futur Ă©poux Ă  la princesse Xenia Borissovna Godounova, fille du tsar Boris Godounov[8].

Quand en 1605, Alexandre II rompt ses relations avec la Perse, Khosro-Mirza est expulsĂ© et doit retourner en Perse[12], par un acte rĂ©prouvĂ© par le roi Georges X de Karthli et Moscou[13]. Constantin Ier de KakhĂ©tie, assassine son pĂšre le et prend le pouvoir Ă  sa place ; il sollicite le retour de Khosro-Mirza pour la princesse Xenia, garantissant une alliance entre la Russie et la Perse sĂ©fĂ©vide, mais l'ambassade russe refuse, dĂ©crivant le jeune prince comme « laid Â»[12].

Pauvreté et richesse

De retour en Perse, Khosro Mirza sombre dans la pauvreté[7]. Selon certaines sources, il devient mendiant à Ispahan et exerce de nombreux petits métiers pour survivre[14]. Cette condition de pauvreté constitue par la suite une des sources de sa popularité comme roi auprÚs des classes paysannes du pays[5].

La vie de Khosro-Mirza change radicalement en 1612, quand Georges Saakadzé, un général important qui mÚne la lutte des Géorgiens contre les Ottomans, prend refuge en Perse et rencontre la large communauté géorgienne de la capitale persane[14]. Lors d'un banquet donné en son honneur, Saakadzé repÚre le pauvre Khosro-Mirza parmi les Géorgiens présents et l'invite à s'asseoir prÚs de lui, entamant une proche amitié entre les deux hommes[6]. L'influence de Saakadzé extirpe Khosro-Mirza de sa situation[7] car le général le traite comme un prince royal.

Marie-Félicité Brosset voit dans cet épisode une tentative par Saakadzé d'opposer un rival au roi Louarsab II de Karthli[6], faisant de lui un prétendant au trÎne[14], mais cela ne change pas le fait que Khosro devient l'héritier légitime au trÎne géorgien pour de nombreux influents du royaume de Karthli[15]. Le futur roi Rostom aura pour le reste de sa vie un respect profond envers Georges Saakadzé et son patriotisme, bien que les deux deviennent ennemis dans les années 1620[2].

Le nouveau statut de Khosro-Mirza le mĂšne Ă  impressionner le chah Abbas Ier le Grand[7], qui commence alors Ă  prendre intĂ©rĂȘt au prince gĂ©orgien[6]. BientĂŽt, Khosro-Mirza part vivre Ă  la cour impĂ©riale oĂč il est entraĂźnĂ© dans les coutumes du palais par des eunuques[16], tout en recevant les honneurs attribuĂ©s Ă  la famille impĂ©riale[17]. En quelque temps, Khosro-Mirza acquiert l'influence la plus puissante sur la grande communautĂ© gĂ©orgienne de Perse[18].

Dans les cercles séfévides

Portrait dessiné au crayon représentant un homme barbu portant une coiffe.
Georges Saakadzé.

Mouhhibb Ali Bek, l'un des officiels les plus influents de la cour du chah Abbas Ier et superviseur des esclaves impériaux, entreprend l'éducation de Khosro-Mirza aux alentours de 1615, quand celui-ci a déjà prÚs de 50 ans[19]. En 1618[20], il est nommé, sous la protection de Georges Saakadzé[21], darougha (ou préfet) de la capitale séfévide, Ispahan, une position qu'il garde officiellement jusqu'à sa mort, y compris durant sa tenure en tant que roi de Karthli[22]. Cette position agrandit non seulement son influence auprÚs de la cour impériale, notamment en le rapprochant du jeune Sam Mirza, petit-fils du chah[23], mais aussi son pouvoir sur la politique interne perse.

Khosro-Mirza prĂ©serve la position de darougha jusqu'en 1658, mais les affaires de la capitale sont gĂ©rĂ©es par des vicaires Ă  partir de son accession au trĂŽne gĂ©orgien dans les annĂ©es 1630. Aux alentours de 1625, quand il est en campagne pour soumettre les rebelles gĂ©orgiens, Mir Qassim Beg est nommĂ© pour le remplacer, solidifiant le pouvoir gĂ©orgien au sein de l'Empire sĂ©fĂ©vide[22]. En 1656, ce vicaire est destituĂ© par le gouvernement impĂ©rial Ă  la suite d'intrigues du palais opposant le vizir Mohammed Beg aux GĂ©orgiens[22]. À sa place, Khosro-Mirza nomme son proche conseiller Pharsadan GorguidjanidzĂ©, qui est non seulement gĂ©orgien, mais aussi chrĂ©tien avant sa conversion par requĂȘte impĂ©riale, mais celui-ci est bientĂŽt limogĂ© Ă  son tour[22]. Peu de temps avant sa mort, Khosro-Mirza nomme un certain Badadeh Beg[Note 2], probablement aussi d'origine gĂ©orgienne, comme son reprĂ©sentant Ă  Ispahan[22]. En tant que roi de Karthli, Khosro-Mirza continue Ă  administrer les affaires de la capitale via son conseiller Hamza Beg, un cousin du vicaire Mir Qassim Beg, qui travaille depuis le palais royal de Tiflis[24].

L'administration de Khosro-Mirza marque le transfert du vrai pouvoir sur les affaires d'État de l'armĂ©e d'Ă©lite qizilbash Ă  la grande classe d'esclaves gĂ©orgiens[16]. Il est largement aidĂ© dans cette entreprise par Rostom Khan SaakadzĂ©, un autre homme d'État d'origine gĂ©orgienne qui devient commandant en chef des forces armĂ©es du chah Abbas en 1623. En quelques annĂ©es, le systĂšme juridique de la Perse tombe entiĂšrement dans les mains des GĂ©orgiens[2], ce qui est confirmĂ© par la nomination de ce Rostom Khan SaakadzĂ© comme divan-beĂŻgui (ou juge impĂ©rial principal)[19]. Toutefois, ce changement radical du pouvoir central est le sujet de nombreuses plaintes de la part de la classe militaire des Qizilbash et des bureaucrates tadjiks, obligeant Khosro-Mirza Ă  devenir un riche mĂ©cĂšne et de soutenir la construction de nouveaux ponts, routes, temples religieux et caravansĂ©rails Ă  travers la Perse afin d'attĂ©nuer les critiques[25].

Une conversation hostile entre Khosro-Mirza et Madjlissi, un imam d'Ispahan, démontre ainsi les sentiments entre les locaux et la nouvelle administration géorgienne[25] :

« Madjlissi : Pendant que vous ĂȘtes occupĂ© Ă  Ă©tablir l'ordre au milieu des troupes ou lorsque la trompette et les tambours sonnent pour annoncer le lancement de la bataille, ressentez-vous une telle grandeur et une telle autoritĂ© au point de sortir de l'obĂ©issance Ă  Dieu ?

Khosro Mirza : Il est Ă©trange pour vous de penser que ce genre de grandes illusions puisse envahir quelqu'un Ă  de tels moments et plutĂŽt que pendant qu’il prie ou rĂ©cite l'appel Ă  la priĂšre. »

Khosro-Mirza opÚre néanmoins sous la protection du puissant chah Abbas, qui commence à le considérer comme un futur roi de Géorgie[14]. Devenu riche en peu de temps, il lui est offert le contrÎle privé de la région du Guilan, qui lui rapporte un salaire annuel de 300 tomans jusqu'à la fin de sa vie[26]. Des années plus tard, quand Khosro-Mirza est déjà devenu Rostom Khan de Karthli, les nombreuses missions diplomatiques venant de Géorgie vers la Perse administrent réguliÚrement les territoires du Guilan, dont la ville importante de Lahidjan, au nom du roi[27].

En campagne contre la GĂ©orgie

Photographie d'une foule vĂȘtu de costumes traditionnels gĂ©orgiens devant un monument.
Monument commémorant la Bataille de Marabda.

À la suite d'une dĂ©faite humiliante des forces sĂ©fĂ©vides le lors de la Bataille de Martqophi et la capture de Tiflis par le chrĂ©tien TeĂŻmouraz Ier de KakhĂ©tie, Khosro-Mirza est l'un des trois gĂ©nĂ©raux, avec Isa Khan Safavi et Rostom Khan SaakadzĂ©, envoyĂ© par le chah Abbas Ier pour vaincre la rĂ©bellion des GĂ©orgiens. En [28], une force de 60 000 Perses dĂ©barque en GĂ©orgie, renforcĂ©e par les gouverneurs du Chirvan et d'Erevan et armĂ©e de l'artillerie anglaise fournie Ă  la Perse[29].

Tandis que les Perses campent Ă  Marabda, au sud-est de Tiflis et dans la vallĂ©e d'Algueti, les GĂ©orgiens de TeĂŻmouraz et de son alliĂ© Georges SaakadzĂ© sont dans la Gorge de Kodjori, oĂč un conseil royal n'arrive pas Ă  trouver une stratĂ©gie commune : TeĂŻmouraz veut attaquer les Perses directement, tandis que SaakadzĂ© prĂ©fĂšre les attendre dans la Gorge et les affronter dans un environnement plus favorable aux GĂ©orgiens[28]. Le 30 juin, TeĂŻmouraz ordonne une attaque sur les Perses et malgrĂ© la mort de 14 000 Perses sur le champ de bataille, ceux-ci sortent victorieux grĂące Ă  un dĂ©barquement de troupes du Chirvan Ă  la derniĂšre minute[29]. Khosro-Mirza commande le flanc droit des forces d'invasion[30]. AprĂšs la Bataille de Marabda, Khosro-Mirza et Isa Khan Safavi restaurent SemaĂŻoun Khan (Simon II) comme roi Ă  Tiflis, mais celui-ci ne contrĂŽle que la capitale et les provinces armĂ©niennes protĂ©gĂ©es par l'armĂ©e persane[31].

À la suite de l'Ă©pisode de Marabda, les rebelles de Georges SaakadzĂ© prennent en otage Abd-ol-Ghaffar Amilakhvari, un prince gĂ©orgien musulman qui soutient la cause de la Perse, et son Ă©pouse[6]. Khosro-Mirza est chargĂ© d'une mission de sauvetage par Isa Khan Safavi et nĂ©gocie un passage vers le nord de la Karthli via les rives de l'Aragvi dans les domaines du duc Zourab d'Aragvi, en donnant sa garantie que ses troupes ne ravageraient pas les villages gĂ©orgiens[6]. PrĂšs du village de Tsitsamouri, au nord de Mtskheta, les rebelles de SaakadzĂ© attaquent Khosro-Mirza, qui sort nĂ©anmoins victorieux d'une bataille rapide et sanglante, Ă  la suite de laquelle il s'Ă©tablit temporairement Ă  Moukhran[6]. Du Moukhran, Khosro-Mirza part vers Doucheti, traverse le Mtiouleti et atteint les montagnes du Khevi, qui forment la frontiĂšre naturelle entre la GĂ©orgie et la Ciscaucasie[6]. C'est dans la forteresse d'Archi que Khosro et ses troupes libĂšrent le couple prisonnier et repartent vers le sud[6].

AprĂšs que les Perses ont traversĂ© la forteresse de Lomissa[32], le duc JessĂ© Ier de Ksani et Georges Sidamoni[Note 3] bloquent la route de Khosro-Mirza, autorisant une armĂ©e de 12 000 GĂ©orgiens[33], menĂ©s par Georges SaakadzĂ©, Ă  lancer une attaque sanglante[Note 4] sur les Perses. Durant la Bataille de Ksani[30], Banda Khan, gouverneur de l'AzerbaĂŻdjan, est tuĂ©, tandis que le khan de Qazax et trois gĂ©nĂ©raux sĂ©fĂ©vides sont capturĂ©s, mais Khosro-Mirza est Ă©pargnĂ© et dĂ©fend Amilakhvari personnellement[31]. L'historien moderne RoĂŻn Metreveli lie la survie de Khosro-Mirza Ă  son ancienne amitiĂ© avec SaakadzĂ©, son protecteur en Perse moins de dix ans auparavant[33].

Faiseur de rois

Portrait du chah SĂ©fi.
Chah SĂ©fi.

De retour en Perse, Khosro-Mirza assiste aux derniers jours du chah Abbas et devient, sous ses ordres, le mentor de son petit-fils Sam Mirza. En , Abbas le nomme depuis son lit de mort[20] qollar-aghassi (chef de la garde impériale)[31] et change son nom pour celui de Rostom Khan[34], en hommage au héros du Livre des rois dont le nom est symbole de courage et d'héroïsme[1]. Il lui est également offert une province[34] et est chargé d'assurer la succession d'Abbas par son petit-fils[20].

Le , Abbas Ier le Grand meurt dans le MazandĂ©ran, d'oĂč sa tante ZeĂŻnam Begoum et le gouverneur local ZaĂŻnal Khan Shamlu envoient une lettre Ă  la cour impĂ©riale ordonnant Ă  Mouhhib Ali Bek de mettre tous les princes royaux sous surveillance et d'empĂȘcher toute tentative de s'emparer du trĂŽne avant leur arrivĂ©e[19]. ParallĂšlement, le puissant clan gĂ©orgien musulman des OundiladzĂ© mobilise ses forces et encourage un des fils d'Abbas Ă  se proclamer chah[35]. À Ispahan, Mouhhibb, qui favorise une succession patrilinĂ©aire au trĂŽne par tradition chi'ite[Note 5], rejoint la cause de Rostom et l'avertit de l'arrivĂ©e de troupes venant du MazandĂ©ran[19] - [36], menant Rostom Ă  fermer les portes de la capitale, mobiliser les troupes gĂ©orgiennes et augmenter la prĂ©sence de la garde impĂ©riale sur le palais et la trĂ©sorerie[37].

Le 28 janvier, Rostom proclame Sam Mirza chah sous le nom de SĂ©fi Ier et envoie une directive Ă  tous les gouverneurs sĂ©fĂ©vides de se rendre Ă  Ispahan pour prĂȘter leur allĂ©geance au nouveau chah de 18 ans[38]. Ce succĂšs solidifie les proches liens entre Rostom et son protĂ©gĂ©, qui le nomme depuis son « pĂšre Â»[39] - [5]. Devenu le « faiseur de rois Â» de l'empire perse[20] - [40], son influence et sa richesse ne font que grandir[39] et il devient le premier conseiller de Chah SĂ©fi, qui est souvent plus prĂ©occupĂ© par les plaisirs de la cour que par les affaires d'État[2] - [14]. L'ascension de Chah SĂ©fi commence des pourparlers au sein de la cour sur un plan pour placer Rostom sur le trĂŽne gĂ©orgien, un plan largement opposĂ© par les OundiladzĂ©[1] mais utilisĂ© par le rebelle Georges SaakadzĂ© : celui-ci propose un plan de paix entre la Turquie ottomane et la Perse sĂ©fĂ©vide en unifiant la GĂ©orgie sous le sceptre de Rostom Khan[41]. Ce plan est toutefois rejetĂ© par Constantinople et le Grand Vizir ottoman Gazi HĂŒsrev Pacha utilise ce projet pour accuser SaakadzĂ© de trahir les intĂ©rĂȘts turcs et le faire exĂ©cuter Ă  Alep le [41].

L'ascension de Chah SĂ©fi se dĂ©roule durant la guerre ottomano-persane de 1623-1639 et Rostom se distingue en dĂ©routant les troupes de l'Ottoman Gazi HĂŒsrev Pacha Ă  Hamadan en Ă©tĂ© 1630[42]. En novembre, les troupes de Rostom sauvent Bagdad d'un siĂšge brutal, avant de retourner Ă  Ispahan[37]. En 1632, il solidifie une nouvelle fois son pouvoir en soutenant Dilaram Khanoum, la mĂšre gĂ©orgienne du chah, dans une sĂ©rie d'intrigues qui finit en un massacre au harem et Dilaram Khanoum devenant la matriarche de l'empire.

D'un autre cĂŽtĂ©, les tensions ne font qu'augmenter entre Rostom et les OundiladzĂ©. Ces tensions se rĂ©vĂšlent publiquement lors d'un banquet royal durant lequel le chah expulse Daoud Khan OundiladzĂ©, gouverneur de Gandja et du Karabakh, par respect pour Rostom[43]. Tandis que la loyautĂ© des GĂ©orgiens musulmans est divisĂ©e lors des premiers mois du rĂšgne de Chah SĂ©fi entre Rostom et les OundiladzĂ©[35], le chah, qui s'oppose Ă  la vaste richesse du clan[1], limoge Daoud Khan du majlis en 1630. La mĂȘme annĂ©e, en GĂ©orgie, TeĂŻmouraz de KakhĂ©tie organise un coup d'État Ă  Tiflis et engage Zourab d'Aragvi pour assassiner SemaĂŻoun Khan, avant d'exĂ©cuter Zourab lui-mĂȘme et d'envoyer sa tĂȘte Ă  Rostom en gage de serment d'allĂ©geance[44], mais il commence Ă  s'allier aux OundiladzĂ©.

En 1632, la famille d'Imam Qouli Khan Oundiladzé est exécutée[44]. Le clan perd tous ses pouvoirs en Perse[45]. Rostom Khan persuade le chah de le charger alors d'une expédition contre la Géorgie pour faire de lui le nouveau roi de Kakhétie[5].

ConquĂȘte de la Karthli

Portrait d'un homme dans un manuscrit Ă©crit Ă  la main
Daoud Khan Oundiladzé.

TeĂŻmouraz de KakhĂ©tie et Daoud Khan OundiladzĂ© forment une alliance ambitieuse contre Ispahan. Ensemble, ils ravagent Barda et le Karabakh[5], tandis que Daoud Khan jure allĂ©geance au roi gĂ©orgien[46], qui lui attribue des domaines sur l'Iori[47]. Le but de cette rĂ©volte de 1632 est de placer sur le trĂŽne persan un oncle de Safi Ier[35], mais ce dernier rĂ©pond immĂ©diatement en envoyant une large armĂ©e[7] en 1632 pour envahir la GĂ©orgie orientale, menĂ©e par Rostom Khan Bagration, Rostom Khan SaakadzĂ© et Selim Khan[48]. Avant son dĂ©part, Rostom Khan Bagration est proclamĂ© vali du Gourdjistan, faisant de lui le gouverneur de jure de la Karthli. À Barda, TeĂŻmouraz et Daoud Khan attendent une force de 40 000 ArmĂ©niens du catholicos MoĂŻse III de Tatev, mais la mort soudaine de celui-ci le 14 mai met fin au projet d'une force caucasienne unifiĂ©e contre la Perse[5]. Craignant l'invasion, Daoud Khan OundiladzĂ© abandonne TeĂŻmouraz et prend refuge auprĂšs de l'empire ottoman[49].

Dans sa suite, Rostom est accompagnĂ© de nombreux puissants GĂ©orgiens de Perse, dont les nobles RoĂŻn Pavnelichvili, Tourman-Beg TourmanidzĂ©, TeĂŻmouraz TchkheĂŻdzĂ©, Hassan-Beg Baratachvili[50] et David Tvaldamtsvrichvili[51], qui deviendront chacun des officiels Ă  la cour royale dans les annĂ©es qui suivent. Otia Andronicachvili, un autre alliĂ© de Rostom, est envoyĂ© comme Ă©missaire en automne 1632 pour avertir la noblesse gĂ©orgienne de l'arrivĂ©e de l'armĂ©e persane, mais est arrĂȘtĂ© et emprisonnĂ© au palais royal de Dighomi, au nord de Tiflis[50]. Une fois arrivĂ© Ă  Khounan, Ă  la frontiĂšre entre le Caucase et l'empire sĂ©fĂ©vide, Rostom reçoit l'allĂ©geance du prince Vakhtang II de Moukhran, puis de la famille des Baratachvili[50]. En rĂ©ponse, TeĂŻmouraz rassemble ses troupes Ă  SaphourtslĂ©, au sud de Tiflis, et emprisonne les femmes de la famille Baratachvili, menaçant de les torturer avant de les libĂ©rer sur les demandes de son Ă©pouse[50].

ArrivĂ© dans le Karabakh, Rostom traverse la frontiĂšre gĂ©orgienne en [50] - [1]. TeĂŻmouraz voit son soutien disparaitre rapidement et la majoritĂ© de la noblesse reste neutre avant l'invasion[52], sauf Iotam Amilakhvari, un dĂ©terminĂ© anti-persan[50]. Le roi quitte son palais de Dighomi et se fortifie Ă  Gori[50], oĂč il rĂ©clame aux missionnaires thĂ©atins de la ville 13 000 piastres pour acheter de nouvelles armes, une requĂȘte refusĂ©e par les catholiques[5]. TeĂŻmouraz se retrouve isolĂ© : David d'Aragvi l'abandonne[50], son armĂ©e est rĂ©duite Ă  juste une garde royale et des renforts d'ImĂ©rĂ©thie ne dĂ©barquent jamais[53], Georges III d'ImĂ©rĂ©thie devant faire face Ă  une guerre violente contre la MingrĂ©lie[Note 6]. Quand l'armĂ©e de Rostom atteint Aghdja-Qala, TeĂŻmouraz prend refuge Ă  Kvichkheti, aux pieds de la chaĂźne de Likhi qui sĂ©pare la Karthli de la GĂ©orgie occidentale[50].

Le [5], Rostom arrive Ă  Tiflis et prend le contrĂŽle du gouvernement gĂ©orgien, puis envoie une cavalerie de 2 000 soldats poursuivre TeĂŻmouraz afin de l'intercepter avant qu'il n'atteigne l'ImĂ©rĂ©thie[50]. Celui-ci, qui hĂ©site Ă  prendre refuge en GĂ©orgie occidentale Ă  cause de la guerre civile y faisant rage[5], parvient tout de mĂȘme Ă  s'Ă©chapper mais perd une partie de sa garde lors d'un affrontement contre la cavalerie de Rostom prĂšs du Mont Peranga[50]. Ceci marque la fin du second rĂšgne de TeĂŻmouraz (1625-1633) et le dĂ©but du pouvoir de Rostom, qui gouverne la Karthli jusqu'Ă  sa mort. Le gĂ©nĂ©ral persan Selim Khan reçoit, pour sa part, la gouvernance de la KakhĂ©tie[50].

Consolidation du pouvoir

Une fois Rostom installé sur le trÎne, Rostom Khan Saakadzé retourne[54] en Perse mais instruit les khans de Qazax, Loré et Chamchadilu de préserver une force militaire en Géorgie pour soutenir le nouveau dirigeant[55] - [56]. Rostom installe des garnisons persanes dans les citadelles de Gori et de Sourami[57] et remplace progressivement les soldats persans par des milices chirvanaises pour éviter des révoltes populaires, le Chirvan étant une province transcaucasienne proche de la Géorgie[5]. En 1633, Rostom et ses khans alliés lancent une expédition militaire dans l'Ardahan contre le Samtskhé dans le cadre de la guerre ottomano-séfévide[58].

Carte montrant l'Ă©volution de l'Ă©tendue territoriale de la Perse au XVIIe siĂšcle.
Carte de l'empire séfévide sous le Chah Séfi.

Il travaille rapidement pour s'accorder avec la puissante classe noble de la Karthli, notamment en leur offrant de nombreux présents[59]. La noblesse, fatiguée par des décennies de guerres[54], cherche à s'allier au nouveau souverain, qui demande de se faire embrasser les pieds par les nobles comme signe d'allégeance[5]. DÚs son arrivée au pouvoir, il offre au grand noble Chioch Khmaladzé les domaines de Samchvildé, restaure la famille Saakadzé dans ses anciens domaines par respect envers Georges Saakadzé[60] - [33] et épouse Ketevan Abachichvili, fille du prince Gordjasp Abachichvili, selon les rites chrétiens et musulmans (la reine Ketevan, qui meurt en 1633, est renommée Gouladoukhtar par son époux[54]).

D'un autre cÎté, Rostom agit agressivement contre ceux qui continuent à soutenir Teïmouraz comme roi légitime[Note 7] - [61]. Il envoie des expéditions militaires pour ravager les domaines de ceux qui refusent de se présenter devant lui[5], fait défenestrer l'attendant royal Kaïkhosro Baratachvili pour sa participation dans le massacre des Perses à Birtvisi en 1626[62] et échappe à de nombreuses tentatives d'assassinat[63]. En 1633 et 1634, il remplace des dizaines de seigneurs par leur fils ou frÚre. De plus, le retour en Géorgie de centaines de Géorgiens capturés durant les invasions persanes du début du siÚcle et élevés auprÚs de la cour séfévide avec Rostom, ainsi que leur retour au sein de leurs familles chrétiennes[54], autorise la création d'une véritable classe pro-persane au sein de la petite noblesse géorgienne[64] - [56]. Tandis que Rostom ne persécute pas les chrétiens, il considÚre les nobles qui refusent de se convertir à l'islam comme déloyaux[65] et augmente considérablement le pouvoir de ses alliés musulmans[66].

InspirĂ© par le systĂšme de gouvernance de son mentor Abbas le Grand[65], Rostom entreprend la centralisation d'un État fracturĂ© et remplace le gouvernement de TeĂŻmouraz par des officiels loyaux Ă  la Perse[64]. Il nomme ainsi QaĂŻa Tsitsichvili comme sakhltoukhoutsessi (Grand-maĂźtre du Palais) en 1635 et Manoutchar Soumbatichvili comme gouverneur de Tiflis le [67]. Les nombreuses rĂ©formes de centralisation entreprises par Rostom durant son rĂšgne commencent une tendance vers une monarchie absolue en GĂ©orgie, une tendance continuĂ©e plus tard par HĂ©raclius Ier, Vakhtang VI et HĂ©raclius II plus tard, et symbolisant une rupture du systĂšme mĂ©diĂ©val, dans lequel la grande noblesse contrĂŽle la politique intĂ©rieure du pays[68].

C'est en 1636 que le roi Rostom prend sous sa protection le jeune Pharsadan Gorguidjanidzé, le fils de 10 ans du gouverneur de Gori, qui deviendra par la suite l'un des plus célÚbres écrivains géorgiens du XVIIe siÚcle, ainsi que le biographe officiel de Rostom et de son successeur Vakhtang V[69].

Influence séfévide

À 67 ans quand il accĂšde au trĂŽne, Rostom est dĂ©jĂ  un politicien affinĂ©, dĂ©cri par son biographe comme « plein de dextĂ©ritĂ© mondaine, riche et considĂ©rĂ© Â»[54]. MalgrĂ© son origine gĂ©orgienne, il est Ă©duquĂ© dans les systĂšmes musulmans et sĂ©fĂ©vides de gouvernance, faisant de lui un Ă©tranger dans son pays et le menant Ă  pousser vers des rĂ©formes pour harmoniser le gouvernement de Tiflis avec celui d'Ispahan[54]. Il nomme ainsi des officiels persans, tel que son vizir Mouin Mohammed[70], et gĂ©orgiens[54]. La plus importante rĂ©forme mise en Ɠuvre pas Rostom est le changement des noms des positions au sein du gouvernement royal : sans changer les fonctions de chaque position, il les renomme selon leurs homologues sĂ©fĂ©vides.

Positions au sein du gouvernement de Rostom[71] - [72]
Position géorgienneNom persan introduit par RostomFonction
MsakhurtukhutsesiQortchi-bachiChargĂ© des finances du palais et de l'armĂ©e ; en tĂȘte de l'administration royale.
MonatoukhoutsessiQollar-aghassiChef de la garde royale.
MandatourtoukhoutsessiEchikaghas-bachiSuperviseur des affaires de protocole.
EzosmodzghvaréNazirMinistre de la cour.
MestoumretoukhoutsessiMehmandarChargé des réceptions royales
KhourotmodzghvaréSardarCommandant-en-chef des forces royales.

Ces changements restent toutefois superficiels et servent à satisfaire les suzerains de Perse[11], mais resteront intacts jusqu'à l'annexion de la Géorgie par la Russie en 1801 et autorisent la noblesse géorgienne de s'habituer à de nouvelles coutumes relativement facilement[52]. Rostom devient le premier roi géorgien à réduire les pouvoirs du darbazi, le conseil royal composé de figures nobles et religieuses depuis le XIIIe siÚcle, et nomme également un mdivan-begi[Note 8] comme juge[73], les affaires judiciaires étant auparavant sous la supervision du conseil. Sous son rÚgne, le darbazi ne sert plus que de négociateur d'alliances matrimoniales entre les nobles du royaume, menant à la décadence de cette ancienne institution qui culminera à sa dissolution complÚte un siÚcle plus tard sous Héraclius II[74].

Peinture de style persane montrant des hommes assis et discutant.
Cour de Chah Abbas le Grand. Rostom réforme la cour royale de Karthli selon les traditions séfévides.

Rostom reste connu pour son introduction des mƓurs et coutumes persanes au sein de la cour gĂ©orgienne. Les Chroniques gĂ©orgiennes disent ainsi qu'il apporte « le luxe et la chĂšre des Persans, la dĂ©bauche, l'impudicitĂ©, la fourbe, l'amour des plaisirs, du bain, de la parure inconvenante, les joueurs de luth et de flĂ»te, en effet, ceux-lĂ  seuls furent considĂ©rĂ©s qui adoptĂšrent ces usages, et les chefs mĂȘmes du clergĂ© se dĂ©gradĂšrent au point d'y prendre part Â»[54]. Il est souvent dĂ©crit comme un passionnĂ© des fĂȘtes et divertissements[54], une passion financĂ©e par la largesse d'Ispahan qui subventionne les frais de son palais Ă  travers son rĂšgne[65]. Sa proche relation avec la cour du chah fait de Rostom l'un des hommes les plus riches de l'empire sĂ©fĂ©vide, avec des domaines riches sous son contrĂŽle, dont la GĂ©orgie orientale, Ispahan, Quba dans le Chirvan, la Province de Zandjan et le Guilan, ainsi que suzerainetĂ© sur 500 clans de nomades turkmĂšnes[75].

D'un autre cĂŽtĂ©, le gouvernement perse a un contrĂŽle sans prĂ©cĂ©dent sur les affaires internes de la Karthli. Non seulement les troupes musulmanes sont stationnĂ©es dans les forteresses de Tiflis, Gori et Sourami[52], ce sont des gouverneurs militaires persans qui administrent le sud du royaume, notamment LorĂ© et Gagui[11]. À Tiflis, un vizir, un moustooufi et un mounchi espionnent les affaires du palais pour la Perse[52] et contrĂŽlent les services de revenu et l'administration militaire du royaume[11]. Chaque nomination doit ĂȘtre confirmĂ©e par Ispahan[11]. De plus, Rostom se doit de payer un tribut annuel d'esclaves, souvent des enfants de petits nobles[76] - [18].

En Karthli, Rostom se nomme dans ses documents « Roi des rois Â», continuant ainsi la titulature de ses ancĂȘtres chrĂ©tiens[2]. Ses sujets le reconnaissent comme mep'e (მეჀე, « monarque Â»)[71] et il se fait mĂȘme couronner dans une cĂ©rĂ©monie chrĂ©tienne en 1634 dans la cathĂ©drale d'Antchiskhati de Tiflis. Toutefois, ses suzerains de Perse font de lui un « vali du Gourdjistan Â», le titre de vali symbolisant l'union entre l'Iran et la GĂ©orgie. Rostom est considĂ©rĂ© par Ispahan comme l'un des quatre valis de l'empire sĂ©fĂ©vide, avec ceux de l'Arabistan, du Louristan et du Kourdistan, des gouverneurs plus autonomes et plus puissants que les Ă©mirs et les khans[64]. Et, malgrĂ© le fait que Rostom est considĂ©rĂ© comme le troisiĂšme gouverneur le plus puissant de l'empire, derriĂšre les valis du Louristan et de l'Arabistan[71], le Gourdjistan (la Karthli) n'est jamais officiellement dĂ©clarĂ©e territoire persan[64].

Tandis que Rostom et son gouvernement diminuent considérablement l'indépendance du royaume, le pays préserve néanmoins une large autonomie, sa culture, sa religion orthodoxe, ses droits fonciers et sa propre politique socio-économique[11]. Un exemple est la puissance que la noblesse géorgienne garde à travers le XVIIe siÚcle, tandis que les gouvernements des khanats transcaucasiens sont entiÚrement remplacés par des officiers venant d'Ispahan[66]. Cette relation complexe et unique entre Tiflis et Ispahan devient la base d'une union qui dura plus d'un siÚcle, jusqu'en 1744[11]. De 1632 à 1744, chaque monarque de la Karthli est musulman et nommé par le chah[2]. En 1800, quand le roi Georges XII de Kartl-Kakhétie tente de négocier une union entre l'empire russe et la Géorgie orientale, il décrit, en vain, le systÚme inauguré par Rostom[77]. Certains historiens, toutefois, tel que Nikoloz Berdzenichvili (1973), accusent Rostom d'avoir mis fin à l'indépendance de la Karthli et de l'avoir intégré entiÚrement comme province perse[18].

Alliance avec la Mingrélie

Dessin au crayon d'un prince vĂȘtu d'habis royaux et portant dans sa main droite une Ă©glise.
Léon II de Mingrélie.

La reine Ketevan Abachichvili meurt en 1633, la mĂȘme annĂ©e que son mariage. En recherche d'une nouvelle femme, Rostom se tourne vers la GĂ©orgie occidentale, oĂč une guerre entre princes fait rage depuis 1623 : le royaume d'ImĂ©rĂ©thie, lieu de refuge de TeĂŻmouraz, et la principautĂ© de Gourie se battent dans un long conflit contre la MingrĂ©lie de LĂ©on II Dadiani. La situation Ă  l'ouest de la chaĂźne de Likhi est Ă©troitement liĂ© Ă  la stabilitĂ© de la Karthli depuis l'« Accord des 6 GĂ©orgies Â» de 1615, initiĂ© par TeĂŻmouraz et engageant les souverains de KakhĂ©tie, Karthli, ImĂ©rĂ©thie, MingrĂ©lie, Gourie et SamtskhĂ© de travailler ensemble vers la rĂ©unification de la nation[78]. De plus, Georges III d'ImĂ©rĂ©thie et KaĂŻkhosro de Gourie soutiennent ouvertement une invasion de la Karthli pour rĂ©installer sur le trĂŽne TeĂŻmouraz[61]. En 1633, Rostom dĂ©cide de former une alliance avec LĂ©on II de MingrĂ©lie, mettant ainsi un terme Ă  l'Accord de 1615, isolant TeĂŻmouraz[79] et faisant de Rostom un nouveau candidat pour le trĂŽne uni de toute la GĂ©orgie[80].

Rostom envoie en MingrĂ©lie pour nĂ©gocier son union avec Mariam Dadiani, sƓur du prince et rĂ©cemment divorcĂ©e du prince dĂ©chu Simon de Gourie, une dĂ©lĂ©gation de diplomates menĂ©es par l'Ă©vĂȘque de Tiflis[81] et incluant, curieusement, Niceforo Irbachi[80], l'ancien ministre des Affaires Ă©trangĂšres de TeĂŻmouraz qui se retrouve de nouveau auprĂšs de celui-ci en 1636. La date exacte de l'alliance reste le sujet de dĂ©bats entre historiens qui situent le mariage entre 1633 et 1638. Les Chroniques gĂ©orgiennes, rĂ©digĂ©es moins d'un siĂšcle aprĂšs la mort de Rostom, fixe l'union en 1638[62], mais cela est peu probable considĂ©rant que Niceforo Irbachi est en Russie entre 1636 et 1639[82]. Certaines chartes royales de Rostom semblent indiquer que le mariage eut lieu en 1636[83], une thĂ©orie confirmĂ©e par une inscription murale d'une Ă©glise de Khoni qui dĂ©crit le voyage de LĂ©on Dadiani vers la Karthli pour rencontrer son beau-frĂšre en 1636[84]. L'historien Iskandar Beg Mounchi mentionne l'idĂ©e d'une alliance matrimoniale entre la Karthli et la MingrĂ©lie en 1633 et attribue un dĂ©lai aux batailles constantes entre les ImĂšres et les MingrĂ©liens[58]. L'historien Nodar Assatiani place le mariage en 1634[85], tandis qu'Avtandil Tsotskolaouri le date en 1633[11].

Mariam Dadiani est renommĂ©e pour sa foi chrĂ©tienne et hĂ©site Ă  Ă©pouser un monarque musulman ; Rostom sera contraint d'organiser son baptĂȘme pour la convaincre[81]. LĂ©on Dadiani et Rostom Khan s'accordent nĂ©anmoins et choisissent de se rencontrer Ă  Kakaskhidi, un village en plein ImĂ©rĂ©thie mais sous occupation mingrĂ©lienne[81]. Ne pouvant pas utiliser les routes traditionnelles menant de Sourami Ă  l'ImĂ©rĂ©thie Ă  cause d'un blocus par Georges III d'ImĂ©rĂ©thie, Rostom traverse le Mont Persati avec l'autorisation du pacha ottoman Youssouf de Tchildir[81] et LĂ©on Dadiani franchit le Samikelao et la riviĂšre Rioni[84]. Sur sa route, Georges III tente d'empĂȘcher l'union et attaque, encouragĂ© par TeĂŻmouraz, le prince Dadiani, qui sort tout de mĂȘme victorieux et prend en otage Georges III pour les deux annĂ©es qui suivent[81]. À Kakaskhidi, les deux monarques cĂ©lĂšbrent en grande pompe leur nouvelle parentĂ© et dĂ©cident de travailler ensemble vers une grande invasion de l'ImĂ©rĂ©thie[86].

Importance internationale de l'alliance
Carte anglophone de la Mingrékie, représentant l'ouest de la Géorgie et l'est de la Mer Noire.
Carte de la principauté de Mingrélie.

Cette alliance a une importance gĂ©opolitiquement stratĂ©gique non seulement pour Rostom, mais aussi pour la Perse, qui est alors toujours en guerre contre l'Empire ottoman[79]. C'est ainsi que Rostom Khan demande permission au chah SĂ©fi avant d'Ă©pouser Mariam Dadiani[79] et qu'Ispahan nomme Parou Khan, beylarbey du Chirvan, pour superviser l'alliance[81]. En effet, la MingrĂ©lie, au bord de la Mer Noire, est au centre de la sphĂšre d'influence traditionnelle de Constantinople et ce mariage garantit que LĂ©on Dadiani accepte la suzerainetĂ© de la Perse[58]. DĂšs 1635, il refuse ainsi de fournir l'armĂ©e ottomane dans son projet d'invasion de l'ArmĂ©nie[87]. Pour cĂ©lĂ©brer l'alliance, Ispahan offre de nombreux prĂ©sents au prince de MingrĂ©lie, dont une donation de 50 000 martchilis (une tonne et demie d'argent[80]) et une pension annuelle de 1 000 tomans[81]. Finalement, l'union est utilisĂ©e par la Perse pour bloquer une possible intervention russe en GĂ©orgie occidentale[80].

Le mariage se dĂ©roule Ă  Tiflis et Mariam Dadiani est accompagnĂ©e par les plus grandes figures religieuses et nobles de MingrĂ©lie et de Gourie[81]. Cette dĂ©lĂ©gation passe six mois en fĂȘtes Ă  travers la Karthli avant de retourner vers l'ouest, tandis que le nouveau couple royal parcourt le royaume aprĂšs leurs noces, visitant Gori, Tskhireti et l'ArmĂ©nie[81]. Mariam devient rapidement une personne influente au sein de la politique interne du royaume, promouvant la protection du christianisme. Ses larges apanages en ArmĂ©nie[83], ainsi que ses palais privĂ©s Ă  Tsintsqaro, Bolnissi, Ophreti, Gomareti, Ourtsevani, Nakhidouri, Akhaldaba, Ali, Tskhinvali, Aradeti, Rouissi, Gori et Ateni[88] sont utilisĂ©s comme des salons acadĂ©miques pour encourager l'Ă©ducation chrĂ©tienne dans un royaume de plus en plus musulman[89].

À la suite du mariage, les Ottomans s'inquiĂštent de la croissance du pouvoir de Rostom et des rumeurs Ă  Constantinople prĂ©disent le rassemblement de 30 000 soldats par Rostom et LĂ©on Dadiani pour envahir les possessions turques sur la Mer Noire[90]. Le TraitĂ© de Qasr-i-Chirin de 1639 apporte toutefois la paix entre les Ottomans et les SĂ©fĂ©vides et la chaĂźne de Likhi devient Ă  nouveau la frontiĂšre entre les deux empires[62].

Reconstruction

AprĂšs des dĂ©cennies de guerres, la Karthli est dĂ©vastĂ©e et son Ă©conomie est effondrĂ©e. Quand Rostom envahit le royaume en 1632-1633, il rencontre un pays oĂč les anciennes mĂ©tropoles de Tiflis et Gori ne sont que des petites villes et oĂč la multitude de villages qui forment la base de la prospĂ©ritĂ© agricole de la GĂ©orgie ont Ă©tĂ© rĂ©duites au statut de forteresses. Le nouveau roi, qui ne subit plus les invasions constantes de la Perse, entreprend un projet ambitieux de reconstruction de la GĂ©orgie orientale.

À Gori, il transforme en 20 jours[57] la citadelle en un palais royal, incluant des nouveaux remparts et un jardin persan, qui devient la demeure des reprĂ©sentants de la cour d'Ispahan durant son absence[91]. Non loin de Gori, il transforme le petit bourg d'Akhalkalaki sur la riviĂšre Tedzma en un village important, un centre du commerce entre la GĂ©orgie occidentale et la Transcaucasie orientale[Note 9] - [92] - [93].

Ses plus grandes entreprises sont basées dans la capitale royale de Tiflis. Là, il abandonne les domaines royaux d'Isani et de Dighomi et se fait construire un large palais sur les rives du Mtkvari, en plein centre de la ville, entre les églises d'Antchiskhati et de Sioni, tandis que la forteresse d'Isani est offerte aux soldats persans[Note 10] - [54]. Il restaure la citadelle de Narikala, qui garde Tiflis, et construit un rempart allant du Mtkvari à la colline de la forteresse, protégeant ainsi la large population y résidant[54] - [56]. Rostom est l'auteur du pont de Metekhi qui lie les quartiers d'Avlabari et de la Vieille Ville jusqu'à aujourd'hui, tandis qu'il reconstruit les quartiers adjacents[54] - [56]. S'inspirant de l'architecture d'Ispahan, il fait construire des bains publics prÚs de sa résidence[94].

MalgrĂ© le fait qu'il soit musulman, Rostom reste connu pour sa reconstruction de deux des plus grandes cathĂ©drales de l'Église orthodoxe gĂ©orgienne : l'Ă©glise d'Alaverdi en KakhĂ©tie, qu'il fait reconstruire en 1653 en l'honneur des nobles morts sous son rĂšgne[95], et la cathĂ©drale de SvĂ©titskhovĂ©li de Mtskheta, le siĂšge religieux de GĂ©orgie, dont la coupole s'effondre en 1656[96]. Une inscription sur le mur occidental de celle-ci commĂ©more ainsi Rostom, un roi musulman.

Pour encourager le commerce, Rostom entreprend la reconstruction de l'infrastructure logistique du pays. Il fait construire de nombreux caravansérails et bazars à Tiflis et dans ses environs[94], ainsi que des routes qui mÚnent aux régions montagnardes du Caucase[97]. De nombreux larges ponts, construits pour faciliter la traversée de caravanes, sont également érigés à travers la Géorgie orientale, et surtout aux environs de Gandja[97]. Le Pont rouge, aujourd'hui une frontiÚre entre la Géorgie et l'Azerbaïdjan, date de son rÚgne[98] - [99].

Rostom est aussi le premier roi depuis la fin du Moyen Âge qui se fait construire des rĂ©sidences rĂ©gionales, encourageant ainsi la construction de nouveaux villages[100]. L'une de ses rĂ©sidences les plus utilisĂ©es est le palais royal de Kojori dans la vallĂ©e de Kiketi[101], qui remplace une ancienne citadelle mĂ©diĂ©vale[102].

  • Trois statues assises reprĂ©sentant en gris des hommes en armure devant la forteresse de Gori en pierres de taille grises surplombant une colline d'aspect rocheux.
    Forteresse de Gori.
  • imposante forteresse encerclĂ©e de murailles percĂ©es de tours rondes entourant une Ă©glise de couleur sable au plan basilical, surmontĂ©e par un clocher sur lequel est fixĂ©e une croix orthodoxe, Ă  l'arriĂšre-plan des collines arides et Ă  l'avant-plan quelques bĂątiments civils rĂ©sidentiels.
    Citadelle de Narikala.
  • Pont en pierre de taille, dont deux des trois arches sont visibles, l'arche centrale couvre la riviĂšre verdĂątre (la Koura), celle de gauche une des berges sur laquelle circulent des automobiles, Ă  l'arriĂšre-plan un bĂąti dense inclut des immeubles de teintes variĂ©es : blanc, rose, gris devant des murailles de teinte grisĂątre.
    Pont de Metekhi Ă  Tbilissi.
  • Pont en briques de teinte rosĂątre dont on voit deux arches en arc brisĂ©, la premiĂšre couvre une riviĂšre, la seconde un chemin en pierres partiellement recouvertes par de l'ivraie ; quelques arbres sont visibles au-delĂ  du tablier du pont.
    Pont rouge.
  • Sur un rocher aux teintes grises et rouille, parsemĂ© de quelques buissons, s'Ă©lĂšvent des ruines desquelles Ă©merge une croix.
    Ruines du palais de Kojori.
  • Au pied d'une colline aride, des constructions en briques rouges entourent quelques petits bĂątiments en forme de dĂŽmes, tandis qu'Ă  l'arriĂšre-plan figure un clocher d'Ă©glise.
    Bains publics de Tbilissi.

Retour de TeĂŻmouraz

En 1635, le duc Datouna d'Aragvi se rebelle contre Tiflis, annonçant son soutien envers le retour de TeĂŻmouraz[54]. Rostom rassemble alors ses troupes et se poste Ă  Moukhran, d'oĂč il demande au duc sa soumission ou son exil en Perse[54]. Toutefois, le roi dĂ©cide d'entreprendre des nĂ©gociations avec le noble rĂ©calcitrant avant de ravager ses domaines. À Moukhran, Rostom et Datouna dĂźnent ensemble quand un Ă©missaire de TeĂŻmouraz arrive au campement pour livrer un message au duc d'Aragvi[103]. Lorsque la garde royale empĂȘche Ă  cet Ă©missaire de dĂ©livrer son message, Datouna rĂ©alise qu'il est tenu otage par le roi et sort son Ă©pĂ©e, Ă  la suite de quoi Rostom ordonne son exĂ©cution au fusil par ses conseillers[103], Gabachvili et Tourkistanichvili[54]. Rostom envoie alors la tĂȘte dĂ©capitĂ©e au chah[54], tandis que la noblesse de l'Aragvi proclame Zaal Sidamoni, frĂšre cadet de Datouna, comme nouveau duc[79].

Dessin au crayon d'un chevalier assis sur son cheval et se préparant pour une bataille.
TeĂŻmouraz sur le champ de bataille.

Zaal continue la rĂ©bellion de son frĂšre mais ne parvient pas Ă  repousser l'avancĂ©e de l'armĂ©e de Rostom, qui dĂ©vaste les villages de Doucheti[54], Bazaleti et Sachoubaro pendant huit jours[103]. Zaal est bientĂŽt rejoint par Iotam Amilakhvari, prince de Samilakharo, Parsadan Tsitsichvili, comte de Satsitsiano, et le duc JessĂ© de Ksani, qui tue son propre frĂšre ChanchĂ© Kvenipneveli par peur de sa parentĂ© au roi[Note 11] - [103]. Avec sa nouvelle aide, Zaal recapture Doucheti, oĂč il se fortifie, tandis que l'avant-garde du roi est massacrĂ©e dans une forĂȘt, forçant le roi de faire retraite sur Sabourdiano[103]. Rostom vaincu, Zaal se tourne contre le duchĂ© de Ksani et envahit les domaines de JessĂ©, qui est obligĂ© de prendre refuge en ImĂ©rĂ©thie[103]. Rostom fait immĂ©diatement appel aux grands nobles de la Karthli pour organiser une large invasion de l'Aragvi, envoyant mĂȘme des Ă©missaires auprĂšs de l'exilĂ© JessĂ©[103].

Toutefois, Teïmouraz utilise le chaos en Karthli pour retourner en Géorgie orientale[104] - [80] - [79]. Quand Rostom apprend que le roi déchu était déjà en Kakhétie[Note 12] et avait rencontré Iotam Amilakhvari et le prince Vakhtang II de Moukhran (pourtant un allié de Rostom), il retourne immédiatement à Tiflis et demande de l'aide à la Perse, qui ne peut toutefois pas envoyer des troupes à cause du SiÚge d'Erevan par les Ottomans de 1634-1635[103]. Toujours en 1635, Teïmouraz, armé par Zaal, envahit la Karthli et met siÚge sur Gori mais est rapidement vaincu par le gouverneur local[103]. Le lendemain, Rostom, accompagné d'une armée avec des troupes fournies par les méliks arméniens et les Baratachvili, se fortifie dans la citadelle de Gori, qui est attaquée une seconde fois par Teïmouraz, cette fois-ci renforcé par le prince de Moukhran[105]. Ce second siÚge se révÚle sanglant[79] mais Rostom défait son ennemi et Teïmouraz retourne en Kakhétie, tandis que Rostom ravage le Moukhran[62].

Le , Erevan tombe aux mains des Ottomans et, malgré cette défaite, le chah Séfi ordonne aux troupes d'Azerbaïdjan de venir en aide à Rostom[62]. Celui-ci envahit la Kakhétie avec une large armée[89] quand Teïmouraz détrÎne le gouverneur Selim Khan[63] - [79] et assiÚge le roi chrétien à Ananouri[80]. Quand Teïmouraz demande des négociations avec Rostom, ce dernier accepte et, au lieu de lui imposer une défaite décisive, le laisse régner en Kakhétie[79], officiellement par respect envers sa propre dynastie des Bagrations[89]. Cette décision de Rostom est aujourd'hui considérée comme une victoire stratégique de Tiflis : d'un cÎté, Ispahan est contraint d'accepter la nouvelle situation et de reconnaitre le rÚgne de Teïmouraz afin d'éviter son alliance avec les Ottomans[106] - [89] ; d'un autre cÎté, Rostom préfÚre le rÚgne de son cousin chrétien en Kakhétie plutÎt que la création d'un khanat séfévide aux frontiÚres de la capitale géorgienne[107].

TeĂŻmouraz retrouve ainsi sa couronne en KakhĂ©tie et prĂȘte allĂ©geance Ă  l'empire sĂ©fĂ©vide, faisant de Rostom son suzerain officiel. Vers la fin de 1635, il envoie sa fille Tinatine en Perse pour Ă©pouser le chah[80] et Rostom la fait escorter par son ambassadeur Agha MouĂŻn[106].

Complot de 1635

En 1635, Rostom est ùgé de 70 ans et, sans enfant, la question de sa succession inquiÚte la noblesse de Karthli qui craint un retour au chaos ou encore une annexion directe par la Perse[108]. C'est ainsi que le darbazi recommande au roi d'adopter le prince Mamouka d'Iméréthie comme son fils et héritier. Mamouka est un candidat idéal pour une grande partie des Géorgiens : frÚre cadet du roi Alexandre III d'Iméréthie, un général talentueux dans l'armée imÚre, possible gendre de Léon II de Mingrélie, chrétien et sans influence séfévide[109]. Via ses liens de parenté, Mamouka représente un espoir vers la réunification de la Géorgie et son adoption potentielle par Rostom est vue par certains comme une tentative par ce dernier de négocier la paix en Géorgie occidentale et de faire une alliance entre l'Iméréthie et la Karthli[108].

Dessin au crayon d'un homme jouant au polo sur son cheval.
Le prince Mamouka d'Iméréthie.

Mamouka est Ă  AkhaltsikhĂ© dans une mission diplomatique de son frĂšre chez les Ottomans quand il est invitĂ© Ă  Tiflis auprĂšs de la cour royale[110]. Rostom et Mamouka cĂ©lĂšbrent ensemble la naissance d'un possible accord[110]. Toutefois, durant une nuit, des agents tentent d'assassiner le roi et affligent un coup de poignard au palefrenier royal[110]. Quand le complot est rĂ©vĂ©lĂ©, les assassins s'Ă©chappent du palais, sautent dans le Mtkvari et disparaissent dans la nature[110]. Le complot reste secret et le roi ne tente pas d'enquĂȘter sur l'identitĂ© des assassins, ne voulant pas risquer l'alliance avec Mamouka[110]. Le palefrenier, accusĂ© d'avoir tentĂ© de violer un jeune garçon, est banni de la cour[110].

20 jours aprĂšs la tentative d'assassinat, Rostom accepte de placer la faute sur Mamouka[110]. Au lieu de l'arrĂȘter, il lui offre 10 000 martchilis et lui envoie une lettre Ă  sa rĂ©sidence de Somaneti, lisant[109] :

« Je crains que le chah ne te mande à sa cour; tu as ma parole qu'on ne se permettra contre toi aucune violence, tu sais aussi que nous ne pouvons répondre au chah par un refus. Va donc à Akhaltsikhé, tout ce qui se pourra faire je le ferai ici pour toi. »

Mamouka s'enfuit alors à Akhaltsikhé, puis retourne en Iméréthie, mettant fin au projet de réunification[110]. Une version de cette histoire théorise que la tentative d'assassinat est organisée par la Perse, vexée du choix de Mamouka comme héritier de Rostom, tandis que d'autres voient la main de Teïmouraz dans le complot. La suite du prince imÚre, dont la famille princiÚre des Tchkheïdzé, reste en Karthli et s'allie à Nodar Tsitsichvili, un puissant comte qui reste opposé à la Perse[111].

Paix et chaos

Photographie d'un ancien manuscrit
Décret de Rostom réglant un conflit nobiliaire.

Les relations entre Rostom et TeĂŻmouraz sont complexes. Officiellement, la paix rĂšgne entre la Karthli et la KakhĂ©tie, ce qui autorise Rostom Ă  s'accorer avec Zaal d'Aragvi, JessĂ© II de Ksani et Iotam Amilakhvari[106]. Toutefois, TeĂŻmouraz continue ses ambitions d'unifier la GĂ©orgie orientale et tente secrĂštement, avec Zaal et le comte Nodar Tsitsichvili[106], d'assassiner ou de renverser Rostom plusieurs fois entre 1636 et 1642, notamment une fois dans un bain public[80]. En 1636, TeĂŻmouraz envoie une ambassade en Russie pour demander de l'aide militaire au tsar Michel Ier dans une invasion de la Karthli et se dĂ©clare mĂȘme vassal de la Russie en 1639, mais Moscou n'envoie jamais de renforts[106]. Toujours en 1639, TeĂŻmouraz perd l'espoir d'une intervention ottomane quand le TraitĂ© de Qasr-i-Chirin met fin Ă  la guerre ottomano-sĂ©fĂ©vide, tandis que l'ImĂ©rĂ©thie reste trop occupĂ©e par sa guerre contre la MingrĂ©lie pour intervenir[106].

La guerre froide entre Rostom et son ennemi continue pendant plusieurs années, tandis que Rostom utilise ces années de paix pour solidifier son pouvoir. Quand Iotam Amilakhvari et Nodar Tsitsichvili s'affrontent en 1636-1637 pour le contrÎle de Karaleti, le roi intervient et désarme les deux nobles, puis donne Karaleti à Tsitsichvili[60]. Quand Amilakhvari, accompagné de son allié Jessé II de Ksani, se rebelle et rejoint le camp de Teïmouraz, Rostom emprisonne leurs épouses à Gori, avant le retour d'Iotam[60]. Quand Jessé II se réfugie en Perse, des agents de Rostom l'assassinent et le duché de Ksani est offert à Chanché Ier, pacifiant ainsi la région[60].

Dans des circonstances mystĂ©rieuses et possiblement liĂ©es Ă  la guerre ottomano-sĂ©fĂ©vide, Rostom lance une expĂ©dition militaire en 1638 dans le SamtskhĂ©, sous contrĂŽle des Turcs, et retourne Ă  Tiflis avec un butin de 2 000 tomans[81].

RĂ©volte de Nodar Tsitsichvili

Vers la fin de 1639[112], une conspiration contre Rostom par Zaal d'Aragvi, Iotam Amilakhvari, Nodar Tsitsichvili, le prince royal George Gotchachvili[Note 13] et le catholicos EudÚme pour placer Teïmouraz sur le trÎne de Tiflis[81] se transforme en véritable guerre civile quand Tsitsichvili devient le premier à faire appel à une rébellion ouverte contre la couronne. Nodar Tsitsichvili reçoit immédiatement le soutien de nombreux petits nobles et oblige ses vassaux de le suivre aprÚs avoir capturé le village de Khovleti, bastion du parti pro-Rostom dans ses domaines[113]. Nodar se fortifie alors dans la citadelle de Doesi, au nord-ouest de la capitale, en attendant l'arrivée de renforts militaires, avec les frÚres Otia et Bejia Tchkheïdzé[81].

Quand Rostom apprend les nouvelles de la révolte, il nomme Ioram Saakadzé comme chef de son armée et ordonne la fermeture des routes menant vers Doesi[113]. Une conscription est mise en place dans la capitale et le roi instruit le moouravi de Tiflis d'exécuter toute personne refusant l'appel aux armes[113]. Dans la soirée, l'armée se réunit à l'entrée de Mtskheta et à minuit, Ioram Saakadzé rejoint le roi avec des renforts venant des provinces au village de Kavtiskhevi, non loin de Doesi[114]. Dans la nuit, Rostom recapture Khovleti mais refuse de lancer une attaque surprise sur Doesi, disant[114] :

« Les Karthles se mesurent l'un contre l'autre pour prouver qu'ils ont bien agi. C'est aussi pour mon bon droit que je me bats contre mon vassal et si mes prétentions sont fausses, que la victoire soit pour lui. »

Photographie de ruines d'une forteresse sur une colline.
La forteresse de Mdzovreti.

Dans la matinée, Rostom assiÚge Doesi mais Nodar Tsitsichvili parvient néanmoins à s'enfuir et se solidifier dans la citadelle de Veré. Doesi, défendue par le contingent imÚre des frÚres Tchkheïdzé, tombe aprÚs une bataille sanglante[114] durant laquelle ceux-ci sont capturés par Saakadzé[60] et envoyés en Perse[115]. Rostom pardonne ses prisonniers[114] et se dirige vers Veré, mais Nodar Tsitsichvili s'enfuit de nouveau[60]. La forteresse est entiÚrement détruite, le roi capture la femme et les enfants du comte rebelle[116], puis fait base à Tskhireti[60]. Rostom retourne le lendemain à Gori et se tourne contre d'autres nobles : Kaïkhosro Baratachvili, courtier de la reine Mariam, est assassiné et ses fils sont emprisonnés à Gori, Georges Gotchachvili est exilé en Kakhétie et Iotam Amilakhvari, craignant l'armée de Rostom, se réfugie en Iméréthie[115]. Quant à Nodar Tsitsichvili, il se fortifie à Mdzovreti tandis que ses domaines, le Satsitsiano, sont ravagés par le roi[115]. BientÎt, Rostom met siÚge sur Mdzovreti mais aprÚs une semaine sans résultat, le [115], la mÚre de Tsitsichvili obtient du roi un droit de passage sûr vers Akhaltsikhé, en territoire ottoman[Note 14] - [112].

La révolte de Nodar Tsitsichvili de 1639-1640 échoue mais Rostom, distrait par le SiÚge de Mdzovreti, ne voit pas le début d'une invasion par Teïmouraz, celui-ci encouragé par le catholicos EudÚme[60]. Le , Teïmouraz atteint Moukhran[117] et Rostom est obligé de retourner à Gori pour préparer sa défense[60]. Quand une force persane arrive en aide à Rostom, Teïmouraz retourne vers la Kakhétie, tout en perdant de nombreuses troupes aux mains de Vakhtang II de Moukhran[117].

TeĂŻmouraz aux portes de Tiflis

L'Ă©chec de l'invasion de TeĂŻmouraz de ne met pas un terme Ă  la rĂ©bellion. Le 24 dĂ©cembre, Iotam Amilakhvari et Zaal d'Aragvi rĂ©unissent leurs troupes Ă  Akhalgori, prĂ©parant une attaque sur Mtskheta tandis que TeĂŻmouraz attend lui-mĂȘme Ă  SapourtslĂ© avec sa garde[112]. Rostom ordonne une conscription Ă  Tiflis et dĂ©barque Ă  Moukhran dans la soirĂ©e du 24 dĂ©cembre, combinant ses forces Ă  celles de Vakhtang II de Moukhran[118]. Dans la matinĂ©e du 25 dĂ©cembre, durant la messe de NoĂ«l, Rostom et Vakhtang attaquent Akhalgori, obligeant Amailakhvari et Zaal Ă  s'enfuir[119]. Le 26 dĂ©cembre, Rostom libĂšre ses prisonniers et retourne Ă  Gori, oĂč il passe l'hiver[119].

En 1642, un grand complot prĂ©voit la proclamation de Georges Gotchachvili comme usurpateur, l'assassinat de Rostom et le retour final de TeĂŻmouraz par Zaal d'Aragvi, le catholicos EudĂšme, le prince Revaz Baratachvili, et Korkhmaz Beg, mĂ©lik d'ArmĂ©nie[119] - [120]. Alexandre III d'ImĂ©rĂ©thie et KaĂŻkhosro de Gourie soutiennent Ă©galement les conspirateurs[121]. BientĂŽt, TeĂŻmouraz entre en Karthli, passe par Kaspi et arrive aux portes du quartier de Metekhi Ă  Tiflis[120] - [7], attendant le meurtre de Rostom, qui passe alors l'hiver au village de Tskhireti, alors que Gotchachvili se dirige vers Gori[122]. À la derniĂšre minute, Korkhmaz Beg trahit le complot et avertit le roi[120], qui quitte la capitale et se barricade Ă  Gori[122]. TeĂŻmouraz est obligĂ© de retourner en KakhĂ©tie[123] - [120].

IcĂŽne de style orthodoxe d'un homme chauve avec une longue barbe pointue, dont la tĂȘte est couronnĂ©e d'un nimbe, sur fond dorĂ©.
Le catholicos EudĂšme est canonisĂ© par l'Église orthodoxe gĂ©orgienne Ă  la suite de son assassinat.

Le complot de 1642 est largement puni par Rostom. Gotchachvili est aveuglĂ©, le prince Jean SaakadzĂ© s'enfuit en KakhĂ©tie avec Revaz Baratachvili et son frĂšre Zourab est emprisonnĂ©, l'abbĂ© de Largvissi, fils de Zaal, est Ă©galement mis en prison[123]. Le catholicos EudĂšme est d'abord condamnĂ© Ă  une peine de prison mais est dĂ©fenestrĂ© par sa garde musulmane, mettant ainsi fin Ă  l'indĂ©pendance de l'Église orthodoxe gĂ©orgienne[123]. Rostom nomme pour le remplacer Christophe Ordoubegachvili[76]. Le roi ravage les domaines d'Iotam Amilakhvari, brĂ»lant la forteresse de Tskhvilo, et cesse sa campagne qu'aprĂšs avoir reçu l'allĂ©geance du rebelle[60]. D'autres sont aveuglĂ©s[120] ou exĂ©cutĂ©s, tandis que le roi confisque les domaines de nombreux petits nobles[121]. Le nouveau chah persan, Abbas II, fĂ©licite Rostom en lui envoyant une couronne, un bonnet, un sabre d'or, un khalat impĂ©rial et un cheval[123].

Dessin au crayon d'un homme barbu vĂȘtu d'un turban, aux cĂŽtĂ©s d'une femme, sur fond d'une page avec un texte Ă©crit Ă  la main.
TeĂŻmouraz et Khorassan.

Abbas II envoie vers la fin de 1642 une grande armĂ©e pour venir en aide Ă  Rostom, composĂ©e de troupes d'AzerbaĂŻdjan, du Chirvan, du Karabakh et d'Erevan[116] et dirigĂ©e par l'Ă©mir Adam Andronicachvili, neveu de Rostom[123]. Le roi et Andronicachvili marchent ensemble[124] sur la KakhĂ©tie mais souffrent une dĂ©faite lors de la Bataille de Magharo de 1643[76]. Cette dĂ©faite n'endommage toutefois pas la puissance de Rostom et quand les Persans menacent de ravager la KakhĂ©tie, TeĂŻmouraz demande la paix[116] - [124]. À l'ouest, Rostom traverse la chaĂźne de Likhi et annexe les marches frontaliĂšres de l'ImĂ©rĂ©tie pour punir la participation d'Alexandre III dans le complot[121].

L'arrivée d'Adam Andronicachvili et l'échec du complot de 1642 non seulement renforcent Rostom, mais confirment aussi que l'arrivée au trÎne d'Ispahan d'un nouveau chah ne risque pas d'endommager le statut favorable de Rostom auprÚs du gouvernement séfévide. Quand Teïmouraz est vaincu en 1643, Ana Khanoum Tsitsichvili, fille de Nodar et épouse de Zaal d'Aragvi, supplie le roi de pardonner sa famille[123]. Nodar Tsitsichvili retourne d'Akhaltsikhé et est retourné dans ses domaines aprÚs avoir embrassé les pieds du roi[125]. Quant à Zaal d'Aragvi, il est envoyé à Ispahan pour jurer son allégeance au chah qui lui offre non seulement un pardon royal[117], mais aussi des villages en Perse[125].

ConquĂȘte de la KakhĂ©tie

La victoire de 1643 autorise Rostom Ă  mettre un terme aux rĂ©voltes de la grande noblesse de Karthli. Zaal d'Aragvi, Iotam Amilakhvari, Nodar Tsitsichvili et Revaz Baratachvili sont tous pardonnĂ©s et s'allient au roi, isolant TeĂŻmouraz de plus en plus. Quand Zaal retourne en GĂ©orgie en 1645, TeĂŻmouraz confisque ses domaines en KakhĂ©tie et Rostom, au lieu d'attaquer son voisin, confisque les domaines de RoĂŻn Djavakhichvili, le fait aveuglĂ© et offre sa principautĂ© comme compensation Ă  Zaal[126]. ParallĂšlement, Ispahan nomme Adam Andronicachvili comme gouverneur de la KakhĂ©tie en 1644, divisant le royaume[120]. Toutefois, une intervention diplomatique de la Russie empĂȘche la Perse d'autoriser une invasion totale de la KakhĂ©tie[127].

En 1647, le gouvernement séfévide et Rostom sont décidés de se débarrasser de Teïmouraz[76]. Un juge nommé par Andronicachvili condamne Teïmouraz du meurtre de Semaïoun Khan, neveu de Rostom, en 1630[120]. Les deux rois acceptent de négocier via une équipe de 16 médiateurs : deux nobles et deux religieux venant d'Iméréthie, de Mingrélie, de Gourie et d'Akhaltsikhé[126]. Ceux-ci obtiennent un accord de paix de deux ans, ainsi que la remise des villages de Gavazi et de Kisikhevi à Rostom[120]. AprÚs un an de tensions, Teïmouraz reprend possession des deux villages en 1648, donnant à Rostom l'excuse qu'il attendait pour envahir la Kakhétie[76] - [120] - [127].

En Karthli, Rostom, pourtant musulman, prie dans la cathĂ©drale de Svetistskhoveli avant son invasion[128] et rassemble ses troupes avec celles de Vakhtang de Moukhran et de Zaal d'Aragvi[129]. En KakhĂ©tie, TeĂŻmouraz se prĂ©pare en rassemblant son armĂ©e Ă  Tianeti mais une division au sein de sa cour l'empĂȘche d'unifier ses forces et une partie de l'armĂ©e kakhĂ©tienne reste dans la province d'Ertso[130]. Le prince royal David Bagration, dernier fils vivant de TeĂŻmouraz, dĂ©fend le sud du royaume. L'armĂ©e karthlienne lance une invasion de la KakhĂ©tie sur deux fronts : Vakhtang et Zaal avancent sur Tianeti, tandis que Rostom et ses Persans se dirigent vers la position de David[76]. Lors de la Bataille d'Oughlissi, Vakhtang de Moukhran tue par coup de fusil Revaz Tcholoqachvili[131], le Premier ministre de TeĂŻmouraz, ce qui oblige les KakhĂ©tiens de se disperser et donnant une victoire dĂ©cisive aux Karthliens[98]. Les tĂȘtes dĂ©capitĂ©es des KakhĂ©tiens tuĂ©s Ă  Oughlissi sont exposĂ©s dans la cathĂ©drale de Sioni de Tiflis par dĂ©cret royal[132]. ParallĂšlement, Rostom affronte David Bagration lors de la Bataille de Magharo et massacre les troupes kakhĂ©tiennes, tuant David lui-mĂȘme[98]. La tĂȘte de David sera plus tard offerte au chah Abbas II[133].

Dessin au crayon d'un homme aux cheveux longs avec la main dans sa poche.
Le prince David de Kakhétie, tué lors de la Bataille de Magharo.

La double victoire de Rostom Ă  Oughlissi et Magharo marque la victoire finale du roi sur son ancien ennemi. Rostom met alors siĂšge sur la rĂ©sidence de TeĂŻmouraz en KakhĂ©tie intĂ©rieure[131]. Voyant une dĂ©faite dĂ©cisive de ce dernier, la noblesse de KakhĂ©tie prĂȘte son allĂ©geance au roi de Karthli et offre mĂȘme de lui livrer TeĂŻmouraz[120], tandis qu'Isa Khan Bortchalou, khan de LorĂ©, insiste sur son exĂ©cution[98]. Toutefois, quand la reine Khorassan de KakhĂ©tie rencontre Rostom pour lui demander de les Ă©pargner et de les laisser vivre au monastĂšre d'Alaverdi, le roi envoie la requĂȘte Ă  Ispahan[120]. Avant de recevoir une rĂ©ponse, Rostom offre Ă  TeĂŻmouraz, Khorassan et leur suite un passage sĂ»r vers l'ImĂ©rĂ©thie, sous la protection du catholicos Christophe et avec 500 chevaux et mulets et 500 tomans[98] - [120].

Les historiens modernes voient dans la décision de Rostom d'épargner son ennemi aprÚs 16 ans de guerre non pas comme un acte de chevalerie mais comme une épreuve stratégique de la part de Rostom. Selon Nodar Assatiani et Avtandil Tsotskolaouri, l'existence de la menace de Teïmouraz est la premiÚre garantie envers l'autonomie de Rostom et ce dernier craint que sans son ennemi, la Géorgie orientale serait directement annexée par Ispahan[134] - [135]. Ce n'est qu'en Iméréthie que Teïmouraz apprend la mort de son fils David et entre en deuil[131], mais ne parvient pas à convaincre Alexandre III de lancer une invasion de la Karthli, ce dernier craignant Léon Dadiani[133]. En 1653, Teïmouraz envoie une ambassade en Russie pour demander son intervention militaire contre Rostom, mais le tsar Alexis Ier refuse à cause de la Guerre russo-polonaise de 1654-1667[136].

La conquĂȘte de la KakhĂ©tie par Rostom fait de lui « Roi des rois de Karthli et de KakhĂ©tie Â»[135], unifiant les deux royaumes gĂ©orgiens au sein d'une union reconnue par le chah qui lui envoie en cadeau une nouvelle couronne, une Ă©pĂ©e incrustĂ©e de pierres prĂ©cieuses, une cravate, un khalat et un cheval avec un harnais d'or[119]. Rostom offre Ă  Zaal d'Aragvi les provinces d'Ertso, Tianeti et Kherki, faisant de lui de facto gouverneur de KakhĂ©tie, une dĂ©cision applaudie par la noblesse locale[131]. AprĂšs 1648, Rostom Ă©pargne la petite noblesse de KakhĂ©tie et confirme via dĂ©crets royaux les fiefs de nombreux anciens alliĂ©s de TeĂŻmouraz, tel que Paata Lomkatsichvili, seigneur d'Antoki[137].

Diplomatie

Dessin au crayon d'un homme debout portant une couronne et montrant son épée.
Esquisse de Rostom Khan par Don Cristoforo De Castelli.

À travers son rĂšgne, Rostom sert comme un vassal fidĂšle de la Perse, payant un tribut annuel et envoyant rĂ©guliĂšrement des troupes pour participer aux nombreuses campagnes militaires du chah[138]. C'est ainsi qu'en 1648 et en 1651, un contingent gĂ©orgien menĂ© par Zaal d'Aragvi fait partie de l'invasion persane du Kabardino[139]. En 1639, le TraitĂ© de Qasr-i-Chirin ne fait que confirmer la domination de la Perse sur la Karthli[140], tout en attĂ©nuant les projets de rĂ©unification de la GĂ©orgie[141]. Toutefois, Rostom, en tant qu'ancien protecteur du chah SĂ©fi Ier, est donnĂ© une grande autonomie sur les affaires internes du royaume[59]. De plus, la guerre d'Abbas II contre l'empire moghol en 1648-1653 autorise Rostom Ă  devenir encore plus indĂ©pendant[140].

À la suite du traitĂ© de 1639, Rostom se rapproche des pachas ottomans d'AkhaltsikhĂ©, menant Ă  une paix gĂ©nĂ©rale entre Tiflis et les Turcs[142]. Cette stratĂ©gie bĂ©nĂ©ficie de plus Rostom en garantissant que les Ottomans ne viendront pas en aide Ă  TeĂŻmouraz durant la guerre de 1648[143]. La diplomatie agile du roi protĂšge la Karthli malgrĂ© une situation gĂ©opolitique difficile, qui comprend la guerre ottomano-persane de 1623-1639, la guerre russo-persane de 1651-1653 et les tensions ottomano-russes des annĂ©es 1640-1650[59].

En 1640, la Russie met sous sa protection officielle la MingrĂ©lie et l'ImĂ©rĂ©thie, mais n'ose pas faire de mĂȘme avec la Karthli, craignant que des tensions avec la Perse n'endommagent la route commerciale du Daghestan[144]. Il semble toutefois que Rostom ait eu son propre ambassadeur, un certain Mehmed Khan Beg, en Russie en 1652[139] - [145]. Cette ambassade a Ă©tĂ© largement ignorĂ©e par les sources gĂ©orgiennes contemporaines, mais elle reste connue via une description dĂ©taillĂ©e par les officiels russes de la cour d'Alexis Ier[145]. Elle arrive Ă  Terek dans le nord-Caucase en , Ă  Astrakhan le 21 aoĂ»t, le 3 dĂ©cembre Ă  Saratov puis le Ă  Moscou[145]. Un certain Papouna, qui travaille pour le dĂ©chu TeĂŻmouraz, tente Ă  bloquer la route de Mehmed Khan Beg Ă  de nombreuses reprises, mais en vain[146]. L'objectif de l'ambassade de Rostom n'est pas connu mais est vu comme une ouverture directe envers Moscou, soit pour nĂ©gocier une division des sphĂšres d'influence commerciale en Ciscaucasie[139] ou encore pour poser une compĂ©tition Ă  l'influence de TeĂŻmouraz auprĂšs de la cour du tsar. Encore une autre thĂ©orie voit dans cette ambassade une tentative par la Perse de communiquer avec Moscou durant la guerre de 1651-1653 : une ambassade persane avait Ă©tĂ© bannie en 1650 d'Astrakhan et Rostom[147], comme roi gĂ©orgien, sert peut-ĂȘtre d'intermĂ©diaire[148]. L'historien RoĂŻn Metreveli suppose que cette ambassade est non seulement connue par la Perse, elle est planifiĂ©e par Ispahan[148].

En 1652, ArsĂšne Soukhanov, envoyĂ© russe au Moyen-Orient, retourne en Russie et passe par Tiflis[146]. C'est dans la capitale royale que l'une des rencontres les plus mystĂ©rieuses du rĂšgne de Rostom se dĂ©roule. Soukhanov est invitĂ© Ă  un banquet par le catholicos Christophe et l'archevĂȘque de Tiflis, deux proches alliĂ©s du roi[146]. Durant ce dĂźner, selon le rĂ©cit de Soukhanov, le catholicos confie au diplomate russe un message pour le tsar selon lequel Rostom serait prĂȘt Ă  accepter la suzerainetĂ© de la Russie[139] - [149] - [150]. Les deux religieux dĂ©crivent une campagne militaire dans laquelle Rostom fournirait 24 000 soldats de Karthli et 12 000 de KakhĂ©tie pour ouvrir un passage Ă  l'armĂ©e russe au Daghestan[151], Ă  la suite de quoi la Russie envahirait la KakhĂ©tie puis la Karthli[147] - [152]. Le lendemain, Rostom rencontre lui-mĂȘme Soukhanov et discute de l'ambassade de Mehmed Khan Beg[149] et lui offre une escorte jusqu'Ă  Terek[153]. À la suite de son dĂ©part, ArsĂšne Soukhanov est questionnĂ© Ă  Gandja et Chamakhi par des agents persans sur la nature de sa rencontre avec Rostom[149]. Ce n'est que grĂące Ă  l'intervention de Rostom que Soukhanov parvient Ă  retourner en Russie via Chamakhi[153].

Le , Ivan Danilov, un peintre religieux russe qui travaille Ă  la cour de la reine Mariam[145], envoie un message via le marchand armĂ©nien Chechou Ă  Nicolas Tolotchanov, l'ambassadeur russe en ImĂ©rĂ©thie[154], dĂ©crivant des secrets d'État au sujet de Rostom sous sa possession, ainsi que ce qu'il dĂ©crit comme un complot anti-russe par TeĂŻmouraz en ImĂ©rĂ©thie[149] - [155]. En rĂ©alitĂ©, Danilov agit selon les demandes de Rostom lui-mĂȘme et devient le lien secret entre la cour royale et l'ambassade russe Ă  KoutaĂŻssi[149]. L'image venant de ces contacts est une dĂ©montrant un dĂ©sir secret par Rostom d'entrer en contact avec Moscou sans offenser ses suzerains sĂ©fĂ©vides[155].

Carte du Caucase montrant le royaume de Kartl-Kakhétie et indiquant les villes de Tbilissi et Telavi.
Carte du royaume unifié de Karthli et Kakhétie.

La Russie ne répond jamais aux demandes de Rostom[139] mais il est clair que les liens entre Teïmouraz et la Russie disparaissent aprÚs la diplomatie de Rostom[155]. Il est toutefois peu probable que Rostom, aprÚs des décennies de service fidÚle envers la Perse, est choisi de trahir son suzerain au bénéfice d'un empire chrétien. En réalité, selon de nombreux historiens modernes, ces différentes tentatives d'ouvertures par Rostom ne constituent pas un coup diplomatique contre la Perse mais une stratégie calculée et sous la bénédiction d'Abbas II[139] - [149] - [154]. Le fait est que le seul résultat de ces relations est la rupture de l'alliance entre Teïmouraz et la Russie et il est possible que cela ait été la vraie cible de Rostom. Une ambassade en Russie des tribus géorgiennes montagnardes de Kakhétie demandant le retour de Teïmouraz est ainsi refusée, tandis que la visite de Teïmouraz à Moscou en 1658 n'aboutit à rien[154].

L'étendue de l'influence de Rostom en Russie est peu connue. L'historien David Marshall Lang mentionne l'existence d'un espion du roi géorgien à la cour du tsar Alexis[156]. Des cùbles diplomatiques dans les années 1650 parlent d'un réseau d'espionnage créé par Rostom et opérant à travers le Caucase russe[145].

ProblĂšmes de succession

L'absence d'hĂ©ritier de Rostom entretient une crise constante Ă  Tiflis, la noblesse craignant un retour au chaos aprĂšs la mort du roi ĂągĂ©. En 1639, le roi choisit le prince Louarsab Bagration, un petit-fils de Simon Ier, vivant Ă  Ispahan[98] et envoie une requĂȘte officielle Ă  la cour du chah pour l'adopter[115]. Au dĂ©but de 1641, la Perse accepte et Louarsab devient l'hĂ©ritier officiel Ă  la couronne karthlienne[119]. Il Ă©pouse Tamar Andronicachvili, fille de l'Ă©mir Adam, en 1649[75] et est de plus en plus associĂ© au trĂŽne, notamment lors des visites rĂ©gionales du roi[157]. La noblesse gĂ©orgienne a toutefois du mal Ă  accepter un autre prince musulman Ă©levĂ© Ă  Ispahan comme futur monarque[158]. D'autres craignent que le jeune Louarsab, une fois sur le trĂŽne, centralise le royaume encore davantage que Rostom[99]. Une partie de la noblesse organise un complot contre l'hĂ©ritier[99].

En 1652[158], lors d'une chasse dans la forĂȘt de QaraĂŻa, Louarsab est touchĂ© au cou par une balle du fusil du seigneur BaĂŻdour Toumanichvili. Rostom, alors en sĂ©jour dans le nord de la Perse, retourne immĂ©diatement en GĂ©orgie et trouve son fils adoptif sur son lit de mort. La derniĂšre conversation entre les deux hommes est consignĂ©e par Pharsadan GorguidjanidzĂ©[159] :

« Rostom : Qui Ă©tait placĂ© du cĂŽtĂ© d'oĂč tu as reçu le coup de feu ? Sais-tu qui a tirĂ© le coup ?
Louarsab : Si je guéris, je trouverai bien celui qui m'a frappé ; si je succombe, soyez heureux et faites ce qui vous conviendra. »

Louarsab meurt vers minuit dans les bras du roi et son corps est ramené à Tiflis dans une concession menée par Rostom[160]. Un deuil national est déclaré et le couple royal reste auprÚs du corps de Louarsab dans son palais personnel d'Avlabari jusqu'à ses funérailles[160]. Il est finalement enterré à Ardabil dans une cérémonie islamique[160].

À Tiflis, le noble Chioch Baratachvili accuse publiquement Toumanichvili de meurtre et demande un jugement par duel[161]. Dans les coulisses du palais, le combat est vu comme un affrontement entre le parti royal, qui soutient Baratachvili, et l'influente communautĂ© armĂ©nienne de Tiflis, qui soutient Toumanichvili[161]. Des rumeurs disent que les officiels persans de la capitale soutiennent Ă©galement Toumanichvili[161]. Le combat se dĂ©roule devant le palais royal et Toumanichvili en sort victorieux[162]. En Perse, la mort de Louarsab inquiĂšte la cour sĂ©fĂ©vide, qui craint la puissance d'une noblesse chrĂ©tienne avec le pouvoir de tuer l'hĂ©ritier Ă  la couronne sans ramification lĂ©gale[163]. Une crise diplomatique culmine quand l'ambassade karthlienne auprĂšs du chah Abbas II prĂ©dit une rĂ©volte populaire dans le cas d'une enquĂȘte d'Ispahan sur la mort de Louarsab[163].

Photo d'un ancien manuscrit portant des écrits en géorgien et en arabe et décoré de dessins orientaux.
DĂ©cret de Rostom datant de 1657.

AprÚs Louarsab, Rostom envisage l'adoption de Vakhtang Bagration, frÚre de Louarsab, gouverneur de Qazmin et le choix favori de la Perse[96]. L'ambassadeur géorgien Tourman demande au chah la permission d'une nouvelle adoption et à Tiflis, Tamar Andronicachvili, veuve de Louarsab, est considérée comme future épouse du prince[164]. Toutefois, la mÚre de Vakhtang refuse l'adoption, craignant un sort similaire à celui de Louarsab[96]. Au début de 1653, Vakhtang meurt d'une maladie, possiblement empoisonné par des agents de Rostom[27].

Finalement, en 1653, le roi choisit le prince Vakhtang II de Moukhran comme son héritier[96]. Celui-ci, musulman mais élevé en Géorgie et proche de la communauté chrétienne de Karthli, est rapidement accepté par la Perse, qui le nomme Chah Navaz Khan lors d'un séjour à Ispahan[96]. Quand Vakhtang de Moukhran retourne en Géorgie, Rostom lui offre des domaines dans le Savakhtaago[27] et le nomme administrateur du royaume. Le roi, qui a alors 88 ans, laisse son nouvel héritier contrÎler les affaires quotidiennes du royaume[96]. Afin de consolider sa position, Vakhtang organise les mariages de son fils Artchil à la fille de Nodar Tsitsichvili et de sa fille à Zourab Sidamoni, fils de Zaal d'Aragvi[27].

Bouleversement en Mingrélie

À travers le rĂšgne de Rostom, la GĂ©orgie occidentale est en guerre continuelle entre le roi Alexandre III d'ImĂ©rĂ©thie et LĂ©on II de MingrĂ©lie, qui est soutenu directement par la Karthli. En , LĂ©on II capture le prince Mamouka Bagration, le jeune frĂšre d'Alexandre III qui en 1635 Ă©tait considĂ©rĂ© comme hĂ©ritier potentiel de Rostom. Sur les demandes d'Alexandre III, Rostom tente de nĂ©gocier la libĂ©ration de Mamouka quand celui-ci est aveuglĂ© en 1651[165]. Toutefois, LĂ©on Dadiani ne libĂšre jamais Mamouka, au mĂ©contentement de Rostom. Quand le prince de MingrĂ©lie demande en 1653 l'envoi de Pharsadan GorguidjanidzĂ© comme vizir, Rostom refuse[166]. En 1654, Mamouka meurt aprĂšs des annĂ©es de torture et Rostom maudit LĂ©on II avec l'accord de la reine Mariam (elle-mĂȘme sƓur de LĂ©on)[167]. L'aide militaire de Tiflis est interrompue[168].

Lorsqu'en 1657, LĂ©on II meurt, il est remplacĂ© sur le trĂŽne mingrĂ©lien par son neveu, Liparit III Dadiani. Rostom restaure l'alliance militaire et envoie des troupes du Satsitsiano, Saavalichvilo et Sabaratiano pour venir en aide Ă  Liparit III[96]. En , Ă  la Bataille de Bandza, les troupes karthliennes sont vaincues par Alexandre III et Rostom est obligĂ© de racheter la libertĂ© de ses soldats avec de l'or[169]. À la suite de la dĂ©faite de Bandza, Rostom envoie Vakhtang de Moukhran et Zaal d'Aragvi avec une armĂ©e contre l'ImĂ©rĂ©thie, mais des dĂ©saccords entre les deux princes mettent fin Ă  la campagne[170] - [171]. La guerre de 30 ansen GĂ©orgie occidentale aboutit en une victoire de l'ImĂ©rĂ©thie, qui affirme son hĂ©gĂ©monie sur la rĂ©gion[172].

Fin de rĂšgne

En 1653, Rostom tombe gravement malade et la cour royale attend sa mort, comme le montre l'ambassade de Zaal d'Aragvi auprĂšs du chah[173]. Le roi survit cette annĂ©e, mais commence Ă  organiser sa succession. En 1656, il nomme Guivi Amilakhvari, fils d'Iotam, gĂ©nĂ©ral des forces armĂ©es de Karthli et fait de sa famille la plus puissante de GĂ©orgie orientale, donnant aux Amilakhvari le droit de collecter des impĂŽts Ă  travers le royaume[174]. La mĂȘme annĂ©e, la Perse nomme une nouvelle fois Selim Khan comme gouverneur de KakhĂ©tie et Rostom garantit un partage de pouvoir dans la province entre celui-ci et Zaal d'Aragvi[96] - [175]. Quand le prince Nicolas Bagration, petit-fils de TeĂŻmouraz, est envoyĂ© en Russie en 1651-1652, sa suite est attaquĂ©e et massacrĂ©e par des agents de Rostom en Tcherkessie[176].

En 1657, le parti anti-géorgien d'Ispahan profite de la faiblesse du roi pour tenter une invasion de la Karthli[173]. Mohammad Beg, qollar-aghassi de l'armée persane, et le gouverneur de l'Azerbaïdjan lancent des rumeurs sur la mort de Rostom et une révolte supposée des nobles géorgiens contre la Perse, ils amassent des troupes aux frontiÚres géorgiennes[173]. Ce n'est que grùce à un envoyé spécial du chah qu'Ispahan découvre la vérité et oblige Mohammad Beg à retourner en Perse[173].

Le , Rostom Khan meurt à l'ùge de 91 ans au palais royal de Tiflis[177]. Dans la capitale, un conflit de succession se prépare entre Vakhtang et Zaal, tandis que les officiels persans sécurisent rapidement les trésors royaux auprÚs de la reine Mariam[178]. Rostom est enterré dans la capitale religieuse de la Perse, Qom, non loin de la tombe du chah Abbas le Grand[158].

Famille

Photo d'une peinture murale montrant une femme portant des vĂȘtements d'une reine et un jeune enfant.
La reine Mariam et son fils Otia Gourieli.

Rostom Khan est le fils illĂ©gitime de David XI (Daoud Khan), roi de Karthli, et de sa concubine, une servante de Chindissi. Il a un demi-frĂšre, qui devient le roi Bagrat VII en 1615-1619, et une demi-sƓur qui Ă©pouse le prince TeĂŻmouraz Bagration, petit-fils de Louarsab Ier. Rostom Ă©pouse en premiĂšres noces la princesse Tinatine Djaqeli, fille de l'atabeg Manoutchar II de SamtskhĂ©. Le sort de cette femme est inconnu et en 1633, il Ă©pouse Ketevan Abachichvili[5], fille du prince Gordjasp Abachichvili. Les Chroniques gĂ©orgiennes identifient Gordjasp comme un membre de la famille AbachidzĂ©, mais cette thĂ©orie est rĂ©futĂ©e par Cyrille Toumanoff.

Ketevan meurt dĂšs 1633[64] - [179] et Rostom Ă©pouse, entre 1633 et 1635, Mariam Dadiani, sƓur du prince LĂ©on II de MingrĂ©lie et l'Ă©pouse divorcĂ©e de Simon de Gourie. Rostom n'a aucun enfant connu, mais il adopte en 1641 Louarsab Bagration (mort en 1652) puis Vakhtang de Moukhran en 1653. Ce dernier devient le fondateur de la dynastie royale des Bagrations de Moukhran. Il Ă©lĂšve Ă©galement comme son propre fils le jeune Otia Gourieli, enfant du premier mariage de Mariam Dadiani[125]. ÉlevĂ© Ă  la cour royale, Otia est fiancĂ© Ă  la fille de Zaal d'Aragvi mais meurt le , menant Ă  un deuil national de 12 jours[125].

HĂ©raldique

Blason de Rostom (roi de Karthli) Blason
De gueules à un sceptre d'or et une épée d'argent passés en sautoir accompagné, affrontés en pointe, d'un lion couché d'or, les pattes antérieures brochantes sur le pied du sceptre et d'un taureau couché d'argent, une patte brochante sur le pommeau, le tout surmonté d'une ombre d'étoile rayonnante de 8 rais.
DĂ©tails

Culture : entre islam et christianisme

Le rĂšgne de Rostom constitue un rare exemple d'une cohabitation pacifique entre un gouvernement musulman et une population largement chrĂ©tienne au XVIIe siĂšcle. En effet, tandis que le roi est lui-mĂȘme un musulman chi'ite qui reste fidĂšle aux principes de l'islam Ă  travers sa vie, la population de Karthli est majoritairement chrĂ©tienne et dĂ©pend de l'Église orthodoxe gĂ©orgienne. C'est ainsi que Rostom est obligĂ© de se faire bĂ©nir par l'Église avant d'Ă©pouser sa reine chrĂ©tienne Mariam, tandis qu'il signe ses dĂ©crets royaux sous les noms d'Allah et de JĂ©sus-Christ[67]. Sous son rĂšgne, les ChrĂ©tiens ne sont pas persĂ©cutĂ©s, mais les musulmans gagnent une large influence[52], un processus notĂ© par l'historien Nikoloz Berdzenichvili dans le fait que les dirigeants de l'Église doivent ĂȘtre approuvĂ©s par Ispahan[66]. À Tiflis, la polygamie devient acceptĂ©e, la musique persane remplace le folklore local, la littĂ©rature musulmane est largement promue et les habitants doivent porter des vĂȘtements islamiques[180]. Toutefois, malgrĂ© de nombreux efforts par la Perse, aucune mosquĂ©e ou mĂ©dersa n'est construite dans la capitale[181], ce qui n'empĂȘche pas Rostom de financer la construction de sites religieux islamiques dans le sud du royaume[65].

Tandis que Rostom est reconnu comme un vali de la Perse, il ne se retourne pas contre le mouvement national gĂ©orgien, voyant le nationalisme comme Ă©tant une garantie de son autonomie vis-Ă -vis du gouvernement du chah[11]. La reine Mariam devient la protectrice de la culture gĂ©orgienne et de la religion orthodoxe[180], ce qui mĂšne ses contemporains Ă  la surnommer une « seconde Tamar », en l'honneur du monarque Tamar Ire de GĂ©orgie, qui gouverne durant l'Âge d'or de la GĂ©orgie mĂ©diĂ©vale au XIIIe siĂšcle[141]. Sous son Ă©gide, le gouvernement de Rostom fait reconstruire les monastĂšres de Djvari, David Garedja, Alaverdi, Martqophi, Samtavro et BodbĂ©, l'Ă©glise de Metekhi et les cathĂ©drales de Sioni, Ourbnissi et Tsilkani[180]. Les Ă©tablissements orthodoxes deviennent des centres d'Ă©ducation[180] qui Ă©tudient et copient la Bible et les hagiographies[141]. Le Sadedophalo (apanages de la reine) est l'une des principales sources de revenus de l'Église orthodoxe[180]. L'historiographie moderne considĂšre ainsi les annĂ©es 1630-1660 comme Ă©tant la renaissance de la culture orthodoxe en GĂ©orgie, malgrĂ© la domination persane[182]. Le biographe de Rostom raconte de mĂȘme l'organisation d'une grande messe en 1653 par Rostom et Mariam en l'honneur des nobles tuĂ©s durant l'invasion de la KakhĂ©tie de 1648[95].

  • Sur un rocher parsemĂ© d'herbe, un petit monastĂšre Ă  coupole en tuiles rouges et Ă  la façade en briques rougeĂątres, entourĂ© d'un petit clos Ă  droite, surplombe le paysage sous un ciel lĂ©gĂšrement ennuagĂ©.
    MonastĂšre de Djvari.
  • Vue en contre-bas d'un petit monastĂšre composĂ© de bĂątiments disparates (tourelle, constructions en maçonnerie) en pierre de taille au centre desquels domine un clocher surmontĂ© d'une croix.
    MonastĂšre de David Garedja.
  • Depuis un chemin empierraillĂ©, vue d'un grand monastĂšre enceint d'une muraille en pierres de taille encerclant une Ă©glise surmontĂ©e d'une tour cylindrique et coiffĂ©e d'un toit gris, le bĂątiment est placĂ© devant des montagnes bleuĂątres sous un un ciel bleu oĂč apparaissent quelques cumulus blancs.
    MonastĂšre d'Alaverdi.
  • Petit monastĂšre en pierres roses et grises incluent par une tour surmontĂ©e d'une croix, sur la gauche un bĂątiment est Ă©tançonnĂ© par des Ă©chafaudages en bois.
    MonastĂšre de Martqophi
  • MonastĂšre en forme de temple en croix avec arcatures en pierre de couleur sable et surplombĂ© par un clocher surmontĂ© d'une croix orthodoxe.
    MonastĂšre de Samtavro
  • complexe monastique de pierres enduites et aux arcatures rehaussĂ©es d'ornements bleus sur les voĂ»tes et surplombĂ© par un clocher recouvert de zinc Ă©rodĂ© et surmontĂ© d'une croix orthodoxe, photographiĂ© devant sous un ciel bleu foncĂ©.
    MonastÚre de Bodbé
  • Ă©glise en forme de croix au sol bĂątie en grosses pierres de taille roses, grises et sable dont le clocher est surmontĂ© par un croix orthodoxe devant un ciel bleu azur.
    Église de Metekhi
  • cathĂ©drale en forme de croix au sol et en pierres de couleur sable encerclant un clocher surmontĂ© d'une croix orthodoxe, Ă  l'avant-plan un arbre dĂ©pouillĂ© de sa frondaison et deux cĂąbles Ă©lectriques parallĂšles Ă  hauteur de la base du clocher.
    Cathédrale de Sioni
  • cathĂ©drale en plan rectangulaire au sol, de structure basilicale, Ă©difiĂ©e avec des pierres de teinte rosĂątre et dont la nef est flanquĂ©e sur toute sa longueur de deux bĂątiments recouverts de tuiles rouges.
    Cathédrale d'Ourbnissi
  • cathĂ©drale de structure basilicale en pierres roses et grises Ă  toits Ă©tagĂ©s surplombĂ©s d'un clocher dĂ©cagonal.
    Cathédrale de Tsilkani
  • cathĂ©drale en pierres de taille roses et sable Ă  Ă©tages, surplombĂ©e par un clocher coiffĂ© d'un toit de teinte mauve surmontĂ© d'une croix orthodoxe. À l'arriĂšre-plan, des montagnes boisĂ©es et Ă  l'avant-plan Ă  droite deux mĂąts ornĂ©s du drapeau gĂ©orgien (croix rouge sur fond blanc).
    Cathédrale de Svetitskhoveli

La reconstruction de la cathĂ©drale de Svetitskhoveli aprĂšs l'effondrement de sa coupole en 1653[59] est accompagnĂ©e du retour au statut financier privilĂ©giĂ© des grandes Ă©glises du pays : elles retrouvent le droit de prĂ©lever des impĂŽts dans les villages[180] et la famille royale donne Ă  de nombreuses reprises le droit d'imposition sur certaines familles aux siĂšges du catholicossat, comme l'atteste l'« offrande » en 1645 de la famille noble Rousichvili de Rouissi par Rostom[183]. À la suite de l'exĂ©cution du catholicos EudĂšme en 1642, ce n'est qu'aprĂšs une Ă©lection et de nombreuses consultations avec les chefs religieux[184] que Rostom nomme Christophe OrdoubeguidzĂ©-Amilakhvari, un technocrate au sein de l'Église[185], comme nouveau catholicos. C'est ce mĂȘme Christophe qui, en 1652, lors de sa rencontre avec l'Ă©missaire russe ArsĂšne Soukhanov, parle de la tolĂ©rance de Rostom envers les orthodoxes[149]. Quand le pacha Rostom Djaqeli d'AkhaltsikhĂ© commence Ă  persĂ©cuter les chrĂ©tiens de SamtskhĂ© aprĂšs son arrivĂ©e au pouvoir en 1648, ceux-ci se rĂ©fugient avec de nombreux trĂ©sors en Karthli[186].

Ce mĂ©lange de coutumes islamiques et chrĂ©tiennes est constatĂ© aprĂšs les morts des princes Otia (1645) et Louarsab (1652). Quand Otia meurt, ses biens sont envoyĂ©s au MonastĂšre de la Croix de JĂ©rusalem, le village de Darbazi (aujourd'hui en ArmĂ©nie) est offert Ă  la cathĂ©drale de Svetistskhoveli, oĂč le jeune prince est enterrĂ© lors d'une cĂ©rĂ©monie organisĂ©e par le catholicos, tandis que la reine Mariam, en deuil, est transportĂ©e de Mtskheta Ă  Tiflis dans un cercueil, selon la tradition persane[187]. Quand Louarsab, l'hĂ©ritier Ă  la couronne de Rostom, meurt dans un possible accident de chasse, toutes les Ă©glises du royaume organisent des messes, les mollahs de Tiflis proclament le takbir constamment pendant 24 heures et les soldats persans proclament un deuil officiel[160]. Un dĂ©cret royal durant la pĂ©riode de deuil demande Ă  chaque religion de prier pour Louarsab selon leurs croyances[160].

Photo d'un mémorial avec une cathédrale dans le fond.
Le Panthéon Khojivank de Tbilissi.

Quand Rostom arrive au pouvoir en 1633, l'Ordre catholique des ThĂ©atins opĂšre une large mission Ă  Gori. Pietro Avitabile, prĂ©fet de la mission depuis 1628[188], parle de Rostom dans ses lettres au pape Urbain VIII comme un dirigeant tolĂ©rant qui ne montre aucune hostilitĂ© contre les catholiques et qui participe mĂȘme Ă  une messe catholique Ă  Gori peu de temps aprĂšs son ascension[189]. Toutefois, la domination politique des musulmans inquiĂšte les ThĂ©atins et durant les nĂ©gociations entre Rostom et la MingrĂ©lie avant son mariage avec Mariam Dadiani, les catholiques quittent Gori et Ă©tablissent des nouvelles missions en GĂ©orgie occidentale, considĂ©rĂ©e comme plus acceptante envers l'Église catholique[80] - [189]. Cela ne met pas un terme aux relations de Rostom avec l'Ordre et durant son rĂšgne, 27 jeunes GĂ©orgiens sont envoyĂ©s Ă  Rome pour y Ă©tudier dans le cadre d'un programme crĂ©Ă© par le Saint-SiĂšge[190].

Avec une grande partie de l'ArmĂ©nie au sein du royaume de Karthli, Rostom entretient aussi de proches relations avec l'Église apostolique armĂ©nienne. Il offre le village de Nakhidouri, en ArmĂ©nie gĂ©orgienne, au Saint-SiĂšge d'Etchmiadzin[191] et fait construire le PanthĂ©on Khojivank de Tbilissi en l'honneur de son trĂ©sorier Aslan Meliq-Bebout[192]. Des annĂ©es aprĂšs la mort de Rostom, en 1667, le catholicos armĂ©nien Jacob IV de Djoulfa parle du roi dĂ©funt comme l'un des plus grands mĂ©cĂšnes de l'Église armĂ©nienne[191].

Dessin de deux hommes vĂȘtus de costumes traditionnels gĂ©orgiens, dont un fumant une cigarette, et une femme dans le fond.
Kintos.

Malgré la large influence des conservateurs chrétiens et islamiques à Tiflis, le rÚgne de Rostom coïncide avec l'apparition de la communauté des Kintos, un groupe d'artistes et marchands homosexuels qui opÚrent probablement sous la protection du roi[193].

Économie sous Rostom

Rostom hĂ©rite d'une Ă©conomie dĂ©truite par des dĂ©cennies de guerres, de chaos et d'invasions durant lesquelles la base agricole de la Karthli disparaĂźt et les terres arables sont remplacĂ©es par de grandes forĂȘts[59]. La paix relative de son rĂšgne est accompagnĂ©e de nombreuses rĂ©formes Ă©conomiques et de reconstruction pour retourner au statut ante bellum de la Karthli[52]. Il fait ainsi construire de nombreux ponts, des routes pour connecter la capitale aux rĂ©gions et des caravansĂ©rails et bazars pour encourager l'arrivĂ©e des marchands Ă©trangers[52]. Rostom utilise son statut comme darugha d'Ispahan pour encourager un commerce prospĂšre entre Tiflis et la Perse[194] et en 1639, il organise une rĂ©forme profonde pour combattre la corruption douaniĂšre et abolir l'imposition sur les marchands gĂ©orgiens[92]. Rostom fait Ă©galement reconstruire de nombreuses villes dĂ©truites et vidĂ©es par le chaos qui le prĂ©cĂšde[52], notamment Gori, qu'il traite comme une seconde capitale[195].

Sous Rostom, l'agriculture retrouve son ancienne puissance[5] et l'Ă©conomie dĂ©veloppe des secteurs artisanaux et marchands[52]. Avec le retour de la paix, de nombreuses familles rĂ©fugiĂ©es en campagne retournent dans les villes[52] et la population de Tiflis grandit jusqu'Ă  20 000 habitants Ă  la fin du rĂšgne de Rostom[85]. Dans le nord de la Karthli, des tribus ossĂštes utilisent la nouvelle stabilitĂ© pour fonder des colonies[196]. La prospĂ©ritĂ© de son rĂšgne[5] marque le dĂ©but d'une stabilitĂ© et renaissance Ă©conomique de la GĂ©orgie orientale qui perdure jusqu'aux annĂ©es 1720[194] et reprĂ©sente un contraste saisissant avec l'effondrement de l'Ă©conomie en GĂ©orgie occidentale[197]. Cette prospĂ©ritĂ© n'existe toutefois qu'en Karthli sous Rostom ; la KakhĂ©tie devant faire face Ă  des guerres dĂ©vastatrices jusqu'en 1648, suivies par l'arrivĂ©e de tribus daghestanaises dans le nord du royaume, qui ravagent la rĂ©gion malgrĂ© les efforts diplomatiques de Rostom[198] - [199]. Sous son rĂšgne, la chasse devient un sport de loisir non seulement pour la famille royale, mais aussi pour la petite noblesse[200].

Dessin au crayon d'une ville entre plusieurs montagnes.
Tbilissi aprĂšs la mort de Rostom. Sketch de Jean Chardin.

Les Chroniques gĂ©orgiennes offrent une image plus sombre de la situation socio-Ă©conomique sous le rĂšgne de Rostom. Selon le rĂ©cit rĂ©digĂ© un siĂšcle aprĂšs sa mort, la capture annuelle d'esclaves parmi la jeunesse gĂ©orgienne par les autoritĂ©s persanes autorise la crĂ©ation d'un marchĂ© noir d'esclaves, les nobles achetant des orphelins et des veuves pour remplacer les membres de leurs familles capturĂ©s[76]. En 1652, quand l'envoyĂ© russe ArsĂšne Soukhanov rencontre le catholicos Christophe II, ce dernier est surpris quand il apprend que le tsar russe n'a pas d'intĂ©rĂȘt dans la capture d'esclaves gĂ©orgiens dans le cas oĂč Rostom accepterait la suzerainetĂ© russe[152]. Dans les annĂ©es 1640, les conflits frontaliers entre les grands duchĂ©s du nord de la Karthli (Aragvi, Ksani et Samilakharo) ravagent les vallĂ©es anciennement prospĂšres de la rĂ©gion[76]. De plus, la vieillesse du roi mĂšne la petite noblesse Ă  se disputer pour le contrĂŽle des domaines royaux[76]. Selon les Chroniques, cette situation engendre une montĂ©e considĂ©rable de la criminalitĂ©[76].

Rostom Khan autorise la classe des aznaouris (petits nobles) Ă  mettre fin aux droits fonciers des paysans, marquant un retour vers la servitude mĂ©diĂ©vale, ce que l'historiographie soviĂ©tique dĂ©crit comme la crĂ©ation d'une classe d'« esclaves de la terre Â»[201].

La classe marchande de Tiflis et de Gori devient la fondation du soutien populaire envers Rostom, un fait qui peut ĂȘtre expliquĂ© dans la prominence de la communautĂ© armĂ©nienne parmi les marchands de ces villes et la position gĂ©nĂ©ralement pro-persane de celle-ci[201]. L'historien Nikoloz Berdzenichvili note que c'est justement cette classe de marchands armĂ©niens qui finance les nombreuses guerres de Rostom[201]. En Ă©change, le roi leur offre un certain degrĂ© d'autonomie en crĂ©ant un systĂšme de gouvernement local pour les ArmĂ©niens[201].

Hommages

Photographie d'un monument avec des lettres géorgiennes.
Rostom est commémoré dans la Chronique de Géorgie en tant que roi géorgien inhumé hors des frontiÚres du pays.

Rostom Khan laisse un hĂ©ritage complexe au sein de l'historiographie gĂ©orgienne, comme le dĂ©crit l'historien Gotcha SaĂŻtidze qui parle de lui comme l'une des personnes « les plus intĂ©ressantes de l'histoire gĂ©orgienne Â»[10]. Il est reconnu pour sa tolĂ©rance et sa stratĂ©gie diplomatique qui ont aidĂ© la GĂ©orgie Ă  se dĂ©velopper aprĂšs une longue pĂ©riode sombre de son histoire[5]. Ses contemporains, malgrĂ© les nombreuses rĂ©voltes qui marquent la premiĂšre partie de son rĂšgne, voient en lui un homme qui respecte la culture gĂ©orgienne malgrĂ© son Ă©ducation en Perse[5]. David Marshall Lang mentionne Rostom comme l'un des rares monarques gĂ©orgiens qui prĂ©fĂšre la diplomatie et la stabilitĂ© Ă  l'« ardeur galante mais douloureuse Â» de ses prĂ©dĂ©cesseurs[202].

Nodar Assatiani dĂ©crit Rostom comme « intelligent, astucieux et fort, mais aussi mĂ©chant et intrigant Â»[2]. Nikoloz Berdzenichvili adopte une position largement opposĂ©e Ă  l'hĂ©ritage de Rostom, le nommant un « renĂ©gat Â»[65] et un « traĂźtre Â»[203] et l'accusant d'avoir perdu l'indĂ©pendance de la GĂ©orgie pour le confort de la largesse financiĂšre persane[18]. De nombreux historiens voient en Rostom, non pas un roi gĂ©orgien, mais un simple gouverneur persan qui suit les Ă©dits d'Ispahan.

Une autre version considĂšre dans le combat entre Rostom et TeĂŻmouraz non pas une bataille entre nationalisme et Perse, mais plutĂŽt entre deux versions de « GĂ©orgianitĂ© Â» suivant deux principes diffĂ©rents[53]. RoĂŻn Metreveli Ă©crit ainsi que[135] :

« Rostom a été victorieux précisément en ce qu'il n'a pas déclaré une guerre impossible à gagner contre la Géorgianité. Le rÚgne de Rostom n'a pas interféré avec la configuration sociétale et économique géorgienne. »

Le voyageur français Jean Chardin, qui visite la GĂ©orgie quelques annĂ©es aprĂšs la mort de Rostom, mentionne le roi comme celui qui « rĂ©tablit la paix et l'ordre grĂące Ă  une gouvernance par la clĂ©mence et la justice Â»[202]. Pharsadan GorguidjanidzĂ©, Ă©levĂ© Ă  la cour de Rostom et le principal conseiller diplomatique du roi, lui dĂ©die une grande Histoire de la GĂ©orgie en 1695[204]. Rostom est commĂ©morĂ© dans la Chronique de GĂ©orgie, un monument Ă©rigĂ© Ă  Tbilissi en 1985 par le sculpteur soviĂ©tique Zourab Tsereteli, en tant que roi gĂ©orgien inhumĂ© hors des frontiĂšres du pays.

Annexe

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

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Notes et références

Notes

  1. Les relations entre la Perse séfévide et le royaume de Karthli datent de 1516, lorsque le roi David X signe un pacte militaire avec Ispahan. DÚs lors, les chahs persans maintiennent une politique impérialiste envers la Transcaucasie, tentant de soumettre les royaumes géorgiens, tandis que la Géorgie sombre dans un chaos civil et un affrontement entre rois chrétiens opposés à l'influence persane et princes islamisés. Tout au long du XVIe siÚcle la Karthli doit faire face à de nombreuses invasions séfévides et la Paix d'Amasya de 1555 confirme la domination persane sur la Géorgie orientale.
  2. L'historienne Marie-Félicité Brosset identifie le nom de Badadeh Beg avec le nom géorgien de Paata.
  3. Georges est le frĂšre du duc Zourab d'Aragvi.
  4. Les Chroniques gĂ©orgiennes dĂ©crivent le Ksani comme une « riviĂšre de sang Â» Ă  la suite de la bataille.
  5. L'implication de Mouhhibb Ali Bek dans cette lutte n'est confirmée que des années plus tard lors de son procÚs pour corruption.
  6. C'est justement la Mingrélie qui formera une alliance politique avec Rostom quelque temps aprÚs son arrivée au pouvoir.
  7. TeĂŻmouraz Ier est considĂ©rĂ© par une grande partie soutenant l'unification de la GĂ©orgie comme le monarque lĂ©gitime des trois couronnes du pays, en tant qu'Ă©poux de la reine Khorassan Bagration, elle-mĂȘme l'aĂźnĂ©e des descendants du dernier roi de la GĂ©orgie unie Alexandre II.
  8. Le mot mdivani (მდივანი), qui vient de Perse, signifie aujourd'hui « secrĂ©taire Â» en gĂ©orgien.
  9. En 2020, le gouvernement gĂ©orgien a annoncĂ© la reconstruction d'Akhalkalaki, dĂ©sormais surnommĂ© la « Ville de Rostom Â». À ne pas confondre avec la ville d'Akhalkalaki, au sud du pays.
  10. Ce palais sera détruit lors de la Bataille de Krtsanissi en 1795. Une façade existe toujours aujourd'hui.
  11. Chanché Kvenipneveli est alors marié à la petite-niÚce de Rostom.
  12. Teïmouraz retourne en Kakhétie en passant par la Ciscaucasie.
  13. La famille des Gotchachvili est une branche cadette des Bagrations de Karthlie.
  14. Une coutume géorgienne oblige un attaquant d'accepter les demandes faites par la mÚre ou la femme d'un assiégé.

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