Allahu akbar
Allahu akbar ou Allahou akbar (arabe : ٱللَّٰهُ أَكْبَرُ, Allāhu ʾakbar), parfois transcrite « Allah akbar », est une expression arabe, utilisée dans l'islam, qui signifie « Allah (Dieu) est [le] plus grand ».
Cette formule s'appelle takbir (arabe : تَكْبِير, takbīr), masdar (nom verbal) signifiant magnification[1], ou encore amplification, accroissement, augmentation et qui, dans le contexte de la formule Allahu akbar, prend le sens de proclamation de la grandeur [de Dieu][2].
Construction grammaticale
Dans la grammaire arabe, le mot « Allah », comme tous les substantifs, se décline et se prononce donc différemment selon sa fonction dans la phrase (notion de ʼiʻrāb). Ici, « Allah » étant sujet de la phrase Allah est plus grand, il prend donc la flexion du nominatif, qui se marque par l'ajout de la voyelle brève « u » (prononcée ou) à la fin du mot. Il est donc préférable de transcrire l'expression par « Allahu akbar »[3] ou « Allahou akbar » (graphies qui correspondent à ce qu'on entend). Dans les textes dits vocalisés (c'est-à-dire qui notent les voyelles brèves), la voyelle se transcrit par le signe ḍammah (ﹹ) sur la dernière lettre du mot.
L'expression est souvent mal traduite par « Dieu est grand », qui se dit en arabe « Allahu kabîr » (ٱللَّٰهُ كَبِير, ʾAllāhu kabīr). Mais ici, akbar est la forme élative de l'adjectif kabîr, qui peut être traduite par « plus grand » (comparatif) ou « le plus grand » (superlatif) selon le contexte. On obtient donc « Dieu est plus grand » ou « Dieu est le plus grand », le verbe « être » étant, lui, sous-entendu.
Origine et signification
L'expression en elle-même ne figure pas dans le Coran, mais elle y trouve son origine, dans une expression tirée du verset 111 de la 17e sourate : كَبِّرْهُ تَكْبِيرًا, kabbir-hu takbīran, « proclame sa grandeur » (c'est-à-dire la grandeur de Dieu)[4] - [5].
Dominique Urvoy relève que pour le croyant qui prononce Allahu akbar, la formule ne signifie pas seulement que Dieu « est le plus grand » mais bien que Lui seul est grand[6].
Le sens du takbir diffère dans l'Islam chiite et dans le sunnisme. Le sunnisme insinue par cette expression « Allah est plus Grand que tout » ou simplement « Allah est Le plus Grand », impliquant une supériorité absolue mais comparative à la Création. Dans le chiisme, la seule traduction acceptable mais incomplète serait « Allah est plus Grand », insinuant « Allah est plus Grand que toute description »[7], puisqu'Allah est considéré comme étant indescriptible par l'intellect humain. Le concept d'Allah étant différent dans les deux branches, le sens du takbir qui en découle diffère aussi.
Utilisations
Le takbir (à savoir l'action de dire « Allahu akbar ») est employé par les musulmans dans de nombreuses circonstances.
Il est ainsi récité à deux reprises lors des appels à la prière (adhan et iqama). Puis, au cours des cinq prières quotidiennes et des prières non obligatoires, il introduit chaque unité de prière (rak'ah) ; dans ce contexte, il est appelé takbirat al-ihram (تَكْبِيرَة ٱلْإِحْرَام, takbīrat al-iḥrām), car il permet à l'orant d'entrer en état de sacralisation (ihram)[8] - [9] - [10] - [11] - [12]. Lors de ce takbirat al-ihram, l'orant se tient debout et « lève ses mains jusqu'aux racines des oreilles ou jusqu'à la hauteur des épaules, les doigts entr'ouverts ou fermés, légèrement tournés vers le ciel »[12]. Le takbir est ensuite prononcé presque à chaque changement de position dans la prière, mais les savants musulmans ne s'accordent ni sur le fait que cette répétition soit obligatoire, ni sur la nécessité de lever les mains à chaque fois[12].
Cette phrase peut également exprimer la joie et la louange, ou au contraire l'inquiétude dans les situations de détresse. Elle sert encore à souligner les « miracles » ou la grandeur de Dieu face aux bienfaits tirés de la nature, ainsi que la soumission de tous les hommes aux lois naturelles. Elle a aussi été utilisée dans le cadre de mouvements de contestation sociale et politique, comme pendant la révolution iranienne, le printemps arabe, ou le mouvement vert[13]. Enfin, elle peut également servir de cri de guerre ou de cri de victoire[14]. Selon certains auteurs, elle était déjà un « slogan de guerre » du temps de Mahomet, qui l’aurait lui-même utilisée lors de la bataille de Badr, en 624[15]. Ainsi, comme le note Pierre Lory, la formule est reprise par les musulmans radicaux — partisans d'une imitation stricte du prophète Mohammed, « y compris dans sa dimension de chef de guerre, auteur d’expéditions militaires, de prise d’otages ou d’exécution de prisonniers » — lorsqu'ils commettent des actes de violence, et plus particulièrement des attentats islamistes[15].
Des chercheurs de l'université Ferdowsi de Machhad en Iran ont identifié neuf circonstances concrètes dans lesquelles elle peut être utilisée dans les sociétés musulmanes contemporaines[14] : pour manifester une opposition publique, pour exprimer sa colère ou sa haine, pour appeler à la vengeance, pour montrer sa joie et sa gratitude, pour déclarer son approbation et son soutien, pour afficher sa perplexité, pour célébrer une réussite ou un succès, pour stimuler sa propre exaltation et intimider de l'ennemi, et enfin pour se redonner le moral à soi-même et à ses soutiens.
La princesse saoudienne Ameera al-Taweel, s'exprimant en à l'Arab Media Forum (en), a tenté de rappeler le « vrai sens » de cette phrase, trop souvent associée selon elle au terrorisme islamiste[16]. Le journaliste Wajahat Ali en a fait autant dans un éditorial publié par le New York Times en [17] - [18].
La phrase est inscrite sur un certain nombre de drapeaux musulmans, armoiries et insignes militaires :
- Drapeau de l'Iran : le takbir y est inscrit en style kufi à 22 reprises, sur les bords supérieur et inférieur de la bande blanche.
- Drapeau de l'Organisation de la conférence islamique de 1981 à 2011 : le takbir y est inscrit dans un croissant islamique rouge (Allah dessous, akbar au-dessus).
- Drapeau de la résistance à l'Empire britannique au Waziristan dans les années 1930[19], et de l'émirat proclamé en 2006[20]. Le takbir y est inscrit seul.
- Armoiries du Somaliland : le takbir y est inscrit sur le torse de l'aigle, d'après l'article 7 de la constitution de 2001[23].
- Insigne de la Brigade des commandos de l'Armée nationale afghane : le takbir y est inscrit au-dessus de l'épée.
- Insigne du 5e régiment de tirailleurs algériens : le takbir y est inscrit sur un livre.
Allahu Akbar était également le titre de l'hymne national de l'ancienne Jamahiriya arabe libyenne, le régime de Mouammar Kadhafi.
La phrase est si courante en arabe que le système Unicode a prévu un caractère unique (ligature) pour représenter le mot akbar : ﷳ (U+FDF3).
Notes et références
- Denis Gril, « Prière et invocation dans le Coran », dans Gilles Dorival (dir.) et Didier Pralon (dir.), Prières méditerranéennes hier et aujourd'hui (actes du colloque organisé par le Centre Paul-Albert Février à Aix-en-Provence les et ), Aix-en-Provence, Publications de l'Université de Provence, coll. « Textes et documents de la Méditerranée antique et médiévale » (no 1), , 340 p. (ISBN 2-85399-458-9), p. 286.
- (fr + ar) Daniel Reig, Dictionnaire Arabe-Français : Français-Arabe, Paris, Larousse, , 1448 p. (ISBN 978-2-03-451336-7), entrée no 4481.
- Amel Chettouf, « Faut-il écrire «Allah akbar» ou «Allahou akbar» ? », Libération, .
- Denise Masson, Monothéisme coranique et monothéisme biblique : Doctrines comparées, Paris, Desclée De Brouwer, , 2e éd., 821 p. (ISBN 2-220-02046-0), p. 61.
- Michel Choumet, « Interrogeons le Coran à propos de la prière rituelle « Aṣ-Ṣalāt » », Revue des études islamiques, no 54 « Mélanges offerts au professeur Dominique Sourdel », , p. 79–84 (84) (ISBN 2-7053-0376-6).
- Dominique Urvoy, Histoire de la pensée arabe et islamique, Paris, Seuil, , 534 p. (ISBN 978-2-02-049041-2), p. 44.
- (en + ar) Shaykh as-Saduq (trad. Maulana Sayyid Ali Raza Rizvi), Kitab al-Tawheed, Pakistan, , 504 p., p. 343.
- Roger Arnaldez, L'Islam, Paris/Ottawa, Desclée et Novalis, coll. « L'Horizon du croyant » (no 4), , 206 p. (ISBN 2-89088-361-2 et 2-7189-0379-1), p. 21 [lire en ligne].
- Michel Meslin (dir.), Quand les hommes parlent aux dieux : Histoire de la prière dans les civilisations, Paris, Bayard, , 855 p. (ISBN 2-227-47125-5).
- Julien Ries (trad. de l'italien), Les Chemins du sacré dans l'histoire [« Il Sacro nella storia religiosa dell' umanità »], Paris, Aubier, coll. « Présence et pensée » (no 9), , 277 p. (ISBN 2-7007-0391-X), p. 206.
- Maurice Gaudefroy-Demombynes, Les Institutions musulmanes, Paris, Flammarion, , 2e éd., 236 p., p. 73 [lire en ligne].
- Joseph Chelhod, « Les attitudes et les gestes de la prière rituelle dans l'Islam », Revue de l'histoire des religions, vol. 156, no 2, , p. 171 (DOI 10.3406/rhr.1959.8967).
- Ghazanfari, Attaran et Zabetipour 2019.
- (en) Mohammad Ghazanfari, Atena Attaran et Mohammad Zabetipour, « Contemporary Sociopolitical Functions of the “Allahu Akbar” Ritual Speech Act in Today’s Muslim Communities : A Focus on the Iranian Society », International Journal of Society, Culture & Language, vol. 7, no 2, été-automne 2019, p. 94–106 (lire en ligne).
- Anne-Bénédicte Hoffner, « Allah akbar », à la fois appel à la prière et cri de guerre », La Croix, (consulté le ).
- (en) Rachel Middleton, « 'Allahu Akbar' phrase hijacked by extremists and associated with terrorist acts says Saudi Princess », sur ibtimes.co.uk, .
- (en) Wajahat Ali, « I Want ‘Allahu Akbar’ Back », The New York Times, .
- (en) Adam Hodges, « Reclaiming ‘Allahu Akbar’ from Semantic Pejoration », Anthropology News, vol. 59, no 4, , e267-e272 (DOI 10.1111/AN.934).
- (en) « Waziristan (Pakistan) », sur Flags of the World.
- (en) James B. Minahan, Encyclopedia of Stateless Nations : Ethnic and National Groups around the World, Greenwood, , 2e éd., 568 p. (ISBN 978-1-61069-953-2), p. 459–460.
- Minahan 2016, p. 329–330.
- (en) « Pakhtunistan (Pakistan) », sur Flags of the World.
- (en) Mario I. Aguilar, « The Constitution of Somaliland : The Problem of Constitutional Generations and Clan Dissolution », Sociology Mind, vol. 5, no 4, , p. 245–254 (DOI 10.4236/sm.2015.54022).