L'Idéologie française
L'Idéologie française est un livre de Bernard-Henri Lévy paru aux éditions Grasset le .
Langue | |
---|---|
Auteur | |
Genre |
Dans cet essai, Bernard-Henri Lévy se propose de rechercher les sources philosophiques qui alimentent en France les discours de la droite et de la gauche radicales, d'étudier quelles sont les stratégies à l’œuvre dans ces discours, en quoi elles se différencient, mais en quoi aussi elles se rejoignent pour produire un fascisme spécifique à la France et profondément ancré dans son tissu social — fascisme qui peut se révéler « abject » comme sous le régime de Vichy, mais qui peut également prendre un « visage humain », inoffensif, sympathique, quitte à se révéler aussi « abject », pour peu que les circonstances s'y prêtent — et d’essayer d’entrevoir quelles leçons en tirer.
Bénéficiant d'un écho médiatique important en France lors de sa parution, l'ouvrage a été fortement critiqué en raison de ses distorsions avec la réalité historique et de son ton grandiloquent.
Contexte
L’Idéologie française paraît en , à la fin du septennat de Valéry Giscard d’Estaing. Le Parti communiste français rassemble alors près de 20 % de l’électorat, tandis que le Front national n’est qu'un groupuscule qui compte moins de 300 adhérents.
En mai 1980, le ministre de l’Intérieur, Christian Bonnet, observe que les étudiants étrangers portent « la vérole » dans les universités françaises[1]. En octobre de la même année, le secrétaire d’État aux Travailleurs immigrés, Lionel Stoléru, déclare à propos de ces mêmes travailleurs immigrés : « S’ils désirent rentrer chez eux, nous ne les retiendrons pas[2]. »
Toujours en octobre 1980, un attentat à l’explosif, dirigé contre la synagogue de la rue Copernic à Paris, fait quatre morts et 20 blessés. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on n’avait plus connu en France un acte antisémite aussi violent. À cette occasion, le Premier ministre, Raymond Barre, déplore « un attentat odieux qui voulait frapper les Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue[3]. » La campagne présidentielle vient de débuter et Jean-Pierre Chevènement dénonce dans Le Monde la « véritable osmose [qui] s'est créée entre une partie du personnel dirigeant giscardien et l'extrême droite… » Le commissaire de police Jean-Pierre Pochon décrit dans son livre[4] les pressions exercées par le nouveau pouvoir politique socialiste pour diriger l'enquête vers les milieux d'extrême droite au détriment de la piste moyen-orientale.
Sur le plan historiographique, l'historien israélien Zeev Sternhell avait soutenu en 1969 à la Fondation nationale des sciences politiques de Paris (FNSP), sous la direction de Jean Touchard, une thèse sur « Barrès et le nationalisme français ». Publiée en 1972 avec une préface de Raoul Girardet, cette thèse sera prolongée par deux livres : La Droite révolutionnaire (1978) et Ni droite ni gauche : l'idéologie fasciste en France (1983).
Contenu
Les leçons du temps : Hegel, Bergson, Heidegger
Le tournant des années 1980, c’est aussi l’époque où l’étude de la pensée de Martin Heidegger commence à s’imposer largement dans les universités françaises, en même temps que se répandent les mises en garde contre Heidegger. Elles culmineront en 2007 avec la publication de l’ouvrage d’Emmanuel Faye : Heidegger, l'introduction du nazisme dans la philosophie.
La thèse qui associe l’espace à la paralysie et à la mort, et le temps au progrès et à la vie, ne date pas que des années 1960. C’est Henri Bergson qui formula cette thèse en 1888 dans son Essai sur les données immédiates de la conscience, et qui la développa considérablement ensuite. Elle constitue la dynamique de sa pensée. Elle impliquait déjà, alors, la remise en cause de la philosophie allemande, assise tout entière sur « l’erreur de Kant », selon Bergson, c’est-à-dire « confondre le temps avec l’espace »[5]. Autrement dit, confondre la vie avec la mort.
Bernard-Henri Lévy constate que le combat vital contre la philosophie allemande, la dénonciation de ses erreurs, la mise en jeu de sa responsabilité dans les crimes les plus abominables, constituent un thème récurrent dans la philosophie française depuis au moins un siècle, que Bergson y joue un rôle central, et que ce thème la traverse et l’agite sans qu'elle songe à mettre en jeu sa propre responsabilité dans les crimes qu'elle dénonce aussi hautement. Lévy en fait la thèse principale de L’Idéologie française.
La faute-à-l’Allemagne
L’habitude, si rassurante, d’attribuer à l’Allemagne « l’origine de nos plus coupables tentations », selon Lévy[6], dote la pensée française d’un véritable dispositif de protectionnisme des théories proprement françaises, ancrées dans la concrétude nationale et sa fermentation, notamment à l’université où les grands textes de la philosophie allemande mettent trente, cinquante, soixante-dix ans parfois à être pleinement accessibles, et encore, avec de redoutables mises en garde[7] :
« Hegel, gardien de camps ? Nietzsche, père de nos antisémites ? Marx, maître à penser de nos totalitaires ? Encore faudrait-il que Hegel, Nietzsche, Marx il y eût, au paradis des camps, de l’antisémitisme et du totalitarisme français[8]. »
Ce dispositif de discours, de savoirs et de pouvoirs, ce dispositif à la fois conceptuel et politique, que Lévy appelle précisément l’idéologie française, produit une xénophobie intellectuelle qui ne dépend pas seulement de la nécessité de protéger les esprits français de la « vérole » étrangère et de « l’erreur de Kant », elle dépend aussi de la nécessité d’oublier le régime de Vichy et sa révolution nationale, selon Lévy, mais elle dépend encore de la nécessité d’oublier une autre inquiétude, au moins aussi angoissante au regard de l’idéologie française : d’oublier le rôle considérable qu'a joué la pensée de Bergson dans la formation de la philosophie allemande du XXe siècle, et de celle d’Heidegger en particulier[9]. « Les extases de la temporalité heideggérienne seraient-elles possibles sans Henri Bergson ? » s'interroge Emmanuel Levinas dans une préface d'un livre de Marlène Zarader[10] ; reprise de Éthique et Infini[11]. « Cette question est d'autant plus ironique (selon Levinas) que Heidegger dans Être et Temps accuse Bergson, injustement, de réduire le temps à l'espace » propos rapporté par Camille Riquier[12]
La Révolution nationale
Les pleins pouvoirs, confiés au maréchal Pétain par une large majorité de parlementaires, le conduisent à abroger les institutions qui fondent l'État de droit, à commencer par le Parlement qui l’a élu[13]. Ils lancent une révolution nationale dont l’objectif n’est pas de célébrer la victoire d’Hitler, mais d’épurer méthodiquement et concrètement la France. Lévy affirme que la Révolution nationale organise un État fasciste spécifiquement français, digne d’être un partenaire de l’Allemagne, au même titre que l’Italie ou l’Espagne, et non un serviteur[14].
Les mesures à l’encontre des juifs et des immigrés prises par le régime pétainiste aussitôt installé, en 1940, visent, selon Lévy, à purifier la race française, et non à obéir aux exigences allemandes[15]. Ce train de décrets ne doit rien à ce que l’on présente d’habitude comme les prototypes de la contamination nazie en France : Brasillach, Drieu, Lucien Rebatet, etc. Les « collabos » sont méprisés à Vichy[16]. Le fascisme de Vichy a été pensé et mis en place par des hommes profondément germanophobes, « irrigués de culture et d’humanisme classiques, pétris de bienséance et de conformisme patriotes, qui accouchèrent, quatre ans durant, de la version française de l’abjection du siècle », selon Lévy[17].
L’École des cadres d’Uriage, où se forment les hauts fonctionnaires du régime pétainiste, sollicite le concours de grands lettrés, autant que les revues où se conçoit son idéologie, et jusqu'aux préfectures et aux ministères du régime : Jean Lacroix, Emmanuel Mounier, Thierry Maulnier, Gilbert Maire, Abel Bonnard, etc[18]. Tous ces hommes ont un point commun : ce sont des bergsoniens. Ils ne représentent pas Bergson pour autant, mais véhiculent une « certaine vulgate bergsonienne », remarque Lévy[19].
Bergson, très âgé alors, ne s’impliqua jamais personnellement dans le fascisme « aux couleurs de France ». Juif, il refusa en 1940 le titre d' « Aryen d'honneur » que les autorités de Vichy proposaient de lui conférer[20]. Mais, au-delà de sa personne, sa pensée imprégna si profondément les valeurs de la Révolution nationale qu'elle offre la grille d’intelligibilité qui permet de l’analyser.
Le concept moderne de race
En 1976, Michel Foucault analyse l’élaboration en France du concept de « lutte des races » et sa diffusion au XIXe siècle, quand Marx, par exemple, écrivait en substance à Engels, traduit Foucault :
« Mais, notre lutte des classes, tu sais bien où nous l’avons trouvée : nous l’avons trouvée chez les historiens français quand ils racontaient la lutte des races[21]. »
Au début du XVIIIe siècle, Henri de Boulainvilliers postule que l’histoire de la France résulte de la lutte de deux races : une race inférieure, la « race gauloise » vouée par nature à être dominée, et une race supérieure, la « race germanique », vouée par nature à dominer. La « race gauloise » constitue, selon Boulainvilliers, le peuple de la France ; la « race germanique », la noblesse française, descendant des conquérants francs de la Gaule au temps de Clovis[22]. Le concept de lutte des races est remanié à la fin du XVIIIe siècle par Emmanuel-Joseph Sieyès qui affirme qu'avec la Révolution française vient le temps de la revanche de la « race gallo-romaine » sur la « race germanique »[23] - [24].
Sieyès explique ainsi la vocation légitime du peuple français (gallo-romain, selon lui) à renverser le pouvoir de la noblesse française (d’origine germanique, selon lui) et à accomplir la Révolution en Europe. Cette théorie se diffuse en France, mais également en Allemagne durant les conquêtes de la Révolution et de l’Empire, relayée par les historiens français auxquels songeait Foucault quand il signalait leur influence sur Marx (Augustin Thierry et Auguste Comte, notamment)[25].
« Cette idée d’une histoire générale dont la guerre des races serait le moteur » ne donne pas encore chez Auguste Comte ou chez Karl Marx un véritable racisme, observe Lévy[26]. Ce n’est que dans les années 1850, avec la publication de l’ouvrage d’Arthur de Gobineau, Essai sur l’inégalité des races humaines, que le racisme, au sens moderne du mot, se dote d’une théorie générale, toujours à partir du même foyer français.
« Ce qui n’est plus supportable, c’est cette bonne conscience béate qui, chaque fois, nous assure qu'il y a maldonne, que l’horreur n’a pas de place chez nous. […] Nous nous refusons à reconnaître l’évidence : et, pour commencer, la place éminente qu'occupe la culture française – avec d’autres certes, mais bien souvent en avant-garde – dans la formation, l’élaboration, les déplacements du concept moderne de race[27]. »
À l’espèce de racisme manifesté par la noblesse, « sous la forme du sang, c’est-à-dire des ascendances et de la valeur des alliances[28]», Foucault observe que se substitue le racisme moderne, articulé sur « un autre projet : celui d’une expansion indéfinie de la force, de la vigueur, de la santé, de la vie[28]» :
Lévy part des mêmes bases historiques. Et précisément, les thèmes que Foucault série dans le concept moderne de race – l’exaltation de la vie, de son élan, de sa dynamique, etc. –, ces thèmes, Lévy les retrouve au cœur de la philosophie d’Henri Bergson, en particulier dans la conception bergsonienne du Temps.
Bergson ou l’idéologie française
« Bergson ou l’idéologie française. Le point focal, peut-être, de cette idéologie », constate Lévy[19]. Il ne conclut pas pour autant que Bergson est raciste. « Il est clair que je ne parle pas ici de Bergson lui-même[19].» Ce que Lévy met en cause, c’est le vitalisme qui émane du bergsonisme, et la manière dont il renforce et diffuse le racisme moderne.
Détester l’abstrait, retourner au concret
Les mises en garde de Bergson contre « l’erreur de Kant », et plus généralement contre la pensée abstraite, inscrite au cœur de la philosophie allemande, mais également grecque, selon lui – et en somme cette idée que les platoniciens, les kantiens, les hégéliens n’ont jamais fait que confondre la vie avec la mort – animent une phobie à laquelle peu d’universitaires échappent en France, selon Lévy, phobie associée à l’impératif de « détester l’abstrait » et de « retourner au concret »[29] - [30]
Ce que Bergson reproche à Kant et à la philosophie allemande, c’est d’inventer un « espace abstrait », un espace qui n’est jamais là, qui n’existe pas, dont personne n’éprouve la présence concrète. Cet « espace abstrait » constitue un concept, c’est-à-dire une loi mathématique qui fait de chacun un semblable, un « même », un « homogène », où s’abolissent les différences entre les hommes, où le Temps n’est plus concrètement vécu et où l'élan vital se décompose, selon Bergson[31].
Ce que Bergson appelle l’Espace, c’est d’abord l’espace au sens mathématique, mais c’est aussi, nécessairement, l’espace au sens démocratique, même si Bergson, là encore, ne s’aventure pas sur le terrain de la politique. Cette déduction, ce sont ses disciples, ceux du Cercle Proudhon en particulier, qui la font[32] - [33].
Marx
Lorsqu'il critiquait la Phénoménologie de l'Esprit, Karl Marx ouvrait déjà le procès de l’Espace, à travers l'Homme que concevait Hegel, Homme abstrait qui recouvre en réalité l’entrepreneur, le « self-made-man », et en somme le bourgeois, selon Marx[34].
Cet Homme abstrait offre un concept idéal au capitalisme, selon lui. L’humanisme hégélien n’est pas réellement une science, ce n’est qu'une sorte de religion, le socle de ce que Marx appelle L'Idéologie allemande[35].
Ce qui importe, c’est de fonder la véritable science qui mettra fin au processus d’exploitation des hommes et à la violence, selon Marx[36].
Pour cela, Marx propose de substituer à l'Esprit la Matière, au concept d’Homme celui d'ensemble des rapports sociaux, au concept idéal d'aliénation le concept matériel d'exploitation, et d’analyser les rapports de force réels, notamment économiques, qui sont en jeu dans la société humaine, de la même manière qu'un physicien, en requérant les principes des mathématiques[37], et, en particulier, la nécessité d’imposer une égalité entre les hommes – sans pour autant garantir les libertés fondamentales qu'il juge bourgeoises –, une égalité abstraite reconçue par la véritable science, qu'il s’agit d’imposer concrètement.
En récusant les principes qui fondent l’État de droit bourgeois, comme les tenants de la monarchie de « droit divin », mais d'une façon diamétralement opposée, Marx se réfère toujours à la loi (en tant qu'elle résulte, non plus de Dieu, mais de la science), de même qu'il suppose une différence fondamentale entre société humaine et société animale[38].
L’Homme hégélien détenait le pouvoir d’accomplir le meilleur. Ce pouvoir performant, Marx le transfère à la véritable science au service de la société humaine autant qu'à la société édifiée par cette science[39].
Proudhon
Dans les années 1840, des socialistes et des anarchistes français, Pierre-Joseph Proudhon[40], Alphonse Toussenel[41], Auguste Blanqui[42] en particulier, développent des thèses qui remettent également en cause l’humanisme fondé sur la déclaration des Droits de l’homme, en prônant un racisme révolutionnaire, positif et populaire, qui appelle à la haine des Juifs, des Anglais, des Hollandais, des Américains, dénoncés comme capitalistes par nature[43]. Ce discours s’appuie sur la théorie de la « lutte des races » émanée de Sieyès, mais il se déplace sur un terrain à la fois économique et biologique[44].
Gobineau
Au milieu des années 1850, Arthur de Gobineau ouvre également le procès de l’Homme, mais en de tout autres termes que Marx. Si Gobineau s’oppose lui aussi à l’humanisme, c’est en affirmant l’« inégalité » inscrite en chaque race et, partant, en chaque homme[45].
Toutefois la théorie raciale de Gobineau est imprégnée par la conviction d’un inévitable déclin de la race germanique et des valeurs aristocratiques. Gobineau, sur ce point, se comprend encore dans le même champ conceptuel que Sieyès. Mais Gobineau n’épouse pas les mêmes vues que Proudhon, Toussenel ou Blanqui : son racisme reste attaché à la culture de la noblesse contre-révolutionnaire[26].
Maurras
En livrant La France juive en 1886, Édouard Drumont conçoit un nouveau genre de royalisme, un « royalisme populaire », où se mêlent les projets du nationalisme, du socialisme et du racisme révolutionnaire, inspiré à la fois par les thèses de Proudhon et de Toussenel, et par celles de Gobineau.
Non plus au nom du « sang » de l’ancienne noblesse, mais à celui du « sang national pur », produit par le peuple en tant que race française, et non par des « aristocrates pourris »[46], Drumont tient un nouveau genre de discours monarchique[47].
Sur cette lancée, Charles Maurras et son organisation, L’Action française, se dotent d’une structure idéologique qui bouleverse radicalement les thèses du vieux parti royaliste fondé par De Maistre, Bonald et Chateaubriand appuyées sur la foi catholique et sur l’Église romaine. Il n’est plus question maintenant de célébrer le génie du christianisme, mais le génie de la race française[48].
« Maurras, écrit l’abbé Mugnier en 1910, prétend que le catholicisme romain ôte son « venin » à l’Évangile. L’Action française, c’est le catholicisme sans le christianisme[49].»
Les royalistes traditionnels, les monarchistes « de droit divin », contestaient déjà le principe d’égalité qui fonde le droit républicain, mais ils admettaient que l’homme en tant que tel, conçu par le christianisme et par Paul de Tarse en particulier, constituait un concept sacré, au moins en théorie. Ce n’est plus du tout le cas pour les maurrassiens, qui ne respectent, dans l’Église romaine, qu'une structure sociale et idéologique qu'il ne s’agit plus que de noyauter pour en faire un outil de propagande de l'Action française[50].
Bergson
Depuis la défaite de 1870, des dirigeants de l’université française (Ernest Lavisse, Gabriel Monod, Émile Boutroux) se rendent régulièrement dans les universités allemandes, avec la conviction que la défaite a aussi des causes intellectuelles, pour prendre modèle sur l’organisation des études philosophiques en Allemagne. Pour autant, il ne s’agit pas, pour eux, d’ouvrir à la pensée de Hegel les portes de l’université française, mais de susciter en France l’élaboration d’un hégélianisme de substitution, d’un hégélianisme reconçu selon des données essentiellement françaises, selon Lévy[51].
À la fin des années 1880, Bergson rouvre à son tour le procès de l’Homme et de son abstraction, en lui opposant le concept d’« hétérogénéité » qui offre, selon lui, comme son moteur et son énergie au Temps :
« La durée, ainsi rendue à sa pureté originelle, apparaîtra comme une multiplicité toute qualitative, une hétérogénéité absolue d'éléments qui viennent se fondre les uns dans les autres[52]. »
Le pouvoir d’accomplir le meilleur que Hegel accordait à l’Homme, ce pouvoir performant Bergson le délègue à la Vie, pour peu qu'elle soit vécue dans l’hétérogénéité. La Vie ne peut que triompher de la Mort. Elle dégage un optimisme pur et simple : le « vitalisme » où se crée en somme, selon Lévy, un hégélianisme sans humanisme[53].
Nietzsche
Dans les années 1880, Nietzsche conçoit également une sorte d’hégélianisme sans humanisme, comparable sur bien des points à celui de Bergson – le refus d’adhérer au platonicisme, au kantisme, à l’égalitarisme, etc., – si ce n’est que Nietzsche charge sa pensée d’un surhumanisme qui commande de devenir réellement le rival de Dieu.
Selon Levy, Nietzsche déploie sa langue sur un fond sombre, il n’hésite pas à employer les invectives, à lancer des appels à l’élimination des malades[54], il sort délibérément du langage universitaire, alors qu'au contraire Bergson se maintient dans la tradition de l’université française, en évitant à la fois le « jargon » de la philosophie allemande et les « jurons » de Nietzsche ou de Marx.
De la même manière, le procès de la pitié – « vertu des faibles et des infirmes » en termes nietzschéens –, ce procès, Lévy le reconnaît dans le discours de Maurras, mais Maurras l’instruit dans ses propres termes, dans une langue aussi classique que celle de Bergson[55]. Maurras et Bergson y acquièrent l'autorité morale qui leur vaudra d'être élus et de siéger ensemble à l'Académie française.
L’idéologie de la différence
Les maurrassiens et les bergsoniens investissent les grandes structures humanistes françaises pour se doter d'un visage respectable, éthique, institutionnel, et les instrumentaliser[56] - [57] : l'Église, l'Université, l'Armée, la magistrature, la diplomatie, la haute fonction publique, l'École normale supérieure, le Collège de France, l'Académie française, etc., alors que les marxistes sont considérés comme des éléments subversifs par ces mêmes institutions.
Lévy avance que l'anti-humanisme bergsonien, fondé sur le rejet radical des mathématiques, ne s’accorde pas du tout avec l’anti-humanisme marxiste, fondé au contraire sur la nécessité d'y recourir. En revanche, il s'accorde avec l'anti-humanisme français et sa tradition spécifiquement raciste, inaugurée par Gobineau et développée par Maurras, tradition dont s'écarte également Nietzsche – qui, si eugéniste qu'il soit, n'envisage pas une sélection proprement raciale.
Marx et Nietzsche n'inscrivent pas l'idée de race au cœur de leur pensée, alors que l’ « hétérogénéité absolue » qu'exalte Bergson ne contredit en rien l’« inégalité raciale » que conçoivent Gobineau et Maurras : hérétogénéité ou inégalité renvoie au sentiment d’une différence essentielle, vécue concrètement par chacun, mais qui n’implique pas pour autant un concept, ni même un nom communs[58].
Qu'une table soit différente d’une autre, n’empêche pas qu'on puisse concevoir l’idée de « table » et dire « une table ». Qu'un homme soit différent d’un autre, n’empêche pas non plus qu'on puisse concevoir l’idée d’« homme » et dire « un homme ». C’est ce raisonnement que contestent Gobineau, Maurras et Bergson, chacun à sa manière, en récusant le principe abstrait qui fondent la pensée conceptuelle et, partant, la langue elle-même, puisque parler, c’est forcément abstraire[59].
L’idéologie de la différence (inégalité raciale ou hétérogénéité absolue) constitue le socle de l’idéologie française, selon Lévy :
« En d’autres termes, lorsqu'un sujet en torture un autre, lorsqu'un groupe en opprime un second, lorsqu'un régime fait profession de mutiler et de mortifier, ce n’est pas, comme on le dit trop souvent, que, du haut de je ne sais quelle arrogante généralité, ils n’auraient que du dédain pour l’autre, le différent, le particulier, – mais parce qu'ils ne pensent qu'à cela au contraire, qu'ils ne pensent plus qu'en termes de différences, qu'ils ne voient plus partout que de la radicale altérité, et qu'aveugles désormais à ce qui les conjoint à leurs victimes, ils n’ont plus le moindre interdit pour la machine à tuer. En bref, il n’y a pas d’éthique possible sur la base d’une idéologie de la différence : et dire que nous sommes tous essentiellement, substantiellement, de part en part différents, c’est toujours et inévitablement prendre le risque du fascisme[60]. »
Espace et temps fascistes : le Cercle Proudhon
Charles Maurras postule que le « pays réel », le « pays vrai », c’est-à-dire la France raciale, foncièrement royaliste et antisémite, s’oppose au « pays légal »[61], autrement dit à l’État de droit, à la République française, à « la France enjuivée et démocrassouillée »[62]. En opposant le Temps, concrètement vécu, vif et sain, à l’Espace, mathématiquement conçu, abstrait et mortifère, Bergson livre la théorie philosophique qui va permettre aux maurassiens de se rapprocher des bergsoniens.
Si le poids électoral de L’Action française reste limité, son influence gagne les profondeurs de la société française, relayée par des écrivains, des sociologues, des journalistes qui trouvent, par ailleurs, dans le vitalisme de Bergson un renfort philosophique et une stimulation politique.
« Le fascisme, paradoxalement, commence toujours, avant de donner la mort, par proclamer sa foi en la Vie. Avant d’être l’appareil mortifère que l’on sait, il est toujours et premièrement une grande et bruyante célébration vitaliste. Il ne peut tuer, plus exactement, et tuer de sang-froid, qu'après qu'il a décrété que je suis, moi, sa victime, rien que du vivant. Ou, plus exactement encore, c’est parce qu'il tient que je ne suis rien que ce vivant qu'il peut, sans le moindre remords, me traiter comme il traiterait n’importe quel autre amas de cellules, de matières ou de poussières organisées[60]. »
Pour autant, Bergson et Maurras n’entretiennent pas de bons rapports. Mais leur antipathie personnelle n’empêche pas des maurrassiens de fréquenter le cours de Bergson au Collège de France où ils retrouvent des socialistes, des anarchistes, des syndicalistes révolutionnaires. Conduits notamment par Charles Péguy, Daniel Halévy, Georges Sorel, Édouard Berth, Georges Valois, etc., ces hommes de gauche restent attachés aux thèses du racisme révolutionnaire prônées par Proudhon, Toussenel et Blanqui. Elles les engagent à se rassembler dans un même mouvement avec les maurassiens.
Le Cercle Proudhon, fondé en 1911, réunit les tendances politiques représentées au cours de Bergson, issues tant de la droite que de la gauche, unies par le même vitalisme, par la même détestation de la pensée abstraite et de la démocratie, et par la même idéologie de la différence[63].
« Une institution est née où, pour la première fois dans l’histoire de l’Europe, des hommes de gauche et de droite vont, ensemble, filer la trame d’un discours qui reprendra tous les thèmes épars de la critique de la ploutocratie, de la haine du cosmopolitisme, du procès de l’intellectualisme décadent ou d’un antisémitisme désormais monochrome. Le national-socialisme lui-même est né[64]. »
Il est vrai que les bergsoniens ne se retrouveront pas tous à Vichy dans le cabinet du maréchal Pétain. Il en est qui rejoindront la France libre à Londres, à commencer par le général de Gaulle. Toutefois Lévy remarque que De Gaulle se détache du bergsonisme et rompt avec l’idéologie française quand il rappelle que la France, avant d’être concrète, est d’abord un concept, une « certaine idée de la France ».
La France concrète, le « pays réel », en , c’est la France pétainiste, dans son immense majorité. La France abstraite, le « pays légal », c’est la France libre, telle que la conçoivent à peine quelques milliers de Français alors. La France se pense conceptuellement, elle se donne une loi abstraite – un principe mathématique qui fait que le droit s’applique à tous les hommes, quelles que soient leurs différences – avant d’être réellement vécue, selon Lévy[65].
Les sciences et les lettres
Durant des millénaires, les mathématiques furent associées à la musique, à la poésie, à la peinture, à l’art : « la vérité esthétique aussi bien que la vérité scientifique », dépendent des mêmes « mystérieuses lois », concevait Proust[66]. Mais, depuis le début du XIXe siècle, l’université française n’a cessé de disjoindre « vérité esthétique » et « vérité scientifique ». Bergson oppose frontalement l’univers du sensible à l’univers du conceptuel, autrement dit la culture française, proprement littéraire, à la culture allemande, proprement scientifique[67].« Le résultat c’est, bien entendu, le règne durable de la sottise et un obscurantisme culturel », selon Lévy[68].
À Einstein, l’université française oppose Bergson, lors d’un débat fameux où Bergson réaffirme que ce qui est réellement vécu est le contraire de ce qui est scientifiquement conçu[69], en se référant à « une conscience suprême capable de sympathiser instantanément ou de communiquer télépathiquement[70]. »
La conscience selon Bergson « ne résidant nullement dans le cerveau, les diverses consciences devraient être tout naturellement en communication » expliquait Proust[71]. Bergson rêve d’une société où chacun sait ce que l’autre éprouve, ce que l’autre pense, ce que l’autre fait, une société parfaitement transparente, délivrée de toute inquiétude, traversée en permanence par un savoir immédiat, synthétique, absolu, qui, précisément, ne peut pas s’assimilier à la science, à son analyse et à ses lois.
Pour beaucoup de ses disciples, ce n’est pas seulement un rêve, c’est une réalité qu'il faut imposer par force. Mais s’il s’agit pour eux d’hétérogénéiser la société, il ne s’agit pas moins de faire fusionner les individus abstraits dans un corps concret, national et social, à la fois un et multiple, dont chacun serait un membre, travaillant à une fonction spécifique, où intérêt personnel et intérêt collectif seraient naturellement confondus.
Devenir national-socialiste : Barrès, Péguy, Sorel
Comment opérer concrètement la fusion nationale et sociale ? Bergson, lui-même, n’y répond pas. Toutefois, à partir des mêmes données, Maurice Barrès, Charles Péguy, Georges Sorel envisagent trois hypothèses, où se dessinent les trois axes du devenir national-socialiste, selon Lévy[72] :
Barrès : l’énergie nationale
Maurice Barrès est élu député de Nancy en 1889 sur la base d’un programme soutenu par un Comité républicain socialiste nationaliste[73]. Il affirme :
« Les intellectuels, pour lesquels “la patrie, c'est une idée”, ne se sentent plus spontanément d’accord avec leur groupe naturel et ils ne s'élèvent pas jusqu'à la clairvoyance qui leur restituerait l'accord réfléchi avec la masse[74]. »
À la France divisée par la démocratie, par les idéaux de l’État de droit, par les imaginations individuelles[75], Barrès propose de substituer la France naturelle, unifiée par le sentiment national et local, éprouvé au sein de la famille, du village, de la race, et véhiculé jusqu'au sommet de l’État[76], une France vivifiée par la conviction que « l'individu n’est rien, la société est tout[77]».
Les membres d’une nation ne pensent pas par eux-mêmes, selon Barrès ; tout au contraire ils sont « pensés » par leurs parents, par leur race, par leur nation, bref par la psychologie et la physiologie qui organisent ce qu'il appelle le « roman de l’énergie nationale[78] », le carburant essentiel, « le secret de la vie que trouve spontanément la foule[79] ». La nation est un corps vivant, mental et dynamique, déterminé par l’être collectif et national[80] :
« C'est la loi de l'être collectif et national qu'il importe de discerner et d'adorer[81]. »
Être qui s’éprouve dans un espace vital et énergétique affecté en permanence par des agents morbides : des ennemis raciaux extérieurs (les « Teutoniques » et les « Anglo-saxons » en particulier[82]), des ennemis raciaux intérieurs (les Juifs[83], les immigrés, les cosmopolites[84]), des ennemis conceptuels (l’intellectualisme, l’abstraction, la « loi générale »[85]), contre lesquels il s’agit de lutter comme contre autant d'infections.
La nation se doit d’être en expansion, tant sur le plan territorial (jusqu'à l’ensemble de la rive gauche du Rhin) que sur celui du moral ou du physique.
Le vitalisme sort du champ conceptuel pour se doter d’un enjeu proprement politique, qui vise à la fois les électeurs de la gauche et de la droite, auxquels Barrès livre, non seulement une vision d’ensemble, mais les objectifs d’une revanche totale : revanche contre l’Allemagne, contre les juifs, contre les intellectuels, contre les démocrates, contre les étrangers, etc. La fusion nationale se crée dans l’offensive, elle exige une vérité au service de la France, une « vérité française, c’est-à-dire celle qui est la plus utile à la nation[86]. »
Barrès est l’un des premiers hommes politiques qui ait « songé à faire de la haine raciale en tant que telle un slogan, une arme, une quasi technique de coup d’état », selon Lévy[87]. La politique des masses, l’anti-intellectualisme militant, le culte de la force, la religion vitaliste : l’essentiel est déjà, selon Lévy : Barrès est « le premier authentique national-socialiste européen[88]».
Barrès invente un concept. S’il émane du boulangisme, et du projet d’installer une dictature militaire en France, le concept barrésien va bien au-delà de son contexte. Le coup d’État du général Boulanger échoua. Le concept demeure.
Les dirigeants de la IIIe République, en 1923, offrirent à la dépouille de Maurice Barrès des obsèques nationales, comme à Victor Hugo.
Péguy : l’anonymat racial
Si Maurice Barrès est le Victor Hugo du fascisme, Charles Péguy occupe une place tout aussi éminente dans le même panthéon, selon Bernard-Henri Lévy. Barrès assignait à la France de réaliser la fusion des individus dans l'énergie nationale. Péguy conçoit la fusion des individus en profondeur « dans la sève et le sang de la race[89] ».
Invocation de la mémoire collective, télépathique, animale, instinctive, associée tout autant à la terre, au terroir, à son engrais, à sa puissance minérale et tellurique, Péguy produit une mystique de la race[90]. « L’idée de race, ici, n’a plus tout-à-fait le même sens qu'elle avait chez Barrès », remarque Lévy. « Les péguystes ont raison de dire qu'il faut l’entendre au sens figuré et de façon métaphorique[91].» Pour autant, cette métaphore ne lui paraît pas rassurante. La race, chez Péguy, renvoie à une communauté close, autogérée naturellement, enracinée dans le local, le voisinage, l’amitié, la parenté, la filiation, mais encore (c’est là où il se distingue de Barrès) à des forces magnétiques, archaïques, païennes, confondues avec un christianisme proprement français, un christianisme racial, immanent, terrestre, sans transcendance, sans loi, sans thèses[92].
Race nationale et masse sociale restaurent la religion de toujours, celle de la vie pure et simple[93], celle qui absorbe les individualités dans le vivant total, inscrit au plus profond de soi, en l’être-sans-nom à l'opposé du Nom qui fonde la transcendance biblique et de la responsabilité dont chacun tire son nom propre :
« Pourquoi ne pas le dire, il s’enfonce avec orgueil dans l’anonymat. L’anonyme est son patronyme. L’anonymat est son immense patronymat. Plus la terre est commune, et plus il veut être poussé de cette terre. Plus la nuit est opaque, et plus il veut être sorti de son ombre. Plus la race est commune, et plus il a de la joie secrète et il faut le dire un secret orgueil à être un homme de cette race[94]. »
Si l’hétérogénéisation de la société réclame paradoxalement d’homogénéiser les individus, c'est parce que l’individualité n’est qu'une illusion nocive, pour Péguy. L’hétérogénéisation commande nécessairement le fonte des êtres les uns dans les autres dans le seul hétérogène qui soit en réalité : l’hétérogène racial, où se lester de son nom et, partant, de ses responsabilités, dans l’anonymat absolu.
Péguy se conçoit les mêmes ennemis que Barrès : la Démocratie qui divise la masse raciale, l’Intellectuel qui suscite les débats vicieux, l’Argent qui infecte[95].
Mais, ces ennemis, Péguy les repère plutôt à gauche, alors que Barrès balisait un champ orienté plutôt à droite. Péguy s’en prend surtout à Jean Jaurès et à un socialisme qui pactiserait avec les ennemis[96]. Si Barrès partageait avec Maurras le rêve d’un coup d’État radical, Péguy partage avec Bergson celui d'une révolution tout aussi radicale, sans rien devoir à Marx pour autant, une révolution proprement bergsonienne :
« Nous devenons incapables de voir l’évolution vraie, le devenir radical. Nous n’apercevons du devenir que des états, de la durée que des instants, et, même quand nous parlons de durée et de devenir, c’est à autre chose que nous pensons[97]. »
« Qu'ils le veuillent ou non, les bons ouvriers de la révolution qui reste à faire seront nécessairement les compagnons de Péguy », disait le maréchal Pétain[98] - [99].
Sorel : l’organisation sociale
Dans la tradition de l’anarchisme émanée de Proudhon et du syndicalisme révolutionnaire, Georges Sorel rêve d’une grève générale, tout aussi radicale[100] - [101]. Seulement il faut l’organiser et s’organiser. Cela implique de recourir à la violence[102], mais cela implique surtout de constituer une force selon un principe militaire.
Son disciple, Édouard Berth explique qu'il y a « deux noblesses », celle de « l’épée » et celle du « travail »[103], en appelant au « réveil de la force du sang contre l’or[104]», par l'insurrection des « compagnies ouvrières, véritables armées de la révolution où le travailleur, comme le soldat dans le bataillon, manœuvre avec la précision de ses machines[105]»[106].
La grève générale n’est qu'un mythe, selon Sorel :
« Il importe peu que la grève générale soit une réalité partielle, ou seulement un produit de l'imagination populaire. Toute la question est de savoir si la grève générale contient bien tout ce qu'attend la doctrine socialiste du prolétariat révolutionnaire[107]. »
C'est un mythe fusionnel, et c’est ce qui compte concrètement : « Les grèves ont engendré dans le prolétariat les sentiments les plus nobles, les plus profonds et les plus moteurs qu'il possède ; la grève générale les groupe tous dans un tableau d’ensemble et, par leur rapprochement, donne à chacun d’eux son maximum d’intensité[107]»[108].
Le mythe de la grève générale produit le flux mobilisant, militant, énergisant qui, passant d’un homme à un autre, leur impose à chacun une fonction, une tâche, un travail, comme dans une armée, une armée en alerte permanente, une armée de tous les jours, une armée confondue avec l’organisation du travail que Sorel conçoit[109].
S'opposant au principe de l’État de droit, le dispositif envisagé par Sorel, dont Berth développe ensuite la théorie, ne commande pas moins des règlements qui s’appliquent à une société méticuleusement hiérarchisée par catégorie, par métier, par degré d’autorité, toujours selon le même principe militaire qui, vécu au quotidien, forme autant de corporations dont chacune dispose d’un statut particulier, et auxquelles les individus se soumettent eux-mêmes sans cadre légal pour y faire objection[110], en préfigurant l'organisation fasciste dont Mussolini s'est directement inspiré[111] - [112]. C'est sur ce point, notamment, que Sorel et Berth rejoignent les conceptions sociales de Maurras et de l'Action française, jonction qui permet leur conciliation au Cercle Proudhon.
L’organisation du travail ne conçoit que des experts, spécialisés dans leur domaine de compétence, et obligés de s’y tenir. Ce que Sorel reproche aux juifs, précisément, c’est de sortir du domaine qu'il leur assigne et de se mêler de ce qui ne les regarde pas :
« Nul ne songerait chez nous à regarder les Juifs comme des ennemis du pays, si ceux-ci consentaient à vivre comme de simples citoyens : exerçant un métier honorable quelconque, s’occupant de leurs œuvres religieuses, coopérant à la culture générale dans la mesure du possible ; malheureusement les Intellectuels juifs se prennent pour des petits Messies et leur nation se croit tenue de les soutenir dans leurs expéditions. Pour avoir le droit de se dire artisans des grandes transformations, les écrivains juifs s’acharnent contre le patrimoine spirituel de la Cité à laquelle ils ont été agrégés par le hasard des migrations ; de telles entreprises ne peuvent manquer de provoquer des colères légitimes[113]. »
L’organisation nationale et sociale, selon le modèle que construisent Sorel et Berth, prévoit une violence déjà là depuis toujours, ancrée selon eux dans l’inconscient collectif et dans ses forces vives, à activer s’il faut, quand il le faut, mais sans jamais cesser de la maintenir[114].
Les deux visages : le conservateur et le futuriste
Barrès, Péguy et Sorel laissent entrevoir les trois axes conceptuels selon lesquels s’accomplira la Révolution nationale entre 1940 et 1944, s'épousant tous trois pour donner à Vichy son visage conservateur et son visage futuriste, selon Lévy[115]. La devise « Travail, famille, patrie » ne lance pas seulement le mot d’ordre du protectionnisme, du corporatisme, du racisme, elle convoque également le modernisme, la grande industrie, le capitalisme le plus offensif, à condition toutefois qu'il progresse, ce modernisme, selon un plan conçu par les experts au service de la Révolution. Modernisme qui n’est pas moins à l’œuvre en Italie fasciste, en Allemagne nazie ou en Russie soviétique.
Les experts de Vichy parlent la langue de la croissance, du rendement, de la productivité, de l’efficacité économique, de la rationalisation des choix[116]. L’abstraction, les mathématiques, les sciences, récusées quand il s’agit d’instituer un État de droit, sont requises au contraire quand il s’agit d’organiser la vie en détail, mais maintenues dans le domaine qui leur revient, soigneusement séparées des lettres, de la philosophie, de l'éthique et de la justice. Et, en dernier ressort, les théoriciens des régimes totalitaires attribueront leurs propres responsabilités dans les massacres de masse du XXe siècle aux sciences, aux mathématiques, à la « technique »[117] - [118].
Le régime de Vichy, si volontiers traditionaliste, se fait l’activiste d’une logique nouvelle, prônée par ses planificateurs. « Cette logique, remarque Lévy, n’a apparemment plus rien à voir avec celle de la terre, du sang, de la race, de la nation d’antan puisqu'elle se construit dans le béton, les statistiques et les grands bruits de ferraille[119]». Conception qui doit beaucoup à Sorel, mais qui n’est pas contradictoire avec celles de Barrès et de Péguy : elles s’enchaînent l’une l’autre, conséquence nécessaire du vitalisme, du culte de l’énergie et de l'organicisme pour qui n’existe qu'une seule usine universelle où éprouver le concret – et ressentir, tout aussi concrètement, la pression des schémas totalitaires jusque dans les sociétés les plus démocratiques dont l’État de droit ne peut guère que limiter les effets[120].
Le siècle de Bergson
Daniel Halévy évoquait dans ses Souvenirs Georges Sorel et Charles Péguy « bras dessus bras dessous, le vendredi à cinq heures moins quart », au Collège de France, allant écouter le cours de Bergson[121].
Lévy soutient que le bergsonisme investit en force le syndicalisme révolutionnaire et le Parti communiste français avec Sorel et Berth ; il n’investit pas moins la philosophie allemande via Husserl et Heidegger. L’influence de la pensée de Bergson sur la société de son temps est considérable[122]. Le prix Nobel de littérature lui est attribué en 1927.
« Est-il d’un bien bon Français de parler de “race” “française” ? » écrivait Proust à Daniel Halévy[123], alors que les maurassiens et les bergsoniens publiaient conjointement en 1919 un manifeste où ils affirmaient « qu'il est dans la destination de notre race de défendre les intérêts spirituels de l’humanité[124]».
« Devant la faillite universelle de l’économie libérale, presque tous les peuples se sont engagés dans la voie d’une économie nouvelle. Nous devons nous y engager à notre tour et regagner le temps perdu », affirmait le maréchal Pétain en lançant la Révolution nationale en 1940[125]. Lévy remarque :
« Le Maréchal, à ce compte, ne croyait pas si bien dire dans l’exhortation faite à son peuple de "rattraper le temps perdu" : à les observer les uns et les autres, tous à leur place et dans leur rôle, manège grinçant d’ombres de chair, d’un coup advenues à elles-mêmes, on songe irrésistiblement à une gigantesque et macabre parodie du "temps retrouvé"[126]. »
Proust laisse percevoir le travail de l'idéologie française à travers la plupart de ses personnages : « Si nous avions un gouvernement plus énergique, tout ça devrait être dans un camp de concentration. Et allez donc ! » fait-il dire à Mme Verdurin[127]. Le « bal de têtes » du Temps retrouvé chez Mme Verdurin préfigure les élégances du régime de Vichy. « Mais ce n’est nullement à la télépathie et à la théorie de Bergson que j’attribue cette description de faits que je ne pouvais connaître », expliquait Proust à propos de faits qu'il inventait dans son roman et qu'il retrouvait dans la vie :
« Je crois qu'elle est une conséquence logique de prémisses vraies. Est-ce qu'il n’y a pas un théorème qui dit : quand deux triangles semblables, etc., eh bien je crois que cette géométrie est vraie aussi pour l’humanité, et qu'en ne s’écartant pas d’un raisonnement juste on trouve naturellement avec la précision la plus subtile ce que la vie contrôle ensuite[128]. »
Lévy sollicite le même raisonnement, le même théorème, la même concept : celui qui fait de chacun un semblable.
Sources et perspectives : Proust, Althusser, Foucault, Desanti
« Il n’y a pas d’individualisme qui ne porte en lui le germe ou la promesse d’une forme de totalitarisme : le premier démultiplie ce que le second unifie, – et cela s’appelle la démocratie », écrivait Lévy en 1977 dans La Barbarie à visage humain[129]. Ce constat, il ne le remettait pas en cause dans Le Testament de Dieu en 1979 : la démocratie découlait du logos, de la raison conçue par la philosophie grecque ; à soi seule, la démocratie ne produisait pas l’État de droit ; pour le produire, il lui fallait éprouver la nécessité de la loi universelle telle que la conçoit la littérature juive, c’est-à-dire l’idée que chacun a une âme singulière, d’où tirer son nom propre, sa parole et sa responsabilité.
Lévy admet maintenant que la démocratie à soi seule, c’est déjà la loi universelle. Athènes et Jérusalem ne sont pas aussi radicalement opposées que Lévy l’envisageait dans Le Testament de Dieu. Il y a bien un lieu où « les deux côtés se rejoignent » : ce lieu, c’est Rome, c’est l’Église romaine, urbi et orbi, où concilier le « concept » et le « nom » dans l’âme judéo-platonicienne. Ce lieu, c'est également l'école freudienne de Paris ; ce lieu, c'est cosmopolis[130].
Seulement le droit d’avoir une âme, c'est pouvoir transgresser la loi[131], avec nécessairement un risque : le péché – l’individualisme, l’égoïsme, le narcissisme, bref l’être aliéné selon Hegel : le sujet qui perd son âme, qui perd son temps, qui perd l’objet de sa pensée. Objet sans substance, objet abstrait, absolument vide qui induit, précisément, l’espace mathématique que réprouvait Bergson, mais sans quoi on ne peut pas penser, selon Hegel[132].
L’aliénation traduit, en termes hégéliens, ce que la philosophie judéo-chrétienne appelait la conscience du péché, passage nécessaire pour accéder au repentir et au salut, autrement dit à la dialectique qui permet à l’homme de s’extérioriser et de progresser dans la conscience de la liberté, selon Hegel[133].
Ce concept d’aliénation (lié à celui de libération qu’il commande implicitement), Marx constatait qu’il n’était pas scientifique[134]. Ce sont les conditions matérielles d’exploitation des hommes, et les rapports de force qu’elles impliquent, qui déterminent les idées, selon Marx. L’Homme n’est qu’une « forme sociale déterminée »[135].
Le pouvoir, selon Marx, agit toujours sur les déterminations : si elles tiennent à des causes économiques, et en particulier à l’impératif, pour la classe dominante, de tirer profit des dominés, elles ne dépendent pas seulement de l’exercice de forces matérielles, elles dépendent au moins autant de forces idéologiques qui vont légitimer la violence des dominants, par l’enseignement de valeurs morales en particulier.
Assumé principalement par l’Église durant des siècles, selon Marx, ce travail sur le moral, la révolution industrielle l’a transféré à des idéologues laïcs qui substituent au concept de Dieu (élaboré pour servir l’Ancien Régime) le concept d’Homme, propre à servir les intérêts de la bourgeoisie selon le même principe, à ceci près que l’âme chrétienne, ou l’objet immédiat de la pensée selon Hegel, était encore un vide, alors que l’Idéologie allemande y loge « l’essence de l’espèce humaine »[136].
Espèce virtuelle, spirituelle, universelle, pour les idéologues allemands (Feuerbach, en particulier), elle deviendra bien plus concrète pour les idéologues français, qui préféreront, selon Lévy, abandonner le concept d’Homme pour imposer celui du Vivant, de la Race, et partant, celui du national-socialisme.
Cette critique, la science marxiste a été incapable de l’entreprendre, parce qu’elle n’a jamais été considérée que comme un mythe, au même titre que la grève générale, par les partis communistes, selon Lévy[137]. Le marxisme a été vidé de son contenu scientifique par des hommes comme Sorel ou Berth pour servir les ambitions d’une nouvelle aristocratie en formation, experte en modernisme et ivre d"optimisme, selon un schéma qui n’implique pas qu’un pouvoir vertical s’exerçant par le haut, mais des pressions qui partent du bas ou de la périphérie, et qui s’accordent, qui s’unissent peu à peu, non sans tensions, pour accomplir la révolution fasciste, selon des modalités qui diffèrent d’un pays à l’autre, mais auxquelles les concepts élaborés en France au tournant du XIXe et du XXe siècle servent de points d’appui stratégiques[138].
« J’étais anti-stalinien. J’avais déjà une image du Parti communiste et de l’Union soviétique incompatible avec la gauche démocratique à laquelle j’ai toujours voulu demeurer fidèle. Mais je ne voulais pas exprimer des objections politiques qui auraient pu être confondues avec quelque réticence conservatrice », racontait Jacques Derrida. « J’étais paralysé devant quelque chose qui ressemblait à une sorte de théoricisme avec un T majuscule[139]. »
Voilà exactement ce que Marx entendait par « idéologie », mais rapporté maintenant au principe qui fonde les mathématiques : les mathématiques restent opérantes en pratique, mais elles ne peuvent plus déterminer la pensée, elles se soumettent elles-mêmes à la « raison du Parti » – Barrès dirait à la « raison française »[140].
Ce que l’Église a fait en rompant spectaculairement avec le Parti royaliste, le marxisme ne l’a pas fait avec le Parti communiste, qui n’a jamais été pour Lévy qu’« un parti d’extrême-droite »[141].
Droite et gauche radicales se vivent, selon Lévy, dans l’adhésion à une religion païenne, haïssant l’abstraction. « C’est tour à tour la Vie, l'Homme, l'Amour, le Droit, la Justice, le Peuple, la Révolution. Quelquefois ces abstractions variées se fondent les unes dans les autres, car Michelet manquait à un rare degré de l'art de distinguer ; elles font masse contre un commun adversaire, qui s'appelle, selon les besoins d'un moment, la Mort, la Bête, la Haine ou l'Autorité… Ces conceptions d'un manichéisme incertain nous ramènent, malgré la pompe des majuscules et l'emphase du style, aux premiers bégaiements du haut Moyen Âge », écrivait Charles Maurras à propos de Michelet[142]. Ce discours, presque mot pour mot, gauche et droite radicales le tenaient encore à la fin des années 1970.
« Le pouvoir, ça marche comment ? Suffit-il qu'il interdise fortement pour fonctionner réellement ? Et puis : est-ce qu'il s'abat toujours de haut en bas et du centre à la périphérie ? », se demande Michel Foucault dans un entretien avec Bernard-Henri Lévy en 1977. « De fait, remarque Lévy, j'ai vu, dans La Volonté de savoir, ce déplacement, ce glissement essentiel : que vous rompez nettement cette fois avec un naturalisme diffus qui hantait vos livres précédents. […] Le thème finalement commun à la Vulgate marxiste et au néogauchisme : ”Sous les pavés, la plage.” – Si vous voulez, répond Foucault, Il y a des moments où ces simplifications sont nécessaires. Pour retourner de temps en temps le décor et passer du pour au contre[143]».
Depuis La Barbarie à visage humain jusqu’à L’Idéologie française, Lévy se pose la question : comment rompre avec le bergsonisme ? L’influence de Proust est déterminante dans ce projet, celles d’Althusser et de Foucault également, mais il rappelle aussi celle de Jean-Toussaint Desanti.
Réception critique
Selon la journaliste Bonavita Marie-Laetitia du Figaro, B.H.L « se réjouit à l'avance de l'esclandre à venir[144] ».
« L'auteur de La Barbarie à visage humain, du Testament de Dieu et de L'Idéologie française est-il un historien ou un philosophe ? » se demande Bernard Pivot en remarquant qu'il ne scandalise pas seulement « par ses plongées dans la sensibilité totalitaire de la France », mais par ce que Raymond Aron appelle « la boursouflure du style » :
« Ce qui est certain, et qu'on ne saurait lui contester sans mauvaise foi, c'est que Bernard-Henri Lévy est un écrivain. Qui a le goût des mots et de la gourmandise des phrases. Non, il n'y a pas de boursouflures dans son style. Il y a seulement l'agilité, et même l'élasticité, d'une culture qui sait renvoyer autour de quelques idées essentielles, originales et souvent justes, la force d'un tempérament qui sait provoquer[145]. »
Réception favorable
Parmi les critiques positives, Philippe Sollers considère L'Idéologie française comme « un livre-clé qui a fait tomber bien des tabous, et qui reste pleinement d'actualité[146] » :
« L'une des plus grandes qualités de Lévy est là : il force le tourbillon informatique à engager le débat fondamental, à travers la mémoire sanglante, à exposer ce sur quoi il s'est édifié […]. C'est la première fois, je crois bien, qu'on écrit aussi réellement, aussi physiologiquement, la réalité fondamentale du fascisme, avec son bras droit, son bras gauche […]. Un livre dix mille fois plus efficace, donc, que dix manifestations de masse, trente pétitions, cinquante éditoriaux ou tribunes indignées ou sentimentales, mais n'expliquant rien, comme si tout le monde avait peur de dire, au fond, de quoi il s'agit[147]. »
Jean-Toussaint Desanti dans le Matin de Paris[148], salue un livre « dur à entendre » mais « salutaire » et qui « réveille ». Jorge Semprún dans Le Point[149] demande que l'on « prête au travail de Bernard-Henri Lévy une attention qui dépasse les humeurs de la mode et le mode de l'humeur. »
Réception hostile
Raymond Aron critique L'Idéologie française et la méthodologie de Lévy :
« Un auteur qui emploie volontiers les adjectifs infâme ou obscène pour qualifier les hommes et les idées invite le critique à lui rendre la pareille. Je résisterai autant que possible à la tentation, bien que le livre de Bernard-Henri Lévy présente quelques-uns des défauts qui m’horripilent : la boursouflure du style, la prétention à trancher des mérites et des démérites des vivants et des morts, l’ambition de rappeler à un peuple amnésique la part engloutie de son passé, les citations détachées de leur contexte et interprétées arbitrairement. […] le livre ne se prête guère à une discussion objective, selon le mot consacré dans les universités. II n'apporte aucun fait, aucun document, aucun texte que l'on ne trouve dans les quelques livres dont Bernard-Henri Lévy a tiré, pour l'essentiel, la matière qu'il triture à sa manière. Ce qui lui appartient en propre, c'est une certaine mise en place d'un corpus de mots ou de phrases. Or, cette mise en place est à tel point commandée par le propos de l'auteur que l'on se demande s'il vaut la peine de discuter avec un « philosophe » qui s'arroge le rôle de justicier[150]. »
Aux critiques de Raymond Aron dans L'Express, Jean-François Revel répond que si la thèse de Lévy peut « déchaîner une aussi intolérante véhémence c'est sans doute qu'il y a quelque part un cadavre dans le placard. » Quant aux « menues fautes d'inattention » reprochées à l'auteur, Revel dit en avoir « des armoires entières à la disposition du CNRS et des Hautes Études au cas où, d'aventure, ces deux augustes prytanées souhaiteraient faire leur autocritique[151]. »
Pour Pierre Nora,
« Lévy profère des énormités. N’en trouve-t-on pas dans les thèses les mieux brevetées, comme l’objecte Jean-François Revel ? Ce n’est pas un argument. Le problème, en effet, n’est pas celui de l’erreur, mais de son usage. Quel rapport entre un thésard qui s’embrouille dans ses fiches, voire qui corrige une petite courbe pour les fins de sa démonstration, et un auteur pour qui le mépris a priori des faits est consubstantiel aux nécessités de sa démonstration ? Démonstration dont le propos explicite est rigoureusement sans objet[152]. »
René Rémond estime que L'Idéologie française est « tout sauf de l'histoire », constituant « un mélange d'idées justes qui ne sont pas neuves, et d'idées neuves qui ne sont pas justes ». L'absence de résistance du Parti communiste français jusqu'à l'invasion de l'URSS en était déjà connue plusieurs années avant la parution de L'Idéologie française, de même que l'existence de sources du fascisme « ailleurs qu'à droite ». Quant aux « idées neuves », René Rémond estime qu'elles reposent sur un « usage des textes qui défie souvent le bon sens », une « rhapsodie de passages détachés de leur contexte, détournés de leur sens », par exemple lorsque Lévy accable Charles Péguy pour son usage du mot « race », alors que cet usage signifie tout autre chose pour Péguy que pour les nazis. Il conclut son compte-rendu en pointant l'ignorance (ou le dédain) de l'auteur pour l'antifascisme en France et son absence d'explication sur un fait fondamental : à supposer même que Vichy fût fasciste, et dès le premier jour, la France n'a cédé au fascisme qu'en 1940, à l'occasion d'une défaite, à la différence de l'Italie et de l'Allemagne[153].
Emmanuel Le Roy Ladurie rédige une critique détaillée de l'ouvrage, relevant non seulement de grosses erreurs sur des points précis (Bernard-Henri Lévy présente Jacques Doriot comme organisateur de la manifestation du alors qu'à l'époque, Doriot, encore communiste, travaillait au contraire à l'unité antifasciste ; Robert Ley, dirigeant nazi, est confondu par Lévy avec un syndicaliste français et pétainiste ; l'Action française est décrite à tort comme « prolétarienne » dans L'Idéologie française) mais aussi les principales articulations de l'ouvrage. Le Roy Ladurie fait valoir que s'il y eut dans la France d'avant 1914, « des pré-fascistes », il n'y avait pas, par définition, de fascistes (le fascisme n'étant apparu qu'en 1919), et cette nouvelle extrême droite française, faisant la transition entre l'extrême droite traditionnelle du XIXe siècle et les régimes totalitaires de droite du XXe siècle, n'eut pas plus d'impact sur ces derniers que les équivalents russes, italiens et allemands, à la même époque. Rejetant la thèse de Lévy sur le catholicisme comme « digue » contre le racisme, Le Roy Ladurie le renvoie à la lecture de Norman Cohn (Les Fanatiques de l'Apocalypse), où les racines chrétiennes (et notamment catholiques) de l'antisémitisme contemporain y sont minutieusement décrites. De même, il pointe l'énorme omission du Front populaire et de l'antifascisme des années 1930 par Lévy, dans le développement consacré à cette période dans L'Idéologie française. À l'inverse, Le Roy Ladurie récuse l'idée que les références à la terre, à l'agriculture, à l'enracinement conduiraient nécessairement au fascisme : les États-Unis sont un pays donné en contre-exemple par Bernard-Henri Lévy, or les références de ce type n'y sont pas moins fréquentes qu'en France, ne serait-ce que dans les westerns, et plus généralement les films sur la conquête de l’Ouest[154].
Léon Poliakov publie quant à lui une mise au point, car il est, malgré lui, remercié par l'auteur de L'Idéologie française. Consulté pour relire et corriger le manuscrit, Poliakov a répondu qu'il ne se sentait « pas de taille à rédiger le compte rendu d'un pamphlet ». Il n'a donc commenté qu'un seul chapitre, et une seule de ses corrections (rectifier une erreur de date) a été retenue par Bernard-Henri Lévy : c'est en vain, que, notamment, Poliakov lui a demandé de retirer la phrase « le pays tout entier, de la droite à la gauche, de la gauche à l’extrême gauche, de l’extrême gauche à l’extrême droite qui, cinq ans avant Pétain, communiait dans le même cri rauque et déjà meurtrier : “La France aux Français[155]” ! »
Bertrand Poirot-Delpech rédige un compte-rendu qui recoupe en partie ces critiques, notamment lorsqu'il écrit : « Peut-on, en effet, parler honnêtement de la gauche démocratique depuis un siècle en réduisant Jaurès et Blum, pour ne citer qu'eux, aux attaques qu'ils ont subies ? Peut-on négliger à ce point l'antifascisme d'avant et pendant la guerre ? » puis « Comble pour un intellectuel formé aux meilleures écoles et champion de morale : le refus des “discussions interminables, où d'aucuns croient bon de s'enliser, sur l'authenticité de tel appel ou la date réelle de tel ou tel tract d'époque[156].” »
De même, pour Alain Besançon,
« Son ouvrage n’atteint pas le niveau requis pour que la critique proprement intellectuelle puisse s’exercer. Ce qu’il dit, par exemple, de la Sorbonne du début du siècle ou du communisme français pendant la guerre fera sourire ceux qui ont quelque teinture de la question mais ne leur facilitera pas la réfutation : cela n'a rien à voir avec la réalité[157]. »
Directement pris à partie par Bernard-Henri Lévy dans le livre, Denis de Rougemont lui répond dans sa propre revue, Cadmos. L'écrivain suisse reprend et commente les douze citations de lui que fait Lévy dans L'Idéologie française : « pas une n'est honnête : la plupart signifiaient dans leur contexte tout à fait autre chose que ce qu'il veut y lire aujourd'hui ; celles qui sont correctement transcrites ne sont pas de moi ; et deux sont de son invention. » En particulier, Denis de Rougemont fait valoir que les mots « [l'Action française] lutta courageusement contre la démocratie libérale et parlementaire » ne sont pas de lui mais d'Emmanuel Mounier et que la citation selon laquelle ce combat de l'AF serait « un acquis définitif du personnalisme » n'est ni de lui ni de Mounier, mais une invention de Bernard-Henri Lévy. De même, Rougemont produit une citation plus longue du passage où il parle de « mesure morte », prouvant ainsi qu'il ne fustigeait pas la démocratie, contrairement à ce que prétend Bernard-Henri Lévy, mais l'individualisme, en tant justement qu'il est incapable de lutter efficacement (selon Rougemont) contre les totalitarismes et « la tyrannie d'un seul ». Rougemont, après avoir repris les citations une à une, continue en donnant la liste des ouvrages et des brochures antinazies qu'il a publiés de 1934 à 1942, la dernière ayant été distribuée par la Royal Air Force dans le ciel des Pays-Bas. Il récuse, pour finir, l'opposition que Lévy tente d'établir entre le groupe d'Esprit (supposé fasciste) d'une part, celui du Collège de sociologie (présenté comme hermétique à tout ce qui rappelle, de près ou de loin, le fascisme) d'autre part, montrant, en citant Roger Caillois (figure du second groupe), les liens étroits existant entre les deux, à la fin des années 1930[158].
Paul Thibaud publie également une longue réfutation de l'ouvrage. Lui aussi relève des erreurs (comme la confusion entre Jacques Doriot, encore antifasciste, et un organisateur de la manifestation du , également relevée par Emmanuel Le Roy Ladurie) et des ommissions (traitant des anarchistes à la fin du XXe siècle, Lévy ne dit pas un mot de Fernand Pelloutier, pionnier du dreyfusisme ; toujours à propos de la même période, Lévy discute de la réception en France de Friedrich Nietzsche sans dire un mot des études qui sont alors publiées à Paris, par Daniel Halévy par exemple, et conclut que Nietzsche a été rejeté par xénophobie). Comme René Rémond, Paul Thibaud reproche à Bernard-Henri Lévy de maltraiter les textes, donnant, lui, l'exemple d'une citation de Georges Sorel sur Édouard Drumont : Sorel écrit certes, comme le cite Lévy, que Drumont était « un excellent journaliste », mais l'auteur de L'Idéologie française omet de citer les mots « à moitié fou » et le passage sur la capacité de Drumont « à mentir », toujours selon Sorel. Défendant Emmanuel Mounier, Paul Thibaud explique que Bernard-Henri Lévy « a fait du texte [de Mounier sur la fascisme paru en 1934] une sorte de hachis (texte cité seize fois, dont treize citations de quatre mots ou moins) » pour lui faire dire à peu près le contraire de ce qu'il veut dire : Mounier analyse le fascisme italien, les causes de son maintien au pouvoir depuis 1922, mais il refuse « le pseudo-humanisme et pseudo-spiritualisme » de cet « État policier » (ce sont les mots de Mounier). Paul Thibaud défend aussi Charles Péguy, associé (p. 131 de L'Idéologie française, édition originale) à Maurice Barrès dans l'antisémitisme, « sans qu'aucun argument saisissable soit fourni », fait valoir Paul Thibaud, qui porte ensuite une critique similaire à celle de René Rémond sur l'usage du mot « race » par Péguy. Comme Denis de Rougemont, mais avec d'autres références, Paul Thibaud montre que l'opposition faite par Bernard-Henri Lévy entre le Collège de sociologie et Esprit ne tient pas, les deux groupes s'interpénétrant et se respectant mutuellement, à la fin des années 1930. Plus fondamentalement, Paul Thibaud explique que la définition de Vichy par Bernard-Henri Lévy ne tient pas : tantôt, il le réduit au traditionalisme antiparlementaire, tantôt il intègre (ce qu'approuve Paul Thibaud, pour une fois d'accord avec Lévy) l'antisémitisme et la collaboration. Or, outre cette incohérence, Paul Thibaud relève qu'à ne retenir que la critique du parlementarisme et l'idée de refonder l'unité nationale, on pourrait traiter de vichyste Marc Bloch, républicain et résistant (Paul Thibaud donne plusieurs citations très dures), la France libre et divers opposants de la première heure à Pétain — bref, pour Paul Thibaud, Lévy confond « esprit de 1940 » et vichysme[159].
Postérité
Pour l'historien Nicolas Lebourg, « ce livre, qui décrivait la France comme un pays fascisant, a forgé les représentations de nombreuses classes intellectuelles françaises de gauche. Celles-ci n’ont dès lors eu de cesse de faire repentance avec ce passé », ce qui s'est notamment traduit par un rejet du drapeau français[160].
Jean-François Revel souligne dans ses mémoires qu'il décida de publier un large extrait du livre dans L'Express malgré « la fragilité de la documentation de (Bernard-Henry Lévy) et les outrances de sa rhétorique », car il était convaincu qu'il était alors nécessaire de « doucher le sommeil des bien-pensants, pour qui la France contemporaine sort d'une saine et fondamentale tradition républicaine, révolutionnaire, humaniste et humanitaire » à un moment où les Français commençaient à s'interroger sur leur passé, notamment celui de Vichy. Revel note que Raymond Aron jugea le livre dans L'Express « à l'aune de son absence de rigueur scientifique sur laquelle s'abattirent, il est vrai, les réquisitoires des historiens », publiés notamment dans la revue Le Débat en 1981. Revel fait en tout cas remarquer l'importance en France des idées d'extrême droite dans le débat public avant 1940, ce qui ne s'est cependant pas traduit « dans les urnes » selon lui[161].
Éric Zemmour affirme également qu'en dépit des critiques d'intellectuels de grand renom, L'Idéologie française eut une longue influence sur les élites françaises et leur offrit un « prêt à penser », nouvelle variation du cosmopolitisme aristocratique du XVIIIe siècle, avec pour unique objet la haine de la France[162]. Selon l'essayiste, la partie la plus originale de l'ouvrage à l'époque porte sur la condamnation du Parti communiste. Le PCF, selon Levy, n'est pas assez marxiste, pas assez internationaliste, trop français. Défendeur de la France, le PCF sous la plume de Lévy devient un parti d'extrême droite[162]. Pour Zemmour, avec L'Idéologie française, les intellectuels peuvent s'arracher aux solidarités nationales, s'affranchir définitivement des questions sociales qui portent désormais le sceau du nazisme[162].
Dans son étude sur « le syndrome de Vichy », l'historien Henry Rousso évoque l'ouvrage de Bernard-Henry Lévy, auteur « critiqué (…) pour son incompétence historique, ses amalgames et syllogismes grossiers », comme :
« un brûlot maladroit, où le ton inquisitorial et péremptoire ne peut faire oublier que Lévy appartient après tout à cette cohorte des ci-devant marxistes, dont la rupture de ban s'est déroulée dans le même vacarme que leurs noces[163]. »
Bernard Comte, dans sa thèse sur l'École Nationale d'Uriage[164], dénonce : « un écrivain de talent, dans un essai où règnent l'approximation et l'amalgame au mépris de toute méthode historique l'a évoquée [l'école d'Uriage] comme un "laboratoire du vichysme" où s'exprimait la "quintessence du pétainisme". »
Notes et références
- Christian Bonnet, cité dans « Quand Christian Bonnet soigne la « “vérole” », Le Nouvel Observateur, 19 mai 1980.
- Lionel Stoléru, déclaration faite à Metz, le 14 octobre 1980, cité par Le Monde du 16 octobre 1980.
- Raymond Barre cité dans « Les trois leçons de Raymond Barre », charlieenchaine.free.fr, 10 mars 2007.
- Jean-Pierre Pochon, Les Stores rouges, au cœur de l’infiltration d’Action directe, Éditions des Équateurs, 2008.
- Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, PUF, p. 102 :
« L'erreur de Kant a été de prendre le temps pour un milieu homogène. Il ne paraît pas avoir remarqué que la durée réelle se compose de moments intérieurs les uns aux autres, et que lorsqu'elle revêt la forme d'un tout homogène, c'est qu'elle s'exprime en espace. Ainsi la distinction même qu'il établit entre l'espace et le temps revient, au fond, à confondre le temps avec l'espace. »
- Bernard-Henri Lévy, L'Idéologie française, Grasset, p. 141.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 144.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 161.
- Sur l'influence de Bergson sur Heidegger, (retour au concret, critique de la technique, etc.) voir notamment Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 258 et suiv.
- Marlène Zarader 1990, p. 9 de la Préface.
- Emmanuel Levinas 1982, p. 17-18.
- Camille Riquier 2009, p. 34.
- « Loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 » (version du 8 août 2012 sur Internet Archive).
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 56 et suiv. Voir sur ce point Robert Paxton, La France de Vichy 1940-1944, Seuil, 1973.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 59 et suiv. Voir sur ce point Robert Paxton, Vichy et les Juifs avec Michaël R. Marrus, Calmann-Lévy, 1981
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 67 et suiv.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 68.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 52 et suiv.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 153.
- Raïssa Maritain, Henri Bergson, éditions de La Relève, 1941, p. 1Texte en ligne
- Foucault renvoie notamment à la lettre de Karl Marx à Friedrich Engels du 27 juillet 1854, et à la lettre de Karl Marx à J. Weydemeyer du 5 mars 1852. Michel Foucault, « Il faut défendre la société », Gallimard-Seuil, note 6, p. 74.
- Henri de Boulainvillers, État de la France, Londres 1727. Sur les théories de Boulainvilliers, voir Michel Foucault, « Il faut défendre la société », Gallimard-Seuil, p. 127 et suiv.
- Sieyès, qu'est-ce que le Tiers-État ? Paris, 1789 : « La nation, alors épurée, pourra se consoler, je pense, d’être réduite à ne se plus croire composée que des descendants des Gaulois et des Romains. En vérité, si l’on tient à vouloir distinguer naissance et naissance, ne pourrait-on pas révéler à nos pauvres concitoyens que celle qu'on tire des Gaulois et des Romains vaut au moins autant que celle qui viendrait des Sicambres, des Welches et autres sauvages sortis des bois et des marais de l’ancienne Germanie ? Oui, dira-t-on ; mais la conquête a dérangé tous les rapports, et la noblesse de naissance a passé du côté des conquérants. Eh bien ! il faut la faire repasser de l’autre côté ; le Tiers redeviendra noble en devenant conquérant à son tour.Texte en ligne
- Sur Sieyès, voir Michel Foucault, « Il faut défendre la société », p. 193 et suiv.
- Sur ce sujet, voir notamment Augustin Thierry, Essai sur l’histoire de la formation et des Progrès du Tiers-État, dans Œuvres complètes V, Paris, 1868, Auguste Comte, Philosophie des sciences, Gallimard, 1997, ainsi que Michel Foucault, « Il faut défendre la société », Gallimard-Seuil, p. 207 et suiv.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 103.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 96
- Michel Foucault, « Il faut défendre la société », Gallimard-Seuil, p. 164.
- Voir notamment sur ce sujet, Henri Bergson, L'énergie spirituelle, PUF, p. 8 : « Rien n'est plus aisé que de raisonner géométriquement, sur des idées abstraites, il [le penseur] construit sans peine une doctrine où tout se tient, et qui paraît s'imposer par sa rigueur. Mais cette rigueur vient de ce qu'on a opéré sur une idée schématique et raide, au lieu de suivre les contours sinueux et mobiles de la réalité. Combien serait préférable une philosophie plus modeste, qui irait tout droit à l'objet sans s'inquiéter des principes dont il paraît dépendre ! »Texte en ligne
- Voir sur ce sujet, Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 150 et suiv.
- Sur ce sujet, voir notamment, Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, PUF, p. 103 : « Si le temps, tel que la conscience immédiate l'aperçoit, était comme l’espace un milieu homogène, la science aurait prise sur lui comme sur l’espace. Or nous avons essayé de prouver que la durée en tant que durée, le mouvement en tant que mouvement, échappent à la connaissance mathématique, laquelle ne retient du temps que la simultanéité, et du mouvement lui-même que l’immobilité. C’est de quoi les Kantiens et même leurs adversaires ne paraissent pas s’être aperçus : dans ce prétendu monde phénoménal, fait par la science, tous les rapports qui ne se peuvent traduire en simultanéité, c'est-à-dire en espace, sont scientifiquement inconnaissables. »Texte en ligne Voir également, Henri Bergson, L'Évolution créatrice, PUF
- Sur le Cercle Proudhon, voir notamment Zeev Sternhell, La Droite révolutionnaire, 1885-1914, Paris, Gallimard, Folio, 1998
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 139 et suiv.
- Karl Marx, La Question Juive, 1844 : « Avant tout, nous constatons que les droits dits de l’homme, les droits de l’homme par opposition aux droits du citoyen, ne sont rien d'autre que les droits du membre de la société bourgeoise, c'est-à-dire de l’homme égoïste, de l’homme séparé de l’homme et de la collectivité.[…] La sûreté est le concept social suprême de la société bourgeoise, le concept de la police, selon lequel toute la société n'est là que pour garantir à chacun de ses membres la conservation de sa personne, de ses droits et de sa propriété. En ce sens Hegel appelle la société bourgeoise l'« État de nécessité et de l'entendement ». »
- Karl Marx et Friedrich Engels, L’Idéologie allemande, p. 5 : « Ces rêves innocents et puérils forment le noyau de la philosophie actuelle des Jeunes-Hégéliens, qui, en Allemagne, n’est pas seulement accueillie par le public avec un respect mêlé d’effroi, mais est présentée par les héros philosophiques eux-mêmes avec la conviction solennelle que ces idées d'une virulence criminelle constituent pour le monde un danger révolutionnaire. Le premier tome de cet ouvrage [L'Idéologie allemande] se propose de démasquer ces moutons qui se prennent et qu'on prend pour des loups, de montrer que leurs bêlements ne font que répéter dans un langage philosophique les représentations des bourgeois allemands. »Texte en ligne
- Karl Marx, Thèses sur Feuerbach : « L’essence de l’homme n’est pas une abstraction inhérente à l’individu isolé. Dans sa réalité, elle est l’ensemble des rapports sociaux. […]Le point de vue de l'ancien matérialisme est celui de la société bourgeoise. Le nouveau matérialisme se situe au point de vue de la société humaine ou de l'humanité sociale. Les philosophes n’ont fait qu'interpréter le monde de diverses manières mais ce qui importe, c’est de le transformer. » Texte en ligne
- Voir, par exemple, Karl Marx, Le Capital, livre I, première section, Marchandise et monnaie : « Une chose peut donc formellement avoir un prix, sans avoir une valeur. L'expression-prix devient ici imaginaire à la façon de certaines grandeurs mathématiques. » Texte en ligne
- Karl Marx lettre à Friedrich Engels du 18 juin 1862 : "Il est curieux de voir comment Darwin retrouve chez les bêtes et les végétaux sa société anglaise avec la division du travail, la concurrence, l’ouverture de nouveaux marchés, les « inventions » et la « lutte pour la vie » de Thomas Malthus. C’est le bellum omnium contre omnes [la guerre de tous contre tous] de Hobbes, et cela fait penser à la phénoménologie de Hegel, où la société bourgeoise figure sous le nom de « règne animal intellectuel », tandis que chez Darwin, c’est le règne animal qui fait figure de société bourgeoise."
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 162 et suiv.
- Pierre-Joseph Proudhon, De la justice dans la révolution et dans l'Église, nouveaux principes de philosophie pratique, Paris, 1860 p. 252 : « Il faut exterminer toutes les mauvaises natures, et renouveler le sexe, par l’élimination des sujets vicieux, comme les Anglais refont une race de bœufs, de moutons, et de porcs. ». Ou encore : « Juifs. Faire un article contre cette race qui envenime tout, en se fourrant partout, sans jamais se fondre avec aucun peuple. Demander son expulsion de France, à l’exception des individus mariés avec des Françaises ; abolir les synagogues, ne les admettre à aucun emploi, poursuivre enfin l’abolition de ce culte. Ce n’est pas pour rien que les chrétiens les ont appelés déicides. Le juif est l'ennemi du genre humain. Il faut renvoyer cette race en Asie, ou l’exterminer. » Pierre-Joseph Proudhon, cité par Pierre Haubtmann, Pierre-Joseph Proudhon, sa vie et sa pensée, 1809-1849, Beauchesne, 1982, p. 739.
- Alphonse Toussenel, Les juifs rois de l'époque, histoire de la féodalité financière, éd. Librairie de l'École sociétaire, 1845, p. 4 : « Tous les liseurs de Bible, qu'on les appelle Juifs ou Genevois, Hollandais, Anglais, Américains, ont dû trouver écrit dans leur livre de prières que Dieu avait concédé aux serviteurs de sa loi le monopole de l'exploitation du globe, car tous ces peuples mercantiles apportent, dans l'art de rançonner le genre humain, la même ferveur de fanatisme religieux. C'est pourquoi je comprends les persécutions que les Romains, les Chrétiens et les Mahometans ont fait subir aux Juifs. La répulsion universelle que le juif a inspirée si longtemps n'était que la juste punition de son implacable orgueil, et nos mépris les représailles légitimes de la haine qu'il semblait porter au reste de l’humanité. »
- Sur le racisme d'Auguste Blanqui, voir Maurice Paz, « L'idée de race chez Blanqui », dans Acte du Colloque "L'idée de race dans la politique française d'avant 1914", université d'Aix-en-Provence, mars 1975, p. 4-5.
- Louis Thomas, Alphonse Toussenel : Socialiste national antisémite (1803-1885), Paris, Mercure de France, 1941.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 122 ainsi que p. 238 et suiv.
- Gobineau, Essai sur l'inégalité des races humaines ; texte en ligne.
- Édouard Drumont, La France juive, Marpon & Flammarion, 1886, II, p. 59-60: « L'aristocratie, du moins celle qui figure dans les comptes rendus des journaux parisiens, est littéralement vautrée aux pieds des Rothschild […] II y a dans cet avilissement quelque chose de véritablement incompréhensible. Quel exemple plus frappant du degré où peuvent tomber des descendants d'illustres races. »
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 104 et suiv.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 120 et suiv.
- Abbé Mugnier, Journal, Mercure de France, p. 193.
- Voir sur ce sujet, Cardinal Pierre Paulin Andrieu, archevêque de Bordeaux, la Semaine religieuse du diocèse de Bordeaux, 25 août 1926 : « Catholiques par calcul et non par conviction, les dirigeants de l'Action française se servent de l’Église, ou du moins ils espèrent s’en servir, mais ils ne la servent pas puisqu'ils repoussent l’enseignement divin qu'elle a mission de propager […]. Athéisme, agnosticisme, antichristianisme, anticatholicisme, amoralisme de l’individu et de la société, nécessité pour maintenir l’ordre, en dépit de ces négations subversives, de restaurer le paganisme avec toutes ses injustices et ses violences, voilà mes chers amis, ce que les dirigeants de l'Action française enseignent à leurs disciples. »
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 143 et suiv.
- Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, PUF, p. 101.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 149.
- Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des idoles : "Le malade est un parasite de la Société. Arrivé à un certain état il est inconvenant de vivre plus longtemps. L’obstination à végéter lâchement, esclave des médecins et des pratiques médicales, après que l’on a perdu le sens de la vie, le droit à la vie, devrait entraîner, de la part de la Société, un mépris profond. Les médecins, de leur côté, seraient chargés d’être les intermédiaires de ce mépris, — ils ne feraient plus d’ordonnances, mais apporteraient chaque jour à leurs malades une nouvelle dose de dégoût… Créer une nouvelle responsabilité, celle du médecin, pour tous les cas où le plus haut intérêt de la vie, de la vie ascendante, exige que l’on écarte et que l’on refoule sans pitié la vie dégénérescente — par exemple en faveur du droit de vivre…" Texte en ligne
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 147.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 70 et suiv. :
« Le fascisme peut frayer ses voies sans bombes et sans terreur, comme un pli très ancien dont on retrouverait la marque. […] Les mêmes hommes – l'analyse comparée des annuaires des grands corps de l'État de 1939 à la Libération en témoignent – recommencent de gérer, de décréter, d'administrer, comme si rien ne s'était passé. […] Aujourd'hui encore, tant de complices des miliciens continuent de rôder, très logiquement, et sans que personne ou presque y trouve à redire, dans tels appareils de la France giscardienne… La France est ce pays – il ne faut jamais l'oublier – où le propre procureur général [André Mornet] qui fut chargé de juger les crimes de Pétain et de Laval ne fut autre que celui qui, cinq ans plus tôt, contribuait sous leur autorité à la révision des naturalisations issus de la loi de 1927 ; et dont je ne puis qu'inviter, pour finir, à relire l'ouvrage qu'il crut bon de publier alors et dont le titre, à soi seul, est déjà tout un programme, tout son programme, tout le programme de la France depuis un demi-siècle bientôt : Quatre années à rayer de notre histoire. »
Voir également Christian Rossignol, Inadaptation, Handicap, Invalidation, université de Strasbourg, 1999 : « C’est le même André Mornet qui, quelques années plus tôt, participait à la “purification” de la nation française en siégeant à la commission pour la révision des naturalisations, qui retira la nationalité française à 15 145 réfugiés dont 6 307 israélites. En 1945, procureur général aux procès Pétain et Laval, il lance à la foule : “Il y a trop d’Allemands dans cette salle”. »
Sur l'analyse comparée des annuaires des grands corps de l'État entre 1939 et 1945, voir Robert Paxton, La France de Vichy, Seuil, p. 313, ainsi que L'Idéologie française, p. 277, note 35. - Sur ce point, voir également Philippe Sollers et Gérard Miller, « A propos du fascisme français », Tel Quel, no 64, Gallimard, 1975 ; Zeev Sternhell, La Droite révolutionnaire 1885-1914. Les origines du fascisme français, Seuil, 1978.
Voir encore la déclaration du cardinal Andrieu, référencée plus haut : « Les dirigeants de l'Action française se servent de l’Église, ou du moins ils espèrent s’en servir… » - Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, PUF, p. 47 : « La pure durée pourrait bien n'être qu'une succession de changements qualitatifs qui se fondent, qui se pénètrent, sans contours précis, sans aucune tendance à s'extérioriser les uns par rapport aux autres, sans aucune parenté avec le nombre : ce serait l'hétérogénéité pure. Mais nous n'insisterons pas, pour le moment, sur ce point : qu'il nous suffise d'avoir montré que, dès l'instant où l'on attribue la moindre homogénéité à la durée, on introduit subrepticement l'espace. »
- Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, PUF, p. 47 : « Ce qu'il faut dire, c'est que nous connaissons deux réalités d'ordre différent, l'une hétérogène, celle des qualités sensibles, l'autre homogène, qui est l'espace. Cette dernière, nettement conçue par l'intelligence humaine, nous met à même d'opérer des distinctions tranchées, de compter, d'abstraire, et peut-être aussi de parler. »
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 122 et suiv.
- Charles Maurras Discours préliminaire à l'Enquête sur la Monarchie (1900-1924)", Nouvelle Librairie Nationale, ¨Paris, 1924, p. XXV : « Si les idées du pays légal sont acquis à la Vraie République, de plus en plus républicaine, donc gaspilleuse et désargentée, à la République étatiste, internationale, étrangère, le pays vrai veut vivre et son élite n'a aucun goût pour la mort. »
- Charles Maurras cité par Corinne Grenouillet, Lecteurs et lectures des communistes d’Aragon, PUF, p. 199.
- Voir sur ce sujet, Zeev Sternhell, La Droite révolutionnaire, 1885-1914, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1998.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 139.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 192 et suiv.
- Marcel Proust, Lettre à Daniel Halévy du 19 juillet 1919, dans Lettres, Plon, p. 911.
- Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des idoles : « Qui parmi les Allemands connaît encore par expérience ce léger frisson que fait passer dans tous les muscles le pied léger des choses spirituelles ! – La raide balourdise du geste intellectuel, la main lourde au toucher – cela est allemand à un tel point, qu'à l’étranger on le confond avec l’esprit allemand en général. L’Allemand n’a pas de doigté pour les nuances… Le fait que les Allemands ont pu seulement supporter leurs philosophes, avant tout ce cul-de-jatte des idées, le plus rabougri qu'il y ait jamais eu, le grand Kant, donne une bien petite idée de l’élégance allemande. »Texte en ligne
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 144.
- Le débat eut lieu le 31 mars 1922, à 17 heures, dans la salle 8 du Collège de France. Bergson en tira la conclusion que : « l'Espace et le Temps […] restent ce qu'ils étaient, distincts l'un de l'autre, incapables de se mêler autrement que par l’effet d’une fiction mathématique destinée à symboliser une vérité physique. » Durée et Simultanéité. À propos de la théorie d’Einstein, PUF, p. 111-112.
- Henri Bergson, Durée et Simultanéité. À propos de la théorie d’Einstein, PUF p. 63.
- Marcel Proust, Lettre à Armand de Guiche du 17 juin 1921, Correspondance XX, Plon, p. 348 : « Bergson trouve que si le jour où une femme meurt au Cap, sa fille en a la vision à Paris, ce n’est pas là un fait extraordinaire ; mais que l’extraordinaire est que ces phénomènes se produisent si rarement. »
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 238 et suiv.
- Maurice Barrès Programme de Nancy (repris dans Scènes et doctrines du nationalisme, Paris, 1902) : « Les idées nationalistes et sociales que nous avons fait triompher ensemble une première fois, en 1889, avaient à ce moment effrayé certains esprits, à cause de la popularité du général Boulanger. […] Le Comité républicain socialiste nationaliste de Meurthe-et-Moselle et un grand nombre d’électeurs indépendants m’ont demandé de reprendre la lutte électorale. À une politique n’ayant pour objet que des animosités à satisfaire et, pour mobile, que l’avidité de dominer, je viens de nouveau opposer ces idées nationales et sociales que déjà vous avez acclamées et que vous ne répudierez pas aujourd’hui. »
- Maurice Barrès, Scènes et doctrines du nationalisme, Paris, 1902, T I, p. 49.
- Maurice Barrès, op. cit., T I, p. 85 : « Notre mal profond, c'est d'être divisés, troublés par mille volontés particulières, par mille imaginations individuelles. Nous sommes émiettés, nous n'avons pas une connaissance commune de notre but, de nos ressources, de notre centre. »
- Maurice Barrès, op. cit., T.I, p. 19 : « Nous sommes la continuité de nos parents, ils pensent et parlent en nous […]. C'est tout un vertige où l'individu s'abîme pour se retrouver dans la famille, dans la race, dans la nation. »
- Maurice Barrès Les Déracinés (Roman de l'énergie nationale), Paris, 1897
- Maurice Barrès, op. cit., T I, p. 18 : « Nous ne sommes pas les maîtres des pensées qui naissent en nous. Elles ne viennent pas de notre intelligence ; elles sont des façons de réagir où se traduisent de très anciennes dispositions […]. La raison humaine est enchaînée de telle sorte que nous repassons tous dans les pas de nos prédécesseurs. »
- Maurice Barrès, Le Jardin de Bérénice, cité par Zeev Sternhell, Maurice Barrès et le nationalisme français, p. 173.
- Maurice Barrès, op. cit., T I, p. 10 : « Un nationaliste, c'est un Français qui a pris conscience de sa formation. Nationalisme est acceptation d'un déterminisme. »
- Maurice Barrès, cité par Zeev Sternhell, Maurice Barrès et le nationalisme français, p. 57
- Maurice Barrès, op. cit., T I, p. 85 : « Certaines races enfin arrivent à prendre conscience d'elles-mêmes organiquement. C'est le cas des collectivités anglo-saxonnes et teutoniques qui sont de plus en plus en voie de se constituer comme race. »
- Maurice Barrès, Programme de Nancy : « La question juive est liée à la question nationale. Assimilés aux Français d’origine par la Révolution, les Juifs ont conservé leurs caractères distinctifs, et, de persécutés qu'ils étaient autrefois, ils sont devenus dominateurs. »
- Maurice Barrès, Programme de Nancy : « Aux sommets de la société comme au fond des provinces, dans l’ordre de la moralité comme dans l’ordre matériel, dans le monde commercial, industriel, agricole, et jusque sur les chantiers où il fait concurrence aux ouvriers français, l’étranger, comme un parasite, nous empoisonne. Un principe essentiel selon lequel doit être conçue la nouvelle politique française, c’est de protéger tous les nationaux contre cet envahissement, et c’est aussi qu'il faut se garder contre ce socialisme trop cosmopolite ou plutôt trop allemand qui énerverait la défense de la patrie. »
- Maurice Barrès op. cit., T 2, p. 224-225 : « Pourquoi, au reste, une loi générale ? L'égalité ne consiste pas dans l'uniformité, comme nos bureaucrates le croient, mais dans une égale reconnaissance des nécessités différentes. »
- Maurice Barrès, cité par Zeev Sternhell, Maurice Barrès et le nationalisme français, Armand Colin, 1972.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 108. Voir également Zeev Sternhell, Maurice Barrès et le nationalisme français, Armand Colin, 1972.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 108.
- Charles Péguy, Notre Jeunesse, Gallimard, p. 166.
- Charles Péguy, Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne, Pléiade II, p. 1379 : « L’homme se retourne vers sa race et aussitôt après son père et sa mère. »
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 112.
- Charles Péguy, Œuvres en prose complètes, Notre Jeunesse, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, tome III, 1992, p. 14 :
« Des pensées, des instants, des races, des habitudes qui, pour nous, étaient le type même de la vie, à qui par conséquent on ne pensait même pas, qui étaient plus que légitimes, plus qu'indiscutées : irraisonnées, sont devenues ce qu'il y a de pire au monde : des thèses, historiques, des hypothèses, je veux dire ce qu’il y a de moins solide, de plus inexistant. »
- Charles Péguy, Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne, Bibliothèque de La Pléiade, tome II, p. 1379 : « Il [l’homme] ne voit plus qu'une immense masse et une innombrable race. »
- Charles Péguy, Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne, Bibliothèque de La Pléiade, tome II, p. 1379.
- Charles Péguy, Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne, Pléiade II, p. 1532 : « Pour la première fois dans l’histoire du monde toutes les puissances spirituelles ensemble et d’un seul mouvement ont reculé sur la face de la terre. Et comme une immense ligne elles ont reculé sur toute la ligne. Pour la première fois dans l’histoire du monde, l’argent est maître sans limitation ni mesure. »
- Charles Péguy, L’Argent, Bibliothèque de La Pléiade, tome II, p. 1114 : « Je demande pardon au lecteur de prononcer ici le nom de M. Jaurès. C’est un nom qui est devenu si bassement ordurier que quand on l’écrit, pour l’envoyer aux imprimeurs, on a l’impression de tomber sous le coup d’on ne sait quelles lois pénales. »
- Henri Bergson, L'Énergie créatrice, PUF.
- Philippe Pétain, cité par Hubert Beuve-Méry, Charles Péguy et la révolution du XXe siècle, Conférence à Uriage, 1942, p. 32.
- Sur ce sujet, voir Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 110 et suiv.
- Georges Sorel, Réflexions sur la violence, Paris, 1908 :
« Je comprends que ce mythe de la grève générale froisse beaucoup de gens sages à cause de son caractère d'infinité ; le monde actuel est très porté à revenir aux opinions des anciens et à subordonner la morale à la bonne marche des affaires publiques, ce qui conduit à placer la vertu dans un juste milieu. Tant que le socialisme demeure une doctrine entièrement exposée en paroles, il est très facile de le faire dévier vers un juste milieu; mais cette transformation est manifestement impossible quand on introduit le mythe de la grève générale, qui comporte une révolution absolue. »
- Sur ce sujet, voir Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 126 et suiv.
- Georges Sorel, op. cit. :
« La férocité des conventionnels s'explique facilement par l'influence des conceptions que le Tiers État avait puisées dans les pratiques détestables de l'Ancien Régime. […] L'on ne saurait confondre les violences syndicalistes exercées au cours des grèves par des prolétaires qui veulent le renversement de l'État avec ces actes de sauvageries que la superstition de l'État a suggérés aux révolutionnaires de 93, quand ils eurent le pouvoir en main et qu'ils purent exercer sur les vaincus l’oppression. »
- Édouard Berth, Les Nouveaux Aspects du socialisme, Paris, 1908, p. 57.
- Edouard Berth (Darville), Satellites de la ploutocratie, dans Cahiers du Cercle Proudhon, septembre-décembre 1912 (Berth s'inspire de la devise de la maison de Crussol : ferro non auro – "par le fer et non par l'or".)
- Edouard Berth, Les Nouveaux Aspects du socialisme, Paris, 1908, p. 54.
- Georges Sorel, op. cit. : « Les syndicats révolutionnaires raisonnent sur l'action socialiste exactement de la même manière que les écrivains militaires raisonnent sur la guerre ; ils enferment tout le socialisme dans la grève générale ; ils regardent toute combinaison comme devant aboutir à ce fait ; ils voient dans chaque grève une imitation réduite, un essai, une préparation du grand bouleversement final. »
- Georges Sorel, op. cit.
- Georges Sorel, op. cit. :
« La grève générale est bien ce que j'ai dit : le mythe dans lequel le socialisme s’enferme tout entier, c’est-à-dire une organisation d’images capables d’évoquer instinctivement tous les sentiments qui correspondent aux diverses manifestations de la guerre engagée par le socialisme contre la société moderne. […] Faisant appel à des souvenirs très cuisants de conflits particuliers, elle [la grève] colore d’une vie intense tous les détails de la composition présentée à la conscience. Nous obtenons ainsi cette intuition du socialisme que le langage ne pouvait pas donner d’une manière parfaitement claire – et nous l’obtenons dans un ensemble perçu instantanément. »
- Sur ce point, voir Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 129-130.
- Édouard Berth, Guerre des États ou Guerre des classes, Paris, 1924 :
« Quand toute l’humanité sera insérée dans le rythme de la production ; quand le travail souverain aura éliminé toutes les formes du parasitisme, même ses formes les plus sacrées ; quand, autrement dit, l’Action aura pris décidément l’emport sur la Contemplation, et que la Cité du travail aura remplacé l’ancienne Cité héroïque, que rien, jusqu'ici, n’avait encore remplacée – alors, comme dit Proudhon, la Beauté se révélera de nouveau aux hommes par le nouvel Ascète, que sera le Travailleur social. »
- Voir sur ce sujet, J.J. Roth, The roots of italian fascisme : Sorel and sorelismo, dans Journal of Modern History, vol. 39, no 1, 1967
- Georges Sorel, lettres à [Mario] Missiroli et Croce, cité par J.J. Roth, op. cit., p. 40 : « Il va sans dire que je ne serais pas peu fier si la lecture de mes livres avait pu intéresser un Lénine ou un Mussolini. Intéresser, c'est déjà beaucoup et je ne demande pas plus, surtout en ce qui concerne de tels hommes. »
- Georges Sorel, cité par Shlomo Sand, Sorel, les Juifs et l’antisémitisme, dans Cahiers Georges Sorel, n° 2, 1984, p. 30.
- C'est la thèse principale de Georges Sorel, dans Guerre des États ou Guerre des classes, Paris, 1924.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 200 et suiv.
- Sur ce sujet, voir Robert Paxton, La France de Vichy 1940-1944, Seuil, et Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 199.
- C'est l'argument de Martin Heidegger, notamment, pour expliquer les massacres de masse du XXe siècle.
- Sur ce point, voir Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 258 et suiv.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 200.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 199.
- Daniel Halévy cité par Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 152-153.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 152 et suiv.
- Marcel Proust, lettre à Daniel Halévy du 19 juillet 1919, dans Lettres, Plon, p. 911 (Daniel Halévy est notamment l'éditeur de Péguy et de Sorel.)
- « Pour un parti de l’intelligence », manifeste publié dans Le Figaro du 19 juillet 1919, signé entre autres par Charles Maurras et Daniel Halévy, ainsi que par Paul Bourget, Henri Massis, Jacques Bainville, Edmond Jaloux, etc.
- Philippe Pétain, Discours du 11 octobre 1940.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 69.
- Marcel Proust, Le Temps retrouvéTexte en ligne
- Marcel Proust, Lettre à Armand de Guiche du 17 juin 1921, Correspondance XX, Plon, p. 348.
- Bernard-Henri Lévy, La Barbarie à visage humain, Grasset, p. 81.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 219-220.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 208 et suiv.
- Hegel, La Phénoménologie de l’Esprit, (trad. Hyppolite), Paris, 1941, p. 462 :
« La conscience vit dans l'angoisse de souiller la splendeur de son intériorité par l'action et l’être-là, et pour préserver la pureté de son cœur, elle fuit le contact de l’effectivité et persiste dans l’impuissance entêtée […] L’objet creux qu’elle crée pour soi-même la remplit donc maintenant de la conscience du vide. Son opération est aspiration nostalgique qui ne fait que se perdre en devenant objet sans essence, et au-delà de cette perte retombant vers soi-même se trouve seulement perdue ; – dans cette pureté transparente de ses moments elle devient une malheureuse belle âme, comme on la nomme, sa lumière s'éteint peu à peu en elle-même, et elle s'évanouit comme une vapeur sans forme qui se dissout dans l'air. »
- Hegel, Philosophie de l'Histoire, Poche, p. 27-28 ; « L'histoire universelle est le progrès dans la conscience de la liberté – progrès dont nous avons à reconnaître la nécessité. »
- C'est la thèse de Louis Althusser, qu'il expose notamment dans Pour Marx, Maspero, 1965. La rupture de Marx avec le concept d'aliénation date des années 1845-1846, avec les thèses sur Feuerbach et la publication de L'Idéologie allemande, selon Althusser.
- Karl Marx, Préface de la Contribution à la critique de l’économie politique, Ed. Sociales, 1972, p. 4 : « Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s’élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. »
- Ludwig Andreas Feuerbach, L’Essence du christianisme, Paris, 1864, p. 424 : « L’individu est l’être réel, le sujet individuel dont l’essence absolue est l’espèce, l’essence de l’espèce. Un sujet ayant pour attribut essentiel l’essence de l’espèce humaine. Pratiquement, cela veut dire que chaque individu humain porte en lui l’essence humaine, dans la forme de la méconnaissance même de l’essence humaine. Mais il la porte dans les bornes de l’individualité »
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 173 et suiv.
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 261 et suiv.
- Jacques Derrida, « Friendship and Politics », in Althusserian Legacy, Verso, Londres, 1989.
- Maurice Barrès, op. cit., T I, p. 13 : « L'ensemble de ces rapports justes et vrais entre des objets donnés et un homme déterminé, le Français, c'est la vérité et la justice françaises ; trouver ces rapports, c'est la raison française. Et le nationalisme net, ce n'est rien d'autre que de savoir l'existence de ce point, de le chercher et l'ayant l'atteint, de nous y tenir pour prendre de là notre art, notre politique et toutes nos activités. »
- Bernard-Henri Lévy, op. cit., p. 73 et suiv.
- Charles Maurras, Trois idées, Chateaubriand, Michelet, Sainte-Beuve, Paris, 1912.
- Michel Foucault, Non au sexe roi, entretien avec Bernard-Henri Lévy, Le Nouvel Observateur no 644, 1977, repris dans Dits et écrits II, Gallimard, 2001 ; texte en ligne.
- Marie-Laetitia Bonavita, « L'Idéologie française », Le Figaro, (lire en ligne, consulté le ).
- Bernard Pivot, La Guêpe Lévy, dans Lire, mars 1981
- Stratégie de Philippe Sollers
- Philippe Sollers, Français, vous pouvez savoir ! dans Le Matin de Paris, 15 janvier 1981
- Jean-Toussaint Desanti, Le fond des eaux, dans Le Matin de Paris 15 janvier 1981 Le fond des eaux
- Jorge Semprún, « Un Débat nécessaire », Le Point, 26 janvier 1981, Un débat nécessaire
- Raymond Aron, « Provocation », L'Express, 07/02/1981, lire en ligne.
- Jean-François Revel, L’Ambigüité française, L'Express, 17 février 1981, L’ambigüité française
- Pierre Nora, « Un idéologue bien de chez nous », Le Débat, no 13, juin 1981, p. 102-103, lire en ligne.
- René Rémond, « Rhapsodie en mineur », Le Point, n° 436, 26 janvier 1981, p. 106.
- Emmanuel Le Roy Ladurie, « En lisant L'Idéologie française », Le Débat, no 13, juin 1981, p. 97-101, lire en ligne.
- Léon Poliakov, « Mise au point », Le Débat, no 13, juin 1981, p. 104-109, lire en ligne.
- Bertrand Poirot-Delpech, « Tous des fascistes ! », Le Monde, 16/01/1981, lire en ligne.
- Alain Besançon, « Un livre à oublier », Le Point, n° 436, 26 janvier 1981, p. 107.
- Denis de Rougemont, « Un falsificateur vu de près », Cadmos, été 1981, pp. 70-86.
- Paul Thibaud, « Du sel sur nos plaies. À propos de L'Idéologie française, Esprit, nouvelle série, no 53, mai 1981, p. 3-9, 12-33, lire en ligne.
- Sandra Franrenet, « Comment le drapeau français a repris des couleurs », sur lemonde.fr, Le Monde, (consulté le ).
- Jean-François Revel, Mémoires. édition intégrale, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2018, p. 618-622
- Éric Zemmour, Le Suicide français, Albin Michel 2014, p. 191-196.
- Henry Rousso, Le Syndrome de Vichy, 1944-198…, Paris, Éditions du Seuil, , 383 p. (ISBN 2-02-009772-9, présentation en ligne), p. 189-194.
- Bernard Comte, L'école nationale des cadres d'Uriage, thèse de doctorat en Histoire, Atelier national de reproduction des thèses, (ISBN 2-284-00000-2), Volume 1 page 7.
Voir aussi
Bibliographie
- Bertrand Poirot-Delpech, « Tous des fascistes ! », Le Monde, (lire en ligne).
- Emmanuel Le Roy Ladurie, « En lisant L'Idéologie française », Le Débat, no 13, , p. 97-101 (lire en ligne).
- Pierre Nora, « Un idéologue bien de chez nous », Le Débat, no 13, , p. 102-103 (lire en ligne).
- Léon Poliakov, « Mise au point », Le Débat, no 13, , p. 104-109 (lire en ligne).
- Denis de Rougemont, « Un falsificateur vu de près », Cadmos, été 1981, pp. 70-86.
- Henry Rousso, Le Syndrome de Vichy, 1944-198…, Paris, Éditions du Seuil, , 383 p. (ISBN 2-02-009772-9, présentation en ligne), p. 189-194.
- Paul Thibaud, « Du sel sur nos plaies : à propos de L'Idéologie française », Esprit, no 53, , p. 3-9 (JSTOR 24268369).