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Affaire Robert Boulin

L’affaire Robert Boulin est une affaire judiciaire française liĂ©e Ă  la mort brutale de Robert Boulin, ministre du Travail en exercice, dont le corps est retrouvĂ© au matin du 30 octobre 1979 dans l'Ă©tang Rompu de la forĂȘt de Rambouillet. L'enquĂȘte menĂ©e par le SRPJ de Versailles conclut Ă  un suicide. Cependant, cette thĂšse est de plus en plus contestĂ©e, au profit de celle d'un assassinat.

Affaire Robert Boulin
Plan de Saint-Léger-en-Yvelines et de ses environs : l'étang Rompu, dans lequel le corps de Boulin se trouvait, se situe à l'intérieur de la seule boucle prononcée de la route qui relie Saint-Léger à Montfort-l'Amaury.
Plan de Saint-Léger-en-Yvelines et de ses environs : l'étang Rompu, dans lequel le corps de Boulin se trouvait, se situe à l'intérieur de la seule boucle prononcée de la route qui relie Saint-Léger à Montfort-l'Amaury.

Fait reproché Suicide par noyade et empoisonnement requalifié en assassinat par intoxication (affaire en cours)
Chefs d'accusation Suicide ou assassinat politique
Pays Drapeau de la France France
Ville Étang Rompu (forĂȘt de Rambouillet) Ă  Saint-LĂ©ger-en-Yvelines 48° 44â€Č 18″ N, 1° 46â€Č 30″ E
Date Entre le 29 et le (8 h 40)
Jugement
Statut Affaire en cours
‱ Affaire jugĂ©e en 1re instance : non-lieu rendu au tribunal de grande instance de Paris (1991)
‱ Affaire en appel : confirmation du non-lieu (1992)
‱ Affaire en cassation : confirmation du non-lieu (1992)
Date du jugement
Recours Le parquet de Versailles ouvre une information judiciaire pour « arrestation, enlÚvement et séquestration suivis de mort ou assassinat » (2015)

En 1983, la famille Boulin, conseillée par l'avocat Jacques VergÚs, dépose plainte contre X. L'information judiciaire menée pendant neuf ans aboutit à un non-lieu en 1992. Le non-lieu est confirmé en appel.

De nouveaux tĂ©moignages conduisent Ă  l'ouverture d'une information judiciaire en 2015 pour « arrestation, enlĂšvement et sĂ©questration suivis de mort ou assassinat ». La fille de Robert Boulin, Fabienne Boulin, assigne l’État français pour « faute lourde » en 2021.

Contexte

Ascension politique de Robert Boulin

Lors des Ă©lections prĂ©sidentielles de 1974, Jacques Chaban-Delmas est candidat pour l’UDR, parti gaulliste. Mais une fraction de l’UDR, regroupĂ©e autour de Jacques Chirac, dĂ©cide de soutenir ValĂ©ry Giscard d'Estaing. Celui-ci est Ă©lu et nomme Chirac premier ministre. Ce dernier, en dĂ©saccord et en rivalitĂ© avec le prĂ©sident, dĂ©missionne Ă  l'Ă©tĂ© 1976. Il transforme en octobre 1976 l’UDR en un nouveau parti, le Rassemblement pour la RĂ©publique. Le RPR devient progressivement une force d'opposition au sein de l'AssemblĂ©e nationale, bloquant le vote de certains textes gouvernementaux[1].

AprÚs la démission de Jacques Chirac, le président nomme Raymond Barre premier ministre. Il devient toutefois impopulaire du fait de sa politique de rigueur et du deuxiÚme choc pétrolier, qui provoque un ralentissement économique. Giscard d'Estaing souhaite alors contrer la candidature de Chirac à l'élection présidentielle française de 1981. Pour ce faire, selon certains commentateurs, il pense pour une nomination à l'hÎtel de Matignon à deux ministres RPR : ou bien de Robert Boulin, connu pour sa fibre sociale, ou bien d'Alain Peyrefitte[2]. Cependant dans ses mémoires, Valéry Giscard d'Estaing n'évoque à aucun moment cette éventualité[3].


Cette rumeur enfle et est rĂ©vĂ©lĂ©e au grand public. Le 29 avril 1979, Alain Duhamel commence une interview avec Boulin sur la station de radio Europe 1 en disant : « chacun avait pu remarquer [
] les longues louanges qui vous Ă©taient dĂ©cernĂ©es [par le prĂ©sident de la RĂ©publique]. Certains commentateurs en ont conclu que Matignon vous ouvrait les bras, dans un mois ou dans un an ». En aoĂ»t, Boulin est questionnĂ© sur la rumeur de sa nomination Ă  Matignon au journal de 13 heures de France Inter. Le 5 octobre, en tant que dĂ©putĂ©-maire de Libourne, Boulin accueille Giscard d'Estaing qui lui rend un hommage appuyĂ©[4].

Le président Valéry Giscard d'Estaing (cliché du ), qui envisageait alors la possibilité de faire de Robert Boulin son Premier ministre.

Affaire de Ramatuelle

Quelques jours aprĂšs le dĂ©clenchement de l'affaire des diamants, le Canard enchaĂźnĂ© se fait l'Ă©cho d'une affaire d'escroquerie immobiliĂšre relayĂ©e quelques jours avant par le journal d'extrĂȘme droite Minute. Robert Boulin semble impliquĂ© dans l'affaire[5] : en 1974, il avait achetĂ© Ă  Henri Tournet deux hectares Ă  Ramatuelle pour y faire construire sa maison de campagne; or Tournet avait dĂ©jĂ  vendu ces terres Ă  des Normands en 1973, afin qu'ils y construisent des maisons. L'enquĂȘte fait apparaĂźtre que Tournet aurait remboursĂ© Ă  Robert Boulin le prix du terrain, en Ă©change d'interventions du ministre auprĂšs du prĂ©fet pour obtenir l'autorisation de construire 26 maisons supplĂ©mentaires. Le quotidien Le Monde consacre un article Ă  l'affaire le 25 octobre[6]. Selon ValĂ©ry Giscard d'Estaing, « les premiĂšres insinuations contre Robert Boulin avaient filtrĂ© dans la presse au mois de juillet[3] ».

Cette affaire affaiblit Boulin politiquement. Décidé à combattre, il déclare sur Europe 1 qu'il dispose d'informations dont il ne peut pour le moment parler[7].

Derniers jours avant la mort

Préparation de la défense (vendredi 26 au dimanche 28 octobre)

L'emploi du temps du ministre du Travail est connu grùce au travail de la police judiciaire de Versailles. Cette derniÚre l'a reconstitué sur la base du témoignage de sa famille, de ses proches et de ses collaborateurs ministériels. Ce travail permet de connaßtre précisément l'emploi du temps du ministre jusqu'au lundi 29 octobre à 15 heures[8].

Le vendredi 26 octobre, Robert Boulin quitte son ministĂšre pour se rendre Ă  Libourne. Comme Ă  son habitude, il rend visite Ă  sa mĂšre, qui est trĂšs ĂągĂ©e. Le samedi 27 octobre, il rentre Ă  Paris, oĂč il arrive dans la soirĂ©e. Le dimanche 28 au matin, il tape Ă  la machine Ă  Ă©crire une longue lettre dans laquelle il donne sa version de l’affaire de Ramatuelle. Cette lettre est Ă©crite en rĂ©action Ă  la polĂ©mique qui enfle, mais aussi car Boulin a Ă©tĂ© informĂ© que le juge chargĂ© de l’affaire de Ramatuelle a obtenu communication de ses comptes bancaires. Enfin, la lettre permet de rĂ©pondre Ă  l'article paru dans le Monde le samedi soir.

Le ministre se rend à son ministÚre afin d'effectuer des photocopies. Il revient à son domicile, et regarde la télévision en famille.

Réunion ministérielle et préparation de la riposte (lundi au matin)

Le lundi matin, Robert Boulin se lÚve pour aller au travail. Selon son fils Bertrand Boulin, qui écrit un livre sur l'affaire publié quatre mois aprÚs les faits, Robert Boulin dit à Mme Boulin en se levant : « Ma vie est finie »[9]. Mme Boulin ne comprend pas[10].

Robert Boulin se rend Ă  son ministĂšre. Il participe Ă  une rĂ©union de son cabinet, et en organise une deuxiĂšme oĂč il montre aux membres de son cabinet la lettre qu'il a Ă©crite la veille. Ses collaborateurs critiquent le projet de rĂ©ponse au Monde qu'il a rĂ©digĂ© le dimanche, le jugeant inadaptĂ©.

Peu aprÚs la réunion du matin, il demande à une secrétaire de reporter un rendez-vous prévu à 16 h 30 avec des syndicalistes[7].

Selon Francis Christophe, un de ses collaborateurs est chargé de faire remettre en main propre par porteur une lettre à Aristide-Patrice Blanck, son consultant pour les affaires de presse, et à l'un de ses avocats, Alain Maillot[11].

DĂ©jeuner avec ses proches (29 octobre midi)

Vers midi, Boulin dĂ©jeune avec son fils et son gendre, Eric Burgeat, conseiller au ministĂšre[7]. Son fils lui montre dans l'hebdomadaire Minute un article qui, sans citer nommĂ©ment, prĂ©tend aider un juge « qui se bat pour la vĂ©ritĂ© » et qu'on cherche Ă  Ă©touffer l'article citant un adulte qui a eu des relations sexuelles avec un mineur et qui affirme avoir rencontrĂ© Bertrand Boulin[10]. Son pĂšre lui demande alors le nom de ce juge[10] en estimant qu'il faut intenter une action pour se dĂ©fendre, Bertrand Boulin ayant mentionnĂ© qu'il prĂ©voit que ce juge le convoque Ă  nouveau pour le confronter. L'article de Minute reproche Ă  Bertrand Boulin d'avoir signĂ© une des pĂ©titions sur la majoritĂ© sexuelle concernant l'affaire de Versailles, ce dernier ayant dans sa « Charte des enfants » prĂ©conisĂ© l’abaissement de l’ñge de la majoritĂ© sexuelle, par un « consentement reconnu Ă  l’enfant, Ă  partir de 14 ans, pour tout acte affectif ou sexuel »[12].

La discussion aborde l'affaire de Ramatuelle. Robert Boulin dĂ©clare Ă  son fils : « ma carriĂšre est fichue », et « tu ne te rends pas compte Ă  quel point cette histoire me trouble »[13]. Ils remarquent plusieurs enveloppes qui dĂ©passent de sa poche, il rĂ©pond qu’il s’agit du courrier de Libourne[7] - [14].

Dossiers pris dans le coffre (29 octobre aprĂšs-midi)

Avant 15 h il reçoit briĂšvement, Ă  sa demande Gaston Flosse, dĂ©putĂ© de PolynĂ©sie. Flosse le trouve prĂ©occupĂ© au dĂ©but de l'entretien[15]. Il ne dure que quelques minutes[15]. Il annule ensuite, exceptionnellement, un rendez-vous avec des responsables syndicaux qui sont dĂ©jĂ  dans le ministĂšre[11], car il vient d'ĂȘtre conviĂ© Ă  un rendez-vous extĂ©rieur urgent[11]. Un huissier rapportera l'avoir entendu dire : « Adieu mon bureau » avant de partir, selon France-Soir du [16].

Boulin accÚde au coffre du ministÚre. Il emporte avec lui quatre dossiers et une mallette[7]. Boulin regagne son domicile peu avant 15 heures 30, accompagné de son chauffeur et son garde du corps, l'inspecteur Authié[11]. Ce dernier témoignera sur procÚs-verbal qu'il l'a aidé à monter ces dossiers chez lui[11]. Parmi les quatre dossiers, se trouvent selon Francis Christophe celui des avions renifleurs de la compagnie pétroliÚre Elf[11].

Le ministre précise ensuite à son chauffeur et garde du corps qu'il a un rendez-vous extérieur[17]. Boulin repart vers 15 h 30, seul au volant de sa Peugeot 305 bleu métallisé. Montfort-l'Amaury est à une quarantaine de kilomÚtres de son domicile de Neuilly-sur-Seine, dont une partie par l'autoroute de l'ouest.

La corbeille à papier sous son bureau est vide[2] aprÚs son départ[11] car la femme de ménage a fait son travail, selon l'épouse du ministre[11], ce dernier ayant rédigé sa lettre d'explication sur Ramatuelle la veille, le dimanche[18] - [11]. Selon le témoignage de la femme de ménage du ministre, la corbeille à papier était vide aprÚs le départ de celui-ci[19].

Perte de trace (29 octobre fin d'aprĂšs-midi)

Robert Boulin est aperçu par un tĂ©moin Ă  Montfort-l’Amaury. Pierre G., directeur de sociĂ©tĂ© Ă  Versailles, s'est manifestĂ© spontanĂ©ment le lendemain de la dĂ©couverte du corps. Circulant en voiture le lundi entre 17 heures et 17 heures 30 Ă  Montfort l'Amaury, il a croisĂ© Boulin qui « seul et paraissant pressĂ©, remontait la rue de Paris en direction de la place de l'Église »[20].

Un deuxiĂšme tĂ©moin tĂ©moigne en 2009, au micro de France Inter[15]. Il n'a pas reconnu le ministre, mais fait Ă©tat d'une situation Ă©trange dans l'aprĂšs-midi. Une habitante de la commune de MĂ©rĂ©, habitant en haut de la cĂŽte de Montfort-L’Amaury, prĂšs de la route menant de cette ville Ă  Saint-LĂ©ger-en-Yvelines, qui longe, dans un virage, l'Ă©tang rompu, Ă  moins de 5 kilomĂštres de son domicile[15], a vu une voiture arriver Ă  toute allure dans son chemin habituellement dĂ©sert[15]. La voiture Ă©tait conduite par un homme dont elle n'a pas vu le visage. Cet homme a demandĂ© son chemin Ă  ses voisins, avant de faire demi-tour dans la prĂ©cipitation[15]. Elle rapporte : « On s’est dit, c’est pas possible, ce type est poursuivi ! ». Le lendemain matin, lors de l'annonce du dĂ©cĂšs dans les mĂ©dias, elle fait le lien avec le ministre[15].

Un troisiÚme témoignage émerge dans le cadre de la nouvelle information judiciaire ouverte par le parquet de Versailles par la juge d'instruction, Aude Montrieux, le . Ce témoin rapporte avoir vu Robert Boulin, cette fois dans sa Peugeot 305 avec plusieurs hommes, dont une personne à l'arriÚre. Le témoin n'arrive toutefois pas à fixer d'heure. Il décrit les deux hommes accompagnant le ministre comme ayant « des visages assez fermés », « plus jeunes que M. Boulin » et ayant « des cheveux plutÎt foncés »[21].

Denis Le Moal, employĂ© du bureau de poste de Montfort-L'Amaury, remarque une dizaine de lettres Ă  en-tĂȘte du ministĂšre, tombĂ©es dans la boite postale vers 17 h 30[11]. Certaines pĂšsent plus que 20 grammes, d'autres moins, observe-t-il, d'oĂč le recours en principe Ă  des timbres diffĂ©rents.

Disparition

Visites au domicile (29 octobre au soir)

La famille Boulin se trouve, pendant la soirée, au domicile des Boulin à Neuilly-sur-Seine[2]. Bertrand Boulin passe la soirée avec sa mÚre, Colette Boulin, mais aussi son beau-frÚre Eric Burgeat, et Monique de Pinos, amie de sa mÚre et divorcée depuis 13 ans d'Henri Tournet.

Dans la soirée, deux collaborateurs ministériels du ministre visitent le bureau personnel du ministre. Toutefois, ce bureau est accessible de l'extérieur, et n'exige pas de passer par l'appartement. Ainsi, Bertrand Boulin ne parle pas de ses visites dans son livre de , Ma vérité sur mon pÚre[10].

Guy Aubert, collaborateur du ministre, arrive Ă  20 h au domicile[22] - [23]. Fabienne Boulin-Burgeat, fille du ministre, prĂ©vient Colette Boulin que son Ă©poux court un grand danger. Selon une autre source, Guy Aubert aurait mĂȘme dĂ©clarĂ© « il lui est arrivĂ© quelque chose », mais un peu plus tĂŽt, vers 18 h 30[11]. À la mĂȘme heure, Jacques DoutĂ©, ami proche du ministre, qui tient un restaurant connu de Libourne, « L'HĂŽtel Loubat »[23], reçoit un coup de tĂ©lĂ©phone anonyme lui indiquant que son ami « est mort »[24] - [23]. Cette version est confirmĂ©e par deux personnes prĂ©sentes Ă  ce moment-lĂ , dont Bernard Sube, photographe pour l'actuel conseil dĂ©partemental de la Gironde[23].

Une heure trente plus tard, vers 21 h 30[11], Aristide-Patrice Blank, ex-PDG de France-Soir et conseiller en communication du ministre, arrive au domicile. Comme Guy Aubert, il s'enferme lui aussi dans ce bureau, d'oĂč on peut sortir vers l'extĂ©rieur du logement[11] et dont Guy Aubert est parti sans prĂ©venir la famille[11]. Aristide-Patrice Blank est accompagnĂ© d'Alain Maillot, l'un des avocats de Boulin, et d'un troisiĂšme homme, le promoteur Roger ThiĂ©ry, inconnu de la famille Boulin[11]. Les deux premiers sont destinataires de la lettre rĂ©digĂ©e par Boulin le dimanche et tapĂ©e par la secrĂ©taire[11], Ă  destination de la presse et permettant au ministre de se dĂ©fendre, que leur a remise le matin mĂȘme, en mains propres, son garde du corps, l'inspecteur Yves AutiĂ©[25].

Afin de mieux connaĂźtre les allĂ©es et venues au domicile, le juge Corneloup a souhaitĂ© rechercher et interroger les policiers qui Ă©taient en faction 24 h sur 24 devant le domicile de Robert Boulin. Toutefois, les registres de prĂ©sence du commissariat de Neuilly ont disparu et aucune audition de policiers n'a pu ĂȘtre faite[26].

Alerte de la disparition (29 octobre en fin de soirée et nuit)

L'inquiĂ©tude monte au sein de la famille durant la soirĂ©e. Elle se rend dans le bureau pour y chercher des indices. Elle trouve dans la nuit des papiers dĂ©chirĂ©s dans la corbeille, dont des fragments d'une lettre, mentionnant, une fois assemblĂ©s, en quelques mots son suicide dans la forĂȘt de Rambouillet. C'est Maxime Delsol, garde du corps de Robert Boulin, qui les voit le premier dans la corbeille. Il explique : « Ce jour-lĂ , le , son fils, Bertrand, m'a appelĂ©, affolĂ©, pour me dire : « Qu'as-tu fait de mon pĂšre ? Il n'est pas rentrĂ©. » J'ai aussitĂŽt criĂ© Ă  ma femme : « Il a fait une connerie ! » Je me suis prĂ©cipitĂ© Ă  son domicile, oĂč son gendre a fini par fouiller son bureau. Dans la corbeille Ă  papiers, nous avons dĂ©couvert des fragments de lettres dĂ©chirĂ©es, oĂč il annonçait sa dĂ©cision d'aller se noyer dans les Ă©tangs de Hollande, un endroit oĂč il aimait faire du cheval[27]. » Sur la bribe de lettre dĂ©chirĂ©e on peut lire : « J'ai l'intention de me noyer dans un lac de la forĂȘt de Rambouillet oĂč j'aimais beaucoup faire du cheval[28] ». Ces bouts de papier sont dĂ©couverts vers 4 heures du matin selon L'Express[7].

Le fils de Robert Boulin se rend immĂ©diatement dans la forĂȘt de Rambouillet pour tenter de retrouver son pĂšre, mais doit renoncer Ă  cause du brouillard.

DĂ©couverte du corps, de la voiture, et autopsies

Alerte des autorités publiques

Selon BenoĂźt Collombat, l'information de la dĂ©couverte du corps serait en fait remontĂ©e dĂšs deux heures du matin au sommet de l'État[23]. Christian Bonnet, ministre de l'IntĂ©rieur au moment des faits, affirme avoir Ă©tĂ© alertĂ© de la mort de Robert Boulin le « entre 2 h et 3 h du matin[23] - [29] ». Mais selon le commissaire Alain Tourre, chargĂ© de l'enquĂȘte, « que le ministre de l'IntĂ©rieur Christian Bonnet et Marie-ThĂ©rĂšse Guignier, amie du procureur gĂ©nĂ©ral Chalret, mis au courant de la disparition de Boulin et de la teneur alarmiste des messages retrouvĂ©s chez lui aient pu annoncer entre 1 h 30 et 3 h du matin qu'il Ă©tait mort, n'a aucun caractĂšre choquant[30] ».

Plusieurs sources[31] - [32] - [33] affirment que le conseiller de permanence au ministÚre de l'intérieur qui, dans la nuit du 29 au , aurait prévenu le ministre, aurait été Claude Guéant, alors responsable des affaires de sécurité intérieure au cabinet. Claude Guéant dit ne pas se souvenir avoir été le conseiller de permanence, et avoir appris l'information en réunion, « assez tÎt le matin »[33].

Yann Gaillard, directeur de cabinet de Robert Boulin, dit avoir été convoqué à Matignon vers 2 h du matin par Philippe Mestre, directeur de cabinet du Premier ministre Raymond Barre. Celui-ci aurait reçu, devant Yann Gaillard, un coup de téléphone. AprÚs avoir raccroché, Philippe Mestre aurait confié : « On a retrouvé le corps. »[34] - [23] Philippe Mestre a démenti ces allégations[35].

Marie-ThĂ©rĂšse Guignier, administratrice judiciaire qui fut membre des cabinets ministĂ©riels de Robert Boulin, dit avoir Ă©tĂ© rĂ©veillĂ©e dans la nuit du au , entre 1 h 30 et 2 h du matin, par un ami : Louis-Bruno Chalret, Ă  l'Ă©poque procureur gĂ©nĂ©ral prĂšs la cour d'appel de Versailles, liĂ© au SAC et aux rĂ©seaux Foccart. Chalret lui apprend que l'on a retrouvĂ© le corps de Robert Boulin dans les Ă©tangs de Hollande[36]. « Et lĂ , il se couvre, il appelle tout le monde sur le REGIS (le rĂ©seau tĂ©lĂ©phonique interministĂ©riel de l'Ă©poque[alpha 1]), c'est-Ă -dire l'ÉlysĂ©e[36], Matignon, probablement l'IntĂ©rieur et la Chancellerie. ».

Il se rend immédiatement sur place avec une équipe d'hommes de confiance : « On a tout fait minutieusement, comme il fallait. J'ai tout surveillé. Rien n'a été laissé au hasard », aurait-il dit quelques jours plus tard à Marie-ThérÚse Guignier, en qualifiant cette affaire de « truc à emmerdes ». Son amie résume ainsi le rÎle actif qu'il a pu jouer cette nuit-là : « Chalret était l'homme qu'il fallait pour ce genre de choses[23] ».

L'ancien Premier ministre Raymond Barre dĂ©clare dans son livre L'ExpĂ©rience du pouvoir[37] - [23] avoir Ă©tĂ© prĂ©venu vers 3 h du matin « que l'on a retrouvĂ© le corps de Boulin dans un Ă©tang de la forĂȘt de Rambouillet » et que le ministre s'est donnĂ© la mort en se noyant aprĂšs avoir avalĂ© des barbituriques.

Victor Chapot, proche conseiller du prĂ©sident de la RĂ©publique, ValĂ©ry Giscard d'Estaing, dĂ©clare, lui, avoir appris le dĂ©cĂšs Ă  9 h du matin par un coup de tĂ©lĂ©phone d'Henri Martinet, un ancien collaborateur du ministre. Il se serait alors « prĂ©cipitĂ© chez Giscard qui apprend la nouvelle au tĂ©lĂ©phone au mĂȘme moment[23] ». ValĂ©ry Giscard d'Estaing, dans son livre de mĂ©moires Le Pouvoir et la Vie, dit avoir appris la mort de son ministre Ă  11 h 30 du matin.

Le commissaire Alain Tourre, chargĂ© de l'enquĂȘte, relativise ces supposĂ©es incohĂ©rences : « Que les autoritĂ©s, Premier ministre en tĂȘte, aient Ă©tĂ© informĂ©es dans la nuit, Raymond Barre Ă  trois heures du matin et d'autres bien avant, de la mort de Robert Boulin n'a rien de surprenant compte tenu des messages trĂšs explicites trouvĂ©s dans sa corbeille[38] ».

Lancement de la recherche

D'aprÚs le dossier pénal, les premiÚres recherches sont lancées le à 6 h 25 du matin et le corps est retrouvé à 8 h 40 par une brigade de gendarmerie. Burgeat informe dans la foulée son beau-frÚre de la découverte du corps peu aprÚs 8 h 55[39]. Le directeur de la police judiciaire lance un avis de recherche à six heures du matin et le préfet des Yvelines envoie 250 hommes pour fouiller les étangs.

Trace de boue et de réparation

L'Ă©tang Rompu est situĂ© Ă  une cinquantaine de mĂštres de la route dĂ©partementale. C'est sur un terre-plein entre les deux que la Peugeot 305 du ministre est retrouvĂ©e le lendemain matin, visible de la route, Ă  8 h 35 le , par une patrouille de gendarmes motocyclistes menĂ©e par Francis Deswarte. La voiture est retrouvĂ©e le toit lĂ©gĂšrement ouvert et les portes fermĂ©es Ă  clĂ©, sale et couverte de boue mais dans un chemin empierrĂ©, non boueux. Selon Georges Restoueix, garde forestier de la forĂȘt de Rambouillet de 1971 Ă  1991, un colonel Ă  la retraite lui a confiĂ© l'avoir vue vers 23 h au bord de la route.

La famille y retrouve, en la rĂ©cupĂ©rant bien plus tard, des cassettes de dictaphone sous la banquette arriĂšre, malgrĂ© la fouille prĂ©alable lors de l'enquĂȘte. Selon FrĂ©dĂ©ric Mesnier, beau-frĂšre de Bertrand Boulin, cette voiture est retrouvĂ©e « rĂ©parĂ©e sur l'aile arriĂšre-gauche, ainsi que sur une partie de la jupe arriĂšre », alors qu'elle n'avait jamais Ă©tĂ© accidentĂ©e jusque-lĂ [23].

Le colonel de gendarmerie Jean PĂ©pin et ses hommes, qui recherchent le corps, voient immĂ©diatement[40] des traces de pas allant de la voiture Ă  l'Ă©tang, mais aussi « ressortant de l'Ă©tang » et « revenant de l'Ă©tang Ă  la voiture »[41]. Il y avait des « traces de boues noirĂątres, qui Ă©taient de la boue de l'Ă©tang »[41] sur la voiture ainsi que des feuilles sur le siĂšge[41] et le toit de la voiture[41], selon Jean PĂ©pin, qui remarque ces traces car les gendarmes ont tout de suite pensĂ©[41] que Boulin ne pouvait qu'avoir Ă©tĂ© amenĂ© dans l’étang dĂ©jĂ  mort[41].

Empreintes, clés et faute d'orthographe

Le commissaire Tourre, arrivé plus tard, explique qu'aucun relevé d'empreintes ne fut possible sur la carrosserie en raison de l'humidité ambiante et des multiples manipulations dont le véhicule avait été l'objet. Selon lui, une chemise cartonnée bleue, marquée « participation des salariés à l'amélioration des conditions de travail dans l'entreprise » fut retrouvée avec des feuillets dactylographiés en rapport avec un projet de loi.

D'autres sources mentionnent au contraire une voiture abandonnĂ©e visiblement aprĂšs des nĂ©gligences, avec un dossier retrouvĂ© vide, portant la mention « Ă  n’ouvrir que sur ordre formel de ma part ». D'autres Ă©lĂ©ments n'ont pas Ă©tĂ© analysĂ©s : tache suspecte sur le tapis de sol, traces de doigt sur la carrosserie, mĂ©gots de Gauloises, alors que Robert Boulin ne fumait pas de cigarettes.

Les enquĂȘteurs, qui n'ont pas encore les lettres revendiquant le suicide, trouvent un papier bristol sur le tableau de bord, indiquant que les clĂ©s « sont dans la poche droite de mon pantalon » mais elles sont retrouvĂ©es par terre[2], dans les feuilles, Ă  cĂŽtĂ© de la voiture[41]. Aucune recherche d'empreinte ne fut effectuĂ©e car ce bristol Ă©tait passĂ© entre de nombreuses mains — Ă  commencer par celles des gendarmes, selon le livre en 2012 du commissaire Alain Tourre[42].

L'écriture est celle de Boulin, selon l'expertise graphologique d'Alain Buquet, expert prÚs la Cour d'appel, puis de deux autres en 1986[42] mais le mot « Embrassez éperdument ma femme le seul grand amour de ma vie. Courage pour les enfants », surprend la famille, quand elle découvre à son tour ce bristol, par son style indirect et la signature « Boby » qu'il écrivait d'habitude avec deux b.

Arrivée des gendarmes et versions divergentes

Francis Deswarte, chef Ă  la brigade motorisĂ©e de gendarmerie de Poissy, appelĂ©e en renfort aux Ă©tangs, est le premier Ă  apercevoir la voiture puis le corps du ministre Ă  la surface de l’étang Rompu[43] et il en informe le commandant de la circonscription de gendarmerie d'Île-de-France Jean PĂ©pin[41]. Ce dernier, interrogĂ© trente ans aprĂšs par France Inter[41], pense tout de suite qu’il ne s’agit pas d’un suicide, au vu des premiĂšres constatations mais le jour de la dĂ©couverte du corps, c'est un autre officier de gendarmerie, moins gradĂ©, le lieutenant-colonel Charles Chevallereau, qui s'exprime d'abord dans les mĂ©dias. Il est citĂ© dans un article du Monde de quelques paragraphes envoyĂ© Ă  l'imprimerie Ă  midi : « Le corps du ministre ne portait aucune trace de coups ou de lutte »[44].

Les versions divergent sur sa position, la tĂȘte sous l'eau ou pas, et la distance du bord de l'Ă©tang : cinq mĂštres selon le gendarme Francis Deswarte, pour qui « Robert Boulin n’est pas mort noyĂ©, avait la tĂȘte hors de l’eau, regardait vers sa voiture »[45]. Selon le commissaire Tourre du SRPJ de Versailles, c'est sept mĂštres et seule la partie dorsale est apparente[42], la tĂȘte Ă©tant immergĂ©e. Deux tĂ©moignages recueillis en 2011 et 2016 viennent dĂ©mentir ces dĂ©clarations. Dans 20 Minutes du , Francis Deswarte le gendarme, dĂ©couvreur du corps du ministre, accuse les policiers d'avoir voulu lui faire changer sa version des faits dĂšs 1979, et assure que « Boulin n'est pas mort noyĂ© »[46].

Sortie du corps de l'eau

Selon l'enquĂȘte de BenoĂźt Collombat, sept gendarmes, deux policiers et un pompier, tous prĂ©sents, contredisent sur procĂšs-verbal la version des policiers sur l'existence d'un choc impromptu sur le corps du ministre Ă  sa sortie de l'eau. C'est aussi le tĂ©moignage de Jean Tirlet, Ă  l’époque adjoint au maire de Saint-LĂ©ger-en-Yvelines, qui a assistĂ© Ă  la sortie du corps de l’eau, tĂ©moigne dans le documentaire de Despratx et Nicolas de 2002 qu'il n'y a aucun rocher dans cet Ă©tang de zone marĂ©cageuse de la rĂ©gion parisienne, trĂšs proche de la route dĂ©partementale, et qu'en outre le corps a Ă©tĂ© transportĂ© face vers le ciel[alpha 2].

Il n'existe par ailleurs aucune bordure de pierre sur cet Ă©tang dont les bords sont en pente trĂšs douce, dans un sol meuble laissĂ© Ă  son Ă©tat naturel22e minute,_dont_certaines_avec_le_corps_encore_dans_l'eau_:_seul_le_dos_est_visible_50-0">[48] - [alpha 3]. Dans le documentaire de Despratx et Nicolas, le tĂ©moignage de Jean Tirlet est confirmĂ© par plusieurs gendarmes prĂ©sents Ă  l'Ă©tang Rompu ce matin-lĂ [49], dont l'un est relativement complet et qui prĂ©cise notamment que le corps n'a pas Ă©tĂ© traĂźnĂ© mais qu'il a Ă©tĂ© soulevĂ© au-dessus de l’eau[alpha 4]. Le commissaire Tourre, prĂ©sent sur les lieux, Ă©crit quant Ă  lui que « À l'endroit oĂč il gĂźt, l'eau est profonde de 60 Ă  70 cm. Deux plongeurs des sapeurs-pompiers vont l'en sortir avec difficultĂ©, en le tenant chacun par un bras. Ils le tirent jusqu'Ă  la berge, face contre terre, et le dĂ©posent plus que sĂšchement sur la terre ferme[20] ».

La police judiciaire de Versailles, prĂ©venue dĂšs 7 h 45[51], arrive alors qu'un hĂ©licoptĂšre est dĂ©jĂ  prĂ©sent[51], aprĂšs que pompiers et gendarmes aient sorti le corps de l'eau et commencĂ© leurs investigations. Les pompiers[42] ont aidĂ© Ă  soutenir le corps[41] pour le sortir de l'eau lentement[41], « Ă  cinq ou six » : quatre pompiers sont chargĂ©s de porter chacun membre de Robert Boulin, tandis qu'un ou deux autres portent le tronc, avec « beaucoup de prĂ©caution »[41], mĂȘme s'il n'y avait pas d'obstacles[41], ni tronc d'arbre ni rocher, selon le tĂ©moignage du colonel Jean PĂ©pin Ă  France-Inter en [41].

Selon ce dernier, interrogĂ© par France Inter, la dĂ©cision de transfĂ©rer l'enquĂȘte au SRPJ de Versailles, du commissaire Tourre, prise aprĂšs prĂšs seulement dix Ă  quinze minutes, lui a Ă©tĂ© annoncĂ©e par le commissaire[41] sans que le procureur l'ait encore dĂ©cidĂ©[41]. Jean PĂ©pin ordonne le repli Ă  ses hommes, « fort marri de devoir cĂ©der la place », selon le livre Ă©crit en 2012 par le commissaire Tourre, qui affirme arriver « au milieu d'un chantier indescriptible : vĂ©hicule ouvert, objets en cours d'inventaire, corps abandonnĂ© sur le bord de l'Ă©tang »[42].

Ce rĂ©cit contredit les dĂ©clarations des policiers du SRPJ de Versailles sur procĂšs-verbal en 1979 affirmant avoir Ă©tĂ© tĂ©moins de la sortie de l’eau du corps. Plusieurs d'entre eux ont des annĂ©es plus tard formulĂ© la thĂšse de chocs au visage par maladresse ou nĂ©gligence, qui aurait causĂ© les fractures. Parmi eux l'inspecteur Patrick Drut, avait parlĂ© de « roche » dans l’étang, puis de chute du corps face contre terre dans l'eau, lorsqu'il avait Ă©tĂ© interrogĂ© le Ă  la suite de la seconde autopsie attestant de deux fractures au visage, mais lorsqu'il est interrogĂ© en 2009 par le journaliste Michel Despratx de Canal+, il ne parle plus de roche mais de petit caillou et reconnaĂźt que ce caillou n'a pu causer de fracture. Le policier Jean-Pierre Courtel, un quart de siĂšcle plus tard, a dĂ©clarĂ© Ă  Corse-Matin[51], que les plaies vues plus tard sur les photos « n'ont pas pu ĂȘtre causĂ©es par la vase dans lequel reposait le corps » et Ă  France Inter « espĂ©rer que la justice passera » et « que les assassins soient chĂątiĂ©s ». Selon lui, « aucune constatation n'a Ă©tĂ© faite sur les lieux »[51], le cadavre du ministre Ă©tant « trĂšs rapidement »[51] mis dans l'hĂ©licoptĂšre pour ĂȘtre transportĂ© Ă  l'hĂŽpital LariboisiĂšre puis Ă  l'institut mĂ©dico-lĂ©gal[51].

Chaussures et portefeuille du ministre

Un plongeur a remarqué que les chaussures du mort sont propres, alors que les chaussons des plongeurs, venus récupérer la dépouille, sont, eux, souillés de vase[52] - [53]. Mme Anzani, présidente de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, dans son ordonnance de non-lieu en 1992, affirme que les pompiers ont traßné le corps sur le sol, ce qui aurait eu pour effet de nettoyer le tout, mais c'est démenti par des témoignages diffusés par Canal + en 2002[54]/

Le procureur Robert Barbat[55] maintient cependant sa premiĂšre version selon laquelle « le cadavre a Ă©tĂ© sorti de l’eau assez brutalement par les pompiers, qui l’ont tirĂ© par les pieds face contre le fond de l’étang et ont heurtĂ© la bordure en pierre ».

Le portefeuille de Robert Boulin est restĂ© sec, mais aucune information ne fut donnĂ©e sur l'endroit oĂč il a Ă©tĂ© retrouvĂ©. Cette allĂ©gation est rĂ©futĂ©e par le commissaire Tourre, qui prĂ©cise que le portefeuille en crocodile noir du ministre a Ă©tĂ© retrouvĂ© Ă  l'intĂ©rieur du vide-poches du vĂ©hicule[20].

Constat du médecin réanimateur

Comme le veut la procĂ©dure, un mĂ©decin rĂ©animateur est dĂ©pĂȘchĂ© immĂ©diatement sur place. RestĂ© sur place « un quart d’heure », avant d’ĂȘtre « mis Ă  l’écart » aprĂšs l’arrivĂ©e des policiers et des diffĂ©rentes autoritĂ©s Ă  l’étang Rompu, il n'a pas touchĂ© le corps, l'examinant attentivement depuis la berge[45], et n'a pas Ă©tĂ© entendu lors de l'enquĂȘte initiale menĂ©e par le SRPJ de Versailles[21] : « Visiblement, nous n’étions pas les bienvenus », se souvient-il. Autre anomalie selon lui : aucun compte rendu Ă©crit des pompiers de Rambouillet ne sera recherchĂ©, Ă  l’époque par les enquĂȘteurs. Pourtant, « j’ai dĂ» faire un petit rapport [Ă©crit] comme Ă  chaque sortie », assure ce mĂ©decin rĂ©animateur[45].

Lorsqu'une nouvelle enquĂȘte sera ouverte 37 ans plus tard, il signalera Ă  la juge d'instruction Aude Montrieux le ses constatations lors de la dĂ©couverte du corps : « Tout de suite, ce qui nous a sautĂ© Ă  l’idĂ©e, c’est qu’il Ă©tait dans l’eau, mais pas dans la position d’un noyĂ©. Il Ă©tait Ă  quatre pattes, un bras en l’air et un autre vers le bas. [
] On avait l’impression qu’il avait Ă©tĂ© placĂ© mort dans l’eau, parce qu’il n’avait pas la position d’un noyĂ© dans l’eau. À priori, il devait ĂȘtre mort avant. [
] Il Ă©tait presque Ă  genoux. [
] Il Ă©tait comme assis, c’est-Ă -dire qu’il Ă©tait comme dans une position assise mais penchant vers le bas. [
] Un noyĂ© aurait Ă©tĂ© Ă  plat sur l’eau. [
] Il n’avait pas la position d’un noyĂ©, pas du tout. [
] Vu sa position dans l’eau, ce n’était pas possible que ce soit un suicide. » Ce tĂ©moin assure que le visage du ministre se trouvait « hors de l’eau, ce qui n’est pas courant, non plus, pour un noyĂ©. Normalement, les noyĂ©s ont le visage dans l’eau. Son visage n’était pas totalement hors de l’eau, mais aux quatre cinquiĂšmes hors de l’eau. Sa tĂȘte Ă©tait un peu sur le cĂŽtĂ©, le visage tournĂ© vers la berge. [
] Toute la tĂȘte n’était pas sous l’eau. » Ce tĂ©moignage recoupe celui de l’ancien gendarme Francis Deswarte, prĂ©sent sur place Ă  l’époque, qui avait tĂ©moignĂ© publiquement en 2011[56]. Le mĂ©decin rĂ©animateur se souvient Ă©galement de l’état du visage du ministre, « trĂšs traumatisĂ© » et qu'un pompier lui a dit : « Tiens, on dirait qu'il sort d'une malle »[52] - [53]. Il explique Ă  la juge avoir « pensĂ© [que Robert Boulin] avait Ă©tĂ© battu », Ă  la suite d’ « une bagarre » car « il avait des ecchymoses sur le visage, des Ă©raflures et le dos un peu bizarre, comme une bosse de buffle au niveau cervical bas. [
] [Son visage] Ă©tait Ă©raflĂ©, presque griffĂ©. Je me souviens d’une bosse au niveau du dos. »[45].

Autopsie partielle de 1979 et rapport toxicologique

Polémique sur les demandes de la famille

Le corps du ministre est hĂ©liportĂ© de l’Étang rompu pour l'amener Ă  l'autopsie dans le laboratoire de toxicologie[57].

Le journaliste Jacques Derogy, qui croit au suicide, a racontĂ© dans un livre publiĂ© dĂšs 1981[8] que Marcel Cats, chef de cabinet de Robert Boulin[58], se disant mandatĂ© par la famille, s'Ă©tait opposĂ©, pendant quatre heures, au « charcutage sacrilĂšge » de la dĂ©pouille. La famille Boulin n'a cependant jamais demandĂ© ce que Marcel Cats a prĂ©tendu qu'ils avaient demandĂ©, selon l'enquĂȘte d'EnvoyĂ© spĂ©cial[52] - [53] - [58]. Et selon le documentaire de Despratx et Nicolas, diffusĂ© 21 ans plus tard par 90 Minutes, le substitut du procureur de Versailles, Daniel Leimbacher, prĂ©sent sur les lieux, avait rappelĂ© que Marcel Cats ne reprĂ©sentait que le gouvernement[alpha 5].

Finalement expulsĂ© par Jacques Bailly, mĂ©decin lĂ©giste, Marcel Cats a cependant obtenu selon Jacques Derogy qu'« on l’abĂźme le moins possible ». D'oĂč selon lui l'accord du magistrat et des praticiens pour limiter le nombre des examens aux constatations habituelles des noyades, tout en conservant les prĂ©lĂšvements effectuĂ©s sur les poumons et les viscĂšres[59].

« L'examen du crĂąne n'est pas effectuĂ© sur directives du procureur de la RĂ©publique », peut-on lire dans le rapport d'autopsie, alors mĂȘme que le visage de Boulin est largement tumĂ©fiĂ©[58].

Commentaire des deux médecins légistes

L'autopsie de 1979 est incomplĂšte : elle n'est pas pratiquĂ©e sur la tĂȘte du ministre. Les deux mĂ©decins lĂ©gistes Ă©taient absents de l'autopsie[57]. Dans leur livre de 1993, il est prĂ©cisĂ© que Roger Le Breton n'aurait jamais acceptĂ© de participer Ă  une autopsie incomplĂšte et qu'il Ă©tait le mĂȘme jour appelĂ© Ă  une dĂ©position dans un autre dossier, l'affaire du talc Morhange[57]. Selon ce livre, sans autopsie complĂšte, et compte tenu des photos et de l'apparence du visage tumĂ©fiĂ©, il s'imposait d'effectuer au moins des radios du crĂąne et les deux mĂ©decins prĂ©sents Ă  l'autopsie ont signalĂ© par Ă©crit les anomalies[57].

Mort sur le dos

À la deuxiĂšme page du rapport d'autopsie de 1979, les mĂ©decins lĂ©gistes Jacques Bailly et AndrĂ© Deponge signalent que les lividitĂ©s cadavĂ©riques, concept trĂšs connu en mĂ©decine lĂ©gale car permettant de certifier la position d'un cadavre dans les heures qui suivent la mort, sont au « niveau de la face postĂ©rieure du corps ». Comme si le corps Ă©tait restĂ© allongĂ© sur le dos aprĂšs le dĂ©cĂšs, alors qu'il a Ă©tĂ© retrouvĂ© le ventre en bas dans l'eau, en contradiction avec la pesanteur, laissant prĂ©sager qu'on a changĂ© le cadavre de position, selon le traitĂ© ÉlĂ©ments de mĂ©decine lĂ©gale, du Pr LĂ©on DĂ©robert, qui fait autoritĂ©.

On peut « s'étonner qu'aucun magistrat ni aucun avocat n'en ait tiré parti plus tÎt », souligne dÚs 1988 dans L'Express James Sarazin, journaliste spécialiste de l'Affaire Boulin, qu'il suivait déjà avant le décÚs[25].

Valium retrouvé dans le sang mais pas l'estomac

Les mĂ©decins Roger Le Breton et Juliette Garat Ă©crivent dans un rapport toxicologique d'une quarantaine de pages, rĂ©digĂ© aprĂšs l'autopsie qu'« il a Ă©tĂ© mis en Ă©vidence dans le sang et les viscĂšres des quantitĂ©s importantes de diazĂ©pam, principe actif du Valium », mais pas dans l'estomac[60]. Dix jours aprĂšs le dĂ©cĂšs, questionnĂ©e dans la presse sur le Valium, son Ă©pouse avait rĂ©pondu qu'il peut venir de l'armoire Ă  pharmacie oĂč elle en avait en prĂ©vision de crises Ă©ventuelles de tĂ©tanie[18], mĂȘme si elle ne l'avait pas utilisĂ© depuis un an[18]. Sa fille se souvient qu'elle a rĂ©pondu plus tĂŽt aux enquĂȘteurs que le tube Ă©tait presque plein[60].

Les teneurs sont de 1,2 milligramme par litre de sang et 6,6 milligrammes par kilo d'échantillon dans les viscÚres[57], correspondant à une dose de 80 milligrames[60] soit deux fois la dose maximale prescrite par les médecins (5 à 40 milligrames)[60]. Ce calmant qui entraßne perte de vigilance et somnolence est parfois utilisé par les violeurs ou pour extorquer une signature[60], mais son effet est annulé par l'entrée dans une eau à dix degrés[60], Boulin étant par ailleurs réputé excellent nageur[60], trÚs actif[60]. Il avait effectué dix jours avant un contrÎle de routine avec tests biologiques et élecrocardiogrammes, ne montrant aucun problÚme, selon son médecin de famille, le docteur Boustra[60].

Mais dans son estomac, aucune trace de valium. L'estomac ne contenait ni alcaloïdes ni barbituriques non plus[60]. L'analyse y trouve les minuscules débris d'un comprimé qui n'a aucun lien avec ce type de médicament[60]. Le rapport de toxicologie montre qu'on lui a injecté du valium quelque temps avant le décÚs[60] car mort, il n'aurait pas circulé dans le sang.

Disparition de bocaux sous scellés

Le , le docteur Juliette Garat dĂ©couvre que les bocaux oĂč Ă©taient conservĂ©s, sous scellĂ©s, les Ă©chantillons de sang, ont disparu[57] - [60] - [61].

En 1984, ce sont les poumons qui sont dĂ©placĂ©s et enterrĂ©s Ă  Thiais puis jamais retrouvĂ©s[57]. Le , les mĂ©decins Roger Le Breton et Juliette Garat sont chassĂ©s du laboratoire de toxicologie malgrĂ© les dispositions statutaires l'interdisant[57], et une quantitĂ© d'archives importante est mise dans 50 cartons et sacs poubelles Ă  la demande de la nouvelle directrice arrivĂ©e le jour mĂȘme[57], avec ordre de les dĂ©poser dans un garage d'Ivry-sur-Seine[57].

Lettres posthumes attribuées à Robert Boulin

Contenu

La signature de Robert Boulin apparaĂźt au bas d'une lettre dactylographiĂ©e de cinq pages et photocopiĂ©e Ă  14 exemplaires, tous expĂ©diĂ©s de Montfort-l'Amaury (Yvelines) par la levĂ©e de 17 h 30 le , selon le postier qui les a vu dans la boite.

Le , lendemain de l'annonce du dĂ©cĂšs, l'Agence France Presse a publiĂ© intĂ©gralement le texte reçu, accompagnĂ© d'une photo montrant que ce n'est pas un original. Le ministre y annonce son suicide, en quelques mots, au tout dĂ©but et Ă  la toute fin[62] - [63], mais le reste du texte ne l'explique pas : il est intĂ©gralement consacrĂ© Ă  l’argumentation du ministre sur l’affaire de Ramatuelle, destinĂ©e Ă  la presse.

Selon la famille, il s'agit d'un texte authentique de Robert Boulin, qu'il a écrit, mais auquel a été ajouté un début et une fin, ne correspondant pas au reste du texte. La premiÚre phrase de la premiÚre page, « J'ai décidé de mettre fin à mes jours », serait en effet décalée du reste du texte[64]. Or, cette phrase, ainsi que les derniÚres lignes, sont les seuls passages de la lettre à faire référence à une intention suicidaire[65].

Selon la police, la lettre se termine ainsi : « Un ministre en exercice ne peut ĂȘtre soupçonnĂ©, encore moins un ancien ministre du gĂ©nĂ©ral de Gaulle. Je prĂ©fĂšre la mort Ă  la suspicion, encore que la vĂ©ritĂ© soit claire. Que ma famille, si unie et que l'on commence Ă  attaquer scandaleusement, se resserre encore davantage dans le souvenir, non altĂ©rĂ©, que je pourrai laisser oĂč j'ai servi l’État et mon pays avec passion et dĂ©sintĂ©ressement. Je vous prie de croire, Messieurs, Ă  mes sentiments dĂ©vouĂ©s[66]. »

Dans certains envois, est joint Ă  la lettre une bande de papier volante : « J’envisage de me noyer dans un Ă©tang de la forĂȘt de Rambouillet oĂč j’aimais beaucoup faire du cheval. Ma voiture 305 Peugeot est immatriculĂ©e 651 GX 92. ».

Huit ans plus tard, le juge Corneloup demandera le Ă  la brigade criminelle de retrouver le postier de Montfort-l'Amaury pour Ă©claircir l'Ă©pisode des lettres posthumes qui font toutes le mĂȘme poids, alors que, selon la dĂ©position du postier de Montfort-l'Amaury, certaines faisaient moins de 20 g et d’autres un peu plus, nĂ©cessitant des timbres diffĂ©rents.

Selon la brigade criminelle, c'est impossible, car le postier serait alors en Guadeloupe mais il est retrouvĂ© par des journalistes en consultant l’annuaire, et Ă  ce moment-lĂ  affectĂ© Ă  un bureau de poste en Bretagne.

Authentification

L'ADN du ministre ne figure sur aucune des lettres reçues. La presse n'a jamais publié de photographie d'un original des lettres.

Selon la police, l'exemplaire reçu par l'Agence France Presse serait l'original, mais le document n'est jamais apparu dans le dossier d'instruction. Il est resté introuvable[64], mais dans son livre le commissaire Alain Tourre affirme toujours que « ce n'est pas ce qui ressort de la procédure et des constatations qui affirment que l'on est bien en présence de la lettre originale (celle adressée à l'Agence France Presse) à partir de laquelle ont été réalisées des copies pour les autres destinataires[67]. »

Les policiers ont demandĂ© Ă  l'Agence France Presse de leur remettre ce qu'elle avait reçu. Elle leur a donnĂ©, aprĂšs en avoir fait une photocopie. Selon le journaliste de l'AFP qui a publiĂ© des enquĂȘtes sur l'affaire Boulin, son entreprise n'a pu donner aux policiers que ce qu'elle avait reçu: une photocopie. DĂšs rĂ©ception, l'AFP a publiĂ© intĂ©gralement le texte reçu, ce qui a eu pour effet de dissiper les accusations contre Le Canard enchaĂźnĂ© formulĂ©es la veille par des hommes politiques de la majoritĂ© et du PCF: le texte ne se plaint Ă  aucun moment du journal ou de la presse, malgrĂ© sa longueur de cinq pages.

Machine Ă  Ă©crire et rouleau encreur

Selon Robert Barbat, procureur de la RĂ©publique Ă  Versailles chargĂ© de la supervision de l'enquĂȘte, une expertise a Ă©tabli que la machine Ă  Ă©crire personnelle du ministre « a servi Ă  taper les douze lettres adressĂ©es par Robert Boulin Ă  des personnalitĂ©s pour expliquer son suicide »[68]. Le livre du commissaire Alain Tourre affirme mĂȘme que « le commissaire Edy Kling [
] prend la prĂ©caution d'effectuer sur la machine Ă  Ă©crire Olympia une frappe de rĂ©fĂ©rence dans la perspective d'un examen technique ultĂ©rieur. Les travaux sont effectuĂ©s par l'IPP Bernus, chef du SRIJ de Versailles [
]. Il conclut que le projet de rĂ©ponse destinĂ© au Monde et le message alarmiste faisant Ă©tat des intentions suicidaires de Boulin, ainsi que la lettre posthume adressĂ©e Ă  l'AFP et son annexe ont bien Ă©tĂ© tapĂ©es sur ladite machine Ă  Ă©crire. La ligne dĂ©calĂ©e « J'ai dĂ©cidĂ© de mettre fin Ă  mes jours » oĂč l'on retrouve les mĂȘmes alignements et les mĂȘmes caractĂ©ristiques de chasse, a Ă©galement la mĂȘme origine de frappe[69]. »

Mais selon les partisans de la thĂšse de l'assassinat, le rouleau encreur de la machine Ă  Ă©crire du bureau de Robert Boulin n'aurait pas Ă©tĂ© saisi immĂ©diatement. L'inspecteur qui interroge Éric Burgeat, le , tape sa dĂ©position sur la machine du ministre comme l'indique la dĂ©position elle-mĂȘme. La machine fut saisie plus tard et aurait disparu dans les locaux de la police judiciaire.

Témoignage de la secrétaire du ministre

Le tĂ©moignage de la secrĂ©taire du ministre a rĂ©vĂ©lĂ© que la lettre reçue en diffĂ©rentes versions par la poste Ă©tait un montage de photocopies, ajoutant quelques mots mentionnant un suicide Ă  une lettre n'en parlant pas. Françoise Lecomte a ainsi dĂ©clarĂ© que le jour mĂȘme de sa disparition, le , Robert Boulin lui a fait taper une lettre qui ressemble mot pour mot Ă  la lettre posthume attribuĂ©e, un peu plus tard, au ministre, exceptĂ© les mentions suicidaires du dĂ©but et de la fin[23].

Françoise Lecomte s'est aussi Ă©tonnĂ©e que les lettres reçues soient sur un papier Ă  en-tĂȘte obsolĂšte du « MinistĂšre du Travail », que Robert Boulin n’utilisait plus Ă  cette Ă©poque car disposant d'un nouveau papier Ă  en-tĂȘte du « MinistĂšre du Travail et de la Participation »[23]. De plus, le nom de Robert Boulin apparaĂźt dans le premier tiers gauche de la derniĂšre page, alors que celui-ci l'inscrivait systĂ©matiquement Ă  droite[23].

Cette lettre aurait Ă©tĂ© jugĂ©e trop passionnĂ©e par ses collaborateurs lors de la rĂ©union de cabinet du selon le livre de 1981 des journalistes d'investigation Jacques Derogy et Jean-Marie Pontaut qui affirment au contraire que ce courrier a Ă©tĂ© tapĂ© Ă  la machine par Robert Boulin, Ă  son domicile, le dimanche [66]. Le ministre serait retournĂ© au ministĂšre en fin de journĂ©e le dimanche pour le photocopier en une dizaine d'exemplaires puis l'aurait jetĂ©e au panier le lundi en dĂ©but d'aprĂšs-midi, en mĂȘme temps que quelques exemplaires de sa lettre « posthume »[66].

Destinataires

Chaque exemplaire destinĂ© Ă  une personne en particulier porte une annotation personnalisĂ©e de la main du ministre. Celui reçu par le commissaire Samissoff, de Neuilly, est notamment annotĂ© : « Pour recherche et rendre compte » et comporte des informations sur la personne Ă  prĂ©venir en prioritĂ© (Eric Burgeat) et la localisation de l'Ă©tang. Celui reçu par Alain Ribert, correspondant du journal Sud-Ouest Ă  Libourne, comporte la mention manuscrite : « Merci Ă  la constante amitiĂ© des Libournais qui savent ma rigueur et mon honnĂȘtetĂ© en 20 ans de gestion. »

Les lettres adressées à l'Agence France Presse et au journal Minute ne sont pas annotées. Parmi les autres destinataires, Alain Peyrefitte[alpha 6], Maßtre Maillot, le bùtonnier Bondoux [70], Achille Peretti, maire de Neuilly, Jean Mauriac, Patrice Blank et Gérard César.

Jacques Chaban-Delmas[alpha 7] aurait, lui, reçu deux lettres, une Ă  l’assemblĂ©e nationale le mercredi 31 octobre 1970, et une autre quelques jours aprĂšs le dĂ©cĂšs du ministre Ă  la mairie de Bordeaux, devant Éric Carlsberg, expert foncier et membre du Grand conseil de Bordeaux de 1977 Ă  1995, qui n’a jamais Ă©tĂ© versĂ©e au dossier judiciaire : quand un juge d’instruction rĂ©clame, le , cette lettre Ă  Chaban-Delmas, celui-ci explique l'avoir Ă©garĂ©e. Éric Carlsberg assure que Chaban-Delmas lui aurait expliquĂ© que la lettre reçue devant lui « Ă©tait un faux et qu'Ă  ses yeux, Robert Boulin avait Ă©tĂ© assassinĂ© » ; la signature de Robert Boulin Ă  la fin du courrier « comportait une mention secrĂšte utilisĂ©e par les deux hommes dans la RĂ©sistance », censĂ©e signifier que le contenu de la lettre Ă©tait faux[72].

Le mĂ©decin Pierre Simon[alpha 8]) reçoit le mĂȘme courrier mais ne souhaite pas faire Ă©tat de l'annotation personnelle qui y est portĂ©e. Il expliquera cependant : « La lettre que j'ai reçue comportait deux lignes manuscrites qui sont parfaitement authentiques. Non seulement il s'agit bien de l'Ă©criture de Robert Boulin, mais il emploie des mots et des expressions que nous partagions [
] Pour moi la conclusion est claire : il s'est donnĂ© la mort par raison d'État[74]. »

Photos obtenues en 1981 et contre-autopsie de 1983

Photos obtenues en

La famille a réclamé des photos du corps à sa découverte et contesté les affirmations du procureur selon lesquelles elle aurait refusé l'autopsie complÚte. Ces photos n'ont été obtenues par son avocat qu'en , 15 mois aprÚs le décÚs. Deux versions contradictoires vont alors exister, concernant les poumons de la victime, qui ne témoigneraient pas d'une noyade et son visage, qui aurait reçu des coups, avec un ou des objets.

Ces photos montrent un saignement de nez qui semble incompatible avec une noyade, un visage bleu et enflĂ© qui pourrait montrer qu'il aurait Ă©tĂ© battu[75]. Les enquĂȘteurs ont effectivement relevĂ©, une fois le corps de Robert Boulin sorti de l'eau, de lĂ©gĂšres « Ă©rosions » et des ecchymoses dans la zone frontale, au niveau de la paupiĂšre et de la pommette droite, au-dessous de l'Ɠil gauche et de lĂ©gĂšres coupures au niveau de l'arĂȘte nasale, sous le nez et sur la lĂšvre supĂ©rieure[20]. Le visage est d'une couleur rouge violacĂ©e, de mĂȘme que la partie supĂ©rieure du tronc.

Les photographies de l'identité judiciaire montrent que Robert Boulin porte une entaille à la limite du poignet et de l'avant-bras droit alors qu'il a été démontré que celui-ci ne s'était fait aucune blessure à cet endroit jusqu'au départ de son domicile. Cependant l'ordonnance de non-lieu ne fait pas état de cette blessure, qui n'a pas donné lieu à une analyse ou une expertise[20].

Demande d'examen anatomopathologique du

Le , l'avocat de la famille Jacques VergĂšs demande un examen anatomopathologique, afin de comparer les particules contenues dans les poumons du ministre avec des prĂ©lĂšvements d’eau de l’étang Rompu.

Cette analyse n'est jamais effectuĂ©e en raison de la disparition des poumons du dĂ©funt, au cours de l'annĂ©e 1984, et les prĂ©lĂšvements d’organes conservĂ©s Ă  l'Institut mĂ©dico-lĂ©gal sont tous dĂ©truits.

Le prĂ©fet de police de Paris, M. Jean Daubigny, ordonne la destruction de la sĂ©rie bis des prĂ©lĂšvements. La destruction est exĂ©cutĂ©e par Michelle Rudler, directrice de l’Institut mĂ©dico-lĂ©gal, sans que la famille ni le magistrat instructeur en soient avertis, alors que seule l'autoritĂ© judiciaire est habilitĂ©e Ă  prendre cette dĂ©cision. Un courrier de l’expert de l'Institut mĂ©dico-lĂ©gal dĂ©positaire des scellĂ©s, le professeur Roger Le Breton, avait pourtant informĂ© le prĂ©fet Jean Daubigny de toutes ces modalitĂ©s et insistĂ© sur la nĂ©cessitĂ© de conserver ces prĂ©lĂšvements.

Le : avec son nouveau conseil, RenĂ© Boyer, la famille Boulin obtient du garde des Sceaux Albin Chalandon l'aide judiciaire pour financer les coĂ»ts d'exhumation des bocaux contenant les derniers prĂ©lĂšvements d’organes du ministre censĂ©s se trouver sous un monument Ă  la gloire des donneurs d’organes, au cimetiĂšre de Thiais.

AprĂšs des fouilles infructueuses au cimetiĂšre de Thiais, la famille Boulin dĂ©couvre que les ultimes prĂ©lĂšvements d’organes du ministre n'y sont pas enterrĂ©s, contrairement Ă  ce que la justice et la police avaient indiquĂ©.

La partie civile doit porter alors plainte pour « destruction de preuves ». Plus tard la justice reconnaĂźt l’élĂ©ment de fait (les preuves ont bien Ă©tĂ© dĂ©truites) et la demande fondĂ©e en droit (les piĂšces ne devaient pas ĂȘtre dĂ©truites), mais la partie civile est dĂ©boutĂ©e, « l’intention de nuire » n’étant pas reconnue.

HĂ©matomes, fractures faciales et traces de corde

Une contre-autopsie est ordonnée en 1983 à la demande de la famille de Robert Boulin, qui dénonce des incohérences nombreuses[40] qu'elle a découvertes dÚs le début 1981 sur les photos : visage meurtri comme s'il avait été passé à tabac[40], fractures du visage[40], aucune trace de boue sur ses chaussures[40], corps trouvé sur le ventre alors qu'il est mort sur le dos[40], et prélÚvements disparus[40].

Cette deuxiĂšme autopsie est effectuĂ©e le Ă  l’hĂŽpital Pellegrin de Bordeaux aprĂšs exhumation du corps, par les professeurs Pierre L'ÉpĂ©e, Henri-JosĂ© Lazarini et GĂ©rard Delorme[76]. Ses rĂ©sultats sont connus quelques jours aprĂšs[77]. Les trois mĂ©decins lĂ©gistes bordelais estiment que la premiĂšre, rĂ©alisĂ©e en 1979, a Ă©tĂ© « bĂąclĂ©e » et « incomplĂšte », avec par consĂ©quent « des conclusions peu dĂ©monstratives »[23].

Les légistes constatent que le corps a subi des soins de thanatopraxie et un embaumement « illégal » et « clandestin »[23]. Ils concluent à « un traumatisme appuyé du massif facial, du vivant de Robert Boulin »[23], sans se prononcer sur son origine ni ses conséquences[23] : ce traumatisme appuyé peut avoir contribué au décÚs, ou l'avoir causé, mais ce n'est pas non plus suffisant pour qu'il soit « crédité » du décÚs[78] à lui seul.

L’assistant qui rĂ©alise cette deuxiĂšme autopsie se dit « surpris » et « choquĂ© » car il a clairement identifiĂ© comme une « trace de corde circulaire au poignet droit » et « un hĂ©matome derriĂšre la boĂźte crĂąnienne », gĂ©latineux, bleutĂ©, qui ne peut s'expliquer par la position dans le cercueil. Sa conclusion est : « Pour moi, il a Ă©tĂ© assommĂ© ! »[23].

Le docteur Daniel Jault, qui assista Ă©galement Ă  l'autopsie, explique des annĂ©es plus tard : « On a tous pensĂ© qu'il avait Ă©tĂ© liquidĂ©[79] » mais reconnaĂźt : « [
] je n'ai pas de preuve ! Je n'ai qu'un faisceau d'Ă©lĂ©ments concordants sur lequel j'ai bĂąti ma conviction. Mais il Ă©tait impossible d'Ă©tablir les choses de façon certaine. Le rapport scientifique ne pouvait pas aller au-delĂ  de ce qui a Ă©tĂ© Ă©crit[79]. »

La « trace de corde au poignet », visible sur les photos de la sortie du corps de l’eau ne correspond pas Ă  une blessure antĂ©rieure selon Alain Morlot, kinĂ©sithĂ©rapeute de Robert Boulin, qui l'a massĂ© la veille de sa disparition[alpha 5].

Selon les contre-experts, la radiographie trÚs partielle du crùne, réalisée par Francis Kannapell lors de la premiÚre autopsie, n'avait pas permis de déceler deux fractures faciales au nez et au maxillaire gauche. Interrogé deux décennies plus tard, par téléphone, dans le documentaire de Despratx et Nicolas diffusé en 2002 dans 90 Minutes sur Canal+, ce radiologue reconnaßt qu'il s'était limité à la recherche de balles, donc avait sur consigne volontairement restreint ses investigations[alpha 5].

De son cĂŽtĂ©, Claude Richir, ancien responsable du laboratoire de l’hĂŽpital Pellegrin, dĂ©clare avoir constatĂ© une fracture des os propres du nez, pouvant difficilement rĂ©sulter d'une chute. On doit, selon lui, envisager la possibilitĂ© d'une mort « consĂ©cutive Ă  de petites hĂ©morragies multiples diffuses dans le cerveau, comme chez les boxeurs aprĂšs un KO mortel ».

RequĂȘte contre le procureur et plainte en diffamation

Le : Bertrand Boulin dĂ©clare Ă  la presse avoir vu des dossiers sortis par son pĂšre avant sa mort en ; ils concernaient Elf, Dassault, la SĂ©curitĂ© sociale et l’Arabie saoudite.

Au mĂȘme moment, la fille d’Alexandre Sanguinetti[80], cofondateur du Service d'action civique (SAC), rĂ©vĂšle que son pĂšre lui avait dit que « les dossiers de Boulin concernaient une sĂ©rie de facturations diverses et variĂ©es de grosses sociĂ©tĂ©s, françaises ou Ă©trangĂšres, qui servaient au financement occulte des partis, et notamment du RPR[23] ».

L'autopsie du a entre-temps été complétée par des examens les 6 et , mais c'est seulement le aprÚs la déclaration de Bertrand Boulin le que Colette Boulin et ses deux enfants sont reçus par Michel Maestroni, juge d'instruction, pour leur présenter les résultats du rapport d'autopsie.

Le lendemain de cet entretien, , Ă  la suite de la communication officielle des rĂ©sultats de la deuxiĂšme autopsie, venus sur les marches du palais de justice de Paris, la famille Boulin rend publique une requĂȘte adressĂ©e au procureur de la RĂ©publique de Versailles Robert Barbat, dĂ©nonçant son « imposture », sa « forfaiture » et ses « communiquĂ©s mensongers »[81]. Ils l'accusent d'avoir ordonnĂ© en 1979 au mĂ©decin-lĂ©giste « de se livrer Ă  une autopsie incomplĂšte[82] » et d'avoir voulu « soustraire les assassins au bras de la justice[83].»

La requĂȘte conteste, entre autres, l'embaumement pratiquĂ© sur le corps sans l'accord de la famille, en Ă©voquant un maquillage de cadavre et une « momification comme Toutankhamon ». Le magistrat Robert Barbat rĂ©agit en qualifiant ces initiatives de « terrorisme intellectuel au sein de la procĂ©dure pĂ©nale »[59].

Le ministre de la justice, Robert Badinter, porte plainte le surlendemain contre Colette Boulin et ses enfants pour diffamation envers un fonctionnaire public[83]. Cet épisode entraßne cependant le dépaysement de l'instruction, souhaité par la famille. Elle est reprise, cette fois à Paris, par Yves Corneloup[84].

À la suite de cette plainte, la famille est condamnĂ©e quatre ans aprĂšs Ă  verser 8 000 francs pour diffamation envers un magistrat[85], le jugement dĂ©clarant que les prĂ©venus « ne pouvaient, au motif que celle-ci ne rĂ©pondait pas Ă  leur attente, s'attaquer Ă  un magistrat du parquet pour le rendre responsable de manquements professionnels particuliĂšrement graves[85]. ».

Polémiques de

La plainte en diffamation de Robert Badinter est suivie de trois articles dans le quotidien Le Monde du .

  • Un Ă©ditorial de Bruno Frappat y dĂ©nonce le « lent travail de la calomnie » et « une famille qui n'a pas pu, plus de quatre ans aprĂšs le drame, faire le deuil de son hĂ©ros et tente un exorcisme oĂč paraĂźt entrer un dĂ©sir dĂ©sespĂ©rĂ© d'Ă©loigner tout sentiment de culpabilitĂ© » et son avocat douĂ© pour « la provocation permanente » mais aussi « sur les ondes surtout -des relais pour transmettre fidĂšlement, et en toute hĂąte, les thĂšses les plus folles de la partie civile »[83].
  • Un autre article Ă  charge, de Laurent Greilsamer, accuse aussi la famille et son avocat Me VergĂšs d'« agrandir et exploiter » une « une part de querelle d'experts » et reproduit cette phrase alambiquĂ©e des contre-experts « nous estimons que s'il y a eu traumatisme appuyĂ© du massif facial du vivant de Robert Boulin [
] on ne peut cependant totalement Ă©liminer une manipulation brutale du cadavre aprĂšs sa dĂ©couverte » ou « une lĂ©sion osseuse produite par aiguille de Reverdin (aiguille chirurgicale) ou autre lors de la solidarisation labiale (manƓuvre de prĂ©sentation du corps Ă  la suite de l'autopsie) »[78] - [86].

Un troisiĂšme article du Monde du , de Claudine Escoffier-Lambiotte, responsable de la chronique mĂ©dicale, justifie le fait qu'il n'y ait pas eu de recherche de diatomĂ©es dans les poumons ni de prĂ©lĂšvement d'eau de l'Ă©tang pour comparaison, argument repris en 2012 dans le livre du commissaire Alain Tourre, chargĂ© en 1979 de l'enquĂȘte Ă  la PJ de Versailles, selon qui la prĂ©sence d'eau dans l'estomac et les tissus pulmonaires suffit Ă  « apporter la preuve de cette noyade »[30]. « Un tel examen histologique (des tissus pulmonaires) ne relĂšve-t-il pas du pinaillage lorsqu'on sait, par la premiĂšre autopsie, que l'estomac Ă©tait rempli d'eau, que les poumons Ă©taient Ă©galement gonflĂ©s d'eau, qu'ils prĂ©sentaient des lĂ©sions d'ecchymoses caractĂ©ristiques et qu'une mousse aqueuse emplissait la trachĂ©e jusqu'aux grosses bronches[87] ? », s'emporte Mme Lambiotte, reprenant des informations policiĂšres rapidement invĂ©rifiables, ces poumons placĂ©s sous scellĂ©s, ayant disparu dĂšs 1984, tout comme la langue et le larynx[75], l'affirmation qu'ils ont Ă©tĂ© enterrĂ©s Ă  Thiais se rĂ©vĂšlant ensuite erronĂ©e[alpha 5] car ils ont Ă©tĂ© brĂ»lĂ©s, selon des investigations ultĂ©rieures[88].

Dans son ouvrage de 1992, Morts suspectes[74], le médecin légiste Raymond Martin, qui a lu les deux rapports d'autopsie, regrette, lui, l'absence d'examen anatomo-pathologique qu'il explique par un « consensus » prévalant selon lui en faveur du suicide, et qu'il partage, ainsi que par la volonté des proches du ministre, qu'ils ont pourtant démentie.

Les suites: le rapport d’expertise mĂ©dico-lĂ©gale en 2020

Un nouveau rapport d’expertise mĂ©dico-lĂ©gale est ordonnĂ© par le juge d’instruction — un an et demi aprĂšs la demande de Marie DosĂ©, avocate de Fabienne Boulin —.

Ce nouveau rapport d’expertise mĂ©dico-lĂ©gale Ă©tablit, le , qu’« il est impossible d’affirmer que Robert Boulin se soit suicidĂ© par noyade dans l’étang profond de 60 centimĂštres d’eau et de vase »[89].

Réactions immédiates le jour du décÚs et les suivants

Parti communiste français

Avant tous les autres leaders politiques, le numĂ©ro un du PCF Georges Marchais dĂ©nonce dĂšs le mardi matin la presse[90] et ses « campagnes de discrĂ©dit personnel, nourries d'affirmations sans preuves, d'allusions perfides, de manipulations de faits dĂ©formĂ©s ou grossis ». Selon l'Ă©ditorial de L'HumanitĂ©, « la campagne du Canard a abouti Ă  la mort d'un homme »[91]. Georges Marchais en voulait Ă  l'hebdomadaire satirique, qui venait de rappeler son sĂ©jour en Allemagne sous l'Occupation[91] - [92]. Dans son Ă©dition du 23 mai 1979, l'hebdomadaire satirique avait en particulier reproduit sous le titre : « En surviol de la vie privĂ©e - Les mouchards de l'État » l'en-tĂȘte et de la conclusion, Ă  ce sujet, d'une note de synthĂšse des Renseignements GĂ©nĂ©raux datant de mai 1976, dĂ©jĂ  reprise en Allemagne par le magazine Stern[92].

Une semaine aprĂšs, Georges Marchais se justifie personnellement de ses propos dans l'Affaire Boulin, oĂč il est, selon ses propres mots, accusĂ© d'avoir « mis en pĂ©ril la libertĂ© de la presse »[90], car cette « dĂ©marche a choquĂ©, au sein du parti communiste », face Ă  ceux qui, comme Georges SĂ©guy, membre du bureau politique du PCF et par ailleurs numĂ©ro un de la CGT, pensent que « lorsqu'on exerce des responsabilitĂ©s publiques, on ne doit redouter aucune investigation dans sa vie »[90]. Il rĂ©pond le 8 novembre dans un Ă©ditorial de "L'HumanitĂ©" en estimant que les crises politiques provoquĂ©es par des scandales ont toujours, en France, « profitĂ© Ă  la droite, voire Ă  l'extrĂȘme droite »[90].

À partir de l'affaire Boulin, Georges Marchais est « parvenu Ă  imposer un certain silence Ă  son sujet, par l'intimidation sans nuances » au sein de la presse et de son parti, selon la biographie Ă©crite l'annĂ©e suivante par le journaliste Nicolas Tandler[92].

Giscardiens

CĂŽtĂ© giscardien, on n'a pas digĂ©rĂ© l'Affaire des diamants de Bokassa, rĂ©vĂ©lĂ©e le , peu aprĂšs la chute du despote africain, par le mĂȘme Canard enchaĂźnĂ©, qui en fait un feuilleton. En sortant de l'ÉlysĂ©e, le premier ministre Raymond Barre termine son Ă©loge de Boulin par « je vous demande de mĂ©diter sur ce que peuvent ĂȘtre les consĂ©quences de certaines ignominies d'une grande bassesse ». L'aprĂšs-midi, le ministre de l'IntĂ©rieur Christian Bonnet dĂ©clare au SĂ©nat qu'« on peut tuer par la plume autant que par l'arme » et Ă  la tribune de l'AssemblĂ©e nationale, le prĂ©sident et ex-premier ministre Jacques Chaban-Delmas parle « de cet assassinat qui atteint la France et la RĂ©publique », autre allusion Ă  un assassinat par la presse.

RPR

Pour tenter de rendre compatible la thĂšse du suicide avec la minceur de l'affaire de Ramatuelle, des ennuis familiaux avaient parfois Ă©tĂ© imaginĂ©s, malgrĂ© une famille trĂšs unie, Ă©ventuelle allusion Ă  la menace d'article contre Bertrand Boulin. Le Monde observe ainsi que « dĂšs le matin du dĂ©cĂšs, M. Chaban-Delmas avait expliquĂ© Ă  M. Chirac ce geste par des ennuis familiaux. Dans ces conditions, la perspective d'une affaire judiciaire mettant son nom en cause n'aurait Ă©tĂ© qu'un dĂ©tonateur [
][93]».

Seulement trois journaux avaient Ă©voquĂ© l'affaire, dont deux qui avaient acceptĂ© de rencontrer le ministre[91]. Dans un article trĂšs court, Minute avait simplement ironisĂ© sur le fait que Boulin a commis une boulette par maladresse[91], en tombant dans un piĂšge d'Henri Tournet. Le Canard EnchaĂźnĂ©, aprĂšs avoir rencontrĂ© le ministre, s'Ă©tait demandĂ© ce que le juge pourrait penser de sa lettre au prĂ©fet de 1973[91], tandis que Le Monde avait exprimĂ© son scepticisme sur l'importance rĂ©elle de l'affaire de Ramatuelle, dans une longue enquĂȘte dĂ©taillĂ©e, publiĂ©e en deux articles, au « ton modĂ©rĂ© »[91] et plutĂŽt favorable au ministre[91], cependant déçu d'une citation anonyme disant que personne n'est tout blanc ou tout noir[91], comme le relatera Bertrand Boulin dans un livre Ă©crit en quelques semaines, publiĂ© au tout dĂ©but de 1980, dans lequel il rappelle que son pĂšre, 59 ans, hĂ©sitait, dans les jours prĂ©cĂ©dant sa mort, Ă  dĂ©missionner pour avoir les coudĂ©es franches et mieux dĂ©fendre son innocence.

Télévisions publiques

A 12 h 45, le journaliste Patrick Lecocq annonce que le ministre « s'est vraisemblablement suicidĂ© » en ouverture du journal d'Antenne 2, puis la journaliste DaniĂšle Breem, correspondante parlementaire de la chaĂźne annonce qu'il se « serait bourrĂ© de barbituriques [
] serait entrĂ© dans l'eau des Ă©tangs de Hollande et sans doute serait-il tombĂ© »[17]. Dans le mĂȘme journal, le Premier ministre Raymond Barre dĂ©nonce des ignominies et Jacques Chaban Delmas la calomnie, tout en confirmant qu'on lui a dit que Robert Boulin lui a Ă©crit[17].

DaniĂšle Breem affirme Ă  l'antenne que ses collaborateurs « se souviennent de l'avoir vu lui-mĂȘme taper sur sa machine du ministĂšre une sĂ©rie de lettres. Or sa secrĂ©taire dit en avoir postĂ© deux mais on ne sait pas s'il a envoyĂ© les autres et Ă  qui »[11]. L'enquĂȘte d'OWNI rĂ©vĂ©lera que la journaliste a Ă©tĂ© informĂ©e dĂšs son arrivĂ©e Ă  l'AssemblĂ©e nationale par Patrick Ollier, conseiller au cabinet du ministre de la Justice Alain Peyrefitte[11], intoxiquĂ©e : les lettres n'ont pas Ă©tĂ© postĂ©es mais transmises par porteur[11] et pas tapĂ©es par le ministre lui-mĂȘme[11] qui n'avait pas de machine personnelle au ministĂšre[11].

Bertrand Boulin est interviewĂ© trĂšs Ă©mu par la 3e chaine alors qu'il vient d'apprendre le dĂ©cĂšs de son pĂšre: « On l'a mis en cause, ça l'a bouleversĂ©. [
] On a beau ĂȘtre solide, lorsque l'on vient sur un certain nombre de terrains, [
] malgrĂ© votre soliditĂ© et [
] Ă  cause de votre soliditĂ© car l'Ă©quilibre est fragile, Ă  cause de cette soliditĂ© je crois qu'on est fragile », avait-il dĂ©clarĂ©[94].

« Tout le monde Ă©tait effondrĂ©, catastrophĂ© » au Canard enchaĂźnĂ©[91], se souviennent ses journalistes. Les tĂ©lĂ©visions, alors toutes publiques, s'invitent mĂȘme Ă  l'imprimerie[91]. Aux reporters des tĂ©lĂ©visions qui y dĂ©barquent le mardi matin sans prĂ©venir, le rĂ©dacteur en chef Claude AngĂ©li rappela que personne de leur chaĂźne ne s'Ă©tait prĂ©sentĂ© lorsque le journal avait fait de graves rĂ©vĂ©lations sur l'affaire des diamants de Bokassa.

Agence France-Presse

À l'annonce du dĂ©cĂšs, dans la matinĂ©e, l'Agence France-Presse (AFP) diffuse une sĂ©rie de dĂ©pĂȘches ayant pour titre, avec un point d'interrogation « Une nouvelle affaire Salengro ? »[91], car plusieurs politiques polĂ©miques accusent le "Canard EnchaĂźnĂ©" et parlent dĂ©jĂ  de suicide. Mais cet article et son titre sont fortement critiquĂ©s par les syndicats de journalistes et le directeur de l'information de l'AFP Jean Huteau, qui dĂ©savoue la dĂ©pĂȘche en pleine confĂ©rence de rĂ©daction. Dans un livre de 1992 il rĂ©pĂštera que « le rapprochement avec l'affaire Salengro a Ă©tĂ© fait Ă  la demande d'un rĂ©dacteur en chef adjoint et implique une cascade de prises de positions inadmissibles pour une agence », tenue par la loi Ă  un statut de neutralitĂ© et effectuĂ©es « sans preuves » ni source qualifiĂ©e.

« Croyant nous accabler, les grands moyens officiels et officieux d'information n'ont pas manqué - avec quel empressement - d'évoquer l'affaire Salengro », dénonce alors le "Canard Enchaßné" du 31 octobre, qui rappelle n'avoir à aucun moment « failli à la déontologie » et avoir « publié son article aprÚs avoir rencontré, à sa demande, le ministre du travail, entrevue qui a été vivement reprochée à Robert Boulin le lendemain matin, en plein conseil des ministres, par M. Giscard d'Estaing », Robert Boulin ayant par ailleurs pu aussi faire « paraßtre une mise au point à l'AFP »[95].

Mais le lendemain du dĂ©cĂšs, l'AFP publie sa longue lettre, intĂ©gralement, accompagnĂ©e d'une photo du document attestant qu'il ne s'agit pas d'un original mais d'une photocopie. Le texte ne dit pas un mot de l'hebdomadaire, ni de la presse en gĂ©nĂ©ral[91] mais dĂ©nonce explicitement « un garde des sceaux plus prĂ©occupĂ© de sa carriĂšre que du dĂ©roulement de l'instruction »[91] et le « maĂźtre chanteur » Henri Tournet[91]. Les dĂ©pĂȘches AFP sont lues en conseil des ministres et indisposent le prĂ©sident de la RĂ©publique. La figure gaulliste Jacques Chaban-Delmas, ami de Boulin, qui avait visĂ© le Canard enchaĂźnĂ© « rectifie ses accusations »[91], s'en prenant cette fois Ă  celui qui a transmis des dossiers[91] et dĂšs lendemain, il rectifie car « mieux informĂ© des dessous politiques de l'affaire », observe L'Express de la mĂȘme semaine.

L'hebdomadaire satirique consacre cependant encore deux éditoriaux à se défendre la semaine suivante et le 9 novembre, son éditorial estime que « les télescripteurs de l'AFP ont servi à souffler aux rédactions françaises et étrangÚres le fameux coup de Salengro destiné à faire endosser au Canard la responsabilité de la mort du ministre ».

Doutes sur le suicide au centre gauche

Si le PCF et les giscardiens accusent le Canard EnchainĂ© d'ĂȘtre le responsable du suicide du ministre, la presse de l'Ă©poque reflĂšte des voix clairement discordantes sur la thĂšse du suicide, en particulier au Parti socialiste, qui confie au dĂ©putĂ© Laurent Fabius une question au gouvernement une semaine aprĂšs le dĂ©cĂšs, faisant Ă©tat d'une trĂšs grande perplexitĂ©. « Il n'y a pas d'affaire Boulin », rĂ©pond immĂ©diatement le , Raymond Barre Ă  Laurent Fabius[96].

Un an plus tard, le sénateur de centre gauche Pierre Marcilhacy dénonce un « suicide impossible »[97], dans une tribune publiée par le Matin de Paris le , mais il s'était déjà exprimé ainsi juste aprÚs le décÚs en écrivant dans Le Monde le « je ne comprends ni pourquoi Robert Boulin se serait suicidé dans une affaire qui pouvait compromettre sa carriÚre ministérielle, mais non entamer son honneur, ni comment il a pu tout seul mettre fin à ses jours »[98].

Contradictions dans les premiĂšres annonces

AprÚs le décÚs, le quotidien Le Monde publie plusieurs articles successifs trÚs détaillés, qui expriment beaucoup de scepticisme sur la thÚse du suicide.

DÚs le , il observe qu'il n'a pas été trouvé assez de valium dans le sang pour provoquer la mort et que le temps nécessaire pour que ce valium agisse est contradictoire avec l'heure du décÚs affirmée dans un communiqué du procureur.

Plus généralement, Le Monde publie les éléments donnés par la police au conditionnel ou accompagnés de la formule prudente « selon toute apparence »[96] et signale « le mutisme complet dont paraissent frappés tous ceux (ils sont nombreux) qui, à divers moments comme acteurs ou comme témoins, ont eu à connaßtre des problÚmes du ministre »[96].

Insuffisance de la dose de valium pour ĂȘtre toxique

« La dose évoquée dans le communiqué - 70 à 80 milligrammes - parait bien insuffisante, s'il s'agit bien du produit - le valium - évoqué précédemment, pour provoquer un effet toxique : le corps médical affirme que ce seuil se situe aux alentours de 500 milligrammes », observe Le Monde du .

Effets du valium et heure du décÚs

Alors qu'un communiqué du procureur Robert Barbat est censé mettre un terme aux « informations contradictoires véhiculées depuis une semaine »[99], en faisant en sorte que l'emploi du temps du ministre « ne comporte plus le moindre trou », Le Monde écrit que « si la mort par noyade se situe entre 18 et 20 heures, on imagine mal à quel moment Robert Boulin a pu absorber des tranquillisants qui, d'une maniÚre générale, n'atteignent leur plein effet qu'en deux à quatre heures ».

Trois autres articles sortent dans le mĂȘme journal peu aprĂšs, le [100], s'Ă©tonnant Ă  nouveau de la prĂ©cision du communiquĂ© du procureur de Versailles, affirmant que le dĂ©cĂšs a eu lieu entre 18 heures et 20 heures et « arguant Ă  tort de donnĂ©es scientifiques ».

« Contrairement Ă  ce qui a pu ĂȘtre affirmĂ© ici ou lĂ  jusqu'Ă  prĂ©sent, aucune indication relevant de la mĂ©decine lĂ©gale ne permet de rĂ©pondre » Ă  la question de l'heure du dĂ©cĂšs, estime le journal, qui observe que les deux certificats consĂ©cutifs exigĂ© du docteur de CrĂ©py, du Perray-en-Yvelines, ont tous deux refusĂ© de donner la moindre prĂ©cision horaire. Le Monde s'Ă©tonne que « avant la justice et avant son entourage », la police ait de maniĂšre inhabituelle « dĂ©cidĂ© de l'heure de la mort de Robert Boulin ».

L'heure de décÚs de Robert Boulin, premiÚre anomalie constatée par la presse, y fait son retour le : la famille Boulin vient d'avoir accÚs au dossier d'instruction et y découvre une écoute téléphonique de François Pic-Paris, maire de Saint-Léger-en-Yvelines, dans laquelle il indique à un ami qu'elle a été rectifiée sur l'acte de décÚs, sur demande du procureur de la République de Versailles. Dans la foulée, la famille Boulin porte plainte contre lui et le procureur Robert Barbat, pour faux en écriture publique.

Un an et demi aprÚs, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris rendra un non-lieu le , le parquet général estimant que la controverse résultait de la différence entre l'heure de la découverte du corps et celle de la mort effective calculée en fonction des résultats de l'autopsie[101].

TĂ©moignages et expressions d’opinion ultĂ©rieurs

Questionnements de Bertrand Boulin en

DĂ©but 1980, le livre de Bertrand Boulin, fils du ministre, prend ses distances avec les rumeurs: « certains refusent de croire au suicide et veulent voir un assassinat (on chuchote que Mesrine serait dans le coup et il aurait Ă©tĂ© exĂ©cutĂ© tout de suite aprĂšs, couvrant ainsi l'affaire) [
] Je mets en garde ceux qui font courir de tels bruits, car c'est faire injure Ă  sa mĂ©moire en doutant de ses derniĂšres paroles. Un homme aussi droit que lui ne ment pas avant de se tuer[102]. ». La famille est cependant trĂšs tĂŽt sceptique sur la thĂšse du suicide.

Sa mĂšre venait d'ĂȘtre confrontĂ©e Ă  des dĂ©clarations d'Henri Tournet Ă  l'AFP affirmant qu'il avait remboursĂ© Ă  Robert Boulin l'achat du terrain de Ramatuelle[103], ce qu'elle dĂ©ment, en se demandant « tout sera-t-il dit un jour ? », dans une interview Ă  Paris Match le . Tournet venait de fournir Ă  l'AFP une lettre qu'il avait Ă©crite le Ă  Robert Boulin pour arguer de son soutien[103], mais considĂ©rĂ©e comme un instrument de chantage politique par plusieurs livres sur l'affaire Boulin.

Trois mois aprĂšs le dĂ©cĂšs, « la famille n'a jamais pu obtenir le rapport du mĂ©decin lĂ©giste », alors que la lettre « dĂ©chirĂ©e dans sa corbeille » est « sortie dans la presse » dĂ©nonce Colette Boulin Ă  Paris Match. Elle rĂ©pond Ă  l'hebdomadaire qu'elle ne connaĂźt pas vraiment les raisons qui ont pu pousser son mari au suicide et tente d'Ă©voquer des pistes, sur la base de souvenirs, en Ă©voquant un Ă©pisode soucieux, mais aucun Ă©lĂ©ment dĂ©pressif. Elle dĂ©clare notamment : « Je ne sais pas si je les comprendrai un jour clairement [ses raisons], mais je pense que l'une des raisons qui l'a poussĂ© Ă  cette extrĂ©mitĂ© est l'incomprĂ©hension totale de ses amis et la relation fausse qu'il a pu avoir Ă  partir de ce moment-lĂ  avec eux. [
] Il ne s'est pas suicidĂ© pour 40 000 F mais par manque d'amour des autres et par dĂ©goĂ»t. Il ne supportait pas le climat d'ignominie qui rĂ©gnait sur son passage. Il me racontait que, lorsqu'il se rendait Ă  l'AssemblĂ©e nationale au moment de l'affaire, il entendait dans les travĂ©es des chuchotements, son nom prononcĂ© et des rires
 Il Ă©tait tellement soucieux que je craignais qu'il n'ait une crise cardiaque[104]. »

Colette Boulin « n'a jamais cru » Ă  la thĂšse du suicide car « elle connaissait trop bien son Ă©poux, et il se confiait Ă  elle – davantage » qu’à ses enfants qu’il « cherchait Ă  protĂ©ger »[105], a expliquĂ© Fabienne Boulin, la fille du ministre.

Selon la famille Boulin, le suicide ne correspondait pas à l'état d'esprit du ministre. Le visage tuméfié de Robert Boulin sur les photographies prises du corps à l'étang Rompu, obtenues en 1983 grùce à leur avocat de l'époque, Robert Badinter[alpha 9], ne font que renforcer cette conviction.

Fabienne Boulin, fille du ministre, dit avoir rĂ©pertoriĂ© « 75 anomalies » dans le traitement de l'affaire, dont la disparition de piĂšces, la double dĂ©couverte du corps, le refus d'entendre des tĂ©moins, des lettres modifiĂ©es, la disparition de seize annĂ©es d'archives de son ministĂšre et de sa mairie de Libourne[75] - [106]. Selon elle, il est Ă©tabli par les auditions que le corps du ministre portait des traces de coups sur le visage[107] et « preuve est faite » que des preuves ont Ă©tĂ© dissimulĂ©es avant l'enquĂȘte judiciaire[108].

Livre des commissaires Thiéry et Tourre

Dans son ouvrage co-Ă©crit avec Danielle ThiĂ©ry[20], premiĂšre femme commissaire de police de l'histoire, et publiĂ© en 2012, le commissaire Alain Tourre dĂ©plore l'absence de tĂ©moignages des personnes penchant pour la thĂšse d'un meurtre car « on a beau chercher, on ne trouve pas trace de leurs dĂ©clarations dans les procĂ©dures et il y a fort Ă  parier que les enquĂȘteurs auraient Ă©tĂ© heureux de les entendre ». Cependant ces tĂ©moignages sont arrivĂ©s peu Ă  peu dans la procĂ©dure, oĂč ils existent.

Proches du SAC et de Jacques Foccart

La suspiscion d'une opération d'intimidation ayant dérapé et tourné au meurtre, de la part de proches du SAC et de Jacques Foccart a été en partie alimenté par des déclarations émanant de cette nébuleuse, qui était en 1979 confrontée à des dérapages.

Maurice Robert (mort le ), ancien membre du SDECE, proche de Jacques Foccart, chargé du service « Afrique » chez Elf, ambassadeur au Gabon en , estime qu'il s'agit de l'« un des crimes les plus mystérieux. La version du suicide ne tient pas la route, dit-il. Boulin a été tué, assassiné. Dans cette affaire, il y a des gens tout à fait douteux[23]. »

Selon Laetitia Sanguinetti, fille d'Alexandre Sanguinetti, cofondateur du Service d'action civique (SAC), ce dernier lui avait dĂ©clarĂ©, quinze jours aprĂšs la mort de Boulin, qu'il s'agissait d'un « assassinat ». L'affaire de l'achat de la garrigue Ă  Ramatuelle avait Ă©tĂ© montĂ©e de toutes piĂšces pour discrĂ©diter Boulin, qui aurait eu connaissance d'un rĂ©seau de financement illĂ©gal de partis politiques, en particulier – mais pas seulement – du RPR[109].

Selon le journaliste FrĂ©dĂ©ric Charpier, dans les annĂ©es 1980, les Renseignements gĂ©nĂ©raux (RG) ont enquĂȘtĂ© sur l'affaire Boulin; il mentionne une note des RG de la prĂ©fecture de police du , dans laquelle quatre hommes de main sont dĂ©signĂ©s, selon une source issue du SAC, comme les responsables de l'agression contre Boulin[110].

Selon le livre du journaliste Benoit Collombat, le SAC est alors dans la période de paranoïa concernant ses dossiers et archives, des poussées de violences menant peu aprÚs à sa dissolution lors de l'émotion causée par les six morts de la tuerie d'Auriol : Le samedi , Jacques Massié, chef de la section locale du Service d'action civique (SAC) à Marseille, vient d'avoir un entretien avec son successeur quand il est victime de plusieurs coups de feu tirés par deux inconnus à moto. Sorti indemne, il soupçonne fortement son adjoint Jean-Joseph Maria et l'un de ses fidÚles, Lionel Collard, 31 ans, ancien parachutiste de la Légion étrangÚre. Trois mois aprÚs, le à Auriol il est massacré chez lui par six tueurs avec son épouse, son fils de 7 ans, ses beaux-parents et son futur beau-frÚre, alors qu'il était soupçonné par son adjoint au SAC de vouloir remettre à des mouvements de gauche les dossiers locaux du SAC.

Gaullistes historiques

Bernard Pons, l'ancien bras droit de Chirac, s'est dit sur France 2 convaincu que Boulin a été assassiné[52] - [53].

Lors d'un entretien accordĂ© Ă  France Inter en 2009, l'ancien ministre gaulliste Jean Charbonnel devient la premiĂšre grande figure politique Ă  affirmer publiquement croire Ă  l'assassinat de Robert Boulin[111]. Il affirme qu'Alexandre Sanguinetti lui a donnĂ© les noms du commanditaire et de l'exĂ©cutant de cet assassinat deux mois aprĂšs la mort de Robert Boulin, au cours d'un repas Ă  Brive-la-Gaillarde, et qu'il est prĂȘt Ă  les donner Ă  la justice en cas de rĂ©ouverture de l'enquĂȘte[112]. Jean Charbonnel meurt en 2014[113].

De mĂȘme, Michel Jobert a affirmĂ© au journaliste Jean Mauriac, proche de la famille Boulin, que le ministre du Travail en savait trop sur le financement du RPR, notamment via Saddam Hussein, mais aussi Omar Bongo[114].

Journaliste Ă  l'Agence France-Presse (AFP) jusqu'au milieu des annĂ©es 1980, Jean Mauriac est le fils de François Mauriac. Il a Ă©tĂ© affectĂ© par l'AFP pour couvrir le gĂ©nĂ©ral de Gaulle dĂšs la LibĂ©ration et jusqu'Ă  sa dĂ©mission de l'ÉlysĂ©e en .

Olivier Guichard a aussi confié à Jean Mauriac qu'il penchait en faveur de la thÚse de l'assassinat[114].

Magistrats et policiers

En 2019, le juge Renaud Van Ruymbeke, Ă  qui l'instruction judiciaire avait Ă©tĂ© confiĂ©e en , Ă  la suite des lettres anonymes Ă  plusieurs journaux, fait une dĂ©claration dans la presse, en rappelant qu'il n'a pas enquĂȘtĂ© sur la mort du ministre mais sur l'affaire de Ramatuelle la prĂ©cĂ©dant. Il affirme ne pas croire « du tout Ă  la thĂšse de l’assassinat ». Il reconnait cependant que « l'enquĂȘte a Ă©tĂ© mal faite ; dans l’autopsie, il y a des blancs ». « De tous les Ă©lĂ©ments dont je peux disposer — je n’ai pas enquĂȘtĂ© dessus — et de tout ce que je peux savoir par rapport Ă  cette lettre et la psychologie de Robert Boulin, personnellement, je suis convaincu que c’est un suicide »[115].

Membres de son cabinet

En 1979, Luc La Fay membre du cabinet du ministre, était responsable de la communication, qui a aussi été confiée à l'époque à un consultant extérieur, Aristide-Patrice Blank, cofondateur et dirigeant historique de France-Soir.

En , aprĂšs la diffusion du tĂ©lĂ©film polĂ©mique Crime d'État[116] sur France 3, Luc La Fay s'est exprimĂ© contre la thĂšse de l'assassinat et a donnĂ© des dĂ©tails sur la gestion de l'affaire de Ramatuelle. Selon lui, « tous ses proches collaborateurs ont constatĂ© que le comportement de Robert Boulin se dĂ©litait dans les jours qui ont prĂ©cĂ©dĂ© sa mort ».

Le matin du lundi , jour de sa disparition, lors de la rĂ©union de cabinet, consacrĂ© Ă  la gestion mĂ©diatique de l'affaire de Ramatuelle, le projet de rĂ©ponse rĂ©digĂ© par Boulin n'a pas convaincu les autres participants. Luc La Fay a ensuite souhaitĂ© lui parler en tĂȘte Ă  tĂȘte et raconte que le ministre « se tenait debout devant son bureau, trĂšs agitĂ©, et il a eu une sorte de crise de nerfs. Ses propos Ă©taient incohĂ©rents, il parlait de lui-mĂȘme Ă  la troisiĂšme personne en rĂ©pĂ©tant : « Boulin est celui auquel on fait faire toutes les merdes. » Il se sentait lĂąchĂ© par le prĂ©sident Giscard d'Estaing. Avec le recul, je pense qu'il avait dĂ©jĂ  pris la dĂ©cision de se tuer. »[81].

Personnalités politiques

Dans ses mémoires, l'ancien Premier ministre Raymond Barre affirme : « Pour moi, il n'y a pas de mystÚre Boulin. Il s'est suicidé[37]. » Dans un entretien avec Benoßt Collombat en 2005, Raymond Barre décrivait son souvenir de l'atmosphÚre de l'époque, un quart de siÚcle plus tÎt: « Nous ne pensions pas que le RPR allait assassiner Boulin[117]. »

L'ancien président Valéry Giscard d'Estaing consacre un chapitre entier de ses mémoires à l'affaire Boulin. Intitulé « Le suicide de Robert Boulin »[3], le passage en parlant n'évoque à aucun moment la thÚse de l'assassinat.

Olivier Guichard lui affirmera que « depuis six mois, Robert Boulin était Dr. Jekyll et Mr. Hyde : obsédé, torturé par l'affaire du terrain de Ramatuelle[118] ».

Jacques Foccart, mis en cause dans l'affaire surtout au XXIe siÚcle, avait expliqué dÚs 1997 qu'il n'avait aucune raison de vouloir « couler Boulin ». Il a aussi indiqué qu'il avait peu de rapports avec Robert Boulin et aucune raison de lui en vouloir[119].

Personnalités médiatiques

En , quand le rĂ©sultat de la seconde autoposie fait rebondir l'affaire, James Sarazin qui a suivi tout le dossier pour Monde depuis 1979 n'est plus journaliste au service police-justice du quotidien. Il passera ensuite Ă  L'Express, oĂč il Ă©crira de nouveau sur cette affaire.

Dans Le Monde, l'affaire a Ă©tĂ© reprise par Bruno Frappat, responsable des questions de sociĂ©tĂ©, avant de devenir rĂ©dacteur en chef (1987-1991). Il juge alors ce qui est appelĂ© "la thĂšse de l'assassinat", en termes extrĂȘmement sĂ©vĂšres pour la famille, d'autant que le ministre de la Justice Robert Badinter vient de porter plainte en diffamation contre cette famille, son ancienne cliente.

Bruno Frappat parle de « chef-d'Ɠuvre de dĂ©sinformation » et de « dĂ©lire collectif » liĂ© Ă  trois Ă©lĂ©ments : « un avocat exceptionnellement douĂ© pour la dĂ©fense tous azimuts, la provocation permanente et pour qui l'intĂ©rĂȘt supposĂ© de la dĂ©fense passe avant tout le reste. Une famille qui n'a pas pu, plus de quatre ans aprĂšs le drame, faire le deuil de son hĂ©ros et tente un exorcisme oĂč paraĂźt entrer un dĂ©sir dĂ©sespĂ©rĂ© d'Ă©loigner tout sentiment de culpabilitĂ©, puisqu'il ne s'agirait plus d'un suicide. Une succession d'expertises, enfin, et de maladresses des autoritĂ©s judiciaires d'hier qui ont voulu hĂątivement enterrer — Ă  tous les sens du terme — Robert Boulin[83]. »

Au Canard enchaßné, les violentes accusations des politiques giscardiens et communistes lui faisant porter la responsabilité du décÚs[91], relayés par la télévision publique, avaient pesé sur la rédaction aprÚs le décÚs[91], amenant par la suite une ligne systématique de prise de distance publique par rapport à toute autre explication que le suicide, selon les biographes du journal[91].

Louis-Marie Horeau, dans Le Canard enchaĂźnĂ© du , ironise en dĂ©formant lui aussi par la carricature la thĂšse opposĂ©e, rĂ©vĂ©lĂ©e par d'autres mĂ©dias : « Il faut rendre un hommage appuyĂ© Ă  l'assassin. Ou plutĂŽt aux assassins, car ils sont nombreux et talentueux. Ils ont Ă©crit eux-mĂȘmes les lettres, dactylographiĂ©es sur la machine personnelle de Robert Boulin. Ils ont imitĂ© l'Ă©criture du ministre pour les ajouts. Ensuite, ils ont envoyĂ© une Ă©quipe dans un centre de tri postal des Yvelines pour rĂ©cupĂ©rer les vraies lettres postĂ©es par Boulin Ă  Montfort-l'Amaury quelques heures avant sa mort et les remplacer par les fausses annonçant son suicide. Un complice a volĂ© le Valium et dĂ©posĂ© dans la corbeille le faux brouillon de la fausse lettre. Avant de dĂ©poser le mot d'adieu dans la voiture, de noyer le ministre dans moins d'un mĂštre d'eau, non sans l'avoir prĂ©alablement droguĂ© au Valium. Sans oublier l'action d'une autre Ă©quipe chargĂ©e de rĂ©cupĂ©rer les dossiers compromettants. Il y a quelques journalistes qui dĂ©fendent ce scĂ©nario le plus sĂ©rieusement du monde[120]. »

Le chroniqueur politique Philippe Alexandre, attaqué en diffamation par le RPR dans les jours qui avaient suivi le décÚs, a témoigné plus sobrement : « Je ne crois pas qu'on ait voulu supprimer Boulin. Je l'avais d'ailleurs rencontré quinze jours avant sa disparition. C'était un homme aux abois, il parlait beaucoup des terrains de Ramatuelle. Il semblait trÚs traumatisé par cette affaire[74]. ».

MichĂšle Cotta, journaliste Ă  France Inter de 1976 Ă  1980, avant d'ĂȘtre promue rĂ©dactrice en chef de RTL en , a Ă©voquĂ© par des tĂ©moignages qu'elle avait recueillis qui le dĂ©crivent comme « trĂšs pessimiste, trĂšs sombre » dans les semaines prĂ©cĂ©dant son dĂ©cĂšs, Ă  la suite d'articles de presse.

Jean-François Kahn a lui Ă©crit dans ses mĂ©moires publiĂ©es en 2021 que dans l'hypothĂšse oĂč Robert Boulin « aurait Ă©tĂ© supprimĂ© par des chiraquiens ou des gens du SAC, des amis de Charles Pasqua [
] tout l'appareil d'État giscardien aurait Ă©tĂ© mis en branle pour dĂ©couvrir et dĂ©masquer les coupables ! » et « toutes mes propres enquĂȘtes m'ont confirmĂ© qu'il s'agissait bien d'un suicide »[121] ». Lors du dĂ©cĂšs de Robert Boulin, Jean-François Kahn Ă©tait depuis 1977 directeur de la rĂ©daction des Nouvelles littĂ©raires, aprĂšs avoir contribuĂ© 15 ans plus tĂŽt Ă  la rĂ©vĂ©lation de l'affaire Ben Barka.

Menaces et pressions contre la famille

Charles Pasqua, dirigeant du SAC et conseiller influent de Jacques Chirac.

Menaces physiques contre le ministre

Selon l'enquĂȘte du journaliste BenoĂźt Collombat, de multiples tĂ©moignages ont fait Ă©tat de menaces physiques Ă  l'encontre du ministre[23].

Le Charlie Hebdo publie sous pseudonyme un entretien avec Jacques Paquet, qui fut chef de cabinet de Robert Boulin, de 1968 à 1973, affirmant « qu'il avait rencontré R. Boulin trois jours avant sa mort et que le ministre lui avait proposé de retravailler avec lui[122] ». Il fait aussi état d'une rumeur circulant à Libourne selon laquelle « quelqu'un a aidé Boulin à se suicider[122] » et de menaces plus anciennes remontant à plus d'un an. Le Monde appelle Paquet pour vérifier, et ce dernier se déclare surpris par cette publication, affirmant qu'il s'agissait d'une conversation "à bùtons rompus" dans un café dont il conteste la présentation et ne confirme le contenu que "pour l'essentiel".

Tentatives d'acheter le silence de la famille

Au début de l'année 1980, selon plusieurs témoins, dont Fabienne Boulin-Burgeat[123], Achille Peretti est venu voir les Boulin avec une valise de billets pour acheter leur silence[124]. Achille Peretti décÚdera d'une crise cardiaque lors d'une réception .

Menaces contre le fils du ministre

Selon Fabienne Boulin-Burgeat, sa mĂšre, Ă©pouse de Robert Boulin, a par ailleurs reçu des menaces visant son fils Bertrand Boulin, afin qu'elle ne relance pas l'enquĂȘte. Elle Ă©voque des « corbeaux haut placĂ©s dans l'organigramme du pouvoir venus conseiller Ă  sa mĂšre de laisser tomber si elle ne voulait pas qu'il arrive malheur Ă  son fils »[75]. De son cĂŽtĂ© Bertrand Boulin a estimĂ© dans son livre de qu'« aucune menace ne pĂšse sur nous. De plus quelques personnalitĂ©s au moins, Jacques Legendre, Lionel Stoleru et d'autres se sont mises Ă  notre disposition[125]. ». Mais dans ce mĂȘme livre, il rĂ©vĂšle, en prĂ©cisant qu'il n'a rien strictement rien Ă  se reprocher, qu'un proche a apportĂ© Ă  Robert Boulin, « quelques jours avant sa mort », une « double page Ă  paraĂźtre dans un journal » mettant en cause son fils « dans une affaire de pĂ©dophilie », pour intimider le ministre. « Tout Ă©tait faux, mais il en a Ă©tĂ© trĂšs affectĂ© », selon l'attachĂ© de presse du ministĂšre Luc La Fay[126].

En , son pĂšre, ministre de la SantĂ©, avait confiĂ© Ă  Bertrand Boulin une mission de lutte contre la drogue, l'amenant Ă  publier en 1975 et 1977, les livres "Au Secours des enfants perdus" et "La charte des enfants"[127], tout en lançant en une Ă©mission de tĂ©moignages sur Europe 2, d'oĂč naĂźtra l'association SOS enfants, dissoute en 1979. Lors du procĂšs en 1986 de l'Affaire du Coral, qui a Ă©clatĂ© en 1982, il sera mentionnĂ© dans la presse que SOS-Enfants y avait placĂ© des adolescents, obligeant Bertrand Boulin Ă  dĂ©mentir les approximations malveillantes dans une lettre au Monde[128].

Archives de Robert Boulin: déménagement et cambriolage

Déménagements de 1979

  • Archives au ministĂšre. Les archives personnelles de Boulin au ministĂšre du Travail ont Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©es dĂ©but , Ă  Libourne, au domicile des Boulin, rejoignant celles que le ministre avait accumulĂ©es au cours de sa vie politique, selon le livre publiĂ© en 2015 par le policier Guy Penaud.
  • Archives de Libourne. Quelques jours aprĂšs la disparition de Robert Boulin, toutes les archives du ministre entreposĂ©es Ă  son domicile-bureau de Libourne furent transportĂ©es aux fins de destruction dans un Ă©tablissement spĂ©cialisĂ© Ă  Libourne, la ville dont il Ă©tait dĂ©putĂ©-maire[2]. Selon M. Basty, qui tenait sa permanence, Robert Boulin avait dĂ©cidĂ© deux ans avant de rassembler ses archives dans le grenier de sa maison.
  • Nouveau dĂ©mĂ©nagement Ă  Libourne. Quelques semaines plus tard, toutes ces archives ont Ă©tĂ© dĂ©mĂ©nagĂ©es et dĂ©truites, Ă  l’insu de M. Basty et de la famille Boulin. Le dĂ©putĂ© de Libourne GĂ©rard CĂ©sar, supplĂ©ant puis successeur de Robert Boulin, a affirmĂ© que le dĂ©mĂ©nagement avait Ă©tĂ© programmĂ© Ă  la suite de la mise en vente des locaux de la permanence.
  • RĂ©vĂ©lations et tabassage de 2003. En 2003, Bernard FonfrĂšde raconte Ă  France Inter l’opĂ©ration de destruction des archives, sans dĂ©voiler le contenu des courriers. Quelques jours aprĂšs la diffusion de son tĂ©moignage il est approchĂ© par deux personnes lui conseillant d’éviter de parler des archives de Boulin, puis violemment agressĂ© Ă  l’entrĂ©e de sa maison. Il passe deux jours dans le coma, Ă©chappe de peu Ă  la mort et subit un mois d’hĂŽpital avec deux fractures.
  • RĂ©vĂ©lations de 2004. Le , Bertrand des Garets, ancien supplĂ©ant de Robert Boulin, explique aux journalistes de Canal+ Bernard Nicolas et Michel Despratx qu’il avait reçu Ă  cette fin des ordres de Paris en (de Marcel Cats, ex-directeur de cabinet de Boulin, a-t-il confiĂ© Ă  BenoĂźt Collombat)[129].
  • Rapport de 2007. Selon le rapport du procureur gĂ©nĂ©ral Laurent Le Mesle en (), GĂ©rard CĂ©sar a expliquĂ© que c’est lui-mĂȘme qui avait ordonnĂ© la destruction des archives. Avec son assistant parlementaire Bernard FonfrĂšde, il passa quelques jours Ă  trier les dossiers dans le grenier de la maison de Libourne, avant de les expĂ©dier dans l’usine de la papeterie Soustre, Ă  Saint-Seurin, prĂšs de Libourne. Bernard FonfrĂšde a prĂ©cisĂ© qu’« il y avait toute sorte de choses. [
] Il y avait des correspondances avec Henri Tournet. Tournet rĂ©clamait des faveurs Ă  Boulin comme d’intervenir pour des permis de construire
 ».
  • RĂ©vĂ©lations de 2013. GĂ©rard CĂ©sar a reçu l’ordre de faire dĂ©truire les archives « par des hommes du SAC » et deux personnes du SAC sont arrivĂ©s avec une camionnette, selon Bernard FonfrĂšde, qui les a accompagnĂ© et a tĂ©moignĂ© sur France Inter : « Il fallait faire disparaĂźtre toute trace qui pouvait laisser penser qu’il ne s’agissait pas d’un suicide »[130]. Selon, la famille n'a jamais rĂ©clamĂ© la destruction de ces archives, contrairement Ă  ce que les hommes du SAC lui avaient fait croire.

Cambriolage de 2003

En 1983, quand une premiĂšre enquĂȘte est ouverte sur la mort de Robert Boulin[52] - [53], un homme appelĂ© "Paul" fut chargĂ© par Pierre Debizet de cambrioler des documents relatifs Ă  Robert Boulin[52] - [53], selon son entretien dans le quotidien Sud Ouest en 2011, complĂ©tĂ© par toutes les vĂ©rifications attestant de sa crĂ©dibilitĂ©[131]. Le SAC avait Ă©tĂ© dissous en 1982 aprĂšs la tuerie d'Auriol et remplacĂ© par le MIL (Mouvement initiative et libertĂ©). En 1983, Pierre Debizet, son ex-grand patron prĂ©side une rĂ©union Ă  Bordeaux puis dine avec Paul et RĂ©gis D, cadre du SAC bordelais et ancien des services secrets[131]. Il leur demande de rĂ©cupĂ©rer dans une rĂ©sidence secondaire d’un notable dans le Libournais, vraisemblablement un avocat, un dossier Ă©pais d’une dizaine de centimĂštres, trĂšs important, ce qui est exĂ©cutĂ© en recrutant des truands locaux. Selon ce tĂ©moin, il y avait entre 1979 et 1982 beaucoup d’élĂ©ments incontrĂŽlables au sein du SAC, comme ceux ayant causĂ© la tuerie d'Auriol.

Protagonistes

Famille de Boulin et avocats

L'Ă©pouse, les deux enfants de Robert Boulin et son gendre, conseiller technique au ministĂšre, ne croient pas au suicide. « Il y a peut-ĂȘtre un ou des responsables de sa mort. Si cela est le cas, ils seront sans doute punis. Je crois Ă  la justice immanente. Mais cela n'a rien Ă  voir avec la libertĂ© de la presse qui doit absolument exister »[18], dĂ©clare , ajoute Mme Boulin, dans un entretien accordĂ© une semaine aprĂšs le dĂ©cĂšs, publiĂ© dans France-Soir du et repris par Le Monde[18].

Son fils Bertrand Boulin, menacĂ© d'ĂȘtre mis en cause dans une affaire de mƓurs quelques jours avant le dĂ©cĂšs, Ă©crit quelques semaines aprĂšs un livre (Ma vĂ©ritĂ© sur mon pĂšre (ISBN 978-2234012882)) publiĂ© le qui n'Ă©carte pas la thĂšse du suicide mais la questionne, et relate surtout les 15 jours prĂ©cĂ©dant le dĂ©cĂšs, au cours desquels le ministre reçoit le soutien quotidien de sa famille et de ses amis, espĂ©rant rencontrer le juge et que la presse reconnaisse son intĂ©gritĂ© dans l'affaire de Ramatuelle. Le ministre a les preuves qu'il a Ă©tĂ© escroquĂ© par Henri Tournet, un ex-rĂ©sistant ami de Jacques Foccart depuis leur service militaire ensemble en [132], devenu promoteur immobilier. Quand la famille Boulin avait emmĂ©nagĂ© en 1962 Ă  Paris[132], elle avait Ă©tĂ© rejointe quelques semaines aprĂšs par celle d'Henri Tournet dans mĂȘme immeuble pour fonctionnaires[132], auquel il avait droit aussi en tant que conseiller ministĂ©riel[132]. Ce dĂ©mĂ©nagement lui a Ă©tĂ© demandĂ© pour surveiller Boulin[132], qui venait d'ĂȘtre nommĂ© au Budget par le Premier ministre Georges Pompidou[132]. C'est aprĂšs les deux dĂ©mĂ©nagements que les deux Ă©pouses se croisent par hasard dans l'immeuble, des annĂ©es aprĂšs leur amitiĂ© d'enfance dans le mĂȘme village[132]. Celle d'Henri Tournet divorce de lui deux ans aprĂšs en 1964[132] et se fait embaucher quinze plus tard au ministĂšre de Robert Boulin en 1977[132]. Entre-temps, Boulin a entiĂšrement remboursĂ© Ă  Tournet deux prĂȘts, en 1964 et 1966[103].

Le premier avocat de la famille, Robert Badinter, a obtenu en les photos du visage tumĂ©fiĂ© de Robert Boulin prises par la police judiciaire, 14 mois aprĂšs le dĂ©cĂšs, mais la famille doit en changer car il est nommĂ© ministre de la Justice en . Jacques VergĂšs lui succĂšde. Avant mĂȘme qu'il prenne le dossier, la famille dĂ©nonçait un assassinat. Selon Fabienne Boulin-Burgeat son pĂšre a Ă©tĂ© victime « d'officines de barbouzes [
] qui n'avaient pas de scrupules de dĂ©zinguer les gens qui pouvaient empĂȘcher les personnes qu'ils voulaient mettre au pouvoir[133] ». L'avocate de la famille, Marie DosĂ©, a demandĂ© la dĂ©classification des documents des services de renseignements relatifs Ă  l'affaire, notamment ceux des ex-renseignements gĂ©nĂ©raux[52] - [53].

Communicants de Boulin

Robert Boulin a un conseiller presse au ministĂšre mais on lui propose aussi les services d'un ancien PDG de France-Soir, Aristide-Patrice Blank[134], qui a rencontrĂ© la presse avant le dĂ©cĂšs. Aristide-Patrice Blank Ă©tait membre du conseil d’administration de la Banque Française Intercontinentale (FIBA)[135] - [136], la banque du groupe pĂ©trolier Elf Aquitaine et du Gabon, considĂ©rĂ©e comme le « noyau dur » de la Françafrique, crĂ©Ă©e en 1975 pour redistribuer discrĂštement une partie de l'argent du pĂ©trole Ă  certains dirigeants africains[135] - [136] - [137]. En 1979, le «Monsieur Afrique» du prĂ©sident Giscard Ă©tait le «fils spirituel» et ancien bras droit de Jacques Foccart[135], RenĂ© Journiac[135], qui rĂ©alisait parfois certaines opĂ©rations secrĂštes dans sa maison de Gambaiseuil[135], Ă  quelques kilomĂštres du lieu du dĂ©cĂšs, et qui dĂ©cĂšdera en en Afrique dans un accident de l'avion prĂȘtĂ© par le prĂ©sident du Gabon Omar Bongo[135].

Dans la soirĂ©e du , Aristide-Patrice Blank s'est rendu vers 21 h 30 au domicile des Boulin, avec l'avocat de ce dernier et un inconnu de la famille, au motif de tĂ©lĂ©phoner, et s'est enfermĂ© dans le bureau du ministre oĂč ce dernier venait de dĂ©placer des dossiers qu'il avait tout juste sortis du coffre-fort du ministĂšre[138]. Le lendemain matin, Aristide Blank est dans le bureau de Jacques Fauvet, directeur du Monde, pour remettre en main propre, une lettre de Boulin, tapĂ©e par sa secrĂ©taire[138]. L'AFP venant d'annoncer la mort du ministre il repart avec la lettre, non-ouverte, et dĂ©sormais sans objet[138].

Selon l'attaché de presse du ministÚre Luc La Fay, c'est à « l'initiative de Aristide Patrice Blanck »[126], qui avait été recommandé par des « amis » du ministre, mais « était inconnu du cabinet »[126], que « des articles sont sortis dans Minute et le Canard enchaßné »[126], les deux premiers sur l'affaire de Ramatuelle, les 17 et . Luc La Fay a raconté aussi que le matin du , quelques heures avant sa disparition, aprÚs la réunion au ministÚre qui a vu son projet de lettre à la presse désavoué, Boulin a eu « devant son bureau, trÚs agité »[126], une « sorte de crise de nerfs »[126].

Police-Justice en 1979

Le ministre de la Justice en est Alain Peyrefitte, principal rival Robert Boulin pour succĂ©der au Premier ministre Raymond Barre, rendu impopulaire par un plan de rigueur alourdi par le DeuxiĂšme choc pĂ©trolier qui s'est aggravĂ© dĂšs l'Ă©tĂ© 1979. Pour contrer la candidature Ă  la prochaine prĂ©sidentielle de Jacques Chirac, qui avait claquĂ© la porte du gouvernement en 1976, le prĂ©sident Giscard d'Estaing hĂ©site en deux ex-RPR: Robert Boulin, connu pour son investissement dans le social, et Alain Peyrefitte, qui vient de faire voter la loi SĂ©curitĂ© et LibertĂ©. En tant que ministre de la Justice, ce dernier avait autoritĂ© directe sur le procureur de la RĂ©publique Ă  Versailles Robert Barbat[139] selon qui c'est Marcel Cats, ami personnel et chef de cabinet du ministre, qui a empĂȘchĂ© l’autopsie au nom de la famille, sur le procureur gĂ©nĂ©ral prĂšs la Cour d’appel de Versailles, Louis-Bruno Chalret, proche du SAC et de Jacques Foccart[140]. Des Ă©coutes tĂ©lĂ©phoniques des annĂ©es 1960 ont prouvĂ© qu'il a fait libĂ©rer plusieurs truands sur ordre[52] - [53]. Le ministre de la Justice avait autoritĂ© sur l'officier de police judiciaire Alain Tourre, chargĂ© de l'enquĂȘte dĂšs le jour de la dĂ©couverte du corps, en remplacement des gendarmes, dont il critique la nĂ©gligence, et qui dĂ©fendra la thĂšse officielle dans un livre publiĂ© en 2012 avec une autre commissaire, plus connue Danielle ThiĂ©ry. Le juge d'instruction Van Ruymbecke est lui statutairement indĂ©pendant, mais il a fait remonter en haut lieu ses investigations.

Police-Justice plus tard

Au milieu des annĂ©es 1980, le dossier est dĂ©paysĂ©s Ă  Paris et confiĂ© au juge Corneloup mais le : ordonnance de non-lieu rendue par la juge d’instruction, Laurence Vichnievsky, neuf jours aprĂšs que le dossier lui a Ă©tĂ© confiĂ©[141] ce qui est confirmĂ© « en l'Ă©tat » par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, prĂ©sidĂ©e par Martine Anzani. « en l'Ă©tat » par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, prĂ©sidĂ©e par Martine Anzani. Plus d'une dĂ©cennie plus tard, le , le parquet de Versailles ouvre une information judiciaire pour « arrestation, enlĂšvement et sĂ©questration suivis de mort ou assassinat »[142], qui est cette fois confiĂ©e au doyen des juges d'instruction de Versailles, Aude Montrieux[143].

Journalistes et médias

Plusieurs journalistes furent des protagonistes de l'affaire Robert Boulin. James Sarazin et Louis-Marie Horeau l'ont couverte pour Le Monde et le Canard EnchaĂźnĂ©. James Sarazin a rencontrĂ© Robert Boulin et publiĂ© 3 jours avant son dĂ©cĂšs une enquĂȘte dĂ©taillĂ©e, au ton « trĂšs modĂ©rĂ© »[91], montrant qu'il a Ă©tĂ© victime plus que bĂ©nĂ©ficiaire de l'Affaire de Ramtuelle[91], continuera Ă  suivre l'Affaire Boulin pour L'Express, oĂč il dĂ©montera la thĂšse du suicide en 1988 sur la base des deux rapports d'autopsie[25]. Une phrase d'une source anonyme disant dans l'article que personne n'est blanc ni noir dans cette affaire a cependant choquĂ© le ministre et son entourage[91]. MalgrĂ© cela, la Justice française affirmera que le « fait dĂ©terminant » du suicide[91] est cet article, « qui l'avait marquĂ© Ă  l'extrĂȘme dans un contexte politique qu'il ressentait pas comme ne lui Ă©tant pas favorable »[91].

Louis-Marie Horeau sera, avec Bruno Frappat du Monde, le plus virulent contre ce qu'il prĂ©sente comme « la thĂšse de l'assassinat » au dĂ©but 1984 quand les rĂ©sultats de la seconde autopsie confortent la famille dans sa plainte pour homicide volontaire[91]. Cofondateur en 1974 du Quotidien de Paris, jusqu'Ă  sa fermeture provisoire en 1978, il venait d'ĂȘtre recrutĂ© comme pigiste en 1979 par Canard enchaĂźnĂ©, oĂč l'enquĂȘte a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e par Claude Roire et Roland Jacquard, qui ont rencontrĂ© le ministre[91] le , aprĂšs avoir reçu des documents d'Henri Tournet[91]. Leur article ne tranche pas mais pose 4 questions au juge, sur un ton pĂ©remptoire[91].

Le jeune Philippe Alexandre est, lui, attaqué en diffamation peu aprÚs le décÚs, pour avoir mis en cause le RPR dans une chronique sur RTL le et le procÚs a lieu quelques semaines aprÚs.DaniÚle Breem, pour Antenne 2, donne de nombreux détails inédits dÚs la mi-journée[11] du , en direct de l'Assemblée nationale[11] seulement 3 heures aprÚs que l'AFP ait annoncé la découverte du corps. On ne retrouvera dans le sang du ministre qu'une dose de Valium (Diazépam)[52] - [53], et pas dans le bol alimentaire de son estomac, comme si le Valium avait été injecté par piqure.

Plus tard, trois journalistes publieront les premiĂšres enquĂȘtes sur l'affaire:

  • Francis Christophe, ex-journaliste Ă  l'AFP en dans un journal confidentiel de la maison d'Ă©dition Golias, puis dans un livre de 2011 aux Editions OWNI (BOULIN, LE FANTÔME DE LA VE RÉPUBLIQUE ; DE CHIRAC À SARKOZY (ISBN 9791090473065)),
  • Michel Despratx et Bernard Nicolas le dans 90 Minutes sur Canal+[144] avec les tĂ©moignages du colonel de gendarmerie Jean PĂ©pin, qui a sorti le corps de l’eau, et de la spĂ©cialiste en toxicologie, Juliette Garat, qui a analysĂ© son sang[145],
  • Benoit Collombat de France Inter rĂ©capitulant le tout dans un livre en 2007 (Un homme Ă  abattre - (ISBN 978-2213631042)).

Postérité

Dans les heures qui suivent, le gouvernement et les médias publics [146] - [147] accusent le Canard Enchaßné d'avoir poussé le ministre au suicide dans une autre affaire: des irrégularités dans l'achat de sa maison de vacances à Ramatuelle au promoteur Henri Tournet, proche de Jacques Foccart. La presse écrite d'opposition, excepté L'Humanité[148], ne les suit pas [147], décÚle immédiatement des anomalies et la lettre posthume du ministre est publiée intégralement le lendemain par l'AFP[149] - [150]: elle démonte vigoureusement tout soupçon d'irrégularité, ne dit pas un mot de la presse[150] - [147] et contre-attaque en accusant son rival Alain Peyrefitte, ministre de la Justice[150], d'avoir instrumentalisé le juge.

La veuve et les deux enfants de Robert Boulin, estimant que cette lettre posthume a par ailleurs Ă©tĂ© falsifiĂ©e par l'ajout en dĂ©but et fin de texte de quelques mots mentionnant un suicide, ont portĂ© plainte contre X pour homicide volontaire dĂšs 1983, aprĂšs une seconde autopsie rĂ©vĂ©lant deux fractures au visage et que le corps a Ă©tĂ© dĂ©placĂ© aprĂšs le dĂ©cĂšs. Ils soupçonnent des violences, probablement improvisĂ©es, pour dĂ©courager Robert Boulin de rĂ©vĂ©ler des affaires graves, en Ă©voquant Elf-Gabon[136]. L'authenticitĂ© de cette lettre posthume et l'information judiciaire qui conclut en 1991 au suicide sont ensuite contestĂ©es par trois contre-enquĂȘtes journalistiques: le livre d'un ancien de l'AFP en 1999, puis l'enquĂȘte diffusĂ©e en dans l'Ă©mission d'investigation 90 Minutes, sur Canal+[54] - [151], et celle de BenoĂźt Collombat en 2003 pour France Inter[23].

En , la fiction de Pierre Aknine Crime d'État accuse le SAC, alors en pleine « dĂ©rive sanglante »[135], jugĂ©e « quasi-mafieuse »[135], de brutalitĂ©s contre Boulin qui ont dĂ©rapĂ© jusqu'Ă  causer sa mort[135]. L'ex-adjoint de Jacques Foccart Ă  la tĂȘte du SAC dĂ©cĂšde accidentellement en Afrique trois mois aprĂšs[136] la dĂ©couverte du corps tout prĂšs de sa maison de Gambaiseuil[135] - [136] et les 6 morts de la tuerie d'Auriol un an plus tard finiront par entraĂźner la dissolution du SAC.

Chronologie

Les grandes étapes de l'affaire sont l'obtention par la famille en des photos du corps à la sortie de l'eau, qui lui confirment un visage tuméfié, puis en la demande d'expertise qui permet une seconde autopsie en 1983, puis le transfert en 1985 du dossier à une nouvelle juridiction.

Années 1980

  • : l'ancien dĂ©putĂ© de la Somme Charles Bignon meurt dans un accident de la route[152].
  • : Alexandre Sanguinetti, ancien ministre, cofondateur du SAC et l'un des premiers Ă  avoir dit que Robert Boulin avait Ă©tĂ© assassinĂ©, meurt Ă  67 ans d'une crise cardiaque[153]. Peu de temps aprĂšs, son domicile est cambriolĂ©[154] - [155].
  • : les prĂ©lĂšvements de sang de Robert Boulin disparaissent[alpha 10]. Le docteur Roger Le Breton, responsable de l'institut, met un cadenas sur le rĂ©frigĂ©rateur contenant les derniers prĂ©lĂšvements d’organes du ministre, qui sera plus tard brisĂ©[156].
  • : Henri Tournet fuit la France, oĂč son contrĂŽle judiciaire l'obligeait Ă  rĂ©sider[157].
  • : Henri Tournet est condamnĂ© par contumace Ă  quinze ans de rĂ©clusion criminelle alors qu'il avait fait moins d'un mois de dĂ©tention prĂ©ventive[158].
  • : Robert Badinter, avocat de la famille Boulin, obtient des photographies du visage tumĂ©fiĂ© de Robert Boulin prises par la police judiciaire[159].
  • : la France demande Ă  l'Espagne l'extradition d'Henri Tournet[157].
  • : l'Espagne refuse la demande d'extradition d'Henri Tournet.
  • : Colette Boulin confirme sur TF1 qu’elle n’a jamais cru Ă  la thĂšse du suicide de son mari et qu’aprĂšs sa mort, on a fait pression sur elle pour qu’elle se taise. Le magazine Paris Match publie des photos du corps du ministre tirĂ©es du dossier judiciaire[63].
  • : la famille Boulin, conseillĂ©e par son avocat Jacques VergĂšs, dĂ©pose plainte contre X pour homicide volontaire[160].
  • : une nouvelle demande d'extradition d'Henri Tournet est adressĂ©e Ă  l'Espagne.
  • : Jacques VergĂšs demande un examen anatomopathologique[161].
  • : une deuxiĂšme autopsie est rĂ©alisĂ©e Ă  l’hĂŽpital Pellegrin de Bordeaux[161].
  • : Bertrand Boulin dĂ©crit Ă  la presse les dossiers sortis par son pĂšre avant sa mort en . Laetitia Sanguinetti, fille d’Alexandre Sanguinetti, rĂ©vĂšle qu'ils « concernaient une sĂ©rie de facturations diverses et variĂ©es de grosses sociĂ©tĂ©s, françaises ou Ă©trangĂšres, qui servaient au financement occulte des partis, et notamment du RPR[23] ».
  • : une requĂȘte est formulĂ©e par la famille Boulin au procureur de la RĂ©publique de Versailles[162].
  • : une plainte pour diffamation publique est dĂ©posĂ©e par Robert Badinter contre la famille Boulin[163].
  • : un nouveau refus d'extradition d'Henri Tournet est dĂ©cidĂ© par l'Espagne[164].
  • : l'affaire Boulin est dĂ©paysĂ©e au tribunal de grande instance de Paris[161].
  • : Serge Tirlet, adjoint au maire de Saint-LĂ©ger-en-Yvelines, dĂ©crit les traumatismes constatĂ©s Ă  l'Ă©tang Rompu sur le visage de Boulin[161].
  • : la famille Boulin dĂ©couvre une Ă©coute tĂ©lĂ©phonique prouvant que l'heure de dĂ©cĂšs a Ă©tĂ© rectifiĂ©e sur l'acte de dĂ©cĂšs, sur demande du procureur[161].
  • :L'Express annonce que le rĂ©frigĂ©rateur cadenassĂ© de l'Institut mĂ©dico-lĂ©gal contenant une partie des prĂ©lĂšvements de poumon a Ă©tĂ© fracturĂ©, puis vidĂ©[161].
  • : le juge Yves Corneloup interroge sur commission rogatoire Henri Tournet[165].
  • : le juge Yves Corneloup demande l’autopsie des poumons.
  • : Colette Boulin et ses deux enfants condamnĂ©s Ă  une amende de 8 000 F[alpha 11].
  • : dans L'Express[166], James Sarrazin rĂ©vĂšle que la position des lividitĂ©s cadavĂ©riques sur le dos de Robert Boulin indique que le corps du ministre a Ă©tĂ© dĂ©placĂ© aprĂšs sa mort. Un pool de journalistes de plusieurs mĂ©dias se constitue pour tenter de tirer au clair les conditions du dĂ©cĂšs.
  • : le magistrat Alain Verleene reprend le dossier Boulin[141].
  • : la famille Boulin porte plainte pour « destruction de preuves »[alpha 12].

Années 1990

  • : ordonnance de non-lieu rendue par la juge d’instruction, Laurence Vichnievsky, neuf jours aprĂšs que le dossier lui a Ă©tĂ© confiĂ©[141]. La dĂ©cision est conforme aux rĂ©quisitions du parquet.
  • : confirmation du non-lieu « en l'Ă©tat » par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, prĂ©sidĂ©e par Martine Anzani[167].
  • : la Cour de cassation confirme le non-lieu, ouvrant un dĂ©lai de dix ans avant une Ă©ventuelle prescription[168].
  • : le procureur gĂ©nĂ©ral Louis-Bruno Chalret[alpha 13], qui avait Ă©tĂ© chargĂ© de l'enquĂȘte dĂšs la nuit du 29 au , meurt dans un accident de voiture[36].
  • : la justice rend une ordonnance de non-lieu Ă  la suite de la plainte pour « destruction de preuves » dĂ©posĂ©e par la famille Boulin du fait de la disparition des prĂ©lĂšvements anatomopathologiques[alpha 12].
  • : le magazine Golias, sous la signature de Francis Christophe, publie une contre-enquĂȘte dĂ©taillĂ©e remettant en cause la version du suicide[169].

Années 2000

  • : l’émission 90 Minutes sur Canal+[144] apporte de nouveaux Ă©lĂ©ments infirmant la thĂšse du suicide : le tĂ©moignage du colonel de gendarmerie Jean PĂ©pin, qui a sorti le corps de l’eau, et d’une spĂ©cialiste en toxicologie, Juliette Garat, qui a analysĂ© le sang du ministre.
  • : Bertrand Boulin dĂ©cĂšde Ă  l'Ăąge de 53 ans d'une crise cardiaque Ă  son domicile de Port-Camargue (Gard)[170].
  • : Colette Boulin dĂ©cĂšde Ă  son tour[171].
  • : la justice annonce l’audition de nouveaux tĂ©moins. Cette enquĂȘte prĂ©liminaire interrompt la prescription[172].
  • : Jacques DoutĂ© tĂ©moigne dans le journal Sud Ouest[173]. Il dĂ©clare avoir Ă©tĂ© prĂ©venu de la mort de Robert Boulin dĂšs le , Ă  20 h.
  • : les nouvelles auditions devant un officier de police judiciaire de Nanterre prennent fin. Vingt-huit personnes ont Ă©tĂ© entendues entre 2002 et 2006, mais il n'y a pas de rĂ©ouverture d’information judiciaire[141].
  • : le procureur gĂ©nĂ©ral de la cour d'appel de Paris Laurent Le Mesle rejette une nouvelle demande de rĂ©ouverture du dossier effectuĂ©e par Fabienne Boulin-Burgeat[174].
  • (ou janvier 2008) : Henri Tournet dĂ©cĂšde Ă  Santiago du Chili[175] - [167].
  • : l'ancien ministre gaulliste Jean Charbonnel confie sur France Inter qu'il s'agit pour lui d'un « rĂšglement de comptes politique »[176]. Il le rĂ©affirme le , toujours en direct sur France Inter[177].

Années 2010

  • : le procureur gĂ©nĂ©ral de Paris refuse la rĂ©ouverture de l'enquĂȘte, estimant que les Ă©lĂ©ments apportĂ©s par Fabienne Boulin-Burgeat n'offrent rien qui soit susceptible de la motiver. Cependant une enquĂȘte interne est ouverte au sujet de la disparition d'une partie du dossier et des piĂšces[178].
  • : les piĂšces signalĂ©es manquantes le sont retrouvĂ©es Ă  la suite de l'inspection des services judiciaires ordonnĂ©e par la Chancellerie[179].
  • : Francis Deswarte, Ă  l'Ă©poque chef Ă  la brigade motorisĂ©e de Poissy, affirme que des policiers ont tentĂ© de lui faire changer de version lors d'une audition survenue deux ou trois mois plus tard[180].
  • : la famille Boulin demande une nouvelle fois la rĂ©ouverture de l'enquĂȘte[181].
  • et : France 3 consacre deux soirĂ©es Ă  l’affaire avec le documentaire Vie et mort de Robert Boulin de Gilles Cayatte (thĂšse du suicide), la fiction Crime d'État de Pierre Aknine (thĂšse du meurtre), et un dĂ©bat animĂ© par FrĂ©dĂ©ric TaddeĂŻ[182]. À cette occasion, Jean Charbonnel affirme qu'Alexandre Sanguinetti, mort en 1980 (voir supra), lui avait confiĂ© le nom des deux assassins de Boulin, et qu'il est prĂȘt Ă  les transmettre Ă  la garde des Sceaux, Christiane Taubira, si elle accepte la rĂ©ouverture du dossier[183].
  • : Jean Charbonnel dĂ©cĂšde[184].
  • : Fabienne Boulin-Burgeat sollicite l'aide de la CIA pour tenter d'Ă©lucider la mort de son pĂšre[185].
  • : Fabienne Boulin-Burgeat dĂ©pose plainte contre X Ă  Versailles pour « enlĂšvement et sĂ©questration prĂ©sumĂ©e » aprĂšs le tĂ©moignage d'un homme ayant vu deux individus dans le vĂ©hicule du ministre le jour de sa mort[186].
  • : Charles Pasqua dĂ©cĂšde[187].
  • : le parquet de Versailles ouvre une information judiciaire pour « arrestation, enlĂšvement et sĂ©questration suivis de mort ou assassinat »[142], confiĂ©e Ă  la doyenne des juges d'instruction de Versailles, Aude Montrieux[143].
  • : le tĂ©moin mentionnĂ© par Fabienne Boulin-Burgeat dĂ©clare au juge Aude Montrieux avoir croisĂ© peu avant sa mort Robert Boulin dans sa Peugeot 305 en compagnie de deux personnes[21].
  • : le mĂ©decin rĂ©animateur envoyĂ© sur place aprĂšs la mort de Robert Boulin, jamais entendu par la justice, fait part Ă  la juge de ses doutes sur le suicide[21].
  • : Bernard Pons, ancien secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du RPR et l'un des plus fidĂšles chiraquiens, dĂ©clare publiquement croire Ă  la thĂšse de l'assassinat de Robert Boulin[188] et Ă©voque la « quasi-certitude d'un assassinat »[189]. Fabienne Boulin-Burgeat rappelle que, depuis , Aude Montrieux demande Ă  ĂȘtre dĂ©chargĂ© de l'affaire pour raisons personnelles, que le deuxiĂšme magistrat instructeur s'est limitĂ© Ă  recevoir un seul tĂ©moin et que le troisiĂšme (Denis CouhĂ©) a 50 autres dossiers lourds Ă  traiter[190]. En outre, ce dernier signale que le dossier original est pour l'instant introuvable[190].
  • : le juge d'instruction Denis CouhĂ© mandate quatre experts afin de dĂ©terminer « les circonstances exactes dans lesquelles le dĂ©cĂšs de Robert Boulin est survenu. Dans sa liste figurent un radiologue, un expert en toxicologie, un pneumologue et Bertrand Ludes, le directeur de l’institut mĂ©dico-lĂ©gal de Paris[191].
  • : le collĂšge d'experts estime que les constatations de 1979 sont insuffisantes pour conclure formellement Ă  une noyade[192]. Selon ces experts, la fracture faciale serait insuffisante pour avoir provoquĂ© Ă  elle seule la mort de Robert Boulin, et rĂ©sulterait d'un « choc direct secondaire »[193].
  • : la presse annonce que la famille de Robert Boulin assigne en justice l’État pour « faute lourde » et demande 100 000 euros en rĂ©paration du prĂ©judice, en dĂ©plorant le « dĂ©pĂ©rissement des preuves »[194].
  • 18 mars 2022 : le commissaire Gilles Leclair publie un livre accrĂ©ditant la thĂšse du suicide[195].

Arts et littérature

Le et , la chaĂźne de tĂ©lĂ©vision France 3 consacre deux soirĂ©es Ă  l’affaire Robert Boulin en diffusant le documentaire Vie et mort de Robert Boulin de Gilles Cayatte (qui privilĂ©gie la thĂšse du suicide), suivi le lendemain de la fiction Crime d'État de Pierre Aknine (qui soutient la thĂšse de l'assassinat), avec, en deuxiĂšme partie de soirĂ©e, un dĂ©bat animĂ© par FrĂ©dĂ©ric TaddeĂŻ[182]. À cette occasion, Jean Charbonnel affirme qu'Alexandre Sanguinetti, mort en 1980 (voir supra), lui avait confiĂ© le nom des deux assassins de Boulin, et qu'il est prĂȘt Ă  les transmettre Ă  la garde des Sceaux, Christiane Taubira, si elle accepte la rĂ©ouverture du dossier[183].

Annexes

Bibliographie

Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article : document utilisĂ© comme source pour la rĂ©daction de cet article.

  • Gilbert Abas, « Mort de Robert Boulin », dans Les coups tordus des services secrets français, JanzĂ©, CoĂ«tquen Éditions, (ISBN 978-2-84993-215-5), p. 148-165.
  • Raymond Barre, L'expĂ©rience du pouvoir : conversations avec Jean Bothorel, Paris, Fayard, , 350 p. (ISBN 978-2213-63031-1)
  • Bertrand Boulin, Ma vĂ©ritĂ© sur mon pĂšre, Paris, Stock, , 283 p. (ISBN 2-234-01288-0).
  • Fabienne Boulin-Burgeat, Le Dormeur du Val, Paris, Don Quichotte, , 316 p. (ISBN 978-2-35949-023-7).
    • Voir aussi : « Le Dormeur du Val », sur robertboulin.net, Association Robert Boulin pour la vĂ©ritĂ© (consultĂ© le ).
  • Francis Christophe, Claude GuĂ©ant : un prĂ©fet en eaux troubles, Paris, Éditions du Moment, , 504 p. (ISBN 978-2-35417-468-2).
  • BenoĂźt Collombat, Un homme Ă  abattre : contre-enquĂȘte sur la mort de Robert Boulin, Paris, Fayard, , 188 p. (ISBN 978-2-213-63104-2). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
  • Jacques Derogy et Jean-Marie Pontaut, EnquĂȘte sur les « affaires » d'un septennat, Paris, Robert Laffont, , 336 p. (ISBN 2-221-00814-6).
  • SolĂšne Haddad, « Politique en eaux troubles », dans Affaires criminelles inexpliquĂ©es, Saint-Victor-d'Épine, City Éditions, (ISBN 978-2-824-60304-9, lire en ligne).
  • Karine Hamedi, Scandale et suicide politiques : destins croisĂ©s de Pierre BĂ©rĂ©govoy et Robert Boulin, Paris, L'Harmattan, .
  • Dominique LabarriĂšre, Quand la politique tue : Robert Boulin, une tĂ©nĂ©breuse affaire, Paris, Éditions de la Table Ronde, .
  • Guy Penaud, Pour en finir avec l'affaire Robert Boulin, Paris, L'Harmattan, , 250 p. (ISBN 978-2-343-04880-2, lire en ligne)[196].
  • Raymond Martin et Patrice Trapier, Morts suspectes : les vĂ©ritĂ©s d'un mĂ©decin lĂ©giste, Paris, Calmann-LĂ©vy, .
  • Pierre PĂ©an, L'homme de l'ombre : Ă©lĂ©ments d'enquĂȘte autour de Jacques Foccart, Paris, Fayard, , 583 p. (ISBN 2-213-02631-9).
  • Patrick Rambaud, Mort d’un ministre, Paris, Grasset, .
  • Danielle ThiĂ©ry et Alain Tourre, Police judiciaire : 100 ans avec la crim' de Versailles, Paris, Jacob-Duvernet, , 438 p. (ISBN 978-2-84724-380-2).
  • Alain Hamon, Bonjour, on vient pour l'affaire, Ă©ditions JPO, 2020, 405 p.
  • Renaud Van Ruymbeke et Jean-Marie Pontaut, MĂ©moires d'un juge trop indĂ©pendant, Paris, Editions Tallandier, , 304 p. (ISBN 979-10-210-4408-1), p. 17-46 (chapitre premier)
  • François-Xavier Verschave, Noir silence, Paris, Les ArĂšnes, .
  • Gilles Leclair, La vĂ©ritĂ© sur l'affaire Robert Boulin, Filatures(s), , 168 p. (ISBN 978-2-491-50767-1)

Presse écrite ou radiodiffusée

Filmographie et télévision

Bande dessinée

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

Notes

  1. « REGIS » est un acronyme qui signifie « Réseau électronique gouvernemental inter-administratif spécial ».
  2. Script de la vidéo de Despratx et Nicolas :
    « [Jean Tirlet, debout au bord de l'Ă©tang Rompu :] Elle [sa tĂȘte] n'a rien heurtĂ© du tout. Absolument pas. D'ailleurs, il Ă©tait Ă  genoux, on l'a mis sur le dos. MĂȘme s'il avait heurtĂ© quelque chose, ç'aurait Ă©tĂ© le dos.
    — [Journaliste :] Mais la tĂȘte n'a pas heurtĂ© un rocher ?
    — Il n'y a pas de rochers ici ! [deux fois]
    — Alors, c’est peut-ĂȘtre des souches ?
    — Il n'y a pas de souches !
    — [Le journaliste montre Ă  J. Tirlet les photos du visage de Robert Boulin Ă  la sortie de l’eau] Est-ce que c’est le visage que vous avez dans votre mĂ©moire ?
    — Absolument ! [deux fois] Il faut voir l'Ă©tat du corps, ça m'a touchĂ© d’abord, au dĂ©but sur le coup. Mince ! Ce gars-lĂ , il a pris une trempe ! »
    [47].
  3. Ces considĂ©rations sont confirmĂ©es par la nature du site, qui se trouve dans le domaine public sans restriction d’accĂšs, et le fait que le corps de Boulin Ă  cinq ou sept mĂštres du bord ne se trouvait que dans environ cinquante centimĂštres d’eau.
  4. Script de la vidéo de Despratx et Nicolas :
    « [Journaliste :] Est-ce que vous avez assisté personnellement à la sortie du corps ?
    — [Gendarme, de dos, visage non visible, dans un bureau :] J'ai vu moi-mĂȘme sortir le corps ; et en aucune façon, jamais il n’a heurtĂ© un obstacle ; ils n'ont rien heurtĂ© pour la bonne raison qu'il n'y avait rien Ă  heurter ; ils ont soulevĂ© le corps au-dessus de l'eau et ils l'ont tirĂ© comme ça. Il n'y a pas d’obstacle. J'ai ouvert tout de suite la chemise pour voir s'il n'y avait pas de trous de balle.
    — Ah, parce que vous avez cru

    — J'ai cru qu'on l'avait flinguĂ©. »

    [Narrateur :] D'autres gendarmes confirmeront que la tĂȘte n'a rien heurtĂ©. Pourtant dans l'ordonnance de non-lieu de 1992, le tĂ©moignage du policier qui a vu un rocher lĂ  oĂč il n’y en avait pas a Ă©tĂ© retenu.
    « — [Gendarme :] J'ai constatĂ© que la voiture Ă©tait souillĂ©e par de l'eau qui manifestement provenait de l’étang car, pour ĂȘtre de la couleur qu'elle Ă©tait, il fallait que beaucoup de feuilles aient trempĂ© dedans et il y en avait plein la voiture. »
    [Narrateur :] Ces traces de boue et de feuilles sur la 305 ne seront jamais analysées ni les empreintes visibles sur la carrosserie que les policiers du SRPJ de Versailles n'ont pas vues [Des images de la carrosserie sont montrées].
    [Me RenĂ© Boyer avocat de la famille Boulin :] « À la place du passager, on retrouve des mĂ©gots de Gauloises. Il n'a jamais fumĂ© de Gauloises. Sur le tapis du sol, on a une tĂąche suspecte ; on ne va jamais s'intĂ©resser Ă  cette tĂąche suspecte. »
    [Narrateur :] Mais il est un point jamais rĂ©vĂ©lĂ© Ă  ce jour : dĂšs son arrivĂ©e, le gendarme repĂšre d’autres traces, dĂ©terminantes
 Des traces de pas :
    « [Gendarme :] J'ai trouvé des traces qui allaient à l'étang et des traces qui en revenaient.
    — [Journaliste :] Ça, vous l’avez signalĂ© Ă  la police ?
    — Ça n'a pas eu l’air de les intĂ©resser.
    — Votre conviction, c’est que ce corps a Ă©tĂ© transportĂ© sur place ?
    — À mon avis, oui ! [deux fois] Il n'est pas venu tout seul.
    — Mais vous n'avez jamais eu le temps de le prouver ?
    — J'ai jamais eu le temps de chercher vraiment, puisque dans une affaire dans laquelle on est dessaisi, il est hors de question qu'on fasse la moindre investigation. Je pense qu'on a dit : « il faut dĂ©gager les gendarmes, ces cons-lĂ , ils sont foutus de trouver la vĂ©ritĂ© ».
    [Narrateur :] Les gendarmes sont immĂ©diatement dessaisis au profit des policiers de Versailles dont le premier rapport rendu trois semaines plus tard ne fait aucune mention des traces de pas et des empreintes, et pour cause elles n'ont jamais Ă©tĂ© relevĂ©es. Le suicide Ă©tait Ă©vident, ont expliquĂ© les policiers. À l'Ă©poque, les journalistes sont rares qui doutent du suicide. Ceux qui l’écrivent se mettent en danger. [
] »
    [50].
  5. Script de la vidéo de Despratx et Nicolas :
    [Narrateur :] « Tout aussi Ă©trange sera l'autopsie de Robert Boulin pratiquĂ©e Ă  l'institut mĂ©dico-lĂ©gal de Paris. Au dĂ©part, une question simple : Robert Boulin s'est-il noyĂ© dans les eaux de l'Ă©tang Rompu ? À 13 h, alors que le corps n'est pas encore arrivĂ© Ă  l'institut mĂ©dico-lĂ©gal, une journaliste d’Antenne 2 [DaniĂšle Breem] parle dĂ©jĂ  de barbituriques, pris par le ministre. Aujourd’hui, elle a oubliĂ© le nom de son informateur. MĂ©decin-lĂ©giste Ă  l'institut mĂ©dico-lĂ©gal en , Juliette Garat sera chargĂ©e de l'analyse toxicologique du sang de Robert Boulin. Elle tĂ©moigne pour la premiĂšre fois des conditions de l'autopsie. »
    [Journaliste :] « Le rapport d’autopsie a conclu Ă  une noyade par submersion ; or, les poumons n'ont pas Ă©tĂ© analysĂ©s. Est-ce que lorsque les poumons n'ont pas Ă©tĂ© analysĂ©s, on peut conclure Ă  une noyade ?
    — [J. Garat :] Ça me paraüt difficile.
    — Ça vous a fait sourire, j'ai vu.
    — Ben oui, parce qu'on n'a pas recherchĂ© les diatomĂ©es ; autrement dit, on n'a pas recherchĂ© s'il avait absorbĂ© de l'eau de l'Ă©tang du Rompu [sic].
    — Il n'y a pas eu de prĂ©lĂšvement d’eau sur l’étang non plus ?
    — Non.
    — Est-ce que c’est logique dans une enquĂȘte de police ?
    — Non, pas du tout, c’est un manque. »

    [Narrateur :] « Dans le sang de Robert Boulin, Juliette Garat trouve des traces de DiazĂ©pan, un dĂ©rivĂ© du Vallium. TrĂšs rapidement, les bocaux de sang sont volĂ©s. Quelques annĂ©es plus tard, les poumons conservĂ©s dans du formol disparaissent. Officiellement, ces bocaux ont Ă©tĂ© enterrĂ©s au cimetiĂšre de Thiais. On ne les retrouvera jamais. Il est une petite phrase anodine dans le rapport d’autopsie : les lividitĂ©s cadavĂ©riques siĂšgent au niveau de la face postĂ©rieure du corps. Ce point est capital. AprĂšs la mort d'un sujet, le sang qui ne circule plus afflue dans les parties les plus basses du corps : ce sont les lividitĂ©s. Elles se fixent dans les six premiĂšres heures qui suivent la mort et ne bougent plus. Le corps de Robert Boulin a Ă©tĂ© retrouvĂ© dans cette position, face dirigĂ©e vers le sol [un croquis de la position du corps est montrĂ©], les lividitĂ©s auraient dĂ» se trouver sur le ventre ; or elles Ă©taient fixĂ©es sur le dos. »
    [Journaliste :] « Qu'est-ce que cela signifie ?
    — [J. Garat :] Cela signifie que le corps a Ă©tĂ© manipulĂ©.
    — Il a Ă©tĂ© dĂ©placĂ© ?
    — Ah oui ! »

    [James Sarazin, journaliste au Monde en :] « À partir du moment oĂč le corps a Ă©tĂ© dĂ©placĂ©, c’est d’une part qu'il n'est pas mort lĂ  et que d’autre part c’est qu'il ne s'est pas suicidé  Que quelque part il a Ă©tĂ© tuĂ© et qu'on a amenĂ© son corps lĂ  pour faire croire Ă  une noyade. »
    [J. Garat :] « Le nez a Ă©tĂ© fortement contusionnĂ©. Ça se voit trĂšs bien sur celle-lĂ  [une photo est montrĂ©e Ă  l'Ă©cran, puis une autre] que le revĂȘtement cutanĂ© a Ă©tĂ© Ă©clatĂ©. Vraisemblablement par un coup. Ce sont des coups violents mais pas avec un poing ça : le poing ne fait pas ça. Voyez-vous, ce n'est pas assez Ă©tendu si je puis m’exprimer ainsi. »
    [Narrateur :] « Une autopsie du crĂąne Ă©tait indispensable ; or les mĂ©decins lĂ©gistes ne pourront jamais la rĂ©aliser. Ils Ă©criront que c'est le procureur de la RĂ©publique qui les en a empĂȘchĂ©s. »
    [Journaliste :] « Est-ce qu'un procureur de la RĂ©publique se mĂȘle d’une autopsie en gĂ©nĂ©ral ?
    — [J. Garat :] Non.
    — Il la demande mais ne s'en mĂȘle pas ?
    — Ah, pas du tout !
    — Comment expliquer que le procureur de Versailles s'en soit mĂȘlĂ© ?
    — Il avait sans doute ses raisons. »

    [Narrateur :] « C'est un jeune substitut du procureur de Versailles qui a supervisĂ© l'autopsie : Daniel Leimbacher est aujourd’hui avocat gĂ©nĂ©ral Ă  la cour d’appel d'Aix-en-Provence. Il reconnaĂźt qu'Ă  l'Ă©poque, sans expĂ©rience, il a simplement obĂ©i. »
    [D. Leimbacher :] « C'est mon procureur qui m'a demandĂ© d’accompagner le corps Ă  l'institut mĂ©dico-lĂ©gal : « Il faut Ă©tablir qu'il est mort par noyade. Il faut vĂ©rifier ça. » Le reprĂ©sentant du gouvernement, qui Ă  mes yeux reprĂ©sentait le gouvernement puisque c’était le directeur du cabinet du ministre [celui de R. Boulin], ne souhaitait pas que
 Ă  la limite il ne souhaitait pas d’autopsie du tout. »
    [Narrateur :] « Daniel Leimbacher rĂ©sistera aux pressions et une autopsie aura lieu. Mais une autopsie incomplĂšte car la consigne Ă©tait claire : ne pas toucher Ă  la tĂȘte. »
    [D. Leimbacher :] « DĂšs le dĂ©part Ă©videmment, la tendance Ă©tait, la dĂ©marche Ă©tait, ou il y avait quand mĂȘme une pression je dois dire
 Ă©tait de ne pas faire plus qu'il ne fallait
 et de ne pas charcuter le corps. »
    [Narrateur :] « Pas d’autopsie du crĂąne en 1979, et quatre ans plus tard aprĂšs exhumation du corps de Robert Boulin, une radiographie rĂ©vĂšle deux fractures Ă  la face. Le radiologue qui a omis de signaler ces fractures en 1979 avoue aujourd’hui qu'on lui avait simplement demandĂ© de rechercher la prĂ©sence Ă©ventuelle de balles dans la tĂȘte. »
    [Journaliste :] « Vous savez que l'autopsie a été bùclée sur Robert Boulin ?
    — [Le radiologue de l'Ă©poque par tĂ©lĂ©phone :] Mais ce n'est pas mon problĂšme, ce n'est pas moi qui l'ai faite. Moi, on m'a posĂ© des questions particuliĂšres, j'ai rĂ©pondu aux questions particuliĂšres. Un point c'est tout.
    — On vous a juste demandĂ© de rechercher des projectiles, pas des fractures ?
    — Et puis voilĂ , c’est tout ! Ce n'est pas mon problĂšme, ça. »

    [Narrateur :] « Une autre blessure sera nĂ©gligĂ©e, celle du poignet droit de Robert Boulin, parfaitement visible sur cette photo [une photo du corps au bord de l'Ă©tang est montrĂ©e] et maladroitement cachĂ©e par une Ă©tiquette Ă  l'autopsie [photo du corps nu de Robert Boulin prise pendant l'autopsie, oĂč le poignet droit est masquĂ© par une Ă©tiquette]. Les lĂ©gistes parlent d’une plaie ancienne en voie de cicatrisation. Impossible rĂ©pond Alain Morlot, le kinĂ©sithĂ©rapeute de Robert Boulin : il a massĂ© le ministre la veille de sa mort. »
    [A. Morlot :] « C'est quand mĂȘme impressionnant, on ne sait pas du tout Ă  quoi ça peut correspondre, mais je sais que lorsque j'Ă©tais avec lui dimanche, il n’avait pas cette blessure. Comment est-ce qu'il s'est fait ça ? Je ne sais pas. »
    [Journaliste interrogeant Ă  nouveau le mĂ©decin lĂ©giste Juliette Garat :] « Est-ce que votre conviction, c’est que Robert Boulin a Ă©tĂ© assassinĂ© ?
    — [J. Garat :] Je ne peux pas « ne pas dire oui »[197].. »
    .
  6. Alors garde des Sceaux.
  7. Pierre Pascal, ancien conseiller spécial de Jacques Chaban-Delmas précise que la lettre est arrivée le mardi à 9 h 30 du matin[71].
  8. L’ami franc-maçon de Robert Boulin, explique que le jour de la dĂ©couverte du corps, « le procureur ou le commissaire de Versailles » l’appelle « le matin » pour lui dire qu’il va « recevoir au courrier du soir une lettre de Boulin »[73]..
  9. Entre-temps ministre de la Justice de François Mitterrand depuis 1981.
  10. Le scellĂ© contenant le sang de Robert Boulin est volĂ© sans effraction dans les locaux mĂȘmes de l'institut mĂ©dico-lĂ©gal de Paris. L'enquĂȘte effectuĂ©e aprĂšs dĂ©pĂŽt de plainte par l’expert responsable de l’Institut mĂ©dico-lĂ©gal n’est pas versĂ©e au dossier pĂ©nal et n’a pas abouti.
  11. Environ 1 200 euros compte non tenu de l'inflation depuis 1988.
  12. Le prĂ©fet de police de Paris, M. Jean Daubigny, ordonne la destruction de la sĂ©rie bis des prĂ©lĂšvements. La destruction est exĂ©cutĂ©e par Michelle Rudler, directrice de l’Institut mĂ©dico-lĂ©gal, sans que la famille ni le magistrat instructeur en soient avertis, alors que seule l'autoritĂ© judiciaire est habilitĂ©e Ă  prendre cette dĂ©cision. Un courrier de l’expert de l'Institut mĂ©dico-lĂ©gal dĂ©positaire des scellĂ©s, le professeur Roger Le Breton, avait pourtant informĂ© le prĂ©fet Jean Daubigny de toutes ces modalitĂ©s et insistĂ© sur la nĂ©cessitĂ© de conserver ces prĂ©lĂšvements. La partie civile porte alors plainte pour « destruction de preuves ». La justice reconnaĂźtra l’élĂ©ment de fait (les preuves ont bien Ă©tĂ© dĂ©truites) et la demande fondĂ©e en droit (les piĂšces ne devaient pas ĂȘtre dĂ©truites), mais la partie civile sera dĂ©boutĂ©e, « l’intention de nuire » n’étant pas reconnue.
  13. Il se serait endormi au volant.

Références

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  152. qui, selon Hermann Stromberg, a Ă©tĂ© l'un des premiers tĂ©moins Ă  avoir vu Boulin mort la veille de la dĂ©couverte officielle de son corps. Le vĂ©hicule de Charles Bignon s'est arrĂȘtĂ© de nuit, tous feux Ă©teints, sur la voie de circulation de droite (Voie de circulation principalement empruntĂ©e par les poids lourds.) de l'autoroute A10, Ă  la limite des Yvelines et de l’Essonne. « Selon le tĂ©moignage de sa passagĂšre, une violente dispute les a opposĂ©s et elle a demandĂ© Ă  descendre immĂ©diatement de voiture », en l'occurrence en rase campagne ; la voiture est alors violemment percutĂ©e Ă  l'arriĂšre par un poids lourd, elle prend feu et le corps de Charles Bignon est carbonisĂ©. Le parquet de Versailles (Le mĂȘme qui a gĂ©rĂ© la dĂ©couverte du corps de Robert Boulin, cinq mois plus tĂŽt.) est chargĂ© de l'enquĂȘte, confiĂ©e Ă  la gendarmerie, qui recueille les tĂ©moignages de la passagĂšre et du chauffeur du poids lourd. Le parquet conclut Ă  un « banal accident de la circulation »
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