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Syndrome d'Ă©puisement professionnel

Le syndrome d’épuisement professionnel, Ă©galement dĂ©signĂ© par l'anglicisme burnout [ˈbɝnaʊt][n 1] , combine une fatigue profonde, un dĂ©sinvestissement de l'activitĂ© professionnelle, et un sentiment d'Ă©chec et d'incompĂ©tence dans le travail. Le syndrome d'Ă©puisement professionnel est considĂ©rĂ© comme le rĂ©sultat d'un stress professionnel chronique (par exemple, liĂ© Ă  une surcharge de travail) : l'individu, ne parvenant pas Ă  faire face aux exigences adaptatives de son environnement professionnel, voit son Ă©nergie, sa motivation et son estime de soi dĂ©cliner.

Épuisement
Syndrome d'Ă©puisement professionnel
Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Louis Albert-Lefeuvre, AprĂšs le travail, 1885.
Traitement
Traitement Psychothérapie et gratitude journal (en)
Spécialité Psychologie
Classification et ressources externes
CIM-11 QD85
CIM-10 Z73.0
MeSH D002055

Wikipédia ne donne pas de conseils médicaux Mise en garde médicale

En 1969, Harold. B Bradley est la premiĂšre personne Ă  dĂ©signer, dans son article « Community-based treatment for young adult offenders », un stress particulier liĂ© au travail sous le terme de burnout. Ce terme est repris en 1974 par le psychanalyste Herbert J. Freudenberger puis par la psychologue Christina Maslach en 1976 dans leurs Ă©tudes des manifestations d’usure professionnelle[1].

« En tant que psychanalyste et praticien, je me suis rendu compte que les gens sont parfois victimes d’incendie, tout comme les immeubles. Sous la tension produite par la vie dans notre monde complexe leurs ressources internes en viennent Ă  se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense Ă  l’intĂ©rieur, mĂȘme si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte. »

— Herbert J. Freudenberger[2]

Pour ces premiers observateurs, le syndrome d’épuisement professionnel vise principalement les personnes dont l’activitĂ© professionnelle implique un engagement relationnel important comme les travailleurs sociaux[3], les professions mĂ©dicales, les enseignants.

L’étude de ces catĂ©gories professionnelles a conduit ces chercheurs Ă  considĂ©rer les confrontations rĂ©pĂ©tĂ©es Ă  la douleur ou Ă  l’échec comme des causes dĂ©terminantes dans les cas de manifestation de ce syndrome d’épuisement professionnel. Il est, Ă  l’époque des premiĂšres observations, conçu comme un syndrome psychologique spĂ©cifique aux professions « aidantes ». Cette notion a prĂ©valu quelque temps et a marquĂ© durablement la conceptualisation du phĂ©nomĂšne et l’orientation des premiers travaux de recherche. Mais les connaissances accumulĂ©es depuis ces premiĂšres observations ont conduit Ă  Ă©tendre les risques de manifestations d’un syndrome d’épuisement professionnel Ă  l’ensemble des individus au travail, quelle que soit leur activitĂ©.

Identifications

Herbert Freudenberger et la premiĂšre description

La littĂ©rature spĂ©cialisĂ©e admet gĂ©nĂ©ralement que le psychothĂ©rapeute et psychiatre Herbert Freudenberger est l’auteur des premiĂšres recherches sur le syndrome d’épuisement professionnel[4]. Dans son article Staff burnout publiĂ© en 1974[5], premiĂšre tentative de description de l’affection, Herbert Freudenberger dĂ©signe en effet par le terme Burn-Out Syndrome[6] (« B.O.S. ») un Ă©tat d’épuisement dans lequel se trouve le personnel soignant des Free Clinics, trĂšs investi professionnellement et Ă©motionnellement avec des patients toxicomanes. Il dĂ©finit ce burnout comme la perte de motivation d’une personne pour son travail, surtout quand sa forte implication n’a pas produit les rĂ©sultats escomptĂ©s.

Freudenberger dirige dans les annĂ©es 1970 un hĂŽpital de jour, une free clinic, accueillant des toxicomanes dans le Lower East Side de New York. L’établissement fonctionne principalement grĂące Ă  de jeunes bĂ©nĂ©voles. Freudenberger commence ses observations aprĂšs avoir remarquĂ© que nombre de ces bĂ©nĂ©voles finissent par perdre toute motivation aprĂšs environ un an d’activitĂ©. Il s’aperçoit que des symptĂŽmes physiques caractĂ©ristiques accompagnent ce changement, tels que l’épuisement, la fatigue, la persistance de rhumes, les maux de tĂȘte, les troubles gastro-intestinaux et les insomnies.

Dans ses travaux, Freudenberger souligne davantage les symptĂŽmes comportementaux et brosse le portrait d’individus submergĂ©s par leurs Ă©motions. ColĂšre, irritation, incapacitĂ© Ă  faire face aux tensions, aux nouvelles situations, mais aussi perte d’énergie sont parmi les premiers signes de ce qu’il nomme « craquage » ou « Ă©puisement Ă©motionnel et mental ». Herbert Freudenberger estime que les attitudes nĂ©gatives et le recours au cynisme sont Ă©galement des manifestations faisant partie du tableau clinique. Il relĂšve des stratĂ©gies de surenchĂšre, comme passer de plus en plus de temps au travail et dĂ©ployer une hyperactivitĂ© inefficace, mais aussi des stratĂ©gies d’évitement, comme la recherche de l’isolement et le refus du contact avec ses collĂšgues.

Photo
Bougie : le burnout d’une bougie illustre la mĂ©taphore de Herbert Freudenberger.

Le terme burnout[7] est utilisĂ© Ă  l’époque pour dĂ©signer les effets de la toxicomanie ; il reprĂ©sente pour Freudenberger une mĂ©taphore efficace pour dĂ©signer l’ensemble des symptĂŽmes qu’il observe. Dans la langue anglaise courante, burnout signifie « s’user, s’épuiser, craquer en raison de demandes excessives, d’énergie, de forces ou de ressources ». « Le terme qualifie par exemple, l’état d’une bougie qui, aprĂšs avoir Ă©clairĂ© de longues heures n’offre plus qu’une flamme dĂ©suĂšte [tĂ©nue][n 2]. »

Du fait de son expĂ©rience, Herbert Freudenberger remarque que chez les jeunes bĂ©nĂ©voles, l’engagement initial et la certitude de faire un travail significatif suffisent un temps Ă  alimenter la satisfaction et Ă  maintenir les efforts. Cependant, les patients qu’il traite dans sa clinique rĂ©sistent frĂ©quemment et sont souvent impermĂ©ables aux conseils. Dans un tel milieu, l’aide et l’énergie dĂ©ployĂ©es par ces jeunes bĂ©nĂ©voles sont souvent vaines. Freudenberger remarque ainsi que « c’est prĂ©cisĂ©ment parce que nous nous sommes consacrĂ©s Ă  notre tĂąche que nous tombons dans le piĂšge du craquage »[8]. D’aprĂšs Freudenberger et Richelson en 1980, le syndrome d’épuisement professionnel se dĂ©veloppe quand les individus ont une image idĂ©alisĂ©e d’eux-mĂȘmes, se perçoivent dynamiques, charismatiques, particuliĂšrement compĂ©tents et finissent par perdre le lien avec leur soi vĂ©ritable[9] - [10].

Dans cette conceptualisation du burnout, les facteurs individuels se voient attribuer un rĂŽle important dans le dĂ©veloppement du syndrome d’épuisement professionnel, car ce sont des individus engagĂ©s et dĂ©vouĂ©s Ă  une cause qui sont frappĂ©s. Dans cette optique, le burnout est perçu comme la « maladie du battant[11] ». En 1980, Freudenberger et Richelson le dĂ©finissent ainsi[12] :

« Un Ă©tat de fatigue chronique, de dĂ©pression et de frustration apportĂ© par la dĂ©votion Ă  une cause, un mode de vie[13], ou une relation, qui Ă©choue Ă  produire les rĂ©compenses attendues et conduit en fin de compte Ă  diminuer l’implication et l’accomplissement du travail. »

Le rĂŽle prĂ©curseur d’Herbert Freudenberger ne doit pas occulter que le concept d'Ă©puisement est posĂ© en France par Claude Veil dĂšs 1959. MĂȘme s'il ne le dĂ©finit pas comme un syndrome, il dĂ©crit scientifiquement les Ă©tats d'Ă©puisement au travail[14]. De mĂȘme, une psychopathologie consĂ©cutive Ă  une situation professionnelle est dĂ©crite dans la littĂ©rature amĂ©ricaine dĂšs 1936 par le mĂ©decin Hans Selye[15] et 1942 par le physiologiste Walter Bradford Cannon[16] : ils dĂ©finissent la physiopathologie du stress notamment chez les infirmiĂšres (« stress des infirmiĂšres »). + modĂšle transactionnel du stress (Lazarus & Folkman, 1984) sur lequel s'est appuyĂ© Maslach pour Ă©laborer sa thĂ©orie.

Christina Maslach et les relations interpersonnelles

Christina Maslach, chercheuse en psychologie sociale, compte parmi ceux qui ont contribuĂ© Ă  imposer le concept et Ă  asseoir sa validitĂ©. Dans un texte datant de 1993, elle relate comment les recherches qu’elle a menĂ©es au cours des annĂ©es 1970 l’ont conduite, un peu par hasard explique-t-elle, Ă  dĂ©couvrir elle aussi le syndrome d’épuisement professionnel[17], alors qu’elle s’intĂ©resse aux stratĂ©gies utilisĂ©es pour faire face aux Ă©tats d’activation Ă©motionnelle, en particulier l’inquiĂ©tude distante et l’objectivation comme autodĂ©fense[18] - [19] - [20].

L’« inquiĂ©tude distante » renvoie par exemple chez un mĂ©decin Ă  l’attitude idĂ©ale combinant compassion et dĂ©tachement Ă©motionnel. Si le mĂ©decin est soucieux du bien-ĂȘtre de son patient, il est Ă©galement attentif Ă  maintenir une objectivitĂ© en Ă©vitant une trop grande implication. Le concept d’« objectivation comme autodĂ©fense », notion introduite par Philip Zimbardo en 1970[21], exprime l’idĂ©e de se protĂ©ger du dĂ©bordement Ă©motionnel en considĂ©rant des « cas » plutĂŽt que des personnes. Face Ă  une maladie grave, Ă  un Ă©tat particuliĂšrement prĂ©occupant, il est en effet plus facile pour un mĂ©decin de soigner s’il oublie l’individu qui souffre et se consacre au « cas » et Ă  ses symptĂŽmes.

ArmĂ©e thĂ©oriquement de ces deux concepts, Christina Maslach dĂ©marre ensuite un programme de recherches[22] par des entretiens auprĂšs de professionnels du champ mĂ©dical[n 3] puis du champ de la santĂ© mentale (psychiatres, infirmier(e)s de secteur psychiatrique, etc.). L’analyse dĂ©voile plusieurs thĂšmes : d’abord, si les expĂ©riences Ă©motionnelles peuvent ĂȘtre gratifiantes (certains patients guĂ©rissent, en effet, grĂące aux efforts du professionnel), elles sont le plus souvent stressantes (travailler avec des patients difficiles, dĂ©plaisants, avoir de mauvaises nouvelles Ă  annoncer, ĂȘtre en conflit avec les collĂšgues font partie des facteurs de stress). Ensuite, les professionnels sont incapables d’atteindre le dĂ©tachement. Avec le temps, ils adoptent en effet des attitudes nĂ©gatives envers leurs patients. Enfin, ils interprĂštent leurs expĂ©riences Ă©motionnelles comme des Ă©checs et s’interrogent sur leurs capacitĂ©s Ă  travailler dans ce secteur, dĂ©prĂ©ciant ainsi leurs compĂ©tences.

DĂ©crivant par hasard les rĂ©sultats de ses premiĂšres analyses Ă  un magistrat, Christina Maslach s’entend dire qu’un phĂ©nomĂšne similaire apparaĂźt chez les avocats exerçant auprĂšs de personnes en situation de difficultĂ© sociale[23]. Ces avocats nomment mĂ©taphoriquement ce phĂ©nomĂšne « burnout ». Le terme, que retient aussi Christina Maslach, est en effet « dans l’air ». Il dĂ©signe une manifestation qui reste Ă  Ă©tudier Ă  ce moment-lĂ .

Puisque le burnout semble commun aux professionnels de la santĂ© et aux avocats, Christina Maslach Ă©met l’hypothĂšse que travailler avec d’autres, en particulier dans une relation d’aide, est au cƓur du phĂ©nomĂšne. À l’inverse d’Herbert Freudenberger qui insiste sur les facteurs personnels[24], elle situe davantage les causes du burnout dans l’environnement du travail et ses conditions. Elle cherche Ă  valider cette idĂ©e en menant des entretiens auprĂšs d’autres groupes professionnels dont l’activitĂ© suppose aussi une implication relationnelle. Dans tous les cas des thĂšmes rĂ©currents Ă©mergent de l’analyse : Ă©puisement Ă©motionnel, attitudes distantes, nĂ©gatives envers les clients ou les patients. À l’évidence, ces manifestations prĂ©sentent une rĂ©gularitĂ© Ă  travers les diffĂ©rentes professions.

Ces manifestations ne sont pas une rĂ©ponse produite par quelques individus, mais un problĂšme relativement rĂ©pandu. Ainsi le terme burnout semble combler un vide en Ă©tiquetant un phĂ©nomĂšne jusqu’ici sans nom mais pourtant trĂšs prĂ©sent dans le monde du travail[25]. Il a Ă©tĂ© sĂ©parĂ© dĂšs le dĂ©part des affections psychologiques inter-psychiques pour ĂȘtre apparentĂ© aux dĂ©sordres psychosociaux[26].

C’est dans un texte tout aussi descriptif que celui de Herbert Freudenberger[27] que Christina Maslach[28] relate les rĂ©sultats de ses premiĂšres investigations. Si Freudenberger parle du « dynamisme du burnout[29] », Maslach Ă  plusieurs reprises dans son texte emploie a contrario le terme de « craquage » liĂ© au burnout. Elle observe que ce « craquage » est suivi d’une perte d’efficacitĂ© dans les services de santĂ© et d’action sociale, d’un absentĂ©isme et d’un taux de rotation du personnel Ă©levĂ©. Il provoque aussi une dĂ©tĂ©rioration du bien-ĂȘtre physique : « Les professionnels sont Ă©puisĂ©s, frĂ©quemment malades et peuvent souffrir d’insomnies, d’ulcĂšres et de maux de tĂȘte [
] Afin de surmonter ces problĂšmes physiques, le travailleur peut se tourner vers les tranquillisants, la drogue [
] Le burnout est encore associĂ© Ă  des manifestations comme l’alcoolisme, la maladie mentale, les conflits conjugaux ou le suicide ».

Dans le mĂȘme texte, Christina Maslach insiste particuliĂšrement sur les modalitĂ©s de mise Ă  distance ou de dĂ©sengagement, autant de stratĂ©gies verbales qui consistent Ă  catĂ©goriser les clients sous des labels abstraits (tels : « mes dossiers »), techniques (comme : « c’est un coronaire »), ou encore stigmatisants (l’appellation « pauvres » par exemple). D’autres stratĂ©gies existent par ailleurs : parmi les principales, mise Ă  distance physique et strict respect du rĂšglement sont autant d’attitudes qui permettent de limiter les implications personnelles. Christina Maslach utilise le terme de « dĂ©personnalisation » pour dĂ©signer ces attitudes, bien Ă©loignĂ©es de l’inquiĂ©tude distante.

PremiĂšres Ă©tudes cliniques

C’est donc Ă  partir d’observations, d’entretiens, voire d’analyses d’expĂ©riences personnelles (Herbert Freudenberger a en effet lui-mĂȘme Ă©tĂ© atteint de burnout)[30] que les recherches ont commencĂ© Ă  s’organiser.

Les annĂ©es 1975 Ă  1980[31] ont vu paraĂźtre quantitĂ© d’articles dans des revues professionnelles. Ces publications Ă©taient traversĂ©es par des prĂ©occupations plus pragmatiques qu’acadĂ©miques. Le plus souvent la nature stressante d’une activitĂ© Ă©tait dĂ©crite, quelques Ă©tudes de cas cliniques illustraient le propos et les auteurs avançaient diverses recommandations. Les similitudes entre ces diffĂ©rents Ă©crits sont :

  • certaines professions sont plus « Ă  risque » que d’autres, notamment celles :
    • Ă  fortes sollicitations mentales, Ă©motionnelles et affectives,
    • Ă  forte responsabilitĂ© notamment vis-Ă -vis d’autres personnes,
    • oĂč l’on cherche Ă  atteindre des objectifs difficiles, voire impossibles,
    • oĂč il existe un fort dĂ©sĂ©quilibre entre les tĂąches Ă  accomplir et les moyens mis en Ɠuvre,
    • oĂč il existe une ambiguĂŻtĂ© ou un conflit de rĂŽles ;
  • certaines personnes sont plus « Ă  risque » que d’autres :
    • personnes ayant des idĂ©aux de performance et de rĂ©ussite,
    • personnes liant l’estime de soi[32] Ă  leurs performances professionnelles,
    • personnes sans autre centre d’intĂ©rĂȘt que leur travail,
    • personnes se rĂ©fugiant dans leur travail et fuyant les autres aspects de leur vie ;
  • les diffĂ©rents symptĂŽmes rencontrĂ©s dans le burnout sont :

Cependant Christina Maslach et Wilmar Schautfeli[33] notent que ces premiers écrits se caractérisent par les points suivants :

  • d’un auteur Ă  l’autre, la signification du terme burnout n’est pas nĂ©cessairement la mĂȘme ;
  • le terme inclut tout un ensemble de « crises » que peut connaĂźtre un individu, au risque de tout englober et ne plus rien dĂ©signer ;
  • ces premiers Ă©crits ne reposent pas sur des donnĂ©es empiriques, mais sur des Ă©tudes de cas isolĂ©s. Ils s’intĂ©ressent en particulier aux symptĂŽmes que dĂ©veloppent les individus atteints de burnout.

Les psychologues Baron Perlman et Alan Hartman[34] montrent à quel point la premiÚre phase de cette recherche scientifique est marquée par une dispersion des conceptions. Ils recensent dans les articles publiés entre 1974 et 1980 quarante-huit définitions différentes. Parmi celles-ci, on trouve des idées aussi disparates que :

  • Ă©chouer, s’épuiser ;
  • perte de crĂ©ativitĂ© ;
  • perte d’implication au travail ;
  • duretĂ© des collĂšgues, du travail et de l’institution ;
  • rĂ©ponse au stress chronique liĂ© au fait de rĂ©ussir, « d’aller loin » ;
  • syndrome d’attitudes inappropriĂ©es envers les clients et envers soi-mĂȘme.

Ils avancent toutefois une synthÚse de toutes ces définitions[35] :

« Le burnout est une réponse au stress émotionnel chronique avec trois dimensions :

  1. l’épuisement Ă©motionnel ou physique,
  2. la diminution de la productivité,
  3. la surdépersonnalisation. »

On comprend que ce syndrome ait d’abord alertĂ© les praticiens, puisqu’ils courent le risque de le rencontrer chez leurs collĂšgues ou d’ĂȘtre eux-mĂȘmes confrontĂ©s Ă  ces manifestations au cours de leurs activitĂ©s, mais ils Ă©taient peu entraĂźnĂ©s Ă  concevoir des recherches systĂ©matiques ainsi que plus prĂ©occupĂ©s Ă  Ă©laborer des interventions que des thĂ©ories. Autrement dit, leur intĂ©rĂȘt porte sur « la façon de rĂ©soudre le problĂšme, plutĂŽt que sur les moyens de le conceptualiser[36] ».

Inversement, les chercheurs se sont d’abord dĂ©tournĂ©s du problĂšme, estimant qu’avec la notion de burnout, ils ont affaire Ă  « quelque chose » de pseudo-scientifique.

« Le premier livre de Christina Maslach et Susan Jackson[37] consacrĂ© au dĂ©veloppement d’une Ă©chelle de mesure du burnout et Ă  ses propriĂ©tĂ©s psychomĂ©triques a Ă©tĂ© retournĂ© par une premiĂšre maison d’édition avec un mot stipulant : « nous ne publions pas de psychologie populaire ». Depuis, cet instrument de mesure est reconnu internationalement et utilisĂ© dans des recherches publiĂ©es dans les revues scientifiques les plus prestigieuses[38] »

Syndrome tridimensionnel

On peut passer des stresseurs Ă  l’accomplissement personnel directement ou via l’épuisement Ă©motionnel puis la dĂ©personnalisation
Schéma 1 :
Processus du syndrome d’épuisement professionnel d’aprĂšs le modĂšle tridimensionnel de Christina Maslach et Susan Jackson[39].

C’est au dĂ©but des annĂ©es 1980 que les premiĂšres recherches empiriques systĂ©matiques ont Ă©tĂ© publiĂ©es. La notion de burnout fut alors plus clairement dĂ©finie et conceptualisĂ©e. Christina Maslach, Ă  partir de ses recherches basĂ©es sur des entretiens[40], utilise dans un premier temps une dĂ©finition provisoire selon laquelle le syndrome recouvre deux dimensions. La premiĂšre, l’épuisement Ă©motionnel, correspond Ă  l’assĂšchement des ressources et Ă  la perte de motivation. La seconde, la dĂ©personnalisation, renvoie aux attitudes distantes et nĂ©gatives envers les clients, patients et autres relations des professionnels Ă©tudiĂ©s par Christina Maslach.

MĂȘme si ses recherches rĂ©vĂšlent des pistes prometteuses, elles reposent encore trop sur un nombre limitĂ© de cas individuels. Christina Maslach souhaite entreprendre des investigations plus systĂ©matiques, avec mĂ©thode et rigueur. Elle veut aussi s’adresser Ă  des Ă©chantillons plus larges, Ă  des fins comparatives, et tenir compte des contextes situationnels. À ce stade, « la question clĂ© Ă©tait le dĂ©veloppement d’une dĂ©finition plus prĂ©cise du burnout et la construction d’une mesure standardisĂ©e »[41] explique-t-elle. Elle a donc menĂ© (avec Kathy Kelly[42], Ayala Pines[43] et Susan Jackson[44]) des enquĂȘtes par questionnaire et conduit un programme de recherches psychomĂ©triques pour aboutir Ă  une dĂ©finition plus opĂ©rationnelle et Ă  une Ă©chelle de mesure valide.

Au cours de ses recherches prĂ©liminaires par entretiens, Christina Maslach a recueilli un vaste registre d’émotions et d’attitudes exprimant l’usure ressentie, jalonnant ce phĂ©nomĂšne qu’elle ambitionne de mieux cerner. Elle regroupe l’ensemble de ces expressions sur une Ă©chelle composĂ©e de quarante-sept items[45]. Cette Ă©chelle, reprĂ©sentant l’étendue des expĂ©riences associĂ©es au phĂ©nomĂšne d’épuisement professionnel, a Ă©tĂ© administrĂ©e Ă  un Ă©chantillon de six cent cinq personnes rĂ©parties dans plusieurs corps professionnels[n 4]. Les analyses statistiques confirment bien la prĂ©sence des deux dimensions dĂ©jĂ  mises Ă  jour, Ă©puisement Ă©motionnel et dĂ©personnalisation, mĂȘme si, en fait, quatre dimensions prĂ©sentent des poids factoriels suffisants pour ĂȘtre retenues. Ces analyses sont rĂ©parties sur vingt-cinq items. Soumis Ă  un nouvel Ă©chantillon de quatre cent vingt personnes, ces derniers donnent toujours les quatre mĂȘmes dimensions correspondant aux significations suivantes : Ă©puisement Ă©motionnel, dĂ©personnalisation, sentiments de rĂ©duction de l’accomplissement personnel et implication. Le dernier facteur, l’implication, ne sera retenu que provisoirement. Christina Maslach et Susan Jackson dĂ©finissent ensuite le burnout comme « un syndrome d’épuisement Ă©motionnel, de dĂ©personnalisation et de rĂ©duction de l’accomplissement personnel qui apparaĂźt chez les individus impliquĂ©s professionnellement auprĂšs d’autrui »[46].

L’épuisement Ă©motionnel renvoie au manque d’énergie, au sentiment que les ressources Ă©motionnelles sont Ă©puisĂ©es. La personne est « vidĂ©e nerveusement »[47] et a perdu tout son entrain ; elle n’est plus motivĂ©e par son travail qui devient dĂšs lors une corvĂ©e. Elle ne rĂ©alise plus les tĂąches qu’elle effectuait auparavant et en ressent frustrations et tensions. L’épuisement Ă©motionnel est souvent liĂ© au stress et Ă  la dĂ©pression. Autant les conceptions thĂ©oriques que les rĂ©sultats empiriques actuels lui donnent un rĂŽle central dans le processus d’épuisement professionnel.

La dĂ©personnalisation reprĂ©sente la dimension interpersonnelle du syndrome d’épuisement professionnel. Elle renvoie au dĂ©veloppement d’attitudes impersonnelles, dĂ©tachĂ©es, nĂ©gatives, cyniques, envers les personnes dont on s’occupe[n 5]. L’individu ne se sent plus concernĂ© par son travail et dresse une barriĂšre qui l’isole de ses clients et de ses collĂšgues. Parler de « l’appendicite de la chambre 22 » est un exemple de ces attitudes. La dĂ©personnalisation peut prendre des formes plus dures et s’exprimer Ă  travers des attitudes et des comportements de rejet, de stigmatisation, de maltraitance. Il s’agit d’une stratĂ©gie mal adaptĂ©e, destinĂ©e Ă  faire face Ă  l’épuisement des ressources internes en mettant Ă  distance les bĂ©nĂ©ficiaires de l’aide, ou en rendant leurs demandes illĂ©gitimes.

Cette attitude permet de s’adapter Ă  l’effondrement de l’énergie et de la motivation. Les clients, les usagers, les patients, les Ă©lĂšves Ă©tant perçus sur un mode nĂ©gatif, leurs demandes, leurs besoins apparaissent moins pressants, moins urgents Ă  rĂ©soudre. Le terme de « dĂ©personnalisation » peut prĂȘter Ă  confusion vu qu’il dĂ©signe aussi l’état psychique oĂč domine l’impression d’ĂȘtre Ă©tranger Ă  soi-mĂȘme. Le terme de « dĂ©shumanisation »[48] aurait pu ĂȘtre choisi, mais sa connotation est Ă©videmment trop extrĂȘme pour qu’il soit retenu.

Le manque ou la rĂ©duction de l’accomplissement personnel concerne Ă  la fois la dĂ©valorisation de son travail et de ses compĂ©tences, la croyance que les objectifs ne sont pas atteints, la diminution de l’estime de soi[49] et du sentiment d’auto-efficacitĂ©. La personne ne s’attribue aucune capacitĂ© Ă  faire avancer les choses, convaincue de son inaptitude Ă  rĂ©pondre efficacement aux attentes de son entourage. L’accomplissement personnel reprĂ©sente la dimension auto-Ă©valuative du syndrome d’épuisement professionnel.

Quelques auteurs mis Ă  part[50], un consensus se dĂ©gage dans les annĂ©es 2000 pour affirmer que le syndrome d’épuisement professionnel dĂ©marre avec l’épuisement Ă©motionnel. Celui-ci entraĂźne par la suite la dĂ©personnalisation. L’épuisement Ă©motionnel rĂ©duit l’accomplissement personnel[51] soit directement, soit Ă  travers la dĂ©personnalisation. On considĂšre que l’épuisement Ă©motionnel reprĂ©sente l’élĂ©ment affectif du syndrome d’épuisement professionnel tandis que les deux autres dimensions, la dĂ©personnalisation et la rĂ©duction de l’accomplissement personnel constituent les Ă©lĂ©ments attitudinaux ou cognitifs[52].

Maslach Burnout Inventory's comme outil de mesure

Fonctionnement : Ă©valuer les affirmations des tableaux 1, 2 et 3 Ă  l’aide de l’échelle de nimĂ©risation des rĂ©ponses ci-aprĂšs, pour chaque Ă©valuation additionner la valeur de l’échelle au score du tableau, interprĂ©ter le score du tableau. NumĂ©risation des rĂ©ponses : 1 : Jamais; 2 : Quelquefois par an ; 3 : Une fois par mois ; 4 : Quelquefois par mois ; 5 : Une fois par semaine ; 6 : Quelquefois par semaine ; 7 : Tous les jours. Tableau 1 : Épuisement professionnel : Je me sens Ă©motionnellement vidĂ©(e) par mon travail ; Je me sens Ă  bout Ă  la fin de ma journĂ©e de travail ; Je me sens fatiguĂ©(e) lorsque je me lĂšve le matin et que j’ai Ă  affronter une autre journĂ©e de travail ; Travailler avec des gens tout au long de la journĂ©e me demande beaucoup d’effort ; Je sens que je craque Ă  cause de mon travail ; Je me sens frustrĂ©(e) par mon travail ; Je sens que je travaille « trop dur » dans mon travail ; Travailler en contact direct avec les gens me stresse trop ; Je me sens au bout du rouleau. Tableau 2 : DĂ©personnalisation : Je sens que je m’occupe de certains patients/clients/Ă©lĂšves de façon impersonnelle comme s’ils Ă©taient des objets ; Je suis devenu(e) plus insensible aux gens depuis que j’ai ce travail ; Je crains que ce travail ne m’endurcisse Ă©motionnellement ; Je ne me soucie pas vraiment de ce qui arrive Ă  certains de mes patients/clients/Ă©lĂšves ; J’ai l’impression que mes patients/clients/Ă©lĂšves me rendent responsable de certains de leurs problĂšmes. Tableau 3 : Accomplissement personnel : Je peux comprendre facilement ce que mes patients/clients/Ă©lĂšves ressentent ; Je m’occupe trĂšs efficacement des problĂšmes de mes patients/clients/Ă©lĂšves ; J’ai l’impression, Ă  travers mon travail, d’avoir une influence positive sur les gens ; Je me sens plein(e) d’énergie ; J’arrive facilement Ă  crĂ©er une atmosphĂšre dĂ©tendue avec mes patients/clients/Ă©lĂšves ; Je me sens ragaillardi(e) lorsque dans mon travail j’ai Ă©tĂ© proche de mes patients/clients/Ă©lĂšves ; J’ai accompli beaucoup de choses qui en valent la peine dans ce travail ; Dans mon travail, je traite les problĂšmes Ă©motionnels trĂšs calmement. InterprĂ©tation des scores : Pour le tableau 1 : Épuisement professionnel : Score de 0 Ă  18 : correct; score de 18 Ă  30 : attention; score supĂ©rieur Ă  30 : dangereux. Pour le tableau 2 : DĂ©personnalisation : Score de 0 Ă  6 : correct; score de 6 Ă  12 : attention; score supĂ©rieur Ă  12 : dangereux. Pour le tableau 3 : Accomplissement personnel : Score de 0 Ă  34 : dangereux; score de 34 Ă  40 : attention; score supĂ©rieur Ă  40 : correct.
Exemple d’échelle de mesure du Maslach Burnout Inventory’s :
d’aprĂšs les Ă©crits du professeur Maslach[53].

Ces trois facteurs et les items qui les composent ont Ă©tĂ© utilisĂ©s pour constituer la mesure du syndrome d’épuisement professionnel. Cette mesure formĂ©e de trois sous-Ă©chelles est aujourd’hui largement validĂ©e[54]. Il s’agit du Maslach Burnout Inventory’s (acronyme : « MBI »)[37]. Les premiĂšres Ă©tudes sur le MBI ont Ă©tĂ© publiĂ©es en 1996 par Susan Jackson, Michael Leiter et Christina Maslach. Simple d’utilisation, cet inventaire a permis de mesurer le syndrome d’épuisement professionnel auprĂšs de groupes importants et d’en Ă©tudier systĂ©matiquement les causes. « AdaptĂ© en plusieurs langues, il est de loin l’instrument le plus employĂ© pour mesurer le syndrome d’épuisement professionnel[55]. » Les quĂ©bĂ©cois Dion et Tessier ont validĂ© la version française de l'outil en 1994[56]

Le MBI est constituĂ© de vingt-deux items : neuf pour l’épuisement Ă©motionnel, cinq pour la dĂ©personnalisation et huit pour l’accomplissement personnel. Chaque item reprĂ©sente une facette de l’évaluation que le sujet peut faire de son travail. La personne interrogĂ©e indique la frĂ©quence selon laquelle elle Ă©prouve le sentiment en question. L’épuisement, la dĂ©personnalisation et la rĂ©duction de l’accomplissement personnel sont mesurĂ©s sĂ©parĂ©ment. Autrement dit, l’individu n’a pas un score global de burnout, mais un score pour chacune des trois dimensions. Le terme burnout continue de dĂ©signer globalement ces trois dimensions qui pourtant sont distinctes, mĂȘme si elles sont liĂ©es au sein d’un seul construct thĂ©orique qui les subsume : « Les recherches qui ont Ă©tudiĂ© la validitĂ© du MBI ont confirmĂ© qu’une structure Ă  trois dimensions correspondait mieux aux donnĂ©es qu’une structure Ă  deux ou Ă  une seule dimension[57] ».

Copenhagen Burnout Inventory (CBI) (Kristensen et al., 2005)

Il s'agit lĂ  encore d'un inventaire auto-administrĂ©[58], c’est-Ă -dire rempli par le rĂ©pondant lui-mĂȘme.

Il explore lui aussi trois dimensions[59] :

  • le burnout personnel est «le degrĂ© de fatigue et d’épuisement physiques et psychologiques ressenti par le sujet ». Les questions ont volontairement Ă©tĂ© rĂ©digĂ©es pour que tout ĂȘtre humain puisse y rĂ©pondre ;
  • le burnout liĂ© au travail dĂ©signe « le degrĂ© de fatigue et d’épuisement physiques et psychologiques perçus par le sujet comme Ă©tant liĂ© Ă  son travail » (le travail supposant ici une rĂ©tribution, de quelque nature qu’elle soit) ;
  • le burnout liĂ© Ă  l’usager dĂ©signe «le degrĂ© de fatigue et d’épuisement physiques et psychologiques perçus par le sujet comme Ă©tant liĂ© Ă  son travail avec les usagers ». Le terme original « client », que nous traduisons par « usager » englobe les personnes en faveur desquelles le travail est rĂ©alisĂ© (patients, dĂ©tenus, enfants, rĂ©sidents, Ă©tudiants, Ă©lĂšves, etc.), et non aux clients commerciaux et aux collĂšgues.

InfluencĂ© par la psychologie de la santĂ©, le CBI replace donc la fatigue et l’épuisement au cƓur du concept de burnout. Surtout, il fait la part belle aux processus d’attribution causale, grĂące auxquels le sujet essaie d’expliquer, de comprendre et de juger un phĂ©nomĂšne ― c’est-Ă -dire de donner un sens Ă  ses symptĂŽmes psychologiques et somatiques. La mĂ©diatisation du burnout contribue Ă  l’auto-entretien du phĂ©nomĂšne car «plus les professionnels des services Ă  la personne ont connaissance des rĂ©sultats de la recherche sur le burnout, plus ils ont tendance Ă  considĂ©rer le burnout comme consĂ©quence peut-ĂȘtre inĂ©luctable de leur propre travail » (Kristensen et al., 2005).

Le CBI[60] a montrĂ© de solides qualitĂ©s psychomĂ©triques, Ă  la fois analytiques et prĂ©dictives. L’autonomie de chacune de ses trois sous-Ă©chelles permet notamment des approches discriminantes assez fines, par exemple en fonction de la profession Ă©tudiĂ©e.

DĂ©finitions

ParallĂšlement au travail de Christina Maslach d’autres dĂ©finitions ou conceptions sont apparues Ă  la mĂȘme Ă©poque et ont marquĂ© les recherches. Parmi celles-ci, se trouvent les modĂšles de Cary Cherniss et de Ayala Pines.

Vision transactionnelle de Cary Cherniss

Cary Cherniss propose une vision transactionnelle du syndrome d’épuisement professionnel. Pour les approches transactionnelles, le stress et le burnout sont le produit d’une relation humaine oĂč l’individu et l’environnement ne sont pas des entitĂ©s sĂ©parĂ©es, mais les composants d’un processus dans lequel ils s’influencent mutuellement et continuellement[61].

Le modĂšle de Cary Cherniss repose sur l’analyse qualitative d’entretiens approfondis menĂ©s Ă  plusieurs reprises entre 1974 et 1976[62] auprĂšs de vingt-sept professionnels dans leur premiĂšre annĂ©e d’exercice : avocats, enseignants, infirmiĂšres de santĂ© publique, professionnels de santĂ© mentale. Cary Cherniss observe une profonde dĂ©sillusion chez ces dĂ©butants. D’aprĂšs lui, le syndrome d’épuisement professionnel provient d’un dĂ©sĂ©quilibre entre les ressources de l’individu, qu’elles soient personnelles[n 6] - [63] ou organisationnelles[n 7] et les exigences du travail.

Ce dĂ©sĂ©quilibre rĂ©sulte des Ă©carts entre attentes initiales et rĂ©alitĂ© de terrain. Le comportement des clients difficiles, peu coopĂ©rants voire agressifs, tranche avec une vision souvent idĂ©alisĂ©e de la relation humaine d’aide ou de l’enseignement. Les rĂšglements et les procĂ©dures Ă  suivre, les tĂąches administratives Ă©galement, limitent l’autonomie d’action espĂ©rĂ©e dans ces professions. Un travail souvent routinier contraste avec les envies de tĂąches variĂ©es, de stimulations, d’accomplissement. Le manque de coopĂ©ration entre collĂšgues, voire les conflits interpersonnels, s’ajoutent Ă  ces Ă©carts entre attentes et rĂ©alitĂ©.

Face Ă  un environnement de travail dĂ©cevant, la motivation initiale s’étiole et fait place Ă  des attitudes de retrait. Dans ce modĂšle, les sources de stress se situent Ă  la fois au niveau du travail (clients difficiles, conflits entre collĂšgues, etc.) et au niveau de l’individu[n 8] mĂȘme si les premiĂšres ont une place plus importante. Autrement dit, comme chez Herbert Freudenberger qui voit dans le burnout la « maladie du battant »[11], les caractĂ©ristiques individuelles ont leur part explicative dans l’émergence du phĂ©nomĂšne. Certains individus ont des attentes, des orientations de carriĂšre qui constituent une charge de travail supplĂ©mentaire et les rendent plus sensibles au syndrome d’épuisement professionnel. Pour Cheniss, les diffĂ©rences individuelles concernent Ă©galement les stratĂ©gies dĂ©veloppĂ©es pour faire face aux stresseurs. Certains adoptent des modalitĂ©s actives pour rĂ©soudre les problĂšmes. D’autres adoptent des attitudes et des comportements nĂ©gatifs. DĂšs lors, au fil du temps, le syndrome d’épuisement professionnel s’installe.

Il y a trois Ă©tapes dans cette transaction entre l’individu et son environnement[64]. La premiĂšre, le stress perçu, provient du dĂ©sĂ©quilibre entre les exigences du travail et les ressources de l’individu. Ceci conduit Ă  la deuxiĂšme Ă©tape, la tension (strain). Il s’agit d’une rĂ©ponse Ă©motionnelle Ă  ce dĂ©sĂ©quilibre, rĂ©ponse constituĂ©e de fatigue physique, d’épuisement Ă©motionnel, de tension et d’anxiĂ©tĂ©.

Enfin, ce sont les changements attitudinaux et comportementaux qui marquent la troisiĂšme Ă©tape. On note en particulier une rĂ©duction des buts initiaux et de l’idĂ©alisme, le dĂ©veloppement d’attitudes cyniques, dĂ©tachĂ©es, mĂ©caniques, ou encore une grande complaisance pour ses propres besoins. Cary Cherniss considĂšre qu’il s’agit d’un « coping »[n 9] - [65] - [66] dĂ©fensif.

Ces modifications des attitudes et des comportements reprĂ©sentent une « fuite » psychologique qui s’installe quand le professionnel ne peut plus soulager son stress en affrontant directement le problĂšme. Pour Cary Cherniss[67], le burnout est « un processus dans lequel un professionnel prĂ©cĂ©demment engagĂ© se dĂ©sengage de son travail en rĂ©ponse au stress et Ă  la tension ressentis ».

Des limites Ă©videntes restreignent la portĂ©e du modĂšle de Cary Cherniss. Il se fonde sur un petit nombre d’entretiens et sa rationalitĂ© est spĂ©cifique aux professionnels dĂ©butants. Or les spĂ©cialistes savent que le syndrome d’épuisement professionnel apparaĂźt tout au long d’une vie de travail et qu’il en existe une forme plus tardive causĂ© par d’autres facteurs. Toutefois, ce modĂšle, qui explique une des formes possibles du burnout, a Ă©tĂ© validĂ© empiriquement, notamment par Burke en 2004[68].

Approche motivationnelle d'Ayala Pines

Dessin
Le Dormeur de Georges Seurat, 1883.

C’est une approche motivationnelle que propose Ayala Pines. D’aprĂšs elle, le travail reprĂ©sente pour nombre d’individus une quĂȘte existentielle. Si cette quĂȘte Ă©choue, le burnout survient. Dans des Ă©tudes qu’elle a menĂ©es entre 1988 et 2002, Ayala Pines[69] appuie son argumentation sur le fait suivant : les dĂ©finitions du burnout les plus souvent citĂ©es en font un Ă©tat de fatigue et d’épuisement Ă©motionnel qui reprĂ©sente l’état final d’un processus graduel de dĂ©sillusion aprĂšs un Ă©tat initial de motivation et d’implication Ă©levĂ©es. Elle explique ainsi que « Pour ĂȘtre « consumĂ© », il faut d’abord avoir Ă©tĂ© enflammĂ©. La surcharge de travail, les contraintes administratives, la rĂ©sistance des clients, n’engendrent pas du syndrome d’épuisement professionnel simplement parce qu’ils entravent l’utilisation des compĂ©tences, mais pour une raison plus profonde : l’impossibilitĂ© d’utiliser ses compĂ©tences prive l’individu de la signification qu’il recherche dans son travail »[70].

C’est parce que les professionnels ne peuvent avoir l’impact souhaitĂ© qu’ils deviennent victimes d’épuisement professionnel. Plus ils s’impliquent au dĂ©part, plus la probabilitĂ© d’ĂȘtre atteint par le syndrome est forte si les conditions de travail sont dĂ©favorables. En fait, le modĂšle proposĂ© par Ayala Pines s’apparente Ă  un ensemble de modĂšles d’étude psychologique du stress et du burnout pour lesquels les tensions de l’individu proviennent de l’écart entre l’attente ou la motivation individuelles et la rĂ©alitĂ©. Mais elle situe dans ce dernier, a contrario des autres modĂšles, les attentes individuelles Ă  un niveau particulier, celui de la quĂȘte existentielle.

Ces attentes et motivations peuvent ĂȘtre universelles, partagĂ©es par la plupart de ceux qui entrent dans la vie professionnelle : avoir une influence significative, ĂȘtre apprĂ©ciĂ©. Elles peuvent aussi ĂȘtre spĂ©cifiques Ă  une profession. Ayala Pines insiste sur le fait que, « si chaque profession attire des vocations particuliĂšres, les professions "aidantes" rĂ©pondent toutes Ă  une aspiration commune : faire pour et avec les autres »[71]. Les motivations peuvent ĂȘtre aussi personnelles, c’est-Ă -dire inspirĂ©es par une image romantique, une figure charismatique qui a servi de modĂšle identificatoire, etc. Qu’elles soient universelles, liĂ©es Ă  une profession ou davantage personnelles, elles ne se rĂ©alisent que dans un environnement de travail propice.

BĂ©nĂ©ficier d’autonomie et de soutien social, avoir des activitĂ©s diversifiĂ©es, participer aux prises de dĂ©cision, sont des variables organisationnelles qui favorisent ces motivations. Leur rĂ©alisation renforce les visĂ©es initiales selon une boucle positive, ou « cercle vertueux » de l’implication. Mais si l’individu doit se confronter Ă  un environnement dĂ©favorable, avec par exemple une surcharge de travail quantitative et qualitative, des pressions bureaucratiques, des exigences contradictoires, il ne peut rĂ©aliser ses objectifs initiaux et tombera dans une boucle nĂ©gative. Pourtant, ce n’est pas l’échec en tant que tel qui provoque le syndrome d’épuisement professionnel, c’est plutĂŽt la perception que quels que soient les efforts, le sujet ne peut prĂ©tendre avoir un impact significatif. Bien sĂ»r, Ayala Pines le fait remarquer, « un environnement de travail n’est jamais totalement positif ou nĂ©gatif mais consiste en un mĂ©lange complexe »[72].

En fait, ce modĂšle n’a pas Ă©tĂ© testĂ© en tant que tel. Il a Ă©tĂ© pensĂ© par Ayala Pines pour interprĂ©ter les rĂ©sultats de ses recherches et observations menĂ©es au cours d’ateliers ou de formations sur le burnout. Ayala Pines ne limite pas le syndrome d’épuisement professionnel aux professions « aidantes », ni mĂȘme d’ailleurs aux situations de travail. Elle l’a Ă©galement recherchĂ© dans les relations de couple, de 1993 Ă  1994[73] ou au cours de conflits politiques, de 1995 Ă  1996[74].

Différentes définitions du syndrome d'épuisement professionnel

Il existe une multitude de dĂ©finitions du syndrome d’épuisement professionnel parmi lesquelles sont rĂ©pertoriĂ©es ci-dessous les principales (cette liste n’est donc pas exhaustive) :

  • « Un Ă©tat de fatigue et de frustration, de dĂ©pression, provoquĂ© par la dĂ©votion Ă  une cause, un mode de vie, ou une relation humaine et qui Ă©choue Ă  produire les rĂ©sultats espĂ©rĂ©s[75] ».
  • « Un processus dans lequel un professionnel prĂ©cĂ©demment engagĂ© se dĂ©sengage de son travail en rĂ©ponse au stress et aux tensions ressenties[76] ».
  • « Le burnout est caractĂ©risĂ© par un Ă©puisement physique, par des sentiments d’impuissance et de dĂ©sespoir, par un assĂšchement Ă©motionnel et par le dĂ©veloppement du concept de soi nĂ©gatif, et d’attitudes nĂ©gatives envers le travail, la vie et les autres personnes[77] ».
  • « Le burnout est un syndrome d’épuisement Ă©motionnel, de dĂ©personnalisation et de rĂ©duction de l’accomplissement personnel qui apparaĂźt chez les individus impliquĂ©s professionnellement auprĂšs d’autrui[46] ».
  • « Le burnout est une rĂ©ponse au stress Ă©motionnel chronique avec trois dimensions :
    • L’épuisement Ă©motionnel ou physique
    • La diminution de la productivitĂ©
    • la surdĂ©personnalisation[78] ».
  • « Une perte progressive d’idĂ©alisme, d’énergie et de buts, ressentie par les individus dans les professions d’aide Ă  cause de leur travail[79] ».
  • « Un Ă©tat d’épuisement rĂ©sultant de l’implication avec des personnes dans des situations exigeantes Ă©motionnellement[80] ».
  • « Pour moi, le burnout provient d’inadaptations continues, rarement reconnaissables, et pour la plupart dĂ©niĂ©es entre les caractĂ©ristiques de l’individu et celles de l’environnement. Ces inadaptations sont la source d’un processus d’érosion psychologique lent et cachĂ©. À la diffĂ©rence des autres phĂ©nomĂšnes stressants, les mini-stresseurs liĂ©s aux inadaptations ne causent pas d’alarme et sont rarement sujets Ă  des efforts de coping. Ainsi le processus d’érosion peut continuer longtemps sans ĂȘtre dĂ©tectĂ©[81] ».
  • « Un Ă©tat d’épuisement physique, Ă©motionnel et mental causĂ© par l’implication Ă  long terme dans des situations qui sont exigeantes Ă©motionnellement[82] ».
  • « Le burnout relĂšve d'une combinaison de fatigue physique, d’épuisement Ă©motionnel et de lassitude cognitive[83] ».
  • « Le burnout apparaĂźt quand la rĂ©alisation d’un rĂŽle actif, participant Ă  la dĂ©finition de soi, est menacĂ©e ou interrompue et qu’aucun rĂŽle alternatif n’est sous la main[84] ».
  • « Le burnout est une rĂ©action affective au stress permanent et dont le noyau central est la diminution graduelle, avec le temps, des ressources Ă©nergĂ©tiques individuelles, qui comprennent l’expression de l’épuisement Ă©motionnel, de la fatigue physique et de la lassitude cognitive[85] ».

MĂ©lange d'Ă©tat et processus

Photo
Statue de L’Homme fatiguĂ© par JĂłzsef Somogyi, en Hongrie.

« Les dĂ©finitions du burnout se complĂštent plus qu’elles ne s’opposent. On peut les regrouper selon qu’elles envisagent le burnout comme un Ă©tat, celui de la personne atteinte, ou comme un processus, celui conduisant Ă  l’état en question » selon Susan Jackson, dans son ouvrage La Gestion des ressources humaines[86]. En fait, les premiĂšres dĂ©crivent l’aboutissement du processus qu’envisagent les secondes.

État

La dĂ©finition de Christina Maslach et Susan Jackson[87] est la plus connue des dĂ©finitions en termes d’état. Pour Wilmar Schaufeli et Dirk Enzmann[88], ces dĂ©finitions varient en fonction de leurs Ă©tendues, de leurs prĂ©cisions et de leurs dimensions. Cependant, elles partagent trois caractĂ©ristiques essentielles :

  1. les Ă©lĂ©ments dysphoriques dominent, en particulier l’épuisement Ă©motionnel et mental. Les individus manifestent des attitudes nĂ©gatives envers autrui, leur efficacitĂ© et leurs performances diminuent ;
  2. au niveau de l’étiologie les attentes inappropriĂ©es et les exigences Ă©motionnelles jouent un rĂŽle majeur ;
  3. le burnout est causé par le travail et frappe des individus « normaux », sans passé psychopathologique.

Toutefois, ce dernier point est remis en question par le fait que les individus en burnout présentent plus fréquemment un passé dépressif que les individus sans burnout[89].

Il faut par ailleurs noter que des travaux ont rĂ©vĂ©lĂ© un chevauchement massif entre symptĂŽmes du burnout et symptĂŽmes de la dĂ©pression, suggĂ©rant que l'Ă©tat de burnout pourrait ĂȘtre indistinct de la dĂ©pression au plan nosologique[90] - [91] - [92]. La seule Ă©tude Ă  ce jour Ă  avoir directement comparĂ© les symptĂŽmes d'individus en burnout aux symptĂŽmes de patients dĂ©pressifs suggĂšre que les tableaux cliniques du burnout et de la dĂ©pression sont similaires[92].

Processus

Les dĂ©finitions de Cary Cherniss[93] ou de Yeor Etzion[94] conçoivent clairement le syndrome d’épuisement professionnel comme un processus. Pour Wilmar Schaufeli et Dirk Enzmann[95], les dĂ©finitions en termes de processus affirment que :

  • le burnout dĂ©bute avec des tensions qui rĂ©sultent de l’écart entre les attentes, les intentions, les efforts, les idĂ©aux de l’individu et les exigences de la rĂ©alitĂ© quotidienne ;
  • les stress qui rĂ©sultent d’un tel dĂ©sĂ©quilibre se dĂ©veloppent graduellement. Ils peuvent ĂȘtre ressentis consciemment par l’individu ou rester ignorĂ©s pendant une longue pĂ©riode ;
  • la maniĂšre avec laquelle l’individu fait face Ă  ces stress est cruciale pour le dĂ©veloppement du syndrome d’épuisement professionnel.

Différents domaines

Si la dĂ©finition de Christina Maslach et Susan Jackson[87] a Ă©tĂ© largement retenue, c’est entre autres parce qu’elle est doublĂ©e d’un des seuls outils de mesure validĂ©s et de maniement facile, la dĂ©finition et l’outil ayant en effet Ă©tĂ© construits parallĂšlement[96]. Utiliser le Maslach Burnout Inventory’s suppose Ă©videmment d’accepter la dĂ©finition correspondante. Celle-ci limite le syndrome d’épuisement professionnel Ă  des professions particuliĂšres. Or, en fait, les recherches ont progressivement mis Ă  jour les facteurs organisationnels qui agissent sur chacune des dimensions de ce syndrome[97]. Ces facteurs — manque de participation aux prises de dĂ©cision, surcharge du travail, traitement inĂ©quitable entre autres — ne sont pas spĂ©cifiques aux institutions sociales ou mĂ©dico-sociales[98]. Il semble bien que le syndrome d’épuisement professionnel puisse frapper l’ensemble des champs professionnels. Par ailleurs, s’il atteint ceux qui s’engagent et entrent dans leur profession avec des attentes Ă©levĂ©es, il semble alors inutile de le restreindre Ă  certaines catĂ©gories.

Bien des professions en dehors du secteur social, mĂ©dico-social ou de l’éducation, et plus gĂ©nĂ©ralement en dehors des relations de services, supposent aussi un engagement important. Wilmar Schaufeli dĂ©crit cela de la maniĂšre suivante : « le syndrome d’épuisement professionnel est prĂ©sent dans toute occupation dans laquelle les individus sont psychologiquement engagĂ©s dans leur travail. Les emplois psychologiquement engageants Ă©puisent les ressources cognitives, Ă©motionnelles et physiques »[99].

Mais la dĂ©finition et la mesure de Christina Maslach et Susan Jackson[87] - [100] doivent ĂȘtre modifiĂ©es pour englober toutes les professions. VoilĂ  pourquoi le burnout a Ă©tĂ© reconceptualisĂ©. Il est conçu comme une crise de relation avec son travail et non des relations au travail. Depuis 2007, le Maslach Burnout Inventory a Ă©tĂ© complĂ©tĂ© et adaptĂ© avec les recherches de Michael Leiter et Christina Maslach pour s’adresser Ă  l’ensemble des individus au travail[101].

Huit des vingt-deux items de la forme initiale du Maslach Burnout Inventory’s font explicitement rĂ©fĂ©rence aux relations avec les clients et les usagers et quatre autres aux relations en gĂ©nĂ©ral. Par exemple : « J’ai l’impression de ne pas me soucier vraiment de ce qui peut arriver Ă  certains de mes clients. » Ce genre d’item est inadaptĂ© pour Ă©valuer le syndrome d’épuisement professionnel d’un opĂ©rateur de saisie ou d’un militaire. Au niveau de la dĂ©finition, la premiĂšre dimension, l’épuisement Ă©motionnel n’a pas subi de modification, mais les items ont Ă©tĂ© en partie remaniĂ©s.

La deuxiĂšme dimension, la dĂ©personnalisation qui concerne les attitudes dĂ©veloppĂ©es Ă  l’égard des clients, patients ou Ă©tudiants, exclut bien des activitĂ©s professionnelles. Elle a Ă©tĂ© remplacĂ©e, dans la forme gĂ©nĂ©rale par le cynisme, une des attitudes qui sous-tend la dĂ©personnalisation. Les items concernent le travail en gĂ©nĂ©ral. Quant Ă  la troisiĂšme dimension, l’accomplissement personnel, elle a Ă©tĂ© renommĂ©e en efficacitĂ© professionnelle. « Elle inclut les Ă©valuations personnelles d’auto-efficacitĂ©, le manque d’accomplissement, le manque de productivitĂ© et l’incompĂ©tence »[102].

L'idĂ©e selon laquelle le burnout serait un trouble « spĂ©cifique du travail » a elle-mĂȘme Ă©tĂ© remise en question[103]. Il a Ă©tĂ© conclu que cette idĂ©e Ă©tait sans fondement logique ou empirique, et qu'il n'y avait aucune raison de supposer qu'Ă©puisement, cynisme, et sentiment d'inefficacitĂ© ne puissent ĂȘtre rencontrĂ©s dans d'autres sphĂšres que celle du travail (e.g., burnout parental, conjugal, familial, gĂ©nĂ©ral). Ainsi, la limitation de l'investigation du burnout Ă  l'univers professionnel procĂšde d'un choix arbitraire, non d'une nĂ©cessitĂ© phĂ©nomĂ©nologique[103] - [104].

Différentes formes et évolution

Avec Herbert J. Freudenberger, le syndrome d’épuisement professionnel a Ă©tĂ© observĂ© dans un contexte oĂč le travail reprĂ©sentait pour de nombreux jeunes professionnels un engagement qui s’accorde avec la dĂ©fense de causes collectives[105]. Ce sont de jeunes idĂ©alistes qu’il nous dĂ©crit en 1974[106]. Pour lui, le syndrome d’épuisement professionnel provient de l’écart entre un idĂ©al de changement et la rĂ©alitĂ© de l’environnement de travail. Dans le domaine de l’aide sociale par exemple, les professionnels arrivent sur le terrain avec des images souvent idĂ©alisĂ©es Ă  la fois de leurs futures activitĂ©s et des relations qu’ils entretiennent avec leurs clients ou leurs patients[107]. Ainsi, on observe rapidement chez eux un niveau particuliĂšrement Ă©levĂ© de burnout.

Il s’agit ici d’une des origines possibles du syndrome d’épuisement professionnel. Les spĂ©cialistes s’accordent aujourd’hui sur le fait qu’il prend sa source dans l’environnement de travail[108] et qu’il est le rĂ©sultat d’une interaction entre des stresseurs interindividuels[109] ou organisationnels[110] et des facteurs individuels[111] Ă©galement. La nature du syndrome d’épuisement professionnel peut changer si la nature des pressions qui s’exercent sur l’individu change aussi[112].

S’il est vrai que l’écart entre les attentes professionnelles et la rĂ©alitĂ© quotidienne de l’emploi est toujours source d’épuisement professionnel[113], dans les annĂ©es 2000 il ne s’agit plus des mĂȘmes attentes ni de la mĂȘme rĂ©alitĂ©. Le travail ne fait plus vivre les valeurs des annĂ©es 1970. La rĂ©ussite professionnelle n’est plus l’objet des mĂȘmes reprĂ©sentations. La poursuite du statut social, l’argent, la simple nĂ©cessitĂ© de trouver un emploi et de le garder, tous les motifs plus centrĂ©s sur soi, sont devenus des prioritĂ©s[114]. À titre d’exemple, Donna McNeese Smith[115] et John Crook[116] trouvent que des jeunes infirmiĂšres amĂ©ricaines valorisent davantage l’aspect Ă©conomique que leurs aĂźnĂ©es. Dans la mĂȘme veine, des jeunes mĂ©decins français commencent davantage leur carriĂšre avec des valeurs tournĂ©es vers leur vie privĂ©e, comparativement Ă  leurs collĂšges plus anciens qui commencent leurs vies professionnelles avec des valeurs d’engagement social[117].

L’environnement du travail s’est lui-mĂȘme considĂ©rablement modifiĂ©. En quelques dizaines d’annĂ©es, l’influence de facteurs Ă©conomiques, socioculturels, politiques et technologiques, a redessinĂ© le cadre de vie et les conditions de travail[118] - [119]. Les spĂ©cialistes s’accordent Ă  dire que le syndrome d’épuisement professionnel Ă©volue selon 4 phases[120] :

  1. la phase d’alarme : le stress persistant cause l’apparition de rĂ©actions caractĂ©ristiques indiquant la prĂ©sence de stresseurs ;
  2. la phase de rĂ©sistance : les stresseurs persistent malgrĂ© la disparition physique des rĂ©actions caractĂ©ristiques de la phase d’alarme, le mĂ©tabolisme s’adapte Ă  la situation et le corps devient plus rĂ©sistant ;
  3. la phase de rupture : l’exposition continue aux stresseurs crĂ©e une rupture entraĂźnant la rĂ©apparition des rĂ©actions caractĂ©ristiques de la phase d’alarme tout en les rendant irrĂ©versibles sans traitement appropriĂ© ;
  4. la phase d’épuisement : les dĂ©fenses psychologiques du patient sont dĂ©rĂ©glĂ©es, il se rend donc Ă©motionnellement invalide et vit dans une perpĂ©tuelle angoisse.

Trois formes d'Ă©puisement professionnel ou davantage

D’aprĂšs Christine FĂ€rber dans une publication de 2000[121], les individus ne sont plus atteints par la forme traditionnelle du syndrome d’épuisement professionnel, celle dans laquelle la poursuite utopique de buts Ă©levĂ©s socialement significatifs se heurtait Ă  la rĂ©sistance d’un environnement de travail qui anĂ©antit les espoirs professionnels : « le syndrome d’épuisement professionnel qui prĂ©vaut aujourd’hui est marquĂ© par le fait que les individus ont une multitude d’obligations, des pressions externes croissantes, des exigences grandissantes de la part des autres, une limitation des possibilitĂ©s de s’engager et des salaires qui ne compensent que partiellement les efforts fournis. »[122].

Il existerait donc trois espĂšces d’épuisement professionnel :

  1. le burnout-Ă©puisement dans lequel l’individu, soit abandonne, soit fait parfaitement son travail, mais se trouve confrontĂ© Ă  trop de stress et Ă  trop peu de gratifications[123] ;
  2. le burnout classique ou frĂ©nĂ©tique dans lequel l’individu travaille de plus en plus dur, jusqu’à l’épuisement, Ă  la poursuite de gratifications ou d’accomplissement pour compenser l’étendue du stress ressenti[124] ;
  3. le burnout néfaste contraste lui avec les deux précédents. Il apparaßt non pas à cause de tensions excessives, mais à cause de conditions de travail monotones et peu stimulantes[125].

C’est donc une erreur de considĂ©rer le syndrome d’épuisement professionnel sous une seule forme. Les recherches sur les liens entre justice perçue et syndrome d’épuisement professionnel apportent indirectement appui Ă  cette hypothĂšse[126]. Par exemple, le fait de trouver des degrĂ©s Ă©levĂ©s de burnout Ă  la fois chez les mĂ©decins qui jugent trop fort leur investissement auprĂšs des patients et chez des mĂ©decins qui le jugent trop faible[n 10] corrobore bien l’idĂ©e que le syndrome d’épuisement professionnel est multiforme[127] - [128]. Il est difficilement concevable que les surinvestisseurs et les sous-investisseurs ressentent le mĂȘme type d’épuisement professionnel. C’est un enjeu des travaux actuels que d’identifier les Ă©tats et processus qui contribuent aux diverses formes du syndrome d’épuisement professionnel.

Selon l’Institut national de recherche et de sĂ©curitĂ©, un tiers des travailleurs europĂ©ens se plaignent de problĂšmes de santĂ© liĂ©s Ă  un travail stressant. D'aprĂšs l’Organisation mondiale de la santĂ©, les trois pays oĂč les dĂ©pressions liĂ©es au travail Ă©taient les plus nombreuses en 2010[n 11] sont :

  1. les États-Unis,
  2. l’Ukraine,
  3. la France.

Ce phĂ©nomĂšne a d’abord Ă©tĂ© repĂ©rĂ© dans des professions d’aide[3], de soins[129] ou de formation[130]. Une Ă©tude rĂ©alisĂ©e en France estime en effet que le coĂ»t direct et indirect du stress peut ĂȘtre Ă©valuĂ© entre 830 000 000 â‚Ź et 1 656 000 000 â‚Ź par an, ce qui Ă©quivaut Ă  10 Ă  20 % du budget de la branche accidents du travail / maladies professionnelles de la SĂ©curitĂ© sociale[131].

Pathologie de civilisation

Le burn-out peut ĂȘtre regardĂ© comme une pathologie de civilisation, c'est-Ă -dire un trouble miroir qui reflĂšte certains aspects sombres de l'organisation sociale contemporaine, notamment le culte de la performance et de l'urgence, la concurrence exacerbĂ©e ou encore la gĂ©nĂ©ralisation des mĂ©thodes d'Ă©valuation[132] - [133]. Dans Global burn-out, le philosophe Pascal Chabot analyse la maniĂšre dont le technocapitalisme et son dĂ©sir de « progrĂšs utile » peut avoir un impact nocif sur les psychismes humains, et propose de dĂ©velopper plutĂŽt un progrĂšs « subtil »[134]. De maniĂšre similaire, dans The Burnout Society, le philosophe Byung-Chul Han explique les phĂ©nomĂšnes de dĂ©pression et de burnout comme dĂ©coulant d'une pression constante, fruit du capitalisme, que les individus exercent sur eux mĂȘmes, afin d'ĂȘtre toujours plus performants[135].

Malgré son succÚs médiatique et sa popularité auprÚs du grand public, le syndrome d'épuisement professionnel n'est pas reconnu comme un trouble à part entiÚre dans les classifications nosologiques internationales de référence comme la CIM-10 ou le DSM-5[136]. Il n'existe pas à l'heure actuelle de critÚres communément acceptés au sein du monde médical pour le diagnostiquer[137].

Un nombre grandissant d'études suggÚre que le burnout ne serait ni plus ni moins qu'un syndrome dépressif secondaire à un stress professionnel chronique[138] - [139] - [140].

Causes

Contenu des cadres du schĂ©ma : Cadre A : Facteurs individuels (Attentes Ă©levĂ©s, implications, dispositions, Ăąge, etc.) ; Cadre B : Facteurs interindividuels ou organisationnels (conflits, agressions, surcharge de travail, conflit de rĂŽle, insĂ©curitĂ©, etc.) ; Cadre C : DisponibilitĂ© des ressources du faire face (soutien social, etc.) ; Cadre D : DisponibilitĂ© des ressources du faire face (soutien social, etc.) ; Cadre E : Facteurs suggĂ©rant que l’on est dans un systĂšme impersonnel, dĂ©shumanisant (manque de participation au dĂ©cisions, de reconnaissance, etc.) ; Cadre F : DisponibilitĂ© des ressources du faire face (soutien social, etc.) ; Cadre G : Facteurs suggĂ©rant que l’on est peu apprĂ©ciĂ©, peu efficace (surcharge qualitative, peu d’opportunitĂ© d’exercer ses compĂ©tences, ambiguĂŻtĂ© de rĂŽle, etc.) ; Cadre H : Épuisement Ă©motionnel ; Cadre I : Cynisme ; Cadre J : Accomplissement personnel rĂ©duit ; Cadre K : ConsĂ©quences ; Individuelles (troubles pathologiques, physiques, etc.) ; Interpersonnelles (conflits, divorces, etc.) ; Organisationnelles (absentĂ©isme , etc.) ; Disposition des cadres du schĂ©ma : Les cadres A et B sont reliĂ©s au cadre H lui-mĂȘme reliĂ© aux cadres I et K. Le cadre C est reliĂ© au segment reliant les cadres A et B au cadre H. Le cadre D est reliĂ© au segment reliant le cadre H au cadre I. Le cadre E est reliĂ© au cadre I lui-mĂȘme reliĂ© aux cadres J et K. Le cadre F est reliĂ© au segment reliant le cadre I au cadre J. Le cadre G est reliĂ© au cadre J lui-mĂȘme reliĂ© au cadre K
Schéma 2 :
Causes d’épuisement professionnel d’aprĂšs le modĂšle de recherche de Carol Cordes et Thomas Dougherty[141].

Les variables gĂ©nĂ©ratrices du syndrome d’épuisement professionnel se situent schĂ©matiquement Ă  trois niveaux : organisationnel, interindividuel et intraindividuel. Il est Ă  noter que le rĂŽle des technologies de l'information et de la communication (TIC) est de plus en plus discutĂ© par les sociologues. En effet, leur Ă©volution pourrait contribuer au mĂ©lange des plages de travail et de repos (phĂ©nomĂšne de weisure = work + leisure), conduisant ainsi Ă  un enchaĂźnement ininterrompu des causes sous-citĂ©es. Bien que les pionniers de la recherche sur le burnout aient postulĂ© que la cause principale du burnout Ă©tait le stress professionnel, la mĂ©ta-analyse la plus sophistiquĂ©e Ă  ce jour indique que le burnout est en fait faiblement prĂ©dit par le stress professionnel[142].

Organisationnelles

Au niveau organisationnel, on Ă©tudie l’influence du contenu de l’activitĂ© et celle du contexte dans lequel elle se dĂ©roule.

La surcharge de travail, le rythme des tĂąches Ă  effectuer, la pression du temps, les horaires longs, imprĂ©visibles, un travail monotone, peu stimulant, avec des procĂ©dures standardisĂ©es, sont des exemples de variables reflĂ©tant le contenu de l’activitĂ©[143]. Un des processus majeurs qui sous-tendent leur lien avec le syndrome d’épuisement professionnel est l’impossibilitĂ© de contrĂŽler son activitĂ©[144]. Mais les chercheurs se sont sans doute plus intĂ©ressĂ©s au contexte du travail. Des rĂŽles mal dĂ©finis, contradictoires, l’isolement et le manque de soutien social, le conflit entre vie familiale et vie professionnelle, l’insĂ©curitĂ©, sont corrĂ©lĂ©s avec une ou plusieurs dimensions du syndrome d’épuisement professionnel[145]. Les formes et les menaces nouvelles du travail[n 12] sont de plus en plus prises en compte. Cependant, les variables Ă©tudiĂ©es se situent plus Ă  un niveau micro-organisationnel ou microsocial[n 13], au dĂ©triment des analyses macro-organisationnelles ou macrosociales, qui prennent en compte la structure de l’institution, l’organisation hiĂ©rarchique, le style de management, etc. Cette orientation s’explique de deux façons. D’abord, les travaux sont dominĂ©s par des thĂ©ories locales, qui cherchent Ă  expliquer un nombre restreint de phĂ©nomĂšnes avec un nombre limitĂ© de variables, plus faciles Ă  opĂ©rationnaliser et Ă  Ă©tudier[146]. Ensuite, les entreprises montrent peu d’empressement Ă  laisser le chercheur s’interroger sur l’influence du mode de management sur la santĂ© des employĂ©s. Certaines entreprises prĂŽnent mĂȘme la gestion des ressources humaines par le stress[147].

Selon le rapport d'information sur le burn-out de l'assemblĂ©e nationale page 18[148], la cause principale d'un burn-out est l'organisation du travail. Quelle que soit la fragilitĂ© supposĂ©e de la victime de burn-out, Il n'y a pas de burn-out sans une organisation de travail gĂ©nĂ©rant du stress d'origine professionnelle. Un burn-out apparaĂźt chez les personnes n'ayant eu auparavant aucun trouble mental et souvent Ă  partir d'une position de force. Le docteur Patrick Mesters, directeur de l’Institut de recherche sur le burnout confirme cette analyse[149] Jean-FrĂ©dĂ©ric Poisson ancien rapporteur de la mission d’information sur les risques psychosociaux Ă  l’AssemblĂ©e nationale a dit (propos rapportĂ©s par le cabinet technologia[150]) : « Entre le constat d’une dĂ©pression et le constat d’un Ă©puisement professionnel il y a un monde! Le burn-out n’est pas liĂ© Ă  un tempĂ©rament prĂ©disposĂ©, c’est le rĂ©sultat d’une certaine organisation du travail ».

Selon un médecin spécialiste du stress au travail interviewé dans l'émission "1000 et une vies" à 41:30 dans la vidéo[151], des études scientifiques montrent que seulement 30 à 35 % des causes du burn-out viennent de soi, 60 à 65 % viennent de l'organisation du travail (surcharge, environnement
). Cela ne veut pas dire qu'ils sont responsables de leur burn-out.

Interindividuelle

À ce niveau, c’est principalement l’effet de relations dĂ©sĂ©quilibrĂ©es, injustes, des conflits[n 14], mais aussi du soutien social ou de son absence qui est Ă©tudiĂ©[152]. Étant donnĂ© le nombre Ă©levĂ© des emplois de services oĂč les relations avec autrui sont capitales, ces variables sont importantes. La thĂ©orie de l’équitĂ©, celles du support social et de l’affiliation fournissent Ă  ce niveau des grilles de lecture pertinentes[153].

Intra-individuelles

Les chercheurs dĂ©ploient beaucoup d’efforts pour identifier la part des variables de personnalitĂ©, ce qui tend Ă  particulariser le syndrome d’épuisement professionnel et risque d’en faire un problĂšme Ă  particulariser et Ă  traiter individuellement, en rejetant ses causes organisationnelles et sa dimension sociale et collective[154]. Ceci s’explique en partie par l’influence qu’exerce actuellement le modĂšle transactionnel de Lazarus et Folkman[155]. D’aprĂšs ce modĂšle, les caractĂ©ristiques individuelles jouent un rĂŽle essentiel dans l’émergence de la rĂ©action de stress. L’évaluation d’un stresseur (comme une tĂąche supplĂ©mentaire Ă  rĂ©aliser, des horaires de travail qui changent, une organisation de travail diffĂ©rente, etc.) varie d’un individu Ă  l’autre. Certains peuvent y voir un dĂ©fi permettant d’exercer leurs compĂ©tences, d’autres ne retiennent que la menace. En outre, les caractĂ©ristiques individuelles agissent sur les capacitĂ©s de faire face Ă  ces exigences, sur les ressources que l’individu cherche Ă  mobiliser. Certains se sentent plus aptes que d’autres Ă  contrĂŽler la situation, Ă  mobiliser le soutien de leurs collĂšgues et Ă  utiliser ce support efficacement. La recherche suggĂšre que le nĂ©vrosisme, l'un des cinq grands traits de personnalitĂ© reconnus en psychologie, prĂ©dit davantage le burnout que le stress au travail ou le soutien social au travail[156] - [157] - [158].

Au niveau individuel, on s’intĂ©resse aussi Ă  la sphĂšre attitudinale, notamment aux attentes des individus, ou Ă  l’écart entre attentes et rĂ©alitĂ© de travail[159]. Les variables sociodĂ©mographiques sont Ă©galement prises en compte, lorsqu’on Ă©tudie les diffĂ©rences entre hommes et femmes, l’influence de l’ñge, du sexe ou du statut matrimonial[160]. Il va sans dire que, quel que soit le niveau d’analyse, on recherche les facteurs qui dĂ©clenchent le processus de burnout, mais aussi ceux qui freinent sa progression. Les ressources disponibles ralentissent l’évolution du processus.

Manifestations et conséquences

Wilmar Schaufeli et Dirk Enzmann[161] dressent la liste des symptĂŽmes du syndrome d’épuisement professionnel. Ils en dĂ©nombrent cent-trente-deux, mais prĂ©viennent qu’en rĂ©alitĂ©, « la plupart de ces symptĂŽmes proviennent d’observations cliniques incontrĂŽlĂ©es ou d’interviews analysĂ©es de façon impressionniste et non-spĂ©cifiĂ©e plutĂŽt que d’études quantitatives conçues rigoureusement et conduites prĂ©cisĂ©ment. » Autrement dit, nombre de ces symptĂŽmes ont Ă©tĂ© repĂ©rĂ©s quand ont dĂ©marrĂ© les premiĂšres recherches. La liste des symptĂŽmes mis Ă  jour par des Ă©tudes empiriques solides est allongĂ©e du fait de l’existence de plusieurs formes d’épuisement professionnel[162], chacune pouvant s’exprimer Ă  travers des manifestations spĂ©cifiques. De plus, le syndrome d’épuisement professionnel Ă©tant un processus, il est susceptible de s’exprimer diffĂ©remment au cours de son dĂ©veloppement chez le mĂȘme individu, selon sa phase d’évolution. Il n’est pas toujours aisĂ© de sĂ©parer clairement les symptĂŽmes et les consĂ©quences du syndrome d’épuisement professionnel[163]. De mĂȘme, une rĂ©cente Ă©tude menĂ©e par Moodwork et le lab'RH souligne un phĂ©nomĂšne de dĂ©ni chez les individus victime du syndrome d'Ă©puisement professionnel, renforçant la difficultĂ© d'Ă©tablir un diagnostic[164].

Certains auteurs emploient l’expression « symptĂŽmes du burnout » pour faire rĂ©fĂ©rence aux trois dimensions du MBI : l’épuisement Ă©motionnel, la dĂ©personnalisation et l’accomplissement personnel rĂ©duit[165] - [166] - [167]. Mais Arie Shirom considĂšre que l’accomplissement personnel est une consĂ©quence du syndrome d’épuisement professionnel[168]. Pour Wilmar Schaufeli par contre, « faire une distinction entre symptĂŽmes et consĂ©quences du burnout revient Ă  dresser une ligne arbitraire »[169].

La classification de Carol Cordes et Thomas Dougherty distingue cinq catégories :

  1. Physique
  2. Émotionnelle
  3. Interpersonnelle
  4. Attitudinale
  5. Comportementale

Elles s’observent au niveau de l’individu, des interactions sociales et de l’organisation du travail[170].

Physiques et Ă©motionnelles

Les atteintes psychologiques et physiques montrent Ă  quel point le syndrome d’épuisement professionnel peut ĂȘtre destructeur[171]. Le sentiment de fatigue, d’épuisement, de sensation d’ĂȘtre « vidĂ© », est le symptĂŽme le plus typique[172] - [173]. Les individus atteints d’un degrĂ© Ă©levĂ© d’épuisement professionnel ont davantage de troubles du sommeil et une plus grande fatigue au rĂ©veil[174]. La fatigue liĂ©e au syndrome d’épuisement professionnel n’est pas celle que l’on Ă©prouve temporairement et qui disparaĂźt aprĂšs une pĂ©riode de repos. Il s’agit d’une fatigue chronique[175].

Le syndrome d’épuisement professionnel se manifeste aussi par des troubles somatiques. Une Ă©tude longitudinale menĂ©e par Jacob Wolpin auprĂšs de deux cent quarante-cinq enseignants canadiens montre que l’apparition des symptĂŽmes somatiques ne peut ĂȘtre prĂ©dite qu’un an aprĂšs l’apparition du syndrome lui-mĂȘme[176]. Arie Shirom trouve des rĂ©sultats semblables auprĂšs d’enseignants israĂ©liens[177].

Le syndrome d’épuisement professionnel est associĂ© Ă  des douleurs ou plaintes symptomatiques tels que :

  • maux de ventre,
  • douleurs musculo-squelettiques, en particulier le mal de dos,
  • dĂ©sordres psychosomatiques tels qu’ulcĂšres et troubles gastro-intestinaux dans certains cas[178],
  • manifestations classiques du stress associĂ©es Ă  des manifestations de transpiration ou d’angoisse, etc.,
  • rĂ©duction des dĂ©fenses immunitaires[179] - [180],
  • suivis de rhume prolongĂ©[181] - [182].

Des patients atteints d’épuisement professionnel ont, par rapport Ă  un groupe contrĂŽle, un rythme cardiaque plus Ă©levĂ© au repos[183]. Des Ă©tudes longitudinales signalent, chez ceux qui ont un syndrome d’épuisement professionnel aigu, une Ă©lĂ©vation du niveau de cholestĂ©rol, de triglycĂ©ride, de l’acide urique et des anomalies de l’électrocardiogramme[184]. Le syndrome d’épuisement professionnel est associĂ© Ă  des taux de cortisol plus Ă©levĂ© durant la journĂ©e de travail[185]. Il provoque aussi des inflammations conduisant Ă  l’athĂ©rome[186]. Il peut conduire Ă©galement au diabĂšte de type 2[187]. Ces modifications biochimiques exposent Ă  des risques cardio-vasculaires[188].

Attitudinales et comportementales

L'enseignement est une profession touchée par le syndrome d'épuisement professionnel.

Les manifestations comportementales du syndrome d’épuisement professionnel sont variĂ©es. On les observe tant au niveau de l’individu, de ses relations, que de l’environnement de travail.

Au niveau de l’individu

Si le syndrome d’épuisement professionnel s’accompagne, dans sa phase prĂ©liminaire, d’une pĂ©riode de grande activitĂ©, avec Ă©ventuellement des pratiques sportives, il est associĂ© Ă  une mauvaise hygiĂšne de vie[189] - [190] - [191]. Dans une recherche menĂ©e auprĂšs de mĂ©decins français[192], Susan Jackson a dĂ©couvert un lien significatif entre l’épuisement Ă©motionnel et la consommation d’alcool. La mĂȘme association est observĂ©e auprĂšs de groupes professionnels variĂ©s, comme des dentistes[193], des employĂ©s de services sociaux[194] ou des opĂ©rateurs de transit urbain[195].

Plus généralement, on trouve une diminution des ressources psychologiques[196] :

Blake Ashforth montre auprĂšs de managers d’un service social que l’épuisement Ă©motionnel et la dĂ©personnalisation sont suivis d’un sentiment d’impuissance. Des troubles cognitifs font Ă©galement partie de ces manifestations[198].

Au niveau de la vie privée

Les effets du syndrome d’épuisement professionnel dĂ©bordent sur la vie privĂ©e. Contredisant l’idĂ©e que travail et vie privĂ©e sont des sphĂšres sĂ©parĂ©es et autonomes, ce syndrome a des rĂ©percussions sur la sphĂšre familiale et plus gĂ©nĂ©ralement sociale. Dans ses premiers comptes-rendus d’observation[199], Christina Maslach note que le syndrome d’épuisement professionnel engendre des divorces. Au sein du couple, l’épuisement professionnel du mari, provoquĂ© par des menaces de restructuration et de rĂ©duction d’effectifs, a un effet direct sur les tensions avec son Ă©pouse et accroĂźt les comportements et attitudes nĂ©gatives envers elle[200]. Dans une Ă©tude menĂ©e auprĂšs de cent quarante-deux couples[201], Ayala Pines et Christina Maslach trouvent que non seulement ceux atteints d’épuisement professionnel tendent Ă  s’isoler de leurs amis, mais leur conjoint indique qu’ils ou elles se comportent avec leurs enfants de façon « professionnelle ».

À l'inverse, la psychiatre AurĂ©lia Schneider analyse dans son essai le poids de la charge mentale mĂ©nagĂšre chez les femmes et les hommes, et son impact sur le syndrome d'Ă©puisement professionnel ou burn-out.

Lors d’une Ă©tude poussĂ©e sur mille huit cent cinquante cas de syndrome d’épuisement professionnel avĂ©rĂ©s, Yeor Etzion rĂ©vĂšle un taux « anormalement inquiĂ©tant » de suicide chez les personnes atteintes de ce syndrome[202].

Au niveau du travail

Le syndrome d’épuisement professionnel contribue Ă  augmenter l’insatisfaction au travail[203] et Ă  diminuer l’engagement[204] - [205]. Des Ă©tudes longitudinales rĂ©vĂšlent que les personnes atteintes d’épuisement professionnel sont moins impliquĂ©es et ont davantage l’intention de quitter leurs emplois que les autres[206] - [207]. Chez des enseignants suivis plusieurs mois, l’épuisement Ă©motionnel mesurĂ© par le MBI prĂ©dit non seulement les intentions de quitter le travail, mais aussi le fait de le quitter effectivement[208].

Le syndrome d’épuisement professionnel contribue Ă  la dĂ©tĂ©rioration des relations entre collĂšgues, mais aussi avec les clients, Ă©lĂšves et patients. Les mĂ©decins Ă  l’épuisement professionnel Ă©levĂ© rĂ©pondent moins aux questions des patients, les nĂ©gligent davantage (ils ne discutent pas des diffĂ©rentes options de traitement par exemple), et commettent des erreurs qu’on ne peut attribuer Ă  leurs manques de connaissances ou d’expĂ©rience[209].

Prendre une dĂ©cision s’avĂšre coĂ»teux pour l’individu Ă©puisĂ© Ă©motionnellement. La dĂ©personnalisation ou le cynisme conduisent Ă  prendre des dĂ©cisions plus impersonnelles, voire stigmatisantes. Jacques Languirand a menĂ© des recherches afin de tester explicitement l’impact du syndrome d’épuisement professionnel sur les prises de dĂ©cisions. Les hypothĂšses ont Ă©tĂ© testĂ©es Ă  partir de situations simulĂ©es oĂč les participants devaient rĂ©agir Ă  un cas fictif de client ou de patient. Minirth montre que des travailleurs sociaux d’un service de protection de l’enfance, face au cas d’un enfant en danger, prennent des dĂ©cisions plus rapidement, et y restent fermement attachĂ©s s’ils ressentent de l’épuisement professionnel. Il montre Ă©galement que des mĂ©decins gĂ©nĂ©ralistes qui ont un degrĂ© Ă©levĂ© d’épuisement Ă©motionnel prennent, vis-Ă -vis d’une patiente, des dĂ©cisions moins coĂ»teuses en temps, en Ă©nergie et en investissements futurs. Ce phĂ©nomĂšne est d’autant plus accentuĂ© que cette patiente est non compliante[210], ainsi « Le burnout dĂ©finit une vĂ©ritable pathologie sociale et nous avertit des dangers qui guettent le monde du travail »[211].

Reconnaissance

Par l'OMS

Le syndrome d’épuisement professionnel est reconnu par la classification internationale des maladies de l'OMS, depuis sa onziĂšme rĂ©vision en [212] - [213] - [214] portant sur la classification internationale des maladies et des problĂšmes de santĂ© connexes. Cette reconnaissance entrera en vigueur le [215]

Au sens de l'OMS, le burn-out il est dĂ©fini comme « un syndrome (
) rĂ©sultant d’un stress chronique au travail qui n’a pas Ă©tĂ© gĂ©rĂ© avec succĂšs » et qui se caractĂ©rise par trois Ă©lĂ©ments « un sentiment d’épuisement », « du cynisme ou des sentiments nĂ©gatifs liĂ©s Ă  son travail » et « une efficacitĂ© professionnelle rĂ©duite ». Il est spĂ©cifiquement inscrit dans un contexte professionnel, dans le monde du travail, et ne peut ĂȘtre utilisĂ© pour d'autres propos. Le burnout peut survenir aprĂšs un harcĂšlement de la hiĂ©rarchie, ou encore une surcharge de travail.

Auparavant, le burnout bĂ©nĂ©ficiait uniquement d'une prĂ©somption de maladie professionnelle au sens du code de la sĂ©curitĂ© sociale, bien qu'en pratique il soit dĂ©jĂ  reconnu par la justice et la sĂ©curitĂ© sociale. Avec cette nouvelle classification, le burn-out n’est toujours pas classĂ© parmi les maladies, mais fait partie du chapitre « Facteurs influant sur l’état de santĂ© ou sur les motifs de recours aux services de santĂ© ».

Reconnaissance de la problématique du stress et du burn-out au travail par la négociation des syndicats

Sous l’influence de l’Union europĂ©enne, la nĂ©gociation collective a intĂ©grĂ© les troubles liĂ©s Ă  la qualitĂ© de vie au travail, et notamment la problĂ©matique de l'Ă©puisement professionnel dans ces accords. À titre d’exemple l’accord national interprofessionnel (ANI) sur le stress du 2 juillet 2008[216] (transposition de l'accord europĂ©en du 8 octobre 2004 Ă©tendu par arrĂȘtĂ© ministĂ©riel le 23 avril 2009) ; l’accord du 2 juillet 2008 porte sur la prĂ©vention du stress au travail, il est un premier pas vers la reconnaissance du stress dans le milieu professionnel liĂ© Ă  l’environnement du travail.

Nouvelle Ă©volution avec l'ANI sur le harcĂšlement et la violence au travail du 26 mars 2010 [217](transposition de l'accord europĂ©en du 26 avril 2007 Ă©tendu par arrĂȘtĂ© ministĂ©riel le 23 juillet 2010 sur le stress au travail).

L'ANI du 19 juin 2013[218] intitulĂ© : « Vers une politique d’amĂ©lioration de la qualitĂ© de vie au travail et de l’égalitĂ© professionnelle » vise une meilleure prise en compte de l’influence de l’environnement de travail sur les maladies psychiques.

Un premier pas avec la Cour de Cassation

Le syndrome d’épuisement professionnel Ă  dans un premier temps Ă©tĂ© reconnu au travers d’autres pathologies comme la dĂ©pression ou l’anxiĂ©tĂ©. En 2013, la Cour de cassation[219] a reconnu le burn out comme un nouveau risque psychosocial rĂ©sultant d’une situation de surcharge de travail, « susceptible de caractĂ©riser un lien entre la maladie et un manquement de l’employeur Ă  son obligation de sĂ©curitĂ© ».

Une reconnaissance lĂ©gislative de l’épuisement professionnel

En , c'est par la loi Rebsamen (loi no 2015-994 du 17 aoĂ»t 2015 relative au dialogue social et Ă  l'emploi), que l'AssemblĂ©e nationale française dĂ©cide que le syndrome d'Ă©puisement professionnel ne peut ĂȘtre reconnu comme maladie professionnelle[220]. Cette dĂ©cision s'appuie notamment sur le fait que le burnout est problĂ©matiquement proche de la dĂ©pression (sous ses formes cliniques et subcliniques), comme le montre un nombre grandissant d'Ă©tudes françaises, nord-amĂ©ricaines, et scandinaves. Il est important de noter Ă  ce sujet que le burnout a Ă©tĂ© introduit dans la littĂ©rature scientifique en l'absence d'une revue de la littĂ©rature consacrĂ©e aux troubles liĂ©s au stress et en l'absence d'observations cliniques systĂ©matiques[221].

La reconnaissance de maladie professionnelle reste possible au terme de l’article L.461-1 du Code de la SĂ©curitĂ© sociale via une procĂ©dure spĂ©cifique mise en place par la loi du 17 aoĂ»t 2015. Cette loi a pour objectif dans son article 27 d’amĂ©liorer la reconnaissance des pathologies psychiques comme maladies professionnelles. Les troubles psychiques ne sont pas reconnus dans un des tableaux de la sĂ©curitĂ© sociale. Pour qu’il y ait une reconnaissance de la pathologie comme maladie professionnelle, il faut que la pathologie soit essentiellement et directement causĂ©e par le travail habituel de la victime. Que la pathologie entraĂźne le dĂ©cĂšs de celle-ci ou une incapacitĂ© permanente de 25 % minimum (article L4611 al 4 et 5)[222]. À titre indicatif, la perte d’une main Ă©quivaut Ă  un taux de 20 %.

En 2016, Benoßt Hamon, ancien Ministre de l'éducation nationale et député de la 11e circonscription des Yvelines, a déposé une proposition de loi à l'Assemblée nationale française pour faciliter la reconnaissance des cas de burnout en France[223].

En , le groupe La France Insoumise à l'assemblée nationale française dépose à nouveau une proposition de loi visant à reconnaßtre le syndrome d'épuisement professionnel comme maladie professionnelle[224], laquelle est rejetée par principe par la majorité de La République en marche[225] - [226].

Procédure de reconnaissance de maladie professionnelle

Au terme de l’article L. 461-1 aliĂ©na 4 du code de la sĂ©curitĂ© sociale[227] , il est possible de faire reconnaitre l’état d’épuisement professionnel comme Ă©tant d’origine professionnel. Pour cela une procĂ©dure de reconnaissance est nĂ©cessaire. En effet, les maladies psychiques ne sont pas rĂ©pertoriĂ©es dans un tableau de maladies professionnelles, en consĂ©quence il n’y a pas de prĂ©somption d’origine professionnel Ă  l’inverse des accidents de travail. La victime d’un Ă©puisement professionnel doit remplir deux conditions pour faire reconnaitre son Ă©tat psychique comme une maladie professionnelle.

PremiĂšrement, sa pathologie doit ĂȘtre reconnue comme essentiellement et directement causĂ©e par le travail habituellement exercĂ©. DeuxiĂšmement, la gravitĂ© de la pathologie doit avoir entrainĂ© une incapacitĂ© permanente partielle au moins Ă©gale Ă  25 %. La premiĂšre de ces deux conditions fait reposer la charge de la preuve sur la victime, elle doit prouver elle-mĂȘme le lien direct avec son activitĂ© professionnelle[228]. La seconde condition quant Ă  elle dĂ©pend de la CPAM (caisse primaire d'assurance maladie), la dĂ©termination du taux d’incapacitĂ© relĂšve exclusivement de sa compĂ©tence sur avis conforme du mĂ©decin-conseil [229].

Par ailleurs, l’engagement de la procĂ©dure de reconnaissance est Ă  l’initiative du salariĂ©[230]. C’est Ă  lui de procĂ©der Ă  la reconnaissance de son Ă©tat d’épuisement professionnel comme maladie professionnelle auprĂšs de la Caisse primaire d’assurance maladie. La premiĂšre Ă©tape reste la prise de rendez-vous auprĂšs de son mĂ©decin traitant afin d’avoir un avis mĂ©dical. Si la pathologie est reconnue il Ă©tablira un certificat mĂ©dical initial prĂ©cisant la nature de la maladie et la date de premiĂšre constatation.

La victime a ensuite quinze jours pour engager la procĂ©dure de reconnaissance auprĂšs de la Caisse primaire d’assurance maladie[231]. Le dĂ©lai de prescription, dĂ©lai au-delĂ  duquel toute demande de reconnaissance sera systĂ©matiquement rejetĂ©e, est de deux ans. Ce dĂ©lai commence Ă  compter de la date Ă  laquelle la victime est informĂ©e, par un certificat mĂ©dical, du lien possible entre la maladie et l’activitĂ© professionnelle. En cas de dĂ©cĂšs, les ayants droit peuvent Ă©galement procĂ©der Ă  la dĂ©claration.

Pour cela, il doit adresser une dĂ©claration de maladie professionnelle au moyen d’un formulaire spĂ©cifique : Cerfa no 60-3950 « DĂ©claration de maladie professionnelle ou demande de reconnaissance de maladie professionnelle »[232]. Il doit joindre Ă  cette dĂ©claration le certificat mĂ©dical initial attestant de sa pathologie ; un second certificat permettant de constater la guĂ©rison ou la consolidation de ses symptĂŽmes. Lors de la dĂ©claration il est impĂ©ratif de joindre Ă©galement une attestation de salaire (il est d’usage que ce soit l’employeur qui le fasse ultĂ©rieurement).

À rĂ©ception, la CPAM ouvre une enquĂȘte administrative et mĂ©dicale et informe l’employeur, le mĂ©decin du travail et l'inspecteur du travail. La CPAM transmet la demande de la victime au ComitĂ© RĂ©gional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP)[233]. La demande de reconnaissance sera examinĂ©e afin d’attester de l’origine professionnelle de la pathologie. En effet, le lien direct et essentiel est analysĂ© par le CRRMP, son avis s’impose Ă  la caisse primaire d’assurance maladie. Ce comitĂ© est composĂ© du mĂ©decin-conseil rĂ©gional de l’assurance maladie, du mĂ©decin-inspecteur rĂ©gional du travail (ou le mĂ©decin inspecteur qu’il dĂ©signe) et d’un praticien qualifiĂ©. Le ComitĂ© rĂ©gional entend l’ingĂ©nieur-conseil en chef du service de prĂ©vention de la Caisse d’assurance retraite et de santĂ© au travail (CARSAT) de l’entreprise concernĂ©e et peut entendre, sur leur demande, l’employeur et la victime. Ces derniers peuvent aussi Ă©mettre des avis Ă©crits. Le ComitĂ© rĂ©gional rend un avis motivĂ© qui s’impose Ă  la CPAM. Celle-ci doit le notifier immĂ©diatement Ă  la victime et Ă  l’employeur.

La procĂ©dure d'instruction des maladies professionnelles (et des accidents du travail) a Ă©tĂ© rĂ©formĂ©e par le dĂ©cret no 2019-356 du [234] (Article R. 461-9 Code sĂ©curitĂ© sociale)[235]. Cette rĂ©forme est applicable aux accidents du travail et aux maladies professionnelles dĂ©clarĂ©s Ă  compter du . La caisse dispose dĂ©sormais d'un dĂ©lai de cent vingt jours francs (trois mois auparavant) pour statuer sur le caractĂšre professionnel de la maladie ou saisir le ComitĂ© rĂ©gional de reconnaissance des maladies professionnelles. Elle avertit de sa dĂ©cision par lettre recommandĂ©e avec avis de rĂ©ception le travailleur et l’employeur. Sans rĂ©ponse de la caisse dans les dĂ©lais prĂ©vus, le caractĂšre professionnel de la maladie est alors automatiquement retenu. À l'issue de ses investigations, la caisse doit mettre le dossier Ă  disposition de la victime (ou de ses reprĂ©sentants[236]) ainsi qu'Ă  celle de l'employeur auquel la dĂ©cision est susceptible de faire grief[237]. Les parties disposent d'un dĂ©lai de dix jours francs pour le consulter et faire connaĂźtre leurs observations, qui sont annexĂ©es au dossier. À l'issue de ce dĂ©lai, les parties peuvent toujours consulter le dossier mais ne peuvent plus formuler d'observations. Cette dĂ©cision peut ĂȘtre contestĂ©e par la voie du contentieux gĂ©nĂ©ral dans un dĂ©lai de deux mois aprĂšs rĂ©ception de la notification.

L’épuisement professionnel peut Ă©galement ĂȘtre dĂ©clarĂ© en tant qu’accident du travail Ă  partir du moment oĂč ses conditions de rĂ©alisation sont remplies. En effet, si l’état psychique est survenu par le fait ou Ă  l’occasion du travail Ă  la suite d’un Ă©vĂšnement datĂ© et soudain (ex. : l’instabilitĂ© psychique apparait Ă  la suite d’un entretien annuel ou d’une rĂ©union conflictuelle), alors il s’agit d’un accident du travail. Dans ce cas, c’est Ă  l’employeur de procĂ©der Ă  la dĂ©claration et c’est Ă  lui que revient la charge de la preuve puisqu’en matiĂšre d’accident du travail il existe une prĂ©somption d’origine professionnelle.

Les résolutions judiciaires

La rĂ©siliation judiciaire et la prise d’acte

Lorsqu’un salariĂ© souffre d’épuisement professionnel, il est possible d’engager la responsabilitĂ© de l’employeur sur le fondement du manquement Ă  son obligation de sĂ©curitĂ© (article L. 4121-1 du Code du travail). Cet article dispose que :

« L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes."[238]

Sur ce fondement, le salariĂ© peut demander une rĂ©siliation judiciaire ou une prise d’acte de son contrat de travail.

Définition de la résiliation judiciaire

Cette procĂ©dure peut ĂȘtre dĂ©finie comme l’action par laquelle le salariĂ© va demander au Conseil de prud’hommes de prononcer la rupture de son contrat de travail. Rupture demandĂ©e aux torts de l’employeur lorsque ce dernier manque gravement Ă  ses obligations contractuelles. Ce ou ces manquements doivent avoir pour consĂ©quence d’empĂȘcher la poursuite de la relation de travail[239].

Procédure de la résiliation judiciaire

C’est au salariĂ© de demander la rĂ©siliation judiciaire du contrat de travail. Pour cela, il doit saisir le Conseil de prud’hommes.

Durant le dĂ©roulement de la procĂ©dure judiciaire, le salariĂ© continue de travailler dans les mĂȘmes conditions de travail. NĂ©anmoins, il est possible que le contrat soit rompu. Par exemple, si le salariĂ© dĂ©missionne .

Effets de la résiliation judiciaire

Si le Conseil de prud’hommes prononce la rĂ©siliation judiciaire, la rĂ©siliation du contrat de travail prendra en principe effet Ă  la date du jugement. Il est Ă©galement possible que la rĂ©siliation prenne effet Ă  la date Ă  laquelle le contrat a Ă©tĂ© rompu (si le salariĂ© a Ă©tĂ© licenciĂ© durant la procĂ©dure).

La rĂ©siliation prononcĂ©e, diverses indemnitĂ©s devront ĂȘtre versĂ©es au salariĂ© (ex: indemnitĂ© de licenciement, indemnitĂ© compensatrice de congĂ©s payĂ©s, indemnitĂ©s compensatrices de prĂ©avis et indemnitĂ© pour licenciement sans cause rĂ©elle et sĂ©rieuse).

Cependant, si le Conseil de prud’hommes rejette la rĂ©siliation judiciaire, le contrat de travail va se poursuivre normalement. L’employeur ne devra verser aucune indemnitĂ© au salariĂ©.

Dans la situation oĂč l’employeur a licenciĂ© le travailleur durant la procĂ©dure de rĂ©siliation, le juge devra se prononcer sur la validitĂ© du licenciement opĂ©rĂ© durant cette procĂ©dure de rĂ©siliation[240].

DĂ©finition de la prise d’acte

« La prise d'acte de la rupture du contrat de travail constitue un mode de rupture du contrat prise par dĂ©cision de justice. Le salariĂ© saisit le juge afin que ce dernier statut sur les reproches qu'il impute Ă  son employeur (manquements suffisamment graves pour empĂȘcher la poursuite du contrat de travail) »[241].

ProcĂ©dure de la prise d’acte

Le Code du travail n’impose aucun formalisme particulier au travailleur. Cependant, le travailleur doit tout de mĂȘme prĂ©venir son employeur via courrier afin de justifier la prise d’acte. Dans un souci de charge de la preuve, il est conseillĂ© d’envoyer ce courrier sous forme de lettre recommandĂ©e avec accusĂ© de rĂ©ception.

Effets de la prise d’acte

Le salariĂ© mettant en Ɠuvre la procĂ©dure de la prise d’acte aura pour principal effet d’entraĂźner la cessation immĂ©diate de son contrat de travail. La cessation Ă©tant immĂ©diate, le salariĂ© ne sera pas dans l’obligation d’effectuer un prĂ©avis. Cette prise d’acte a l’effet d’un licenciement sans cause rĂ©elle et sĂ©rieuse. Cependant, si les faits invoquĂ©s par le travailleur ne sont pas suffisants pour justifier cette prise d’acte, les effets seront ceux d’une dĂ©mission.

Jurisprudence

Il a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© reconnu que l’épuisement professionnel d’un salariĂ© puisse justifier la rupture du contrat de travail, aux seuls torts de l’employeur. En consĂ©quence, la prise d’acte a eu les effets d’un licenciement sans cause rĂ©elle et sĂ©rieuse[242].

Reclassement et Ă©puisement professionnel

Lorsqu'un salarié en situation d'épuisement professionnel est reconnu inapte par le médecin du travail, et que ce dernier indique une impossibilité de reclassement, le salarié peut faire l'objet d'une mesure de licenciement pour inaptitude professionnelle.

Néanmoins, si cette inaptitude professionnelle résulte du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité , alors, le licenciement sera sans cause réelle et sérieuse.

Ainsi, lorsqu’un salariĂ© reconnu inapte en raison de son Ă©puisement professionnel ne peut pas ĂȘtre reclassĂ©, il peut faire l’objet d’une mesure de licenciement au motif de son inaptitude professionnelle. Cependant, il est reconnu que si cette inaptitude dĂ©coule du manquement de l’employeur Ă  son obligation de sĂ©curitĂ© : le licenciement est sans cause rĂ©elle et sĂ©rieuse[243].

De plus, " si le licenciement d’un salariĂ© pour inaptitude est dĂ» Ă  un harcĂšlement moral, celui-ci pourra obtenir sa nullitĂ© (Cass. soc., 12 mai 2010, no 09-40.910 ; Cass. soc., 17 oct. 2012, no 11-22.553), (
) s’il s’avĂšre que l’employeur a, dans le cadre de cette inaptitude, manquĂ© Ă  son obligation de sĂ©curitĂ© de rĂ©sultat et Ă  son obligation de prĂ©vention des actes de harcĂšlement moral, alors le salariĂ© pourra prĂ©tendre Ă  des dommages et intĂ©rĂȘts (Cass. soc., 17 oct. 2012, no 11-18.884)"[244].

RĂŽle de l’employeur et dĂ©marche amiable

En dehors des dĂ©marches judiciaires, le salariĂ© peut alerter et dĂ©noncer sa situation auprĂšs de sa hiĂ©rarchie. Si l’entreprise est dotĂ©e d’institutions reprĂ©sentatives du personnel, le salariĂ© peut Ă©galement se rapprocher du ComitĂ© social et Ă©conomique(CSE) afin d’obtenir des informations. Il est aussi possible de faire une demande de visite auprĂšs de la mĂ©decine du travail. Enfin, le travailleur peut Ă©galement se tourner vers l’inspection du travail afin d’obtenir des informations claires et prĂ©cises sur ses droits.

L’employeur devant rĂ©pondre de son obligation de sĂ©curitĂ©, notamment concernant la santĂ© mentale des salariĂ©s de son entreprise, ce dernier a un rĂŽle central dans la dĂ©tection des signes d’épuisement professionnel. Également dans la cessation des situations conduisant Ă  cet Ă©puisement (ex : surcharge de travail, harcĂšlement au travail etc.).

Au titre de cette obligation de sĂ©curitĂ©, prĂ©vu Ă  l’article L.4121-3 du Code du travail, l’employeur doit analyser et Ă©valuer « les risques pour la santĂ© et la sĂ©curitĂ© des travailleurs » existants dans l’entreprise, et mettre « en Ɠuvre les actions de prĂ©vention garantissant un meilleur niveau de protection de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© des travailleurs »[245].

L’employeur peut notamment Ă©valuer ces risques Ă  l’aide du document unique d’évaluation des risques professionnelles (DUER)[246]. Ce document, obligatoire dans toutes les entreprises, permet de lister les diffĂ©rents risques qui peuvent nuire Ă  la santĂ© et Ă  la sĂ©curitĂ© des salariĂ©s, et vise Ă  les supprimer, ou du moins les rĂ©duire. C’est donc un outil de l’employeur qui a un rĂŽle prĂ©ventif, et permet de remplir l’obligation de sĂ©curitĂ©, et qui peut prendre en compte le burn-out comme risque afin de le prĂ©venir.

D’autres moyens au sein des entreprises existent pour limiter le burn-out. Le burn-out, Ă©tant perçu comme un stress professionnel chronique, pourrait s’éviter en limitant la charge de travail d’un individu, en rĂ©partissant correctement les missions et en effectuant des contrĂŽles rĂ©guliers de cette rĂ©partition. Également, dans le cadre du tĂ©lĂ©travail ou un contrĂŽle de la charge et du temps de travail est plus compliquĂ©, une limitation des accĂšs au rĂ©seau de travail peut ĂȘtre une solution[247].

Il est aussi important de favoriser le dialogue dans l’entreprise, notamment afin de libĂ©rer la parole. En effet, ĂȘtre en burn-out est encore socialement mal perçu, et mal interprĂ©tĂ© par les salariĂ©s et les employeurs. Il apparaĂźt alors important pour l’employeur de mettre en place des temps de dialogue (par le biais d’atelier ou de confĂ©rence), mais aussi des guides pratiques pour le management, afin de pouvoir parler, repĂ©rer, et apprendre aux Ă©quipes ce qu’est le burn-out et Ă  le prendre en compte. DiffĂ©rents outils peuvent alors ĂȘtre utilisĂ©s, dont l’entretien d’évaluation annuel[248] mis en place par l’employeur qui participe au repĂ©rage des risques, ou la mise en place de formations obligatoires intĂ©grant la gestion de la charge de travail.

Dans la culture

Littérature

Cinéma

Le burnout est le sujet de plusieurs films.

Le documentaire HarcÚlements, de Bernard Cazedepats, date de 2002. Plusieurs longs métrages abordent également le thÚme : Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés, de Marc-Antoine Roudil et Sophie Bruneau en 2005, Le Couperet, de Costa-Gavras (2005), L'Emploi du temps, de Laurent Cantet (2001) ou encore, dans une moindre mesure, Violence des échanges en milieu tempéré, de Jean-Marc Moutout en 2004.

Dans les annĂ©es 2000 les documentaires sur le sujet se multiplient : J’ai (trĂšs) mal au travail : stress, harcĂšlement, violences de Jean-Michel CarrĂ© en 2007 ou Le salaire de la souffrance : harcĂšlement moral au travail rĂ©alisĂ© par Marie-Christine Gambart en 2001, et Travailler Ă  en mourir de Paul Moreira (2007).

L’Institut national de recherche et de sĂ©curitĂ© (INRS) a rĂ©alisĂ© des films de sensibilisation : Le stress au travail, c’est un problĂšme de dĂ©faillance individuelle, Un peu de stress, ça ne peut pas faire de mal et Contre le stress on ne peut rien[249].

En 2021, le réalisateur Stéphane Brizé s'est inspiré de cadres en burn-out pour le film Un autre monde : il met en scÚne Vincent Lindon dans le rÎle d'un manager en crise, victime d'injonctions contradictoires[250].

Musique

Le titre Trampoline du groupe belge Alaska Gold Rush est illustré par un clip mettant en scÚne un burnout dans le milieu administratif. Le texte évoque une course sans fin vers la croissance et la productivité, ou les personnes sont peu à peu remplacées par des machines.

Notes et références

Notes

  1. Prononciation en anglais américain retranscrite selon la norme API.
  2. L’auteur s’exprimant en français — qui n’est pas sa langue maternelle — a utilisĂ© le mot « dĂ©suĂšte » en voulant probablement dire « tĂ©nue ».
  3. MĂ©decins, infirmier(e)s, etc.
  4. Services sociaux, santé, enseignement, etc.
  5. Élùves, patients, clients, etc.
  6. Estime de soi, auto-efficacité, etc.
  7. Soutien reçu de la part des collÚgues, de la hiérarchie, etc.
  8. Puisque ses attentes, sa formation, sont relativement inadaptées.
  9. Lazarus et Folkman Ă©crivent que le coping est « l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux, constamment changeants, permettant de gĂ©rer les exigences externes ou internes - spĂ©cifiques Ă  une situation - qui entament ou excĂšdent les ressources d’une personne » (Stress, Appraisal, and Coping, p. 94).
  10. Par rapport Ă  ceux qui l’estiment Ă©quilibrĂ©.
  11. Consommation Ă©levĂ©e d’antidĂ©presseurs, etc.
  12. Restructurations, dĂ©localisations, rĂ©ductions d’effectifs, surveillance Ă©lectronique des employĂ©s, tĂ©lĂ©travail, etc.
  13. Du rapport direct entre l’individu et son environnement.
  14. HarcĂšlement, agressions, violence, etc.

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Voir aussi

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Articles connexes

Liens externes

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