Syndrome d'Ă©puisement professionnel
Le syndrome dâĂ©puisement professionnel, Ă©galement dĂ©signĂ© par l'anglicisme burnout [ËbÉnaÊt][n 1] , combine une fatigue profonde, un dĂ©sinvestissement de l'activitĂ© professionnelle, et un sentiment d'Ă©chec et d'incompĂ©tence dans le travail. Le syndrome d'Ă©puisement professionnel est considĂ©rĂ© comme le rĂ©sultat d'un stress professionnel chronique (par exemple, liĂ© Ă une surcharge de travail) : l'individu, ne parvenant pas Ă faire face aux exigences adaptatives de son environnement professionnel, voit son Ă©nergie, sa motivation et son estime de soi dĂ©cliner.
Syndrome d'Ă©puisement professionnel
Traitement | Psychothérapie et gratitude journal (en) |
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Spécialité | Psychologie |
Mise en garde médicale
En 1969, Harold. B Bradley est la premiĂšre personne Ă dĂ©signer, dans son article « Community-based treatment for young adult offenders », un stress particulier liĂ© au travail sous le terme de burnout. Ce terme est repris en 1974 par le psychanalyste Herbert J. Freudenberger puis par la psychologue Christina Maslach en 1976 dans leurs Ă©tudes des manifestations dâusure professionnelle[1].
« En tant que psychanalyste et praticien, je me suis rendu compte que les gens sont parfois victimes dâincendie, tout comme les immeubles. Sous la tension produite par la vie dans notre monde complexe leurs ressources internes en viennent Ă se consumer comme sous lâaction des flammes, ne laissant quâun vide immense Ă lâintĂ©rieur, mĂȘme si lâenveloppe externe semble plus ou moins intacte. »
â Herbert J. Freudenberger[2]
Pour ces premiers observateurs, le syndrome dâĂ©puisement professionnel vise principalement les personnes dont lâactivitĂ© professionnelle implique un engagement relationnel important comme les travailleurs sociaux[3], les professions mĂ©dicales, les enseignants.
LâĂ©tude de ces catĂ©gories professionnelles a conduit ces chercheurs Ă considĂ©rer les confrontations rĂ©pĂ©tĂ©es Ă la douleur ou Ă lâĂ©chec comme des causes dĂ©terminantes dans les cas de manifestation de ce syndrome dâĂ©puisement professionnel. Il est, Ă lâĂ©poque des premiĂšres observations, conçu comme un syndrome psychologique spĂ©cifique aux professions « aidantes ». Cette notion a prĂ©valu quelque temps et a marquĂ© durablement la conceptualisation du phĂ©nomĂšne et lâorientation des premiers travaux de recherche. Mais les connaissances accumulĂ©es depuis ces premiĂšres observations ont conduit Ă Ă©tendre les risques de manifestations dâun syndrome dâĂ©puisement professionnel Ă lâensemble des individus au travail, quelle que soit leur activitĂ©.
Identifications
Herbert Freudenberger et la premiĂšre description
La littĂ©rature spĂ©cialisĂ©e admet gĂ©nĂ©ralement que le psychothĂ©rapeute et psychiatre Herbert Freudenberger est lâauteur des premiĂšres recherches sur le syndrome dâĂ©puisement professionnel[4]. Dans son article Staff burnout publiĂ© en 1974[5], premiĂšre tentative de description de lâaffection, Herbert Freudenberger dĂ©signe en effet par le terme Burn-Out Syndrome[6] (« B.O.S. ») un Ă©tat dâĂ©puisement dans lequel se trouve le personnel soignant des Free Clinics, trĂšs investi professionnellement et Ă©motionnellement avec des patients toxicomanes. Il dĂ©finit ce burnout comme la perte de motivation dâune personne pour son travail, surtout quand sa forte implication nâa pas produit les rĂ©sultats escomptĂ©s.
Freudenberger dirige dans les annĂ©es 1970 un hĂŽpital de jour, une free clinic, accueillant des toxicomanes dans le Lower East Side de New York. LâĂ©tablissement fonctionne principalement grĂące Ă de jeunes bĂ©nĂ©voles. Freudenberger commence ses observations aprĂšs avoir remarquĂ© que nombre de ces bĂ©nĂ©voles finissent par perdre toute motivation aprĂšs environ un an dâactivitĂ©. Il sâaperçoit que des symptĂŽmes physiques caractĂ©ristiques accompagnent ce changement, tels que lâĂ©puisement, la fatigue, la persistance de rhumes, les maux de tĂȘte, les troubles gastro-intestinaux et les insomnies.
Dans ses travaux, Freudenberger souligne davantage les symptĂŽmes comportementaux et brosse le portrait dâindividus submergĂ©s par leurs Ă©motions. ColĂšre, irritation, incapacitĂ© Ă faire face aux tensions, aux nouvelles situations, mais aussi perte dâĂ©nergie sont parmi les premiers signes de ce quâil nomme « craquage » ou « Ă©puisement Ă©motionnel et mental ». Herbert Freudenberger estime que les attitudes nĂ©gatives et le recours au cynisme sont Ă©galement des manifestations faisant partie du tableau clinique. Il relĂšve des stratĂ©gies de surenchĂšre, comme passer de plus en plus de temps au travail et dĂ©ployer une hyperactivitĂ© inefficace, mais aussi des stratĂ©gies dâĂ©vitement, comme la recherche de lâisolement et le refus du contact avec ses collĂšgues.
Le terme burnout[7] est utilisĂ© Ă lâĂ©poque pour dĂ©signer les effets de la toxicomanie ; il reprĂ©sente pour Freudenberger une mĂ©taphore efficace pour dĂ©signer lâensemble des symptĂŽmes quâil observe. Dans la langue anglaise courante, burnout signifie « sâuser, sâĂ©puiser, craquer en raison de demandes excessives, dâĂ©nergie, de forces ou de ressources ». « Le terme qualifie par exemple, lâĂ©tat dâune bougie qui, aprĂšs avoir Ă©clairĂ© de longues heures nâoffre plus quâune flamme dĂ©suĂšte [tĂ©nue][n 2]. »
Du fait de son expĂ©rience, Herbert Freudenberger remarque que chez les jeunes bĂ©nĂ©voles, lâengagement initial et la certitude de faire un travail significatif suffisent un temps Ă alimenter la satisfaction et Ă maintenir les efforts. Cependant, les patients quâil traite dans sa clinique rĂ©sistent frĂ©quemment et sont souvent impermĂ©ables aux conseils. Dans un tel milieu, lâaide et lâĂ©nergie dĂ©ployĂ©es par ces jeunes bĂ©nĂ©voles sont souvent vaines. Freudenberger remarque ainsi que « câest prĂ©cisĂ©ment parce que nous nous sommes consacrĂ©s Ă notre tĂąche que nous tombons dans le piĂšge du craquage »[8]. DâaprĂšs Freudenberger et Richelson en 1980, le syndrome dâĂ©puisement professionnel se dĂ©veloppe quand les individus ont une image idĂ©alisĂ©e dâeux-mĂȘmes, se perçoivent dynamiques, charismatiques, particuliĂšrement compĂ©tents et finissent par perdre le lien avec leur soi vĂ©ritable[9] - [10].
Dans cette conceptualisation du burnout, les facteurs individuels se voient attribuer un rĂŽle important dans le dĂ©veloppement du syndrome dâĂ©puisement professionnel, car ce sont des individus engagĂ©s et dĂ©vouĂ©s Ă une cause qui sont frappĂ©s. Dans cette optique, le burnout est perçu comme la « maladie du battant[11] ». En 1980, Freudenberger et Richelson le dĂ©finissent ainsi[12] :
« Un Ă©tat de fatigue chronique, de dĂ©pression et de frustration apportĂ© par la dĂ©votion Ă une cause, un mode de vie[13], ou une relation, qui Ă©choue Ă produire les rĂ©compenses attendues et conduit en fin de compte Ă diminuer lâimplication et lâaccomplissement du travail. »
Le rĂŽle prĂ©curseur dâHerbert Freudenberger ne doit pas occulter que le concept d'Ă©puisement est posĂ© en France par Claude Veil dĂšs 1959. MĂȘme s'il ne le dĂ©finit pas comme un syndrome, il dĂ©crit scientifiquement les Ă©tats d'Ă©puisement au travail[14]. De mĂȘme, une psychopathologie consĂ©cutive Ă une situation professionnelle est dĂ©crite dans la littĂ©rature amĂ©ricaine dĂšs 1936 par le mĂ©decin Hans Selye[15] et 1942 par le physiologiste Walter Bradford Cannon[16] : ils dĂ©finissent la physiopathologie du stress notamment chez les infirmiĂšres (« stress des infirmiĂšres »). + modĂšle transactionnel du stress (Lazarus & Folkman, 1984) sur lequel s'est appuyĂ© Maslach pour Ă©laborer sa thĂ©orie.
Christina Maslach et les relations interpersonnelles
Christina Maslach, chercheuse en psychologie sociale, compte parmi ceux qui ont contribuĂ© Ă imposer le concept et Ă asseoir sa validitĂ©. Dans un texte datant de 1993, elle relate comment les recherches quâelle a menĂ©es au cours des annĂ©es 1970 lâont conduite, un peu par hasard explique-t-elle, Ă dĂ©couvrir elle aussi le syndrome dâĂ©puisement professionnel[17], alors quâelle sâintĂ©resse aux stratĂ©gies utilisĂ©es pour faire face aux Ă©tats dâactivation Ă©motionnelle, en particulier lâinquiĂ©tude distante et lâobjectivation comme autodĂ©fense[18] - [19] - [20].
Lâ« inquiĂ©tude distante » renvoie par exemple chez un mĂ©decin Ă lâattitude idĂ©ale combinant compassion et dĂ©tachement Ă©motionnel. Si le mĂ©decin est soucieux du bien-ĂȘtre de son patient, il est Ă©galement attentif Ă maintenir une objectivitĂ© en Ă©vitant une trop grande implication. Le concept dâ« objectivation comme autodĂ©fense », notion introduite par Philip Zimbardo en 1970[21], exprime lâidĂ©e de se protĂ©ger du dĂ©bordement Ă©motionnel en considĂ©rant des « cas » plutĂŽt que des personnes. Face Ă une maladie grave, Ă un Ă©tat particuliĂšrement prĂ©occupant, il est en effet plus facile pour un mĂ©decin de soigner sâil oublie lâindividu qui souffre et se consacre au « cas » et Ă ses symptĂŽmes.
ArmĂ©e thĂ©oriquement de ces deux concepts, Christina Maslach dĂ©marre ensuite un programme de recherches[22] par des entretiens auprĂšs de professionnels du champ mĂ©dical[n 3] puis du champ de la santĂ© mentale (psychiatres, infirmier(e)s de secteur psychiatrique, etc.). Lâanalyse dĂ©voile plusieurs thĂšmes : dâabord, si les expĂ©riences Ă©motionnelles peuvent ĂȘtre gratifiantes (certains patients guĂ©rissent, en effet, grĂące aux efforts du professionnel), elles sont le plus souvent stressantes (travailler avec des patients difficiles, dĂ©plaisants, avoir de mauvaises nouvelles Ă annoncer, ĂȘtre en conflit avec les collĂšgues font partie des facteurs de stress). Ensuite, les professionnels sont incapables dâatteindre le dĂ©tachement. Avec le temps, ils adoptent en effet des attitudes nĂ©gatives envers leurs patients. Enfin, ils interprĂštent leurs expĂ©riences Ă©motionnelles comme des Ă©checs et sâinterrogent sur leurs capacitĂ©s Ă travailler dans ce secteur, dĂ©prĂ©ciant ainsi leurs compĂ©tences.
DĂ©crivant par hasard les rĂ©sultats de ses premiĂšres analyses Ă un magistrat, Christina Maslach sâentend dire quâun phĂ©nomĂšne similaire apparaĂźt chez les avocats exerçant auprĂšs de personnes en situation de difficultĂ© sociale[23]. Ces avocats nomment mĂ©taphoriquement ce phĂ©nomĂšne « burnout ». Le terme, que retient aussi Christina Maslach, est en effet « dans lâair ». Il dĂ©signe une manifestation qui reste Ă Ă©tudier Ă ce moment-lĂ .
Puisque le burnout semble commun aux professionnels de la santĂ© et aux avocats, Christina Maslach Ă©met lâhypothĂšse que travailler avec dâautres, en particulier dans une relation dâaide, est au cĆur du phĂ©nomĂšne. Ă lâinverse dâHerbert Freudenberger qui insiste sur les facteurs personnels[24], elle situe davantage les causes du burnout dans lâenvironnement du travail et ses conditions. Elle cherche Ă valider cette idĂ©e en menant des entretiens auprĂšs dâautres groupes professionnels dont lâactivitĂ© suppose aussi une implication relationnelle. Dans tous les cas des thĂšmes rĂ©currents Ă©mergent de lâanalyse : Ă©puisement Ă©motionnel, attitudes distantes, nĂ©gatives envers les clients ou les patients. Ă lâĂ©vidence, ces manifestations prĂ©sentent une rĂ©gularitĂ© Ă travers les diffĂ©rentes professions.
Ces manifestations ne sont pas une rĂ©ponse produite par quelques individus, mais un problĂšme relativement rĂ©pandu. Ainsi le terme burnout semble combler un vide en Ă©tiquetant un phĂ©nomĂšne jusquâici sans nom mais pourtant trĂšs prĂ©sent dans le monde du travail[25]. Il a Ă©tĂ© sĂ©parĂ© dĂšs le dĂ©part des affections psychologiques inter-psychiques pour ĂȘtre apparentĂ© aux dĂ©sordres psychosociaux[26].
Câest dans un texte tout aussi descriptif que celui de Herbert Freudenberger[27] que Christina Maslach[28] relate les rĂ©sultats de ses premiĂšres investigations. Si Freudenberger parle du « dynamisme du burnout[29] », Maslach Ă plusieurs reprises dans son texte emploie a contrario le terme de « craquage » liĂ© au burnout. Elle observe que ce « craquage » est suivi dâune perte dâefficacitĂ© dans les services de santĂ© et dâaction sociale, dâun absentĂ©isme et dâun taux de rotation du personnel Ă©levĂ©. Il provoque aussi une dĂ©tĂ©rioration du bien-ĂȘtre physique : « Les professionnels sont Ă©puisĂ©s, frĂ©quemment malades et peuvent souffrir dâinsomnies, dâulcĂšres et de maux de tĂȘte [âŠ] Afin de surmonter ces problĂšmes physiques, le travailleur peut se tourner vers les tranquillisants, la drogue [âŠ] Le burnout est encore associĂ© Ă des manifestations comme lâalcoolisme, la maladie mentale, les conflits conjugaux ou le suicide ».
Dans le mĂȘme texte, Christina Maslach insiste particuliĂšrement sur les modalitĂ©s de mise Ă distance ou de dĂ©sengagement, autant de stratĂ©gies verbales qui consistent Ă catĂ©goriser les clients sous des labels abstraits (tels : « mes dossiers »), techniques (comme : « câest un coronaire »), ou encore stigmatisants (lâappellation « pauvres » par exemple). Dâautres stratĂ©gies existent par ailleurs : parmi les principales, mise Ă distance physique et strict respect du rĂšglement sont autant dâattitudes qui permettent de limiter les implications personnelles. Christina Maslach utilise le terme de « dĂ©personnalisation » pour dĂ©signer ces attitudes, bien Ă©loignĂ©es de lâinquiĂ©tude distante.
PremiĂšres Ă©tudes cliniques
Câest donc Ă partir dâobservations, dâentretiens, voire dâanalyses dâexpĂ©riences personnelles (Herbert Freudenberger a en effet lui-mĂȘme Ă©tĂ© atteint de burnout)[30] que les recherches ont commencĂ© Ă sâorganiser.
Les annĂ©es 1975 Ă 1980[31] ont vu paraĂźtre quantitĂ© dâarticles dans des revues professionnelles. Ces publications Ă©taient traversĂ©es par des prĂ©occupations plus pragmatiques quâacadĂ©miques. Le plus souvent la nature stressante dâune activitĂ© Ă©tait dĂ©crite, quelques Ă©tudes de cas cliniques illustraient le propos et les auteurs avançaient diverses recommandations. Les similitudes entre ces diffĂ©rents Ă©crits sont :
- certaines professions sont plus « Ă risque » que dâautres, notamment celles :
- Ă fortes sollicitations mentales, Ă©motionnelles et affectives,
- Ă forte responsabilitĂ© notamment vis-Ă -vis dâautres personnes,
- oĂč lâon cherche Ă atteindre des objectifs difficiles, voire impossibles,
- oĂč il existe un fort dĂ©sĂ©quilibre entre les tĂąches Ă accomplir et les moyens mis en Ćuvre,
- oĂč il existe une ambiguĂŻtĂ© ou un conflit de rĂŽles ;
- certaines personnes sont plus « Ă risque » que dâautres :
- personnes ayant des idéaux de performance et de réussite,
- personnes liant lâestime de soi[32] Ă leurs performances professionnelles,
- personnes sans autre centre dâintĂ©rĂȘt que leur travail,
- personnes se réfugiant dans leur travail et fuyant les autres aspects de leur vie ;
- les différents symptÎmes rencontrés dans le burnout sont :
- les douleurs généralisées,
- le manque dâattention,
- lâinsomnie,
- lâirritabilitĂ©,
- lâimpatience,
- lâĂ©puisement physique et psychologique,
- le manque de motivation pour se lever et aller travailler.
Cependant Christina Maslach et Wilmar Schautfeli[33] notent que ces premiers écrits se caractérisent par les points suivants :
- dâun auteur Ă lâautre, la signification du terme burnout nâest pas nĂ©cessairement la mĂȘme ;
- le terme inclut tout un ensemble de « crises » que peut connaßtre un individu, au risque de tout englober et ne plus rien désigner ;
- ces premiers Ă©crits ne reposent pas sur des donnĂ©es empiriques, mais sur des Ă©tudes de cas isolĂ©s. Ils sâintĂ©ressent en particulier aux symptĂŽmes que dĂ©veloppent les individus atteints de burnout.
Les psychologues Baron Perlman et Alan Hartman[34] montrent à quel point la premiÚre phase de cette recherche scientifique est marquée par une dispersion des conceptions. Ils recensent dans les articles publiés entre 1974 et 1980 quarante-huit définitions différentes. Parmi celles-ci, on trouve des idées aussi disparates que :
- Ă©chouer, sâĂ©puiser ;
- perte de créativité ;
- perte dâimplication au travail ;
- duretĂ© des collĂšgues, du travail et de lâinstitution ;
- rĂ©ponse au stress chronique liĂ© au fait de rĂ©ussir, « dâaller loin » ;
- syndrome dâattitudes inappropriĂ©es envers les clients et envers soi-mĂȘme.
Ils avancent toutefois une synthÚse de toutes ces définitions[35] :
« Le burnout est une réponse au stress émotionnel chronique avec trois dimensions :
- lâĂ©puisement Ă©motionnel ou physique,
- la diminution de la productivité,
- la surdépersonnalisation. »
On comprend que ce syndrome ait dâabord alertĂ© les praticiens, puisquâils courent le risque de le rencontrer chez leurs collĂšgues ou dâĂȘtre eux-mĂȘmes confrontĂ©s Ă ces manifestations au cours de leurs activitĂ©s, mais ils Ă©taient peu entraĂźnĂ©s Ă concevoir des recherches systĂ©matiques ainsi que plus prĂ©occupĂ©s Ă Ă©laborer des interventions que des thĂ©ories. Autrement dit, leur intĂ©rĂȘt porte sur « la façon de rĂ©soudre le problĂšme, plutĂŽt que sur les moyens de le conceptualiser[36] ».
Inversement, les chercheurs se sont dâabord dĂ©tournĂ©s du problĂšme, estimant quâavec la notion de burnout, ils ont affaire à « quelque chose » de pseudo-scientifique.
« Le premier livre de Christina Maslach et Susan Jackson[37] consacrĂ© au dĂ©veloppement dâune Ă©chelle de mesure du burnout et Ă ses propriĂ©tĂ©s psychomĂ©triques a Ă©tĂ© retournĂ© par une premiĂšre maison dâĂ©dition avec un mot stipulant : « nous ne publions pas de psychologie populaire ». Depuis, cet instrument de mesure est reconnu internationalement et utilisĂ© dans des recherches publiĂ©es dans les revues scientifiques les plus prestigieuses[38] »
Syndrome tridimensionnel
Câest au dĂ©but des annĂ©es 1980 que les premiĂšres recherches empiriques systĂ©matiques ont Ă©tĂ© publiĂ©es. La notion de burnout fut alors plus clairement dĂ©finie et conceptualisĂ©e. Christina Maslach, Ă partir de ses recherches basĂ©es sur des entretiens[40], utilise dans un premier temps une dĂ©finition provisoire selon laquelle le syndrome recouvre deux dimensions. La premiĂšre, lâĂ©puisement Ă©motionnel, correspond Ă lâassĂšchement des ressources et Ă la perte de motivation. La seconde, la dĂ©personnalisation, renvoie aux attitudes distantes et nĂ©gatives envers les clients, patients et autres relations des professionnels Ă©tudiĂ©s par Christina Maslach.
MĂȘme si ses recherches rĂ©vĂšlent des pistes prometteuses, elles reposent encore trop sur un nombre limitĂ© de cas individuels. Christina Maslach souhaite entreprendre des investigations plus systĂ©matiques, avec mĂ©thode et rigueur. Elle veut aussi sâadresser Ă des Ă©chantillons plus larges, Ă des fins comparatives, et tenir compte des contextes situationnels. Ă ce stade, « la question clĂ© Ă©tait le dĂ©veloppement dâune dĂ©finition plus prĂ©cise du burnout et la construction dâune mesure standardisĂ©e »[41] explique-t-elle. Elle a donc menĂ© (avec Kathy Kelly[42], Ayala Pines[43] et Susan Jackson[44]) des enquĂȘtes par questionnaire et conduit un programme de recherches psychomĂ©triques pour aboutir Ă une dĂ©finition plus opĂ©rationnelle et Ă une Ă©chelle de mesure valide.
Au cours de ses recherches prĂ©liminaires par entretiens, Christina Maslach a recueilli un vaste registre dâĂ©motions et dâattitudes exprimant lâusure ressentie, jalonnant ce phĂ©nomĂšne quâelle ambitionne de mieux cerner. Elle regroupe lâensemble de ces expressions sur une Ă©chelle composĂ©e de quarante-sept items[45]. Cette Ă©chelle, reprĂ©sentant lâĂ©tendue des expĂ©riences associĂ©es au phĂ©nomĂšne dâĂ©puisement professionnel, a Ă©tĂ© administrĂ©e Ă un Ă©chantillon de six cent cinq personnes rĂ©parties dans plusieurs corps professionnels[n 4]. Les analyses statistiques confirment bien la prĂ©sence des deux dimensions dĂ©jĂ mises Ă jour, Ă©puisement Ă©motionnel et dĂ©personnalisation, mĂȘme si, en fait, quatre dimensions prĂ©sentent des poids factoriels suffisants pour ĂȘtre retenues. Ces analyses sont rĂ©parties sur vingt-cinq items. Soumis Ă un nouvel Ă©chantillon de quatre cent vingt personnes, ces derniers donnent toujours les quatre mĂȘmes dimensions correspondant aux significations suivantes : Ă©puisement Ă©motionnel, dĂ©personnalisation, sentiments de rĂ©duction de lâaccomplissement personnel et implication. Le dernier facteur, lâimplication, ne sera retenu que provisoirement. Christina Maslach et Susan Jackson dĂ©finissent ensuite le burnout comme « un syndrome dâĂ©puisement Ă©motionnel, de dĂ©personnalisation et de rĂ©duction de lâaccomplissement personnel qui apparaĂźt chez les individus impliquĂ©s professionnellement auprĂšs dâautrui »[46].
LâĂ©puisement Ă©motionnel renvoie au manque dâĂ©nergie, au sentiment que les ressources Ă©motionnelles sont Ă©puisĂ©es. La personne est « vidĂ©e nerveusement »[47] et a perdu tout son entrain ; elle nâest plus motivĂ©e par son travail qui devient dĂšs lors une corvĂ©e. Elle ne rĂ©alise plus les tĂąches quâelle effectuait auparavant et en ressent frustrations et tensions. LâĂ©puisement Ă©motionnel est souvent liĂ© au stress et Ă la dĂ©pression. Autant les conceptions thĂ©oriques que les rĂ©sultats empiriques actuels lui donnent un rĂŽle central dans le processus dâĂ©puisement professionnel.
La dĂ©personnalisation reprĂ©sente la dimension interpersonnelle du syndrome dâĂ©puisement professionnel. Elle renvoie au dĂ©veloppement dâattitudes impersonnelles, dĂ©tachĂ©es, nĂ©gatives, cyniques, envers les personnes dont on sâoccupe[n 5]. Lâindividu ne se sent plus concernĂ© par son travail et dresse une barriĂšre qui lâisole de ses clients et de ses collĂšgues. Parler de « lâappendicite de la chambre 22 » est un exemple de ces attitudes. La dĂ©personnalisation peut prendre des formes plus dures et sâexprimer Ă travers des attitudes et des comportements de rejet, de stigmatisation, de maltraitance. Il sâagit dâune stratĂ©gie mal adaptĂ©e, destinĂ©e Ă faire face Ă lâĂ©puisement des ressources internes en mettant Ă distance les bĂ©nĂ©ficiaires de lâaide, ou en rendant leurs demandes illĂ©gitimes.
Cette attitude permet de sâadapter Ă lâeffondrement de lâĂ©nergie et de la motivation. Les clients, les usagers, les patients, les Ă©lĂšves Ă©tant perçus sur un mode nĂ©gatif, leurs demandes, leurs besoins apparaissent moins pressants, moins urgents Ă rĂ©soudre. Le terme de « dĂ©personnalisation » peut prĂȘter Ă confusion vu quâil dĂ©signe aussi lâĂ©tat psychique oĂč domine lâimpression dâĂȘtre Ă©tranger Ă soi-mĂȘme. Le terme de « dĂ©shumanisation »[48] aurait pu ĂȘtre choisi, mais sa connotation est Ă©videmment trop extrĂȘme pour quâil soit retenu.
Le manque ou la rĂ©duction de lâaccomplissement personnel concerne Ă la fois la dĂ©valorisation de son travail et de ses compĂ©tences, la croyance que les objectifs ne sont pas atteints, la diminution de lâestime de soi[49] et du sentiment dâauto-efficacitĂ©. La personne ne sâattribue aucune capacitĂ© Ă faire avancer les choses, convaincue de son inaptitude Ă rĂ©pondre efficacement aux attentes de son entourage. Lâaccomplissement personnel reprĂ©sente la dimension auto-Ă©valuative du syndrome dâĂ©puisement professionnel.
Quelques auteurs mis Ă part[50], un consensus se dĂ©gage dans les annĂ©es 2000 pour affirmer que le syndrome dâĂ©puisement professionnel dĂ©marre avec lâĂ©puisement Ă©motionnel. Celui-ci entraĂźne par la suite la dĂ©personnalisation. LâĂ©puisement Ă©motionnel rĂ©duit lâaccomplissement personnel[51] soit directement, soit Ă travers la dĂ©personnalisation. On considĂšre que lâĂ©puisement Ă©motionnel reprĂ©sente lâĂ©lĂ©ment affectif du syndrome dâĂ©puisement professionnel tandis que les deux autres dimensions, la dĂ©personnalisation et la rĂ©duction de lâaccomplissement personnel constituent les Ă©lĂ©ments attitudinaux ou cognitifs[52].
Maslach Burnout Inventory's comme outil de mesure
Ces trois facteurs et les items qui les composent ont Ă©tĂ© utilisĂ©s pour constituer la mesure du syndrome dâĂ©puisement professionnel. Cette mesure formĂ©e de trois sous-Ă©chelles est aujourdâhui largement validĂ©e[54]. Il sâagit du Maslach Burnout Inventoryâs (acronyme : « MBI »)[37]. Les premiĂšres Ă©tudes sur le MBI ont Ă©tĂ© publiĂ©es en 1996 par Susan Jackson, Michael Leiter et Christina Maslach. Simple dâutilisation, cet inventaire a permis de mesurer le syndrome dâĂ©puisement professionnel auprĂšs de groupes importants et dâen Ă©tudier systĂ©matiquement les causes. « AdaptĂ© en plusieurs langues, il est de loin lâinstrument le plus employĂ© pour mesurer le syndrome dâĂ©puisement professionnel[55]. » Les quĂ©bĂ©cois Dion et Tessier ont validĂ© la version française de l'outil en 1994[56]
Le MBI est constituĂ© de vingt-deux items : neuf pour lâĂ©puisement Ă©motionnel, cinq pour la dĂ©personnalisation et huit pour lâaccomplissement personnel. Chaque item reprĂ©sente une facette de lâĂ©valuation que le sujet peut faire de son travail. La personne interrogĂ©e indique la frĂ©quence selon laquelle elle Ă©prouve le sentiment en question. LâĂ©puisement, la dĂ©personnalisation et la rĂ©duction de lâaccomplissement personnel sont mesurĂ©s sĂ©parĂ©ment. Autrement dit, lâindividu nâa pas un score global de burnout, mais un score pour chacune des trois dimensions. Le terme burnout continue de dĂ©signer globalement ces trois dimensions qui pourtant sont distinctes, mĂȘme si elles sont liĂ©es au sein dâun seul construct thĂ©orique qui les subsume : « Les recherches qui ont Ă©tudiĂ© la validitĂ© du MBI ont confirmĂ© quâune structure Ă trois dimensions correspondait mieux aux donnĂ©es quâune structure Ă deux ou Ă une seule dimension[57] ».
Copenhagen Burnout Inventory (CBI) (Kristensen et al., 2005)
Il s'agit lĂ encore d'un inventaire auto-administrĂ©[58], câest-Ă -dire rempli par le rĂ©pondant lui-mĂȘme.
Il explore lui aussi trois dimensions[59] :
- le burnout personnel est «le degrĂ© de fatigue et dâĂ©puisement physiques et psychologiques ressenti par le sujet ». Les questions ont volontairement Ă©tĂ© rĂ©digĂ©es pour que tout ĂȘtre humain puisse y rĂ©pondre ;
- le burnout liĂ© au travail dĂ©signe « le degrĂ© de fatigue et dâĂ©puisement physiques et psychologiques perçus par le sujet comme Ă©tant liĂ© Ă son travail » (le travail supposant ici une rĂ©tribution, de quelque nature quâelle soit) ;
- le burnout liĂ© Ă lâusager dĂ©signe «le degrĂ© de fatigue et dâĂ©puisement physiques et psychologiques perçus par le sujet comme Ă©tant liĂ© Ă son travail avec les usagers ». Le terme original « client », que nous traduisons par « usager » englobe les personnes en faveur desquelles le travail est rĂ©alisĂ© (patients, dĂ©tenus, enfants, rĂ©sidents, Ă©tudiants, Ă©lĂšves, etc.), et non aux clients commerciaux et aux collĂšgues.
InfluencĂ© par la psychologie de la santĂ©, le CBI replace donc la fatigue et lâĂ©puisement au cĆur du concept de burnout. Surtout, il fait la part belle aux processus dâattribution causale, grĂące auxquels le sujet essaie dâexpliquer, de comprendre et de juger un phĂ©nomĂšne â câest-Ă -dire de donner un sens Ă ses symptĂŽmes psychologiques et somatiques. La mĂ©diatisation du burnout contribue Ă lâauto-entretien du phĂ©nomĂšne car «plus les professionnels des services Ă la personne ont connaissance des rĂ©sultats de la recherche sur le burnout, plus ils ont tendance Ă considĂ©rer le burnout comme consĂ©quence peut-ĂȘtre inĂ©luctable de leur propre travail » (Kristensen et al., 2005).
Le CBI[60] a montrĂ© de solides qualitĂ©s psychomĂ©triques, Ă la fois analytiques et prĂ©dictives. Lâautonomie de chacune de ses trois sous-Ă©chelles permet notamment des approches discriminantes assez fines, par exemple en fonction de la profession Ă©tudiĂ©e.
DĂ©finitions
ParallĂšlement au travail de Christina Maslach dâautres dĂ©finitions ou conceptions sont apparues Ă la mĂȘme Ă©poque et ont marquĂ© les recherches. Parmi celles-ci, se trouvent les modĂšles de Cary Cherniss et de Ayala Pines.
Vision transactionnelle de Cary Cherniss
Cary Cherniss propose une vision transactionnelle du syndrome dâĂ©puisement professionnel. Pour les approches transactionnelles, le stress et le burnout sont le produit dâune relation humaine oĂč lâindividu et lâenvironnement ne sont pas des entitĂ©s sĂ©parĂ©es, mais les composants dâun processus dans lequel ils sâinfluencent mutuellement et continuellement[61].
Le modĂšle de Cary Cherniss repose sur lâanalyse qualitative dâentretiens approfondis menĂ©s Ă plusieurs reprises entre 1974 et 1976[62] auprĂšs de vingt-sept professionnels dans leur premiĂšre annĂ©e dâexercice : avocats, enseignants, infirmiĂšres de santĂ© publique, professionnels de santĂ© mentale. Cary Cherniss observe une profonde dĂ©sillusion chez ces dĂ©butants. DâaprĂšs lui, le syndrome dâĂ©puisement professionnel provient dâun dĂ©sĂ©quilibre entre les ressources de lâindividu, quâelles soient personnelles[n 6] - [63] ou organisationnelles[n 7] et les exigences du travail.
Ce dĂ©sĂ©quilibre rĂ©sulte des Ă©carts entre attentes initiales et rĂ©alitĂ© de terrain. Le comportement des clients difficiles, peu coopĂ©rants voire agressifs, tranche avec une vision souvent idĂ©alisĂ©e de la relation humaine dâaide ou de lâenseignement. Les rĂšglements et les procĂ©dures Ă suivre, les tĂąches administratives Ă©galement, limitent lâautonomie dâaction espĂ©rĂ©e dans ces professions. Un travail souvent routinier contraste avec les envies de tĂąches variĂ©es, de stimulations, dâaccomplissement. Le manque de coopĂ©ration entre collĂšgues, voire les conflits interpersonnels, sâajoutent Ă ces Ă©carts entre attentes et rĂ©alitĂ©.
Face Ă un environnement de travail dĂ©cevant, la motivation initiale sâĂ©tiole et fait place Ă des attitudes de retrait. Dans ce modĂšle, les sources de stress se situent Ă la fois au niveau du travail (clients difficiles, conflits entre collĂšgues, etc.) et au niveau de lâindividu[n 8] mĂȘme si les premiĂšres ont une place plus importante. Autrement dit, comme chez Herbert Freudenberger qui voit dans le burnout la « maladie du battant »[11], les caractĂ©ristiques individuelles ont leur part explicative dans lâĂ©mergence du phĂ©nomĂšne. Certains individus ont des attentes, des orientations de carriĂšre qui constituent une charge de travail supplĂ©mentaire et les rendent plus sensibles au syndrome dâĂ©puisement professionnel. Pour Cheniss, les diffĂ©rences individuelles concernent Ă©galement les stratĂ©gies dĂ©veloppĂ©es pour faire face aux stresseurs. Certains adoptent des modalitĂ©s actives pour rĂ©soudre les problĂšmes. Dâautres adoptent des attitudes et des comportements nĂ©gatifs. DĂšs lors, au fil du temps, le syndrome dâĂ©puisement professionnel sâinstalle.
Il y a trois Ă©tapes dans cette transaction entre lâindividu et son environnement[64]. La premiĂšre, le stress perçu, provient du dĂ©sĂ©quilibre entre les exigences du travail et les ressources de lâindividu. Ceci conduit Ă la deuxiĂšme Ă©tape, la tension (strain). Il sâagit dâune rĂ©ponse Ă©motionnelle Ă ce dĂ©sĂ©quilibre, rĂ©ponse constituĂ©e de fatigue physique, dâĂ©puisement Ă©motionnel, de tension et dâanxiĂ©tĂ©.
Enfin, ce sont les changements attitudinaux et comportementaux qui marquent la troisiĂšme Ă©tape. On note en particulier une rĂ©duction des buts initiaux et de lâidĂ©alisme, le dĂ©veloppement dâattitudes cyniques, dĂ©tachĂ©es, mĂ©caniques, ou encore une grande complaisance pour ses propres besoins. Cary Cherniss considĂšre quâil sâagit dâun « coping »[n 9] - [65] - [66] dĂ©fensif.
Ces modifications des attitudes et des comportements reprĂ©sentent une « fuite » psychologique qui sâinstalle quand le professionnel ne peut plus soulager son stress en affrontant directement le problĂšme. Pour Cary Cherniss[67], le burnout est « un processus dans lequel un professionnel prĂ©cĂ©demment engagĂ© se dĂ©sengage de son travail en rĂ©ponse au stress et Ă la tension ressentis ».
Des limites Ă©videntes restreignent la portĂ©e du modĂšle de Cary Cherniss. Il se fonde sur un petit nombre dâentretiens et sa rationalitĂ© est spĂ©cifique aux professionnels dĂ©butants. Or les spĂ©cialistes savent que le syndrome dâĂ©puisement professionnel apparaĂźt tout au long dâune vie de travail et quâil en existe une forme plus tardive causĂ© par dâautres facteurs. Toutefois, ce modĂšle, qui explique une des formes possibles du burnout, a Ă©tĂ© validĂ© empiriquement, notamment par Burke en 2004[68].
Approche motivationnelle d'Ayala Pines
Câest une approche motivationnelle que propose Ayala Pines. DâaprĂšs elle, le travail reprĂ©sente pour nombre dâindividus une quĂȘte existentielle. Si cette quĂȘte Ă©choue, le burnout survient. Dans des Ă©tudes quâelle a menĂ©es entre 1988 et 2002, Ayala Pines[69] appuie son argumentation sur le fait suivant : les dĂ©finitions du burnout les plus souvent citĂ©es en font un Ă©tat de fatigue et dâĂ©puisement Ă©motionnel qui reprĂ©sente lâĂ©tat final dâun processus graduel de dĂ©sillusion aprĂšs un Ă©tat initial de motivation et dâimplication Ă©levĂ©es. Elle explique ainsi que « Pour ĂȘtre « consumĂ© », il faut dâabord avoir Ă©tĂ© enflammĂ©. La surcharge de travail, les contraintes administratives, la rĂ©sistance des clients, nâengendrent pas du syndrome dâĂ©puisement professionnel simplement parce quâils entravent lâutilisation des compĂ©tences, mais pour une raison plus profonde : lâimpossibilitĂ© dâutiliser ses compĂ©tences prive lâindividu de la signification quâil recherche dans son travail »[70].
Câest parce que les professionnels ne peuvent avoir lâimpact souhaitĂ© quâils deviennent victimes dâĂ©puisement professionnel. Plus ils sâimpliquent au dĂ©part, plus la probabilitĂ© dâĂȘtre atteint par le syndrome est forte si les conditions de travail sont dĂ©favorables. En fait, le modĂšle proposĂ© par Ayala Pines sâapparente Ă un ensemble de modĂšles dâĂ©tude psychologique du stress et du burnout pour lesquels les tensions de lâindividu proviennent de lâĂ©cart entre lâattente ou la motivation individuelles et la rĂ©alitĂ©. Mais elle situe dans ce dernier, a contrario des autres modĂšles, les attentes individuelles Ă un niveau particulier, celui de la quĂȘte existentielle.
Ces attentes et motivations peuvent ĂȘtre universelles, partagĂ©es par la plupart de ceux qui entrent dans la vie professionnelle : avoir une influence significative, ĂȘtre apprĂ©ciĂ©. Elles peuvent aussi ĂȘtre spĂ©cifiques Ă une profession. Ayala Pines insiste sur le fait que, « si chaque profession attire des vocations particuliĂšres, les professions "aidantes" rĂ©pondent toutes Ă une aspiration commune : faire pour et avec les autres »[71]. Les motivations peuvent ĂȘtre aussi personnelles, câest-Ă -dire inspirĂ©es par une image romantique, une figure charismatique qui a servi de modĂšle identificatoire, etc. Quâelles soient universelles, liĂ©es Ă une profession ou davantage personnelles, elles ne se rĂ©alisent que dans un environnement de travail propice.
BĂ©nĂ©ficier dâautonomie et de soutien social, avoir des activitĂ©s diversifiĂ©es, participer aux prises de dĂ©cision, sont des variables organisationnelles qui favorisent ces motivations. Leur rĂ©alisation renforce les visĂ©es initiales selon une boucle positive, ou « cercle vertueux » de lâimplication. Mais si lâindividu doit se confronter Ă un environnement dĂ©favorable, avec par exemple une surcharge de travail quantitative et qualitative, des pressions bureaucratiques, des exigences contradictoires, il ne peut rĂ©aliser ses objectifs initiaux et tombera dans une boucle nĂ©gative. Pourtant, ce nâest pas lâĂ©chec en tant que tel qui provoque le syndrome dâĂ©puisement professionnel, câest plutĂŽt la perception que quels que soient les efforts, le sujet ne peut prĂ©tendre avoir un impact significatif. Bien sĂ»r, Ayala Pines le fait remarquer, « un environnement de travail nâest jamais totalement positif ou nĂ©gatif mais consiste en un mĂ©lange complexe »[72].
En fait, ce modĂšle nâa pas Ă©tĂ© testĂ© en tant que tel. Il a Ă©tĂ© pensĂ© par Ayala Pines pour interprĂ©ter les rĂ©sultats de ses recherches et observations menĂ©es au cours dâateliers ou de formations sur le burnout. Ayala Pines ne limite pas le syndrome dâĂ©puisement professionnel aux professions « aidantes », ni mĂȘme dâailleurs aux situations de travail. Elle lâa Ă©galement recherchĂ© dans les relations de couple, de 1993 Ă 1994[73] ou au cours de conflits politiques, de 1995 Ă 1996[74].
Différentes définitions du syndrome d'épuisement professionnel
Il existe une multitude de dĂ©finitions du syndrome dâĂ©puisement professionnel parmi lesquelles sont rĂ©pertoriĂ©es ci-dessous les principales (cette liste nâest donc pas exhaustive) :
- « Un état de fatigue et de frustration, de dépression, provoqué par la dévotion à une cause, un mode de vie, ou une relation humaine et qui échoue à produire les résultats espérés[75] ».
- « Un processus dans lequel un professionnel précédemment engagé se désengage de son travail en réponse au stress et aux tensions ressenties[76] ».
- « Le burnout est caractĂ©risĂ© par un Ă©puisement physique, par des sentiments dâimpuissance et de dĂ©sespoir, par un assĂšchement Ă©motionnel et par le dĂ©veloppement du concept de soi nĂ©gatif, et dâattitudes nĂ©gatives envers le travail, la vie et les autres personnes[77] ».
- « Le burnout est un syndrome dâĂ©puisement Ă©motionnel, de dĂ©personnalisation et de rĂ©duction de lâaccomplissement personnel qui apparaĂźt chez les individus impliquĂ©s professionnellement auprĂšs dâautrui[46] ».
- « Le burnout est une réponse au stress émotionnel chronique avec trois dimensions :
- LâĂ©puisement Ă©motionnel ou physique
- La diminution de la productivité
- la surdépersonnalisation[78] ».
- « Une perte progressive dâidĂ©alisme, dâĂ©nergie et de buts, ressentie par les individus dans les professions dâaide Ă cause de leur travail[79] ».
- « Un Ă©tat dâĂ©puisement rĂ©sultant de lâimplication avec des personnes dans des situations exigeantes Ă©motionnellement[80] ».
- « Pour moi, le burnout provient dâinadaptations continues, rarement reconnaissables, et pour la plupart dĂ©niĂ©es entre les caractĂ©ristiques de lâindividu et celles de lâenvironnement. Ces inadaptations sont la source dâun processus dâĂ©rosion psychologique lent et cachĂ©. Ă la diffĂ©rence des autres phĂ©nomĂšnes stressants, les mini-stresseurs liĂ©s aux inadaptations ne causent pas dâalarme et sont rarement sujets Ă des efforts de coping. Ainsi le processus dâĂ©rosion peut continuer longtemps sans ĂȘtre dĂ©tectĂ©[81] ».
- « Un Ă©tat dâĂ©puisement physique, Ă©motionnel et mental causĂ© par lâimplication Ă long terme dans des situations qui sont exigeantes Ă©motionnellement[82] ».
- « Le burnout relĂšve d'une combinaison de fatigue physique, dâĂ©puisement Ă©motionnel et de lassitude cognitive[83] ».
- « Le burnout apparaĂźt quand la rĂ©alisation dâun rĂŽle actif, participant Ă la dĂ©finition de soi, est menacĂ©e ou interrompue et quâaucun rĂŽle alternatif nâest sous la main[84] ».
- « Le burnout est une rĂ©action affective au stress permanent et dont le noyau central est la diminution graduelle, avec le temps, des ressources Ă©nergĂ©tiques individuelles, qui comprennent lâexpression de lâĂ©puisement Ă©motionnel, de la fatigue physique et de la lassitude cognitive[85] ».
MĂ©lange d'Ă©tat et processus
« Les dĂ©finitions du burnout se complĂštent plus quâelles ne sâopposent. On peut les regrouper selon quâelles envisagent le burnout comme un Ă©tat, celui de la personne atteinte, ou comme un processus, celui conduisant Ă lâĂ©tat en question » selon Susan Jackson, dans son ouvrage La Gestion des ressources humaines[86]. En fait, les premiĂšres dĂ©crivent lâaboutissement du processus quâenvisagent les secondes.
Ătat
La dĂ©finition de Christina Maslach et Susan Jackson[87] est la plus connue des dĂ©finitions en termes dâĂ©tat. Pour Wilmar Schaufeli et Dirk Enzmann[88], ces dĂ©finitions varient en fonction de leurs Ă©tendues, de leurs prĂ©cisions et de leurs dimensions. Cependant, elles partagent trois caractĂ©ristiques essentielles :
- les Ă©lĂ©ments dysphoriques dominent, en particulier lâĂ©puisement Ă©motionnel et mental. Les individus manifestent des attitudes nĂ©gatives envers autrui, leur efficacitĂ© et leurs performances diminuent ;
- au niveau de lâĂ©tiologie les attentes inappropriĂ©es et les exigences Ă©motionnelles jouent un rĂŽle majeur ;
- le burnout est causé par le travail et frappe des individus « normaux », sans passé psychopathologique.
Toutefois, ce dernier point est remis en question par le fait que les individus en burnout présentent plus fréquemment un passé dépressif que les individus sans burnout[89].
Il faut par ailleurs noter que des travaux ont rĂ©vĂ©lĂ© un chevauchement massif entre symptĂŽmes du burnout et symptĂŽmes de la dĂ©pression, suggĂ©rant que l'Ă©tat de burnout pourrait ĂȘtre indistinct de la dĂ©pression au plan nosologique[90] - [91] - [92]. La seule Ă©tude Ă ce jour Ă avoir directement comparĂ© les symptĂŽmes d'individus en burnout aux symptĂŽmes de patients dĂ©pressifs suggĂšre que les tableaux cliniques du burnout et de la dĂ©pression sont similaires[92].
Processus
Les dĂ©finitions de Cary Cherniss[93] ou de Yeor Etzion[94] conçoivent clairement le syndrome dâĂ©puisement professionnel comme un processus. Pour Wilmar Schaufeli et Dirk Enzmann[95], les dĂ©finitions en termes de processus affirment que :
- le burnout dĂ©bute avec des tensions qui rĂ©sultent de lâĂ©cart entre les attentes, les intentions, les efforts, les idĂ©aux de lâindividu et les exigences de la rĂ©alitĂ© quotidienne ;
- les stress qui rĂ©sultent dâun tel dĂ©sĂ©quilibre se dĂ©veloppent graduellement. Ils peuvent ĂȘtre ressentis consciemment par lâindividu ou rester ignorĂ©s pendant une longue pĂ©riode ;
- la maniĂšre avec laquelle lâindividu fait face Ă ces stress est cruciale pour le dĂ©veloppement du syndrome dâĂ©puisement professionnel.
Différents domaines
Si la dĂ©finition de Christina Maslach et Susan Jackson[87] a Ă©tĂ© largement retenue, câest entre autres parce quâelle est doublĂ©e dâun des seuls outils de mesure validĂ©s et de maniement facile, la dĂ©finition et lâoutil ayant en effet Ă©tĂ© construits parallĂšlement[96]. Utiliser le Maslach Burnout Inventoryâs suppose Ă©videmment dâaccepter la dĂ©finition correspondante. Celle-ci limite le syndrome dâĂ©puisement professionnel Ă des professions particuliĂšres. Or, en fait, les recherches ont progressivement mis Ă jour les facteurs organisationnels qui agissent sur chacune des dimensions de ce syndrome[97]. Ces facteurs â manque de participation aux prises de dĂ©cision, surcharge du travail, traitement inĂ©quitable entre autres â ne sont pas spĂ©cifiques aux institutions sociales ou mĂ©dico-sociales[98]. Il semble bien que le syndrome dâĂ©puisement professionnel puisse frapper lâensemble des champs professionnels. Par ailleurs, sâil atteint ceux qui sâengagent et entrent dans leur profession avec des attentes Ă©levĂ©es, il semble alors inutile de le restreindre Ă certaines catĂ©gories.
Bien des professions en dehors du secteur social, mĂ©dico-social ou de lâĂ©ducation, et plus gĂ©nĂ©ralement en dehors des relations de services, supposent aussi un engagement important. Wilmar Schaufeli dĂ©crit cela de la maniĂšre suivante : « le syndrome dâĂ©puisement professionnel est prĂ©sent dans toute occupation dans laquelle les individus sont psychologiquement engagĂ©s dans leur travail. Les emplois psychologiquement engageants Ă©puisent les ressources cognitives, Ă©motionnelles et physiques »[99].
Mais la dĂ©finition et la mesure de Christina Maslach et Susan Jackson[87] - [100] doivent ĂȘtre modifiĂ©es pour englober toutes les professions. VoilĂ pourquoi le burnout a Ă©tĂ© reconceptualisĂ©. Il est conçu comme une crise de relation avec son travail et non des relations au travail. Depuis 2007, le Maslach Burnout Inventory a Ă©tĂ© complĂ©tĂ© et adaptĂ© avec les recherches de Michael Leiter et Christina Maslach pour sâadresser Ă lâensemble des individus au travail[101].
Huit des vingt-deux items de la forme initiale du Maslach Burnout Inventoryâs font explicitement rĂ©fĂ©rence aux relations avec les clients et les usagers et quatre autres aux relations en gĂ©nĂ©ral. Par exemple : « Jâai lâimpression de ne pas me soucier vraiment de ce qui peut arriver Ă certains de mes clients. » Ce genre dâitem est inadaptĂ© pour Ă©valuer le syndrome dâĂ©puisement professionnel dâun opĂ©rateur de saisie ou dâun militaire. Au niveau de la dĂ©finition, la premiĂšre dimension, lâĂ©puisement Ă©motionnel nâa pas subi de modification, mais les items ont Ă©tĂ© en partie remaniĂ©s.
La deuxiĂšme dimension, la dĂ©personnalisation qui concerne les attitudes dĂ©veloppĂ©es Ă lâĂ©gard des clients, patients ou Ă©tudiants, exclut bien des activitĂ©s professionnelles. Elle a Ă©tĂ© remplacĂ©e, dans la forme gĂ©nĂ©rale par le cynisme, une des attitudes qui sous-tend la dĂ©personnalisation. Les items concernent le travail en gĂ©nĂ©ral. Quant Ă la troisiĂšme dimension, lâaccomplissement personnel, elle a Ă©tĂ© renommĂ©e en efficacitĂ© professionnelle. « Elle inclut les Ă©valuations personnelles dâauto-efficacitĂ©, le manque dâaccomplissement, le manque de productivitĂ© et lâincompĂ©tence »[102].
L'idĂ©e selon laquelle le burnout serait un trouble « spĂ©cifique du travail » a elle-mĂȘme Ă©tĂ© remise en question[103]. Il a Ă©tĂ© conclu que cette idĂ©e Ă©tait sans fondement logique ou empirique, et qu'il n'y avait aucune raison de supposer qu'Ă©puisement, cynisme, et sentiment d'inefficacitĂ© ne puissent ĂȘtre rencontrĂ©s dans d'autres sphĂšres que celle du travail (e.g., burnout parental, conjugal, familial, gĂ©nĂ©ral). Ainsi, la limitation de l'investigation du burnout Ă l'univers professionnel procĂšde d'un choix arbitraire, non d'une nĂ©cessitĂ© phĂ©nomĂ©nologique[103] - [104].
Différentes formes et évolution
Avec Herbert J. Freudenberger, le syndrome dâĂ©puisement professionnel a Ă©tĂ© observĂ© dans un contexte oĂč le travail reprĂ©sentait pour de nombreux jeunes professionnels un engagement qui sâaccorde avec la dĂ©fense de causes collectives[105]. Ce sont de jeunes idĂ©alistes quâil nous dĂ©crit en 1974[106]. Pour lui, le syndrome dâĂ©puisement professionnel provient de lâĂ©cart entre un idĂ©al de changement et la rĂ©alitĂ© de lâenvironnement de travail. Dans le domaine de lâaide sociale par exemple, les professionnels arrivent sur le terrain avec des images souvent idĂ©alisĂ©es Ă la fois de leurs futures activitĂ©s et des relations quâils entretiennent avec leurs clients ou leurs patients[107]. Ainsi, on observe rapidement chez eux un niveau particuliĂšrement Ă©levĂ© de burnout.
Il sâagit ici dâune des origines possibles du syndrome dâĂ©puisement professionnel. Les spĂ©cialistes sâaccordent aujourdâhui sur le fait quâil prend sa source dans lâenvironnement de travail[108] et quâil est le rĂ©sultat dâune interaction entre des stresseurs interindividuels[109] ou organisationnels[110] et des facteurs individuels[111] Ă©galement. La nature du syndrome dâĂ©puisement professionnel peut changer si la nature des pressions qui sâexercent sur lâindividu change aussi[112].
Sâil est vrai que lâĂ©cart entre les attentes professionnelles et la rĂ©alitĂ© quotidienne de lâemploi est toujours source dâĂ©puisement professionnel[113], dans les annĂ©es 2000 il ne sâagit plus des mĂȘmes attentes ni de la mĂȘme rĂ©alitĂ©. Le travail ne fait plus vivre les valeurs des annĂ©es 1970. La rĂ©ussite professionnelle nâest plus lâobjet des mĂȘmes reprĂ©sentations. La poursuite du statut social, lâargent, la simple nĂ©cessitĂ© de trouver un emploi et de le garder, tous les motifs plus centrĂ©s sur soi, sont devenus des prioritĂ©s[114]. Ă titre dâexemple, Donna McNeese Smith[115] et John Crook[116] trouvent que des jeunes infirmiĂšres amĂ©ricaines valorisent davantage lâaspect Ă©conomique que leurs aĂźnĂ©es. Dans la mĂȘme veine, des jeunes mĂ©decins français commencent davantage leur carriĂšre avec des valeurs tournĂ©es vers leur vie privĂ©e, comparativement Ă leurs collĂšges plus anciens qui commencent leurs vies professionnelles avec des valeurs dâengagement social[117].
Lâenvironnement du travail sâest lui-mĂȘme considĂ©rablement modifiĂ©. En quelques dizaines dâannĂ©es, lâinfluence de facteurs Ă©conomiques, socioculturels, politiques et technologiques, a redessinĂ© le cadre de vie et les conditions de travail[118] - [119]. Les spĂ©cialistes sâaccordent Ă dire que le syndrome dâĂ©puisement professionnel Ă©volue selon 4 phases[120] :
- la phase dâalarme : le stress persistant cause lâapparition de rĂ©actions caractĂ©ristiques indiquant la prĂ©sence de stresseurs ;
- la phase de rĂ©sistance : les stresseurs persistent malgrĂ© la disparition physique des rĂ©actions caractĂ©ristiques de la phase dâalarme, le mĂ©tabolisme sâadapte Ă la situation et le corps devient plus rĂ©sistant ;
- la phase de rupture : lâexposition continue aux stresseurs crĂ©e une rupture entraĂźnant la rĂ©apparition des rĂ©actions caractĂ©ristiques de la phase dâalarme tout en les rendant irrĂ©versibles sans traitement appropriĂ© ;
- la phase dâĂ©puisement : les dĂ©fenses psychologiques du patient sont dĂ©rĂ©glĂ©es, il se rend donc Ă©motionnellement invalide et vit dans une perpĂ©tuelle angoisse.
Trois formes d'Ă©puisement professionnel ou davantage
DâaprĂšs Christine FĂ€rber dans une publication de 2000[121], les individus ne sont plus atteints par la forme traditionnelle du syndrome dâĂ©puisement professionnel, celle dans laquelle la poursuite utopique de buts Ă©levĂ©s socialement significatifs se heurtait Ă la rĂ©sistance dâun environnement de travail qui anĂ©antit les espoirs professionnels : « le syndrome dâĂ©puisement professionnel qui prĂ©vaut aujourdâhui est marquĂ© par le fait que les individus ont une multitude dâobligations, des pressions externes croissantes, des exigences grandissantes de la part des autres, une limitation des possibilitĂ©s de sâengager et des salaires qui ne compensent que partiellement les efforts fournis. »[122].
Il existerait donc trois espĂšces dâĂ©puisement professionnel :
- le burnout-Ă©puisement dans lequel lâindividu, soit abandonne, soit fait parfaitement son travail, mais se trouve confrontĂ© Ă trop de stress et Ă trop peu de gratifications[123] ;
- le burnout classique ou frĂ©nĂ©tique dans lequel lâindividu travaille de plus en plus dur, jusquâĂ lâĂ©puisement, Ă la poursuite de gratifications ou dâaccomplissement pour compenser lâĂ©tendue du stress ressenti[124] ;
- le burnout néfaste contraste lui avec les deux précédents. Il apparaßt non pas à cause de tensions excessives, mais à cause de conditions de travail monotones et peu stimulantes[125].
Câest donc une erreur de considĂ©rer le syndrome dâĂ©puisement professionnel sous une seule forme. Les recherches sur les liens entre justice perçue et syndrome dâĂ©puisement professionnel apportent indirectement appui Ă cette hypothĂšse[126]. Par exemple, le fait de trouver des degrĂ©s Ă©levĂ©s de burnout Ă la fois chez les mĂ©decins qui jugent trop fort leur investissement auprĂšs des patients et chez des mĂ©decins qui le jugent trop faible[n 10] corrobore bien lâidĂ©e que le syndrome dâĂ©puisement professionnel est multiforme[127] - [128]. Il est difficilement concevable que les surinvestisseurs et les sous-investisseurs ressentent le mĂȘme type dâĂ©puisement professionnel. Câest un enjeu des travaux actuels que dâidentifier les Ă©tats et processus qui contribuent aux diverses formes du syndrome dâĂ©puisement professionnel.
Selon lâInstitut national de recherche et de sĂ©curitĂ©, un tiers des travailleurs europĂ©ens se plaignent de problĂšmes de santĂ© liĂ©s Ă un travail stressant. D'aprĂšs lâOrganisation mondiale de la santĂ©, les trois pays oĂč les dĂ©pressions liĂ©es au travail Ă©taient les plus nombreuses en 2010[n 11] sont :
- les Ătats-Unis,
- lâUkraine,
- la France.
Ce phĂ©nomĂšne a dâabord Ă©tĂ© repĂ©rĂ© dans des professions dâaide[3], de soins[129] ou de formation[130]. Une Ă©tude rĂ©alisĂ©e en France estime en effet que le coĂ»t direct et indirect du stress peut ĂȘtre Ă©valuĂ© entre 830 000 000 ⏠et 1 656 000 000 ⏠par an, ce qui Ă©quivaut Ă 10 Ă 20 % du budget de la branche accidents du travail / maladies professionnelles de la SĂ©curitĂ© sociale[131].
Pathologie de civilisation
Le burn-out peut ĂȘtre regardĂ© comme une pathologie de civilisation, c'est-Ă -dire un trouble miroir qui reflĂšte certains aspects sombres de l'organisation sociale contemporaine, notamment le culte de la performance et de l'urgence, la concurrence exacerbĂ©e ou encore la gĂ©nĂ©ralisation des mĂ©thodes d'Ă©valuation[132] - [133]. Dans Global burn-out, le philosophe Pascal Chabot analyse la maniĂšre dont le technocapitalisme et son dĂ©sir de « progrĂšs utile » peut avoir un impact nocif sur les psychismes humains, et propose de dĂ©velopper plutĂŽt un progrĂšs « subtil »[134]. De maniĂšre similaire, dans The Burnout Society, le philosophe Byung-Chul Han explique les phĂ©nomĂšnes de dĂ©pression et de burnout comme dĂ©coulant d'une pression constante, fruit du capitalisme, que les individus exercent sur eux mĂȘmes, afin d'ĂȘtre toujours plus performants[135].
Malgré son succÚs médiatique et sa popularité auprÚs du grand public, le syndrome d'épuisement professionnel n'est pas reconnu comme un trouble à part entiÚre dans les classifications nosologiques internationales de référence comme la CIM-10 ou le DSM-5[136]. Il n'existe pas à l'heure actuelle de critÚres communément acceptés au sein du monde médical pour le diagnostiquer[137].
Un nombre grandissant d'études suggÚre que le burnout ne serait ni plus ni moins qu'un syndrome dépressif secondaire à un stress professionnel chronique[138] - [139] - [140].
Causes
Les variables gĂ©nĂ©ratrices du syndrome dâĂ©puisement professionnel se situent schĂ©matiquement Ă trois niveaux : organisationnel, interindividuel et intraindividuel. Il est Ă noter que le rĂŽle des technologies de l'information et de la communication (TIC) est de plus en plus discutĂ© par les sociologues. En effet, leur Ă©volution pourrait contribuer au mĂ©lange des plages de travail et de repos (phĂ©nomĂšne de weisure = work + leisure), conduisant ainsi Ă un enchaĂźnement ininterrompu des causes sous-citĂ©es. Bien que les pionniers de la recherche sur le burnout aient postulĂ© que la cause principale du burnout Ă©tait le stress professionnel, la mĂ©ta-analyse la plus sophistiquĂ©e Ă ce jour indique que le burnout est en fait faiblement prĂ©dit par le stress professionnel[142].
Organisationnelles
Au niveau organisationnel, on Ă©tudie lâinfluence du contenu de lâactivitĂ© et celle du contexte dans lequel elle se dĂ©roule.
La surcharge de travail, le rythme des tĂąches Ă effectuer, la pression du temps, les horaires longs, imprĂ©visibles, un travail monotone, peu stimulant, avec des procĂ©dures standardisĂ©es, sont des exemples de variables reflĂ©tant le contenu de lâactivitĂ©[143]. Un des processus majeurs qui sous-tendent leur lien avec le syndrome dâĂ©puisement professionnel est lâimpossibilitĂ© de contrĂŽler son activitĂ©[144]. Mais les chercheurs se sont sans doute plus intĂ©ressĂ©s au contexte du travail. Des rĂŽles mal dĂ©finis, contradictoires, lâisolement et le manque de soutien social, le conflit entre vie familiale et vie professionnelle, lâinsĂ©curitĂ©, sont corrĂ©lĂ©s avec une ou plusieurs dimensions du syndrome dâĂ©puisement professionnel[145]. Les formes et les menaces nouvelles du travail[n 12] sont de plus en plus prises en compte. Cependant, les variables Ă©tudiĂ©es se situent plus Ă un niveau micro-organisationnel ou microsocial[n 13], au dĂ©triment des analyses macro-organisationnelles ou macrosociales, qui prennent en compte la structure de lâinstitution, lâorganisation hiĂ©rarchique, le style de management, etc. Cette orientation sâexplique de deux façons. Dâabord, les travaux sont dominĂ©s par des thĂ©ories locales, qui cherchent Ă expliquer un nombre restreint de phĂ©nomĂšnes avec un nombre limitĂ© de variables, plus faciles Ă opĂ©rationnaliser et Ă Ă©tudier[146]. Ensuite, les entreprises montrent peu dâempressement Ă laisser le chercheur sâinterroger sur lâinfluence du mode de management sur la santĂ© des employĂ©s. Certaines entreprises prĂŽnent mĂȘme la gestion des ressources humaines par le stress[147].
Selon le rapport d'information sur le burn-out de l'assemblĂ©e nationale page 18[148], la cause principale d'un burn-out est l'organisation du travail. Quelle que soit la fragilitĂ© supposĂ©e de la victime de burn-out, Il n'y a pas de burn-out sans une organisation de travail gĂ©nĂ©rant du stress d'origine professionnelle. Un burn-out apparaĂźt chez les personnes n'ayant eu auparavant aucun trouble mental et souvent Ă partir d'une position de force. Le docteur Patrick Mesters, directeur de lâInstitut de recherche sur le burnout confirme cette analyse[149] Jean-FrĂ©dĂ©ric Poisson ancien rapporteur de la mission dâinformation sur les risques psychosociaux Ă lâAssemblĂ©e nationale a dit (propos rapportĂ©s par le cabinet technologia[150]) : « Entre le constat dâune dĂ©pression et le constat dâun Ă©puisement professionnel il y a un monde! Le burn-out nâest pas liĂ© Ă un tempĂ©rament prĂ©disposĂ©, câest le rĂ©sultat dâune certaine organisation du travail ».
Selon un mĂ©decin spĂ©cialiste du stress au travail interviewĂ© dans l'Ă©mission "1000 et une vies" Ă 41:30 dans la vidĂ©o[151], des Ă©tudes scientifiques montrent que seulement 30 Ă 35 % des causes du burn-out viennent de soi, 60 Ă 65 % viennent de l'organisation du travail (surcharge, environnementâŠ). Cela ne veut pas dire qu'ils sont responsables de leur burn-out.
Interindividuelle
Ă ce niveau, câest principalement lâeffet de relations dĂ©sĂ©quilibrĂ©es, injustes, des conflits[n 14], mais aussi du soutien social ou de son absence qui est Ă©tudiĂ©[152]. Ătant donnĂ© le nombre Ă©levĂ© des emplois de services oĂč les relations avec autrui sont capitales, ces variables sont importantes. La thĂ©orie de lâĂ©quitĂ©, celles du support social et de lâaffiliation fournissent Ă ce niveau des grilles de lecture pertinentes[153].
Intra-individuelles
Les chercheurs dĂ©ploient beaucoup dâefforts pour identifier la part des variables de personnalitĂ©, ce qui tend Ă particulariser le syndrome dâĂ©puisement professionnel et risque dâen faire un problĂšme Ă particulariser et Ă traiter individuellement, en rejetant ses causes organisationnelles et sa dimension sociale et collective[154]. Ceci sâexplique en partie par lâinfluence quâexerce actuellement le modĂšle transactionnel de Lazarus et Folkman[155]. DâaprĂšs ce modĂšle, les caractĂ©ristiques individuelles jouent un rĂŽle essentiel dans lâĂ©mergence de la rĂ©action de stress. LâĂ©valuation dâun stresseur (comme une tĂąche supplĂ©mentaire Ă rĂ©aliser, des horaires de travail qui changent, une organisation de travail diffĂ©rente, etc.) varie dâun individu Ă lâautre. Certains peuvent y voir un dĂ©fi permettant dâexercer leurs compĂ©tences, dâautres ne retiennent que la menace. En outre, les caractĂ©ristiques individuelles agissent sur les capacitĂ©s de faire face Ă ces exigences, sur les ressources que lâindividu cherche Ă mobiliser. Certains se sentent plus aptes que dâautres Ă contrĂŽler la situation, Ă mobiliser le soutien de leurs collĂšgues et Ă utiliser ce support efficacement. La recherche suggĂšre que le nĂ©vrosisme, l'un des cinq grands traits de personnalitĂ© reconnus en psychologie, prĂ©dit davantage le burnout que le stress au travail ou le soutien social au travail[156] - [157] - [158].
Au niveau individuel, on sâintĂ©resse aussi Ă la sphĂšre attitudinale, notamment aux attentes des individus, ou Ă lâĂ©cart entre attentes et rĂ©alitĂ© de travail[159]. Les variables sociodĂ©mographiques sont Ă©galement prises en compte, lorsquâon Ă©tudie les diffĂ©rences entre hommes et femmes, lâinfluence de lâĂąge, du sexe ou du statut matrimonial[160]. Il va sans dire que, quel que soit le niveau dâanalyse, on recherche les facteurs qui dĂ©clenchent le processus de burnout, mais aussi ceux qui freinent sa progression. Les ressources disponibles ralentissent lâĂ©volution du processus.
Manifestations et conséquences
Wilmar Schaufeli et Dirk Enzmann[161] dressent la liste des symptĂŽmes du syndrome dâĂ©puisement professionnel. Ils en dĂ©nombrent cent-trente-deux, mais prĂ©viennent quâen rĂ©alitĂ©, « la plupart de ces symptĂŽmes proviennent dâobservations cliniques incontrĂŽlĂ©es ou dâinterviews analysĂ©es de façon impressionniste et non-spĂ©cifiĂ©e plutĂŽt que dâĂ©tudes quantitatives conçues rigoureusement et conduites prĂ©cisĂ©ment. » Autrement dit, nombre de ces symptĂŽmes ont Ă©tĂ© repĂ©rĂ©s quand ont dĂ©marrĂ© les premiĂšres recherches. La liste des symptĂŽmes mis Ă jour par des Ă©tudes empiriques solides est allongĂ©e du fait de lâexistence de plusieurs formes dâĂ©puisement professionnel[162], chacune pouvant sâexprimer Ă travers des manifestations spĂ©cifiques. De plus, le syndrome dâĂ©puisement professionnel Ă©tant un processus, il est susceptible de sâexprimer diffĂ©remment au cours de son dĂ©veloppement chez le mĂȘme individu, selon sa phase dâĂ©volution. Il nâest pas toujours aisĂ© de sĂ©parer clairement les symptĂŽmes et les consĂ©quences du syndrome dâĂ©puisement professionnel[163]. De mĂȘme, une rĂ©cente Ă©tude menĂ©e par Moodwork et le lab'RH souligne un phĂ©nomĂšne de dĂ©ni chez les individus victime du syndrome d'Ă©puisement professionnel, renforçant la difficultĂ© d'Ă©tablir un diagnostic[164].
Certains auteurs emploient lâexpression « symptĂŽmes du burnout » pour faire rĂ©fĂ©rence aux trois dimensions du MBI : lâĂ©puisement Ă©motionnel, la dĂ©personnalisation et lâaccomplissement personnel rĂ©duit[165] - [166] - [167]. Mais Arie Shirom considĂšre que lâaccomplissement personnel est une consĂ©quence du syndrome dâĂ©puisement professionnel[168]. Pour Wilmar Schaufeli par contre, « faire une distinction entre symptĂŽmes et consĂ©quences du burnout revient Ă dresser une ligne arbitraire »[169].
La classification de Carol Cordes et Thomas Dougherty distingue cinq catégories :
- Physique
- Ămotionnelle
- Interpersonnelle
- Attitudinale
- Comportementale
Elles sâobservent au niveau de lâindividu, des interactions sociales et de lâorganisation du travail[170].
Physiques et Ă©motionnelles
Les atteintes psychologiques et physiques montrent Ă quel point le syndrome dâĂ©puisement professionnel peut ĂȘtre destructeur[171]. Le sentiment de fatigue, dâĂ©puisement, de sensation dâĂȘtre « vidĂ© », est le symptĂŽme le plus typique[172] - [173]. Les individus atteints dâun degrĂ© Ă©levĂ© dâĂ©puisement professionnel ont davantage de troubles du sommeil et une plus grande fatigue au rĂ©veil[174]. La fatigue liĂ©e au syndrome dâĂ©puisement professionnel nâest pas celle que lâon Ă©prouve temporairement et qui disparaĂźt aprĂšs une pĂ©riode de repos. Il sâagit dâune fatigue chronique[175].
Le syndrome dâĂ©puisement professionnel se manifeste aussi par des troubles somatiques. Une Ă©tude longitudinale menĂ©e par Jacob Wolpin auprĂšs de deux cent quarante-cinq enseignants canadiens montre que lâapparition des symptĂŽmes somatiques ne peut ĂȘtre prĂ©dite quâun an aprĂšs lâapparition du syndrome lui-mĂȘme[176]. Arie Shirom trouve des rĂ©sultats semblables auprĂšs dâenseignants israĂ©liens[177].
Le syndrome dâĂ©puisement professionnel est associĂ© Ă des douleurs ou plaintes symptomatiques tels que :
- maux de ventre,
- douleurs musculo-squelettiques, en particulier le mal de dos,
- dĂ©sordres psychosomatiques tels quâulcĂšres et troubles gastro-intestinaux dans certains cas[178],
- manifestations classiques du stress associĂ©es Ă des manifestations de transpiration ou dâangoisse, etc.,
- réduction des défenses immunitaires[179] - [180],
- suivis de rhume prolongé[181] - [182].
Des patients atteints dâĂ©puisement professionnel ont, par rapport Ă un groupe contrĂŽle, un rythme cardiaque plus Ă©levĂ© au repos[183]. Des Ă©tudes longitudinales signalent, chez ceux qui ont un syndrome dâĂ©puisement professionnel aigu, une Ă©lĂ©vation du niveau de cholestĂ©rol, de triglycĂ©ride, de lâacide urique et des anomalies de lâĂ©lectrocardiogramme[184]. Le syndrome dâĂ©puisement professionnel est associĂ© Ă des taux de cortisol plus Ă©levĂ© durant la journĂ©e de travail[185]. Il provoque aussi des inflammations conduisant Ă lâathĂ©rome[186]. Il peut conduire Ă©galement au diabĂšte de type 2[187]. Ces modifications biochimiques exposent Ă des risques cardio-vasculaires[188].
Attitudinales et comportementales
Les manifestations comportementales du syndrome dâĂ©puisement professionnel sont variĂ©es. On les observe tant au niveau de lâindividu, de ses relations, que de lâenvironnement de travail.
Au niveau de lâindividu
Si le syndrome dâĂ©puisement professionnel sâaccompagne, dans sa phase prĂ©liminaire, dâune pĂ©riode de grande activitĂ©, avec Ă©ventuellement des pratiques sportives, il est associĂ© Ă une mauvaise hygiĂšne de vie[189] - [190] - [191]. Dans une recherche menĂ©e auprĂšs de mĂ©decins français[192], Susan Jackson a dĂ©couvert un lien significatif entre lâĂ©puisement Ă©motionnel et la consommation dâalcool. La mĂȘme association est observĂ©e auprĂšs de groupes professionnels variĂ©s, comme des dentistes[193], des employĂ©s de services sociaux[194] ou des opĂ©rateurs de transit urbain[195].
Plus généralement, on trouve une diminution des ressources psychologiques[196] :
- chute de lâestime de soi ;
- Ă©tat de tristesse ;
- désespoir ;
- anxiété[197].
Blake Ashforth montre auprĂšs de managers dâun service social que lâĂ©puisement Ă©motionnel et la dĂ©personnalisation sont suivis dâun sentiment dâimpuissance. Des troubles cognitifs font Ă©galement partie de ces manifestations[198].
Au niveau de la vie privée
Les effets du syndrome dâĂ©puisement professionnel dĂ©bordent sur la vie privĂ©e. Contredisant lâidĂ©e que travail et vie privĂ©e sont des sphĂšres sĂ©parĂ©es et autonomes, ce syndrome a des rĂ©percussions sur la sphĂšre familiale et plus gĂ©nĂ©ralement sociale. Dans ses premiers comptes-rendus dâobservation[199], Christina Maslach note que le syndrome dâĂ©puisement professionnel engendre des divorces. Au sein du couple, lâĂ©puisement professionnel du mari, provoquĂ© par des menaces de restructuration et de rĂ©duction dâeffectifs, a un effet direct sur les tensions avec son Ă©pouse et accroĂźt les comportements et attitudes nĂ©gatives envers elle[200]. Dans une Ă©tude menĂ©e auprĂšs de cent quarante-deux couples[201], Ayala Pines et Christina Maslach trouvent que non seulement ceux atteints dâĂ©puisement professionnel tendent Ă sâisoler de leurs amis, mais leur conjoint indique quâils ou elles se comportent avec leurs enfants de façon « professionnelle ».
à l'inverse, la psychiatre Aurélia Schneider analyse dans son essai le poids de la charge mentale ménagÚre chez les femmes et les hommes, et son impact sur le syndrome d'épuisement professionnel ou burn-out.
Lors dâune Ă©tude poussĂ©e sur mille huit cent cinquante cas de syndrome dâĂ©puisement professionnel avĂ©rĂ©s, Yeor Etzion rĂ©vĂšle un taux « anormalement inquiĂ©tant » de suicide chez les personnes atteintes de ce syndrome[202].
Au niveau du travail
Le syndrome dâĂ©puisement professionnel contribue Ă augmenter lâinsatisfaction au travail[203] et Ă diminuer lâengagement[204] - [205]. Des Ă©tudes longitudinales rĂ©vĂšlent que les personnes atteintes dâĂ©puisement professionnel sont moins impliquĂ©es et ont davantage lâintention de quitter leurs emplois que les autres[206] - [207]. Chez des enseignants suivis plusieurs mois, lâĂ©puisement Ă©motionnel mesurĂ© par le MBI prĂ©dit non seulement les intentions de quitter le travail, mais aussi le fait de le quitter effectivement[208].
Le syndrome dâĂ©puisement professionnel contribue Ă la dĂ©tĂ©rioration des relations entre collĂšgues, mais aussi avec les clients, Ă©lĂšves et patients. Les mĂ©decins Ă lâĂ©puisement professionnel Ă©levĂ© rĂ©pondent moins aux questions des patients, les nĂ©gligent davantage (ils ne discutent pas des diffĂ©rentes options de traitement par exemple), et commettent des erreurs quâon ne peut attribuer Ă leurs manques de connaissances ou dâexpĂ©rience[209].
Prendre une dĂ©cision sâavĂšre coĂ»teux pour lâindividu Ă©puisĂ© Ă©motionnellement. La dĂ©personnalisation ou le cynisme conduisent Ă prendre des dĂ©cisions plus impersonnelles, voire stigmatisantes. Jacques Languirand a menĂ© des recherches afin de tester explicitement lâimpact du syndrome dâĂ©puisement professionnel sur les prises de dĂ©cisions. Les hypothĂšses ont Ă©tĂ© testĂ©es Ă partir de situations simulĂ©es oĂč les participants devaient rĂ©agir Ă un cas fictif de client ou de patient. Minirth montre que des travailleurs sociaux dâun service de protection de lâenfance, face au cas dâun enfant en danger, prennent des dĂ©cisions plus rapidement, et y restent fermement attachĂ©s sâils ressentent de lâĂ©puisement professionnel. Il montre Ă©galement que des mĂ©decins gĂ©nĂ©ralistes qui ont un degrĂ© Ă©levĂ© dâĂ©puisement Ă©motionnel prennent, vis-Ă -vis dâune patiente, des dĂ©cisions moins coĂ»teuses en temps, en Ă©nergie et en investissements futurs. Ce phĂ©nomĂšne est dâautant plus accentuĂ© que cette patiente est non compliante[210], ainsi « Le burnout dĂ©finit une vĂ©ritable pathologie sociale et nous avertit des dangers qui guettent le monde du travail »[211].
Reconnaissance
Par l'OMS
Le syndrome dâĂ©puisement professionnel est reconnu par la classification internationale des maladies de l'OMS, depuis sa onziĂšme rĂ©vision en [212] - [213] - [214] portant sur la classification internationale des maladies et des problĂšmes de santĂ© connexes. Cette reconnaissance entrera en vigueur le [215]
Au sens de l'OMS, le burn-out il est dĂ©fini comme « un syndrome (âŠ) rĂ©sultant dâun stress chronique au travail qui nâa pas Ă©tĂ© gĂ©rĂ© avec succĂšs » et qui se caractĂ©rise par trois Ă©lĂ©ments « un sentiment dâĂ©puisement », « du cynisme ou des sentiments nĂ©gatifs liĂ©s Ă son travail » et « une efficacitĂ© professionnelle rĂ©duite ». Il est spĂ©cifiquement inscrit dans un contexte professionnel, dans le monde du travail, et ne peut ĂȘtre utilisĂ© pour d'autres propos. Le burnout peut survenir aprĂšs un harcĂšlement de la hiĂ©rarchie, ou encore une surcharge de travail.
Auparavant, le burnout bĂ©nĂ©ficiait uniquement d'une prĂ©somption de maladie professionnelle au sens du code de la sĂ©curitĂ© sociale, bien qu'en pratique il soit dĂ©jĂ reconnu par la justice et la sĂ©curitĂ© sociale. Avec cette nouvelle classification, le burn-out nâest toujours pas classĂ© parmi les maladies, mais fait partie du chapitre « Facteurs influant sur lâĂ©tat de santĂ© ou sur les motifs de recours aux services de santĂ© ».
Reconnaissance de la problématique du stress et du burn-out au travail par la négociation des syndicats
Sous lâinfluence de lâUnion europĂ©enne, la nĂ©gociation collective a intĂ©grĂ© les troubles liĂ©s Ă la qualitĂ© de vie au travail, et notamment la problĂ©matique de l'Ă©puisement professionnel dans ces accords. Ă titre dâexemple lâaccord national interprofessionnel (ANI) sur le stress du 2 juillet 2008[216] (transposition de l'accord europĂ©en du 8 octobre 2004 Ă©tendu par arrĂȘtĂ© ministĂ©riel le 23 avril 2009) ; lâaccord du 2 juillet 2008 porte sur la prĂ©vention du stress au travail, il est un premier pas vers la reconnaissance du stress dans le milieu professionnel liĂ© Ă lâenvironnement du travail.
Nouvelle Ă©volution avec l'ANI sur le harcĂšlement et la violence au travail du 26 mars 2010 [217](transposition de l'accord europĂ©en du 26 avril 2007 Ă©tendu par arrĂȘtĂ© ministĂ©riel le 23 juillet 2010 sur le stress au travail).
L'ANI du 19 juin 2013[218] intitulĂ© : « Vers une politique dâamĂ©lioration de la qualitĂ© de vie au travail et de lâĂ©galitĂ© professionnelle » vise une meilleure prise en compte de lâinfluence de lâenvironnement de travail sur les maladies psychiques.
Un premier pas avec la Cour de Cassation
Le syndrome dâĂ©puisement professionnel Ă dans un premier temps Ă©tĂ© reconnu au travers dâautres pathologies comme la dĂ©pression ou lâanxiĂ©tĂ©. En 2013, la Cour de cassation[219] a reconnu le burn out comme un nouveau risque psychosocial rĂ©sultant dâune situation de surcharge de travail, « susceptible de caractĂ©riser un lien entre la maladie et un manquement de lâemployeur Ă son obligation de sĂ©curitĂ© ».
Une reconnaissance lĂ©gislative de lâĂ©puisement professionnel
En , c'est par la loi Rebsamen (loi no 2015-994 du 17 aoĂ»t 2015 relative au dialogue social et Ă l'emploi), que l'AssemblĂ©e nationale française dĂ©cide que le syndrome d'Ă©puisement professionnel ne peut ĂȘtre reconnu comme maladie professionnelle[220]. Cette dĂ©cision s'appuie notamment sur le fait que le burnout est problĂ©matiquement proche de la dĂ©pression (sous ses formes cliniques et subcliniques), comme le montre un nombre grandissant d'Ă©tudes françaises, nord-amĂ©ricaines, et scandinaves. Il est important de noter Ă ce sujet que le burnout a Ă©tĂ© introduit dans la littĂ©rature scientifique en l'absence d'une revue de la littĂ©rature consacrĂ©e aux troubles liĂ©s au stress et en l'absence d'observations cliniques systĂ©matiques[221].
La reconnaissance de maladie professionnelle reste possible au terme de lâarticle L.461-1 du Code de la SĂ©curitĂ© sociale via une procĂ©dure spĂ©cifique mise en place par la loi du 17 aoĂ»t 2015. Cette loi a pour objectif dans son article 27 dâamĂ©liorer la reconnaissance des pathologies psychiques comme maladies professionnelles. Les troubles psychiques ne sont pas reconnus dans un des tableaux de la sĂ©curitĂ© sociale. Pour quâil y ait une reconnaissance de la pathologie comme maladie professionnelle, il faut que la pathologie soit essentiellement et directement causĂ©e par le travail habituel de la victime. Que la pathologie entraĂźne le dĂ©cĂšs de celle-ci ou une incapacitĂ© permanente de 25 % minimum (article L4611 al 4 et 5)[222]. Ă titre indicatif, la perte dâune main Ă©quivaut Ă un taux de 20 %.
En 2016, Benoßt Hamon, ancien Ministre de l'éducation nationale et député de la 11e circonscription des Yvelines, a déposé une proposition de loi à l'Assemblée nationale française pour faciliter la reconnaissance des cas de burnout en France[223].
En , le groupe La France Insoumise à l'assemblée nationale française dépose à nouveau une proposition de loi visant à reconnaßtre le syndrome d'épuisement professionnel comme maladie professionnelle[224], laquelle est rejetée par principe par la majorité de La République en marche[225] - [226].
Procédure de reconnaissance de maladie professionnelle
Au terme de lâarticle L. 461-1 aliĂ©na 4 du code de la sĂ©curitĂ© sociale[227] , il est possible de faire reconnaitre lâĂ©tat dâĂ©puisement professionnel comme Ă©tant dâorigine professionnel. Pour cela une procĂ©dure de reconnaissance est nĂ©cessaire. En effet, les maladies psychiques ne sont pas rĂ©pertoriĂ©es dans un tableau de maladies professionnelles, en consĂ©quence il nây a pas de prĂ©somption dâorigine professionnel Ă lâinverse des accidents de travail. La victime dâun Ă©puisement professionnel doit remplir deux conditions pour faire reconnaitre son Ă©tat psychique comme une maladie professionnelle.
PremiĂšrement, sa pathologie doit ĂȘtre reconnue comme essentiellement et directement causĂ©e par le travail habituellement exercĂ©. DeuxiĂšmement, la gravitĂ© de la pathologie doit avoir entrainĂ© une incapacitĂ© permanente partielle au moins Ă©gale Ă 25 %. La premiĂšre de ces deux conditions fait reposer la charge de la preuve sur la victime, elle doit prouver elle-mĂȘme le lien direct avec son activitĂ© professionnelle[228]. La seconde condition quant Ă elle dĂ©pend de la CPAM (caisse primaire d'assurance maladie), la dĂ©termination du taux dâincapacitĂ© relĂšve exclusivement de sa compĂ©tence sur avis conforme du mĂ©decin-conseil [229].
Par ailleurs, lâengagement de la procĂ©dure de reconnaissance est Ă lâinitiative du salariĂ©[230]. Câest Ă lui de procĂ©der Ă la reconnaissance de son Ă©tat dâĂ©puisement professionnel comme maladie professionnelle auprĂšs de la Caisse primaire dâassurance maladie. La premiĂšre Ă©tape reste la prise de rendez-vous auprĂšs de son mĂ©decin traitant afin dâavoir un avis mĂ©dical. Si la pathologie est reconnue il Ă©tablira un certificat mĂ©dical initial prĂ©cisant la nature de la maladie et la date de premiĂšre constatation.
La victime a ensuite quinze jours pour engager la procĂ©dure de reconnaissance auprĂšs de la Caisse primaire dâassurance maladie[231]. Le dĂ©lai de prescription, dĂ©lai au-delĂ duquel toute demande de reconnaissance sera systĂ©matiquement rejetĂ©e, est de deux ans. Ce dĂ©lai commence Ă compter de la date Ă laquelle la victime est informĂ©e, par un certificat mĂ©dical, du lien possible entre la maladie et lâactivitĂ© professionnelle. En cas de dĂ©cĂšs, les ayants droit peuvent Ă©galement procĂ©der Ă la dĂ©claration.
Pour cela, il doit adresser une dĂ©claration de maladie professionnelle au moyen dâun formulaire spĂ©cifique : Cerfa no 60-3950 « DĂ©claration de maladie professionnelle ou demande de reconnaissance de maladie professionnelle »[232]. Il doit joindre Ă cette dĂ©claration le certificat mĂ©dical initial attestant de sa pathologie ; un second certificat permettant de constater la guĂ©rison ou la consolidation de ses symptĂŽmes. Lors de la dĂ©claration il est impĂ©ratif de joindre Ă©galement une attestation de salaire (il est dâusage que ce soit lâemployeur qui le fasse ultĂ©rieurement).
Ă rĂ©ception, la CPAM ouvre une enquĂȘte administrative et mĂ©dicale et informe lâemployeur, le mĂ©decin du travail et l'inspecteur du travail. La CPAM transmet la demande de la victime au ComitĂ© RĂ©gional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP)[233]. La demande de reconnaissance sera examinĂ©e afin dâattester de lâorigine professionnelle de la pathologie. En effet, le lien direct et essentiel est analysĂ© par le CRRMP, son avis sâimpose Ă la caisse primaire dâassurance maladie. Ce comitĂ© est composĂ© du mĂ©decin-conseil rĂ©gional de lâassurance maladie, du mĂ©decin-inspecteur rĂ©gional du travail (ou le mĂ©decin inspecteur quâil dĂ©signe) et dâun praticien qualifiĂ©. Le ComitĂ© rĂ©gional entend lâingĂ©nieur-conseil en chef du service de prĂ©vention de la Caisse dâassurance retraite et de santĂ© au travail (CARSAT) de lâentreprise concernĂ©e et peut entendre, sur leur demande, lâemployeur et la victime. Ces derniers peuvent aussi Ă©mettre des avis Ă©crits. Le ComitĂ© rĂ©gional rend un avis motivĂ© qui sâimpose Ă la CPAM. Celle-ci doit le notifier immĂ©diatement Ă la victime et Ă lâemployeur.
La procĂ©dure d'instruction des maladies professionnelles (et des accidents du travail) a Ă©tĂ© rĂ©formĂ©e par le dĂ©cret no 2019-356 du [234] (Article R. 461-9 Code sĂ©curitĂ© sociale)[235]. Cette rĂ©forme est applicable aux accidents du travail et aux maladies professionnelles dĂ©clarĂ©s Ă compter du . La caisse dispose dĂ©sormais d'un dĂ©lai de cent vingt jours francs (trois mois auparavant) pour statuer sur le caractĂšre professionnel de la maladie ou saisir le ComitĂ© rĂ©gional de reconnaissance des maladies professionnelles. Elle avertit de sa dĂ©cision par lettre recommandĂ©e avec avis de rĂ©ception le travailleur et lâemployeur. Sans rĂ©ponse de la caisse dans les dĂ©lais prĂ©vus, le caractĂšre professionnel de la maladie est alors automatiquement retenu. Ă l'issue de ses investigations, la caisse doit mettre le dossier Ă disposition de la victime (ou de ses reprĂ©sentants[236]) ainsi qu'Ă celle de l'employeur auquel la dĂ©cision est susceptible de faire grief[237]. Les parties disposent d'un dĂ©lai de dix jours francs pour le consulter et faire connaĂźtre leurs observations, qui sont annexĂ©es au dossier. Ă l'issue de ce dĂ©lai, les parties peuvent toujours consulter le dossier mais ne peuvent plus formuler d'observations. Cette dĂ©cision peut ĂȘtre contestĂ©e par la voie du contentieux gĂ©nĂ©ral dans un dĂ©lai de deux mois aprĂšs rĂ©ception de la notification.
LâĂ©puisement professionnel peut Ă©galement ĂȘtre dĂ©clarĂ© en tant quâaccident du travail Ă partir du moment oĂč ses conditions de rĂ©alisation sont remplies. En effet, si lâĂ©tat psychique est survenu par le fait ou Ă lâoccasion du travail Ă la suite dâun Ă©vĂšnement datĂ© et soudain (ex. : lâinstabilitĂ© psychique apparait Ă la suite dâun entretien annuel ou dâune rĂ©union conflictuelle), alors il sâagit dâun accident du travail. Dans ce cas, câest Ă lâemployeur de procĂ©der Ă la dĂ©claration et câest Ă lui que revient la charge de la preuve puisquâen matiĂšre dâaccident du travail il existe une prĂ©somption dâorigine professionnelle.
Les résolutions judiciaires
La rĂ©siliation judiciaire et la prise dâacte
Lorsquâun salariĂ© souffre dâĂ©puisement professionnel, il est possible dâengager la responsabilitĂ© de lâemployeur sur le fondement du manquement Ă son obligation de sĂ©curitĂ© (article L. 4121-1 du Code du travail). Cet article dispose que :
« L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes."[238]
Sur ce fondement, le salariĂ© peut demander une rĂ©siliation judiciaire ou une prise dâacte de son contrat de travail.
Définition de la résiliation judiciaire
Cette procĂ©dure peut ĂȘtre dĂ©finie comme lâaction par laquelle le salariĂ© va demander au Conseil de prudâhommes de prononcer la rupture de son contrat de travail. Rupture demandĂ©e aux torts de lâemployeur lorsque ce dernier manque gravement Ă ses obligations contractuelles. Ce ou ces manquements doivent avoir pour consĂ©quence dâempĂȘcher la poursuite de la relation de travail[239].
Procédure de la résiliation judiciaire
Câest au salariĂ© de demander la rĂ©siliation judiciaire du contrat de travail. Pour cela, il doit saisir le Conseil de prudâhommes.
Durant le dĂ©roulement de la procĂ©dure judiciaire, le salariĂ© continue de travailler dans les mĂȘmes conditions de travail. NĂ©anmoins, il est possible que le contrat soit rompu. Par exemple, si le salariĂ© dĂ©missionne .
Effets de la résiliation judiciaire
Si le Conseil de prudâhommes prononce la rĂ©siliation judiciaire, la rĂ©siliation du contrat de travail prendra en principe effet Ă la date du jugement. Il est Ă©galement possible que la rĂ©siliation prenne effet Ă la date Ă laquelle le contrat a Ă©tĂ© rompu (si le salariĂ© a Ă©tĂ© licenciĂ© durant la procĂ©dure).
La rĂ©siliation prononcĂ©e, diverses indemnitĂ©s devront ĂȘtre versĂ©es au salariĂ© (ex: indemnitĂ© de licenciement, indemnitĂ© compensatrice de congĂ©s payĂ©s, indemnitĂ©s compensatrices de prĂ©avis et indemnitĂ© pour licenciement sans cause rĂ©elle et sĂ©rieuse).
Cependant, si le Conseil de prudâhommes rejette la rĂ©siliation judiciaire, le contrat de travail va se poursuivre normalement. Lâemployeur ne devra verser aucune indemnitĂ© au salariĂ©.
Dans la situation oĂč lâemployeur a licenciĂ© le travailleur durant la procĂ©dure de rĂ©siliation, le juge devra se prononcer sur la validitĂ© du licenciement opĂ©rĂ© durant cette procĂ©dure de rĂ©siliation[240].
DĂ©finition de la prise dâacte
« La prise d'acte de la rupture du contrat de travail constitue un mode de rupture du contrat prise par dĂ©cision de justice. Le salariĂ© saisit le juge afin que ce dernier statut sur les reproches qu'il impute Ă son employeur (manquements suffisamment graves pour empĂȘcher la poursuite du contrat de travail) »[241].
ProcĂ©dure de la prise dâacte
Le Code du travail nâimpose aucun formalisme particulier au travailleur. Cependant, le travailleur doit tout de mĂȘme prĂ©venir son employeur via courrier afin de justifier la prise dâacte. Dans un souci de charge de la preuve, il est conseillĂ© dâenvoyer ce courrier sous forme de lettre recommandĂ©e avec accusĂ© de rĂ©ception.
Effets de la prise dâacte
Le salariĂ© mettant en Ćuvre la procĂ©dure de la prise dâacte aura pour principal effet dâentraĂźner la cessation immĂ©diate de son contrat de travail. La cessation Ă©tant immĂ©diate, le salariĂ© ne sera pas dans lâobligation dâeffectuer un prĂ©avis. Cette prise dâacte a lâeffet dâun licenciement sans cause rĂ©elle et sĂ©rieuse. Cependant, si les faits invoquĂ©s par le travailleur ne sont pas suffisants pour justifier cette prise dâacte, les effets seront ceux dâune dĂ©mission.
Jurisprudence
Il a dĂ©jĂ Ă©tĂ© reconnu que lâĂ©puisement professionnel dâun salariĂ© puisse justifier la rupture du contrat de travail, aux seuls torts de lâemployeur. En consĂ©quence, la prise dâacte a eu les effets dâun licenciement sans cause rĂ©elle et sĂ©rieuse[242].
Reclassement et Ă©puisement professionnel
Lorsqu'un salarié en situation d'épuisement professionnel est reconnu inapte par le médecin du travail, et que ce dernier indique une impossibilité de reclassement, le salarié peut faire l'objet d'une mesure de licenciement pour inaptitude professionnelle.
Néanmoins, si cette inaptitude professionnelle résulte du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité , alors, le licenciement sera sans cause réelle et sérieuse.
Ainsi, lorsquâun salariĂ© reconnu inapte en raison de son Ă©puisement professionnel ne peut pas ĂȘtre reclassĂ©, il peut faire lâobjet dâune mesure de licenciement au motif de son inaptitude professionnelle. Cependant, il est reconnu que si cette inaptitude dĂ©coule du manquement de lâemployeur Ă son obligation de sĂ©curitĂ© : le licenciement est sans cause rĂ©elle et sĂ©rieuse[243].
De plus, " si le licenciement dâun salariĂ© pour inaptitude est dĂ» Ă un harcĂšlement moral, celui-ci pourra obtenir sa nullitĂ© (Cass. soc., 12 mai 2010, no 09-40.910 ; Cass. soc., 17 oct. 2012, no 11-22.553), (âŠ) sâil sâavĂšre que lâemployeur a, dans le cadre de cette inaptitude, manquĂ© Ă son obligation de sĂ©curitĂ© de rĂ©sultat et Ă son obligation de prĂ©vention des actes de harcĂšlement moral, alors le salariĂ© pourra prĂ©tendre Ă des dommages et intĂ©rĂȘts (Cass. soc., 17 oct. 2012, no 11-18.884)"[244].
RĂŽle de lâemployeur et dĂ©marche amiable
En dehors des dĂ©marches judiciaires, le salariĂ© peut alerter et dĂ©noncer sa situation auprĂšs de sa hiĂ©rarchie. Si lâentreprise est dotĂ©e dâinstitutions reprĂ©sentatives du personnel, le salariĂ© peut Ă©galement se rapprocher du ComitĂ© social et Ă©conomique(CSE) afin dâobtenir des informations. Il est aussi possible de faire une demande de visite auprĂšs de la mĂ©decine du travail. Enfin, le travailleur peut Ă©galement se tourner vers lâinspection du travail afin dâobtenir des informations claires et prĂ©cises sur ses droits.
Lâemployeur devant rĂ©pondre de son obligation de sĂ©curitĂ©, notamment concernant la santĂ© mentale des salariĂ©s de son entreprise, ce dernier a un rĂŽle central dans la dĂ©tection des signes dâĂ©puisement professionnel. Ăgalement dans la cessation des situations conduisant Ă cet Ă©puisement (ex : surcharge de travail, harcĂšlement au travail etc.).
Au titre de cette obligation de sĂ©curitĂ©, prĂ©vu Ă lâarticle L.4121-3 du Code du travail, lâemployeur doit analyser et Ă©valuer « les risques pour la santĂ© et la sĂ©curitĂ© des travailleurs » existants dans lâentreprise, et mettre « en Ćuvre les actions de prĂ©vention garantissant un meilleur niveau de protection de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© des travailleurs »[245].
Lâemployeur peut notamment Ă©valuer ces risques Ă lâaide du document unique dâĂ©valuation des risques professionnelles (DUER)[246]. Ce document, obligatoire dans toutes les entreprises, permet de lister les diffĂ©rents risques qui peuvent nuire Ă la santĂ© et Ă la sĂ©curitĂ© des salariĂ©s, et vise Ă les supprimer, ou du moins les rĂ©duire. Câest donc un outil de lâemployeur qui a un rĂŽle prĂ©ventif, et permet de remplir lâobligation de sĂ©curitĂ©, et qui peut prendre en compte le burn-out comme risque afin de le prĂ©venir.
Dâautres moyens au sein des entreprises existent pour limiter le burn-out. Le burn-out, Ă©tant perçu comme un stress professionnel chronique, pourrait sâĂ©viter en limitant la charge de travail dâun individu, en rĂ©partissant correctement les missions et en effectuant des contrĂŽles rĂ©guliers de cette rĂ©partition. Ăgalement, dans le cadre du tĂ©lĂ©travail ou un contrĂŽle de la charge et du temps de travail est plus compliquĂ©, une limitation des accĂšs au rĂ©seau de travail peut ĂȘtre une solution[247].
Il est aussi important de favoriser le dialogue dans lâentreprise, notamment afin de libĂ©rer la parole. En effet, ĂȘtre en burn-out est encore socialement mal perçu, et mal interprĂ©tĂ© par les salariĂ©s et les employeurs. Il apparaĂźt alors important pour lâemployeur de mettre en place des temps de dialogue (par le biais dâatelier ou de confĂ©rence), mais aussi des guides pratiques pour le management, afin de pouvoir parler, repĂ©rer, et apprendre aux Ă©quipes ce quâest le burn-out et Ă le prendre en compte. DiffĂ©rents outils peuvent alors ĂȘtre utilisĂ©s, dont lâentretien dâĂ©valuation annuel[248] mis en place par lâemployeur qui participe au repĂ©rage des risques, ou la mise en place de formations obligatoires intĂ©grant la gestion de la charge de travail.
Dans la culture
Littérature
- Les Visages écrasés (2011), roman noir de Marin Ledun
Cinéma
Le burnout est le sujet de plusieurs films.
Le documentaire HarcÚlements, de Bernard Cazedepats, date de 2002. Plusieurs longs métrages abordent également le thÚme : Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés, de Marc-Antoine Roudil et Sophie Bruneau en 2005, Le Couperet, de Costa-Gavras (2005), L'Emploi du temps, de Laurent Cantet (2001) ou encore, dans une moindre mesure, Violence des échanges en milieu tempéré, de Jean-Marc Moutout en 2004.
Dans les annĂ©es 2000 les documentaires sur le sujet se multiplient : Jâai (trĂšs) mal au travail : stress, harcĂšlement, violences de Jean-Michel CarrĂ© en 2007 ou Le salaire de la souffrance : harcĂšlement moral au travail rĂ©alisĂ© par Marie-Christine Gambart en 2001, et Travailler Ă en mourir de Paul Moreira (2007).
LâInstitut national de recherche et de sĂ©curitĂ© (INRS) a rĂ©alisĂ© des films de sensibilisation : Le stress au travail, câest un problĂšme de dĂ©faillance individuelle, Un peu de stress, ça ne peut pas faire de mal et Contre le stress on ne peut rien[249].
En 2021, le réalisateur Stéphane Brizé s'est inspiré de cadres en burn-out pour le film Un autre monde : il met en scÚne Vincent Lindon dans le rÎle d'un manager en crise, victime d'injonctions contradictoires[250].
Musique
Le titre Trampoline du groupe belge Alaska Gold Rush est illustré par un clip mettant en scÚne un burnout dans le milieu administratif. Le texte évoque une course sans fin vers la croissance et la productivité, ou les personnes sont peu à peu remplacées par des machines.
Notes et références
Notes
- Prononciation en anglais américain retranscrite selon la norme API.
- Lâauteur sâexprimant en français â qui nâest pas sa langue maternelle â a utilisĂ© le mot « dĂ©suĂšte » en voulant probablement dire « tĂ©nue ».
- MĂ©decins, infirmier(e)s, etc.
- Services sociaux, santé, enseignement, etc.
- ĂlĂšves, patients, clients, etc.
- Estime de soi, auto-efficacité, etc.
- Soutien reçu de la part des collÚgues, de la hiérarchie, etc.
- Puisque ses attentes, sa formation, sont relativement inadaptées.
- Lazarus et Folkman Ă©crivent que le coping est « lâensemble des efforts cognitifs et comportementaux, constamment changeants, permettant de gĂ©rer les exigences externes ou internes - spĂ©cifiques Ă une situation - qui entament ou excĂšdent les ressources dâune personne » (Stress, Appraisal, and Coping, p. 94).
- Par rapport Ă ceux qui lâestiment Ă©quilibrĂ©.
- Consommation Ă©levĂ©e dâantidĂ©presseurs, etc.
- Restructurations, dĂ©localisations, rĂ©ductions dâeffectifs, surveillance Ă©lectronique des employĂ©s, tĂ©lĂ©travail, etc.
- Du rapport direct entre lâindividu et son environnement.
- HarcĂšlement, agressions, violence, etc.
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Voir aussi
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- Rory Burke, Projektmanagement. Planung und Kontrolltechniken [détail des éditions]
Articles connexes
- Absentéisme
- Bore out ou syndrome dâĂ©puisement professionnel par lâennui
- Brown-out
- Code du travail (France)
- Communications unifiées
- Conditions de travail
- Droit du travail en France
- Effets du travail posté sur la santé humaine
- Emploi
- Ergonomie
- HarcĂšlement
- HarcĂšlement professionnel
- KarĆshi
- Santé
- Santé-Environnement
- Stress
- Stress numérique
- StressomĂštre
- Syndicalisme
- Syndrome de la bonne Ă©lĂšve
- Syndrome du bĂątiment malsain
- Technologia (société)
- Théorie des cuillÚres
Liens externes
- Ressources relatives à la santé :
- (en) ICD-10 Version:2016
- (en) Medical Subject Headings
- (no + nn + nb) Store medisinske leksikon
- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :
- «Burn out : le travail c'est plus la santé», La Méthode scientifique, France Culture, 9 mars 2020
- Association France Burn Out
- Institut national de recherche et de sécurité, « Fiches filmographiques de 3 films sur le stress au travail », inrs.fr
- Institut national de recherche et de sécurité, « Le stress au travail » [PDF], inrs.fr
- Ăquipe SUMER, « Les expositions aux risques professionnels », MinistĂšre français du Travail
- Petermann, Dr iur. Frank, « Plateforme de dialogue sur lâĂ©puisement professionnel », zepitt.net
- (en) James J. Messina, Ph.D. & Constance M. Messina, Ph.D., « Portail consacré au coping », coping.org
- Télévision Suisse Romande, « Reportage télévisuel sur des cas concrets », TSR ingénierie
- (en) Colegio oficial de psicologos, « Article sur la prévention du coping et du burnout », Recol Networks, S. A.