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Radiolyse

En physique et chimie, la radiolyse est la dĂ©composition de la matiĂšre (solide, liquide ou gazeuse) par des rayonnements ionisants[1]. L'eau peut ĂȘtre radiolysĂ©e, mais Ă©galement des gaz, des sels minĂ©raux et de nombreuses molĂ©cules organiques.

Le cas particulier de la radiolyse de l'eau

Le phénomÚne

La radiolyse de l'eau est la dissociation par dĂ©composition chimique de l'eau (H2O) (liquide ou de vapeur d'eau) en hydrogĂšne et hydroxyle, respectivement sous forme de radicaux H· et OH, sous l'effet d'un rayonnement Ă©nergĂ©tique intense. La cassure rĂ©sulte de l'excitation Ă©lectronique de la molĂ©cule d'eau lors du phĂ©nomĂšne d’ionisation.

Facteurs inhibant ou exacerbant la radiolyse

Divers paramÚtres modifient les rendements moléculaires et radicalaires de la radiolyse de l'eau. Les facteurs connus sont[2] :

Les radicaux libres produits par la radiolyse sont trÚs réactifs. S'ils peuvent se recombiner dans le milieu ils n'ont qu'une courte durée de vie.

Histoire

Ce « craquage » moléculaire a été mis en évidence, peu aprÚs la découverte de la radioactivité, par le Français André Debierne (1874-1949), qui a constaté que le radium se montrait capable de briser la molécule d'eau pour former de l'hydrogÚne et de l'oxygÚne natif, avec une éventuelle production d'eau oxygénée.

Les savants atomistes du Projet Manhattan et leurs homologues russes travaillant secrĂštement Ă  l’élaboration de la bombe atomique, ont constatĂ© que la prĂ©sence d’hydrogĂšne freinait la radiolyse alors que l’oxygĂšne dissout ou l’eau oxygĂ©nĂ©e l’accĂ©lĂ©rait. A.O. Allen a ensuite montrĂ© que la radioactivitĂ© pouvait catalyser la recombinaison en eau de H2 et H2O2 en prĂ©sence des radicaux H· et OH·. On a aussi alors constatĂ© la formation par radiolyse d’une entitĂ© chimique nouvelle : l'Ă©lectron hydratĂ© (groupe de molĂ©cules d’eau fixĂ©es Ă  un Ă©lectron par l'attraction entre la charge de ce dernier et les moments dipolaires Ă©lectriques de ces molĂ©cules d'eau) dit « eaq− » (mis en Ă©vidence par E.J. Hart et J.W. Boag). Le phĂ©nomĂšne semble avoir Ă©tĂ© Ă©tudiĂ© lors d'essais nuclĂ©aires atmosphĂ©riques, Ă©galement producteurs d'ozone, Ă©galement superoxydant.

Conséquences et risques techniques

La radiolyse de l'eau pose des problĂšmes complexes d'ingĂ©nierie nuclĂ©aire. La survenue accidentelle de ce phĂ©nomĂšne est redoutĂ©e par les concepteurs de centrales nuclĂ©aires, les concepteurs et utilisateurs de sources radioactives puissantes, les centres rĂ©alisant le traitement ou le stockage des dĂ©chets radioactifs ou les installations telles que le sarcophage de Tchernobyl, car outre qu'il existe un risque d'explosion avec l'hydrogĂšne, l'oxydation des mĂ©taux et les effets sur le comportement de l’eau du ciment sont encore mal pris en compte par les modĂšles, surtout Ă  moyen et long terme.

A titre d'exemples :

  • Dans une centrale nuclĂ©aire classique, l’eau sous haute pression du circuit primaire est portĂ©e Ă  environ 300 °C tout en Ă©tant exposĂ©e Ă  un rayonnement trĂšs Ă©nergĂ©tique rĂ©sultant de la rĂ©action entretenue de fission de l'uranium (activitĂ© neutronique et rayons Îł). L'oxygĂšne natif ainsi produit est trĂšs rĂ©actif. Il peut, en cas de problĂšme, contribuer Ă  une explosion violente par recombinaison avec l’hydrogĂšne. Il est aussi un puissant facteur de corrosion des mĂ©taux. La corrosion est Ă©vitĂ©e par l'emploi de mĂ©taux adaptĂ©s et par l'ajout d'hydrogĂšne Ă  l'eau prĂ©alablement dĂ©soxygĂ©nĂ©e du circuit primaire. Cet excĂšs d’hydrogĂšne force la recombinaison de l’hydrogĂšne et oxygĂšne issus de la radiolyse en eau. Le principe parait simple, mais la rĂ©action implique le passage par une sĂ©quence d'une trentaine d’états chimiques via un processus physicochimique complexe. La radiolyse est un des phĂ©nomĂšnes qui est intervenu dans l'explosion du rĂ©acteur no 4 de Tchernobyl et dans l'alchimie des produits Ă©mis lors de catastrophe de Tchernobyl ; elle intervient aussi dans la cinĂ©tique de ces Ă©lĂ©ments.
  • les nouveaux rĂ©acteurs expĂ©rimentaux (type Tokamak) visant une fusion nuclĂ©aire contrĂŽlĂ©e (prĂ©figurĂ©s par le projet ITER) sont aussi confrontĂ©s Ă  la radiolyse et Ă  ses risques.
    En effet, un phĂ©nomĂšne de transport turbulent caractĂ©rise le plasma d'un Tokamak (qui doit atteindre au moins 100 millions de degrĂ©s pour que la rĂ©action de fusion se fasse). Les plasmas de ce type sont caractĂ©risĂ©s par d’imprĂ©visibles et puissantes « disruptions ». Dans le tore du Tokamak ces disruptions s'accompagnent d'un effondrement instantanĂ© de l'Ă©nergie du plasma, mais aussi d'une sorte de coup de foudre trĂšs bref et intense. Elles sont Ă  ce jour inĂ©vitables. Chacune conduit « Ă  la perte totale du confinement du plasma en quelques millisecondes ». L'Ă©clair survenant entre le plasma et les parties matĂ©rielles de l'installation ne dure qu'environ vingt milliĂšmes de seconde, mais il gĂ©nĂšre « des charges thermiques sur les composants face au plasma, des forces Ă©lectromagnĂ©tiques dans les structures de la machine et (...) des Ă©lectrons dĂ©couplĂ©s relativistes pouvant perforer l'enceinte Ă  vide »[3]. Chaque disruption doit ĂȘtre traitĂ©e par un systĂšme de dĂ©tection dĂ©clenchant une vanne Ă  impulsion supersonique, laquelle injecte un gaz neutre dans le plasma, mais des dĂ©gĂąts, Ă©ventuellement importants, sont dĂ©jĂ  faits : au moment de la disruption, la paroi ceinturant le plasma (jusqu’alors confinĂ©) est quasiment-instantanĂ©ment exposĂ©e Ă  des tempĂ©ratures extrĂȘmes, et surtout Ă  un rayonnement au moins dix fois plus fort que celui mesurĂ© dans les rĂ©acteurs de centrales nuclĂ©aires Ă  fission[4]. Les plaques qui constituent l'intĂ©rieur du tore ainsi exposĂ©es doivent donc ĂȘtre refroidies. Dans Iter, elles sont refroidies par un circuit de refroidissement basĂ© sur une circulation d'eau enrichie en hydrogĂšne (cet hydrogĂšne inhibe la radiolyse). Or les expĂ©rimentations ont montrĂ© que cette inhibition ne se produit pas de maniĂšre linĂ©aire en fonction de la teneur en hydrogĂšne : elle connaĂźt des seuils qui varient selon :
    • le taux d'hydrogĂšne,
    • la tempĂ©rature de l'eau,
    • la nature du rayonnement auquel elle est exposĂ©e,
    • les impuretĂ©s chimiques prĂ©sentes en solution (sels de bore, acide borique)) ou issues de la corrosion des mĂ©taux de l’enceinte du tore, ou d’autres Ă©lĂ©ments internes du rĂ©acteur, ou issues de produits crĂ©Ă©s par le rayonnement... ; ces produits peuvent en effet jouer le rĂŽle de catalyseurs ou d'inhibiteurs)[4].

Une modification, mĂȘme modĂ©rĂ©e de l'un de ces quatre facteurs, peut fortement modifier l'effet de l'hydrogĂšne sur la radiolyse de l'eau. De plus l'expĂ©rience et des simulations informatiques ont montrĂ© qu'une fois certains seuils atteints de concentration en dioxygĂšne et en eau oxygĂ©nĂ©e[3]., l'eau se met brutalement Ă  se lyser en hydrogĂšne, oxygĂšne et en eau oxygĂ©nĂ©e[4]. En outre quand les taux d'oxygĂšne et d'eau oxygĂ©nĂ©e atteignent un certain seuil, la rĂ©action en chaĂźne qui conduisait Ă  recombiner les molĂ©cules pour produire de l'eau est stoppĂ©e[4].

Les chercheurs continuent donc Ă  Ă©tudier la radiolyse de l’eau exposĂ©e Ă  un intense rayonnement, pour Ă©viter un effet de corrosion du circuit et du rĂ©acteur, et pour notamment Ă©viter un craquage de l'eau avec risques d’explosion d'hydrogĂšne.

Conséquences biologiques (radiobiologie)

La radiolyse est un facteur destructeur du fonctionnement cellulaire, car la plupart des processus du vivant dĂ©pendent de l’eau ou impliquent la participation de molĂ©cules d’eau ; par la radiolyse, certains rayonnements peuvent contribuer au stress oxydant en produisant des radicaux (radicaux superoxyde) impliquĂ©s par ailleurs dans diverses pathologies et dans le vieillissement. Divers laboratoires Ă©tudient les rĂ©actions d’oxydation et de rĂ©duction des radicaux issus de la radiolyse de l’eau sur les protĂ©ines, l’ADN (l’ARN ?) ou les lipides.

Il semble que les cellules des végétaux, des champignons et des lichens soient mieux capables de supporter les effets de la radioactivité que la plupart des cellules animales. Les métallothionéines impliquées dans la gestion des métaux lourds et la détoxication par les organismes, ainsi que la superoxyde dismutase, intéressent les chercheurs pour leur capacité à diminuer les impacts de la radiolyse dans les cellules (antiradicaux, antioxydants).

Santé/environnement et radioprotection

La radiolyse a un effet sur les formes chimiques des radioĂ©lĂ©ments libĂ©rĂ©s ou prĂ©sents dans l’environnement, qui sont transportĂ©s par l’air, l’eau et les sols vers les Ă©cosystĂšmes (bioturbation). LĂ  aussi, les effets des faibles doses, notamment pour des molĂ©cules qui ont une cible biologique, sont encore mal connus (exemple chez l'homme : thyroĂŻde pour l’iode, ou cƓur pour le cĂ©sium).

La vie et la chimie du sol peuvent aussi ĂȘtre perturbĂ©es : le sol contient de l’eau, et tout particuliĂšrement l’humus et l’argile qui ont des fonctions essentielles de rĂ©tention. Divers composants du sol peuvent ĂȘtre radiolysĂ©s et les produits radiolytiques ajouteront leurs effets Ă  ceux du rayonnement sur les cellules vivantes et modifieront la capacitĂ© de rĂ©tention des argiles, charbons de bois et humus et les molĂ©cules en solution dans l’eau (oxydation par exemple).

L'ionisation des aliments et de certains mĂ©dicaments est de plus en plus utilisĂ© Ă  des fins de dĂ©sinfection. Dans de bonnes conditions, elle est rĂ©putĂ©e ne pas induire pas de risque toxicologique si la dose dĂ©livrĂ©e n'est pas supĂ©rieure Ă  10 kGy[5]. Certains mĂ©dicaments sont stĂ©rilisĂ©s par irradiation, avec un risque que certains de leurs composants soient radiolysĂ©s ; ils doivent respecter les principes de la pharmacopĂ©e. Selon Zeegers (1993), dans le cas du chloramphĂ©nicol irradiĂ© une dose stĂ©rilisante de 15 Ă  25 kGy permet encore au mĂ©dicament de satisfaire « Ă  la plupart des tests de puretĂ©. Toutefois, ces tests n'ont pas Ă©tĂ© mis au point pour la dĂ©tection d'Ă©ventuels produits caractĂ©ristiques de la radiolyse[5]. Une dĂ©tection chromatographique pourrait ĂȘtre utilisĂ©e pour les substances radio-sensibles, comme des antibiotiques de type B-lactame, mais exigerait une rĂ©-irradiation »[5].

Les dĂ©chets vitrifiĂ©s et surtout leurs contenants mĂ©talliques peuvent ĂȘtre dĂ©gradĂ©s par radiolyse de l'eau, phĂ©nomĂšne qui fait l'objet d'Ă©tudes pour la gestion des risques dans le contexte du stockage gĂ©ologique profond des dĂ©chets nuclĂ©aires notamment[6]. Il en va de mĂȘme pour les cĂ©ramiques nuclĂ©aires (ex : zirconolite[7] - [8]).

Références

  1. Source : Commissariat Ă  l'Ă©nergie atomique et aux Ă©nergies alternatives
  2. Ferradini, C., & Jay-Gerin, J. P. (1999). La radiolyse de l'eau et des solutions aqueuses: historique et actualité. Canadian Journal of Chemistry, 77(9), 1542-1575 (résumé )
  3. Résumé de thÚse de Cédric Reux et Lien de téléchargement sur le site Archives ouvertes
  4. « La radiolyse de l'eau », sur Bienvenue sur le site du NIMBE (consulté le )
  5. Zeegers, F., Crucq, A. S., Gibella, M., & Tilquin, B. (1993). Radiolyse et radiostérilisation des médicaments. Journal de chimie physique, 90, 1029-1040|résumé
  6. De Echave T (2018) Étude des mĂ©canismes d'altĂ©ration des verres nuclĂ©aires sous radiolyse alpha et en conditions environnementales (Doctoral dissertation)
  7. Gavarini, S. (2018). De l'Ă©tude des cĂ©ramiques nuclĂ©aires en conditions extrĂȘmes d'irradiation et de tempĂ©rature (Doctoral dissertation).
  8. ThĂšse de M. Tribet, 2004-2007, École normale supĂ©rieure, « Étude de l’effet de la radiolyse de l’eau sur la livixation de la zirconolite», URL:http://phd-physics.universite-lyon.fr/soutenances-/

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Akram N (1993). PhĂ©nomĂ©nologie de la radiolyse de sels: application au stockage des dĂ©chets nuclĂ©aires de haute activitĂ© (Doctoral dissertation, Paris 6)
  • Bonnefont-Rousselot D (1999) Oxidation of lipoproteins and mechanism of action of antioxidants: contribution of gamma radiolysis. In Annales de biologie clinique (Vol. 57, No. 4, pp. 409-16).
  • Debuyst, R., Apers, D. J., & Capron, P. C. (1972). Étude des centres paramagnĂ©tiques crĂ©Ă©es par radiolyse dans le K2CrO4. Journal of Inorganic and Nuclear Chemistry, 34(5), 1541-1550|rĂ©sumĂ©.
  • Ferradini C & Seide C (1969) Radiolyse de solutions acides et aĂ©rĂ©es de peroxyde d'hydrogĂšne. International Journal for Radiation Physics and Chemistry, 1(2), 219-228.
  • Goulet T, Jay-Gerin J.P, Frongillo Y, Cobut V & Fraser M.J (1996) RĂŽle des distances de thermalisation des Ă©lectrons dans la radiolyse de l’eau liquide. Journal de chimie physique, 93, 111-116.
  • Marignier J.L & Belloni J.(1988) NanoagrĂ©gats de nickel gĂ©nĂ©rĂ©s par radiolyse. Journal de chimie physique, 85, 21-28|rĂ©sumĂ©.

Liens externes

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