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Emir Kusturica

Emir Kusturica (API : /ˈku.stu.ri.tsa/ ; en serbe cyrillique : Đ•ĐŒĐžŃ€ Кустуроца) est un cinĂ©aste, acteur et musicien franco-serbe, nĂ© le Ă  Sarajevo[alpha 1].

Emir Kusturica
Biographie
Naissance
Nom dans la langue maternelle
ĐĐ”ĐŒĐ°ŃšĐ° Đ•ĐŒĐžŃ€ Кустуроца ou Emir Nemanja Kusturica
Nationalités
Domicile
Formation
Académie du cinéma de Prague
Druga Gimnazija (en)
Academy of Performing Arts in Sarajevo (en)
Activités
Période d'activité
depuis
Conjoint
Maja Kusturica (d)
Enfant

Il a notamment été deux fois récompensé par la Palme d'or au Festival de Cannes, pour Papa est en voyage d'affaires et Underground.

Biographie

Identité et religion

Emir Kusturica naßt le à Sarajevo, en République socialiste de Bosnie-Herzégovine, qui faisait partie de la République fédérative socialiste de Yougoslavie.

Le New York Times l'interroge au dĂ©but de la guerre en Bosnie-HerzĂ©govine sur son identitĂ© et il rĂ©pond : « Je suis un exemple vivant du mĂ©lange et de la conversion des Serbes en Bosnie. Mes grands-parents vivaient dans l’Est de l’HerzĂ©govine. Ils Ă©taient trĂšs pauvres. Les Turcs sont venus et ont apportĂ© l'Islam. Il y avait trois frĂšres au sein de la famille. L’un Ă©tait chrĂ©tien orthodoxe. Les deux autres se sont convertis Ă  l’islam pour survivre. »[1].

La famille du cinĂ©aste est reprĂ©sentative de la pluralitĂ© ethnique de la Yougoslavie dont l'effritement la marginalise plus tard : les ancĂȘtres d'Emir- Nemanja Kusturica sont des Serbes orthodoxes de Bosnie-HerzĂ©govine[2]. Environ la moitiĂ© des habitants de Bosnie-HerzĂ©govine sont adeptes de l'islam depuis la conquĂȘte ottomane des Balkans[2], alors qu'environ un tiers de la population est de confession orthodoxe et 15 % de confession catholique. NĂ©anmoins, le rĂ©alisateur n'est pas intĂ©grĂ©, dans son enfance, aux coutumes religieuses du pays[2]. Il est par ailleurs tenu Ă  l'Ă©cart de tout culte religieux, son pĂšre Ă©tant non-croyant et communiste[2]. Ce dernier est Ă©galement un ancien rĂ©sistant Ă  l'Allemagne nazie, intĂ©grĂ© aux troupes armĂ©es, civiles et partisanes titistes.

Ces Ă©lĂ©ments sont Ă  nuancer sĂ©rieusement : dans sa relativement longue « profession de foi »[3] publiĂ©e Ă  peu prĂšs au mĂȘme moment, Kusturica se dĂ©finit comme yougoslave et « enfant de la Bosnie primitive ». Il prĂ©cise mĂȘme que « des nationalistes serbes » l'ont « menacĂ© d'une nouvelle circoncision » aprĂšs le succĂšs de son film Papa est en voyage d'affaires, ce qui accrĂ©dite l'idĂ©e qu'il fut circoncis selon la coutume musulmane et comme le montre ce film dont le couple parental principal est musulman et fait circoncire leurs fils. Dans le mĂȘme livre (chapitre « Nostalghia »), il indique que sa grand-mĂšre paternelle Ă©tait « fortement liĂ©e aux rites musulmans » et que sa famille « les a d'ailleurs conservĂ©s ».

En fait, Kusturica s'est toujours senti profondément yougoslave et c'est ce dernier terme qui définit sans doute le mieux son identité au moins jusqu'au début des années 2000.

Le jour de Đurđevdan (la Saint-Georges) en 2005, Emir Kusturica est baptisĂ© Ă  l’Église orthodoxe serbe sous le nom de Nemanja Kusturica (ĐĐ”ĐŒĐ°ŃšĐ° Кустуроца) dans le monastĂšre de Savina, prĂšs de Herceg Novi, au MontĂ©nĂ©gro[4]. Ses dĂ©tracteurs analysent ce geste comme une trahison de son passĂ© musulman et une nĂ©gation de ses racines, ce Ă  quoi il rĂ©pond : « Mon pĂšre Ă©tait athĂ©e tout en se dĂ©finissant comme serbe. D'accord, nous avons peut-ĂȘtre Ă©tĂ© musulmans pendant 250 ans, mais nous Ă©tions orthodoxes avant cela, tout en restant serbes. »[5].

Prague

Le jeune Emir se passionne pour le cinĂ©ma : pour gagner de l'argent de poche, il travaille pour le cinĂ©ma de son quartier Ă  Sarajevo oĂč il assiste aux projections. Un ami de son pĂšre l’invite Ă©galement sur le plateau des films officiels. Mais dans la banlieue de Sarajevo, le jeune homme joue au football, sort beaucoup et frĂ©quente d’autres enfants que ses parents ne voient pas d’un bon Ɠil. Inquiets pour son avenir, son pĂšre et sa mĂšre, d’une famille respectable, dĂ©cident de l’envoyer Ă©tudier Ă  l’étranger. Il est envoyĂ© chez sa tante Ă  Prague et entre Ă  l’acadĂ©mie du cinĂ©ma de la capitale tchĂ©coslovaque : la FAMU. ÉlĂšve brillant et appliquĂ©, il y rĂ©alise deux courts mĂ©trages : Une partie de la vĂ©ritĂ© et Automne. Ses professeurs voient en lui un talent trĂšs prometteur, et plus tard, dans ses interviews, il rend hommage de nombreuses fois Ă  son professeur de mise en scĂšne : le TchĂšque Otakar Vavra. Pendant ses annĂ©es praguoises, Kusturica absorbe tous les grands classiques du cinĂ©ma, qu’ils soient russes, tchĂšques, français, italiens ou amĂ©ricains. Ces films marquent profondĂ©ment son style Ă  venir.

En 1978, Emir Kusturica rĂ©alise son court mĂ©trage de fin d’études Guernica, un film douloureux et faussement naĂŻf sur l’antisĂ©mitisme vu par un petit garçon. Ce film obtient le Premier Prix du cinĂ©ma Ă©tudiant du Festival international du film de Karlovy Vary.

Sarajevo

Avec ce premier trophĂ©e, il rentre alors Ă  Sarajevo et y obtient un contrat Ă  la tĂ©lĂ©vision. Artiste anticonformiste, Ă©loignĂ© de la ligne du pouvoir central sur le cinĂ©ma, il rĂ©alise en 1979 le moyen mĂ©trage Les jeunes mariĂ©es arrivent (de), tirĂ© d’un scĂ©nario d'Ivica Matić qui traite de l’inceste. Fortement influencĂ© par l'Ɠuvre d’AndreĂŻ Tarkovski, le film dĂ©range par sa forme et son contenu audacieux. Il est interdit de diffusion. Kusturica conserve nĂ©anmoins son poste Ă  la tĂ©lĂ©vision et tourne l’annĂ©e suivante son second film : CafĂ© Titanic, tirĂ© d’une nouvelle du prix Nobel de littĂ©rature yougoslave Ivo Andrić. Avec ce film, il remporte le premier prix du Festival de la tĂ©lĂ©vision yougoslave.

Il rĂ©alise son premier long mĂ©trage Te souviens-tu de Dolly Bell ?, la mĂȘme annĂ©e, sur la base d’un scĂ©nario coĂ©crit avec le poĂšte bosniaque Abdulah Sidran. Le film est semi-autobiographique, et raconte la difficultĂ© pour un groupe d’enfants dans le Sarajevo des annĂ©es 1960 de se confronter au rĂȘve occidental sous le rĂ©gime de Tito. Le cinĂ©aste y rĂ©vĂšle dĂ©jĂ  ses talents de conteur, de portraitiste et de satiriste par son sens du dĂ©tail poĂ©tique et son observation aiguisĂ©e des mƓurs yougoslaves traditionnelles[6]. Le monde dĂ©couvre ainsi le cinĂ©ma singulier du jeune Yougoslave grĂące Ă  l'obtention du Lion d'or de la PremiĂšre ƒuvre Ă  la Mostra de Venise et du Prix de la critique au Festival du film international de SĂŁo Paulo[6].

Kusturica travaille sur son deuxiĂšme film, Papa est en voyage d'affaires, avec le mĂȘme scĂ©nariste dans l'optique de rĂ©aliser une trilogie sur sa ville natale. Le troisiĂšme volet ne verra pas le jour, mais ce deuxiĂšme film, qui tĂ©moigne de la douleur des familles sĂ©parĂ©es par l’arbitraire politique du rĂ©gime de Tito, remporte Ă  la surprise gĂ©nĂ©rale la Palme d'or au Festival de Cannes 1985 et rate la remise de prix, parce qu’il avait "un parquet Ă  poser chez un ami". La rĂ©compense propulse cependant au niveau des plus grands ce jeune rĂ©alisateur de 31 ans. Pour Ă©vacuer la pression, Kusturica intĂšgre pendant un an le groupe de musique de ses amis de Zabranjeno puĆĄenje en tant que bassiste. Il frĂ©quente en consĂ©quence la scĂšne musicale yougoslave et se lie d’amitiĂ© avec le plus grand auteur-compositeur et guitariste de rock national, Goran Bregović, devenu une star nationale dans toute l’ex-Yougoslavie avec le groupe Bijelo Dugme (Bouton blanc).

Les États-Unis

La Palme d'or lui ouvre toutes les portes, notamment celles des producteurs internationaux. La Columbia s’intĂ©resse Ă  lui et lui propose un contrat mirobolant. Il hĂ©site entre plusieurs scĂ©narios dont un sur les Doukhobors. Finalement, un fait divers sur les gitans retient son attention et le pousse Ă  travailler avec le journaliste Gordan Mihic afin d'Ă©laborer l’histoire douloureuse et en partie authentique de Perhan dans Le Temps des Gitans. Mais l’Ɠuvre, qui se veut plus une fable onirique qu’un portrait documentaire, trahit des accointances avec le rĂ©alisme magique, juxtaposant une description prĂ©cise du mode de vie des Gitans Ă  des Ă©lĂ©ments mythologiques, irrationnels et surnaturels (dons de voyance, de tĂ©lĂ©kinĂ©sie, accouchement en lĂ©vitation...). Tous sont inhĂ©rents Ă  la pensĂ©e superstitieuse et mystique des communautĂ©s tziganes. Cette pensĂ©e alimente par ailleurs fortement l’imaginaire du cinĂ©aste pour ce film-lĂ  comme pour ses futures rĂ©alisations. Une fois montĂ©, Le Temps des Gitans est prĂ©sentĂ© Ă  Cannes oĂč il obtient le Prix de la mise en scĂšne en 1989. À l’issue du tournage, Kusturica est appelĂ© Ă  New York par le rĂ©alisateur amĂ©ricano-tchĂšque MiloĆĄ Forman, ancien collĂšgue de la FAMU et prĂ©sident du jury cannois qui lui attribua la Palme Ă  l'unanimitĂ© en 1985. Forman souhaite qu'il le remplace Ă  son poste d'enseignant Ă  l'universitĂ© Columbia.

Aux États-Unis, un des Ă©lĂšves de Kusturica, David Atkins, lui propose un scĂ©nario qui devient Arizona Dream. Le cinĂ©aste arrĂȘte l'enseignement et se consacre entiĂšrement Ă  la fabrication de cette Ɠuvre, consacrĂ©e au rĂȘve amĂ©ricain et Ă  sa dure confrontation au rĂ©el. La conception douloureuse du film est rendue encore plus difficile par le dĂ©but du conflit en Yougoslavie auquel le cinĂ©aste assiste, impuissant, Ă  des milliers de kilomĂštres. Le tournage est arrĂȘtĂ© Ă  de nombreuses reprises pour le laisser faire des allers-retours en Europe centrale et aider ses parents Ă  faire face au conflit. AprĂšs le pillage de la maison familiale de Sarajevo et le vol de ses premiers trophĂ©es, Kusturica fait dĂ©mĂ©nager ses parents au MontĂ©nĂ©gro[7]. Arizona Dream, interprĂ©tĂ© par Johnny Depp dont il reste trĂšs proche par la suite[8] mais aussi Jerry Lewis, Faye Dunaway et Vincent Gallo est tout de mĂȘme achevĂ© et obtient l'Ours d'argent au Festival de Berlin 1993.

Belgrade

Emir Kusturica Ă  Bruxelles en 2005.

ExtrĂȘmement choquĂ© par les Ă©vĂ©nements en Bosnie et par la maniĂšre dont ils sont prĂ©sentĂ©s par les mĂ©dias internationaux, Kusturica constate son impuissance Ă  agir depuis les États-Unis et dĂ©cide alors de revenir avec son Ă©pouse sur sa terre natale et de montrer au reste du monde sa propre vision du conflit qui dĂ©chire sa nation. Produit entre la France, l'Allemagne, la Hongrie, la Bulgarie et la Serbie, Underground aborde le difficile thĂšme de la guerre en ex-Yougoslavie et couvre 50 ans d'histoire, des bombardements de l'Allemagne nazie sur Belgrade en 1941 aux conflits ethniques des annĂ©es 1990, en passant par l'Ăšre Tito. Cette vaste fresque au souffle Ă©pique mĂȘle farce bouffonne, symbolisme, onirisme, opĂ©ra burlesque et esthĂ©tique carnavalesque[9]. Sous son exubĂ©rance, le film traduit une conception tragique et dĂ©sespĂ©rĂ©e de l’histoire[9]. Underground est Ă  la fois le long mĂ©trage le plus douloureux, le plus visionnaire et le plus inventif de la carriĂšre du metteur en scĂšne, nourri par une force poĂ©tique et visuelle inĂ©galĂ©e dans son Ɠuvre[9]. Il est en partie tournĂ© dans les studios de Prague pour les sĂ©quences en intĂ©rieur et en partie Ă  Belgrade, en pleine guerre, pour les scĂšnes d'extĂ©rieur. Au lendemain du massacre de Tuzla, le film vaut au rĂ©alisateur une seconde Palme d'or cannoise en 1995, en dĂ©pit de la forte controverse qu’il essuie lors de sa prĂ©sentation en France. Alain Finkielkraut publie au lendemain de la proclamation du palmarĂšs une violente tribune dans Le Monde, intitulĂ©e L'imposture Kusturica[10] - [11]. L'auteur y accuse le cinĂ©aste de capitaliser sur la souffrance des martyrs de Sarajevo et de se livrer Ă  une propagande pro-serbe sous couvert d'exprimer sa nostalgie de l'ancienne Yougoslavie[9]. En parallĂšle, Bernard-Henri LĂ©vy renchĂ©rit dans Le Point, reprochant au rĂ©alisateur d'avoir « choisi le camp des bourreaux » et de faire d'Underground une arme idĂ©ologique au service des nationalistes serbes[9]. Kusturica rĂ©pond, le , par un article intitulĂ© Mon imposture[12]. Il rĂ©cuse les accusations profĂ©rĂ©es Ă  son encontre et affirme que ni Finkielkraut ni LĂ©vy n'ont vu le film, ce que les intĂ©ressĂ©s confirment tout en maintenant leurs dĂ©clarations[13] - [14]. Entre-temps, le metteur en scĂšne reçoit le soutien de personnalitĂ©s du monde culturel parmi lesquelles le rĂ©alisateur grec Theo Angelopoulos[15].

Cette polĂ©mique, et plus encore un reportage paru dans Le Monde sur le sentiment de « trahison » ressenti par ses amis d'enfance et ses compagnons de cinĂ©ma dans le Sarajevo assiĂ©gĂ© et bombardĂ© par l'armĂ©e des serbes de Bosnie , dĂ©cident le cinĂ©aste meurtri Ă  « lier son destin au rĂ©gime de Slobodan MiloĆĄević »[16] et Ă  arrĂȘter le cinĂ©ma. Il se ravise pourtant aprĂšs avoir visionnĂ© le film Le Jour et la Nuit, « en voyant les dommages que Bernard-Henri LĂ©vy peut causer au monde du cinĂ©ma. »[17]. Il tourne Chat noir, chat blanc en 1998, un film aux antipodes du prĂ©cĂ©dent, plus calme mais non moins pittoresque, plein de couleurs, de musique, de cocasserie et d'humour. Il permet au cinĂ©aste d’ĂȘtre gratifiĂ© d’un Lion d'argent Ă  la Mostra de Venise en 1998. Comme toujours, pour dĂ©compresser, il revient Ă  la musique et enchaĂźne une tournĂ©e mondiale avec son groupe de musique rebaptisĂ© le No Smoking Orchestra. De cette tournĂ©e, il rĂ©alise le documentaire Super 8 Stories en 2001.

KĂŒstendorf

L’ethno-village de KĂŒstendorf

AprĂšs plusieurs projets non concrĂ©tisĂ©s, Kusturica dĂ©cide de revenir une nouvelle fois sur la guerre et l’aborde Ă  travers une histoire dont il a l'idĂ©e depuis longtemps : une transposition de RomĂ©o et Juliette dans les Balkans. L'idĂ©e donne naissance au film La vie est un miracle qui sort en 2004. Pour le tournage, il s'arrĂȘte avec son Ă©quipe dans les montagnes de la Mokra Gora et y construit pour l’occasion une voie ferrĂ©e et un village traditionnel en bois. Ce village, baptisĂ© KĂŒstendorf et dont il s’autoproclame maire, est Ă©rigĂ© en place forte de l’altermondialisme, du tourisme Ă©cologique et de l’enseignement du cinĂ©ma comme il l’explique alors lors de nombreuses interviews. Le village est ouvert au public depuis . Un sĂ©minaire de cinĂ©ma pour jeunes Ă©tudiants y a eu lieu au cours de l’étĂ© 2005. La commune de KĂŒstendorf gagne en octobre 2005 le Prix europĂ©en d'architecture Philippe-Rotthier[18]. Entre-temps le cinĂ©aste, grand lecteur de Gabriel GarcĂ­a MĂĄrquez dont l'univers a largement influencĂ© Le Temps des Gitans et Underground, nourrit le projet d'adapter L'Automne du patriarche et rencontre l'Ă©crivain colombien Ă  La Havane afin de discuter de la mise Ă  l'Ă©cran de son livre[19]. Kusturica souhaite Ă©galement porter Ă  l'Ă©cran d'autres Ɠuvres du prix Nobel de littĂ©rature 1982 parmi lesquelles Cent ans de solitude, son chef-d’Ɠuvre[19]. NĂ©anmoins, aucune des adaptations souhaitĂ©es ne voit le jour[19].

Toujours dans les environs de KĂŒstendorf, aprĂšs avoir passĂ© une annĂ©e Ă  travailler sur un documentaire consacrĂ© au joueur de football Diego Maradona, Kusturica dĂ©bute en 2006 le tournage de Promets-moi. Le premier film, qui met plus de temps Ă  se faire que prĂ©vu, sort sur les Ă©crans français Ă  la fin du mois de mai 2008 alors que le second, rĂ©alisĂ© aprĂšs et sĂ©lectionnĂ© au Festival de Cannes 2007, est distribuĂ© en France en janvier 2008.

Andrićgrad

De la mĂȘme façon qu'il a fait bĂątir KĂŒstendorf, ou "Drvengrad" (Village en bois), le rĂ©alisateur fonde une nouvelle ville en hommage au livre d'Ivo Andrić, Le Pont sur la Drina. Le rĂ©alisateur serbe Emir Kusturica avec le soutien du prĂ©sident de l'entitĂ© administrative bosnienne de la RĂ©publique serbe de Bosnie Milorad Dodik, compte adapter au cinĂ©ma Le Pont sur la Drina, et pour cela il souhaite reconstruire en dur Ă  l'identique une partie de la ville dĂ©crite par Andrić dans son livre[20]. Andrićgrad (en), ou "Kamengrad" (Village en pierre), est construit prĂšs de l'actuelle ville de ViĆĄegrad, et inaugurĂ© le , date commĂ©morant le centenaire de l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche Ă  Sarajevo. Il est Ă©galement reprochĂ© au projet de serbiser un pan de la ville, plutĂŽt musulman.

Quelques touches caractéristiques

La musique

La musique est omniprĂ©sente dans les films de Kusturica. AprĂšs une collaboration avec Zoran Simjanović pour ses premiers films, ce sont surtout les trois films qu’il fait avec Goran Bregović qui marquent les esprits : Le Temps des Gitans (1990), Arizona Dream (1993) et Underground (1995). Il travaille Ă©galement avec le trompettiste serbe Boban Marković et sa fanfare de onze musiciens, de nos jours considĂ©rĂ©e comme l’une des meilleures fanfares d’Europe centrale. Depuis 1998, c’est son propre groupe le No Smoking Orchestra qui assure la musique de ses films. Il y joue de la guitare et du banjo et compose une partie des morceaux.

Les Gitans

Les Gitans sont le thĂšme central de deux des films de Kusturica : Le Temps des Gitans et Chat noir, chat blanc, mĂȘme si des joueurs de musique tziganes apparaissent dans quasiment tous ses autres films. Emir Kusturica n’a pas de racines familiales gitanes mais il les a frĂ©quentĂ©s depuis sa plus tendre enfance et, pour lui, ce peuple symbolise la notion mĂȘme de libertĂ©.

Kusturica met en scĂšne un opĂ©ra punk, Le Temps des Gitans, dont la premiĂšre reprĂ©sentation est donnĂ©e le Ă  l’OpĂ©ra Bastille Ă  Paris. L’opĂ©ra est fondĂ© sur son film de 1989, Le Temps des Gitans, le livret est Ă©crit par Nenad Jankovic et la musique composĂ©e par le No Smoking Orchestra. L’Ɠuvre, trĂšs diffĂ©rente de la programmation habituelle de l’OpĂ©ra Bastille (chants amplifiĂ©s au micro, voies sur scĂšne, dĂ©cors rocambolesques, etc.) remporte un vif succĂšs critique et public et reçoit des applaudissements fournis lors des reprĂ©sentations.

Influences et références

Son impressionnante connaissance des classiques du cinéma, Emir Kusturica la distille par petites touches dans ses films sous forme de plans hommages directs ou indirects, aux plus grands films. Ainsi:

La politique

Kusturica est souvent trĂšs engagĂ© dans les propos qu’il tient lors d’interviews (mĂȘme si, selon le pays ou la date oĂč est effectuĂ©e l’interview, les propos peuvent varier Ă©normĂ©ment). Cet engagement politique se reflĂšte dans ses films, qui prĂ©sentent souvent les diffĂ©rents cĂŽtĂ©s d’un conflit sous un Ă©clairage original. Dans Papa est en voyage d'affaires, le personnage principal, bien que puni trop sĂ©vĂšrement pour un crime politique imaginaire, est en fait un pĂšre de famille plutĂŽt nĂ©gligent. Chat noir, chat blanc, film apparemment apolitique, a Ă©tĂ© tournĂ© sur les rives du Danube quelques mois avant qu’elles ne soient pilonnĂ©es par l’OTAN en 1999. Dans La vie est un miracle, le conflit serbo-bosniaque est montrĂ© du point de vue d'un Serbe de Bosnie, chassĂ© de ses terres par les Bosniaques. Ses Ɠuvres tournent souvent en ridicule les mƓurs serbes comme bosniaques[9]. Dans ses films et ses dĂ©clarations publiques, le cinĂ©aste refuse de considĂ©rer la Serbie comme la seule responsable des guerres de l'ancienne Yougoslavie et rejette la vision des mĂ©dias Ă©trangers sur son pays qu'il juge simpliste et arrogante[9]. Il s'oppose Ă©galement Ă  l'ingĂ©rence occidentale et l'impĂ©rialisme des grandes puissances[8]. Underground reprĂ©sente la FORPRONU comme une force corrompue : des scĂšnes coupĂ©es de la version projetĂ©e Ă  Cannes, en 1995, la montrent fortement active dans des trafics de drogue et d'argent[9].

Prises de position polémiques

Socialiste et antinationaliste[22], Kusturica est rĂ©guliĂšrement attaquĂ© dans la presse pour ses prises de position jugĂ©es opaques parmi lesquelles le fait d'avoir rejetĂ© la nationalitĂ© bosnienne sous prĂ©texte de s'opposer aux particularismes ethniques, son refus de condamner Slobodan MiloĆĄević et les exactions serbes, sa dĂ©fiance envers l'engagement humanitaire aux Balkans ou encore son idĂ©alisation de l'ex-Yougoslavie qui dissimulerait une fascination pour la Grande Serbie[9] - [11]. Il lui est Ă©galement reprochĂ© de ne pas reconnaĂźtre le droit international et de rĂ©cuser comme mĂ©galomane le modĂšle dĂ©mocratique occidental[11]. Le cinĂ©aste et son groupe, le No Smoking Orchestra, ont Ă©crit une chanson au sujet de Radovan KaradĆŸić, surnommĂ© « Le boucher des Balkans » : Wanted Man[11]. Il qualifie cependant ce dernier de « criminel »[23].

En compagnie de Patrick Modiano, Paul Nizon, Bulle Ogier, Luc Bondy et Elfriede Jelinek, Kusturica apporte, en 2006, son soutien Ă  l'Ă©crivain autrichien Peter Handke face Ă  la censure dont il fait l'objet de la part de la ComĂ©die-Française aprĂšs s'ĂȘtre rendu aux obsĂšques de MiloĆĄević[24]. En 2008, il participe Ă  une manifestation serbe contre l’indĂ©pendance du Kosovo, au cours de laquelle plusieurs personnalitĂ©s affirment que la Serbie n’acceptera jamais cet Ă©tat de fait[25].

En 2014, aprĂšs avoir dĂ©fendu Alexandre Loukachenko, accusĂ© par l'Occident de bafouer les droits de l'homme au BĂ©larus, il dĂ©clare que « la Russie doit dĂ©fendre les Russes qui vivent en Ukraine », ajoutant que « malheureusement, l'Ukraine se dirige actuellement sur la mĂȘme voie que la Yougoslavie, il y a des annĂ©es »[22].

Symboles

Un certain nombre de thĂšmes et symboles reviennent dans ses films comme des leitmotive : la vision du monde par les enfants, les amours sombres et passionnĂ©es, le conflit ethnique, le dĂ©chirement fratricide, le rĂ©alisme magique, les animaux, la nature, les mariages, le football, le suicide par pendaison, l’envol, le tragique de l'histoire, le kitsch politique (l'utopie communiste et le rĂȘve amĂ©ricain) et artistique. GĂ©nĂ©ralement, Kusturica fait cohabiter divers registres, genres ou styles dans ses mises en scĂšne : naturalisme, grotesque, burlesque, Ă©lĂ©gie, satire, parodie, lyrisme, mĂ©lodrame, ironie, symbolisme, onirisme, merveilleux, etc.

La famille

L’importance de la famille est souvent au cƓur de l’intrigue des films de Kusturica (au travers d’histoires de passage Ă  l’ñge adulte, de sĂ©parations, de trahisons ou de mariages). Dans sa vie personnelle Ă©galement, la famille joue un grand rĂŽle puisque sa femme Maja Kusturica (Orthodoxe Serbe) l'assiste dans la production de ses films, et son fils Stribor Kusturica joue de la batterie dans son groupe le No Smoking Orchestra, et fait occasionnellement l'acteur dans ses films. Sa fille, Dunja Kusturica, a Ă©tĂ© son assistante sur le tournage de Maradona et sĂ©lectionne annuellement une quinzaine de films de fin d'Ă©tudes parmi les meilleures Ă©coles et universitĂ©s de cinĂ©ma internationales, projetĂ©s au Festival de KĂŒstendorf[26]. Cet Ă©vĂ©nement est l'occasion pour le cinĂ©aste d'afficher une ligne politique altermondialiste et Ă©cologiste en s'opposant Ă  tout ce qui symbolise Hollywood : chaque annĂ©e, une cĂ©rĂ©monie d'enterrement de copies de blockbusters amĂ©ricains est organisĂ©e[26]. Plusieurs personnalitĂ©s du cinĂ©ma se sont rendues au festival parmi lesquelles Johnny Depp, Benicio del Toro, BĂ©rĂ©nice Bejo, Guillermo Arriaga, Srdjan Koljevic, Isabelle Huppert, les frĂšres Dardenne, Nuri Bilge Ceylan, Abel Ferrara, Asghar Farhadi, Paolo Sorrentino, Leila Hatami, Marjane Satrapi, Janusz Kaminski, Nikita Mikhalkov, Kim Ki-duk ou encore Thierry FrĂ©maux[26] - [8] - [27] - [28] - [29]. Kusturica vit avec sa famille entre la Normandie, Paris, Belgrade et KĂŒstendorf[30] - [31]. Il dĂ©tient les nationalitĂ©s serbe et française (il fut naturalisĂ© français Ă  la fin des annĂ©es 1990)[32] - [4].

Filmographie

Courts et moyens métrages

Téléfilms

  • 1979 : Les mariĂ©es arrivent
  • 1980 : CafĂ© Titanic (Premier Prix du Festival du film de la tĂ©lĂ©vision yougoslave Ă  Portoroz)

Longs métrages

Clip vidéos

Publicités

Emir Kusturica a tournĂ© de nombreuses publicitĂ©s pour la tĂ©lĂ©vision française dans les annĂ©es 1990 (Le Sucre, Banque populaire, parfum XS de Paco Rabanne, Renault Occasion), mais aussi pour d’autres pays (Suisse : cigarettes Parisienne People, Allemagne : campagne pour la lutte contre le SIDA, Italie : IOL, Serbie : jus de fruit Next, Russie : Baltimor Ketchup, etc.)

Acteur

Distinctions

RĂ©compenses

Au festival de Cannes en 2005

Nominations

DĂ©corations

Jurys de festivals

Divers

Notes et références

Notes

Références

  1. David Binder, « Conversations : Emir Kusturica; A Bosnian Movie Maker Laments The Death of the Yugoslav Nation », sur nytimes.com, (consulté le ).
  2. Emir Kusturica sur l'EncyclopÊdia Universalis, consulté le 21 mai 2014.
  3. Jean-Marc Bouineau, Le Petit Livre d’Emir Kusturica, Ă©ditions Spartorange, 1993 (ISBN 2-9506112-2-2)
  4. StĂ©phanie Leclair De Marco, « Emir Kusturica : un homme de convictions », Valeurs actuelles,‎ (lire en ligne)
  5. Emir Kusturica, « 'I will not cut my film' », sur the Guardian, (consulté le ).
  6. Emir Kusturica sur Ciné-Ressources (associé à la CinémathÚque française), consultée le 21 mai 2014.
  7. Interview de juillet 2003 parue dans Ekstra magazin, magazine de Republika Srpska
  8. [vidéo], Youtube « Interview d'Emir Kusturica au journal de TV5 Monde (2011) », consulté le 20 mai 2014.
  9. Sophie Grassin, « Faut-il brĂ»ler Underground ? », L'Express,‎ (lire en ligne)
  10. L’imposture Kusturica - Le Monde, 2 juin 1995, accessible avec abonnement
  11. Anastasia Levy, « Kusturica, la Palme de l'obscurantisme », Slate,‎ (lire en ligne)
  12. Le Monde, 26 octobre 1995, accessible avec abonnement
  13. Dispute Leads Bosnian to Quit Films; The New York Times, 5 décembre 1995
  14. Sarajevan's Journey From Cinema Hero to 'Traitor';Los Angeles Times, 6 October 1997
  15. Vincent Remy, « Mort de Theo Angelopoulos, cinĂ©aste grec au-delĂ  des frontiĂšres », TĂ©lĂ©rama,‎ (lire en ligne).
  16. A Sarajevo, les souvenirs amers des anciens amis d'un enfant de la rue - RĂ©my Ourdan, Le Monde, 26 octobre 1995, accessible avec abonnement
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  34. Palme d'or Ă  Emir Kusturica pour "Underground" sur ina.fr

Voir aussi

Bibliographie

De l’auteur
  • Emir Kusturica, OĂč suis-je dans cette histoire ? (autobiographie), Ă©ditions JC LattĂšs, 2011 (ISBN 978-2-7096-1915-8)
  • Serge GrĂŒnberg et Emir Kusturica, Il Ă©tait une fois... Underground, Ă©ditions Cahiers du cinĂ©ma, 1995 (ISBN 2-86642-164-7)
  • Emir Kusturica, Étranger dans le mariage, Ă©ditions JC LattĂšs, 2015 (ISBN 978-2-7096-4589-8)
Sur Emir Kusturica
  • Peggy Saule, Le baroquisme d'Emir Kusturica, un cinĂ©ma de la mĂ©tamorphose, Ă©ditions EUE, Berlin, 2010, (ISBN 978-613-1-54608-2)
  • Jean-Max MĂ©jean, Emir Kusturica, Ă©ditions Gremese, 2007 (ISBN 978-88-7301-625-0)
  • Matthieu Dhennin, Le Lexique subjectif d’Emir Kusturica, Ă©ditions L’Âge d’homme, 2006 (ISBN 2-8251-3658-1)
  • Jean-Marc Bouineau, Le Petit Livre d’Emir Kusturica, Ă©ditions Spartorange, 1993 (ISBN 2-9506112-2-2)
  • Laurent Le BoĂ«ttĂ©, Emir Kusturica, l'Ă©ternel gitan des Balkans, mĂ©moire de fin d'Ă©tudes de Sciences-Po Grenoble, UniversitĂ© Pierre MendĂšs France-Grenoble II, dir. Claude Boyard & Eric Chaudron, 2001, 108 p.
  • Ksenia SmoloviĂ©, sous la direction de Bruno PĂ©quignot, Le cinĂ©ma d'Emir Kusturica et ses reprĂ©sentations de la Yougoslavie, mĂ©moire de master 1 en mĂ©diation culturelle, UniversitĂ© Sorbonne Nouvelle-Paris 3, 2014, 96 p.

Articles connexes

Liens externes

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