AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

Dom Casmurro

Dom Casmurro est un roman de l’écrivain brĂ©silien Machado de Assis. Paru directement en volume en 1900, le roman est considĂ©rĂ© par la critique littĂ©raire comme le troisiĂšme volet de la dĂ©nommĂ©e Trilogie rĂ©aliste de l’auteur (Ă  cĂŽtĂ© des MĂ©moires posthumes de BrĂĄs Cubas de 1881 et de Quincas Borba de 1891, tous deux d’abord publiĂ©s en feuilleton), encore que Machado de Assis lui-mĂȘme n’ait jamais Ă©voquĂ© l’existence d’un tel ensemble[1].

Dom Casmurro
Image illustrative de l’article Dom Casmurro
Page de couverture de la premiÚre édition (de 1900, et non 1899 comme il est indiqué).

Auteur Machado de Assis
Pays Drapeau du Brésil Brésil
Genre Roman (réalisme psychologique)
Version originale
Langue Portugais
Éditeur Librairie Garnier
Lieu de parution Rio de Janeiro & Paris
Date de parution 1900
Version française
Traducteur Francis de Miomandre (1936) ;
Anne-Marie Quint (2002)
Éditeur Institut international de CoopĂ©ration intellectuelle (1936) ;
Albin Michel (2002)
Lieu de parution Paris
Date de parution 1936 et 2002
Nombre de pages Environ 250
Chronologie

Le personnage principal et narrateur est Bento Santiago, licenciĂ© en droit dans la cinquantaine, qui raconte l’histoire Ă  la premiĂšre personne et tente par ce moyen de « relier les deux bouts de sa vie »[2], c’est-Ă -dire d’une part l’époque de ses premiers souvenirs d’enfance, et d’autre part les jours oĂč il rĂ©dige le livre ; entre les deux se situent ses rĂ©miniscences de jeunesse, son sĂ©jour au sĂ©minaire, et son mariage avec Capitu, qu’est venue empoisonner la jalousie maladive du narrateur, nƓud central de la trame[3]. SituĂ© Ă  Rio de Janeiro sous le Second Empire du BrĂ©sil, le roman dĂ©bute par un Ă©pisode rĂ©cent, oĂč le narrateur se voit attribuer le sobriquet de Dom Casmurro (« Messire RenfrognĂ© »), d’oĂč le titre du livre.

Dom Casmurro est un roman rĂ©aliste centrĂ© sur l’analyse (ou le dĂ©voilement) psychologique et critiquant ironiquement la sociĂ©tĂ© — en l’occurrence, l’élite sociale de la capitale Rio de Janeiro —, Ă  partir du comportement de plusieurs personnages dĂ©terminĂ©s. Certains analystes cependant prĂ©fĂšrent considĂ©rer ces trois livres comme appartenant au rĂ©alisme psychologique, compte tenu de l’intention de l’auteur de reprĂ©senter le monde intĂ©rieur et la pensĂ©e du personnage, et de la quasi-absence d’action romanesque, absence conjuguĂ©e Ă  une grande densitĂ© psychologique et philosophique. Dom Casmurro s’écarte de l’orthodoxie rĂ©aliste en ceci notamment qu’il privilĂ©gie le temps psychologique (au lieu du temps linĂ©aire) ; donne la parole Ă  un narrateur apparemment peu fiable, non omniscient et s’exprimant Ă  la 1re personne ; a recours Ă  des outils littĂ©raires tels que l’ironie, la composition fragmentaire et l’intertextualitĂ©, cette derniĂšre consistant en de multiples rĂ©fĂ©rences Ă  Schopenhauer, Pascal, Dante, Goethe, etc., mais surtout Ă  Othello de Shakespeare ; prĂ©sente une propension Ă  l’ellipse et aux propos allusifs ; adopte une posture mĂ©talinguistique (de qui Ă©crit et se regarde en train d’écrire) ; parsĂšme de passages intercalĂ©s le cours de la narration; et laisse le champ Ă  des interprĂ©tations multiples et divergentes — autant d’élĂ©ments « anti-littĂ©raires », qui deviendront monnaie courante avec l’avĂšnement du modernisme plusieurs dĂ©cennies plus tard. Dom Casmurro peut aussi ĂȘtre vu comme un roman policier, oĂč il incomberait au lecteur d’examiner les dĂ©tails des actions relatĂ©es afin d’arriver Ă  une conclusion Ă  propos de la vĂ©racitĂ© de l’adultĂšre tel que postulĂ© par le narrateur, Ă  la vision duquel il s’agit de ne pas forcĂ©ment attacher foi, compte tenu des incohĂ©rences, des passages obscurs, et des insistances dĂ©concertantes. La « question centrale » de la culpabilitĂ© de Capitu ne cessera de prĂ©occuper les lecteurs, qui y rĂ©pondront affirmativement au moins jusque dans les annĂ©es 1960, quand des analystes fĂ©ministes pointeront le peu de crĂ©ance que l’on doit donner aux paroles du narrateur. Du reste, c’est toute la finesse de Machado que de multiplier, dans le rĂ©cit, les faits qui peuvent s’interprĂ©ter de maniĂšre contradictoire, ou que viennent contrebalancer ou contredire d’autres faits ailleurs dans le roman — ce qui donnera lieu Ă  la conception moderne de Dom Casmurro comme « Ɠuvre ouverte », oĂč la « question centrale » est somme toute hors sujet.

Outre l’interprĂ©tation psychologique, psychanalytique, voire psychiatrique (maturation affective tardive du narrateur, idĂ©e fixe, nĂ©vrose, complexe d’infĂ©rioritĂ©, homosexualitĂ© refoulĂ©e, etc.) dans la critique littĂ©raire des annĂ©es 1930 et 1940, s’est fait jour Ă©galement une lecture sociologique, plus particuliĂšrement dans la dĂ©cennie 1980 : les jalousies de Bento, enfant riche, issu d’une famille en dĂ©clin, figure typique du Second Empire, cacheraient une problĂ©matique sociale plus ample et viseraient le personnage de Capitu en tant qu’elle est une intruse, une menace au statu quo social, un intolĂ©rable trait d’union avec la classe sociale infĂ©rieure, reprĂ©sentant ainsi Ă©galement, implicitement, l’émergence potentielle d’un nouvel ordre politique susceptible de menacer le pouvoir Ă©tabli, pouvoir Ă©tabli que le narrateur s’efforce de « restaurer » (selon les termes du poĂšte HĂ©lder Macedo) en dĂ©truisant par son rĂ©cit la figure de Capitu.

Faisant suite aux MĂ©moires posthumes de BrĂĄs Cubas « dix-huitiĂ©mistes », et Ă  Quincas Borba « dix-neuviĂ©miste », Dom Casmurro, paru au seuil du XXe siĂšcle, apparaĂźt comme l’une des Ɠuvres les plus modernes du nouveau siĂšcle, en particulier en raison de l’incorporation du lecteur dans la structure de l’Ɠuvre, du traitement thĂ©matique du temps, de sa symbolique trĂšs Ă©laborĂ©e, et du caractĂšre problĂ©matique d’une rĂ©alitĂ© en fait impossible Ă  connaĂźtre, Ă  cause du dĂ©doublement narrateur-personnage, oĂč le narrateur non seulement raconte sa propre histoire comme personnage, mais encore celle de lui-mĂȘme en tant que narrateur, de supposĂ© auteur du livre[4]. Le roman se distingue de ses deux prĂ©dĂ©cesseurs par une structure plus serrĂ©e, une plus grande cohĂ©rence thĂ©matique, des contours psychologiques et des interactions entre les personnages plus nets, et l’élimination de tout superflu[5].

Au long des ans, Dom Casmurro, par sa thĂ©matique de la jalousie, l’ambiguĂŻtĂ© de Capitu, la peinture morale de l’époque, et le caractĂšre du narrateur, a fait l’objet non seulement de nombreuses Ă©tudes, mais aussi d’adaptations pour le thĂ©Ăątre, le cinĂ©ma ou d’autres moyens d’expression, et d’une profusion d’interprĂ©tations diverses. ConsidĂ©rĂ© comme un prĂ©curseur du modernisme[3] et des conceptions freudiennes[6], le roman eut une influence sur des Ă©crivains comme John Barth, Graciliano Ramos et Dalton Trevisan, et est tenu par quelques-uns comme le chef-d’Ɠuvre de Machado de Assis, en concurrence avec les MĂ©moires posthumes de BrĂĄs Cubas[7]. Dom Casmurro, traduit en plusieurs langues, reste une des Ɠuvres les plus illustres et les plus fondamentales de toute la littĂ©rature brĂ©silienne[8].

Intrigue

Le personnage principal et narrateur de ce rĂ©cit Ă  la premiĂšre personne est Bento de Albuquerque Santiago, avocat carioca ĂągĂ© de 54 ans, solitaire et fortunĂ©, qui, aprĂšs avoir reproduit Ă  l’identique dans le quartier d’Engenho Novo la maison oĂč il avait grandi « dans l’ancienne rue de Matacavalos » (actuelle rue du Riachuelo), cherche Ă  « relier les deux bouts de sa vie et sauvegarder son adolescence pendant sa vieillesse », c’est-Ă -dire raconter Ă  l’ñge mĂ»r ses expĂ©riences de garçon et de jeune homme. Dans le premier chapitre, le narrateur justifie le titre, choisi en ironique hommage Ă  un « poĂšte du train » qui un jour Ă©tait venu l’importuner dans son compartiment ferroviaire en dĂ©clamant quelques-uns de ses vers et qui l’appela ensuite Dom Casmurro, car le narrateur aurait « fermĂ© les yeux trois ou quatre fois » pendant la rĂ©citation[9]. Ses voisins, qui n’apprĂ©ciaient pas ses « habitudes recluses et silencieuses », mais aussi ses propres amis, adopteront bientĂŽt le sobriquet. Il Ă©crit son livre sous l’égide de quatre empereurs de l’AntiquitĂ© connus pour avoir assassinĂ© leur Ă©pouse adultĂšre, CĂ©sar, Auguste, NĂ©ron et Massinissa, et dont les mĂ©daillons ornent les murs de sa salle de sĂ©jour[10].

Dans les chapitres suivants, Bento Santiago commence Ă  noter ses souvenirs : les expĂ©riences vĂ©cues par lui aprĂšs que sa mĂšre, la veuve Dona GlĂłria, l’a envoyĂ© au sĂ©minaire, afin d’accomplir une promesse autrefois faite par elle, dans le cas oĂč elle concevrait un enfant aprĂšs son premier, mort-nĂ© ; cette promesse est opportunĂ©ment rappelĂ©e par le logĂ© et ami de la maison JosĂ© Dias, qui rapporte Ă  l’oncle Cosme et Ă  Dona GlĂłria l’amourette de Bento avec Capitu (diminutif affectueux de Capitolina), petite voisine pauvre pour laquelle l’adolescent Bento Santiago s’était pris de passion. Au sĂ©minaire, Bento fait la connaissance de son futur meilleur ami, Ezequiel de Sousa Escobar, fils d’un avocat de Curitiba. AprĂšs que sa mĂšre s’est affranchie de sa promesse par une astuce jĂ©suitique, Bento quitte finalement le sĂ©minaire et s’en va Ă©tudier le droit Ă  SĂŁo Paulo, pendant qu’Escobar se fait nĂ©gociant, rĂ©ussit dans ses affaires et Ă©pouse Sancha, amie de Capitu. En 1865, Capitu et Bento se marient Ă  leur tour ; Sancha et ÉzĂ©chiel Escobar ont une petite fille, Ă  laquelle ils donnent le nom de Capitolina, tandis que le protagoniste et son Ă©pouse conçoivent un fils qu’ils nomment Ezequiel. Escobar, quoiqu’excellent nageur, pĂ©rit noyĂ© en mer par imprudence en 1871, et lors des obsĂšques, la narrateur remarque que Sancha aussi bien que Capitu regardent fixement le dĂ©funt, et « il y eut un moment oĂč les yeux de Capitu s’attachaient sur le dĂ©funt, de la mĂȘme façon que ceux de la veuve, [...], comme la vague de la mer lĂ -dehors, comme si elle aussi voulait emporter le nageur de ce matin-lĂ  »[11].

Par la suite, le narrateur commence Ă  soupçonner que son meilleur ami et Capitu le trahissent en secret, et se met Ă©galement Ă  douter de sa propre paternitĂ©. Il indique dans les derniĂšres lignes de son livre : « [...] le destin voulut qu’ils finissent par se joindre et par me tromper
 »[12]. Le rĂ©cit s’achĂšve sur l’invite dĂ©sinvolte au lecteur « Passons Ă  l’Histoire des faubourgs »[12], titre de l’ouvrage qu’au dĂ©but du roman il se proposait d’écrire avant qu’il ne lui vienne l’idĂ©e de rĂ©diger Dom Casmurro. L’action du roman se dĂ©roule approximativement entre 1857 et 1875, et la narration permet d’identifier, concurremment au temps psychologique, quelques subdivisions : l’enfance de Bento dans la rue de Matacavalos ; la maison de Dona GlĂłria et la famille des voisins, les PĂĄdua (avec la parentĂšle et les gens de connaissance respectifs) ; la liaison avec Capitu ; le sĂ©jour au sĂ©minaire ; la vie conjugale ; le processus de condensation de la jalousie ; les accĂšs psychotiques de la jalousie, l’agressivitĂ© ; la rupture[13].

Caractéristiques

Genre littéraire

À partir de MĂ©moires posthumes de BrĂĄs Cubas (1881), Machado de Assis Ă©crivit des livres dont la thĂ©matique et le style d’écriture les diffĂ©renciaient assez nettement de ses romans antĂ©rieurs, encore redevables au romantisme, tels que Ressurreição et A MĂŁo e a Luva. Ces nouveaux romans — qui sont, outre les MĂ©moires posthumes, Quincas Borba (1891) et Dom Casmurro, ÉsaĂŒ et Jacob, et Memorial de Ayres — ont Ă©tĂ© gĂ©nĂ©ralement classĂ©s comme rĂ©alistes, eu Ă©gard Ă  leur attitude critique, Ă  leur souci d’objectivitĂ© et Ă  leur contemporanĂ©itĂ©[14]. Certains analystes cependant prĂ©fĂšrent considĂ©rer ces livres comme appartenant au rĂ©alisme psychologique[15], compte tenu de l’intention de l’auteur de reprĂ©senter le monde intĂ©rieur et la pensĂ©e du personnage, et de la quasi-absence d’action romanesque, absence conjuguĂ©e Ă  une grande densitĂ© psychologique et philosophique[16], encore que quelques rĂ©sidus de romantisme y restent dĂ©celables[14]. Si Ian Watt a postulĂ© que le rĂ©alisme prenait pour objet les expĂ©riences empiriques des hommes[17], en l’espĂšce cependant la recrĂ©ation du passĂ© Ă  travers les souvenirs du narrateur Bento, ses touches successives de rĂ©miniscence, font pencher le roman vers la littĂ©rature impressionniste[18].

Pour l’essayiste britannique John Gledson, Dom Casmurro « n’est pas un roman rĂ©aliste dans le sens oĂč il nous prĂ©sente ouvertement les faits, sous une forme facilement assimilable. Certes, il nous les prĂ©sente, mais, pour les dĂ©couvrir, nous devons lire au rebours de la narration et les relier entre eux nous-mĂȘmes. C’est dans la mesure oĂč nous procĂ©dons de la sorte que nous en dĂ©couvrirons davantage, non seulement Ă  propos des personnages et des Ă©vĂ©nements dĂ©crits dans l’histoire, mais aussi sur le protagoniste, Bento, le narrateur lui-mĂȘme »[19]. En d’autres termes, Dom Casmurro est un roman rĂ©aliste centrĂ© sur l’analyse (ou le dĂ©voilement) psychologique et critiquant ironiquement la sociĂ©tĂ© — en l’occurrence, l’élite sociale de la capitale Rio de Janeiro —, Ă  partir du comportement de plusieurs personnages dĂ©terminĂ©s[20]. Les critiques ont aussi notĂ© dans Dom Casmurro certains Ă©lĂ©ments qui l’apparentent Ă  la littĂ©rature moderniste brĂ©silienne, Ă  telle enseigne que certains, comme Roberto Schwarz, se sont enhardis Ă  qualifier Dom Casmurro de « premier roman moderniste brĂ©silien »[3]. Cette caractĂ©risation se justifie fondamentalement par la prĂ©sence de chapitres courts, par sa structure fragmentaire non-linĂ©aire, par sa propension Ă  l’ellipse et aux propos allusifs, par sa posture mĂ©talinguistique (de qui Ă©crit et se regarde en train d’écrire), par les passages intercalĂ©s dans le cours de la narration, et par la possibilitĂ© de lectures et interprĂ©tations multiples — autant d’élĂ©ments « anti-littĂ©raires », qui ne deviendront monnaie courante qu’avec l’avĂšnement du modernismo plusieurs dĂ©cennies plus tard[14].

D’autres encore le regardent comme un roman policier, oĂč il incomberait au lecteur d’examiner les dĂ©tails des actions relatĂ©es afin d’arriver Ă  une conclusion Ă  propos de la vĂ©racitĂ© de l’adultĂšre[21], et ce sans forcĂ©ment attacher foi Ă  la vision du narrateur, attendu qu’« il y a d’emblĂ©e des incohĂ©rences, des passages obscurs, des insistances dĂ©concertantes, qui constituent une Ă©nigme »[22]. Parmi les pistes Ă  exploiter Ă  cet effet figurent notamment : la mĂ©taphore des « yeux de ressac » et des « yeux de tsigane oblique et dissimulĂ©e » ; le parallĂšle avec le drame shakespearien d’Othello et de DesdĂ©mone ; le rapprochement avec l’opĂ©ra proposĂ© par le tĂ©nor Marcolini (le duo, le trio et le quatuor) ; les « ressemblances frappantes » ; les relations avec l’ami Escobar dans le sĂ©minaire ; la luciditĂ© de Capitu par opposition Ă  la confusion de Bento ; l’imagination dĂ©lirante et perverse de l’ancien sĂ©minariste ; et le prĂ©cepte biblique tirĂ© de l’EcclĂ©siaste Ă  la fin du roman[23].

Thématique

Le thĂšme central de Dom Casmurro est la jalousie et la tragĂ©die conjugale de Bento, comme l'attestent l’allusion aux empereurs CĂ©sar, Auguste, NĂ©ron et Massinissa, qui assassinĂšrent chacun leur Ă©pouse soupçonnĂ©e d’adultĂšre, et l’évocation du drame shakespearien du Maure Othello, qui tue sa femme pour le mĂȘme motif. Le narrateur Ă©prouve sa premiĂšre bouffĂ©e de jalousie au chapitre LXII, lorsqu’aprĂšs avoir posĂ© Ă  JosĂ© Dias, ami et logĂ© de la maison de sa mĂšre, venu le visiter au sĂ©minaire, la question « Comment va Capitu ? », il s’entend rĂ©pondre : « Elle Ă©tait joyeuse, comme toujours ; c’est une Ă©tourdie. Aussi longtemps qu’elle n’aura pas mis la main sur un des gandins du voisinage qui voudra se marier avec elle
 »[24]. Pour Bento, la rĂ©ponse fut un choc, puisqu’il Ă©crit : « Ma mĂ©moire entend encore aujourd’hui les battements de mon cƓur Ă  cet instant »[24]. Selon Roberto Schwarz, dans Dom Casmurro « le ressort le plus dramatique rĂ©side dans la jalousie, laquelle n’avait Ă©tĂ© qu’une parmi plusieurs dĂ©mesures produites par l’imagination de l’enfant, et qui Ă  prĂ©sent, associĂ©e Ă  l’autoritĂ© du propriĂ©taire et du mari, se mue en une force dĂ©vastatrice »[25]. Il y a cependant ici une innovation dans le thĂšme de la jalousie par rapport aux Ɠuvres littĂ©raires antĂ©rieures : dans Dom Casmurro, la jalousie est reprĂ©sentĂ©e sous le seul angle de vue d’un mari qui se croit trahi, sans guĂšre laisser de place Ă  la version des autres personnages[26].

Rio de Janeiro, alors capitale du Brésil, en 1889[27].

Un autre thĂšme assez explicite du livre est l’évocation de la Rio de Janeiro sous le Second Empire brĂ©silien, et du foyer d’un homme de l’élite. DĂšs sa date de publication, l’Ɠuvre fut considĂ©rĂ©e comme un roman entreprenant « l’exploration psychologique la plus intense sur le caractĂšre de la sociĂ©tĂ© de Rio de Janeiro ». Bento est propriĂ©taire, a fait des Ă©tudes universitaires et est devenu avocat, et est issu d’une classe diffĂ©rente de celle de Capitu qui, bien qu’intelligente, vient d’une famille plus pauvre[28]. Le narrateur parsĂšme son livre de citations en français et anglais, habitude rĂ©pandue chez les Ă©lites brĂ©siliennes du XIXe siĂšcle[29]. Le contraste entre les deux personnages a donnĂ© lieu Ă  des interprĂ©tations selon lesquelles Bento dĂ©truirait la figure de sa femme au motif que lui est issu de l’élite et elle d’une famille pauvre (cf. ci-dessous). Dans Dom Casmurro, l’homme, produit de sa propre duplicitĂ©, serait incohĂ©rent avec lui-mĂȘme, tandis que la femme serait dissimulĂ©e et portĂ©e Ă  subjuguer[3] ; c’est donc, par lĂ , un livre qui donne Ă  voir la politique, l’idĂ©ologie, la psychologie et la religion du Second Empire[30].

ScĂšne typique carioca du temps de Dom Casmurro (ScĂšne de famille d’Adolpho Augusto Pinto, par Almeida JĂșnior 1891)[31]

Selon l’essayiste Eduardo de Assis Duarte, « l’univers de l’élite blanche et seigneuriale est le dĂ©cor oĂč le narrateur-personnage destille sa rancƓur et sa mĂ©fiance autour du supposĂ© adultĂšre »[32]. Schwarz argue que le roman met en scĂšne les relations sociales et le comportement de l’élite brĂ©silienne de l’époque : d’un cĂŽtĂ©, progressiste et libĂ©rale, de l’autre, patriarcale et autoritaire[25]. Un autre aspect mis en lumiĂšre par la critique est la quasi incapacitĂ© de Dom Casmurro Ă  communiquer avec Capitu, d’oĂč notamment le fait que seuls les gestes et les regards — et non les paroles — de la jeune femme lui suggĂšrent le possible adultĂšre[33]. Bento est un homme taciturne et repliĂ© sur lui-mĂȘme ; un jour, l’un de ses amis lui envoie une lettre au contenu suivant : « Je m’en vais Ă  PetrĂłpolis, Dom Casmurro ; la maison est la mĂȘme qu’à RenĂąnia ; tĂąche de quitter cette caverne d’Engenho Novo, et va passer lĂ -bas quinze jours avec moi »[34]. Cet isolement, motif pour lui de « nouer ensemble les deux bouts de sa vie », est aussi l’un des thĂšmes du roman[33]. Le critique Barreto Filho, par exemple, note que c’est « l’esprit tragique qui façonne l’Ɠuvre entiĂšre de Machado, guidant les destins vers la folie, l’absurde et, dans le meilleur des cas, vers la vieillesse solitaire »[35].

L’une des interrogations centrales de chaque Ɠuvre machadienne, prĂ©sente Ă©galement dans ce livre, est de savoir « dans quelle mesure [est-ce que] j’existe seulement Ă  travers les autres ? », attendu que Bento Santiago se mue en Dom Casmurro sous l’influence des Ă©vĂ©nements et des actions des personnes qui lui sont proches[36]. EugĂȘnio Gomes observe que le thĂšme de la ressemblance physique d’un enfant comme rĂ©sultat de l’« imprĂ©gnation » de la mĂšre par les traits d’un homme aimĂ©, sans que celui-ci ait engendrĂ© cet enfant (comme il advient chez Capitu, son fils ÉzĂ©chiel et le prĂ©sumĂ© pĂšre Escobar), Ă©tait un thĂšme en vogue Ă  l’époque de Dom Casmurro[37]. Antonio Candido aussi Ă©crit qu’un des principaux thĂšmes de Dom Casmurro est le fait de tenir pour rĂ©el un fait imaginĂ©, Ă©lĂ©ment prĂ©sent Ă©galement dans les nouvelles de l’auteur. Ainsi le narrateur relaterait-il les faits au traves d’une dĂ©mence dĂ©terminĂ©e qui lui ferait prendre pour la rĂ©alitĂ© ses propres fantasmes, sous la forme d’exagĂ©rations et de mystifications[38].

Tous sont d’accord pour considĂ©rer que le dessein de Machado de Assis Ă©tait de mettre en scĂšne un conflit de caractĂšres. En ce sens, ses premiers romans, Ressurreição (de 1872) et A mĂŁo e a luva (de 1874), peuvent ĂȘtre vus comme des avant-projets de Dom Casmurro, ce qui plaide pour l’idĂ©e d’une certaine homogĂ©nĂ©itĂ© de l’Ɠuvre machadienne, souvent trop strictement subdivisĂ©e en deux phases distinctes et opposĂ©es. Dans la prĂ©face Ă  Ressurreição, l’auteur indique : « Je n’ai pas voulu Ă©crire un roman de mƓurs ; j’ai tentĂ© d’esquisser une situation et le contraste entre deux caractĂšres »[39].

Style

Avec Dom Casmurro, Machado de Assis continua dans le mĂȘme style que celui dĂ©veloppĂ© Ă  partir de MĂ©moires posthumes de BrĂĄs Cubas, style caractĂ©risĂ© par un langage hautement cultivĂ©, Ă©maillĂ© de nombreuses rĂ©fĂ©rences, mais informel, sur un ton de conversation avec le lecteur, sur un mode presque proto-moderniste, imprĂ©gnĂ© d’intertextualitĂ©, de mĂ©talangage et d’ironie. Le roman est considĂ©rĂ© comme le dernier de sa Trilogie rĂ©aliste[1]. Cependant, on y trouve quelques vestiges renvoyant au romantisme (ou au « conventionnalisme », comme prĂ©fĂšre le nommer la critique moderne)[40], l’insistance notamment sur le regard ambigu « de tzigane oblique et dissimulĂ©e » de Capitu, qui est un trait romantique[41]. Comme la plupart des personnages fĂ©minins de Machado de Assis, Capitu est « capable de mener l’action, non au point cependant de pouvoir se soustraire Ă  la prĂ©sĂ©ance de l’intrigue romanesque »[42].

Trilogie réaliste ?

Le style retenu, 'dessĂ©chĂ©', sobre, et les chapitres courts, disposĂ©s en blocs harmonieux, s’intĂšgrent Ă  la perfection dans le montage de l’intrigue, exposĂ©e de façon invertie, fragmentaire. Rien n’échappe Ă  la rĂ©flexion du narrateur, pas mĂȘme son propre rĂ©cit, flagellĂ© qu’il est lui aussi par le dĂ©mon de l’analyse, par l’« homme du souterrain », toujours Ă  relativiser avec ironie et scepticisme tout Ă©panchement sentimental.

— Fernando Teixeira Andrade[43].

Avec ce roman, venant aprĂšs MĂ©moires posthumes de BrĂĄs Cubas et Quincas Borba, Machado de Assis aurait, selon certains critiques, composĂ© une trilogie, plus prĂ©cisĂ©ment une trilogie de la jalousie, de l’adultĂšre, ou de la folie. Du vivant de Machado, certains avaient suggĂ©rĂ© Ă  l’auteur de faire suivre Quincas Borba par un 3e roman — de la mĂȘme maniĂšre que Quincas Borba avait rĂ©sultĂ© de BrĂĄs Cubas —, 3e roman qui devrait ĂȘtre entiĂšrement consacrĂ© au personnage de Sofia. Si dans l’avant-propos Ă  la 3e Ă©dition de Quincas Borba, l’auteur dĂ©clara n’y ĂȘtre pas enclin, c’est cependant bien cela qu’il fera, car Capitu n’est autre finalement que l’incarnation des potentialitĂ©s fictionnelles de Sofia, qui n’avaient pas pu ĂȘtre exploitĂ©es dans Quincas Borba. Mais les nouvelles de l’AliĂ©niste, ainsi que l’Ɠuvre encore Ă  paraĂźtre, mettront en Ă©vidence combien, plutĂŽt que d’une quelconque triologie, il s’agit en fait d’une cohĂ©rence gĂ©nĂ©rale et d’un dĂ©veloppement thĂ©matique commun Ă  tous les romans de la dĂ©nommĂ©e deuxiĂšme phase. L’adultĂšre est certes un Ă©lĂ©ment important dans chacun des trois romans de la trilogie. BrĂĄs Cubas, RubiĂŁo et Bento Santiago sont jaloux tous trois, et tous trois souffrent d’une idĂ©e fixe. Ces trois thĂšmes — infidĂ©litĂ©, jalousie, dĂ©mence — se retrouvent rĂ©unis dans Dom Casmurro, d’une façon plus imbriquĂ©e et plus essentielle que dans les autres romans[44].

À l’instar de Quincas Borba, le roman prĂ©cĂ©dent, Dom Casmurro manifeste la mĂȘme prise de distance vis-Ă -vis de la littĂ©rature rĂ©aliste qui avait au BrĂ©sil emboĂźtĂ© le pas Ă  Flaubert et oĂč le narrateur tend Ă  s’effacer derriĂšre l’objectivitĂ© narrative, mais davantage encore vis-Ă -vis des naturalistes qui, Ă  l’exemple de Zola, s’évertuaient Ă  exposer tous les dĂ©tails de l’action : Machado de Assis, Ă©cartant ces deux procĂ©dĂ©s littĂ©raires, cultivait le fragmentaire et faisait intervenir un narrateur portĂ© Ă  interfĂ©rer sans cesse dans le rĂ©cit dans le but de dialoguer avec le lecteur et Ă  commenter sans cesse sa propre histoire par des considĂ©rations philosophiques, des rĂ©fĂ©rences intertextuelles, et des postures mĂ©talinguistiques[45]. Un exemple de cette derniĂšre ressource peut ĂȘtre trouvĂ© dans le chapitre CXXXIII, lequel ne comporte qu’un seul paragraphe et dans lequel le narrateur Ă©crit : « DĂ©jĂ  vous me comprenez ; lisez maintenant le chapitre suivant. » Bento, avocat de son Ă©tat, tend aussi Ă  abuser de la rhĂ©torique pour donner sa version des faits[46]. Son rĂ©cit, oĂč prĂ©vaut le temps psychologique, se plie au va-et-vient de sa mĂ©moire, d’une maniĂšre certes moins alĂ©atoire que dans les MĂ©moires posthumes, mais pareillement fragmentaire[13]. NĂ©anmoins, une structuration en unitĂ©s de narration est perceptible : l’enfance Ă  Matacavalos ; la maison de Dona GlĂłria et la famille des PĂĄdua ; la parentĂšle et les logĂ©s et amis de famille ; la rencontre avec Capitu ; le sĂ©minaire ; la vie conjugale ; l’intensification de la jalousie et de ses flambĂ©es ; la sĂ©paration etc.[13]

En fait, le style du roman s’apparente fortement Ă  l’impressionnisme associatif, qui implique une rupture avec le rĂ©cit linĂ©aire, de sorte que les actions ne suivent pas un fil logique ou chronologique, mais se succĂšdent au grĂ© de leur surgissement dans la mĂ©moire et selon la volontĂ© de Bento Santiago[18]. JosĂ© Guilherme Merquior note que le style du livre « reste dans la ligne des deux romans prĂ©cĂ©dents, avec des chapitres courts, marquĂ©s par des appels au lecteur sur un ton plus ou moins humoristique et par des digressions allant de graves Ă  folĂątres »[47]. Les digressions sont des intercalations d’élĂ©ments qui en apparence s’écartent du thĂšme central du livre et que Machado utilise pour interpoler des Ă©pisodes, des souvenirs, ou des rĂ©flexions, souvent en citant d’autres auteurs ou d’autres Ɠuvres, ou commentant ses propres chapitres, ses phrases, et jusqu’à l’agencement de son propre livre comme ensemble[48].

Influences littéraires

De tous les romans de Machado de Assis, Dom Casmurro est probablement celui oĂč la thĂ©ologie occupe la place la plus importante. On y trouve notamment des rĂ©fĂ©rences Ă  saint Jacques et Ă  saint Pierre, s’expliquant principalement par le fait que le narrateur Bentinho a frĂ©quentĂ© le sĂ©minaire. En outre, au chapitre XVII, l’auteur fait allusion Ă  un oracle paien liĂ© au mythe d’Achille, ainsi qu’à la pensĂ©e juive[49]. À la fin du livre, il cite en guise d’épigraphe le prĂ©cepte biblique de JĂ©sus, fils de Sirach : « Ne conçois pas de jalousie Ă  l’égard de ta femme, afin qu’elle ne se mette pas Ă  te tromper avec la mĂ©chancetĂ© qu’elle aura apprise de toi. »[50]

Dans le roman, Bento fait un rapprochement avec le Faust de Goethe, quand il expose son projet de consigner ses souvenirs (dessin de Harry Clarke, 1925).

L’influence religieuse ne se limite pas aux rĂ©fĂ©rences et aux faits dĂ©crits, mais touche Ă©galement les noms des personnages : Ezequiel, soit ÉzĂ©chiel, nom biblique ; Bento Santiago (littĂ©r. BenoĂźt de Saint-Jacques, nom de saint), avec son diminutif Bentinho (Ă©voque santinho, petit saint ou image de saint), Santo + Iago (saint + Jacques, = fusion entre le bien et le mal, de saint avec Iago, personnage malĂ©fique du drame Othello, de Shakespeare) ; Capitu (qui se prononce ‘capitou’, avec l’accent tonique sur la derniĂšre syllabe), en plus d’ĂȘtre phonĂ©tiquement proche du mot portugais capeta, qui signifie diable et vĂ©hicule une image de vivacitĂ©, ou de malfaisance et de trahison que le narrateur jaloux lui impute, invite Ă  de nombreuses dĂ©rivations : Ă  partir de caput, capitis (mot latin dĂ©signant la tĂȘte), en allusion Ă  l’intelligence et Ă  l’acuitĂ© d’esprit du personnage, ou, pour ce qui est de son nom complet Capitolina, Ă  partir du verbe capituler, en adĂ©quation avec l’attitude soumise et rĂ©signĂ©e de l’épouse outragĂ©e par le mari, celle-ci capitulant et renonçant Ă  toute rĂ©action[13].

En entreprenant de consigner ses souvenirs, Bento cite, au chapitre II, un passage du Faust de Goethe, ainsi transcrites : « vous voilĂ  de nouveau, ombres inquiĂštes
 »[2]. Faust, personnage principal de la piĂšce, vend son Ăąme au dĂ©mon MĂ©phistophĂ©lĂšs en Ă©change de ce que celui-ci lui octroie l’immortalitĂ©, l’éternelle jeunesse et des richesses matĂ©rielles[13]. Les « ombres inquiĂštes » (schwankende Gestalten) sont, en l’espĂšce, les souvenirs des personnes et des Ă©vĂ©nements du passĂ©, souvenirs assoupis, mais toujours perturbateurs[51]. Pour l’essayiste amĂ©ricaine Helen Caldwell, ce serait cette citation qui met en branle la mĂ©moire de Bento, et, « suivie de prĂšs par l’allĂ©gorie de l’'Ăłpera', avec ses colloques dans le ciel entre Dieu et Satan, elle donne l’impression que Santiago s’identifie peut-ĂȘtre Ă  Faust et sente qu’il vend son Ăąme au diable »[52]. Les analystes notent que les classiques de la littĂ©rature ancienne et moderne et les citations de la Bible ne sont jamais chez Machado de simples marques d’érudition ; au contraire, elles Ă©clairent la narration et instaurent avec pertinence une filiation entre celle-ci et les grands archĂ©types de la littĂ©rature universelle[13].

Othello et Desdémone par Muñoz Degrain, 1881, tableau basé sur le drame shakespearien Othello, influence archétypale de la jalousie de Bentinho de Dom Casmurro.

C’est le cas de la rĂ©fĂ©rence Ă  Othello de William Shakespeare, Othello valant archĂ©type de la jalousie. Le narrateur crĂ©e Ă  trois reprises une relation intertextuelle avec cette piĂšce, Ă  savoir dans les chapitres LXXII et CXXXV, en plus du chapitre LXII ; la premiĂšre commente la structure de la piĂšce, tandis que dans la deuxiĂšme, on voit le narrateur assister Ă  une reprĂ©sentation de la piĂšce et, en arrivant au thĂ©Ăątre, se faire la rĂ©flexion que, quoique n’ayant « jamais lu ni vu Othello », il y percevait une similitude avec sa propre relation avec Capitu[53]. Helen Caldwell soutint ardemment la thĂšse que le roman Dom Casmurro avait subi l’influence d’Othello non seulement en ce qui concerne le thĂšme de la jalousie, mais aussi quant aux personnages : pour l’essayiste amĂ©ricaine, Bento est « le Iago de lui-mĂȘme » et JosĂ© Dias, trĂšs friand de superlatifs, un personnage shakespearien typique qui ne cesse de prodiguer ses conseils (Ă  l’image du personnage de Polonius dans Hamlet, qui donne des conseils au fils et tend Ă  amplifier les faits rapportĂ©s lorsqu’il parle au roi)[54].

La ressemblance physique de l’enfant (ici, Ezequiel) induite par l’« imprĂ©gnation » par la mĂšre des traits d’un homme aimĂ©, sans que celui-ci ait engendrĂ© l’enfant, suggĂšre d’autres sources littĂ©raires, cette ressource ayant Ă©tĂ© auparavant utilisĂ©e par Zola dans son Madeleine FĂ©rat (1868) et aussi par Goethe dans les AffinitĂ©s Ă©lectives (1809), oĂč le fils d’Eduard et de Charlotte a reçu les yeux d’Ottilie, pour qui Eduard s’était pris de passion, et les traits du capitaine, aimĂ© de Charlotte[37]. Les critiques ont vu dans la philosophie pessimiste de Bento l’influence directe de Schopenhauer, pour qui « le plaisir de l’existence ne repose pas sur le vivre, mais ne s’obtient que par la contemplation du vĂ©cu » (d’oĂč le dessein de Bento de recenser son passĂ©)[55] - [56], et pointent aussi l’influence de Pascal, attendu que le christianisme de Bentinho rejoint la casuistique jĂ©suitique attaquĂ©e par Pascal et par les jansĂ©nistes[57].

Postérité et résonances

Dom Casmurro, de mĂȘme que les MĂ©moires posthumes de BrĂĄs Cubas, possĂšde son propre style et renferme des Ă©lĂ©ments anti-littĂ©raires qui n’acquerront droit de citĂ© que plusieurs dĂ©cennies plus tard, avec l’avĂšnement du modernisme au BrĂ©sil ; ces Ă©lĂ©ments peuvent s’énumĂ©rer comme suit : chapitres courts ; composition fragmentaire non-linĂ©aire ; tendance Ă  l’ellipse et Ă  l’allusion ; posture mĂ©talinguistique (du narrateur Ă©crivant et se regardant Ă©crire) ; passages intercalĂ©s ; et possibilitĂ© de plusieurs lectures et interprĂ©tations[14].

Oswald de Andrade, l’un des chefs de file de la Semaine d’art moderne de 1922, dont le style littĂ©raire, comme celui de MĂĄrio de Andrade, s’inscrit dans la tradition expĂ©rimentale, mĂ©talinguistique et urbaine, plus ou moins en interaction avec l’Ɠuvre de Machado de Assis, tenait Dom Casmurro pour l’un de ses livres prĂ©fĂ©rĂ©s et regardait l’écrivain comme un maĂźtre du roman brĂ©silien[58]. L’influence la plus directe du livre a cependant Ă©tĂ© exercĂ©e Ă  l’étranger, dans le roman l’OpĂ©ra flottant, publiĂ© en 1956 par John Barth, dont l’intrigue prĂ©sente, selon la comparaison faite par David Morrell, des similitudes avec Dom Casmurro, entre autres par le fait que le personnage principal de ces deux livres est avocat, vient Ă  songer au suicide et Ă  comparer la vie Ă  un opĂ©ra, et vit Ă©cartelĂ© dans une relation amoureuse triangulaire[59]. En rĂ©alitĂ©, toutes les premiĂšres Ɠuvres de Barth ont subi une forte influence de Dom Casmurro, principalement au point de vue de la technique d’écriture et de l’intrigue[60]. Dom Casmurro est aussi en rĂ©sonance avec le roman Diadorim (de 1956), dont l’auteur JoĂŁo GuimarĂŁes Rosa reproduit le « voyage de mĂ©moire » prĂ©sent dans le livre de Machado[61].

Le dessein de Bentinho d’attirer Ă  soi et de conquĂ©rir Capitu pour arriver Ă  ses fins intĂ©ressĂ©es — attitude qui a pu ĂȘtre qualifiĂ©e de « modĂšle seigneurial et possessif, qui ne s’embarrasse pas de subtilitĂ©s » — aurait influencĂ© indirectement Graciliano Ramos dans la rĂ©daction d’un des plus cĂ©lĂšbres romans modernistes du XXe siĂšcle, SĂŁo Bernardo, de 1934, plus prĂ©cisĂ©ment dans la description de la maniĂšre assez leste dont Paulo HonĂłrio s’approprie Madalena[62]. Dom Casmurro a inspirĂ© Ă©galement, mais cette fois tout Ă  fait explicitement, la nouvelle Capitu Sou Eu (littĂ©r. Capitu, c’est moi), de Dalton Trevisan, qui figure dans le recueil de nouvelles homonyme publiĂ© en 2003, et oĂč une enseignante et un Ă©lĂšve rebelle ont une relation dĂ©lĂ©tĂšre et discutent ensemble du caractĂšre du personnage de Capitu[63].

La critique moderne a attribuĂ© Ă  Dom Casmurro un certain nombre d’idĂ©es et de concepts dĂ©veloppĂ©s plus tard par Sigmund Freud dans sa thĂ©orie psychanalytique. Le roman de Machado, qui parut la mĂȘme annĂ©e que l'InterprĂ©tation du rĂȘve, contient des phrases telles que « Je crois que j’ai senti le goĂ»t de son bonheur dans le lait qu’elle [= ma mĂšre] m’a donnĂ© Ă  tĂ©ter », Ă©vocation d’un phĂ©nomĂšne que Freud allait appeler le stade oral du dĂ©veloppement psycho-sexuel, sous l’effet de ce que certains ont dĂ©signĂ© par « prĂ©monition freudienne »[6]. L’enfant Bentinho Ă©tait introverti et ses divagations se substituaĂ­ent en partie Ă  la rĂ©alitĂ© : « Les rĂȘves de l’éveillĂ© sont comme les autres rĂȘves, ils se tissent selon la trame de nos inclinations et de nos rĂ©miniscences », Ă©crit le Dom Casmurro dĂ©jĂ  ĂągĂ©, dans une anticipation de la conception freudienne, qui apprĂ©hende l’unitĂ© de la vie psychologique dans le songe et dans l’état de veille[6].

Les diffĂ©rentes adaptations ultĂ©rieures de Dom Casmurro, utilisant divers moyens d’expression et sous diverses formes, attestent l’interaction et l’influence que le roman continue d’exercer dans divers champs culturels, que ce soit le cinĂ©ma, le thĂ©Ăątre, la musique populaire ou savante, la tĂ©lĂ©vision, la bande dessinĂ©e, la littĂ©rature elle-mĂȘme etc.

Analyse

Introduction

Dom Casmurro est une Ɠuvre ouverte Ă  tant d’interprĂ©tations, quelques-unes dĂ©jĂ  faites et publiĂ©es, surtout ces cinquante derniĂšres annĂ©es, beaucoup d’autres sans aucun doute encore Ă  faire. Aucun roman brĂ©silien, je crois, n’a Ă©tĂ© rĂ©interprĂ©tĂ© aussi amplement.

—David Haberly[64]

De façon gĂ©nĂ©rale, les Ă©tudes littĂ©raires sur Dom Casmurro sont de date relativement rĂ©cente. Le livre fut bien accueilli par les contemporains de Machado, et les critiques postĂ©rieures Ă  la mort de l’auteur s’appliquĂšrent Ă  analyser le personnage de Bento et ses traits psychologiques. Dom Casmurro fut Ă©galement exploitĂ© en vue d’études sexologiques, puis dans le sens existentialiste, et plus rĂ©cemment encore, on a donnĂ© Ă  l’Ɠuvre machadienne un ample Ă©ventail d’interprĂ©tations possibles[65].

Cependant, le premier ouvrage de critique littĂ©raire consacrĂ© Ă  Dom Casmurro, Ă©crit par l’essayiste amĂ©ricaine Helen Caldwell et publiĂ© dans la dĂ©cennie 1960, rehaussa certes le statut du roman, mais n’eut qu’un faible retentissement au BrĂ©sil[66]. Ce ne sera que plus tard, en 1969, par les soins de Silviano Santiago, puis principalement de Roberto Schwarz en 1991, que le livre de Caldwell sera dĂ©couvert et que de nouvelles perspectives seront ouvertes pour l’Ɠuvre de Machado de Assis[66]. C’est aussi la dĂ©cennie oĂč Machado eut un grand Ă©cho en France et que le roman fit l’objet d’analyses importantes, Ă  travers ses traducteurs français ; Dom Casmurro intĂ©ressa principalement non seulement les revues littĂ©raires, mais aussi celles de psychologie et de psychiatrie, qui recommandaient Ă  leurs lecteurs Ă©galement la lecture de l'AliĂ©niste[67].

La critique moderne, trĂšs portĂ©e sur l’histoire des interprĂ©tations du roman, identifie trois lectures successives de Dom Casmurro, Ă  savoir :

1. La lecture romanesque, c’est-Ă -dire comme le compte rendu de la naissance et de la dislocation d’un amour, d’une idylle d’adolescence finalement consacrĂ©e par le mariage, jusqu’à la mort de la compagne et du fils Ă  la paternitĂ© douteuse[23].
2. La lecture psychanalytique et policiùre, c’est-à-dire comme le libelle accusatoire du mari-avocat à la recherche de signes avant-coureurs et d’anticipations de l’adultùre, tenu par lui comme ne faisant aucun doute[23].
3. La lecture Ă  rebours, par l’inversion du sens de l’incrimination, transformant le narrateur lui-mĂȘme en coupable, l’accusateur en accusĂ©[23].

L’histoire des interprĂ©tations, qui sera exposĂ©e dans la section suivante, oĂč seront Ă©voquĂ©es plus particuliĂšrement la critique machadienne de la dĂ©cennie 1930 et celle de la dĂ©cennie 1940, jusqu’aux annĂ©es 1980, met en lumiĂšre les revirements qu’ont subis les diffĂ©rentes interprĂ©tations de Dom Casmurro, du fait d’intellectuels non seulement brĂ©siliens, mais aussi, dans une large mesure, internationaux[68]. La plupart des interprĂ©tations du roman adoptent un point de vue sociologique, fĂ©ministe et psychanalytique[8], et la majeure partie est centrĂ©e sur la jalousie du narrateur Dom Casmurro ; certaines argumentent qu’il n’y eut pas d’adultĂšre et d’autres que l’auteur a voulu laisser la question ouverte pour le lecteur.

Statut du narrateur

Au contraire de BrĂĄs Cubas, le narrateur Dom Casmurro n’est pas mort, il est seulement ĂągĂ© ; il n’est pas omniscient, mais en est rĂ©duit Ă  conjecturer, ou feint de conjecturer, situation qui constitue par excellence le terrain de jeu de Machado de Assis, et celui du roman introspectif du XXe siĂšcle. Comme BrĂĄs Cubas, Dom Casmurro mĂ©dite sur sa vie passĂ©e. En tant que narrateur, BrĂĄs Cubas, s’il n’était pas omniscient, n’avait, dans sa tombe, plus Ă  se soucier du monde des vivants, de l’opinion publique, et n’avait plus Ă  se justifier, ne se prĂ©occupant plus de savoir si le lecteur le trouvait ou non sympathique. D’ailleurs, il ne fait pas mystĂšre de sa mĂ©diocritĂ©, de son hypocrisie et de son manque de sens des responsabilitĂ©s. La situation est diffĂ©rente pour Dom Casmurro. Soumis aux mĂȘmes limitations que BrĂĄs Cubas, sa connaissance des choses est de surcroĂźt teintĂ©e par la subjectivitĂ© de son observation, et son rĂ©cit biaisĂ© par le caractĂšre unilatĂ©ral de sa lecture des Ă©vĂ©nements, sinon par son caractĂšre mensonger, par le travestissement de la vĂ©ritĂ© ou par la tromperie pure — tares qui lui viennent de ce qu’il Ă©crit en tant que vivant pour les vivants. Cette situation de dĂ©part, ajoutĂ© au fait que le narrateur veille Ă  nous priver de tout autre point de vue (Dom Casmurro peut ĂȘtre vu en effet comme un dialogue Ă  une voix, dont seule une moitiĂ© nous est donnĂ©e Ă  lire, et qui du reste n’a jamais eu lieu), explique pourquoi, dĂšs sa parution et jusqu’à aujourd’hui, la question de la vĂ©racitĂ© de l’adultĂšre de Capitu est sans cesse posĂ©e, lors mĂȘme que plusieurs analystes ont depuis lors dĂ©montrĂ© que cette question est au fond sans pertinence[69].

Interprétations

Parmi les aspects sur lesquels les critiques et essayistes se sont focalisés au fil des années, on relÚve en particulier le possible adultÚre de Capitu, les caractéristiques socio-psychologiques des personnages, et le caractÚre du personnage-narrateur.

La « question centrale » de l’infidĂ©litĂ© de Capitu

La jalousie de Bento Santiago est provoquĂ©e principalement par la ressemblance d’ÉzĂ©chiel (le fils du couple) avec Escobar (ami du couple, et prĂ©sumĂ© amant de Capitu), par le regard que jette Capitu sur le cadavre d’Escobar noyĂ©, et par un deuxiĂšme regard portĂ© par Capitu sur le portrait d’Escobar, Ă©lĂ©ments qui suffisent comme preuves au narrateur. L’amour-propre, le sentiment d’infĂ©rioritĂ©, la projection de ses propres sentiments de culpabilitĂ© consĂ©cutifs Ă  une vellĂ©itĂ© d’adultĂšre envers Sancha (femme d’Escobar), la supposĂ©e ressemblance de son fils avec Escobar sont autant de composantes d’une jalousie qui rangent Bento dans la longue sĂ©rie machadienne de monomanes, paranoĂŻaques et victimes d’idĂ©e fixe[70].

Pourtant, la question de la rĂ©alitĂ© de l’adultĂšre ne cesse de prĂ©occuper le lecteur du roman, qu’il le veuille ou non. Les arguments en faveur de la thĂšse de l’infidĂ©litĂ© de Capitu, et donc en faveur de Bento, peuvent s’énumĂ©rer comme suit : le fait que Capitu n’était pas la premiĂšre affaire extra-conjugale d’Escobar ; le petit secret de Capitu Ă  propos des dix livres sterling, acquis Ă  l’insu de son mari ; le ressemblance psychique entre Escobar et le fils, avant mĂȘme qu’il ne soit question de ressemblance physique (voir les Ă©pisodes du chat et de la souris, au chapitre CX, et celui des chiens Ă  empoisonner, aux chapitres CXI et CXII) ; les faits narrĂ©s au chapitre CXIII, qui montrent une situation d’adultĂšre classique, oĂč le mari rentre inopinĂ©ment chez lui et y surprend l’amant, mĂȘme si les deux rĂ©ussissent, par leur habiletĂ©, Ă  se tirer d’affaire. Le fait que Capitu aborde elle-mĂȘme la question de la ressemblance, mais en ayant soin de relever dans le mĂȘme temps la similitude avec une autre personne, peut ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme une ruse pour faire croire Ă  la fortuitĂ© de la ressemblance avec Escobar. S’y ajoute la docilitĂ© avec laquelle elle se laisse envoyer en exil (« qui ne dit rien consent »)[71]. Psychologiquement, et comme beaucoup de personnages fĂ©minins dans l’Ɠuvre de Machado, Capitu sait faire face aux situations difficiles, le personnage masculin en revanche, en l’espĂšce Bento, non. Elle sait se maĂźtriser dans les moments critiques, dissimule, donne le change ; lui n’arrive pas Ă  se dĂ©pĂȘtrer des situations embarrassantes. Le contraste est donc net entre Bento et une Capitu calculatrice, qui essaie de mettre le collet sur un Bentinho ingĂ©nu, afin de monter sur l’échelle sociale par le moyen d’un mariage. Elle rĂ©ussit Ă  s’insinuer dans le milieu socialement plus Ă©levĂ© de Dona GlĂłria, la mĂšre du narrateur, et Ă  s’y rendre indispensable. Une fois mariĂ©e, elle aime Ă  exhiber son nouvel Ă©tat social[72]. Dans cette perspective, Bento reprĂ©senterait l’amour sincĂšre, Capitu le calcul Ă©goĂŻste.

Les arguments pro Capitu sont : son attitude face aux accusations de Bento, attitude qui atteste sa fiertĂ© et sa dignitĂ©, puisqu’elle juge indigne de sa personne de relever ces suspicions ; le fait que Bento redoutait que son fils aille chez sa grand-mĂšre, car il aurait pu s’avĂ©rer que sa mĂšre n’avait rien remarquĂ© de cette prĂ©tendue ressemblance, ou mieux, que personne, sauf lui-mĂȘme, ne l’avait remarquĂ©e ; etc.[73]. Pour les partisans de l’innocence de Capitu, Bento figure un Othello brĂ©silien, analogie que justifient les nombreuses rĂ©fĂ©rences Ă  la piĂšce de Shakespeare. De plus, si JosĂ© Dias prĂ©sente ici un des traits de Iago, Bento ne tardera pas Ă  se l’approprier, et Ă  rĂ©unir les caractĂšres d’Othello (le jaloux) et d’Iago (le calomniateur) en sa seule personne. Une autre hypothĂšse porte qu’Escobar Ă©tait l’objet de la jalousie de Bento dĂšs avant que Capitu ne l’ait vu, ou que lui ne l’ait vue. Mieux encore : le manque de confiance en soi, son complexe d’infĂ©rioritĂ© font qu’il se sent flattĂ© lorsqu’il parvient Ă  plaire Ă  ses amis, et font qu’il souhaite que ses amis plaisent Ă©galement Ă  sa famille. Sa crainte inconsciente est non seulement de perdre Capitu au profit d’Escobar, mais aussi de perdre Escobar au profit de Capitu[74].

L’interprĂ©tation dĂ©favorable au narrateur et tendant Ă  innocenter Capitu et Ă  argumenter que celle-ci ne l’a pas trahi, n’a vu le jour que plus rĂ©cemment, sous l’impulsion du mouvement fĂ©ministe des annĂ©es 1960 et 1970, et du fait surtout de l’essayiste amĂ©ricaine Helen Caldwell. Dans son ouvrage The Brazilian Othello of Machado de Assis (1960), elle argua, bouleversant par lĂ  la vision qui avait jusqu’alors prĂ©valu du roman, que le personnage de Capitu n’avait pas trompĂ© Bentinho[75] et qu’elle est la victime d’un Dom Casmurro cynique empaumant le lecteur par ses paroles qui ne correspondent pas Ă  la vĂ©ritĂ©. La preuve principale prĂ©sentĂ©e par Caldwell est le recours, prĂ©cis et frĂ©quent, fait par l’auteur aux renvois intertextuels vers Othello de Shakespeare, dont le protagoniste assassine son Ă©pouse croyant erronĂ©ment qu’elle le trahit. L’essayiste amĂ©ricaine a rĂ©digĂ© sa thĂšse dans la perspective principale oĂč le narrateur machadien est suffisamment autonome — c’est-Ă -dire affranchi de l’impĂ©ratif d’objectivitĂ© de l’école rĂ©aliste — que pour donner sa propre version singuliĂšre des faits[76]. Pour Caldwell, Bentinho ne travestit pas les faits dĂ©libĂ©rĂ©ment, mais sous l’empire de la dĂ©mence, vu qu’il est, selon l’expression de l’essayiste, le « Iago de lui-mĂȘme »[54]. Caldwell revalorisa aussi le rĂŽle de Capitu, qui a dĂ» ĂȘtre plus attrayante que son mari, et faisait des rĂȘves plus constructifs que lui[77].

Dom Casmurro sortit en 1900. Machado mourut en 1908. Aucun critique n’a jamais, dans ces huit annĂ©es, osĂ© nier l’adultĂšre de Capitu.

—Otto Lara Resende[78]

C’est une donnĂ©e socio-psychologique que l’infidĂ©litĂ© de Capitu Ă©tait jugĂ©e par tout un chacun et sans autre forme de procĂšs comme une chose prouvĂ©e, aussi longtemps que seuls des BrĂ©siliens s’étaient penchĂ©s sur le livre. Ce n’est qu’à la suite des analyses et des essais de Helen Caldwell qu’est entrĂ©e en vogue l’interprĂ©tation portant que Capitu est innocente et que le vieux Casmurro s’évertue en fait Ă  se disculper. Que Dom Casmurro est peu fiable comme narrateur, il en fait l’aveu lui-mĂȘme, dans un moment d’inattention, en reconnaissant qu’il Ă©tait d’une nature maladivement jalouse[79]. Du reste, ses soupçons s’appuient essentiellement sur une ressemblance d’ÉzĂ©chiel avec Escobar, or, selon Caldwell, cette ressemblance est loin de constituer une preuve de l’infidĂ©litĂ© de Capitu. Le narrateur lui-mĂȘme semble battre en brĂšche cet argument en se rappelant, au chapitre CXL, les paroles de Gurgel (le pĂšre de Sancha et beau-pĂšre d’Escobar) : « dans la vie, il y a parfois de ces correspondances remarquables ». Il est d’ailleurs le seul Ă  remarquer la ressemblance : JosĂ© Dias, le logĂ© de sa mĂšre, croit se reconnaĂźtre lui-mĂȘme dans le gamin lorsque celui-ci l’imite (chapitre CXVI), et Capitu, dans le chapitre CXXXI, dĂ©cĂšle dans les yeux d’ÉzĂ©chiel l’expression de deux autres personnes, d’Escobar certes, mais aussi d’un ami de son pĂšre. L’art et le raffinement de Machado de Assis consiste Ă  nous entraĂźner comme lecteurs Ă  ajouter foi aux dires de Dom Casmurro, en cĂ©dant Ă  nos propres mauvaises pensĂ©es[80].

Caldwell s’appuie Ă©galement sur la citation du Faust de Goethe (Ă  la fin du chapitre II) pour incriminer le narrateur, et faire admettre que le sentiment de culpabilitĂ© est le vĂ©ritable mobile de la rĂ©daction du roman. Les « ombres inquiĂštes » (schwankende Gestalten) de Goethe sont, d’aprĂšs Caldwell, les spectres des assassinĂ©s qui viennent poursuivre leur assassin. Or Bento Santiago s’est d’abord tuĂ© lui-mĂȘme, en la personne de l’adolescent Bentinho, spirituellement, pour ensuite tuer Capitu, par lente intoxication psychique, physiquement. Les mĂ©daillons apposĂ©s au mur pointent dans le mĂȘme sens. Caldwell conclut son interprĂ©tation en affirmant que Capitu incarne l’amour, Casmurro l’amour-propre et la mort[81]. (Cependant, il importe de pointer que la citation faustienne a Ă©tĂ© dĂ©tournĂ©e de son sens par Caldwell : en effet, par ces schwankende Gestalten, Goethe n’avait pas Ă  l’esprit les spectres de personnes assassinĂ©es ; dans l’Ɠuvre de Goethe, ladite citation n’est pas mise dans la bouche du personnage de Faust, mais c’est l’auteur Goethe lui-mĂȘme qui la prononce Ă  propos de sa piĂšce, Ă  laquelle il s’était remis Ă  travailler aprĂšs une longue interruption ; de plus, les schwankende Gestalten ne font pas allusion Ă  des personnes assassinĂ©es par Faust, mais Ă  des personnes disparues, y compris Ă  des personnes chĂšres Ă  l’auteur. Par consĂ©quent l’identification, telle que postulĂ©e par Caldwell, de Bento Ă  un Faust ayant vendu son Ăąme au diable, est abusive, et l’argument du sentiment de culpabilitĂ© comme mobile du livre n’apparaĂźt pas crĂ©dible[39].)

Toutefois le principal argument Ă  l’encontre de Bento est le fait qu’il est le narrateur, et qu’on ne connaĂźt que sa seule version Ă  lui[73] - [82]. S’il n’y a pas de rĂ©ponse dĂ©finitive Ă  la question centrale, c’est aussi parce que les diffĂ©rents personnages, qui auraient pu contribuer Ă  cette rĂ©ponse, disparaissent l’un aprĂšs l’autre, y compris ÉzĂ©chiel. Dom Casmurro est l’auteur d’un texte par lequel il organise, nie et dĂ©truit un monde qui ne retient aucune trace explicite de son passage[83]. Le caractĂšre fictionnel du texte est des plus explicites ; tout ce qui s’y raconte est vraisemblable, mais rien n’est vĂ©ritĂ© dĂ©finitive, car rien de ce qui est racontĂ© n’existe en dehors d’un tĂ©moignage qui est en fait une projection[84].

Nombre de faits et d’actions dans le roman peuvent s’interprĂ©ter de maniĂšre contradictoire, comme l’illustre la mention (ci-dessus Ă©voquĂ©e) faite par Capitu de la ressemblance de son fils avec deux personnes, dont Escobar, mention qui peut reflĂ©ter sa pensĂ©e sincĂšre ou n’ĂȘtre qu’une ruse. Si elle apparaĂźt portĂ©e sur le prestige social, elle se dit pourtant prĂȘte, au chapitre CXXX, Ă  vendre, par amour pour Bento, tous ses bijoux et Ă  aller vivre avec lui dans un taudis. En rĂ©alitĂ©, presque chaque scĂšne du livre peut ĂȘtre interprĂ©tĂ©e doublement, de deux maniĂšres divergentes[72]. Il n’est jusqu’au sobriquet mĂȘme de Bento qui ne soit ambigu : on peut lui prĂȘter le sens ancien du mot casmurro, soit : ‘entĂȘtĂ©, rĂ©tif, inflexible’ qui trahit en rĂ©alitĂ© la vraie nature du personnage (Dom Casmurro se traduirait alors par Messire Cabochard), ou bien l’acception populaire (qui s’est aujourd’hui gĂ©nĂ©ralisĂ©e) de ‘renfrognĂ©, introverti, distant, reclus’ (et on pourrait alors rendre le titre par Messire Grincheux)[80]. La simplicitĂ© apparente avec laquelle le narrateur raconte son l’histoire va toujours de pair avec l’extrĂȘme complexitĂ© du regard qui le lecteur peut ĂȘtre amenĂ© Ă  choisir pour interprĂ©ter les Ă©vĂ©nements, tout pouvant se lire dans des perspectives divergentes. Le lecteur est portĂ© Ă  tisser des complicitĂ©s avec l’un ou l’autre des personnages ou avec le narrateur, mais le lecteur n’arrive jamais Ă  la fin du livre avec la conviction que le chemin suivi par lui est le seul possible[85].

Le passĂ© et la mĂ©moire sont les deux faces contradictoires et incompatibles de l’expĂ©rience. Il s’agit, non pas d’une reconstitution objective du passĂ©, mais d’un voyage dans la mĂ©moire, pĂ©riple dont les Ă©lĂ©ments les plus visibles rĂ©sultent des choix opĂ©rĂ©s par le narrateur, ce que vient confirmer la structure mĂȘme du livre : le roman en effet possĂšde sa propre Ă©conomie narrative, donnant, d’une part, l’impression, avec ses chapitres courts, de ne consigner que les faits effectivement importants, mais d’autre part nous apparaissant comme un calque du travail de la mĂ©moire, fragmentaire, procĂ©dant par une succession d’images (tantĂŽt explicatives, tantĂŽt explicatives) et par analogies[84].

La conclusion à laquelle Santiago entraßne graduellement le lecteur est que la trahison perpétrée par son adorable épouse et son adorable ami agit sur lui, transformant le gentil, aimable et ingénu Bentinho en le dur, cruel et cynique Dom Casmurro.

—Helen Caldwell[86]

D’autres critiques en revanche arguent que la question de la culpabilitĂ© de Capitu est hors de propos. L’essayiste brĂ©silien Wilson Martins, en particulier, Ă©crit :

« Ceux qui, au BrĂ©sil ou en dehors du BrĂ©sil, sont d’opinion, avec Helen Caldwell, que la grande question est de parvenir Ă  savoir si Capitu est coupable ou non, [...] ceux-lĂ  lisent de travers, ou ne lisent pas du tout. La rĂ©ponse de Machado de Assis Ă  la grande question, quelle qu’elle soit, est — ainsi que Waldo Franck le remarque Ă  juste titre — qu’il n’y a pas de rĂ©ponse. [...] L’ambiguĂŻtĂ© est la texture du livre et sa vision de la vie[87]. »

Que le rĂ©cit de Dom Casmurro soit vraie, fausse ou partiellement vraie, c’est le contraste entre deux caractĂšres (le noyau central d’un bon roman selon Machado) qui a fait naĂźtre une situation oĂč il Ă©tait tout simplement devenu impossible Ă  Bento Santiago de continuer Ă  vivre avec sa femme et son enfant. Du reste, sa conviction intime a fini pour lui devenir nĂ©cessaire ; sans elle en effet, sa maison, son monde s’effondreraient. Aussi Bento s’opposera-t-il Ă  ce que son fils devenu adulte aille rendre visite Ă  sa grand-tante Justina, Bento craignant, et voulant Ă©viter Ă  tout prix, que Justina ne dĂ©cĂšle dans ÉzĂ©chiel aucun des traits d’Escobar, ce qui (la pire des Ă©ventualitĂ©s) contraindrait le narrateur Ă  rĂ©connaĂźtre qu’il s’était trompĂ©. Sa construction mentale, vraie ou imaginaire, devait ĂȘtre maintenue coĂ»te que coĂ»te[88]. Au fil des ans, Dom Casmurro vint donc Ă  ĂȘtre vu sous deux optiques principales : l’une, la plus ancienne, consistant Ă  ajouter foi aux paroles Ă©crites de Bento Santiago, sans grandes remises en question Ă  leur sujet (font partie de ce groupe JosĂ© VerĂ­ssimo, LĂșcia Miguel Pereira, AfrĂąnio Coutinho, Erico Verissimo et surtout les contemporains de Machado)[89] ; et l’autre, plus rĂ©cente, postulant que Machado de Assis laisse au lecteur la tĂąche de tirer ses propres conclusions sur les personnages et l’intrigue, attendu que c’est lĂ  une des caractĂ©ristiques les plus prĂ©gnantes de la fiction machadienne[90]. Les tenants de cette derniĂšre position s’abstiennent pour la plupart d’apporter une rĂ©ponse aux questions posĂ©es par le roman et qualifient Dom Casmurro d’Ɠuvre ouverte[91].

Lecture sous l’angle psychologique

Les analystes des dĂ©cennies 1930 et 1940 opinaient que Bento Santiago souffrait de dysthymie et Ă©tablissaient un rapport entre sa personnalitĂ© taciturne et solitaire et l’auteur lui-mĂȘme, supposĂ© ĂȘtre atteint d’épilepsie. Son ami Escobar souffrirait d’un trouble obsessionnel compulsif et de tics moteurs, dont il est possible qu’il parvenait Ă  les juguler[92]. La critique moderne considĂšre ce type d’interprĂ©tations comme Ă©tant le produit du parti-pris psychologiste, qui Ă©tait courant Ă  cette Ă©poque et qui, appliquĂ© en l’occurrence Ă  Dom Casmurro et Ă  Machado de Assis, inclinait Ă  exagĂ©rer les souffrances de ce dernier et Ă  perdre de vue sa carriĂšre ascendante, tant comme journaliste et Ă©crivain que comme haut fonctionnaire[93]. Des psychiatres comme JosĂ© Leme Lopes soulignaient les inhibitions de Bentinho et son « retard de dĂ©veloppement affectif et sa nĂ©vrose »[94]. Le Bentinho dĂ©crit par Dom Casmurro serait caractĂ©risĂ© par une « sexualitĂ© tardive » et par une « prĂ©dominance du fantasme sur la rĂ©alitĂ©, avec des signes d’anxiĂ©tĂ© »[95].

Pour l’interprĂ©tation psychiatrique, cet Ă©tat psychique serait une des causes de sa jalousie pathologique. L’interprĂ©tation psychanalytique considĂšre que Bento « Ă©tait nĂ© privĂ© de pouvoir sur ses propres dĂ©sirs »[96]. Le personnage serait nĂ© pour « occuper la place d’un frĂšre mort-nĂ© », situation Ă  propos de laquelle la psychanalyste argentine Arminda Aberastury dĂ©clara qu’elle-mĂȘme « avait toujours attirĂ© l’attention sur les difficultĂ©s qu’éprouvaient dans leur dĂ©veloppement psychologique les enfants qui viennent au monde prĂ©destinĂ©s, viennent Ă  la place d’un autre »[97]. Dom Casmurro est un enfant ayant rempli tous les souhaits de sa mĂšre : il entre au sĂ©minaire et s’apprĂȘte Ă  devenir prĂȘtre, aussi certains le voient-ils comme un homme peu sĂ»r de lui et comĂ©dien[96]. Bentinho reprĂ©senterait le type de l’homme brĂ©silien de la haute sociĂ©tĂ© carioca du XIXe siĂšcle, dĂ©pourvu de conscience historique (d’oĂč son dĂ©sir d’écrire une Histoire des faubourgs, mais choisissant de consigner d’abord ses souvenirs de jeunesse), pessimiste et fuyant[98]. D’autres, comme MillĂŽr Fernandes, mettant en Ă©vidence une certaine affection amoureuse et tendre pour Escobar, croient dĂ©celer chez Bentinho une tendance Ă  l’homosexualitĂ©[99]. Celle-ci se manifesterait concrĂštement par l’admiration sans bornes qu’il a pour les capacitĂ©s arithmĂ©tiques d’Escobar, par la poignĂ©e de mains au chapitre XCIII, qui se prolonge sur prĂšs de cinq minutes, l’envie qu’il porte aux bras vigoureux d’Escobar (aptes Ă  la nage, dont Bento est incapable), et la scĂšne Ă©trange au chapitre CXVIII, oĂč il palpe les bras d’Escobar comme s’ils appartenaient Ă  Sancha (l’épouse d’Escobar)[100].

Lecture sous l’angle sociologique

D’autres critiques non brĂ©siliens, comme le britannique John Gledson, ont soulevĂ© Ă  partir des annĂ©es 1980 l’hypothĂšse qu’interviendraient dans le roman des intĂ©rĂȘts sociaux en rapport avec l’organisation et avec la crise de l’ordre patriarcal qui prĂ©valait sous le DeuxiĂšme Empire. Pour l’univers vieillot, renfermĂ© et sournois de Dona GlĂłria, peuplĂ© de veuves et de veufs, avec ses logĂ©s et esclaves, l’énergie et la libertĂ© d’opinion de Capitu, gamine moderne et pauvre, hardie et irrĂ©vĂ©rencieuse, lucide et agissante, seraient devenues insupportables[101]. Une preuve de l’argument de Gledson se trouve au chapitre III, que l’essayiste considĂšre ĂȘtre la « base du roman », plus prĂ©cisĂ©ment le motif donnĂ© par JosĂ© Dias au moment oĂč il parle de la famille de Capitu et oĂč il rappelle Ă  Dona GlĂłria la promesse faite par elle de placer Bentinho au sĂ©minaire, c’est-Ă -dire oĂč il dĂ©crit les « gens de PĂĄdua » comme infĂ©rieurs et taxe sa fille Capitu de gamine dissimulĂ©e et pauvre, capable de corrompre le fils de la maison[102].

Ainsi les jalousies de Bentinho, enfant riche, issu d’une famille dĂ©clinante, licenciĂ© en droit typique du Second Empire, condenseraient en elles une problĂ©matique sociale plus ample, se cachant derriĂšre la figure de « nouvel Othello qui diffame et dĂ©truit sa bien-aimĂ©e »[101]. Cette interprĂ©tation sociologique a eu d’autres adeptes, entre autres l’essayiste et poĂšte portugais HĂ©lder Macedo, qui affirma, Ă  propos du thĂšme de la jalousie :

« C’est dans la destruction de Capitu, dans la neutralisation du dĂ©fi qu’elle reprĂ©sente avec sa façon d’ĂȘtre alternative, que rĂ©side le dessein fondamental de la restauration recherchĂ©e par Bento Santiago Ă  travers l’écriture de ses mĂ©moires. [...] Elle Ă©tait une Ă©trangĂšre, une intruse, une menace au statu quo, un indĂ©sirable trait d’union avec une classe sociale infĂ©rieure, reprĂ©sentant ainsi Ă©galement, implicitement, l’émergence potentielle d’un nouvel ordre politique pouvant menacer le pouvoir Ă©tabli. [...] Classe et sexe sont ainsi fondus dans une mĂȘme menace figurĂ©e par la moralitĂ© supposĂ©ment douteuse de Capitu[103]. »

Dans une telle perspective, le narrateur, outil stĂ©rĂ©otypĂ© utilisĂ© par l’auteur pour critiquer une classe sociale dĂ©terminĂ©e de son Ă©poque[101], a eu l’habiletĂ© d’exploiter les prĂ©jugĂ©s des BrĂ©siliens pour entraĂźner ceux-ci Ă  se rallier Ă  son argumentation contre Capitu. Parmi ces prĂ©jugĂ©s, il y a notamment la ressemblance physique et les gestes et mimiques qu’un fils hĂ©rite du pĂšre vĂ©ritable, prĂ©supposĂ© qui serait inhĂ©rent Ă  la culture brĂ©silienne[104].

Lecture sous l’angle philosophique

Observant le malaise que le dĂ©bat critique autour de la thĂ©matique de la jalousie avait dĂ©clenchĂ©, des auteurs tels que, p. ex., JosĂ© Aderaldo Castello, argumentĂšrent que Dom Casmurro n’était pas un roman de la jalousie, mais du doute : « C’est par excellence le roman qui exprime le conflit atroce et insoluble entre la vĂ©ritĂ© subjective et les insinuations, Ă  haut pouvoir d’infiltration, engendrĂ©es par des coĂŻncidences, des apparences et des Ă©quivoques, immĂ©diatement ou tardivement alimentĂ©es par des intuitions »[105]. Pour autant, ces auteurs n’excluaient pas l’hypothĂšse que Bento Santiago disait rĂ©ellement la vĂ©ritĂ© et que Capitu l’avait trahi, ou qu’au contraire Machado de Assis avait voulu laisser la vĂ©ritĂ© entre les mains du lecteur.

L’écrivaine Lygia Fagundes Telles, qui Ă©tudia le roman pour Ă©crire le scĂ©nario du film Capitu, de 1968, en tant que lectrice qui d’abord condamna Capitu pour ensuite condamner Bentinho, dĂ©clara dans un entretien : « Moi dĂ©jĂ , je ne sais plus. Ma derniĂšre version, c’est celle-lĂ , mais je ne sais pas. Il se trouve que j’ai enfin suspendu mon jugement. Au dĂ©but, elle Ă©tait une sainte ; par la suite, un monstre. Maintenant que me voilĂ  vieille, je ne sais pas. Je trouve Dom Casmurro plus important que Madame Bovary. Dans le premier, il y a le doute, alors que chez la Bovary, il est Ă©crit dans sa tĂȘte qu’elle est adultĂšre »[106].

RĂ©ception critique

Au moment de sa publication, Dom Casmurro fut prisĂ© par les proches amis de l’auteur. Medeiros e Albuquerque p. ex. disait qu’il s’agissait lĂ  de « notre Othello »[107]. Son ami Graça Aranha fit Ă  propos de Capitu le commentaire suivant : « mariĂ©e, elle eut pour amant le meilleur ami de son mari »[108]. Ces premiĂšres rĂ©actions semblent accrĂ©diter les dires du narrateur et faisaient le lien avec le Cousin Bazilio (1878) d’Eça de Queiroz et avec Madame Bovary de Flaubert, c’est-Ă -dire des romans de l’adultĂšre[109].

Machado de Assis vers 1896.

JosĂ© VerĂ­ssimo, pour sa part, Ă©crivit que « Dom Casmurro traite d’un homme intelligent, sans aucun doute, mais simple, qui depuis qu’il est gamin se laisse illusionner par la fille qu’enfant dĂ©jĂ  il aimait, qui l’ensorcelait avec ses sortilĂšges calculĂ©s, avec sa profonde science congĂ©nitale de la dissimulation, Ă  qui il se donnera avec toute l’ardeur compatible avec son tempĂ©rament placide »[110]. VerĂ­ssimo Ă©tablit aussi une analogie entre Dom Casmurro et le narrateur de MĂ©moires posthumes de BrĂĄs Cubas : « Dom Casmurro est le frĂšre jumeau, quoiqu’avec de grandes diffĂ©rences extĂ©rieures, sinon de nature, de BrĂĄs Cubas »[111].

Silvio Romero quant Ă  lui n’acceptait pas que Machado eĂ»t rompu avec la linĂ©aritĂ© narrative et avec le naturel de l’intrigue traditionnelle, et depuis longtemps dĂ©prĂ©ciait sa prose. L’éditeur de Machado, la librairie Garnier, publiait ses volumes tant au BrĂ©sil qu’à Paris et, avec ce nouveau livre, la critique internationale commençait dĂ©jĂ  Ă  rĂ©voquer en doute qu’Eça de Queiroz fĂ»t encore le meilleur romancier de langue portugaise[3]. Artur de Azevedo fit par deux fois l’éloge de l’Ɠuvre, Ă©crivant : « Dom Casmurro est un de ces livres impossibles Ă  rĂ©sumer, parce que c’est dans la vie intĂ©rieure de Bento Santiago que rĂ©side tout son enchantement, toute sa force », et concluant que « Ce qui est tout cependant dans ce livre sombre et triste, oĂč il y a des pages Ă©crites avec des larmes et du sang, c’est la fine psychologie des deux figures centrales et le noble et superbe style du rĂ©cit »[112].

Machado de Assis, qui se confia Ă  des amis par des Ă©changes de lettres, se montra satisfait des commentaires qui avaient Ă©tĂ© publiĂ©s sur son livre[113]. Dom Casmurro continuera au fil du temps Ă  faire l’objet d’un grand nombre de critiques et d’interprĂ©tations. À l’heure actuelle, le roman est vu comme l’une des plus grandes contributions Ă  la littĂ©rature impressionniste, ou par certains comme l’un des plus grands exposants du rĂ©alisme brĂ©silien[90].

Éditions

PubliĂ© par la Librairie Garnier en 1900, encore que la page de titre donne l’annĂ©e antĂ©rieure comme date d’impression, Dom Casmurro avait Ă©tĂ© Ă©crit pour paraĂźtre directement en volume, Ă  la diffĂ©rence de MĂ©moires posthumes de BrĂĄs Cubas (1881) et de Quincas Borba (1891), qui avaient Ă©tĂ© publiĂ©s en feuilleton avant leur sortie en volume. Quincas Borba en effet parut en chapitres dĂ©tachĂ©s dans la revue A Estação entre 1886 et 1891 pour ĂȘtre publiĂ© dĂ©finitivement en 1892, et les MĂ©moires posthumes entre mars et dĂ©cembre 1880 dans la Revista Brasileira, avant d’ĂȘtre Ă©ditĂ© en 1881 par la Tipografia Nacional[114] - [115].

Garnier, qui publiait Machado aussi bien au BrĂ©sil qu’à Paris (sous le nom de Hippolyte Garnier), reçut le 19 dĂ©cembre 1899 une lettre de l’auteur rĂ©digĂ©e en français, oĂč celui-ci se plaignait du retard de la publication : « Nous attendons Dom Casmurro Ă  la date qui a Ă©tĂ© annoncĂ©e. Je vous prie, au nom de tous nos intĂ©rĂȘts, que le premier tirage d’exemplaires soit grand et suffisant, car il peut s’épuiser vite, et le retard du deuxiĂšme tirage va porter prĂ©judice aux ventes », Ă  quoi la maison d’édition rĂ©pondit le 12 janvier 1900 : « Dom Casmurro n’est pas sorti cette semaine, il s’agit d’un retard d’un mois pour des raisons indĂ©pendantes de notre volontĂ© [...] »[116].

La premiĂšre Ă©dition eut un tirage limitĂ©, cependant l’on avait gardĂ© les plaques typographiques pour l’éventualitĂ© d’une rĂ©impression, au cas ou les deux mille exemplaires de dĂ©part eussent Ă©tĂ© Ă©puisĂ©s[117].

Traductions

Dom Casmurro a été traduit en de multiples langues depuis sa premiÚre publication en portugais[118].

AnnĂ©e Langue Titre Traducteur(s) Éditeur
1930
1954
1958
ItalienDom CasmurroGiuseppe Alpi
Liliana Borla
Laura Marchiori
Istituto Cristoforo Colombo (Rome)
Fratelli Bocca (Milan)
Rizzoli (Milan)
1936
1956
2002
FrançaisDom Casmurro
Dom Casmurro
Dom Casmurro et les Yeux de ressac
Francis de Miomandre
Francis de Miomandre
Anne-Marie Quint
Institut international de Coopération intellectuelle (Paris)
Métailié (Paris)
Albin Michel (Paris)
1943
1954
1995
EspagnolDon Casmurro
Don Casmurro
Don Casmurro
LuĂ­s M. Baudizzone e Newton Freitas
J.Natalicio Gonzalez
RamĂłn de Garciasol
Editorial Nova (Buenos Aires)
W. M. Jackson (Buenos Aires)
Espasa-Calpe (Buenos Aires)
1951
1980
2005
AllemandDom CasmurroE. G. Meyenburg
Harry Kaufmann
Harry Kaufmann
Manesse Verlag (Zurich)
RĂŒtten & Loening (Berlin)
Weltbild (Augsbourg)
1953
1953
1992
1997
AnglaisDom CasmurroHelen Caldwell
Helen Caldwell
Scott Buccleuch
John Gledson
W. H. Allen (Londres)
The Nooday Press (New York)
Penguin Classics (Londres)
Oxford University Press (New York/Oxford)
1954SuédoisDom CasmurroGöran HedenSven-Erik berghs Bokförlag (Stockholm)
1959PolonaisDom CasmurroJanina WrzoskowaPanstwowy Wydawnicz (Varsovie)
1960TchĂšqueDon MorousEugen SpĂĄlenĂœSNKLHU (Prague)
1961RusseĐ”ĐŸĐœ ĐšĐ°ŃĐŒŃƒŃ€Ń€ĐŸĐą. ИĐČĐ°ĐœĐŸĐČĐŸĐčĐ Ń‹Đ±ĐžĐœŃĐșĐžĐč Đ”ĐŸĐŒ пДчатО (Moscou, rĂ©Ă©dition 2015)
1965RoumainDom CasmurroPaul TeodorescuUnivers (Bucarest)
1965Serbo-croateDom CasmurroAnte GettineoZora (Zagreb)
1973EstonienDom CasmurroAita KurfeldtEesti Raamat (Tallinn)
1985
1984
PortugaisDom Casmurros/t
s/t
Inquérito (Lisbonne)
Lello & IrmĂŁo (Porto)
1985NĂ©erlandaisDom CasmurroAugust WillemsenDe Arbeiderspers (Amsterdam)
1998CatalanEl Senyor CasmurroXavier PĂ miesQuaderns Crema (Barcelone)

Adaptations

Cinéma

Les deux adaptations cinĂ©matographiques du roman rĂ©alisĂ©es Ă  ce jour (2019) sont fort diffĂšrentes l’une de l’autre. La premiĂšre, Capitu, de 1968, mise en scĂšne par Paulo Cesar Saraceni, sur un scĂ©nario de Paulo EmĂ­lio Sales Gomes et de Lygia Fagundes Telles, avec dans les rĂŽles principaux Isabella, Othon Bastos et Raul Cortez, est une transposition fidĂšle du livre[119], alors que la plus rĂ©cente, Dom (2003), rĂ©alisĂ© par Moacyr GĂłes, avec Marcos Palmeira et Maria Fernanda CĂąndido, est une approche contemporaine sur la jalousie dans les relations[119].

Théùtre

Dom Casmurro a plusieurs fois Ă©tĂ© portĂ© Ă  la scĂšne, notamment sous la forme des piĂšces de thĂ©Ăątre Capitu (1999), mise en scĂšne par Marcus VinĂ­cius Faustini, rĂ©compensĂ©e et louangĂ©e par l’AcadĂ©mie brĂ©silienne des lettres[119], et Criador e Criatura: o Encontro de Machado e Capitu (2002), adaptation libre de FlĂĄvio Aguiar et AriclĂȘ Perez, mise en scĂšne par Bibi Ferreira[119]. Avant ces deux productions, le roman avait servi de base Ă  un opĂ©ra, intitulĂ© Dom Casmurro, sur un livret d’Orlando CodĂĄ et une musique de Ronaldo Miranda, qui eut sa premiĂšre reprĂ©sentation au ThĂ©Ăątre municipal de SĂŁo Paulo en 1992[120].

Musique populaire

La chanson Capitu, composée par Luiz Tatit, fut interprétée en 1999 par la chanteuse Nå Ozzetti sur son album Estopim[121].

Musique savante

Le compositeur Ronaldo Miranda est l’auteur d’un opĂ©ra, sur un livret d’Orlando CordĂĄ, reprĂ©sentĂ© pour la 1re fois en mai 1992 au ThĂ©Ăątre municipal de SĂŁo Paulo[122].

Littérature

En 1998, Fernando Sabino publia aux Ă©ditions Ática le roman Amor de Capitu, oĂč l’histoire originelle Ă©tait rĂ©Ă©crite en un rĂ©cit Ă  la troisiĂšme personne. De cette maniĂšre, c’est-Ă -dire en adoptant un point de vue plus distanciĂ©, le narrateur rĂ©ussit Ă  prendre position et Ă  rĂ©soudre le mystĂšre qui a entourĂ© Dom Casmurro pendant un siĂšcle[123].

Télévision

En commĂ©moration du centenaire de la mort de Machado de Assis, Rede Globo rĂ©alisa en 2008 une mini-sĂ©rie intitulĂ©e Capitu, Ă©crite par Euclydes Marinho et rĂ©alisĂ©e par Luiz Fernando Carvalho, avec Eliane Giardini, Maria Fernanda CĂąndido et Michel Melamed, entremĂȘlant des Ă©lĂ©ments d’époque, notamment des costumes, avec des Ă©lĂ©ments modernes, qui vont de la bande-son, diffusant des musiques du groupe amĂ©ricain Beirut, jusqu’à des scĂšnes oĂč l’on passe des MP3[124].

Bande dessinée

Dom Casmurro a été adapté à la bande dessinée par le scénariste Felipe Greco et le dessinateur Mario Cau. Le livre, publié par les éditions Devir, remporta le prix Jabuti en 2013 (dans les catégories Livre didactique et paradidactique et Illustration) et le Troféu HQ Mix en 2014 (dans la catégorie Adaptation pour la bande dessinée)[125] - [126] - [127].

D’autres transpositions encore de Dom Casmurro Ă  la bande dessinĂ©e ont vu le jour, lancĂ©es par les Ă©ditions Ática (de la main d’Ivan Jaf et de Rodrigo Rosa) et par les Ă©ditions Nemo (dont les auteurs sont Wellington Srbek et JosĂ© Aguiar)[128].

Références

  1. F. Teixeira de Andrade (2001), p. 3.
  2. Dom Casmurro, chap. II
  3. Guilhermino Almir, Dom Casmurro : a encenação de um julgamento, na adaptação cinematogrĂĄfica de Moacyr GĂłes e de Paulo CĂ©sar Saraceni, UFAL (universitĂ© fĂ©dĂ©rale d’Alagoas), , 213 p. (ISBN 978-85-7177-427-8 et 85-7177-427-7, lire en ligne), p. 21, 22 & 25-28
  4. (nl) August Willemsen, Dom Casmurro (trad. et annot. August Willemsen), Amsterdam, De Arbeiderspers, coll. « Grote ABC », , 258 p. (ISBN 978-9029501262), « Préface », p. 255-256.
  5. A. Willemsen (1985), p. 256.
  6. F. Teixeira de Andrade (2001), p. 144.
  7. R. Petronio & L. F. Ribeiro Alvarenga (2008), p. 6.
  8. J. Assmann Saraiva (2005), p. 7.
  9. Dom Casmurro, Chap. I
  10. A.J. Petry (sans date), p. 3 & 4.
  11. Dom Casmurro, chap. CXXIII
  12. Dom Casmurro, chap. CXLVIII
  13. F. Teixeira de Andrade (2001), p. 163.
  14. F. Teixeira de Andrade (2001), p. 134.
  15. Machado de Assis, Obra Completa, Ă©d. Nova Aguilar, 1994, postface A. Coutinho, p. 1098.
  16. F. Teixeira de Andrade (2001, partie 2), p. 87.
  17. Ian Watt, The Rise of the Novel : Studies in Defoe, Richardson and Fielding, Berkeley, University of California Press, , p. 12.
  18. F. Teixeira de Andrade (2001, partie 2), p. 84.
  19. J. Gledson (1991), p. 14.
  20. Ernani Terra & JosĂ© de Nicola, PortuguĂȘs: de olho no mundo do travalho, SĂŁo Paulo, Editora Scipione, 2006, p. 419.
  21. (pt) Ligia Braslauskas, « Abertura da Flip vira aula com leitura de Schwarz sobre Machado de Assis », Folha de S. Paulo, SĂŁo Paulo, Grupo Folha,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  22. R. Schwarz (1997), p. 9.
  23. F. Teixeira de Andrade (2001), p. 129.
  24. chap. LXII
  25. R. Schwarz (1997), p. 29.
  26. (pt) Ester Kosovski, O "crime" de adultério, Mauad Editora Ltda, coll. « Série jurídica (volume 3) », , 196 p. (ISBN 85-85756-58-6, lire en ligne), p. 127
  27. (pt) Pedro Correa do Lago, Coleção Princesa Isabel: Fotografia do século XIX, Capivara,
  28. C. E. Faraco & F. Mato Moura (2009), p. 231.
  29. R. Faoro (2001), p. 181.
  30. J. Gledson (1991), p. 13.
  31. C. E. Faraco & F. Mato Moura (2009), p. 265.
  32. E. de Assis Duarte (2007), p. 215.
  33. C. García-Bedoya Maguiña, p. 1081.
  34. Dom Casmurro, chap. I
  35. A. Bosi (2002), p. 12.
  36. F. Teixeira de Andrade (2001), p. 135.
  37. J. G. Merquior (1977), p. 181.
  38. E. Melo França (2008), p. 190-192.
  39. A. Willemsen (1985), p. 247.
  40. F. Teixeira de Andrade (2001), p. 79.
  41. J. Teixeira (2008), p. 166.
  42. M. L. Silveira Rangel (2000).
  43. F. Teixeira de Andrade (2001), p. 154.
  44. A. Willemsen (1985), p. 242-243.
  45. F. Teixeira de Andrade (2001, partie 2), p. 81.
  46. E. Melo França (2008), p. 192.
  47. H. AraĂșjo & S. Gonzaga (2001), p. 7.
  48. F. Achcar (1999), p. X, XI & XII.
  49. C. E. Faraco & F. Mato Moura (2009), p. 232-233.
  50. Dom Casmurro, chap. CXLVIII.
  51. L. F. Ribeiro (1996), p. 236.
  52. H. Caldwell (2002), p. 170.
  53. F. Teixeira de Andrade (2001), p. 165.
  54. H. Caldwell (2002), p. 22.
  55. J. G. Merquior (1977), p. 182.
  56. J. Gledson (1991), p. 148.
  57. J. R. Maia Neto (2007), p. 160.
  58. Clåudia Mentz Martins, Oswald de Andrade e sua crítica literåria, université fédérale du Rio Grande do Sul, 2008, p. 106-107.
  59. (en) David Morrell, John Barth : An Introduction, University Park (Pennsylvanie), Pennsylvania State University Press, , 194 p., p. 127
  60. S. L. Prado Bellei (1979), p. 30-44.
  61. F. Lucas (2009), p. 82 etss.
  62. F. Lucas (2008), p. 11.
  63. (pt) « Estação Veja - livros », Veja (consulté le )
  64. J. Assmann Saraiva (2005), p. 43 et ss.
  65. F. Teixeira de Andrade (2001, partie 2), p. 82.
  66. J. Assmann Saraiva (2005), p. 128.
  67. M. R. Duarte de Oliveira & A. Salles Mariano (2003), p. 129.
  68. R. Schwarz (1999), p. 228.
  69. A. Willemsen (1985), p. 243-244.
  70. A. Willemsen (1985), p. 250.
  71. A. Willemsen (1985), p. 251-252.
  72. A. Willemsen (1985), p. 248.
  73. A. Willemsen (1985), p. 252.
  74. A. Willemsen (1985), p. 249.
  75. J. Gledson (1991), p. 7.
  76. A. Candido (1995), p. 30-31.
  77. H. Caldwell (2002), p. 124.
  78. (pt) Otto Lara Resende, Bom dia para nascer : crĂŽnicas, Sao Paulo, Companhia das Letras, , 213 p. (ISBN 85-7164-313-X), p. 125.
  79. A. Willemsen (1985), p. 244.
  80. A. Willemsen (1985), p. 245.
  81. A. Willemsen (1985), p. 245-246.
  82. (pt) Ana Maria Mão-de-Ferro Martinho, Dom Casmurro, Lisbonne, Dom Quixote, , 233 p., « Préface », p. 19.
  83. A. M. MĂŁo-de-Ferro Martinho (2003), p. 21-22.
  84. A. M. MĂŁo-de-Ferro Martinho (2003), p. 20.
  85. A. M. MĂŁo-de-Ferro Martinho (2003), p. 20-21.
  86. H. Caldwell (2002), p. 29.
  87. A. Willemsen (1985), p. 252-253. La derniĂšre phrase est une citation tirĂ©e de la prĂ©face de Waldo Franck Ă  la 1re Ă©dition de la traduction de Helen Caldwell (« Ambiguity is the book’s texture and life vision »).
  88. A. Willemsen (1985), p. 253-254.
  89. K. Ellis (1965), p. 76-81.
  90. R. Petronio & L. F. Ribeiro Alvarenga (2008), p. 7.
  91. J. DĂ©cio (1999), p. 13.
  92. (pt) HĂ©lio A. G. Teive, Luciano de Paola et Francisco Cardoso, « A Neuro-Psiquiatria em Machado de Assis », Acta Med Port, no 20,‎ , p. 390 (lire en ligne, consultĂ© le )
  93. F. Teixeira de Andrade (2001, partie 2), p. 76.
  94. F. Teixeira de Andrade (2001), p. 145.
  95. F. Teixeira de Andrade (2001), p. 146.
  96. E. Melo França (2008), p. 190.
  97. (pt) Luiz Alberto Pinheiro de Freitas, Freud e Machado de Assis : uma interseção entre psicanålise e literatura, Rio de Janeiro, Mauad Editora Ltda, , 175 p. (ISBN 85-7478-056-1, lire en ligne), p. 130
  98. R. Petronio & L. F. Ribeiro Alvarenga (2008), p. Ăš.
  99. (pt) MillÎr Fernandes, « Coluna do MillÎr », Veja.com.br (consulté le )
  100. A. Willemsen (1985), p. 249-250.
  101. F. Teixeira de Andrade (2001), p. 130.
  102. J. Gledson (1991), p. 26 & 165.
  103. J. Assmann Saraiva (2005), p. 103 etss.
  104. L. C. Gomes Jr (2009), p. 66.
  105. J. A. Castello (1969), p. 150.
  106. (pt) Lygia Fagundes Telles, « Meu Machado de Assis », O Estado de S. Paulo, SĂŁo Paulo,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  107. D. Trevisan (1994), p. 29.
  108. A. Callado (1997), p. 254.
  109. Divers auteurs, revue Brasil/Brazil, Edição 31, patronnĂ©e par l’universitĂ© Brown, Center for Portuguese and Brazilian Studies, et par l’universitĂ© pontificale catholique du Rio Grande do Sul, et Ă©ditĂ©e chez Mercado Aberto, 2004.
  110. F. Aguiar (2008), p. 26.
  111. J. Verissimo (s/d), p. 25 etss.
  112. (pt) Alfredo Pujol et Alberto Venancio Filho, Machado de Assis : curso literĂĄrio em sete conferĂȘncias na Sociedade de Cultura ArtĂ­stica de SĂŁo Paulo, Rio de Janeiro, Academia Brasileira de Letras, , 328 p. (lire en ligne), p. 152
  113. HĂ©lio de Seixas GuimarĂŁes, Os leitores de Machado de Assis : o romance machadiano e o pĂșblico de literatura no sĂ©culo XIX, Sao Paulo, Nankin/EDUSP, , p. 237.
  114. JoĂŁo Alexandre Barbosa (consult.), s/d, p. 186.
  115. (pt) Valentim Facioli, Um defunto estrambótico : anålise e interpretação das memórias póstumas de Brås Cubas, Sao Paulo, EdUSP, , 182 p. (ISBN 978-85-314-1083-3, lire en ligne), p. 56.
  116. Vida e obra de Machado de Assis, Editora Record, p. 104.
  117. Vida e obra de Machado de Assis, Editora Record, p. 105.
  118. « Machado de Assis - TraduçÔes e ediçÔes estrangeiras », EnciclopĂ©dia Literatura Brasileira. ItaĂș Cultural (consultĂ© le )
  119. R. Petronio & L. F. Ribeiro Alvarenga (2008), p. 13.
  120. (pt) « Ronaldo Miranda » [archive du ] (consulté le )
  121. (pt) MĂĄrcio Pachoal, Os Atalhos de Samanta, Record, , 352 p. (ISBN 85-01-06846-2), p. 176.
  122. (pt) « Dom Casmurro », Patricia Endo (consulté le )
  123. (pt) « O universo machadiano em novos livros », Fohla de S. Paulo, SĂŁo Paulo,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  124. (pt) Luiz Fernando Carvalho, O Processo de Capitu, Casa da Palavra, , 159 p. (ISBN 978-85-7734-102-3 et 85-7734-102-X) (livre illustré sur la minisérie Dom Casmurro).
  125. (pt) Marcelo Naranjo, « Devir lança adaptação em quadrinhos de Dom Casmurro », Universo HQ,
  126. (pt) « CBL divulga os vencedores do 55Âș PrĂȘmio Jabuti », Publish News,
  127. (pt) Samir Naliato, « A lista dos vencedores do 26° Troféu HQ Mix », Universo HQ,
  128. (pt) « "Dom Casmurro", de Machado de Assis, ganha nova versão em HQ », Entretenimento UOL,

Bibliographie

  • (pt) Francisco Achcar, Contos de Machado de Assis, Editora Sol, , « Introdução a Machado de Assis ».
  • (pt) Fernando Teixeira de Andrade, Os Livros da Fuvest I, Sao Paulo, Editora Sol, , « MemĂłrias PĂłstumas de BrĂĄs Cubas », p. 73-121
  • (pt) Homero AraĂșjo et Sergius Gonzaga, Machado de Assis, Dom Casmurro, Porto Alegre, Novo SĂ©culo, (ISBN 8586880191).
  • (pt) Nelson Ascher, « Machado de Assis: MĂĄ InfluĂȘncia? », Revista Veja,‎ , p. 172.
  • (pt) SĂ©rgio LuĂ­s Prado Bellei, « Machado de Assis nos Estados Unidos: A InfluĂȘncia de Dom Casmurro nos Romances Iniciais de John Barth », CiĂȘncias Humanas, Rio de Janeiro, vol. III, no 10,‎ , p. 30–44.
  • (pt) Alfredo Bosi, Machado de Assis, Publifolha, , 100 p. (ISBN 85-7402-429-5).
  • (en) Helen Caldwell, The Brazilian Othello of Machado De Assis. A Study of Dom Casmurro, University of California Press, , 194 p. (traduction portugaise de FĂĄbio Fonseca de Melo sous le titre O Otelo brasileiro de Machado de Assis: um estudo de Dom Casmurro, Ed. Atelie Editorial, 2002. (ISBN 8574800937) ; N.B.: c’est Ă  cette traduction que nous nous rĂ©fĂ©rons).
  • (pt) Antonio Callado, CrĂŽnicas de fim do milĂȘnio, Rio de Janeiro, Ed. F. Alves, , 353 p. (ISBN 85-265-0384-7).
  • (pt) Antonio Candido, Esquema de Machado de Assis, Sao Paulo, Duas Cidades, , « VĂĄrios escritos ».
  • (pt) JosĂ© Aderaldo Castello, Realidade e ilusĂŁo em Machado de Assis, Companhia EditĂŽra Nacional, coll. « Coleção Ensaio », .
  • (pt) JoĂŁo DĂ©cio, Retorno ao romance eterno : "Dom Casmurro" de Machado de Assis e outros ensaios, Blumenau, Editora da FURB, , 219 p. (ISBN 85-7114-083-9).
  • (pt) Eduardo de Assis Duarte, Machado de Assis afro-descendente. Escritos de caramujo (anthologie), Pallas Editora, , 284 p. (ISBN 978-85-347-0408-3 et 85-347-0408-2).
  • (en) Keith Ellis, « Technique and ambiguity in Dom Casmurro », Hispania, no 45,‎ .
  • (pt) Raimundo Faoro, Machado de Assis : A Piramide e o trapĂ©zio, Sao Paulo, Editora Globo, , 557 p. (ISBN 85-250-3430-4).
  • (pt) Carlos EmĂ­lio Faraco et Francisco Mato Moura, PortuguĂȘs Projetos, Sao Paulo, Ática, .
  • (pt) Carlos EmĂ­lio Faraco et Francisco Mato Moura, LĂ­ngua e Literatura, vol. 2, Ática, .
  • (pt) DomĂ­cio Proença Filho, Capitu : memĂłrias pĂłstumas, Artium, , 378 p. (ISBN 85-86039-15-2).
  • (pt) Eduardo Melo França, Ruptura ou Amadurecimento : uma anĂĄlise dos primeiros contos de Machado de Assis, RĂ©cife, Editora UniversitĂĄria UFPE, , 216 p. (ISBN 978-85-7315-551-8 et 85-7315-551-5, lire en ligne).
  • (en) John Gledson, The Deceptive Realism of Machado De Assis: Dissenting Interpretation of Dom Casmurro, Francis Cairns Publications Ltd, (traduction portugaise sous le titre Machado de Assis: impostura e realismo. Uma reinterpretação de Dom Casmurro, Companhia das Letras, SĂŁo Paulo 1991 (ISBN 8571641773)
  • (pt) Luiz Carlos Gomes Junior, « Uma anĂĄlise do conhecimento casmurro », A Palo Seco, no 1,‎ , p. 55-67.
  • (pt) FĂĄbio Lucas, « A Condição Feminina de Capitu », Revista da Academia Brasileira de Letras, vol. L,‎ , p. 9-23.
  • (pt) HĂ©lder Macedo, « Machado de Assis: entre o lusco e o fusco », Revista ColĂłquio/Letras, Fundação Calouste Gulbenkian, nos 121/122,‎ , p. 5-24.
  • (es) Carlos GarcĂ­a-Bedoya Maguiña, Memorias de JALLA 2004. Lima : sextas jornadas andinas de literatura latinoamericana, vol. 2, Lima, UniversitĂ© nationale principale de San Marcos, , 2147 p. (ISBN 9972-46-303-6).
  • (pt) JosĂ© Guilherme Merquior, De Anchieta a Euclides : breve histĂłria da literatura brasileira, Rio de Janeiro, JosĂ© Olympio, coll. « Documentos brasileiros (volume182) », .
  • (pt) JosĂ© Raimundo Maia Neto, O ceticismo na obra de Machado de Assis, Sao Paulo, Annablume, , 197 p. (ISBN 978-85-7419-739-5 et 85-7419-739-4, lire en ligne).
  • (pt) Maria Rosa Duarte de Oliveira et Ana Salles Mariano, Recortes machadianos, Sao Paulo, Editora da PUC-SĂŁo Paulo, (ISBN 85-283-0282-2).
  • (pt) Rodrigo Petronio et Luis Fernando Ribeiro Alvarenga, Dom Casmurro, Escala Educacional, , 159 p. (ISBN 978-85-377-0632-9), « PrĂ©face ».
  • (pt) Adalberto JosĂ© Petry, « Ecos e Reflexos de Dom Casmurro », Dia Ă  Dia / Educação.
  • (pt) Maria LĂșcia Silveira Rangel, « As Personagens Femininas em Machado de Assis », Revista LiterĂĄria Brasileira, no 17,‎ .
  • (pt) Juracy Assmann Saraiva, Nos labirintos de Dom Casmurro : ensaios crĂ­ticos (diffĂ©rents auteurs), Porto Alegre, EDI-PUCRS, , 251 p. (ISBN 85-7430-524-3, lire en ligne).
  • (pt) JoĂŁo Gaspar SimĂ”es, Literatura, literatura, literatura : de SĂĄ de Miranda ao concretismo Brasileiro, PortugĂĄlia, coll. « Problemas (volume 6) »,
  • (pt) JerĂŽnimo Teixeira, « Machado: Um Verdadeiro Imortal », Revista Veja,‎ .
  • Elena Ralle, Recherches en linguistique Ă©trangĂšre (plusieurs auteurs), vol. 10, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Annales littĂ©raires de l’universitĂ© de Besançon », (lire en ligne), « Dom Casmurro. Statut du narrateur et fonctions du discours metanarratif », p. 91–114.
  • Thierry Bayle, « Dom Casmurro et les yeux de ressac », Le Nouveau Magazine LittĂ©raire, no mensuel 406,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).

Liens externes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.