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Narrateur non fiable

Le narrateur non fiable est un narrateur, en littérature, au cinéma ou au théâtre, dont la crédibilité est compromise[1]. Le terme aurait été utilisé en 1961 par Wayne Booth dans The Rhetoric of Fiction[1] - [2]. Les narrateurs non fiables sont normalement présents dans des récits à la première personne, mais il en existe aussi dans les récits à la deuxième personne et à la troisième personne, notamment dans le contexte des films et de la télévision.

Illustration par Gustave Doré du Baron de Münchhausen, exemple de narrateur non fiable.

Il n'est appliqué qu'aux histoires combinant deux critères :

  1. on a des raisons objectives de ne plus pouvoir se fier aveuglément au narrateur ;
  2. cela joue un rôle déterminant dans la lecture et les interprétations de l'œuvre.

Avec un narrateur non fiable, le lecteur se retrouve face à l'histoire comme si elle lui était racontée par un inconnu dans le monde réel, et il est obligé de garder la même prudence ou suspicion face au dispositif narratif que face à tout ce qu'il lit ou entend au quotidien : il en résulte une lecture rendue plus active par le maintien d'un certain scepticisme de la part du lecteur ; les œuvres de ce type relèvent souvent du courant moderniste ou postmoderniste.

Exemples

Littérature

  • Dans le roman American Psycho de Bret Easton Ellis, le narrateur est ou prĂ©tend ĂŞtre un psychopathe tueur en sĂ©rie ; le lecteur ne peut ĂŞtre certain qu'un tel individu ne dise que la vĂ©ritĂ© ou toute la vĂ©ritĂ©, ni mĂŞme que son rĂ©cit ne soit pas un fantasme Ă  la manière des Ă©crits de Sade : l'Ĺ“uvre a donc un narrateur non fiable.
  • Dans le roman La ClĂ© (alias La Confession impudique) de Jun'ichirĹŤ Tanizaki, le texte est entièrement composĂ© d'extraits alternĂ©s des journaux intimes d'un mari et de sa femme ; ces derniers ont diverses raisons d'y mentir (d'autant que chacun soupçonne l'autre de lire en cachette son journal) et les deux rĂ©cits parallèles se contredisent parfois : l'Ĺ“uvre a donc deux narrateurs non fiables.
  • Le roman Le MaĂ®tre du Jugement dernier de Leo Perutz se prĂ©sente comme le rĂ©cit par un noble autrichien, le baron von Yosh, du suicide apparent d'un de ses proches, l'acteur Eugen Bischoff, et de son enquĂŞte pour dĂ©masquer son meurtrier. La postface, rĂ©digĂ©e par l'Ă©diteur lors de la publication du rĂ©cit du baron, des annĂ©es après la mort de ce dernier, nous apprend que le baron a Ă©tĂ© reconnu coupable d'avoir poussĂ© au suicide Bischoff par rivalitĂ© amoureuse, et chassĂ© de l'armĂ©e par un jury d'honneur. Toute l'enquĂŞte est une invention du baron, tentant de nier sa responsabilitĂ©.
  • Dans Le Meurtre de Roger Ackroyd, Agatha Christie pousse la technique Ă  l’extrĂŞme en faisant du meurtrier le narrateur, tout en amenant le lecteur Ă  ne jamais le soupçonner.

Cinéma

  • Dans le film RashĹŤmon de Akira Kurosawa, un groupe de trois narrateurs racontent tour Ă  tour un mĂŞme dĂ©cès selon trois versions contradictoires (accident, meurtre, suicide) ; au moins deux mentent ou se trompent, voire tous, mais les trois principaux segments du film ne nous ont montrĂ© qu'une reprĂ©sentation de leurs trois rĂ©cits (et non pas ce qui s'est rĂ©ellement passĂ©) : l'Ĺ“uvre a donc trois narrateurs non fiables.
  • Dans le film Usual Suspects de Bryan Singer, un policier interroge un suspect Ă©videmment susceptible de mentir ; en soi, cela ne suffirait pas Ă  Ă©lever un personnage menteur au rang de narrateur non fiable, mais ici, l'essentiel du film est la visualisation du rĂ©cit du suspect, ce qui a un impact direct sur presque tout ce que va voir le spectateur : que le suspect mente ou dise la vĂ©ritĂ©, l'Ĺ“uvre a donc un narrateur non fiable.

Le résultat d'un narrateur non fiable, et le point commun aux œuvres qui en relèvent, c'est qu'il n'est généralement plus possible au lecteur même attentif de certifier « ce qui s'est réellement passé » : ce type d'œuvre engendre souvent des interprétations multiples concurrentes, plus ou moins étayées par des indices internes ou des raisonnements externes, ce qui en fait l'ambiguïté autant que la richesse.

Sources

Références

  1. Frey 1931, p. 107
  2. Booth 1961, p. 158–159

Bibliographie

  • James N. Frey, How to Write a Damn Good Novel, II : Advanced Techniques For Dramatic Storytelling, New York, St. Martin's Press, , 161 p. (ISBN 0-312-10478-2, lire en ligne)
  • Wayne C. Booth, The Rhetoric of Fiction, Univ. of Chicago Press,

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