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Dictature militaire d'Augusto Pinochet

La dictature militaire d'Augusto Pinochet gouverna le Chili pendant seize ans, du coup d'État du 11 septembre 1973 jusqu'au , Ă  la suite du rĂ©fĂ©rendum de 1988.

RĂ©publique du Chili
RepĂșblica de Chile

1973–1990

Drapeau Blason
Informations générales
Statut Dictature militaire autoritaire
Capitale Santiago
Langue(s) Espagnol
Monnaie Escudo chilien (1973-1975)
Peso chilien (1975-1990)
DĂ©mographie
Population 10 095 485
Histoire et événements
11 septembre 1973 Coup d'État
11 mars 1990 Transition à la démocratie
Président de la junte
1973-1981 Augusto Pinochet
1981-1990 José Toribio Merino

Cette pĂ©riode de dictature militaire commença quand les commandants des forces armĂ©es et de la police renversĂšrent par un coup d'État le gouvernement du prĂ©sident dĂ©mocratiquement Ă©lu Salvador Allende, et se termina par un rĂ©fĂ©rendum rĂ©vocatoire perdu par Augusto Pinochet qui, au bout d'une brĂšve transition, permit la restauration de la dĂ©mocratie le .

Le rĂ©gime autoritaire et conservateur qui gouverna le Chili, sous la prĂ©sidence du commandant des forces armĂ©es, le gĂ©nĂ©ral Augusto Pinochet, est connu pour ses multiples atteintes aux droits de l'homme (plus de 3 200 morts et « disparus », autour de 38 000 personnes torturĂ©es[1], plusieurs centaines de milliers d'exilĂ©s) et pour sa politique Ă©conomique de privatisations - frĂ©quemment qualifiĂ©e de nĂ©olibĂ©rale - menĂ©e par les « Chicago Boys », inspirĂ©s par les conceptions Ă©conomiques dĂ©veloppĂ©es par Milton Friedman. Il est aussi Ă  l'origine de la constitution chilienne de 1980, qui a depuis Ă©tĂ© largement modifiĂ©e, en supprimant ses « enclaves autoritaires » en 1989 et surtout en 2005[2] - [3].

Dans la vie politique interne du Chili, les partisans du coup d'État et de la junte font rĂ©fĂ©rence Ă  cette pĂ©riode sous le nom de « gouvernement militaire » alors que les opposants dĂ©signent cette pĂ©riode sous le terme de dictature militaire. La commission VĂ©ritĂ© et rĂ©conciliation (rapport Rettig) utilise celui de rĂ©gime militaire[4] - [5]. Le rapport Valech parle entre autres de « rĂ©gime dictatorial ». Il y a eu des exĂ©cutions sanglantes et des tortures systĂ©matiques.

Le coup d'État du 11 septembre 1973

Soldats chiliens brûlant des livres de gauche en 1974

Le coup d'État du 11 septembre 1973 a Ă©tĂ© menĂ© par une junte militaire, dirigĂ©e par un conseil de quatre officiers. Il y a tout d'abord le gĂ©nĂ©ral Augusto Pinochet, chef de l'armĂ©e de terre (30 000 hommes), ralliĂ© in extremis aux putschistes. Puis le gĂ©nĂ©ral Gustavo Leigh GuzmĂĄn, gĂ©nĂ©ral en chef de l'armĂ©e de l'air (9 000 hommes). Ensuite l'amiral JosĂ© Toribio Merino Castro, commandant en chef de la marine (15 000 hommes). Et enfin le gĂ©nĂ©ral CĂ©sar Mendoza, quatriĂšme officier commandant des carabineros (30 000 hommes).

Contexte

Ce coup d'État eut lieu dans un contexte international marquĂ© par la guerre froide et dans un climat interne propice Ă  la guerre civile, marquĂ© par une polarisation politique extrĂȘme et une crise Ă©conomique et sociale.

Sur le plan international, la politique chilienne du gouvernement de l'Unidad Popular avait Ă©tĂ© marquĂ©e par le rapprochement avec Cuba et l'ouverture vers l'URSS provoquant le mĂ©contentement des États-Unis, hostiles Ă  Salvador Allende avant mĂȘme son entrĂ©e en fonction[6].

Sur le plan économique, une crise économique « dévastatrice » sévit depuis 1972[7]. Selon l'historienne Verónica Valdivia Ortiz de Zårate, « l'opposition cherche à miner l'autorité présidentielle, à générer un contexte de chaos économique »[8].

Sur le plan politique, la situation s'est encore dĂ©gradĂ©e en 1973. À gauche, aprĂšs la surenchĂšre de Carlos Altamirano, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Parti socialiste, Salvador Allende est dĂ©stabilisĂ© et en vient Ă  asseoir son pouvoir davantage sur le Parti communiste, plus stable[9]. Quand Allende s’oppose Ă  toute dĂ©rive par rapport Ă  l’ordre institutionnel et constitutionnel, Altamirano se rapproche du Mouvement de gauche rĂ©volutionnaire (MIR) pour tenter de favoriser une rĂ©bellion dans la marine contre les officiers militaires suspectĂ©s de prĂ©parer un coup d'État. À droite, le Parti national et le Parti dĂ©mocrate-chrĂ©tien du Chili ont fait alliance au sein de la ConfĂ©dĂ©ration dĂ©mocratique, qui remporte les Ă©lections lĂ©gislatives de mars 1973 sans disposer toutefois de la majoritĂ© constitutionnelle pour forcer Allende Ă  la dĂ©mission. Dans les rues, les milices d'extrĂȘme-droite frappent le pavĂ© avec celles d'extrĂȘme-gauche. En juin 1973, une tentative de coup d'État, le Tanquetazo, Ă©choue grĂące notamment au loyalisme de Carlos Prats, gĂ©nĂ©ral en chef des armĂ©es chiliennes et de son commandant en second, le gĂ©nĂ©ral Augusto Pinochet. Mais en juillet, Altamirano incite les travailleurs des cordons industriels Ă  s’armer et Ă  former des milices populaires, rejetant tout accord avec la DĂ©mocratie chrĂ©tienne, qualifiĂ© de parti rĂ©actionnaire et contre-rĂ©volutionnaire, mais plutĂŽt, selon ses propos, appelle Ă  l'armement des « ouvriers, paysans, gens des bidonvilles et les jeunes [
] comme classe et comme rĂ©volutionnaires » afin de sauver le gouvernement[10]. En aoĂ»t, la majoritĂ© parlementaire, hostile au gouvernement demande lors d'un vote, l'intervention des institutions civiles et militaires pour que le gouvernement change de politique.

DĂ©roulement du coup d'État

L'attaque contre le palais de la Moneda le 11 septembre 1973
Le gouvernement de la junte militaire au grand complet avec César Mendoza, José Toribio Merino, Augusto Pinochet, Fernando Matthei et Humberto Gordon

Carlos Altamirano, le chef du parti socialiste chilien avait Ă©tĂ© averti d’un possible coup d'État de la part de la Marine et avait prononcĂ© un discours incendiaire invitant le Chili Ă  devenir un second ViĂȘt Nam hĂ©roĂŻque[11]. Le , Pinochet avait Ă©tĂ© convaincu par le gĂ©nĂ©ral Leigh et l'amiral Merino de se joindre aux putschistes. Le gĂ©nĂ©ral CĂ©sar Mendoza, commandant-adjoint des carabiniers, contactĂ© par Leigh le 10 septembre, Ă©tait le quatriĂšme membre du complot militaire.

Le coup d'État a commencĂ© dans la nuit du 10 au 11 septembre 1973.

En septembre 1973, comme chaque annĂ©e, l'US Navy et la marine chilienne organisaient des manƓuvres communes. Les troupes d'infanteries de marine passĂšrent ainsi la journĂ©e du 10 septembre 1973 avec 4 navires de la Navy au large de ValparaĂ­so. De retour dans la soirĂ©e du 10 septembre dans la citĂ© portuaire, les troupes d'infanteries chiliennes commencĂšrent Ă  couper les communications, s'emparant de la ville dĂšs 3 heures du matin, sans coup fĂ©rir.

À 6 h du matin, le 11 septembre 1973, l'opĂ©ration militaire s'Ă©tendait Ă  tout le pays et se rĂ©alisait sans rĂ©sistance importante Ă  l'exception de Santiago. Gustavo Leigh, le gestateur du coup d’État, Ă©tait le premier des chefs des forces armĂ©es Ă  signer le document qui formalisait le putsch. À 9 h du matin, le palais de la Moneda oĂč Ă©tait arrivĂ© dĂšs 7 h le prĂ©sident Allende, Ă©tait assiĂ©gĂ© par l'armĂ©e de terre. Le vice-amiral Patricio Carjaval lui proposa alors par tĂ©lĂ©phone un sauf-conduit pour quitter le Chili sain et sauf avec sa famille. Mais il refusa, convaincu que c'Ă©tait un piĂšge, ce qui Ă©tait effectivement le cas[12]. Il fit nĂ©anmoins Ă©vacuer sa famille et le personnel et se retrancha dans le palais prĂ©sidentiel, avec 42 de ses gardes du corps, dĂ©clarant ĂȘtre prĂȘt Ă  mourir les armes Ă  la main.

Peu avant midi, depuis son quartier gĂ©nĂ©ral Ă  Las Condes, Leigh ordonna de bombarder le palais de la Moneda. Deux chasseurs de l’armĂ©e de l'air bombardĂšrent le palais prĂ©sidentiel Ă  coups de roquettes avant que celui-ci fĂ»t investi par les chars.

Peu aprĂšs 14 h, Salvador Allende fut retrouvĂ© mort. Il s’était suicidĂ© Ă  l'aide d'une arme automatique. Il avait rĂ©pondu quelques heures plus tĂŽt au tĂ©lĂ©phone Ă  l’un des putschistes : « Le prĂ©sident de la RĂ©publique Ă©lu par le peuple ne se rend pas »[13].

Alors que les démocrates chrétiens et les conservateurs s'attendent à ce que le pouvoir leur soit remis, la junte militaire décide de conserver les commandes du pays, dissout le parlement, et établit une dictature militaire[14].

Les 17 années de régime militaire

Les atteintes aux droits de l'Homme

Mémorial en hommage aux victimes assassinées par la dictature militaire chilienne, entre 1973 et 1990 : une partie des noms des militants politiques exécutés.

Dans les trois jours suivant le coup d'État, plus de deux cents personnes sont assassinĂ©es par les militaires aux ordres des putschistes. La majoritĂ© des dirigeants du gouvernement de l’UnitĂ© Populaire et autres dirigeants de la Gauche sont arrĂȘtĂ©s. Des milliers d’opposants sont parquĂ©s au stade de Santiago, de trĂšs nombreux prisonniers sont torturĂ©s, d'autres « disparaissent » (ils sont assassinĂ©s et leurs corps sont dissimulĂ©s). Des camps de concentration sont organisĂ©s Ă  la hĂąte : en dĂ©cembre 1973, ils renferment 18 000 prisonniers[15].

RĂ©solument anti-marxiste, le gĂ©nĂ©ral Leigh apparait alors comme le membre le plus impitoyable de la junte, promettant d'« Ă©radiquer le cancer marxiste »[16]. C'est sous ses ordres que les forces aĂ©riennes procĂšdent d'abord Ă  l'Ă©puration au sein de ses rangs des opposants au coup d'État puis aux interrogatoires contre certains de ses plus hauts gradĂ©s comme le gĂ©nĂ©ral Alberto Bachelet.

La Villa Grimaldi, l'Estadio Chile, Cuatro Álamos sont utilisĂ©s comme camps de dĂ©tention et de torture, de mĂȘme que le site de la sociĂ©tĂ© d’extraction de salpĂȘtre Oficina Salitrera Chacabuco, l’üle Dawson en Patagonie, le port de Pisagua, le bateau-Ă©cole Esmeralda et la colonie Dignidad. La junte confie Ă©galement au gĂ©nĂ©ral Sergio Arellano Stark la mission de traquer les militants de l'Unidad Popular et du MIR figurant sur une liste prĂ©Ă©tablie. À la tĂȘte d'une caravane de la mort qui parcourut le Chili du nord au sud du au , Stark ordonne l'exĂ©cution d'au moins 72 militants de l'UP et du MIR et la torture sur une dizaine d'autres[17].

L'usage de la torture sur les opposants Ă©tait institutionnalisĂ©. Les tortures pratiquĂ©es comprenaient : l'usage de rats, torture par Ă©lectricitĂ©, torture par l'eau, privation d'eau et de nourriture pendant plusieurs jours, viols, tortures psychologiques (tortures et viols de sa famille devant le prisonnier, humiliations diverses, privation de sommeil). Certains Ă©taient pendus par les pieds[18]. Les prisonniers Ă©taient Ă©galement rĂ©guliĂšrement frappĂ©s, et souvent droguĂ©s. Certains dĂ©tenus Ă©taient jetĂ©s dans la mer depuis des hĂ©licoptĂšres, aprĂšs qu'on leur eut ouvert l'estomac au couteau (pour empĂȘcher les corps de flotter)[19]. Au sein des centres de torture, les cellules font parfois 70 centimĂštres de large[20], certains dĂ©tenus sont placĂ©s au milieu de cadavres[21]. Des mineures sont torturĂ©es nues, et pendues par les poignets[22].

La grĂšve est passible de la peine de mort dans certains secteurs[23]. ParallĂšlement Ă  cette rĂ©pression, les libertĂ©s publiques sont supprimĂ©es, la libertĂ© de la presse est abolie et toute activitĂ© politique est suspendue. Les responsables politiques locaux et l’ensemble des maires sont destituĂ©s, leurs remplaçants Ă©tant nommĂ©s par la junte[24].

À la suite du coup d'État, de nombreux artistes sont arrĂȘtĂ©s, torturĂ©s, assassinĂ©s (comme VĂ­ctor Jara). La maison de Pablo Neruda est pillĂ©e par les militaires. Des groupes de musique s'exilent, comme Los Jaivas, et leur musique ne peut ĂȘtre distribuĂ©e au Chili que clandestinement. La production cinĂ©matographique s'Ă©croule, et les principaux rĂ©alisateurs s'exilent (comme RaĂșl Ruiz). Les principaux Ă©crivains sont Ă©galement emprisonnĂ©s ou contraints Ă  l'exil (comme Luis SepĂșlveda et Isabel Allende), alors que tout ce qui est littĂ©rature de gauche est brĂ»lĂ©e dans les rues. Pendant l’ensemble de la pĂ©riode de la dictature, « des centaines de milliers de livres furent confisquĂ©s et dĂ©truits »[25].

La dictature militaire met au pas les universitĂ©s : des Ă©tudiants sont arbitrairement exclus des universitĂ©s, des professeurs sont arrĂȘtĂ©s, expulsĂ©s, torturĂ©s ou fusillĂ©s. Des militaires sont nommĂ©s Ă  la tĂȘte de toutes les universitĂ©s[26].

En 1974, Manuel Contreras est chargĂ© de diriger la DINA, une police politique qui recourt aux disparitions et aux assassinats, notamment Ă  l'Ă©tranger dans le cadre du plan Condor. Rassemblant six rĂ©gimes militaires d’AmĂ©rique du Sud (Chili, Argentine, Bolivie, BrĂ©sil, Paraguay, Uruguay), le plan Condor, initiĂ© en 1975 Ă  l'initiative du GĂ©nĂ©ral Rivero, un officier des services secrets argentins[27], est une entente qui permet de traquer et d’assassiner les dissidents et les opposants aux diffĂ©rents rĂ©gimes dictatoriaux d'AmĂ©rique du Sud. Les Chiliens visĂ©s par les opĂ©rations du plan Condor sont non seulement des partisans de l'Unidad Popular et du MIR mais aussi d'anciens ministres ou militaires opposĂ©s au coup d'État comme le gĂ©nĂ©ral Carlos Prats, assassinĂ© en septembre 1974 Ă  Buenos Aires, ou Orlando Letelier, assassinĂ© aux États-Unis en 1976[28].

En 1975, le meurtre de 119 opposants, principalement du MIR, en Argentine, est maquillé par la DINA en rÚglements de comptes internes: c'est l'opération Colombo. L'année suivante, la DINA décapite à deux reprises la direction clandestine du Parti communiste du Chili (PCC), lors de l'opération Calle Conferencia. Les détenus sont torturés, tandis qu'on teste sur eux le gaz sarin mis au point par le chimiste Eugenio Berrios (en). Les corps sont ensuite jetés à la mer lors des vols de la mort ; le pilote personnel de Pinochet, le brigadier Antonio Palomo Contreras, qui avait piloté un hélicoptÚre Puma lors de la caravane de la mort, est mis à contribution[29].

Le plébiscite de 1978

En janvier 1978, à la suite d'une nouvelle condamnation de la dictature par l'ONU pour non-respect des droits de l'Homme, la junte organise un plébiscite. Le scrutin est décidé en quelques jours, et le décret appelant au vote est publié seulement la veille du scrutin. Le texte soumis au suffrage était le suivant : « Face à l'agression internationale lancée contre le gouvernement de notre patrie, j'appuie le général Pinochet dans sa défense de la dignité du Chili, et je réaffirme la légitimité du gouvernement de la République à diriger souverainement le processus d'institutionnalisation du pays. »[30] Dans un contexte marqué par l'interdiction de l'opposition, le gouvernement affirme avoir reçu 75 % des voix en sa faveur, chiffre auquel « personne ne croit »[31] - [32]. Ces résultats sont sujets à caution en l'absence de registre électoral[33].

Le 19 avril 1978, des lois d'amnistie sont promulguĂ©es, garantissant l'impunitĂ© contre les poursuites judiciaires aux auteurs de crimes et exactions liĂ©s au coup d'État, commis entre le 11 septembre 1973 et le 10 mars 1978, Ă  l'exception de l'assassinat de l'ancien ministre Orlando Letelier[34]. Plusieurs camps sont fermĂ©s et un grand nombre de prisonniers, comme le communiste Luis Corvalan sont libĂ©rĂ©s[35]. La rĂ©pression est alors en nette rĂ©gression par rapport aux annĂ©es prĂ©cĂ©dentes[36], alors qu'une commission d'enquĂȘte de l'ONU constate une amĂ©lioration rĂ©elle en matiĂšre de droits de l'Homme[37].

Bilan humain

Monument commĂ©moratif du Caso Degollados (meurtre de trois communistes en 1985), dĂ©nommĂ© Un lugar para la memoria, un Lieu pour la mĂ©moire, construit Ă  proximitĂ© de l'aĂ©roport de Santiago oĂč furent dĂ©couvert les dĂ©pouilles des victimes. L'affaire provoqua la dĂ©mission du gĂ©nĂ©ral CĂ©sar Mendoza, chef des carabineros du Chili et membre de la junte depuis le coup d'État.

Les partisans de l'Unidad Popular, du MIR et du Parti communiste ont été décimés sur le territoire national ou ont été contraints à l'exil (Carlos Altamirano, Clodomiro Almeyda, Ricardo Nuñez, Jorge Arrate...).

Selon les estimations ultĂ©rieures du rapport Rettig (1990) et du rapport Valech (2004), 2 279[38] personnes ont Ă©tĂ© tuĂ©es (chiffre incluant le nombre de 957 disparus[39]), durant le rĂ©gime dictatorial, par des membres de la DINA et d’autres organismes des Forces ArmĂ©es, parmi lesquelles VĂ­ctor Jara et JosĂ© TohĂĄ furent les plus cĂ©lĂšbres ; plus de 29 000 personnes[40] ont Ă©galement Ă©tĂ© torturĂ©es (y compris des mineurs de moins de douze ans) et plus de 130 000 personnes arrĂȘtĂ©es ou dĂ©tenues par des organismes du gouvernement.

Selon une autre estimation, de Fanny Jedlicki, entre deux cent cinquante mille[41] et un million de Chiliens se sont exilés ou ont été expulsés dans divers pays du monde entre 1973 et 1989[42].

Une nouvelle estimation est Ă©tablie en 2011, dĂ©comptant plus de 3 200 morts et « disparus », autour de 38 000 personnes torturĂ©es[1]. Toutefois, seuls 40 % des cas de crimes commis sous la dictature auraient Ă©tĂ© rĂ©solus[43].

À ce bilan il faut ajouter l'opĂ©ration Condor, menĂ©e conjointement avec les autres dictatures latino-amĂ©ricaines, contre les exilĂ©s.

La dictature a procĂ©dĂ© en particulier Ă  la « disparition » d'opposants. Antonia GarciĂ  Castro donne la dĂ©finition suivante : « Est considĂ©rĂ© comme disparu, l'individu qui, ayant Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© par des agents de l'État, est durablement dĂ©tenu dans le secret, sans que cette arrestation soit reconnue par les autoritĂ©s impliquĂ©es. TuĂ© durant son emprisonnement, sa dĂ©pouille est cachĂ©e et son dĂ©cĂšs n'est pas notifiĂ© Ă  ses proches[44]. » Pendant les premiĂšres annĂ©es, la dictature nie leur existence. Mais en 1978, on dĂ©couvre un premier charnier Ă  LonquĂ©n : les corps de 15 hommes disparus depuis octobre 1973 sont ainsi retrouvĂ©s[45]. En 2002, il restait 1 198 Â« disparus Â»[46].


Selon Amnesty International, « de trĂšs nombreux Ă©lĂ©ments permettent d’établir que ces « disparus » ont Ă©tĂ© victimes d’un programme gouvernemental d’élimination des opposants prĂ©sumĂ©s. » Le mĂȘme texte parle Ă  propos des exactions de la dictature de « crimes contre l’humanitĂ© »[47].

L'administration militaire

Augusto Pinochet prend la prĂ©sidence de la Junte Gouvernementale, en sa qualitĂ© de commandant en chef de la branche la plus ancienne des Forces armĂ©es[48]. Cette charge, qui Ă  l’origine devait ĂȘtre tournante, devient finalement permanente. Le premier gouvernement mis en place se compose alors de 13 militaires sur 15 membres. Le , Pinochet est nommĂ© « chef suprĂȘme de la Nation », en vertu du dĂ©cret-loi no 527, charge qui est remplacĂ©e par celle de prĂ©sident de la RĂ©publique, le , en vertu du dĂ©cret-Loi no 806 : Augusto Pinochet s’est ainsi nommĂ© par dĂ©cret prĂ©sident de la rĂ©publique. Quant Ă  la Junte, elle occupe les fonctions constituante et lĂ©gislative Ă  la place du CongrĂšs national, dissout depuis le 21 septembre 1973.

La Carretera Austral General Augusto Pinochet, un projet d'ingénierie publique destiné à désenclaver la Région Aisén del General Carlos Ibåñez del Campo, réalisé par le Cuerpo Militar del Trabajo, une division dépendant du corps de l'armée chilienne

Pour faire fonctionner l'administration civile, la junte recrute au sein du Mouvement grĂ©mialista de Jaime GuzmĂĄn. Ses membres, les grĂ©mios, fournissent alors une bonne part des nouveaux cadres administratifs au gouvernement et Ă  l'administration. Ils se concentrent notamment au sein de trois organismes gouvernementaux. PremiĂšrement, le secrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral du gouvernement. Il constitue un vĂ©ritable ministĂšre Ă  part entiĂšre oĂč se trouve l'importante direction des organisations sociales et ses trois secrĂ©tariats (Ă  la mĂšre, Ă  la jeunesse et aux corporations). Puis viens la Oficina de PlanificaciĂłn Nacional (ODEPLAN) oĂč se prĂ©parent les rĂ©formes Ă©conomiques. Puis enfin le secrĂ©tariat Ă  la planification et Ă  la coordination (SERPLAC), concernant les grands travaux comme l'extension des lignes du MĂ©tro de Santiago du Chili ou la construction de la Carretera Austral.

Les grémios fournissent aussi une grande partie du personnel municipal des gouvernements locaux ainsi que celui du corps universitaire, notamment ceux d'agronomie, de droit, d'économie et d'ingénierie. Il compteront de nombreux membres ou sympathisants dans les médias, chez les fonctionnaires du gouvernement et dans le patronat.

Andrés Zaldívar et Eduardo Frei Montalva au théùtre Caupolicån de Santiago, lors du rassemblement des opposants au projet de constitution chilienne

À leur cĂŽtĂ©, une partie de l'ancien personnel politique conservateur se recycle Ă  l'instar de Jorge Alessandri et Gabriel GonzĂĄlez Videla qui rejoignent le nouveau conseil d'État qui Ă©tudie en 1978 un avant-projet de Constitution Ă©laborĂ© par les grĂ©mios au sein d'une commission prĂ©sidĂ©e par Enrique OrtĂșzar. À la suite du rapport de ce conseil d'État sur le texte de la commission OrtĂșzar, la Junte Gouvernementale nomme un groupe de travail qui prĂ©sente diverses modifications. Finalement, le 10 aoĂ»t 1980, la Junte approuve le projet de nouvelle Constitution, qu’elle dĂ©cide de soumettre Ă  un plĂ©biscite.

L’opposition, en occurrence le Parti dĂ©mocrate-chilien, participe alors Ă  sa premiĂšre manifestation politique autorisĂ©e. MenĂ© par Eduardo Frei Montalva, elle appelle Ă  voter contre le projet de constitution lors de son unique meeting politique au thĂ©Ăątre CaupolicĂĄn de Santiago. NĂ©anmoins, le 11 septembre 1980, la nouvelle Constitution Politique de la RĂ©publique du Chili est approuvĂ©e par 68,95 % des votes, selon les chiffres officiels, et entre en vigueur le 11 mars 1981. Cependant, en l'absence de registres Ă©lectoraux, il n'a pas Ă©tĂ© possible de contrĂŽler la rĂ©gularitĂ© du scrutin.

Les relations internes au sein de la junte

Leigh Ă  l'Ă©coute de Pinochet

DĂšs le dĂ©but du coup d'État, la junte tentait de prĂ©senter un front uni en dĂ©pit des dissensions qui pouvaient exister en son sein, notamment entre Gustavo Leigh et Augusto Pinochet. Le premier avait critiquĂ© le soutien tardif au coup d'État du second et s'opposait Ă  ses prĂ©tentions pour s'arroger tout le pouvoir. En dĂ©cembre 1974, Leigh fut le seul membre de la junte Ă  s'opposer Ă  la dĂ©signation de Pinochet comme prĂ©sident de la rĂ©publique. Partisan Ă©galement d'un gouvernement dirigiste en matiĂšre Ă©conomique, Leigh Ă©tait hostile Ă  l'Ă©conomie de marchĂ© alors que les autres membres de la junte avaient dĂ©cidĂ© de s'en remettre sur le sujet aux partisans d'un nĂ©o-libĂ©ralisme Ă©conomique.

La rupture entre Leigh et Pinochet intervint en 1978 quand Leigh s'opposa Ă  la volontĂ© de Pinochet d'organiser un rĂ©fĂ©rendum par lequel ce dernier voulait demander aux chiliens de rejeter la condamnation par l'ONU des violations des droits de l'homme au Chili. Poursuivant ses critiques, Leigh accorda le une entrevue Ă  un journal italien, le Corriere della Sera, dans lequel notamment il condamna l'assassinat d'Orlando Letelier aux États-Unis et rĂ©clama le rĂ©tablissement Ă  court terme du rĂ©gime civil avec la lĂ©galisation des partis politiques, une nouvelle constitution et des Ă©lections libres. Le , Ă  l'unanimitĂ© des autres membres de la junte, Leigh fut relevĂ© de ses fonctions de chef de l'armĂ©e de l'air et dĂ©mis de sa position au sein de la junte. Il fut alors remplacĂ© par le gĂ©nĂ©ral Fernando Matthei (en). Le dĂ©part de Leigh s'accompagna de celui de la quasi-totalitĂ© du haut commandement de l'armĂ©e de l'air chilienne.

Relations internationales

La dictature militaire s'attendait Ă  recevoir les fĂ©licitations des gouvernements occidentaux pour avoir renversĂ© un « gouvernement marxiste », mais son acte fut globalement accueilli avec stupĂ©faction provoquant la condamnation de la plupart des pays de la communautĂ© internationale, s'exprimant sur le sujet, Ă  l'exception du secrĂ©taire d'Ă©tat amĂ©ricain Henry Kissinger. Il eut aussi pour consĂ©quence d'Ă©lever l'ancien prĂ©sident Salvador Allende au statut de martyr[49]. Le nouveau rĂ©gime est marquĂ© par les violences des militaires, les multiples exactions, et la systĂ©matisation de la torture, et plus gĂ©nĂ©ralement les persĂ©cutions politiques : les partisans d'Allende avaient Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©s « ennemis de l'État » et Ă©taient brutalement pourchassĂ©s. Les exilĂ©s dĂ©noncĂšrent la rĂ©pression et en appelĂšrent Ă  une solidaritĂ© internationale avec le peuple chilien.

Jimmy Carter reçoit le général Pinochet à la Maison-Blanche en 1977

En consĂ©quence, dĂšs le dĂ©but, le gouvernement de la junte paraĂźt internationalement isolĂ© : les violations des droits de l'homme attirent les condamnations internationales ; l'ONU vote plusieurs rĂ©solutions dĂ©nonçant « la destruction des institutions dĂ©mocratiques et des garanties constitutionnelles dont jouissait auparavant le peuple chilien », « la pratique institutionnalisĂ©e de la torture », « les violations constantes et flagrantes des droits de l'homme fondamentaux et des libertĂ©s fondamentales », les « traitements cruels, inhumains ou dĂ©gradants ». La dictature interdisait la venue sur le sol chilien d'Ă©missaires de l'ONU. Cependant, le gĂ©nĂ©ral Pinochet est reçu Ă  l'Ă©tranger, non seulement dans les pays de la rĂ©gion mais aussi aux États-Unis d'AmĂ©rique, notamment Ă  la Maison-Blanche en 1977 oĂč il s'entretient avec le prĂ©sident Jimmy Carter[50] ou encore en Bolivie en 1988 pour y rencontrer VĂ­ctor Paz Estenssoro[51].

Relations bilatérales

DĂ©filĂ© de l'anniversaire du coup d'État, le 11 septembre 1982

Si la junte dĂ©cide de rompre les relations diplomatiques avec Cuba (celles-ci avaient Ă©tĂ© Ă©tablies sous le gouvernement prĂ©cĂ©dent) puis avec le Cambodge[52] (1974), plusieurs pays, essentiellement Ă  gouvernements communistes, prennent l'initiative de rompre leurs relations diplomatiques avec le Chili : l'URSS, la CorĂ©e du Nord, le Nord-Vietnam, la rĂ©publique dĂ©mocratique allemande, la Pologne, la TchĂ©coslovaquie, la Hongrie, la Bulgarie et la Yougoslavie. Quelques rĂ©gimes communistes maintiennent cependant leurs relations diplomatiques comme la Roumanie et la rĂ©publique populaire de Chine[53]. À l'opposĂ©, la CorĂ©e du Sud, en octobre 1973, et le Sud-Vietnam en mars 1974, ouvrirent des reprĂ©sentations diplomatiques Ă  Santiago[54]. Les relations avec les États-Unis s'enveniment aprĂšs l'attentat contre Orlando Letelier en 1976 en plein Washington DC. Les États-Unis interdisent alors l'exportation d'armes vers le Chili par l'amendement Kennedy, qui deviendra l'International Security Assistance and Arms Export Control Act en 1976. AprĂšs la prise de fonction de Jimmy Carter, si les relations commerciales sont maintenues[55] et que celui-ci reçoit Pinochet Ă  la Maison-Blanche (septembre 1977), les États-Unis mettent un terme aux avantages financiers dont bĂ©nĂ©ficie le Chili. En 1980, ce dernier est exclu des manƓuvres navales conjointes de l'UNITAS, qui regroupe les forces navales de pays amĂ©ricains sous l'Ă©gide des États-Unis, pour ses violations des droits de l'homme. Toutefois, Washington livre finalement 16 F-5 de Northrop au Chili, mais sans leur armement. De leur cĂŽtĂ©, l'Allemagne, l'Autriche et le Royaume-Uni, fournisseurs d'arme habituels des forces armĂ©es chiliennes, maintiennent leurs ventes d'armes au Chili.

Avec les pays limitrophes, essentiellement des rĂ©gimes dictatoriaux, et en dĂ©pit des liens tissĂ©s par le plan Condor, les relations sont mĂ©diocres, voire conflictuelles. L’approche de la cĂ©lĂ©bration du centenaire de la guerre du Pacifique produit l’effervescence en Bolivie et au PĂ©rou, pays avec lequel le Chili connait des incidents diplomatiques en 1974. Les tentatives d’octroyer un accĂšs Ă  la mer Ă  la Bolivie sont mises Ă  mal par le veto du PĂ©rou Ă  l’Accord de Charaña ; ce qui amĂšne le gĂ©nĂ©ral pĂ©ruvien Juan Velasco Alvarado Ă  mobiliser la 18e division blindĂ©e de l’ArmĂ©e du PĂ©rou, au sud, prĂšs de la frontiĂšre chilienne. Quelques jours plus tard, le gĂ©nĂ©ral Francisco Morales BermĂșdez Cerruti renverse le gĂ©nĂ©ral Velasco, dĂ©mobilise la 18e division blindĂ©e — qui retourne alors dans ses quartiers — permettant Ă  la situation de redevenir normale Ă  la frontiĂšre, mais il maintient le veto Ă  l’accord de Charaña. Hugo Banzer, le gĂ©nĂ©ral bolivien, rompt alors ses relations diplomatiques avec le Chili.

En 1978, le Chili et l'Argentine Ă©vitent un conflit militaire pour le contrĂŽle des Ăźles du canal de Beagle (Conflit du Beagle), grĂące Ă  la mĂ©diation du Pape Jean-Paul II. Mais durant la guerre des Malouines entre l'Argentine et le Royaume-Uni, 4 ans plus tard, Pinochet prend ouvertement parti pour la Grande-Bretagne, lui apportant une aide logistique contre ses voisins immĂ©diats. Le conflit entre le Chili et l'Argentine concernant la souverainetĂ© des Ăźles du canal de Beagle est finalement rĂ©glĂ© par le « traitĂ© de Paix et d’AmitiĂ© », signĂ© le .

Le rĂ©gime chilien adopte une position assez ambiguĂ« concernant les questions controversĂ©es du Moyen-Orient, lui permettant d'entretenir d'Ă©troites relations avec IsraĂ«l tout en prĂ©servant ses liens avec les pays arabes[56]. Alors que l’administration Carter prend certaines distances avec la dictature, IsraĂ«l devient Ă  la fin des annĂ©es 1970 son principal fournisseur d’armes. IsraĂ«l lui fournit des « Ă©quipements testĂ©s au combat » et forme des Ă©quipes de la DINA, la police politique chilienne. Le Chili apporte peu Ă  peu un soutien plus marquĂ© Ă  IsraĂ«l, dĂ©nonçant le « terrorisme palestinien » et les mĂ©dias qui, selon lui, donneraient une image tronquĂ©e des colonies israĂ©liennes[57].

L'Ă©lection de Jean-Paul II comme pape au dĂ©but des annĂ©es 1980 marque, en AmĂ©rique latine, le reflux de la thĂ©ologie de la libĂ©ration, condamnĂ©e Ă  deux reprises, en 1984 et 1986, par la CongrĂ©gation pour la doctrine de la foi dirigĂ©e par le cardinal Ratzinger (futur BenoĂźt XVI). Jean-Paul II vient au Chili en 1987 oĂč il rencontre le gĂ©nĂ©ral Pinochet et lui rappelle que « le peuple a le droit de jouir de ses libertĂ©s fondamentales, mĂȘme s’il commet des erreurs dans l’exercice de celles-ci »[58]. Angelo Sodano, qui devient le « bras droit » du Pape en 1990 et le secrĂ©taire d'État de la Curie romaine (Ă©quivalent du poste de chef de gouvernement) est nonce apostolique au Chili de 1977 Ă  1988[59].

Politique Ă©conomique

Protestation pacifique en 1985

Quelques semaines aprĂšs le coup d’État, le rĂ©gime militaire brĂ©silien d'EmĂ­lio Garrastazu MĂ©dici accorde d'importants prĂȘts Ă  la Banque centrale chilienne pour aider le nouveau rĂ©gime Ă  dĂ©velopper les exportations[60]. Pour l’EncyclopĂŠdia Britannica[61], Augusto Pinochet, « aprĂšs avoir imposĂ© des rĂ©ajustements difficiles et commis sa part d'erreur, [...] avait lancĂ© le pays sur un cours rĂ©gulier de croissance Ă©conomique qui en fit un modĂšle admirĂ© en AmĂ©rique latine, qui continua mĂȘme aprĂšs que la dictature eut confiĂ© le pouvoir (mais pas le contrĂŽle des forces armĂ©es) Ă  un chrĂ©tien-dĂ©mocrate Ă©lu en 1990. Le modĂšle chilien Ă©tait basĂ© en tout Ă©tat de cause, sur l'application de politiques nĂ©olibĂ©rales [...] qui Ă  un degrĂ© ou Ă  un autre furent ultimement adoptĂ©es par tous les pays, y compris (dans certaines limites) par la dictature communiste survivante de Cuba. ». L'expĂ©rience Ă©conomique chilienne est parfois perçue comme un succĂšs, ses dĂ©fenseurs parlent de « miracle chilien »[62].

À partir de 1973-1975, pour relancer l'Ă©conomie chilienne, la junte avait fait appel aux Chicago Boys[63], des Ă©conomistes chiliens formĂ©s en bonne part aux idĂ©es de l'Ă©cole de Chicago de Milton Friedman. Durant les premiĂšres annĂ©es, l'inflation est trĂšs Ă©levĂ©e (375 % en 1974 ; l'inflation Ă©tait dĂ©jĂ  de cet ordre avant le coup), puis est relativement maĂźtrisĂ©e et les industries sont re-privatisĂ©es (Ă  l'exception des mines de cuivre). On assiste Ă  un fort accroissement du chĂŽmage, qui passe de 4,8 % en 1973 Ă  31 % en 1983[64], et une rĂ©cession. Les salaires rĂ©els baissent trĂšs fortement et les inĂ©galitĂ©s s’accroissent significativement[65]. Dans le mĂȘme temps, la part du budget de la dĂ©fense passe de 10 % en 1973 Ă  32 % en 1986[66] et la dette explose, passant de 5,6 milliards de dollars en 1977 Ă  15,6 milliards en 1981[67].

Pendant cinq ans, la croissance atteint 8 % par an alors que le taux d'analphabétisme régresse et que l'espérance de vie passe de 63,6 ans en 1975 à 74,4 ans en 1990[68] bien que la mortalité infantile ait fortement augmenté durant les premiÚres années du régime et que la malnutrition affecte la moitié des enfants chiliens.

En 1981, les premiers symptĂŽmes d’une nouvelle crise Ă©conomique commencent Ă  se faire sentir dans le pays. La balance des paiements atteignit un dĂ©ficit de 20 % en 1981 et les cours du cuivre chutĂšrent rapidement. Les banques Ă©trangĂšres cessĂšrent d’investir, tandis que le gouvernement dĂ©clara que tout cela faisait partie de la rĂ©cession Ă©conomique mondiale. La banque nationale et les entreprises chiliennes avaient approuvĂ© plusieurs emprunts durant cette pĂ©riode, basĂ©s sur la prĂ©misse d’un taux de change fixe d’un dollar amĂ©ricain pour 39 pesos chiliens.

La situation ne put se maintenir obligeant l'État Ă  inflĂ©chir sa politique Ă©conomique et Ă  se monter plus dirigiste[69] - [70]. En juin 1982, le peso fut dĂ©valuĂ© et on mit fin Ă  la politique de cours du change fixe. Les emprunts atteignirent alors des intĂ©rĂȘts exorbitants et de nombreuses banques et entreprises firent faillite. Le chĂŽmage s’éleva Ă  28,5 %[71] et le gouvernement ne trouva aucune formule pour contrĂŽler la situation. L’inflation atteignit 20 % et le PNB chuta de 14,3 % en 1982[64]. Il s'agit de la pire rĂ©cession au Chili depuis les annĂ©es 1930[72]. Les coupes drastiques dans les budgets sociaux et le programme de privatisations massives provoquent une hausse importante des inĂ©galitĂ©s. De nombreux employĂ©s du secteur public perdent leur emploi[73].

Face Ă  cette situation les premiĂšres protestations, pacifiques mais interdites par la dictature, commencĂšrent Ă  apparaĂźtre. Elles furent violemment rĂ©primĂ©es par les carabiniers et par l’armĂ©e. Le gouvernement dĂ©clara l’état de siĂšge, et le moment fut mis Ă  profit par diverses organisations, comme le Front Patriotique Manuel RodrĂ­guez, qui dĂ©cida de mettre sur pied l’« OperaciĂłn Retorno » (opĂ©ration Retour), nom donnĂ© Ă  la tentative de mettre fin au RĂ©gime par la voie armĂ©e.

En 1980, la dictature militaire privatise le systĂšme de retraites. Elle favorise Ă©galement l’enseignement privĂ© au dĂ©triment du secteur public. En 1981, le rĂ©gime rĂ©forme le systĂšme universitaire et Ă©limine l’éducation supĂ©rieure gratuite. En mars 1990, peu avant son dĂ©part, Augusto Pinochet promulgue la Loi organique constitutionnelle de l’enseignement (LOCE), qui rĂ©duit encore le rĂŽle de l’État dans l’éducation et octroie de nouvelles prĂ©rogatives au secteur privĂ©. Alors que les Ă©coles privĂ©es Ă©taient rares en 1973, elles reçoivent Ă  l'issue de la dictature quelque 60 % des Ă©lĂšves dans le primaire et le secondaire. L’État se dĂ©sengage en grande partie du financement des universitĂ©s, lesquelles se financent alors Ă  75 % par le biais des frais universitaires versĂ©s par les Ă©tudiants, rendant difficile l'accĂšs aux Ă©tudes pour les personnes issues des milieux modestes[74].

À partir de 1985, le ministre des Finances, HernĂĄn BĂŒchi, allait arriver Ă  produire le « Second Miracle », grĂące Ă  une embellie du prix du cuivre[65]. Il met en Ɠuvre un profond processus de privatisations d’entreprises publiques — LAN Chile, ENTEL (entreprise nationale de tĂ©lĂ©communications), CTC (tĂ©lĂ©communications), CAP (sidĂ©rurgie), etc — et la rĂ©implantation du modĂšle nĂ©olibĂ©ral (remplacĂ© par le keynĂ©sianisme durant les annĂ©es les plus dures de la crise). La rĂ©duction des dĂ©penses sociales allait augmenter le fossĂ© entre les riches et les pauvres, faisant du Chili un des pays ayant la plus grande inĂ©galitĂ© de revenus, et les pensions de retraite allaient se rĂ©duire Ă  des limites minimales, entre autres effets. D’autre part, la rĂ©gion du Chili central fut secouĂ©e par le tremblement de terre du , provoquant de graves dommages aux structures des immeubles de Santagio, ValparaĂ­so et San Antonio. À partir de 1987, le pays repart pour 12 annĂ©es de croissance Ă©conomique ininterrompue (le second miracle chilien) mais les manifestations (les « protestas ») se poursuivent pour rĂ©clamer le retour Ă  la dĂ©mocratie.

Le second boom économique s'accéléra à partir de 1989 et caractérisa le Chili durant toute la décennie 1990 sous les mandats de Patricio Aylwin et de son successeur[75]. Les résultats économiques furent meilleurs aprÚs le retour de la démocratie.

Si les classes aisĂ©es ont bĂ©nĂ©ficiĂ© de l'expansion Ă©conomique, ce fut moins le cas des classes populaires. Ainsi, entre 1974 et 1989, les revenus des 10 % des mĂ©nages chiliens les plus riches ont augmentĂ© 28 fois plus vite que les 10 % des mĂ©nages chiliens les plus pauvres[76]. À la fin de la dictature, en 1990, la pauvretĂ© touche 39 % des chiliens. Ce chiffre sera rĂ©duit de moitiĂ© durant les 13 annĂ©es suivantes de gouvernement dĂ©mocratique, mais le pays reste trĂšs inĂ©galitaire : « la tranche des 20 % les plus pauvres de la population reçoit seulement 3,3 % des revenus totaux du pays, tandis que celle des 20 % les plus riches en reçoivent 62,6 % »[77].

L'armée chilienne, qui s'était assurée le monopole de l'exploitation du cuivre, sources de revenus importants pour le pays, conservera ce privilÚge, à hauteur de 10 %, aprÚs le retour de la démocratie.

1980-1990

La nouvelle constitution de 1980, entrĂ©e en vigueur le 11 mars 1981, inscrivait dans les textes un calendrier pour le retour Ă  une dĂ©mocratie. En 1983, Sergio Onofre Jarpa, le nouveau ministre de l'intĂ©rieur (un conservateur modĂ©rĂ©, ancien sĂ©nateur du parti national), permit la formation de l’Alliance dĂ©mocratique (composĂ©e de dĂ©mocrates chrĂ©tiens et de socialistes modĂ©rĂ©s) et le rapprochement avec d'autres partis politiques (officiellement, toute activitĂ© politique Ă©tait suspendue). GrĂące Ă  la participation du cardinal Francisco Fresno, des partisans du gouvernement militaire comme le Mouvement de l'union nationale et une partie de l’opposition formulĂšrent, en aoĂ»t 1985, un « Accord national pour la Transition Ă  la Pleine DĂ©mocratie ». Le dit accord, qui demandait notamment le respect des dispositions transitoires de la constitution, fut reçu avec scepticisme par les secteurs de l’extrĂȘme-gauche, et par de sĂ©rieuses divergences au sein de l'administration militaire.

Le 27 dĂ©cembre 1986, des militants du Front patriotique Manuel RodrĂ­guez (FPMR) tentĂšrent d’assassiner le gĂ©nĂ©ral Pinochet sur le chemin du CajĂłn del Maipo, tuant cinq membres de son escorte. Pinochet ordonna alors une forte vague de rĂ©pression qui se termina par la mort de plusieurs membres du FPMR (opĂ©ration Albanie). Durant cette mĂȘme pĂ©riode, cinq professeurs communistes furent retrouvĂ©s Ă©gorgĂ©s. Ces crimes furent attribuĂ©s Ă  des membres du corps de carabiniers, ce qui mena Ă  la dĂ©mission de la junte du directeur gĂ©nĂ©ral CĂ©sar Mendoza, remplacĂ© par Rodolfo Stange.

Le début des protestations

La RĂ©volution iranienne et la guerre Iran-Irak provoque le deuxiĂšme choc pĂ©trolier. On relĂšve les taux d'intĂ©rĂȘt. Les nombreuses entreprises ne peuvent plus payer leurs dettes. Les prix des matiĂšres premiĂšres baissent alors, comme le cuivre (la principale exportation chilienne[78]).

Avec la mise en place de l'Ă©conomie de marchĂ© des Chicago Boys, la rĂ©cession mondiale frappe durement le Chili. La crise cause la faillite de grandes entreprises. Entre autres raisons, le taux de change dollar Peso (qui est de 1:39), empĂȘche les exportations et favorise l'endettement[79].

Les banques ainsi que les entreprises s'endettent. Les sociétés n'ont plus de quoi payer les salariés. Le ministre Sergio de Castro décide de suivre le taux de change fixe, alors que les autres préfÚrent dévaluer la monnaie et garder un taux de change flexible suivant le marché.

Pinochet opte pour la dévaluation, révoquant Castro de son ministÚre. Les effets de cette dévaluation sont désastreuses. Presque toutes sociétés deviennent insolvables. Le gouvernement intervient en prenant en charge les dettes privées. ParallÚlement, les prix augmentent de vingt pour cent, provoquant les premiÚres grÚves et protestations massives contre le régime. Les premiÚres sont pacifiques, mais la junte opposant la sourde oreille, les violences apparaissent. En réaction, Pinochet envoie l'armée, plutÎt que les traditionnels carabineros, pour réprimer les manifestations, provoquant des morts.

En 1982, le P.I.B. baisse de 14 % et l'inflation se maintient Ă  21 %, les indemnitĂ©s de dĂ©part ou de licenciement Ă  26 % et les rĂ©serves internationales diminuent Ă  1 200 millions de dollars.

Le Référendum chilien de 1988

Bulletin pour le « non » à Pinochet.

Les articles 27 Ă  29 de la constitution chilienne de 1980 prĂ©voyaient une pĂ©riode transitoire qui avait commencĂ© le 11 mars 1981 pour se terminer Ă  la fin du mandat prĂ©sidentiel de Pinochet soit le 11 mars 1989. Elle prĂ©voyait qu'au moins 90 jours avant la fin du mandat prĂ©sidentiel en cours, les commandants en chef des forces armĂ©es, le directeur gĂ©nĂ©ral des carabiniers ou, en l'absence d'unanimitĂ©, le conseil de sĂ©curitĂ© nationale comprenant le contrĂŽleur gĂ©nĂ©ral de la rĂ©publique, devaient dĂ©signer celui qui occuperait la fonction du chef de l'État pour le mandat suivant de 8 ans, dont la ratification devait ĂȘtre validĂ©e par un rĂ©fĂ©rendum plĂ©biscitaire auprĂšs de la population chilienne.

Si la désignation du candidat était validée au cours du référendum, celui-ci entrerait en fonction à la date prévue du 11 mars 1989 ainsi que les dispositions permanentes de la Constitution. Dans les 9 mois, des élections législatives devaient désigner des députés et des sénateurs auxquels seraient transférés, trois mois plus tard, la totalité des pouvoirs législatifs détenus jusque-là par la junte de gouvernement.

Si la dĂ©signation du candidat n'Ă©tait pas validĂ©e par rĂ©fĂ©rendum, le mandat prĂ©sidentiel du titulaire devait ĂȘtre prorogĂ© d'une annĂ©e jusqu'au 11 mars 1990 tout comme les pouvoirs lĂ©gislatifs de la junte. Durant cette pĂ©riode, des Ă©lections lĂ©gislatives et prĂ©sidentielles devaient ĂȘtre organisĂ©es, au moins 90 jours avant la fin du mandat prorogĂ©.

En vertu des dispositions législatives prises par le gouvernement, comme la loi no 18 603 du 23 mars 1987, les principales libertés publiques (droit de réunion des partis politiques, à l'exception du Parti communiste, et des syndicats, semi-abrogation de la censure) sont alors rétablies et les registres électoraux sont rouverts pour tous les citoyens chiliens, hommes et femmes ainsi que pour les résidents étrangers, ùgés de plus de 18 ans.

Estimant son bilan économique globalement positif[80], le général Pinochet est désigné comme candidat à sa succession, soutenu principalement par l'Union démocrate indépendante de Jaime Guzmån et dans une moindre mesure par des partisans de Rénovation nationale.

Les opposants à Pinochet se regroupent dans la Concertación de Partidos por el No (qui devint par la suite Concertation des partis pour la démocratie), regroupant 16 partis politiques dont le Parti démocrate-chrétien du Chili, le parti pour la démocratie, le parti humaniste du Chili, le parti radical du Chili, le parti radical-socialiste du Chili, le parti social-démocrate derriÚre le démocrate-chrétien Patricio Aylwin[81]

La campagne référendaire commença le 5 septembre 1988 à 23 h 0. Pour la premiÚre fois, elle a également lieu à la télévision par le biais de spots de campagnes de 15 minutes chacune. La supériorité de la campagne du No apparaßt alors non seulement au niveau des campagnes publicitaires mais aussi au niveau des slogans, de l'affichage (un arc en ciel symbole de pluralisme) et de l'argumentaire positif et rassurant, axé sur un avenir meilleur, et non sur le passé. Les partisans de Pinochet tentent de faire un repoussoir le souvenir des années de gouvernement de l'Unidad Popular alors que l'image de Pinochet est retravaillée par ses conseillers pour le présenter en grand-pÚre paternaliste.

Sur le plan mĂ©diatique, les partisans de Pinochet disposent d'avantages considĂ©rables. Si plusieurs petites publications de gauche circulent lĂ©galement, la grande presse reste acquise au rĂ©gime. À la tĂ©lĂ©vision, ces spots Ă©lectoraux sont le seul espace de pluralisme. Une partie de la gauche ne croit pas que le rĂ©gime reconnaitra sa dĂ©faite et refuse de soutenir la campagne du No, estimant que le scrutin ne ferait que donner une lĂ©gitimitĂ© au rĂ©gime. Gonzalo Martner, qui deviendra prĂ©sident du parti socialiste dans les annĂ©es 2000, se souviendra : « Bien sĂ»r nous avons Ă©tĂ© critiquĂ©s par la gauche radicale qui nous disait que nous n'allions faire que lĂ©gitimer le rĂ©gime, que nous Ă©tions dans l'illusion de penser que nous pourrions gagner ce plĂ©biscite et dĂ©clencher un processus de retour Ă  la dĂ©mocratie. Vous savez, en politique, en gĂ©nĂ©ral, et dans la lutte contre une dictature en particulier, il n'y a rien de donnĂ© Ă  l'avance, donc cette gauche radicale aurait pu avoir raison[82]. »

Manifestants célébrant la victoire du « non » sur l'avenue Libertador Bernardo O'Higgins, à Santiago du Chili
Cérémonie de passation de pouvoirs entre le général Pinochet et Patricio Aylwin le au parlement réuni à Valparaiso

Le 5 octobre, 7 435 913 Ă©lecteurs sont attendus aux urnes[83]. Les exilĂ©s sont aussi autorisĂ©s Ă  rentrer au pays ce que fait notamment la famille de Salvador Allende[84]. Les Ă©lections se dĂ©roulent calmement. Ce n'est que vers 2 heures au matin du 6 octobre que les rĂ©sultats sont officiellement publiĂ©s accordant 44,01 % des voix aux partisans de Pinochet contre 55,99 % Ă  ses adversaires victorieux[85].

La transition démocratique

La défaite du général Pinochet conduit le pays à une transition démocratique qui s'achÚve le .

Le général Pinochet nomme un nouveau gouvernement, place des civils comme le journaliste économiste Joaquín Lavín (à la fonction de secrétaire général du gouvernement) à des postes anciennement tenus par des militaires alors que les partis d'opposition se déchirent dans un premier temps sur la conduite à tenir face au général Pinochet, à la constitution mais surtout pour désigner un candidat commun à l'élection présidentielle.

En un an, alors que le pays est en pleine transition dĂ©mocratique, le boom Ă©conomique connaĂźt une accĂ©lĂ©ration inattendue. Le taux de chĂŽmage tombe Ă  6 % de la population active alors que le Chili devient le premier pays exportateur d'AmĂ©rique du Sud, le premier client de la CEE et que le taux de son PNB passe en un an de 5,8 % Ă  10 %[86]. Dans les derniers mois de la dictature, Augusto Pinochet modifie la lĂ©gislation afin d’imposer une interdiction totale de l'avortement[87].

La constitution est amendée en juillet par référendum pour lui permettre d'entrer pleinement en fonction, mettre un terme aux différentes dispositions transitoires et permettre une transition consensuelle et pacifique.

En novembre, le gouvernement nomme un nouveau conseil pour la banque centrale oĂč il fait entrer deux hommes de gauche au cĂŽtĂ© de deux hommes de droite et d'un candidat consensuel, Andres Bianchi, pour la prĂ©sider. L'armĂ©e de terre est remaniĂ©e mais les postes les plus importants sont attribuĂ©s Ă  des proches du gĂ©nĂ©ral Pinochet.

Le 14 dĂ©cembre 1989, les Ă©lecteurs chiliens Ă©lisent un nouveau prĂ©sident de la rĂ©publique et un parlement composĂ© de 120 dĂ©putĂ©s et de 83 sĂ©nateurs. Contrairement Ă  l'ancienne constitution de 1925, c'est une Ă©lection Ă  deux tours afin de permettre au nouveau prĂ©sident d'avoir une rĂ©elle assise populaire majoritaire dans le pays pour Ă©viter la rĂ©pĂ©tition de ce qui s'Ă©tait passĂ© en 1970. Trois candidats s'affrontent : un dĂ©mocrate-chrĂ©tien, Patricio Alwyn soutenu sur un programme de gouvernement par tous les partis du cartel du "no" —à l'exception de l'extrĂȘme-gauche et du Parti communiste —, un candidat pinochetiste, HernĂĄn BĂŒchi et un candidat de centre-droite, Francisco Javier Errazuriz Talavera. Sur fonds d'attentat Ă  l'explosif, commis par le front patriotique Manuel Rodriguez, et provoquant un mort, Patricio Aylwyn est Ă©lu dĂšs le premier tour avec 57 % des voix contre 29 % Ă  BĂŒchi et 15 % Ă  Talavera[88] ; et au parlement, la coalition dĂ©mocratique l'emporte largement. À l'assemblĂ©e nationale, la coalition pour la dĂ©mocratie obtient 51,49 % des voix (dominĂ© par les 25,99 % du parti dĂ©mocrate-chrĂ©tien et les 11,45 % du Parti pour la dĂ©mocratie) contre 34,18 % Ă  l'Alliance pour la dĂ©mocratie et le progrĂšs (ADP), regroupant l'UDI (9,82 %), RN (18,27 %) et les indĂ©pendants de droite[89]. Au sĂ©nat, la coalition remporte 54,62 % des suffrages (dont 32,18 % pour le PDC et 12,06 % pour le PPD) contre 34,85 % Ă  l'ADP (dont 18,98 % aux indĂ©pendants et 5,11 % Ă  l'UDI)[90].

Patricio Aylwyn entre en fonction le 11 mars 1990 au cours d'une cérémonie de passation de pouvoirs avec le général Pinochet au parlement réuni à Valparaíso. Cette date marque officiellement la fin de la dictature militaire. Lors de la cérémonie, les députés de la Concertation pour la démocratie portent des photos de « disparus » de la dictature. Lorsque Pinochet sort de la salle, il est suivi par des parlementaires socialistes qui, photos de disparus à la main, lui crient : « assassin ! assassin ! »[91].

Le gĂ©nĂ©ral Pinochet demeure alors commandant en chef de l'armĂ©e chilienne jusqu'en 1998, avant de devenir sĂ©nateur en tant qu'ancien chef de l'État. La mainmise de Pinochet sur l'armĂ©e rend la dĂ©mocratie prĂ©caire et ne lui permet pas de juger les anciens responsables de la dictature. En mai 1995, l'ex-chef de la Dina Manuel Contreras et le brigadier Pedro Espinoza, ancien responsable des opĂ©rations extĂ©rieures, peuvent ĂȘtre condamnĂ©s pour l'assassinat de l'ancien ministre Orlando Letelier car le crime a Ă©tĂ© commis Ă  l'Ă©tranger. Contreras, qui affirme que « les vainqueurs n'ont pas de comptes Ă  rendre aux vaincus », se rĂ©fugie, « malade », dans un hĂŽpital de la marine chilienne. tandis qu'Espinoza trouve refuge dans une caserne de Santiago[92].

Le respect de l'État de droit aprĂšs 1990 et le maintien des rĂ©formes Ă©conomiques libĂ©rales par les gouvernements dĂ©mocratiques a Ă©tabli un modĂšle Ă©conomique par le prĂ©sident des États-Unis, George W. Bush, qui prĂ©conisa en 2001 aux Ă©lus du CongrĂšs des États-Unis de prendre exemple sur les rĂ©formes de libre marchĂ© de Ricardo Lagos[93]. George Bush pĂšre prĂ©cise en 1989 que « l’engagement dans la dĂ©mocratie n'est qu'un Ă©lĂ©ment dans la nouvelle association que j'envisage pour les nations des AmĂ©riques. Elle doit avoir pour visĂ©e la garantie que l’économie de marchĂ© survive, prospĂšre et prĂ©vale »[92].

Seuls 22 % des disparitions et des exécutions qui ont été recensées officiellement sous la dictature ont connu des suites judiciaires entre 1995 et 2018[94].

La dictature dans la culture

Chanson

Cinéma

  • Le film Missing du rĂ©alisateur franco-grec Costa-Gavras, relate les Ă©vĂ©nements du coup d’État du 11 septembre 1973 Ă  travers le sĂ©jour d’un couple d’AmĂ©ricains tĂ©moins des prĂ©misses de l’évĂ©nement et du dĂ©but de la rĂ©pression orchestrĂ©e par la junte.

Notes et références

  1. Claire Martin, « Chili : le bilan humain de la dictature d'Augusto Pinochet revu Ă  la hausse », RFI,‎ (lire en ligne)
  2. Gustavo Gonzålez, « RISAL.info - Chili : fin de la « transition vers la démocratie » ? », sur Réseau d'Information et de Solidarité avec l'Amérique Latine (RISAL), Risal info, (consulté le )
  3. La Constitution sur le site de la présidence du Chili. Le texte a été amendé en 1989, 1991, 1994, 1997, 1999, 2000, 2001, 2003, 2005, 2007 et 2008.
  4. La commission Vérité et réconciliation utilise celui de « régime militaire » Voir lien sur bajar archivo pour désigner l'époque du régime dictatorial de la junte et celui de la période constitutionnelle régie par la « carta fondamentale » de 1980
  5. Contradictions chiliennes : l'héritage de la dictature, Stéphane Boisard, université de Paris III, site de l'université de Toulouse Le Mirail, « Au Chili, le mot « dictature » est banni » au profit de celui de « gouvernement autoritaire »
  6. CitĂ© dans le rapport Rettig, 1re partie, situation du Chili au 11 septembre 1973, la polarisation finale. Les États-Unis tentĂšrent alors en reprĂ©sailles de dĂ©stabiliser l’économie chilienne.
  7. CitĂ© dans le rapport Rettig qui parle de l'« ingouvernabilitĂ© du Chili ». Cette « polarisation politique extrĂȘme du Chili » en 1973 a encore Ă©tĂ© rappelĂ© dans la dĂ©claration de la « table de dialogue » sur les droits de l'homme, signĂ©e par les militaires en 2000 par laquelle ils reconnaissaient pour la 1re fois la violation des droits de l'homme durant le rĂ©gime militaire. Voir Ă©galement article de Time Magazine du 23 aoĂ»t 1973
  8. Verónica Valdivia Ortiz de Zårate, « Construction du pouvoir et régime militaire sous Augusto Pinochet », VingtiÚme SiÚcle. Revue d'histoire, numéro 105, janvier-mars 2010, p. 94.
  9. Pierre Ostiguy, La transformation du systĂšme de partis chilien et la stabilitĂ© politique dans la post-transition, vol. 24, no 2-3, 2005, p. 109-146, Éditeur : SociĂ©tĂ© quĂ©bĂ©coise de science politique, 2005, p. 133
  10. Discours de Carlos Altamirano aux travailleurs des cordons industriels en 1973, publié dans Chile Hoy, no 57, 13 juillet, cité par Pierre Ostiguy, p. 26
  11. Pierre VayssiÚre, Le Chili d'Allende et de Pinochet dans la presse française : passions politiques, informations et désinformation : 1970-2005, Paris Budapest Torino, L'Harmattan, coll. « Recherches Amériques latines », , 301 p. (ISBN 978-2-747-59455-4), p. 102
  12. Comme le montrent Fernandez et Rampal 2003, p. 28.
  13. Fernandez, Rampal et 2003 25
  14. Le site internet de la prĂ©sidence chilienne utilise le terme de « dictature d’Augusto Pinochet ». La commission VĂ©ritĂ© et rĂ©conciliation utilise celui de « rĂ©gime militaire » Voir lien sur bajar archivo pour dĂ©signer l'Ă©poque du rĂ©gime dictatorial de la junte et celui de la pĂ©riode constitutionnelle rĂ©gie par la « carta fondamentale » de 1980.
  15. Dinges 2005, p. 57, 75 et 76.
  16. « Index Le-Lh », sur rulers.org (consulté le )
  17. Des crimes de la dictature chilienne sanctionnés, Lamia Oualalou, Le Figaro, 17 octobre 2008
  18. Fernandez et Rampal 2003, p. 87
  19. Rapport Rettig. Voir également les résolutions 32/118 et 31/124 de l'ONU, en 1976 et 1977. Fernandez et Rampal 2003, p. 89.
  20. Fernandez et Rampal 2003, p. 80.
  21. Ariel Dorfman, Exorciser la terreur, l'incroyable et interminable procÚs du général Augusto Pinochet, Grasset, 2003, p. 123.
  22. Concernant les tortures spécifiques sur les femmes et les jeunes filles : Chili, le dossier noir, p. 167 à 172.
  23. Marie-Noëlle Sarget 1996, p. 235.
  24. Fernandez et Rampal 2003, p. 63.
  25. Fernando BĂĄez, Histoire universelle de la destruction des livres, Fayard, 2008, chapitre "Les rĂ©gimes de terreur", p. 355. En novembre 1986, ce sont les 14 846 exemplaires du livre L'Aventure de Miguel LittĂ­n, clandestin au Chili de Gabriel GarcĂ­a MĂĄrquez qui sont brĂ»lĂ©s.
  26. Chili, le dossier noir, p. 295-297.
  27. Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, l'école française, 2004
  28. Voir aussi Dinges 2005, p. 143.
  29. (es) Jorge Escalante, « La brigada mås cruel de la DINA », La Nación,
  30. Marie-Noëlle Sarget 1996, p. 261.
  31. Verónica Valdivia Ortiz de Zårate, « Construction du pouvoir et régime militaire sous Augusto Pinochet », VingtiÚme SiÚcle. Revue d'histoire, numéro 105, janvier-mars 2010, p. 102.
  32. Pinochet avait décidé seul d'organiser un plébiscite, mettant les autres membres de la junte devant le fait accompli, Leigh dénonçant le « caractÚre plébiscitaire de la consultation » et le risque de nuire au prestige de l'armée (Le Monde, 4 janvier 1978). Ainsi seulement deux membres de la junte ratifiÚrent la consultation, l'opposition soulignant de ce fait le caractÚre illégitime de la consultation alors que les partis de gauche (interdits) et la presse émettaient des réserves ou condamnaient le projet.
  33. « sans aucun contrÎle des votes », selon Antonia García-Castro, p. 113.
  34. Article du Figaro du 7 octobre 1988 intitulé « 15 ans de régime militaire ».
  35. Pierre VayssiĂšre, ibid, p. 157
  36. Thierry Maliniak, Le Monde du 5 janvier 1978, cité par Pierre VayssiÚre, ibid, p. 158
  37. Le Monde du 9 juin 1978 cité par Pierre VayssiÚre, p. 158
  38. estimation selon le Rapport Rettig
  39. En 2002, il restait encore 1198 « disparus - Antonia García-Castro, p. 26.
  40. Estimation du Rapport Valech, 2004.
  41. Les retours des enfants de l’exil chilien , Fanny Jedliki, CEPED, 2002, "250 Ă  500 000 Chiliens prennent les routes de l’exil".
  42. Selon Fanny Jedlicki, « Les exilĂ©s chiliens et l’affaire Pinochet. Retour et transmission de la mĂ©moire », Cahiers de l'URMIS, no 7, DĂ©bat : la nation, l'Europe, la dĂ©mocratie - juin 2001, 2001, [En ligne], mis en ligne le 15 fĂ©vrier 2004. URL : http://urmis.revues.org/document15.html. ConsultĂ© le 21 janvier 2009. « Donner un chiffre prĂ©cis s'avĂšre une tĂąche impossible, les Chiliens ayant alors quittĂ© le pays sont rĂ©pertoriĂ©s sous diffĂ©rents statuts (rĂ©fugiĂ©s politiques, migrants « ordinaires », personnes bĂ©nĂ©ficiant du regroupement familial
). Il faut en outre tenir compte de l'hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des modes de dĂ©compte Ă©laborĂ©s par les diverses administrations des nombreux pays ayant accueilli les rĂ©fugiĂ©s » - Note de l'auteur
  43. Christophe Koessler, « Trou de mĂ©moire au Chili », LeCourrier,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  44. Antonia GarcĂ­a-Castro, p. 40.
  45. Antonia García-Castro, p. 115. The ovens of Lonquén. El caso de Lonquen.
  46. Antonia GarcĂ­a-Castro, p. 26.
  47. « Chili, Pinochet, crimes contre l’humanitĂ© et compĂ©tence universelle », Amnesty International,
  48. En accord avec le décret-loi no 1 du 11 septembre 1973, émis par la Junte.
  49. Cristiån Gazmuri, La persistance de la mémoire (réflexions d'un civil sur la dictature), Ril, Santiago 2000, p. 59-60
  50. Meeting With President Augusto Pinochet Ugarte of Chile - Remarks to Reporters Following the Meeting, September 6, 1977
  51. El audaz y secreto viaje de Pinochet a Bolivia en 1988, Reportage du Mercurio, 24 décembre 2006 « Copie archivée » (version du 1 janvier 2007 sur Internet Archive)
  52. El Mercurio, 20 janvier 1974
  53. J. Samuel Valenzuela et Arturo Valenzuela, Military Rule in Chile: Dictatorship and Oppositions, p. 317
  54. El Mercurio, 6 avril 1975
  55. Fermandois, JoaquĂ­n, Mundo y Fin de Mundo, Chile en la polĂ­tica mundial 1900-2004, 2005, p. 434-439
  56. « Le Chili, terrain d’expĂ©rimentation pour les armes israĂ©liennes - Les Mapuches comme les Palestiniens », sur Orient XXI,
  57. Ramona Wadi, « L'histoire oubliée de l'alliance entre Israël et les dictatures latino-américaines », sur Orient XXI,
  58. Jean Paul II a montré beaucoup de courage face aux dictateurs
  59. BenoĂźt XVI procĂšde Ă  des remaniements au sein de la Curie, Le Monde, 15 septembre 2006
  60. Maurice Lemoine, Les enfants cachĂ©s du gĂ©nĂ©ral Pinochet. PrĂ©cis de coups d’Etat modernes et autres tentatives de dĂ©stabilisation, Don Quichotte, , p. 108
  61. Encyclopaedia Britannica 2007 Ultimate Reference suite, article History of Latin America, traduction libre
  62. Encyclopaedia Britannica 2007 Ultimate Reference suite
  63. Par exemple, Sergio de Castro devient conseiller du ministre de l'Ă©conomie le 14 septembre 1973, puis ministre de l'Ă©conomie en 1974.
  64. Marie-Noëlle Sarget 1996, p. 244
  65. StĂ©phane Boisard, Mariana Heredia, « Laboratoires de la mondialisation Ă©conomique », VingtiĂšme SiĂšcle. Revue d'histoire,‎ (lire en ligne)
  66. Marie-Noëlle Sarget 1996, p. 252.
  67. Fernandez et Rampal 2003, p. 138.
  68. Le dossier Pinochet, Le spectacle du Monde, no 442, janvier 1999
  69. Marie-Noëlle Sarget 1996, p. 242.
  70. Fernandez et Rampal 2003, p. 139.
  71. Xabier Arrizabalo Montoro, Milagro o Quimera, la EconomĂ­a Chilena Durante la Dictadura, Catarata, 1995, p. 308.
  72. Juan Gabriel Valdés, Pinochet's Economists: The Chicago School of Economics in Chile, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 28.
  73. Fernandez et Rampal 2003, p. 148.
  74. Victor de La Fuente, « En finir (vraiment) avec l’ùre Pinochet », sur Le Monde diplomatique,
  75. A la lecture du tableau économique concernant les chiffres du PIB, le redressement débuté en 1984 permet au pays de retrouver son niveau de 1973 dÚs 1987 avant de connaitre une augmentation considérable à partir de 1989.
  76. Article du Figaro du 13 mars 1990
  77. Chili : Politique nationale
  78. Fermandois, JoaquĂ­n, Mundo y Fin de Mundo, Chile en la polĂ­tica mundial 1900-2004, 2005, p. 464-765
  79. Vial, Gonzalo (2002), Pinochet, La BiografĂ­a, Santiago de Chile, p. 458-460
  80. L’inflation est rĂ©duite Ă  15 %, le PNB progresse de 3,6 % par an depuis 1985 (Article du Figaro intitulĂ© « un bilan Ă©conomique positif » du 7 octobre 1988) mais le taux de chĂŽmage, qui Ă©tait de 4,8 % sous Allende (en 1973) est Ă  9 %.
  81. ReprĂ©sentant le centre-droit de la dĂ©mocratie-chrĂ©tienne, Alwyn avait soutenu le coup d'État en 1973 et ne s'est dissociĂ© de la dictature qu'Ă  partir de 1976 - Article du Figaro du 14 dĂ©cembre 1989.
  82. « Le «non» à Pinochet, trente ans aprÚs: comment la dictature est tombée par les urnes », sur RFI,
  83. Article du 5 octobre 1988 du journal Le Figaro.
  84. Article de Guy Sorman dans Le Figaro Magazine du 8 octobre 1988.
  85. Si les habitants de la 9e région ont à 54 % soutenu le général Pinochet, 59 % des habitants de la région de Santiago, fief démocrate-chrétien et région la plus peuplée du pays, l'ont rejeté - Résultats officiels.
  86. Article de Michel Tauriac dans le Figaro du 14 décembre 1989
  87. Leila Miñano et Julia Pascual, « Bataille pour le droit d'avorter au Chili », sur Le Monde diplomatique,
  88. Articles du Figaro du et
  89. RĂ©sultats officiels
  90. RĂ©sultats officiels
  91. Antonia GarcĂ­a-Castro, p. 151-152.
  92. Lemoine 2015, p. 177-178.
  93. (en) « Remarks by the President in Photo Opportunity with President Lagos of Chile », sur georgewbush-whitehouse.archives.gov, (consulté le )
  94. « Chili: poursuites judiciaires contre les ministres de la dictature Pinochet », sur RFI, (consulté en )

Annexes

Bibliographie

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