Photorespiration
La photorespiration est l'ensemble des rĂ©actions mises en Ćuvre par les organismes photosynthĂ©tiques Ă la suite de l'activitĂ© oxygĂ©nase de la Rubisco. En effet, cette enzyme intervient le plus souvent Ă travers son activitĂ© carboxylase, par laquelle une molĂ©cule de dioxyde de carbone CO2 est fixĂ©e sur du ribulose-1,5-bisphosphate pour donner deux molĂ©cules de 3-phosphoglycĂ©rate qui sont mĂ©tabolisĂ©es par le cycle de Calvin. Cependant, la Rubisco peut Ă©galement oxyder le ribulose-1,5-bisphosphate par une molĂ©cule d'oxygĂšne O2, ce qui donne une molĂ©cule de 3-phosphoglycĂ©rate et une molĂ©cule de 2-phosphoglycolate. Ce dernier ne peut ĂȘtre directement mĂ©tabolisĂ© par le cycle de Calvin et passe par une sĂ©rie de rĂ©actions qui, chez les plantes, font intervenir les chloroplastes, les peroxysomes et les mitochondries des feuilles, oĂč ces organites sont proches les uns des autres. Il y a alors production de glycolate HOH2CâCOOâ, de peroxyde d'hydrogĂšne H2O2 et de sĂ©rine HOH2CâCH(NH2)âCOOH, recyclĂ©s en libĂ©rant du CO2 et de l'ammoniac NH3. Le rĂ©sultat est une perte nette en matiĂšre organique, susceptible de reprĂ©senter le quart du dioxyde de carbone fixĂ© par photosynthĂšse[1].
La photorespiration est une voie mĂ©tabolique coĂ»teuse pour la cellule car elle rĂ©duit le taux de production du 3-phosphoglycĂ©rate par rapport Ă celui rĂ©sultant de la seule activitĂ© carboxylase de la Rubisco, avec de surcroĂźt perte nette en carbone fixĂ©[2] et libĂ©ration de NH3, qui doit ĂȘtre dĂ©toxiquĂ© par la cellule Ă travers un processus Ă©galement coĂ»teux. Ces rĂ©actions induisent en effet la consommation de 2,5 molĂ©cules[3] d'ATP et 2 molĂ©cules[3] de NADH ou de NADPH pour ribulose-1,5-bisphosphate dans les organites oĂč elles se dĂ©roulent.
Cependant, si la photorespiration est prĂ©judiciable Ă l'activitĂ© photosynthĂ©tique des cellules oĂč elle a lieu, elle serait nĂ©anmoins utile, voire nĂ©cessaire, Ă d'autres fonctions cellulaires, notamment Ă la fixation de l'azote des nitrates ainsi que, dans une certaine mesure, Ă la signalisation cellulaire.
Photorespiration chez les plantes
Les réactions intervenant dans la photorespiration font intervenir une douzaine d'enzymes réparties entre les chloroplastes, les peroxysomes et les mitochondries des plantes, catalysant les réactions suivantes :
Formation de glycolate dans les chloroplastes
Dans les chloroplastes, la Rubisco fixe une molécule d'oxygÚne O2 sur le ribulose-1,5-bisphosphate à travers son activité oxygénase :
+ O2 â 3 H+ + + D-ribulose-1,5-bisphosphate 3-phospho-D-glycĂ©rate 2-phosphoglycolate Ribulose-1,5-bisphosphate carboxylase/oxygĂ©nase (Rubisco) â EC
Le 3-phosphoglycĂ©rate formĂ© rejoint le cycle de Calvin tandis que le 2-phosphoglycolate est dĂ©phosphorylĂ© en glycolate par la phosphoglycolate phosphatase et sort du chloroplaste pour ĂȘtre recyclĂ© dans un peroxysome.
Conversion du glycolate en glycine dans les peroxysomes
Dans les peroxysomes, le glycolate est converti en glyoxylate par la glycolate oxydase avec formation de peroxyde d'hydrogĂšne H2O2. Le glyoxylate peut ĂȘtre traitĂ© par deux enzymes pour donner de la glycine, le plus simples des acides aminĂ©s protĂ©inogĂšnes :
- la glycine transaminase catalyse la réaction : glyoxylate + L-glutamate α-cétoglutarate + glycine ;
- la sérine-glyoxylate transaminase catalyse la réaction : glyoxylate + L-sérine hydroxypyruvate + glycine.
L'accumulation de glycine étant nocive pour les cellules, cet acide aminé est dégradé dans les mitochondries.
Conversion de la glycine en sérine dans les mitochondries
Dans les mitochondries, la glycine est convertie en sérine par un ensemble d'enzymes et de protéines formant le systÚme de clivage de la glycine (GCS), couplé à la sérine hydroxyméthyltransférase (SHMT). Cet ensemble GCS + SHMT catalyse la réaction globale :
Formation de glycérate dans les peroxysomes
La sérine est convertie en hydroxypyruvate avec formation de glycine sous l'action de la sérine-glyoxylate transaminase :
puis l'hydroxypyruvate est réduit en glycérate par l'hydroxypyruvate réductase avec consommation d'une molécule de NADH ou de NADPH :
- hydroxypyruvate + NADH + H+ D-glycérate + NAD+ ;
- hydroxypyruvate + NADPH + H+ D-glycérate + NADP+.
Recyclage du glycérate et de l'ammoniac dans les chloroplastes
L'α-cétoglutarate et la glutamine réagissent sous l'action de la glutamate synthase à NADPH pour former deux molécules de glutamate, dont une redonne de la glutamine par fixation d'ammoniac NH3 sous l'action de la glutamine synthétase ; la réaction globale de ces deux enzymes peut s'écrire :
- α-cétoglutarate + NH3 + ATP + NADPH + H+ L-glutamate + ADP + Pi + NADP+.
L'ammoniac formé dans les mitochondries permet ainsi de convertir une molécule d'α-cétoglutarate en glutamine moyennant la consommation d'une molécule de NADPH et l'hydrolyse d'une molécule d'ATP.
Le glycérate est enfin phosphorylé dans un chloroplaste par la glycérate kinase avec consommation d'une molécule d'ATP pour former du 3-phosphoglycérate, qui peut rejoindre le cycle de Calvin.
Représentation schématique
Ces rĂ©actions peuvent ĂȘtre globalement rĂ©sumĂ©es par le schĂ©ma ci-dessous :
CC représente le cycle de Calvin.
Les enzymes suivantes sont représentées :
PGP : phosphoglycolate phosphatase ; GOX : glycolate oxydase ; GGT : glycine transaminase ; GDC : systÚme de clivage de la glycine ; SHMT : sérine hydroxyméthyltransférase ; SGT : sérine-glyoxylate transaminase ; HPR : hydroxypyruvate réductase ; GLYK : glycérate kinase ; |
Les numéros indiquent les métabolites suivants :
1 ribulose-1,5-bisphosphate, 2 3-phosphoglycérate, 3 2-phosphoglycolate, 4 glycolate, 5 glyoxylate, 6 glycine, 7 sérine, 8 hydroxypyruvate, 9 glycérate. |
Photorespiration chez les cyanobactéries
Les cyanobactéries sont les seules bactéries connues réalisant une photosynthÚse oxygénique. Elles réalisent la fixation du carbone à l'aide du cycle de Calvin. On a longtemps pensé qu'elles n'avaient pas recours à la photorespiration car elles concentrent le CO2 autour de leur Rubisco à l'aide d'organites spécialisés appelés carboxysomes, ce qui favorise fortement l'activité carboxylase de la Rubisco au détriment de son activité oxygénase, et on pensait que le peu de glyoxylate formé serait facilement éliminé hors de la cellule sans nécessiter de voie métabolique spécifique pour le détoxiquer[4]. On sait cependant qu'elles métabolisent le 2-phosphoglycolate selon un ensemble de voies métaboliques qui commencent comme chez les plantes par la conversion du 2-phosphoglycolate en glyoxylate puis en glycolate. Les réactions sont semblables à celles des plantes pour Anabaena et pour Prochlorococcus marinus, mais Synechocystis a recours à une glycolate déshydrogénase qui consomme du NADH et ne libÚre pas de peroxyde d'hydrogÚne H2O2.
Le glyoxylate peut ĂȘtre mĂ©tabolisĂ© de diffĂ©rentes façons selon les cyanobactĂ©ries considĂ©rĂ©es, et trois voies mĂ©taboliques ont Ă©tĂ© partiellement identifiĂ©es Ă ce jour :
- Il peut ĂȘtre converti par une glyoxylate oxydase en oxalate, lui-mĂȘme converti par une oxalate oxydase et une formiate dĂ©shydrogĂ©nase en deux molĂ©cules de CO2.
- Il peut Ă©galement ĂȘtre converti en hydroxypyruvate, comme chez les plantes ou en condensant deux molĂ©cules de glyoxylate par une tartronate-semialdĂ©hyde synthase pour former du tartronate semialdĂ©hyde, lui-mĂȘme converti glycĂ©rate par une tartronate semialdĂ©hyde rĂ©ductase avec consommation d'une molĂ©cule de NADH ou de NADPH.
- Chez Synechocystis et Anabaena, l'hydroxypyruvate réduit en glycérate subit une phosphorylation en 3-phophoglycérate sous l'effet d'une glycérate kinase comme chez les plantes, mais d'autres cyanobactéries forment d'abord du 2-phosphoglycérate, isomérisé par la suite en 3-phosphoglycérate par une réaction semblable à celle catalysées par la phosphoglycérate mutase de la glycolyse.
Ces trois voies mĂ©taboliques s'entrecroisent et se dĂ©roulent en mĂȘme temps chez Synechocystis. Ce n'est que lorsqu'elles sont toutes les trois inactivĂ©es que cette cyanobactĂ©rie requiert des concentrations Ă©levĂ©es de dioxyde de carbone pour survivre, comme les plantes[5] - [6].
Affinité relative de la Rubisco pour l'oxygÚne et le dioxyde de carbone
Le site actif de la Rubisco présente la particularité de posséder à la fois une activité carboxylase et une activité oxygénase. Ceci provient du fait que l'enzyme active son substrat, le ribulose-1,5-bisphosphate, sous forme d'un Únediol instable qui peut réagir aussi bien avec le CO2 qu'avec O2 :
Le fait que l'oxygénation se produise dans environ 25 % des cas par rapport à la carboxylation suppose que cette derniÚre soit fortement favorisée par la Rubisco quand on prend en compte le fait que l'oxygÚne est environ 500 fois plus abondant dans l'atmosphÚre que le dioxyde de carbone, ce ratio tombant à 25 fois en solution dans l'eau à 25 °C[7]. Le ratio de sélectivité CO2 / O2 varie entre 20 et 280 selon les espÚces, tandis que la vitesse de catalyse varie de 2 à 8 cycles par seconde.
Aspects bénéfiques de la photorespiration
Couplage avec l'assimilation des nitrates
Si la photorespiration est clairement prĂ©judiciable Ă l'activitĂ© photosynthĂ©tique des cellules vĂ©gĂ©tales, elle serait cependant utile, voire nĂ©cessaire Ă d'autres fonctions cellulaires, et sa limitation ne se traduirait pas forcĂ©ment par une meilleure croissance des plantes. En effet, certaines Ă©tudes ont par exemple suggĂ©rĂ© que la photorespiration puisse ĂȘtre indispensable Ă la fixation de l'azote des nitrates du sol[8]. Plusieurs processus physiologiques seraient responsables du couplage de la photorespiration avec la fixation de l'azote[9] : d'une part Ă travers l'augmentation de la disponibilitĂ© en NADH ou NADPH dans le cytosol des cellules du mĂ©sophylle, nĂ©cessaires Ă la rĂ©duction des nitrates NO3â en nitrites NO2â par une nitrate rĂ©ductase, d'autre part Ă travers la limitation de la compĂ©tition des bicarbonates HCO3â sur les transporteurs des ions nitrate, ces transporteurs intervenant sur ces deux ions Ă la fois, et enfin en permettant la formation de quantitĂ©s suffisantes de ferrĂ©doxine rĂ©duite dans le stroma des chloroplastes, oĂč elle est utilisĂ©e par la ferrĂ©doxine-nitrite rĂ©ductase. Par ailleurs, des plantes ayant un mĂ©tabolisme du 2-phosphoglycolate dĂ©fectueux Ă la suite d'une mutation ne poussent pas dans des conditions normales, l'un de ces mutants ayant montrĂ© une rapide accumulation de glycolate[10].
La photorespiration est fortement réduite chez les plantes en C4, mais produit en revanche de grandes quantités de malate et de NADPH, ce qui préserve la fixation des nitrites.
Signalisation rédox
La photorespiration pourrait également jouer en rÎle dans la signalisation cellulaire végétale à travers la production de peroxyde d'hydrogÚne H2O2[11], molécule impliquée dans la signalisation rédox qui commande notamment les mécanismes de croissance et de réponse au stress, par exemple sous l'effet de parasites.
Ăvolution
Les prĂ©curseurs des cyanobactĂ©ries actuelles ont Ă©tĂ© les premiers organismes capables de photosynthĂšse oxygĂ©nique. Ce sont par consĂ©quent Ă©galement les premiers organismes dont la Rubisco a Ă©tĂ© exposĂ©e Ă l'oxygĂšne. Ils devaient certainement produire du 2-phosphoglycolate car les mĂ©canismes de concentration du CO2 sont apparus bien plus tard, vraisemblablement autour de 360 Ă 300 millions d'annĂ©es avant le prĂ©sent, lorsque la concentration en oxygĂšne dans l'atmosphĂšre s'est sensiblement accrue[4]. Les plantes ont depuis perdu certaines enzymes du mĂ©tabolisme du glycĂ©rate qui sont encore prĂ©sentes chez les cyanobactĂ©ries, mais la photorespiration n'a pas disparu pour autant. MĂȘme le bactĂ©rioplancton, tel que Prochlorococcus marinus et Synechococcus, dont le gĂ©nome est trĂšs rĂ©duit, a conservĂ© les gĂšnes de la photorespiration. Cette voie mĂ©tabolique Ă©tait ou bien prĂ©sente d'emblĂ©e chez les cyanobactĂ©ries, ou bien est apparue trĂšs tĂŽt chez les prĂ©curseurs de ces derniĂšres.
D'aprÚs la théorie endosymbiotique, les précurseurs des cyanobactéries actuelles seraient également les précurseurs des chloroplastes des cellules des plantes et des algue. La Rubisco de tous ces organismes (cyanobactéries, plantes, algues) ont en commun d'accepter aussi bien l'oxygÚne O2 que le dioxyde de carbone CO2 pour réagir sur le ribulose-1,5-bisphosphate[12]. La sélectivité de la Rubisco pour le CO2 par rapport à O2 ne s'est sans doute pas beaucoup accrue au cours de l'évolution[13], car cette enzyme aurait évolué essentiellement alors que la concentration en oxygÚne atmosphérique était encore faible, de sorte que la photorespiration demeurait toujours négligeable et n'aurait pas représenté un facteur de sélection déterminant.
Biotechnologie
La modification de cette voie métabolique par ingénierie génétique permet d'augmenter le rendement de la photosynthÚse, et par conséquent la production de biomasse chez Nicotiana tabacum[14].
Références
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