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Woke

Le terme anglo-américain woke (« éveillé ») désigne le fait d'être conscient des problèmes liés à la justice sociale et à l'égalité raciale (en)[1]. En raison de son adoption croissante au-delà de ses origines afro-américaines, le terme est devenu une expression fourre-tout utilisée pour dénigrer des idées progressistes, souvent centrées sur la défense des droits de groupes minoritaires et portées par des courants universitaires comme la critical race theory (« théorie critique de la race »), qui visent à promouvoir la justice sociale. Celles-ci incluent le mouvement Black Lives Matter et des formes connexes d'antiracisme[2], ainsi que des campagnes sur les questions relatives à la condition féminine (comme le mouvement #MeToo) et aux droits LGBT. L'expression « capitalisme éveillé » (« woke capitalism ») a été inventée pour décrire les entreprises qui expriment leur soutien à ces causes.

Manifestations du mouvement Black Lives Matter à Oakland (Californie) en 2014. Le mouvement est considéré comme à l'origine de l'utilisation du mot « woke ».
Marcia Fudge, représentante au Congrès, avec un t-shirt « Stay Woke: Vote » en 2018 (« restez en éveil : votez »).

Dans les années 2020, l'extrême droite, une partie de la droite et une partie de la gauche partisane d'une « laïcité offensive » de plusieurs pays occidentaux utilisent le terme « woke » pour fustiger divers mouvements et idées progressistes. Selon eux, le « courant woke » alimenterait l'intolérance à l'égard d'opinions différentes et porterait atteinte à la liberté d'expression notamment via la cancel culture[2]. C'est ainsi devenu un terme désignant ceux qui militent contre diverses discriminations.

Origines et dérivés

Le terme « woke » provient du verbe anglais « wake » (réveiller), pour décrire un état « d'éveil » face à l'injustice[2] - [3]. Il est parfois utilisé en anglais vernaculaire afro-américain dans l'expression stay woke (en français : « rester éveillé(s) » ou « reste(z) éveillé(s) », selon le contexte) : en effet, woke est alors utilisé à la place de woken, la forme habituelle du participe passé de wake. Cela a conduit à son tour à l'utilisation de woke comme adjectif équivalent à awake, qui est devenu courant aux États-Unis.

Le terme, utilisé notamment dans le monde africain-américain à partir des années 1960[4], a refait surface à l'époque de la naissance du mouvement Black Lives Matter[5] en 2014, comme slogan pour encourager la vigilance et l'activisme face à la discrimination raciale[2] - [6] et à d'autres inégalités sociales telles que les discriminations vis-à-vis de la communauté LGBT, des femmes, des immigrés et d’autres populations marginalisées[7], et les mobilisations pour le climat[2].

Le terme « woke » a fait l'objet de mèmes, de détournements parodiques et de critiques de la part de ceux qui lui reprochent d'être une idéologie moralisatrice, sectaire et manichéenne pouvant porter atteinte à la liberté d'expression.

Selon le rédacteur en chef adjoint du Journal du dimanche, Vivien Vergnaud, l'expression « wokisme » ressemble à l'expression politique « gauchisme » en appuyant sur le fait que cette expression a été beaucoup moquée et peu de gens s'en revendiquent[8]. Elle est plutôt utilisée pour disqualifier des adversaires politiques en regroupant plusieurs mouvements de pensée souvent assimilés à la gauche[9].

Pour le politologue Clément Viktorovitch, le terme « woke » est aujourd'hui davantage utilisé par les adversaires aux mouvements progressistes que par les militants eux-mêmes. D'après lui, ce mot est devenu un concept fourre-tout, « un outil purement rhétorique, une arme de disqualification massive utilisée contre le discours de gauche[10] ». Il constate que les polémiques autour du wokisme ont progressivement remplacé celles autour de l'islamo-gauchisme mais qu'elles ont les mêmes finalités : « disqualifier les luttes antiracistes et féministes[10] ».

Sens du mot woke au Québec

Le mot « woke » s'est répandu en français à la fin des années 2010. Son emploi aurait été popularisé au Québec par l'essayiste et chroniqueur Mathieu Bock-Côté, qui aurait aussi contribué à faire connaître le mot en France[11].

Selon le linguiste québécois Gabriel Martin, l'on désigne péjorativement comme « woke » « une personne dont le militantisme s’inscrit dans une idéologie de gauche radicale, qui est structurée en fonction de questions identitaires (liées à la race, mais aussi au genre, à l'orientation sexuelle, etc.) » et que l'idéologie en jeu se trouve « en opposition conceptuelle et sémantique aussi bien avec l'universalisme progressiste hérité des Lumières qu'avec ses contreparties plus conservatrices[12]». Il indique que le mot s'emploie aussi comme adjectif, par exemple dans l'expression « idéologie woke », parfois désignée comme du « wokisme ».

Par ailleurs, les linguistes québécois ont observé que le mot « woke » prend généralement un sous-sens péjoratif dans leur variété de français[12] - [13]. Selon eux, « [il] sert nommément à dépeindre comme endoctrinées et étrangères au dialogue démocratique sain les personnes dont on l'affuble »[12] et on l'associe souvent à des individus « moralistes, dogmatiques, qui donnent des leçons, qui prônent la culture du bannissement et la rectitude politique »[13]. Il en découle que le mot a pris le caractère d'un exonyme : il est peu employé par la gauche pour s'autodésigner[12] - [13]. À ce fait, le journaliste Stéphane Baillargeon considère que le mot woke représente « une arme retournée par la droite contre la gauche »[11].

Histoire

XXe siècle

L'Oxford English Dictionary enregistre[14] une utilisation politiquement consciente précoce en 1962 dans l'article If You're Woke You Dig It de William Melvin Kelley dans le New York Times[15] et dans la pièce de 1971 Garvey Lives! de Barry BeckhamI been sleeping all my life. And now that Mr. Garvey done woke me up, I'm gon' stay woke. And I'm gon help him wake up other black folk. »)[16] - [17].

Fin des années 2000

La première utilisation moderne du terme « woke » apparaît dans la chanson Master Teacher de l'album New Amerykah Part One (4th World War) (2008) de la chanteuse de musique soul Erykah Badu. Tout au long de la chanson, Erykah Badu chante la phrase : « I stay woke ». Bien que la phrase n'ait pas encore de lien avec les questions de justice sociale, la chanson de Erykah Badu est associée ultérieurement à ces problèmes[18] - [3].

To stay woke (« rester éveillé ») dans ce sens exprime l'aspect grammatical continu et habituel intensifié de l'anglais vernaculaire afro-américain : en substance, être toujours éveillé, ou être toujours vigilant. Selon David Stovall, « Erykah l'a introduit dans la culture populaire. Elle veut dire "ne pas être en paix", "ne pas être anesthésié" »[19].

Années 2010

En 2012, les utilisateurs de Twitter, ont commencé à utiliser « woke » et « stay woke » en relation avec des questions de justice sociale et raciale et #StayWoke est devenu un mot-dièse largement utilisé[20]. Erykah Badu a utilisé ce terme dès 2012 dans un message de soutien au groupe de musique féministe russe Pussy Riot, elle tweete : « La vérité ne nécessite aucune croyance. / Restez éveillés. Soyez vigilants. / #FreePussyRiot[21] »[2].

Dans le monde anglo-saxon, le terme « woke » s'est répandu dans son usage courant à travers les réseaux sociaux et les cercles militants. En 2016, le titre d'un article de Bloomberg Businessweek s'interrogeait ainsi : « Is Wikipedia Woke? » (« Est-ce que Wikipédia est woke ? »), en faisant référence à la base des contributeurs majoritairement blancs de la communauté anglophone de l'encyclopédie en ligne[22].

Cette large utilisation du terme est telle qu'en 2016, Amanda Hess (en), une journaliste du New York Times, avance qu'il est « devenu presque à la mode pour les gens de clamer à quel point ils sont devenus conscients ». Selon elle, « si le « P.C. » [politiquement correct] est une raillerie de la droite, une façon de dénoncer l'hypersensibilité dans le discours politique, alors le « woke » est un retour de la gauche, une manière d'affirmer le sensible. Cela signifie que l'on veut être considéré comme quelqu'un de correct, et que l'on veut que tout le monde sache à quel point on est correct ». Elle exprime des inquiétudes sur le fait que le mot « woke » est l'objet d'une appropriation culturelle, écrivant : « Lorsque les Blancs aspirent à s'acheter une conscience, ils naviguent entre l'altruisme et l'appropriation »[23].

Le linguiste Ben Zimmer a également estimé en 2017 qu'avec la généralisation du terme, son « appartenance originelle à la conscience politique afro-américaine a été occultée »[24].

À la fin des années 2010, le sens du terme « woke » évolue, pour évoquer, selon Charles Pulliam-Moore, « une paranoïa saine, en particulier sur les questions de justice raciale et politique ». Il est adopté plus généralement comme un terme d'argot et fait l'objet de mèmes[20]. Par exemple, MTV News l'identifie comme un mot-clé de l'argot adolescent en 2016[25].

Le « concept woke » soutient l'idée que cette prise de conscience est une évidence. Le rappeur Earl Sweatshirt se souvient d'avoir chanté « I stay woke ». Sa mère, dénigrant la chanson, lui aurait répondu : « Non, tu ne l'es pas »[26].

Enfin, le terme « woke » s’est étendu à d’autres causes et d’autres usages, plus mondains[27]. En effet, le monde semble maintenant « éveillé » : la 75e cérémonie des Golden Globes, marquée par l’affaire Harvey Weinstein et la volonté d’en finir avec le harcèlement sexuel, était en partie woke, selon le New York Times[28]. Le magazine London Review of Books affirme même que la famille royale britannique est désormais woke après les fiançailles du prince Harry avec l’actrice métisse Meghan Markle, dont les positions anti-Trump sont connues[29].

Selon le magazine Marianne, « woke désigne un membre d’un groupe dominant, conscient du système oppressant les minorités et n’hésitant pas à dénoncer les discriminations en utilisant le vocabulaire intersectionnel »[30] - [31].

Années 2020

Co-créée par Keith Knight et Marshall Todd, la série télévisée Woke traite des injustices subies par les Afro-Américains du point de vue d'un dessinateur afro-américain à succès qui « entre dans le "woke" après une interpellation aussi brutale qu'injustifiée par des policiers blancs »[32].

Le 4 mars 2021, l'IFOP publie un sondage intitulé « Notoriété et adhésion aux thèses de la "pensée woke" parmi les Français »[33]. Cette étude indique que les concepts et notions rattachés, selon les termes du sondeur, à la « pensée ‟woke” » (écriture inclusive, racisme systémique, masculinité toxique, etc.) ne sont que peu connus des Français. Concernant la notion de « pensée woke », 14±1,8 % des 1 011 sondés en ont déjà entendu parler, 6±1,8 % du panel en connaissent le sens[2]. Le sondage démontre également que la compréhension des concepts exprimés dépendait principalement de l'âge et du niveau de diplôme[34].

Le 29 mars 2021, la pigiste Soisic Belin a recensé dans le journal Les Échos le mot « woke » parmi les huit mots adoptés par la génération Z[35].

En juillet 2021, le ministère de l'Éducation nationale décide de lancer pour la rentrée un « laboratoire républicain » contre le wokisme en vue d'étudier l'influence de ce mouvement[36]. Le rapport no 143 de l'IGESR fait état dans son Annexe 17 de plusieurs cas de mises en cause diffamatoires d'étudiants dans les IEP[37]. Le sociologue Michel Wieviorka s'est rapidement opposé à la mesure, la jugeant disproportionnée[38].

En mars 2022, la Législature de Floride adopte la loi sur la liberté individuelle, que le gouverneur de Floride Ron DeSantis surnomme Stop Wrongs to Our Kids and Employees (WOKE) Act[39], interdisant en Floride l'enseignement dans les écoles et sur les lieux de travail de la théorie critique de la race et de l'existence d'un racisme systémique aux États-Unis, sous prétexte qu'elles amplifient les divisions raciales[40]. DeSantis présente cette loi comme un outil permettant aux entreprises, aux employés, aux enfants et aux familles de lutter contre « l’endoctrinement woke »[40].

Le woke en marketing et dans les affaires

Le , dans un article du magazine Time, la journaliste Alana Semuels détaille un phénomène qu'elle nomme « Woke capitalism » (« capitalisme éveillé »), dans lequel les marques tentent d'inclure des messages socialement « conscients » dans les campagnes publicitaires. Dans l'article, elle cite l'exemple de la star de football américain Colin Kaepernick, égérie d'une campagne de Nike avec le slogan « Croyez en quelque chose, même si cela signifie tout sacrifier ». Peu avant, Kaepernick avait créé une controverse en posant un genou à terre pendant l'hymne national américain, dans un geste de protestation contre le racisme et les violences policières contre la communauté noire[41]. Le terme « Woke Capital » a également été utilisé par l'éditorialiste conservateur Ross Douthat (en)[42]. Selon Ross Douthat, l'attention portée par les entreprises aux injustices sociales n'est que la manifestation d'un « Woke capital », qui se fiche éperdument de la prolifération des armes ou de la transphobie, mais qui a senti le vent tourner[43]. Pour le journaliste indépendant Barthélemy Dont, aborder ces sujets permet à ces entreprises d'esquiver les polémiques sur les réseaux sociaux et de détourner l'attention médiatique de leurs agissements moins glorieux. Barthélemy Dont s'interroge également sur la pertinence de la campagne publicitaire de Nike : « Lorsque Nike mettait Colin Kaepernick en tête d'affiche d'une campagne publicitaire, est-ce parce qu'elle voulait « aider les communautés dans lesquelles elle travaille » ou bien parce que son cœur de cible est constitué de jeunes Noirs ? Ce qui est certain, c'est que ses ventes ont augmenté de 31 % dans les jours qui ont suivi[43]. »

Le « capitalisme woke » décrit également l'attitude des grandes entreprises confrontées à la force des réseaux sociaux à une époque où les enjeux de réputation deviennent déterminants. Selon Le Monde, « des collectifs très organisés de consommateurs ou d’actionnaires harcèlent les multinationales pour les inciter à bien se comporter, que ce soit sur le plan écologique ou en matière de discrimination »[44]. Ces pressions posent la question, pour la journaliste Anne de Guigné, des possibles dérives liées aux pressions morales exercées sans débat démocratique notamment par certains mouvements féministes et antiracistes sur les acteurs économiques[44]. Ainsi, la marque Gucci a été fortement critiquée au printemps 2019 pour avoir lancé un pull évoquant la pratique du blackface en présentant une grande bouche rouge sur fond noir qui rappellerait des caricatures racistes. Afin de se faire excuser, la société a par la suite multiplié les dons à des associations de lutte contre les discriminations et les séminaires de sensibilisation[45]. Les Échos notent que les groupes américains n'hésitent plus à prendre position publiquement sur toutes les grandes réformes sociétales, étant poussés en cela par les groupes de pression[46]. Selon Anne de Guigné, la grande majorité des dirigeants adopterait cette nouvelle orientation morale par intérêt[46]. Dans la même veine, Le Guardian souligne que l’industrie pétrolière, après avoir financé le déni du changement climatique pendant des années, argue maintenant que la transition doit être très progressive pour éviter de pénaliser les classes défavorisées : la mutation vers une idéologie woke n’est qu’un argument pour prolonger la rente[47].

De nos jours, le terme « woke-washing » est utilisé pour dénoncer une pratique publicitaire ou communicationnelle par laquelle une marque revendique un engagement de façade similaire au greenwashing mais étendu à d’autres causes que l’environnement, telles que l’égalité entre les sexes, les genres ou encore l’inclusion[48].

Le wokefishing est l'utilisation d'un point de vue progressiste pour séduire une personne[49].

Critiques

Le terme a fait l'objet de mèmes, de détournements parodiques et de critiques[20] - [50].

Get woke go broke

L'expression get woke go broke est généralement utilisée aux États-Unis pour exprimer le sentiment que les entreprises (notamment celles du secteur du divertissement) qui adhèrent au politiquement correct ou cèdent aux demandes des militants pour la justice sociale, en souffriront financièrement[51]. Le terme fut inventé par John Ringo[52].

Ascendant moral

L'écrivain conservateur britannique Douglas Murray a critiqué l'activisme moderne pour la justice sociale et les politiques woke dans son livre The Madness of Crowds: Gender, Race and Identity. Il a également fait valoir que le woke est un mouvement qui a des objectifs respectables, mais qui est maintenant un terme « un peu chargé, de sorte qu'il a été beaucoup moqué ces dernières années et que beaucoup de gens eux-mêmes ne sont pas très enthousiastes à l'idée d'être décrits comme étant des woke ». Selon Douglas Murray, l'un des problèmes du mouvement woke, est qu'il « aggrave les choses en faisant croire aux gens qu'ils sont meilleurs. » Il affirme que « Beaucoup d'entre nous n'aiment pas l'antagonisation des gays contre les hétéros ou l'antagonisation des femmes contre les hommes, nous ne voulons pas que les races soient instrumentalisées les unes contre les autres »[50].

L'ancien président des États-Unis Barack Obama a montré son opposition à la course à la pureté idéologique des personnes se revendiquant woke, qu'il juge contre-productive. Il a déclaré : « Cette idée de pureté, que vous n'êtes pas compromis, que vous êtes politiquement woke (éveillé) – vous devriez la laisser derrière vous, et rapidement. Le monde est en désordre. Il y a des ambiguïtés. Les gens qui accomplissent de très bonnes choses ont aussi des défauts. Les gens contre qui vous vous battez peuvent aimer leurs enfants et même, vous savez, avoir des points communs avec vous[53] - [54]. » Barack Obama critique également les stratégies déployées en ligne par certains militants, s'inquiétant de cette tendance woke, particulièrement au sein des campus universitaires[54] : « Il y a des gens qui pensent que pour changer les choses, il suffit de constamment juger et critiquer les autres », en l'illustrant par un exemple : « Si je publie un tweet ou un hashtag dénonçant vos mauvaises actions, ou le fait que vous avez utilisé le mauvais mot ou le mauvais verbe, et qu'ensuite je peux me détendre et être fier de moi parce que je suis super woke en vous ayant montré du doigt, ça n'est pas pour autant de l'activisme. Ce n'est pas comme ça qu'on fait changer les choses[55]. » Obama ajoute encore : « Si vous vous contentez de jeter la pierre aux autres (sur les réseaux sociaux notamment), vous n'irez probablement pas très loin[56]. »

Pour l'anthropologue et professeur de psychiatrie Samuel Veissière, ceux qui se revendiquent comme woke éprouveraient une certaine fierté morale à percevoir de la violence partout : patriarcat, sexisme, héterosexisme, grossophobie, transphobie, etc. Le terme a selon lui maintenant acquis une connotation plus cynique pour dénoter un puritanisme hystérique dans la montée du politiquement correct. Il ajoute : « Cette sorte d’inconscient judiciaire ne paraît pas très enviable. Il correspond cependant à une dérive de la société dans laquelle sera portée devant les tribunaux toute forme d’expression jugée déviante et non politiquement correcte : la liberté d’expression en est la première victime[57]. »

En , la journaliste et commentatrice australienne Rita Panahi accuse les activistes et entreprises woke d'« être obsédés par des évènements historiques survenus il y a des centaines d'années », tout en fermant les yeux sur les exemples contemporains d'esclavage et de violations des droits humains contre les Ouïghours, les dissidents politiques et les prisonniers en Chine[58].

L'écrivaine et militante Chloé Valdary a déclaré que le concept d'être woke est une « épée à double tranchant » qui peut « alerter les gens sur l'injustice systémique » tout en étant « une prise agressive et performative de la politique progressiste qui ne fait qu'empirer les choses »[59].

Une religion

Pour le philosophe et professeur émérite Jean-François Braunstein, le projet woke n'est ni philosophique ni idéologique ni même politique mais relève du religieux extrême avec son péché originel, son credo, son inquisition, son radicalisme, ses différents textes fondateurs, apôtres, rites, dénonciations, anathèmes, blasphèmes... que l'auteur dénonce en 2022 dans son ouvrage intitulé La Religion woke[60]. Il considère que cette pensée post-moderne inspirée du constructivisme social et du déconstructivisme « a infusé les élites universitaires et le monde médiatique » et s'oppose à l'universalisme républicain, à toute remise en question et à la raison même prônée par notre modèle républicain hérité des Lumières[61].

Liberté académique

Dans un article du quotidien néerlandais De Volkskrant, un certain nombre d'universitaires expriment la crainte que la liberté académique ne soit menacée par une génération d'étudiants dotés d'une nouvelle « pureté morale » — que l'on appelle désormais « woke ». Les étudiants supposent parfois que vous êtes réveillé ou non sur la base d'un seul mot. Les activistes éveillés imposent une nouvelle forme de pureté morale, qui crée une coercition à la pensée, supprime et exclut les idées contraires, les débats conflictuels et les résultats de recherche indésirables, ce qui conduit à l'autocensure et menace la liberté académique.

Le géographe électoral Josse de Voogd, qui travaillait à l'UvA mais qui est maintenant chercheur indépendant déclare qu'« un groupe d'universitaires se tait sagement, car toute critique de la politique de diversité ou de la politique identitaire peut faire beaucoup de bruit ». Il explique que la résistance au wokeness [à l’état d’éveil] est rejetée comme une fragilité blanche, une attaque contre la position de personne blanche de la personne exprimant cette résistance, même si elle-même se trouve dans une position défavorisée et que sa critique en découle. Selon lui, il est même possible qu'on traite les personnes opposés aux woke d'extrême droite[62].

En octobre 2021, après que Kathleen Stock, professeur de philosophie à l’Université du Sussex, en Angleterre, militante féministe et lesbienne, considérée comme « critique du genre », a subi en octobre 2021 une campagne étudiante exigeant son licenciement, 200 universitaires décident de signer une tribune dans le Sunday Times pour dénoncer une « culture de la peur » et la complicité passive des universités. Les professeurs dénoncent l’emprise et la violence du mouvement « woke » au sein des universités britanniques concernant les questions de transidentité. Selon les universitaires, 80 incidents relevant de l’intimidation, du harcèlement ou de la censure, ont été relevés au cours des cinq années précédentes dans les plus grandes universités du pays. L’ampleur de la campagne contre Kathleen Stock est telle que la police a conseillé à la professeur de s’entourer de gardes du corps et d’installer des caméras de vidéosurveillance chez elle[63] - [64].

Intolérance et « cancel culture »

Selon la journaliste Assma Maad, au sein de la gauche française, les partisans de la « laïcité offensive » s'inquiètent de la montée d'une intolérance au sein du mouvement woke à l'égard d'opinions opposées et d'un musellement de la liberté d'expression par les woke, notamment par la « cancel culture »[65].

Oppositions politiques

Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, s'est opposé à diverses pratiques woke[66] - [67].

Des personnalités centristes comme François Legault, premier ministre du Québec, ou Jean-Michel Blanquer, alors ministre français de l'Éducation nationale[68], ont critiqué le « wokisme »[69].

Jean-Michel Blanquer a accusé les militants woke de remettre en question l’unité républicaine en renvoyant les citoyens à une identité fondée sur leur origine, leur sexualité ou leur genre[70].

Selon Stéphanie Chayet du Monde, les tenants de l'universalisme républicain soutiennent que les penseurs de la French Theory des années 1970 (Michel Foucault, Gilles Deleuze, Jacques Derrida) ont énoncé les prémices de cette tension idéologique[71].

Importation d'un mouvement anglo-saxon dans des pays de cultures différentes

L'ex-ministre français de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, sous l'impulsion d'Emmanuel Macron, souhaitait lutter contre les méthodes et les messages de la culture « woke » et de la « cancel culture »[68]. Il estimait que cette idéologie venue des États-Unis contribuait à la fragmentation de la République : « on ne doit pas essentialiser les différences » et « on ne doit pas chercher à fragmenter la société en sous-chapelles identitaires »[72].

Pour l'essayiste Anne-Sophie Chazaud : « L’importation de ces « concepts » souvent hystériques représente un appauvrissement culturel, une soumission à des schémas de pensée dominants qui sont ceux de l’économie culturelle dominante : comme émancipation, on pourrait faire mieux ! » Par ailleurs, « ce modèle anglo-saxon, à la fois des « social justice warriors » et de sa déclinaison à la mode du woke est l’émanation d’une société dans laquelle tout est judiciarisé. Il convient donc d’être en « éveil », ce qui, dans le fond, correspond aussi à la notion de « veille » liée aux nouvelles technologies de l’information et de la communication sur lesquelles règnent les GAFA, afin de pouvoir toujours porter le fer, sur le modèle d’une potentielle action judiciaire permanente[57]. »

Au contraire, pour Albin Wagener, chercheur associé à l'INALCO, c'est plutôt l'inverse qui se produit : ce ne sont pas des militants qui importent la « culture woke » mais des think tanks français qui « organisent une importation des paniques morales conservatrices américaines dans l’espace politique français, afin de contrer le progressisme politique »[73]. Il vise notamment le think tank Fondapol et tout un « spectre politique qui va de la gauche républicaine conservatrice à l’extrême droite ». D'après lui, le but est « de présenter une vision conservatrice de la société » et de présenter « des mouvements de reconnaissance et de justice sociale comme dangereux pour l’équilibre démocratique[73] ».

Bibliographie

Notes et références

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