Islamo-gauchisme
Le mot « islamo-gauchisme » est un nĂ©ologisme dĂ©signant une proximitĂ© entre des idĂ©ologies, personnalitĂ©s ou partis de gauche et les milieux musulmans, voire islamistes. Il est principalement utilisĂ© en France, oĂč il est popularisĂ© notamment par l'extrĂȘme droite[1] - [2]. ComposĂ© du prĂ©fixe « islamo- » et du nom « gauchisme », il a Ă©tĂ© crĂ©Ă© par Pierre-AndrĂ© Taguieff en 2002, dans le contexte spĂ©cifique de la seconde intifada, et a ensuite Ă©tĂ© repris par diverses personnalitĂ©s mĂ©diatiques, intellectuelles, universitaires ou politiques pour dĂ©noncer la proximitĂ© et le laxisme supposĂ©s de certaines figures françaises de gauche envers l'islam ou l'islamisme.
Origine du terme
En France, le terme « islamo-gauchiste » apparaĂźt pour la premiĂšre fois sous la plume du sociologue Pierre-AndrĂ© Taguieff en 2002 dans l'ouvrage La Nouvelle JudĂ©ophobie. Il y dĂ©finit cette expression comme un militantisme d'extrĂȘme gauche qui, lors de la seconde Intifadah, s'oppose Ă la politique de l'Etat d'IsraĂ«l vis-Ă -vis des Palestiniens et au nom de la « lutte contre l'impĂ©rialisme » fait alliance avec des islamistes favorables au nationalisme palestinien. Pour lui, ce rapprochement vient de ce que ces militants d'extrĂȘme gauche perçoivent les musulmans comme une minoritĂ© opprimĂ©e de maniĂšre systĂ©mique par les non-musulmans, et ce Ă l'Ă©chelle mondiale[3] - [4][5]. Taguieff affirme que ce rapprochement contre la politique sioniste d'IsraĂ«l est chez certains, marquĂ© par de l'anti-sĂ©mitisme.
Taguieff considĂšre que câest Chris Harman, dirigeant trotskiste du Parti socialiste des travailleurs au Royaume-Uni, qui a Ă©tĂ© le premier militant de gauche Ă avoir thĂ©orisĂ© un rapprochement entre les ambitions rĂ©volutionnaires marxistes et celles liĂ©es Ă l'Islam et Ă la Palestine[6]. Le terme n'est cependant jamais utilisĂ© par ce dernier, et câest bien en France que le terme a fait flores ; Christian Delporte, professeur d'histoire contemporaine, explique Ă France 24 en 2017 :
« Aujourd'hui, 'islamo-gauchiste' est devenu un mot-valise. On ne sait plus trĂšs bien ce que ça veut dire. On sait juste que c'est insultant [âŠ]. Le premier Ă avoir utilisĂ© ce terme serait le philosophe, politologue et historien Pierre-AndrĂ© Taguieff en 2002 dans son essai 'La nouvelle judĂ©ophobie'. Il s'agissait d'exprimer la connivence entre une certaine extrĂȘme gauche et l'antisionisme [âŠ]. Puis il a Ă©tĂ© repris par Pascal Bruckner, dans son livre 'La tyrannie de la pĂ©nitence '. Ce fut ensuite au tour de Caroline Fourest, Alain Finkielkraut⊠Peu Ă peu, c'est devenu un terme flou et stigmatisant[5]. »
Marine Le Pen lâutilise en 2012 Ă la suite des attentats commis par Mohammed Merah, et ses mots sont repris dans la presse internationale : « La plus grande menace pour la France du XXIe siĂšcle est ce qu'elle appelle l'« islamo-gauchisme », un mot qu'elle a choisi pour dĂ©crire ce qu'elle considĂšre comme une alliance malsaine entre les « fanatiques islamistes » et la gauche française »[7]. Du cĂŽtĂ© des mĂ©dias, Le Monde note que la premiĂšre apparition dans ses colonnes remonte Ă lâautomne 2004.
Le terme est utilisĂ© par Manuel Valls pour discrĂ©diter son concurrent Ă la primaire citoyenne de 2017 du Parti socialiste BenoĂźt Hamon, dont le directeur de campagne considĂšrera quâil sâattendait plutĂŽt à « retrouver ce genre de propos dans la bouche de Florian Philippot que dans la bouche dâun dirigeant de gauche. »[8]
Origines évoquées du rapprochement
D'aprĂšs le journaliste Amir Behnam Massoumi[9], une des origines de l'islamo-gauchisme se trouverait dans l'Iran des annĂ©es 1970, avec le front commun crĂ©Ă© entre un courant de la gauche iranienne et l'islam rĂ©volutionnaire pour faire face Ă la dictature de Mohammad Reza Pahlavi. Cette « gauche islamique » Ă©tait notamment reprĂ©sentĂ©e par Massoud Radjavi et le philosophe Ali Shariati. Selon Ali Shariati, l'islam contiendrait par nature une dynamique contre la tyrannie et en faveur de la libertĂ©, lâĂ©galitĂ© et lâĂ©mancipation des femmes et des hommes. Cette thĂ©orie aurait significativement contribuĂ© au programme "socialiste de la rĂ©volution iranienne de 1978-1979, conduisant le rĂ©gime islamique de Khomeini Ă promettre la nationalisation des industries et Ă donner la prioritĂ© Ă la justice sociale [9].
Une autre origine de l'islamo-gauchisme se trouverait au Royaume-Uni oĂč l'idĂ©e selon laquelle l'Islam pourrait contribuer Ă faire Ă©merger un mouvement rĂ©volutionnaire a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e au sein de l'extrĂȘme-gauche[4] - [10]. Chris Harman, confrontĂ© Ă cette perception par la gauche du renouveau islamique, l'analyse dans son article « Le prophĂšte et le prolĂ©tariat » (1994)[11]. Il commence par soutenir l'idĂ©e que « la gauche a commis une erreur en considĂ©rant les mouvements islamistes soit comme automatiquement rĂ©actionnaires et « fascistes », soit comme automatiquement « anti-impĂ©rialistes » et « progressistes » », ce qui a contribuĂ© Ă aider les islamistes Ă croĂźtre aux dĂ©pens de la gauche dans la majoritĂ© du Moyen-Orient[6] - [11] - . L'historien distingue cette erreur Ă l'international de la comprĂ©hension qu'il propose de l'islamisme tel qu'il se dĂ©veloppe dans les pays occidentaux. Celui-ci est pour lui « le produit dâune crise sociale profonde » et appelle la gauche Ă se battre pour gagner certains de ses jeunes partisans Ă une autre perspective trĂšs diffĂ©rente, « socialiste, indĂ©pendante et rĂ©volutionnaire »[12]. Ainsi, il n'exclut pas l'unitĂ© d'action avec les islamistes dans les pays oĂč ils sont dominĂ©s :
« Sur certaines questions nous serons du mĂȘme cĂŽtĂ© que les islamistes contre lâimpĂ©rialisme et contre lâĂtat. CâĂ©tait le cas, par exemple, dans un grand nombre de pays lors de la seconde guerre du Golfe. Ce devrait ĂȘtre le cas dans des pays comme la France ou la Grande-Bretagne lorsquâil sâagit de combattre le racisme. LĂ oĂč les islamistes sont dans lâopposition, notre rĂšgle de conduite doit ĂȘtre : « avec les islamistes parfois, avec lâĂtat jamais »[13]. »
Pierre-André Taguieff déplore depuis son usage « à toutes les sauces »[14].
Usage du terme dans la vie politique française
Le terme est utilisĂ© en France par certains universitaires ou responsables politiques pour dĂ©noncer la proximitĂ© et le laxisme supposĂ©s de certains hommes politiques français de gauche envers l'islam, par ailleurs confondu ou assimilĂ© Ă lâislamisme dans ses formes radicales[15] - [16].
UtilisĂ© principalement dans des cercles extrĂȘme-droitiers, ce terme connaĂźt une exposition mĂ©diatique forte aprĂšs son utilisation fin 2020 par le ministre de lâĂducation nationale Jean-Michel Blanquer, repris Ă©galement par la ministre de l'Enseignement supĂ©rieur FrĂ©dĂ©rique Vidal[17].
DĂ©veloppement
Le terme connaßt son premier grand essor en 2003, lorsque des personnalités en faveur de l'adoption de la loi sur les signes religieux dans les écoles publiques françaises l'utilisent réguliÚrement pour qualifier leurs opposants, qu'ils considÚrent, selon Laurent Lévy, comme des gauchistes, « idiots utiles » de l'islamisme[18]. Des personnalités comme Alain Gresh, Edwy Plenel, Michel Tubiana ou Raphaël Liogier sont réguliÚrement l'objet de critiques comme « islamo-gauchistes »[19].
Jean-Yves PranchĂšre, professeur de thĂ©orie politique Ă lâuniversitĂ© libre de Bruxelles, le dĂ©finit comme des « alliances stratĂ©giques entre des militants anti-impĂ©rialistes et des islamistes » (dĂ©finition historique explicitĂ©e plus haut). Pour lui, dans les annĂ©es 2000, le terme ne se diffuse pas hors des milieux universitaires ; puis, dans la seconde moitiĂ© des annĂ©es 2010, le terme est utilisĂ© en contexte politique et notamment par l'extrĂȘme droite dans un sens nouveau et polĂ©mique â comme une insulte. Le terme prend un sens plus Ă©tendu, qui dĂ©signe « toute personne de gauche dont on estime qu'elle est trop indulgente avec l'islamisme radical et pas assez lucide. » Ce concept sert aussi de dĂ©ni et de dissimulation de l'antisĂ©mitisme (la galaxie antisĂ©mite rouge-brune non gauchiste autour de Soral et DieudonnĂ© « est en porositĂ© complĂšte avec l'extrĂȘme-droite ») jusqu'Ă devenir « instrument de disqualification des gens qui dĂ©fendent les droits de l'homme[20]. »
Pour le sociologue Jean-Pierre Le Goff, ce sont « les réactions aux meurtres et aux attentats [islamiques] qui ont fait apparaßtre au grand jour l'existence d'un "islamo-gauchisme"[21] » et contribué à populariser cette locution dans les médias et le débat public.
Selon l'islamologue Gilles Kepel, « la nébuleuse islamo-gauchiste va aujourd'hui jusqu'aux IndigÚnes de la République et a touché certains partis comme La France insoumise[22]. » En 2013, le philosophe Michel Onfray écrit qu'il ne communie pas « dans l'islamo-gauchisme d'un Nouveau Parti anticapitaliste dont le héraut intellectuel est Tariq Ramadan[23]. » Il critique également Jean-Luc Mélenchon : « Il y a une époque, il était plutÎt JaurÚs et Général de Gaulle, maintenant il est islamo-gauchiste[24]. »
Lors de l'entre-deux-tours des primaires de la gauche pour l'élection présidentielle de 2017, Malek Boutih déclare : « Benoßt Hamon est en résonance avec une frange islamo-gauchiste[25] », citant notamment dans son entourage son porte-parole Pascal Cherki pour son soutien à des rencontres non-mixtes.
Le , les journalistes Judith Waintraub et Vincent Nouzille dĂ©noncent, dans une enquĂȘte sur « les agents dâinfluence de lâislam » publiĂ©e par Le Figaro Magazine, les relais « intellectuels, responsables politiques ou acteurs associatifs » de l'islamo-gauchisme qui selon les auteurs « investissent l'espace mĂ©diatique ». Sous des formes diffĂ©rentes et Ă des degrĂ©s divers, ils classent notamment dans cette catĂ©gorie les sociologues Edgar Morin, Geoffroy de Lagasnerie et RaphaĂ«l Liogier, l'islamologue Tariq Ramadan, l'historien Jean BaubĂ©rot, le dĂ©mographe Emmanuel Todd, le gĂ©opolitologue Pascal Boniface, les journalistes Alain Gresh et Edwy Plenel, les personnalitĂ©s politiques BenoĂźt Hamon, Jean-Louis Bianco, DaniĂšle Obono, ClĂ©mentine Autain et Caroline De Haas, ou encore les personnalitĂ©s associatives Marwan Muhammad, Sihame Assbague, Houria Bouteldja et Rokhaya Diallo[26].
Selon le sociologue Fabrice Dhume-Sonzogni, avant l'intervention de Jean-Michel Blanquer en , Le Figaro s'octroyait environ 50 % des utilisations de l'expression depuis 2003-2004. « Un groupe dâune quinzaine de personnes est responsable de lâessentiel de la circulation de ce mot[27]. » Tandis que pour David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS, « les comptes qui se sont le plus impliquĂ©s [sur le rĂ©seau Twitter] dans la promotion dâ"islamo-gauchisme" depuis 2016 sont tous idĂ©ologiquement dâextrĂȘme droite[2]. »
à partir de 2020, sous la présidence d'Emmanuel Macron, une partie du gouvernement utilise ce terme, notamment Gérald Darmanin[28], Jean-Michel Blanquer[29] ou Frédérique Vidal[30].
AprĂšs l'assassinat de Samuel Paty, Jean-Michel Blanquer affirme que « lâislamo-gauchisme fait des ravages Ă lâuniversitĂ© », soutenant qu'il existe « des courants islamo-gauchistes trĂšs puissants dans les secteurs de lâenseignement supĂ©rieur qui commettent des dĂ©gĂąts sur les esprits. » Dans une tribune du Monde, une centaine d'universitaires (professeurs et professeurs Ă©mĂ©rites des universitĂ©s, directeurs d'Ă©tudes et de recherche) dĂ©noncent « les frilositĂ©s de nombre de leurs pairs sur lâislamisme » et les « idĂ©ologies indigĂ©nistes, racialistes et dĂ©coloniales » et soutiennent les propos du ministre de l'Ăducation[31] - [32]. En rĂ©ponse, une tribune signĂ©e par « 2 000 universitaires, chercheuses et chercheurs » dĂ©nonce le soutien envers les propos de Jean-Michel Blanquer « dĂ©solant » et s'insurge contre ce qu'elle considĂšre comme un « appel Ă la police de la pensĂ©e dans les universitĂ©s »[33] - [32].
D'aprĂšs une analyse fondĂ©e sur les donnĂ©es de l'outil de recherche Politoscope[34] de l'Institut des systĂšmes complexes de Paris, « les ministres du gouvernement ont rĂ©ussi Ă faire en quatre mois ce que lâextrĂȘme droite a peinĂ© Ă faire en plus de quatre annĂ©es : depuis octobre [2019], le nombre de tweets de "la mer" mentionnant "islamo-gauchisme" est supĂ©rieur au nombre total de mentions entre 2016 et octobre 2020 », le terme de « mer » dĂ©signant ici un agrĂ©gat de comptes Twitter « qui ne sont pas suffisamment politisĂ©s pour ĂȘtre associĂ©s Ă un courant politique particulier mais qui Ă©changent nĂ©anmoins des tweets politiques » : ils reflĂštent l'Ă©tat des dĂ©bats du moment, et constituent un viviers de recrues potentielles pour les partis politiques[2].
Annonce d'enquĂȘte sur l'islamo-gauchisme Ă l'universitĂ©
Le , FrĂ©dĂ©rique Vidal, ministre chargĂ©e de l'Enseignement supĂ©rieur, annonce vouloir « ouvrir une enquĂȘte sur l'islamo-gauchisme Ă lâuniversitĂ© » et avoir demandĂ© au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) « un bilan de l'ensemble des recherches » qui se dĂ©roulent en France, afin de distinguer ce qui relĂšve de la recherche acadĂ©mique et ce qui tient du militantisme ». Mettant en cause une alliance « entre Mao Zedong et lâayatollah Khomeini »[35], elle dĂ©clare Ă cette occasion que « lâislamo-gauchisme gangrĂšne la sociĂ©tĂ© dans son ensemble et lâuniversitĂ© nâest pas impermĂ©able »[36] - [37]. Pourtant, dans une tribune parue dans L'Opinion au mois d', FrĂ©dĂ©rique Vidal avait critiquĂ© l'utilisation du nĂ©ologisme par Jean-Michel Blanquer[16].
Cette annonce, oĂč pour la troisiĂšme fois en moins de six mois un ministre du gouvernement Castex emploie l'expression « islamo-gauchiste »[2], suscite de vives rĂ©actions au sein du milieu universitaire, qui la condamne[37]. La ConfĂ©rence des prĂ©sidents d'universitĂ© (CPU) exprime « sa stupeur face Ă une nouvelle polĂ©mique stĂ©rile sur le sujet de « islamo-gauchisme » Ă l'universitĂ© », ajoutant que ce terme « n'est pas un concept. C'est une pseudo-notion dont on chercherait en vain un commencement de dĂ©finition scientifique »[38] - [39]. Le CNRS, considĂ©rant Ă©galement que l'appellation est un « slogan politique utilisĂ© dans le dĂ©bat public [qui] ne correspond Ă aucune rĂ©alitĂ© scientifique », condamne « les tentatives de dĂ©lĂ©gitimation de diffĂ©rents champs de la recherche, comme les Ă©tudes postcoloniales, les Ă©tudes intersectionnelles ou les travaux sur le terme de « race », ou tout autre champ de la connaissance[40] »[41] - [14] - [42]. Des universitaires dĂ©noncent une atteinte Ă la libertĂ© de pensĂ©e qui cherche Ă discrĂ©diter diffĂ©rents sujets de recherche[43] - [31].
La dĂ©claration du CNRS, qui intervient quelques jours aprĂšs celle de la ministre de l'Enseignement supĂ©rieur est elle-mĂȘme critiquĂ©e comme la facette d'un « dogme universitaire », mettant en lumiĂšre des divergences idĂ©ologiques dans l'enseignement supĂ©rieur[44]. Les positions du CNRS ne font en effet pas l'unanimitĂ© auprĂšs des chercheurs. Ainsi, le philosophe et politologue Pierre-AndrĂ© Taguieff soutient que le terme n'est « pas moins scientifique ni pertinent que « droite », « gauche » ou « extrĂȘme droite »»[45], et reproche Ă la direction du CNRS dâavoir choisi « clairement son camp idĂ©ologique »[46]. Isabelle BarbĂ©ris, maĂźtre de confĂ©rences en arts de la scĂšne et chercheuse associĂ©e au CNRS[47], doute que ce communiquĂ© « ait fait lâobjet dâune consultation collĂ©giale ». Elle considĂšre que la direction du CNRS fait « ici preuve de complaisance Ă lâĂ©gard des politiques identitaires qui mettent en danger la dĂ©mocratie, la culture, la recherche-ce dont on ne pourra sâĂ©tonner quand on connaĂźt les positions dâAntoine Petit, nommĂ© par un PrĂ©sident de la RĂ©publique qui parle de « privilĂšge blanc » et qui vient de confier une mission « dĂ©coloniale » Ă Pascal Blanchard. »[48]. Cependant, le 20 fĂ©vrier, dans le quotidien français Le Monde, plus de six cents universitaires, dont la sociologue Dominique MĂ©da et l'Ă©conomiste Thomas Piketty, signent une pĂ©tition dĂ©nonçant un chasse aux sorciĂšres et demandant la dĂ©mission de la ministre[49] - [50] - [51].
Ă la suite de cette polĂ©mique, les ministres et reprĂ©sentants du gouvernement multiplient les dĂ©clarations contradictoires quant Ă la qualification de l'« islamo-gauchisme ». La dĂ©claration de FrĂ©dĂ©rique Vidal est critiquĂ©e « partout » dans la majoritĂ©. Le , le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, remet en question les accusations d'« islamo-gauchisme » : « Si phĂ©nomĂšne il y a, il est extrĂȘmement marginal ». Le mĂȘme jour, GĂ©rald Darmanin, ministre de l'intĂ©rieur, dĂ©clare sur les ondes de Radio J : « l'universitĂ©, les services publics, des associations sont touchĂ©s par l'islamisme aidĂ© parfois par les gauchistes »[16].
Selon les quotidiens américains The New York Times et The Washington Post, se cristallise dans cette polémique une guerre culturelle qui a pris naissance dans les universités françaises et qui s'est installée sur la scÚne médiatique et dans la sphÚre politique[52] - [53]. Le premier explique que, dans le domaine des sciences sociales, de jeunes universitaires entreprennent des études postcoloniales et des recherches sur les questions de race et de genre, en opposition à une génération d'intellectuels plus ùgés, tels que Pierre-André Taguieff. Pour ceux-ci, les théories promues par ceux-là sont des emprunts « artificiels » à la culture universitaire américaine[53].
En mars 2023, les enquĂȘteurs du Monde rĂ©vĂšlent un document interne du ministĂšre qui montre que toute cette prĂ©tendue enquĂȘte n'Ă©tait qu'une supercherie et n'avait jamais Ă©tĂ© rĂ©ellement envisagĂ©e par le ministĂšre : « les propos de la ministre [...] nâont Ă©tĂ© suivis dâaucune demande adressĂ©e en ce sens au Centre national de la recherche scientifique, ni Ă tout autre Ă©tablissement sous tutelle du ministĂšre de lâenseignement supĂ©rieur et de la recherche, regroupement dâorganismes de recherche ou service dâinspection », prĂ©cisant plus loin que « la demande dâenquĂȘte se rĂ©dui[t] Ă une dĂ©claration dâintention et nâ[a] pas Ă©tĂ© formalisĂ©e, et par suite aucune enquĂȘte nâ[a] Ă©tĂ© diligentĂ©e ni aucun rapport dâenquĂȘte rĂ©digĂ© ». Il s'agissait donc selon la journaliste d'une « vraie fausse annonce » qui servait avant tout Ă sĂ©duire la ligne Ă©ditoriale de la chaĂźne CNews tout en pratiquant une « politique d'intimidation » fondĂ©e sur un simple canular politico-mĂ©diatique[54].
DĂ©bat autour de l'islamo-gauchisme en France
Promoteurs de l'usage du terme
En France, le terme islamo-gauchisme ne fait pas l'unanimité.
Pour les promoteurs du terme, les islamo-gauchistes sont ceux qui s'en prennent Ă la culture occidentale et Ă l'universalisme, et trouvent une place croissante dans les courants postcoloniaux et antiracistes. Ainsi, pour Caroline Fourest, ce terme « dĂ©signe ceux qui, au nom dâune vision communautariste et amĂ©ricanisĂ©e de lâidentitĂ©, combattent le fĂ©minisme universaliste et la laĂŻcitĂ©[3] », tandis que, rappelant la tenue de rĂ©unions interdites aux blancs, Pierre-AndrĂ© Taguieff Ă©crit dans L'Islamisme et nous : « D'une façon croissante, l'antiracisme est mis au service de l'islamisme et de l'islamo-gauchisme, ou instrumentalisĂ© pour la dĂ©fense de causes ethnicisĂ©es »[55].
Pour l'Ă©crivain Christophe Bourseiller, lâislamo-gauchisme Ă©volue sur les mĂȘmes terres que la Nouvelle Droite dâAlain de Benoist en dĂ©fendant un ethno-diffĂ©rencialisme opposĂ© Ă l'universalisme rĂ©publicain. Pour lui, « islamo-gauchisme et droite radicale convergent »[56]. Il cite notamment comme exemple Tariq Ramadan et Marwan Muhammad du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) partageant la mĂȘme tribune que le Nouveau Parti anticapitaliste et Alain Gresh[56].
Polysémie du terme
La critique la plus gĂ©nĂ©rale du terme est son absence de rigueur, « islamo » pouvant viser lâintĂ©grisme islamique, ou la population musulmane dans son ensemble, tandis que le terme « gauchisme » peut englober des pans entiers de la gauche classique[57].
Il est Ă©galement critiquĂ© du fait de sa polysĂ©mie, son utilisation croissante et de plus en plus importante l'ayant parfois Ă©loignĂ© de son sens originel. Ainsi, Pierre-AndrĂ© Taguieff estime, en 2016, que « le sens devient de plus en plus vague Ă mesure quâil devient un terme polĂ©mique[3] ».
« Comment se saisir de lâislamo-gauchisme, un terme sur lequel personne ne sâaccorde, que personne ne revendique et qui, pourtant, a pris une place de choix dans le dĂ©bat public ? », s'interroge la journaliste Valentine Faure[27].
Vacuité du terme
D'autres auteurs vont plus loin, en affirmant la vacuitĂ© du terme. Selon Olivier Christin, l'islamo-gauchisme appartient Ă ces expressions dont les « usages montent en flĂšche mais [qui] subissent une usure accĂ©lĂ©rĂ©e. Ils vieillissent terriblement vite ! » Des mots qui, selon LibĂ©ration, appartiennent Ă la novlangue. Olivier Christin estime que cette prolifĂ©ration de termes dans la langue politique peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e « comme un signe de sa vacuitĂ© », mais Ă©galement comme « un indicateur de la vitalitĂ© dĂ©mocratique du pays »[58].
Pascal Boniface est Ă©galement critique sur l'usage du terme : « LâoriginalitĂ© du concept pourrait plaider en sa faveur, mais câest en rĂ©alitĂ© un non-sens, comme lâĂ©taient par le passĂ© les expressions « hitlĂ©ro-trotskistes » ou « judĂ©o-bolcheviques ». Elles aussi se voulaient disqualifiantes. Elles aussi ne reposaient que sur des fantasmes[3]. ».
Arme idéologique
Enfin, le terme est parfois considĂ©rĂ© comme « une arme idĂ©ologique utilisĂ©e dans un discours hostile pour discrĂ©diter une communautĂ© politique indĂ©pendamment de la rĂ©alitĂ© quâil est supposĂ© dĂ©signer. »[2]
Selon Shlomo Sand, qui compte parmi les nouveaux historiens israĂ©liens, le terme, stigmatisant, est « une formule qui permet de faire diversion », dans la mesure oĂč « lâĂ©tat de crise permanent du capitalisme, et lâĂ©branlement de la culture nationale, consĂ©cutif Ă la mondialisation, ont incitĂ© Ă la quĂȘte fĂ©brile de nouveaux coupables. ». Dans son usage rhĂ©torique, l'historien Ă©tablit Ă©galement un lien avec l'emploi du « judĂ©o-bolchevisme » des annĂ©es 1930 â une « symbiose propagandiste [qui] sâavĂ©ra trĂšs efficace »[19].
Pour David Chavalarias (CNRS), la popularisation du terme profiterait avant tout Ă l'alt-right française dans sa stratĂ©gie de « [crĂ©ation] d'une nouvelle catĂ©gorie dans lâimaginaire collectif, passage obligĂ© pour faire accepter de nouveaux rĂ©cits de rĂ©fĂ©rence et pour façonner de maniĂšre durable de nouvelles reprĂ©sentations, croyances et valeurs ». Le directeur de recherche considĂšre qu'il existe un « parallĂšle quasi parfait entre la stratĂ©gie de lâalt-right amĂ©ricaine et celle qui sous-tend la promotion de la notion dâ« islamo-gauchisme » depuis 2016 ». L'objectif â connu et documentĂ© par la recherche en psychologie sociale, sociologie et sciences politiques â est de rendre crĂ©dible la prĂ©sence « dâun ennemi de lâintĂ©rieur qui pilote nos Ă©lites et fait alliance avec des ennemis de lâextĂ©rieur (non-blancs) », la lĂ©gitimation et la promotion du concept d'islamo-gauchisme favorise la perte de confiance dans les institutions dĂ©mocratiques jusqu'à « faire perdre tout repĂšre. » Cette stratĂ©gie a dĂ©jĂ , selon l'auteur, favorisĂ© « les mandatures de Donald Trump aux Ătats-Unis et de Bolsonaro au BrĂ©sil »[2].
Refus du débat par la stigmatisation
De nombreux journalistes, personnalités politiques ou chercheurs ont dénoncé l'usage stigmatisant de ce néologisme.
Edwy Plenel, « réguliÚrement présenté comme un « islamo-gauchiste » » selon L'Obs[59], considÚre que c'est « une expression valise qui sert simplement à refuser le débat et à stigmatiser[3]. »
En , les journalistes Sonya Faure et Frantz Durupt notent « « islamo-gauchiste » : le mot nâest pas nouveau, mais il revient rĂ©guliĂšrement dans les discours des dĂ©fenseurs dâune laĂŻcitĂ© parfois qualifiĂ©e de « combat », qui revendiquent un « parler vrai » sur lâislam et lâislamisme », et qui se voient, pour cette raison, parfois accusĂ©s d'islamophobie. En rĂ©ponse Ă cette qualification, un « procĂšs en islamo-gauchisme » est renvoyĂ© aux accusateurs â les deux termes allant souvent de pair dans ces dĂ©bats[3].
Le site Acrimed considÚre que sous ce terme aurait lieu « une chasse aux sorciÚres médiatique », le terme étant « un vocable épouvantail » utilisé pour discréditer les personnes et mouvements politiques incriminés[60].
D'autres personnalités politiques de gauche, comme Clémentine Autain, revendiquent l'appellation et la rapprochent de l'intersectionnalité des luttes : pour elle, la gauche est légitime à se battre « contre le rejet des musulmans en France[3]. »
Islamo-droitisme
Le politologue Pierre-AndrĂ© Taguieff dĂ©finit l'islamo-droitisme comme une association idĂ©ologique rassemblant deux mouvements politiques, l'un d'extrĂȘme droite et l'autre se rĂ©clamant de l'islam radical, la cause commune Ă©tant l'antisĂ©mitisme. Un exemple historique d'une telle alliance est le rapprochement, Ă partir de 1933, entre les nazis et les nationalistes palestiniens reprĂ©sentĂ©s par Mohammed Amin al-Husseini, mufti de JĂ©rusalem[61]. Cette alliance de nationalistes radicaux et de musulmans islamistes sous la banniĂšre commune de l'antisĂ©mitisme s'est Ă©galement retrouvĂ©e dans le bref mouvement crĂ©Ă© par Alain Soral et DieudonnĂ©, proche d'influenceurs islamistes comme Camel Bechikh et Albert Ali[62].
En France, au cours de la campagne prĂ©sidentielle de 2022, des soutiens du candidat Ăric Zemmour accusent d'« islamo-droitisme » ValĂ©rie PĂ©cresse, la candidate Les RĂ©publicains, et son entourage. Ils prĂ©tendent ainsi dĂ©noncer une hypocrisie qui consisterait Ă adopter une posture d'intransigeance face Ă l'islamisme, tout en pratiquant un clientĂ©lisme en faveur de personnalitĂ©s liĂ©es Ă la mouvance islamiste[63] - [64].
Dans la littérature
Dans son roman Soumission de 2015, Michel Houellebecq fait décrire par Robert Rediger, le personnage de fiction converti à l'islam et professeur d'université devenu homme politique, l'islamo-gauchisme comme « une tentative désespérée de marxistes décomposés, pourrissants, en état de mort clinique, pour se hisser hors des poubelles de l'histoire en s'accrochant aux forces montantes de l'islam »[65] - [66].
Notes et références
- « « Islamo-gauchisme » : le mot qui hystérise le débat en France », sur RTBF Info, (consulté le ).
- David Chavalarias, « « Islamogauchisme » : Le piĂšge de lâAlt-right se referme sur la Macronie », sur politoscope.org, (consultĂ© le ).
- Sonya Faure et Frantz Durupt, « Islamo-gauchisme, aux origines d'une expression médiatique », Libération, (consulté le ).
- « « Islamo-gauchisme » : quand ce terme est-il apparu pour la premiÚre fois ? », sur CNEWS (consulté le ).
- « Qu'est ce que cet "islamo-gauchisme" dont le camp Valls accuse Hamon ? », sur France 24, (consulté le )
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Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
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