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Propagande durant la guerre civile syrienne

Depuis le soulÚvement populaire de 2011, l'évolution de ce soulÚvement en révolution, puis la transformation du conflit en guerre civile et en guerre par procuration, le conflit syrien est devenu, grùce notamment à une pléthore de vidéos tournées sur place et de photos, le conflit le plus documenté de l'histoire[1] - [2] - [3] - [4] - [5] - [6]. ParallÚlement pourtant, les narrations de propagande ont souvent pris le pas sur les faits documentés[7], tant sur le plan politique et diplomatique (la désinformation est parvenue jusqu'au siÚge de l'ONU[8]) que sur l'opinion publique.

Pour Bachar el-Assad, il s'agit de minimiser voire nier le soulĂšvement populaire et les manifestations, pacifiques et unitaires, pour pouvoir y substituer une autre narration, affirmant qu'il s'agit de groupes minoritaires, armĂ©s, terroristes, et ainsi justifier la rĂ©pression sanglante de l'armĂ©e. Le rĂ©gime avance la thĂ©orie d'un complot international menĂ© de l'Ă©tranger contre la Syrie. Les communications, via les rĂ©seaux sociaux, et l'accĂšs de journalistes Ă©trangers ont rapidement Ă©tĂ© trĂšs compliquĂ©s, en particulier par le rĂ©gime. Les organisations et activistes syriens qui se sont organisĂ©s pour documenter les crimes de guerre ont rĂ©guliĂšrement Ă©tĂ© accusĂ©s de mentir, de n'ĂȘtre pas crĂ©dibles ou partiaux, et ont parfois Ă©tĂ© victimes de machination de propagande relevant de complots et visant Ă  lĂ©gitimer les attaques contre eux[9] - [10] - [11] - [12] - [13] - [14].

Le rĂ©seau de dĂ©sinformation s'est transformĂ© et a bĂ©nĂ©ficiĂ© de davantage de moyens et de nombreux relais lorsque la Russie, qui parle ouvertement de « guerre de l'information », est intervenue dans le conflit, et par intermĂ©diaires de relais extĂ©rieurs[15] - [16] - [17]. Pour Garance Le Caisne, journaliste qui suit la situation depuis 2011, c'est un conflit en cours « oĂč il y a dĂ©jĂ  du rĂ©visionnisme »[18]. Les attaques aĂ©riennes contre les populations et infrastructures civiles, documentĂ©es et qualifiĂ©es de crimes de guerre et crimes contre l'humanitĂ© par l'ONU, sont niĂ©es par les responsables russes et syriens, qui ne parlent que de « guerre contre le terrorisme ».

Les autres acteurs du conflit, et notamment l’État islamique, ont Ă©galement utilisĂ© des images et films de propagande, y compris pour attirer la sympathie, recruter des combattants ou pour terroriser l'opinion publique, notamment Ă  l'Ă©tranger.

RĂ©gime syrien

Pour Michel Touma, rĂ©dacteur en chef du quotidien L’Orient-Le Jour[19], « le pouvoir de Bachar el-Assad est passĂ© maĂźtre dans l’art de la manipulation et de la dĂ©sinformation »[20]. Le journaliste Christophe Ayad, dans un article intitulĂ© « La propagande et la guerre de l’information ont tenu une place essentielle dans la bataille d’Alep » Ă©crit que « la propagande et la dĂ©sinformation permanente des forces pro-Assad a dĂ©sorientĂ© les opinions publiques occidentales et paralysĂ© leurs gouvernants ». Il ajoute : « si les guerres ont toujours mis en branle l’affrontement de deux narrations, jamais comme Ă  Alep on n’a assistĂ© Ă  une telle transformation des victimes en bourreaux, des sauveteurs en terroristes, et des massacreurs en libĂ©rateurs. Autre spĂ©cificitĂ© de la bataille d’Alep : alors qu’en gĂ©nĂ©ral, dans l’histoire de la guerre, le camp du vainqueur sur le champ de bataille impose a posteriori son rĂ©cit, la propagande du camp des forces pro-rĂ©gime, dans le cas d’Alep, s’est imposĂ©e avant mĂȘme leur victoire sur le terrain »[15].

Pour la BBC, la propagande (ainsi que la violence et la force du clan), est intrinsÚque au régime Assad[21].

Pour la journaliste syrienne Yara Bader, Ă©galement militante pour la libertĂ© d'expression, le rĂ©gime a une vĂ©ritable stratĂ©gie de dĂ©sinformation qui vise Ă  semer le trouble par rapports aux faits, dĂ©stabilisant les journalistes eux-mĂȘmes « aujourd’hui, Ă  l’époque des tĂ©lĂ©communications et des rĂ©seaux sociaux, les autoritĂ©s utilisent la stratĂ©gie du « chaos de l’information » qui crĂ©Ă© un brouillard Ă©pais privant les journalistes d’une vision claire, objective des Ă©vĂšnements. »[22].

Marie Peltier, chercheuse et historienne, spĂ©cialiste de la propagande en Syrie explique « Assad a eu l'intelligence politique d'appuyer sur deux «boutons» sĂ©mantiques : la posture anti-impĂ©rialiste (rĂ©sistance Ă  IsraĂ«l et aux États-Unis) et la posture civilisationnelle («rempart contre l’islamisme», protecteur des minoritĂ©s). DĂšs 2011, le rĂ©gime syrien a utilisĂ© ces deux registres pour fĂ©dĂ©rer largement »[23].

Pour Farouk Mardam-Bey, ces différentes postures affichées d'anti-impérialisme pour la gauche, de laïcité pour la droite, a réussi à toucher l'opinion mondiale et permis le « négationnisme des massacres » commis par le régime[24].

Cette propagande a bĂ©nĂ©ficiĂ© du relai de diffĂ©rents rĂ©seaux Ă  l'Ă©tranger dont une coalition de la droite dure amĂ©ricaine, d’anti-impĂ©rialistes europĂ©ens et de mouvements chrĂ©tiens[25].

Nier l'importance voire l'existence mĂȘme du soulĂšvement populaire de 2011

Pour Delphine Minoui, le régime de Bachar el-Assad « s'applique à effacer toute trace de la révolution pacifique du printemps 2011 »[11].

À Deraa, ville oĂč dĂ©butent les premiĂšres manifestations, un blocus est rapidement organisĂ©, les communications et l'accĂšs sont coupĂ©s[26]. DĂšs , Bachar El-Assad crĂ©e une cellule centrale de gestion de crise pour discuter des stratĂ©gies Ă  mettre en Ɠuvre afin d’écraser la contestation, recommandant les actions les plus cruelles (tortures et assassinats systĂ©matiques contre les opposants)[27] - [28]. Le rĂ©gime syrien affirme pourtant dĂšs le mois d'avril que les appels Ă  la libertĂ© et la dĂ©nonciation de la corruption sont la mainmise des islamistes, bien que manifestants, opposants pacifistes et ONG le dĂ©mentent[29] - [26] - [30] - [31].

La révolution syrienne, massive, nationale, et commencée de maniÚre pacifique, sans clivage religieux ni ethnique, n'est pas reconnue par le gouvernement[32] - [33]. Des thÚses conspirationnistes à l'étranger reprennent ce discours et nient également l'existence de la révolution populaire, d'autres ne la nient pas totalement mais minimisent son importance[23].

En effet, trĂšs tĂŽt, le gouvernement prĂ©sente la fronde comme un complot sectaire, purement sunnite, et tente de discrĂ©diter le mouvement. Et cela, malgrĂ© le fait que les manifestations Ă  Homs « capitale de la RĂ©volution », sont menĂ©es par des icĂŽnes populaires telles que Abdel Basset Sarout, jeune footballeur de confession sunnite en duo avec Fadwa Souleimane, actrice de confession alaouite. Tous deux appellent Ă  un mouvement pacifique et populaire pour la libertĂ© et tentent de contrer la propagande d’État, avec le soutien de leur ami Bassel Shehadeh, jeune rĂ©alisateur de confession chrĂ©tienne[34].

Les activistes pacifiques de la RĂ©volution syrienne sont souvent oubliĂ©s et abandonnĂ©s dans le rĂ©cit des Ă©vĂšnements[35]. Ils sont Ă©galement les toutes premiĂšres victimes du conflit, arrĂȘtĂ©s et tuĂ©s par le rĂ©gime, car ils reprĂ©sentent le principal ennemi et la principale cible du rĂ©gime, selon Catherine Coquio[36], et deviennent ensuite Ă©galement les cibles d'enlĂšvements et assassinats de groupes armĂ©s jihadistes[37]. Leur voix ne se fait plus beaucoup entendre aprĂšs que le combat pour la libertĂ© se transforme en conflit armĂ©, ou elle n'est pas relayĂ©e[38]. Pour le diplomate Wladimir Glasman, le recours aux armes est une tentation de certains syriens, « uniquement avides de libertĂ© et de dignitĂ© mais trop longtemps exposĂ©s dans l’indiffĂ©rence internationale aux balles des militaires, aux tortures des moukhabarat et aux exactions des chabbiha »[39] - [40].

Waad al-Kateab, rĂ©alisatrice syrienne, affirme : « DĂšs la premiĂšre minute de la rĂ©volution, le rĂ©gime nous a accusĂ©s d'ĂȘtre des terroristes, et ils ont continuĂ© leurs mensonges jusqu'Ă  ce que des gens les croient ». À propos de son film documentaire Pour Sama, tournĂ© Ă  Alep, elle dĂ©clare : « Ce que ce film (...) [fait] c'est concurrencer ce narratif du rĂ©gime et de la Russie. Je veux permettre aux spectateurs d'aller Ă  Alep, de vivre ce qu'on a vĂ©cu, de comprendre ce pour quoi nous avons risquĂ© nos vies »[10].

Théorie du « complot étranger »

Le Centre syrien pour la justice et la responsabilisation (SJAC) a rĂ©uni des documents officiels classifiĂ©s ayant Ă©tĂ© abandonnĂ©s par les services de renseignement et l’armĂ©e syrienne pendant le conflit[41]. L'analyse de ces documents a servi de base au rapport « Les murs ont des oreilles » qui conclut notamment Ă  une surveillance des dissidents et mise sur Ă©coute trĂšs large, mais Ă©galement que des consignes Ă©taient donnĂ©es pour « Ă©duquer le public et les agents du renseignement » Ă  propos d'un « complot international contre la Syrie »[42].

Selon Nicolas Hénin, Bouthaina Chaabane, chargée de la communication du régime, essaye de distiller l'idée d'un complot contre la laïcité dans le monde arabe[43].

Des e-mails entre Fawas Akhras, pÚre d'Asma el-Assad et son gendre, Bachar el-Assad, interceptés par un groupe d'opposition syrienne révÚlent que trÚs tÎt, l'idée de nier les crimes commis par le régime, tels que la répression et la torture, malgré les images qui sont diffusées, va de pair avec le fait d'accuser d'autres gouvernements de faire circuler ces images de violence et de corps torturés[44].

D'autres thĂšses, parfois conspirationnistes[note 1], ont Ă©tĂ© Ă©voquĂ©es comme raisons au conflit, tel le projet d'un gazoduc et d'intĂ©rĂȘts Ă©trangers liĂ©s Ă  ce projet, reprise notamment par Jean-Luc MĂ©lenchon[45]. Pour l'observatoire du conspirationnisme Conspiracy Watch, « Cette thĂšse en dit plus sur les carences cognitives de ses dĂ©fenseurs que sur la rĂ©alitĂ© des faits. »[45]. Les dĂ©codeurs indiquent qu'aucun gazoduc ne passait par la Syrie, qu'il ne s'agissait que de projets, et que le projet de gazoduc du Qatar comportait une autre option : un deuxiĂšme tracĂ© ne passant pas par la Syrie mais par l'Irak. Ils rappellent Ă©galement « que l’ampleur sans prĂ©cĂ©dent de la contestation et du nombre de victimes en Syrie depuis six ans – 465 000 morts et disparus – ne peut pas s’expliquer par une tentative de dĂ©stabilisation », et rappellent l'origine des contestations : « L’étincelle, c’est l’arrestation et la torture des jeunes qui avaient Ă©crit sur un mur, fin , dans la foulĂ©e de la chute de l’Egyptien Hosni Moubarak, le slogan potache « Ton tour arrive, docteur » – Bachar Al-Assad est ophtalmologiste de formation. DĂšs lors, les manifestations pacifiques dĂ©marrent dans tout le pays sur le terreau de trente ans de dictature d’Hafez Al-Assad, puis onze de son fils Bachar. Ces manifestations se transformeront en guerre civile Ă  l’automne 2011, avec au fur et Ă  mesure l’intrusion des islamistes sur le champ de bataille, qui profitent de la situation »[46].

Un autre exemple de thĂ©orie du complot est diffusĂ© sur les rĂ©seaux sociaux, indiquant que la Syrie serait l'un des rares pays (les autres pays citĂ©s Ă©tant au centre de conflits ou tensions avec l'occident ou les États-Unis) Ă  n'avoir pas de « banque centrale Rothschild », thĂ©orie dĂ©mentie par CheckNews[47].

L'historienne Marie Peltier et le journaliste Antoine Hasday font le rapprochement entre l'argumentaire du discours de propagande conspirationniste Ă  propos de la Syrie et le nĂ©gationnisme de l’Holocauste. « PremiĂšrement, les postulats de dĂ©part priment sur la rĂ©alitĂ© des faits. Dans le cas de la Syrie, ils sont les suivants : il n’y a pas de rĂ©volution syrienne mais un complot fomentĂ© depuis l’étranger, les rebelles sont tous des extrĂ©mistes, le rĂ©gime syrien est un rempart laĂŻque contre les islamistes et le protecteur des minoritĂ©s, le rĂ©gime syrien n’a pas commis d’attaques chimiques, les pires atrocitĂ©s n’ont pas Ă©tĂ© perpĂ©trĂ©es par le rĂ©gime syrien mais par les rebelles, le rĂ©gime syrien et ses alliĂ©s n’ont pas commis de crimes de guerre (ou alors involontairement). Bien sĂ»r, des concessions peuvent ĂȘtre faites : il y a eu une rĂ©volution mais elle n'a pas durĂ©, le rĂ©gime Assad est brutal mais c'est la guerre... Ce discours tournĂ© vers l’extĂ©rieur rĂ©Ă©crit donc l’histoire dans un but politique : dĂ©fendre le rĂ©gime syrien et/ou s’opposer Ă  toute action internationale contre celui-ci. »[23]

MĂ©dias syriens

DĂšs les prĂ©mices de la rĂ©volte, le rĂ©gime se place en victime d'une conspiration organisĂ©e de l'Ă©tranger par les « ennemis de la Syrie » parmi lesquels le Qatar, les États-Unis et IsraĂ«l arriveraient en tĂȘte. De nombreux mĂ©dias syriens diffusent alors la rhĂ©torique du gouvernement, comme Al-Dounia, une chaĂźne de tĂ©lĂ©vision privĂ©e syrienne, financĂ©e par des hommes d'affaires proches du rĂ©gime de Bachar el-Assad, dont Rami Makhlouf, responsable d'Al-Dounia et cousin de Bachar el-Assad. Elle a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e en 2007, dans un contexte de « libĂ©ralisation » de l'information en Syrie, « une manƓuvre en trompe-l'Ɠil, prĂ©texte Ă  l'enrichissement d'une coterie d'obligĂ©s » d'aprĂšs le journaliste Benjamin Barthe[48]. Adoptant une allure moderne et dotĂ©e de riches moyens par rapport aux mĂ©dias d'État, elle se veut « la voix des gens et l’image de la vie » et adopte avec beaucoup d'efficacitĂ© le rĂŽle de diffuseur de la propagande du pouvoir en place Ă  Damas. Aussi, selon Benjamin Barthe, « les programmes d'Al-Dounia flattent la nostalgie d'une Syrie de carte postale, avec son islam traditionnel, ses rites chrĂ©tiens immuables, son identitĂ© arabe enracinĂ©e ».

Ainsi, d'aprĂšs LibĂ©ration, Al-Dounia, « en interrogeant des citoyens syriens ordinaires dans les rues ou des comĂ©diens et sportifs populaires en studio, la chaĂźne fait dire Ă  ses invitĂ©s combien ils sont satisfaits des autoritĂ©s qui luttent officiellement contre des « groupes terroristes venus de l’étranger » ». Selon la journaliste Hala Kodmani, envoyĂ©e spĂ©ciale dans la capitale syrienne, Al-Dounia TV s'attĂšle Ă  « mettre en scĂšne l’ignorance et la confusion des citoyens ».

Selon Yaha Bader, journaliste syrienne et dĂ©fenseure de la libertĂ© d'expression, les autoritĂ©s syriennes « utilisent la stratĂ©gie du « chaos de l’information » qui crĂ©Ă© un brouillard Ă©pais privant les journalistes d’une vision claire, objective des Ă©vĂšnements »[49].

Pour les besoins de sa propagande, le rĂ©gime adapte et alimente la thĂ©orie d'un « complot » Ă  l'encontre de la Syrie ; et, comme pour justifier la rĂ©pression, les responsables de la « grande conspiration » Ă  l'encontre du pays se sont « multipliĂ©s et diversifiĂ©s ». « Il faudrait qu’ils se dĂ©cident sur qui est responsable », ironise Omar, un jeune diplĂŽmĂ© au chĂŽmage attentif Ă  la couverture des Ă©vĂ©nements citĂ© par le journal LibĂ©ration ; il explique que les mĂ©dias syriens « ont commencĂ© par accuser les exilĂ©s Abdel Halim Khaddam et Rifaat al-Assad [respectivement ancien vice-prĂ©sident et oncle de Bachar al-Assad, ndlr], puis Saad Hariri [leader sunnite libanais, fils de l’ex-Premier ministre Rafiq Hariri, assassinĂ© en fĂ©vrier 2005, ndlr], soutenu par les Saoudiens. Puis ce fut au tour des salafistes venus d’Irak, mais aussi bien sĂ»r des IsraĂ©liens et des AmĂ©ricains opposĂ©s Ă  la politique nationaliste de la Syrie. Que d’ennemis nous avons ! » conclut-il.

Comme preuves du « complot », des saisies d'armes sont diffusĂ©es sur les chaĂźnes de tĂ©lĂ©vision, ainsi que les aveux de « terroristes ». Les aveux forcĂ©s, sous la contrainte, la torture ou la menace, ainsi que le recours aux tĂ©moignages falsifiĂ©s, sont rĂ©guliĂšrement employĂ©s par le rĂ©gime : on exige par exemple de militants pacifistes qu'ils disent, devant les camĂ©ras des mĂ©dias du rĂ©gime, que les manifestations sont truquĂ©es et qu'ils regrettent leurs actions[36]. Aussi, d'aprĂšs la propagande du pouvoir ceux qui tirent sur les manifestants seraient des « hommes armĂ©s venus de l’étranger ». Des victimes de rĂ©pression gouvernementale sont prĂ©sentĂ©es comme des innocents tuĂ©s par des terroristes Ă  la tĂ©lĂ©vision[50]. En mĂȘme temps, les mĂ©dias syriens dĂ©dient la majoritĂ© de leurs programmes au dĂ©menti des diffĂ©rents tĂ©moignages et vidĂ©os transmis par les chaines arabes, comme Al Jazeera, mais aussi par France 24 et la BBC. Une vidĂ©o montrant par exemple des opposants Ă  el-Assad piĂ©tinĂ©s par les forces de sĂ©curitĂ© est de cette façon dĂ©savouĂ©e, les mĂ©dias syriens accusant des « peshmergas en Irak » d'en ĂȘtre responsables[51].

De mĂȘme, sur Al-Dounia, les manifestants et membres de l'ArmĂ©e syrienne libre sont insultĂ©s de « bĂątards » et « clochards », ils sont dĂ©signĂ©s comme Ă©tant sous les ordres des monarchies du Golfe et d'IsraĂ«l. Sur la chaĂźne, des « pseudo-analystes appointĂ©s par le rĂ©gime se succĂšdent dans ses studios », l'un d'eux, Taleb Ibrahim, a mĂȘme « hissĂ© au rang de « devoir patriotique » le fait de « tuer » les insurgĂ©s ». Dans le cadre des sanctions de Bruxelles visant le rĂ©gime baasiste, la chaĂźne n'est plus disponible dans les bouquets satellites europĂ©ens[48].

Les opposants sont présentés de maniÚre différentes via la propagande du régime, que ce que les journalistes vivent sur place, selon Edith Bouvier[52].

Dans le mĂȘme temps, le rĂ©gime veut au contraire montrer que Bachar el-Assad est populaire en Syrie, et organise des manifestations pro-rĂ©gime Ă  travers la pays, oĂč de nombreuses personnes se rendent sous la menace ou par obligation, dont les fonctionnaires et Ă©tudiants[53]. Mariam Hayed tĂ©moigne : « les portes de la citĂ© universitaire Ă©taient alors verrouillĂ©es et on nous rassemblait. La prĂ©sidente de notre rĂ©sidence venait avec des filles armĂ©es de bĂątons. Elles frappaient aux portes de nos chambres. Si nous refusions d'obtempĂ©rer, elles menaçaient de nous renvoyer de l'universitĂ© et de sanctionner celles qui se cacheraient »[36].

D'aprÚs Bouthaina Shaaban, conseillÚre du président syrien, « seuls les médias syriens peuvent rapporter ce qui se passe réellement dans le pays » ; dans cette volonté, toute entrée sur le territoire syrien de journalistes et témoins étrangers est alors prohibée par le régime[51].

Bannissement et ciblage de journalistes

Selon le ComitĂ© pour la protection des journalistes, 134 journalistes sont tuĂ©s en Syrie entre 2011 et 2019, dont 22 assassinĂ©s[54]. Reporters sans frontiĂšres affirme que c'est le pays le plus dangereux et le plus meurtrier pour la profession[12], et dĂ©nonce, dans une pĂ©tition, que « depuis le dĂ©but du soulĂšvement populaire syrien mi-, une rĂ©pression extrĂȘmement violente s’est abattue en Syrie contre les manifestants demandant des rĂ©formes dĂ©mocratiques. Une vĂ©ritable chasse aux citoyens-journalistes et professionnels de l’information a Ă©tĂ© lancĂ©e. SystĂ©matique et redoutable. Bachar Al-Assad, prĂ©dateur de la libertĂ© de la presse, impose un black-out total de l’information. TuĂ©s par balle, abattus par des tireurs embusquĂ©s, emprisonnĂ©s, blessĂ©s par l’explosion d’obus, victimes de tirs de chars, de bombardements aĂ©riens, d’assassinats ciblĂ©s
 les journalistes, citoyens-journalistes, blogueurs et net-citoyens, tĂ©moins qui dĂ©noncent la barbarie du rĂ©gime, sont une des cibles de la rĂ©pression. À ce jour, une trentaine d’entre eux croupissent dans les geĂŽles syriennes, victimes de tortures. Une quarantaine ont payĂ© de leur vie leur combat pour que l’information circule. Gilles Jacquier, RĂ©mi Ochlik, Marie Colvin, Bassel Shehadeh, Salim Qabbani, Suhaib Dib, Ahmed Hamada, Ali Chaabane et tant d’autres de leurs confrĂšres : la liste des victimes s’allonge chaque jour. »[55]

Le Centre syrien pour les mĂ©dias et la libertĂ© d'expression, Ă©tabli en 2004 par Mazen Darwish et qui opĂšre en secret, est l'objet d'une descente par des hommes qui appartiendraient au service de renseignement de l'armĂ©e de l'air syrienne. Quinze autres journalistes et militants pour la libertĂ© d'expression sont arrĂȘtĂ©s le mĂȘme jour, dont la blogueuse Razan Ghazzawi et l'Ă©pouse de Mazen Darwish, la journaliste Yara Bader. Celle-ci, Razan Ghazzzawi, Hanadi Zahlout, Sanaa Zitani, Mayadah al-Khalil, Joan Farso, Ayham Ghazzoul, et Bassam al-Ahmad sont libĂ©rĂ©s en mai et doivent comparaĂźtre le pour « possession de publications interdites ». Cependant, Mazen Darwish, le blogueur Hussein Ghrer et 3 autres membres du Centre syrien pour les mĂ©dias et la libertĂ© d'expression sont victimes de disparitions forcĂ©es et ne seront libĂ©rĂ©s qu'en 2015, sous la pression de nombreuses associations de dĂ©fense des droits et de la diplomatie, le gouvernement syrien Ă©voque une amnistie[56] - [13] - [57] - [58] - [59] - [60].

DĂšs le dĂ©but du soulĂšvement populaire au printemps 2011, des journalistes et journalistes-citoyens syriens sont arrĂȘtĂ©s par les services de sĂ©curitĂ©, certains sont victimes de disparition forcĂ©e, emprisonnĂ©s et gĂ©nĂ©ralement torturĂ©s, avant d'ĂȘtre parfois relĂąchĂ©s, comme Rami Jarrah ou Karam al-Masri[61], d'autres sont assassinĂ©s par les services de renseignements, chez eux comme Mosaab al-Obdaallah[62], ou tuĂ©s sous la torture, comme Ferzat Jarban[63] - [64] - [65], et d'autres encore sont abattus par les forces chargĂ©es de la rĂ©pression des manifestants, comme Basil al-Sayed[66]. Les journalistes et militants des droits humains qui documentent les manifestations et les exactions sont fichĂ©s par les services de renseignement, rĂ©guliĂšrement convoquĂ©s et interrogĂ©s, leurs proches sont rĂ©guliĂšrement interrogĂ©s, et beaucoup doivent se cacher, vivre dans la clandestinitĂ©, passer dans des zones rebelles ou fuir le pays[67] - [68].

Refus de visas

DĂšs 2011, les journalistes Ă©trangers sont largement interdits d'entrĂ©e sur le territoire syrien par le rĂ©gime[69] - [70] - [51] - [50] - [71]. Selon Slate, l'attitude du rĂ©gime syrien vis-Ă -vis des journalistes Ă©trangers a changĂ© au fil du temps. Tout d'abord, le rĂ©gime est hostile Ă  leur venue, les manifestations pacifiques avec femmes et enfants ne correspondant pas au narratif gouvernemental sur le terrorisme menaçant la suretĂ© de l'Ă©tat. Sofia Amara Ă©voque un « blocus mĂ©diatique ». Elle entre en Syrie sous une fausse identitĂ©, car elle est fichĂ©e par les services de renseignements, et cache son mĂ©tier et son matĂ©riel de journalisme[71]. Puis, selon Slate, tout bascule pendant l'Ă©tĂ© 2013, aprĂšs que l'État islamique a pris des journalistes occidentaux en otage. Les rĂ©dactions n'envoient alors des journalistes que dans les zones contrĂŽlĂ©es par le rĂ©gime. Ce dernier attribue les visas « au compte-goutte » suivant une logique politique. Lorsque les amĂ©ricains se mettent Ă  effectuer des bombardements en Syrie en 2014, tout visa est refusĂ© aux journalistes amĂ©ricains. Inversement, lorsque la France subit des attentats en 2015, le rĂ©gime autorise les journalistes français Ă  venir en Syrie, espĂ©rant leur montrer qu'il lutte contre l'État islamique. Selon Slate l'obtention d'un visa « dĂ©pend de la personnalitĂ© du journaliste, de son expĂ©rience du terrain syrien, de son wasta, ses contacts Ă  Damas
 et de ses positions vis-Ă -vis du rĂ©gime syrien »[72]. D'aprĂšs L'Orient-Le Jour, le rĂ©gime trie sur le volet les journalistes qui seront susceptibles de « faire le job demandĂ© »[73]. Selon Newsweek, les journalistes qui parviennent Ă  obtenir un visa se voient assigner des agents de surveillances gouvernementaux et travaillent en sachant qu'ils ne pourront pas revenir en Syrie s'ils Ă©crivent quelque chose de nĂ©gatif[74]. Edith Bouvier regrette de ne pouvoir se rendre du cĂŽtĂ© du rĂ©gime : « [aller] sur le terrain des deux cĂŽtĂ©s, c’est formidable, j'adorerais pouvoir le faire »[73].

DĂšs 2011, obtenir un visa pour couvrir le conflit en Syrie est trĂšs compliquĂ© pour les journalistes Ă©trangers, voire impossible, exceptĂ© pour les voyages de presse organisĂ©s et encadrĂ©s par le rĂ©gime[75] - [9] - [50] - [71]; selon Le Monde « la quasi-totalitĂ© de la presse internationale se voit refuser des visas »[76]. Selon le reporter de guerre Patrick Chauvel, « les autoritĂ©s syriennes ne veulent pas que des images sortent du pays, alors ils n'hĂ©sitent pas Ă  arrĂȘter les journalistes, Ă  les torturer, voire Ă  les exĂ©cuter »[77]. Selon l'AFP, en 2012, « un avenir sombre attend a priori tout journaliste infiltrĂ© arrĂȘtĂ© par des forces loyalistes qui torturent, mitraillent et bombardent sans discernement ». Les journalistes doivent utiliser de nombreux subterfuges, se dĂ©barrasser de leurs tĂ©lĂ©phones portables, utiliser des VPN[71], utiliser de longs cĂąbles lorsqu'ils communiquent avec des antennes Bgan (internet satellitaire), car le rĂ©gime repĂšre ce type de signal et tire des obus Ă  l'emplacement d'oĂč il provient. Pour la mĂȘme raison, l'emploi des tĂ©lĂ©phones satellitaires ne doit pas dĂ©passer une minute par jour[75]. D'aprĂšs le journaliste Robert Young Pelton, la Russie, fournisseur d'armes du rĂ©gime syrien, « a appris Ă  la Syrie » : « Lorsque vous dĂ©truisez une ville, assurez-vous que personne - pas mĂȘme l'Histoire - n'en sorte vivant »[75]. Selon le journaliste Patrick Vallelian, assassiner Gilles Jacquier est une opĂ©ration qui permet au rĂ©gime syrien d'envoyer un message aux rĂ©dactions que les journalistes, mĂȘme avec des visas officiels, sont en danger, et en mĂȘme temps, de discrĂ©diter les combattants rebelles[78].

Certains journalistes passent donc illĂ©galement dans des zones rebelles, tenues par le PKK ou l'ArmĂ©e syrienne libre pour tenter de couvrir une partie du conflit, y compris au pĂ©ril de leur vie[77]. AprĂšs la mort de Gilles Jacquier, des groupes de l'ASL de Homs ont peur d'ĂȘtre ciblĂ©s par les shabbihas et forces de sĂ©curitĂ© s'ils accueillent des journalistes Ă©trangers Ă  leurs cĂŽtĂ©s[50].

Encadrement des journalistes et reportages

Pour le reporter Jonathan Littell, les rares professionnels qui obtienne un visa de presse sont soigneusement encadrĂ©s et surveillĂ©s, limitĂ©s dans leurs mouvements et leurs possibilitĂ©s de rencontrer des Syriens ordinaires, et ils sont « sujets Ă  toutes sortes de manipulations ou de provocations — parfois meurtriĂšres »[50].

Les journalistes Ă©trangers Ă©voluent soit sous la protection de l'armĂ©e syrienne Ă  laquelle ils sont intĂ©grĂ©s, soit ils sont chaperonnĂ©s par un agent du ministĂšre de l’Information[74], qui influe, selon Slate, « avec plus ou moins de poids selon les journalistes et leur expĂ©rience du terrain syrien », « sur les lieux oĂč ils peuvent aller, les personnes qu’ils peuvent interviewer, etc »[72]. Pour les journalistes Ă©trangers, la seule possibilitĂ© d'accĂ©der Ă  la partie de la Syrie contrĂŽlĂ©e par Assad est donc de participer Ă  des tournĂ©es de presse organisĂ©es par le rĂ©gime et orchestrĂ©e par le ministĂšre russe de l'Information, ce que les journalistes acceptent parfois, comme une rare occasion de voir et montrer ce qui se passe dans le pays, malgrĂ© le risque de relayer la propagande du rĂ©gime[79] - [80] - [81] - [82] - [74] - [83].

En , un reportage de France 2 fait polĂ©mique lors de la reprise de province d’Idlib par le rĂ©gime, qualifiĂ©e par l'ONU comme Ă©tant le thĂ©Ăątre de « la plus horrible des catastrophes humanitaires du XXIe siĂšcle » : « toutes les structures sanitaires et civiles encore opĂ©rantes et la population elle-mĂȘme y compris les camps de rĂ©fugiĂ©s, sont dĂ©libĂ©rĂ©ment visĂ©s par les frappes aĂ©riennes syriennes et russes ». Le travail des journalistes de France TĂ©lĂ©visions, qui ont fait le choix de faire un reportage « embedded », c'est-Ă -dire sous protection de l'armĂ©e syrienne, est fortement critiquĂ© par des spĂ©cialistes du conflit estimant que ces journalistes connaissaient mal le dossier syrien, que leur travail contient des erreurs factuelles, vĂ©hicule la propagande du rĂ©gime, comporte des omissions essentielles concernant notamment le contexte gĂ©nĂ©ral, les « frappes indiscriminĂ©es » de l’aviation russe, les pillages par les soldats du rĂ©gime, etc. Bien que le prĂ©sentateur donne des Ă©lĂ©ments de contexte, les journalistes et experts estiment que le reportage reprend exclusivement le narratif du rĂ©gime. La grand reporter Édith Bouvier suggĂšre que dans le cas d'un reportage « embedded », il faut le prĂ©ciser car « il y a une personne [de l’État] derriĂšre, qui vĂ©rifie et vous cale les rendez-vous. Les gens ne parlent pas de leur plein grĂ© et un traducteur du rĂ©gime est prĂ©sent. Ce ne sont pas des reportages libres. Tout le monde sait qui a parlĂ© Ă  qui et a dit quoi ! Avec un visa du rĂ©gime, [le] journaliste n’est pas libre d’informer. » Les lecteurs et tĂ©lĂ©spectateurs devraient donc, selon elle, ĂȘtre informĂ©s des conditions dans lesquelles le reportage est fait, de mĂȘme que lorsqu'un reportage est tournĂ© aux cĂŽtĂ©s de l'armĂ©e syrienne libre. Le rĂ©dacteur en chef chargĂ© du service Ă©tranger de France TĂ©lĂ©visions, Étienne Leenhardt, rĂ©pond aux critiques point par point, notamment en affirmant qu'« aucune autoritĂ© du rĂ©gime ne nous a dit quoi faire »[73].

Selon Josepha Ivanka Wessels, le meilleur exemple de couverture biaisée du conflit par la propagande est celle du célÚbre journaliste Robert Fisk, qui a pu obtenir de multiples visas grùce au maintien de bonnes relations avec la parte-parole d'Assad et propagandiste Bouthaina Shaaban[84].

Actions de discréditation des observateurs locaux

Le conflit syrien « est le conflit le plus documentĂ© au monde »[2] ou « le plus documentĂ© de l'histoire »[1] - [85]. Les journalistes Ă©trangers ayant dĂ©sertĂ© le conflit, de jeunes reporters-citoyens syriens deviennent les principales sources d'information[86] - [87]. Leurs dĂ©tracteurs affirment parfois que les images et informations transmises peuvent ne pas ĂȘtre neutres et sont invĂ©rifiables, ce que l'AFP dĂ©ment[88]. Pour Garance Le Caisne, dĂšs le dĂ©but, de nombreux syriens veulent tĂ©moigner de ce qu'ils vivent et observent : « En 2011, ils ne se posaient pas la question de savoir si on allait les croire. On leur tirait dessus, des tanks dĂ©barquaient dans les villes, des missiles sol-sol et des barils Ă©taient lancĂ©s sur eux
 Ils voulaient raconter, ils prenaient des vidĂ©os, des photos, naturellement. Et puis, on leur a demandĂ© des preuves. Alors mĂȘme que seul le rĂ©gime avait des avions et les capacitĂ©s de larguer ces barils, d’envoyer de ces missiles ! C’était incroyable, inaudible pour eux. » Les activistes pacifiques se sont donc ensuite formĂ©s et professionnalisĂ©s pour que leurs images et documents soient authentifiables[18]. Le Monde note que les internautes qui rĂ©agissent sur les rĂ©seaux sociaux Ă  ses articles sur la Syrie remettent en cause le travail des journalistes professionnels sur le terrain. Le journal affirme que « certes », il a « des difficultĂ©s Ă  couvrir la situation sur place » comme « tous les autres mĂ©dias », rappelant la mort de journalistes sur le terrain. Mais les « informations remontent malgrĂ© tout, indĂ©pendamment » de celles fournies par « les personnes directement impliquĂ©es dans le conflit ». L'article du Monde, qui date du , cite par exemple le travail de deux journalistes prĂ©sents Ă  Homs pendant plusieurs semaines et qui y « dĂ©crivent des combats et une situation impitoyable »[7].

Les conseils locaux, la sociĂ©tĂ© civile, les secouristes et mĂ©decins situĂ©s en zone rebelle sont Ă©galement des tĂ©moins importants de la vie des civils et de l'impact des conflits et bombardements, de mĂȘme que les organismes et ONG qui recensent les violations aux droits humains grĂące Ă  d'importants rĂ©seaux[89] - [90] - [91] - [92]. Ils sont rĂ©guliĂšrement cibles d'accusations (crĂ©dibilitĂ©, neutralitĂ©...) et d'attaques, mĂȘme si plusieurs sont reconnus pour leurs mĂ©thodes rigoureuses documentant les crimes de l'ensemble des acteurs du conflit[93] - [94] - [95] - [96] - [97].

La dĂ©fense civile syrienne, notamment, fait un important travail de documentation puisque les volontaires ont une camĂ©ra fixĂ©e sur leurs casques. Les Casques blancs sont l'objet d'une intense campagne de propagande, les accusant parfois de jouer des scĂšnes de catastrophes pour filmer, de mimer de fausses attaques chimiques, voire d'ĂȘtre eux-mĂȘmes des terroristes. Ainsi, Bachar el-Assad a justifiĂ© les attaques contre eux en affirmant qu'ils Ă©taient des terroristes et des criminels[98] - [99] - [100] - [101] - [14].

Le journal alternatif Le Média est critiqué pour la mise en doute par leur chroniqueur de la véracité et la possibilité de vérification des images provenant de zones inaccessibles aux journalistes étrangers[6] - [102] - [103], et plusieurs rédactions, journalistes et l'AFP rappellent leur travail de vérification et authentification des informations et images[104] - [88].

NĂ©gation des accusations de crimes

« Les responsables syriens ont affirmĂ© depuis les premiĂšres semaines du soulĂšvement contre le prĂ©sident Bachar el-Assad, en 2011, que toute preuve de rĂ©pression violente par l'État devait ĂȘtre fausse »[105].

Le rĂ©gime de Damas nie longtemps les arrestations et dĂ©cĂšs sous la torture. Des centaines d’opposants, arrĂȘtĂ©s au dĂ©but du soulĂšvement, ont Ă©tĂ© officiellement dĂ©clarĂ©s morts Ă  l'Ă©tĂ© 2018, par la mise Ă  jour de registres d'Ă©tat civil[106]. Des propos privĂ©s, rendus publics, d'une personne accusĂ©e de faire de la propagande pour le rĂ©gime, indiquent sa connaissance de l'utilisation massive de la torture, et son refus d'en parler publiquement[107]. De nombreux tĂ©moignages et enquĂȘtes d'ONG de dĂ©fenses des droits humains indiquent que la torture et le viol systĂ©matiques ont Ă©tĂ© utilisĂ©s depuis 2011 par le rĂ©gime syrien comme armes, faits niĂ©s par Bachar el-Assad et son rĂ©gime[108]'[109]'[110]'[111]'[112]. De mĂȘme pour les attaques contre les populations civiles, l'utilisation d'armes interdites par les conventions internationales, le siĂšge et la famine imposĂ©s aux civils vivant dans des zones tenues par des groupes armĂ©s rebelles et les attaques visant Ă  empĂȘcher l'accĂšs de la population Ă  la mĂ©decine[113]'[114]'[115]'[116]'[117]'[118]'[119].

Les attaques chimiques imputées au régime de Damas par l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) et l'ONU sont toutes niées par les responsables syriens[120]'[121] et russes[122], et ont fait l'objet d'importants efforts de propagande de la part de ces derniers[123]'[124]. Les narratifs de Moscou se contredisent parfois, par exemple, pour l'attaque chimique de Douma, les autorités russes affirment d'abord qu'il n'y a pas eu d'attaque chimique, puis Moscou accuse les Occidentaux de vouloir détruire les preuves en bombardant[125]. Ces narratifs sont relayés par des trolls et robots sur les réseaux sociaux[126].

Dans ce cadre, les théories du complots visent également l'OIAC, que les alliés de Bachar el-Assad cherchent à discréditer[127].

La négation systématique des crimes de guerre, la multiplication des déclarations contradictoires et les techniques et narratifs de propagande utilisés en Syrie par les régimes russe et syrien seront également employés en 2022 lors de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, dont les événements sont également soumis à une désinformation importante[128] - [129] - [97].

Politique d'instrumentalisation

Officiellement, le systĂšme administratif et politique sous le rĂ©gime d'Assad n'est pas confessionnel, mais les liens communautaires y ont un rĂŽle importants ; en effet, c'est Ă  la communautĂ© alaouite, Ă  laquelle appartient Bachar el-Assad que sont confiĂ©s les postes clĂ©s au sein de l'armĂ©e et des forces de sĂ©curitĂ© syriennes. D'aprĂšs Zakaria Taha, chercheur associĂ© au GSRL, cela a pour objectif principal d'assurer le maintien au pouvoir d'un rĂ©gime, qui, de par la mise en place de rapports clientĂ©listes se lie ainsi aux diffĂ©rents groupes communautaires, et cherche Ă  rassembler autour de lui les autres communautĂ©s minoritaires dans un pays oĂč la majoritĂ© sunnite avait toujours gouvernĂ© avant le coup d'Ă©tat d'Hafez el-Assad et l'arrivĂ©e au pouvoir de la dynastie el-Assad en 1971[130].

Carte montrant la répartition ethnico-religieuse de la Syrie avant la guerre civile.

En prĂ©servant une reprĂ©sentativitĂ© au sein des organes de l'État, et en Ă©tablissant des liens avec les diffĂ©rents reprĂ©sentants religieux des communautĂ©s minoritaires, le rĂ©gime Baasiste des Assad cherche Ă  se prĂ©senter comme prĂ©occupĂ© par les droits des minoritĂ©s.

Pour Bruno Paoli, citĂ© dans L'Express, la dynastie el-Assad cherche « Ă  dĂ©truire les structures traditionnelles d'allĂ©geance communautaire, notamment religieuses, pour les remplacer par une allĂ©geance au clan Assad et Ă  son entourage », il rappelle aussi que les alaouites « qui Ă©taient trĂšs nombreux dans les partis de gauche des annĂ©es 70 et 80, ont eux aussi Ă©tĂ©, comme les FrĂšres Musulmans, sĂ©vĂšrement rĂ©primĂ©s par le rĂ©gime » ; grĂące Ă  de nombreuses campagnes de propagande, le gouvernement syrien a rĂ©ussi Ă  maintenir, chez la communautĂ© alaouite, la crainte des persĂ©cutions s'il venait Ă  ĂȘtre renversĂ©.

Ainsi, l'historienne Nadine Méouchy regrette que désormais, « nombreux sont les démocrates alaouites, critiques du régime et anti-confessionnels proclamés, qui se sont soudainement réfugiés dans leur appartenance communautaire, avec ses peurs et ses aveuglements, pour défendre un régime dictatorial dont ils avaient pourtant analysé tous les rouages »[131]. Les opposants alaouites, tels Wahid Saqr, sont victimes de campagnes de diffamation[132].

Le journaliste Michel Touma rappelle Ă©galement que malgrĂ© cette apparente posture de « rempart face aux djihadistes » ou de « dĂ©fenseur de la minoritĂ© chrĂ©tienne » qu'essaie de se donner le rĂ©gime de Bachar el-Assad, « il s’est souvent servi des mouvements islamistes pour asseoir son pouvoir, notamment contre les chrĂ©tiens du Liban » qui reprĂ©sentaient « le principal obstacle Ă  son hĂ©gĂ©monie sur le Liban »[20]. Pour sa survie, le rĂ©gime s'efforce Ă  lier « le sort des communautĂ©s et leurs intĂ©rĂȘts Ă  ceux du rĂ©gime, de sorte que toute mise Ă  mal du rĂ©gime nuise Ă  cet Ă©quilibre »[130].

DĂšs 2012, la revue Foreign Policy fait l'analyse qu'« une vĂ©ritable politique de la terre brĂ»lĂ©e par l’attisement des haines intercommunautaires est aujourd’hui envisagĂ©e par le rĂ©gime syrien ». Lorsqu'un ancien ministre libanais est accusĂ© de planifier des assassinats et attentats dans des villages libanais sunnites, c'est Ali Mamlouk, chef des renseignements syriens, qui est soupçonnĂ© de lui avoir fourni les charges explosives, pour provoquer « des affrontements confessionnels Ă  grande Ă©chelle »[133].

Mise en avant de la peur des extrémistes

En 2011, lors des premiers mouvement de contestation rĂ©clamant davantage de libertĂ©s, « le rĂ©gime n’hĂ©site pas Ă  aller chercher le soutien des religieux notamment sunnites, en revenant sur une dĂ©cision prise en 2010 — celle de muter Ă  des postes administratifs 1 200 enseignantes voilĂ©es — ainsi qu’à ordonner la construction d’une facultĂ© islamique et Ă  autoriser une chaine satellitaire islamique ». En mĂȘme temps, le clan Assad cherche aussi Ă  maintenir les communautĂ©s Ă  l'Ă©cart des manifestations en « jouant sur la peur de la menace islamiste » ; pour arriver Ă  ses fins, il prĂ©sente la contestation comme composĂ©e de gangs armĂ©s et d'islamistes salafistes « dont l’accession au pouvoir mettrait fin Ă  la coexistence pacifique indispensable Ă  la sĂ©curitĂ© des minoritĂ©s ». « La carte de la laĂŻcitĂ© est mise en avant par le rĂ©gime devant l’opinion occidentale », ainsi, il se prĂ©sente comme « le garant de la coexistence harmonieuse dans un pays multi-communautaire » et n'hĂ©site pas Ă  mettre en avant « la situation privilĂ©giĂ©e dont jouissent en Syrie les chrĂ©tiens et les autres minoritĂ©s »[130].

Cependant, le rĂ©gime libĂšre les islamistes emprisonnĂ©s « pour qu’ils dĂ©vorent la rĂ©volution »[134].

« Le raïs de Damas a trÚs tÎt fait passer l'idée selon laquelle il n'y avait pas d'autre choix que lui, Assad « C'est moi ou le chaos » ne cesse-t-il de répéter, sourd aux appels des militants démocrates, il crie au complot, refuse le concept d'opposition modérée. Il fait donc taire la voix de l'opposition démocratique, celle qui refuse toute domination politique ou religieuse, née des manifestations pacifiques du soulÚvement anti-Assad de 2011, notamment de la résistance civique de Daraya »[135] - [33].

Des combattants de la Division des Fatimides, Ă  Palmyre, le . C'est l'une des nombreuses milices chiites qui combattent auprĂšs des forces syriennes.

DÚs le début du conflit, l'idée est de faire passer le message au peuple syrien mais aussi au monde entier, qu'il n'y a pas d'alternative possible. Le régime s'est employé à détruire toute opposition modérée et à en effacer les traces, selon Dephine Minoui[136]. La propagande russe rejoint la narration syrienne en faisant l'amalgame de tous les opposants à Bachar el-Assad pour justifier leurs bombardements[137].

D'aprĂšs Marie Peltier, « pour imposer cette propagande Ă  large Ă©chelle, Bachar el-Assad a choisi de rendre centraux certains objets narratifs, qui ont dĂ©sormais la vie dure: « C'est moi ou le chaos ». RelĂ©guant la question des droits humains au second plan, voire Ă  un plan inexistant, le rĂ©gime syrien s'est dĂšs le dĂ©part prĂ©sentĂ© comme un mal nĂ©cessaire, discrĂ©ditant dans le mĂȘme temps l'opposition syrienne au nom de la « lutte contre le terrorisme » et de la « stabilitĂ© » du pays »[17].

Selon Ziad Majed, le rĂ©gime est lui-mĂȘme soutenu par un nombre « bien supĂ©rieur » de « combattants qui sont des djihadistes chiites Ă©trangers et des formations locales paramilitaires » que les groupes armĂ©s extrĂ©mistes sunnites qui lui sont opposĂ©s ; d'aprĂšs le chercheur, « le fait de ne pas les mentionner comme Ă©tant les vrais sauveurs du rĂ©gime de Bachar el-Assad sur le terrain est dĂ©jĂ  un problĂšme de l'analyse »[138].

Pour Garance Le Caisne, la présence de Daech est liée à celle du régime, et si la violence du gouvernement est beaucoup plus cachée, le régime tue huit fois plus que Daech[139].

Un prétendu rempart face au chaos

Selon Zakaria Taha, dÚs les années 1970, lors de l'insurrection des FrÚres musulmans, le régime se présente « comme le rempart contre la menace islamiste susceptible de dominer les minorités (druzes, chrétiens, kurdes, ismaélites) », et contraint ainsi la population à tolérer un régime autoritaire. Il apparait ainsi, à l'extérieur de la Syrie, comme un régime laïque respectueux du droit des communautés et des femmes face à l'islamisme. Les mouvements islamistes se faisant les plus menaçants pour la pérennité de son gouvernement, le régime d'el-Assad cherche à prouver que sa chute se ferait à leur profit[130].

Le rĂ©gime de Damas ne cesse de se mettre en avant comme « le rempart Ă  tout conflit », il se sert des divisions communautaires pour « rester au pouvoir et montrer ainsi qu’il est indispensable Ă  la stabilitĂ© de la rĂ©gion et Ă  la protection des minoritĂ©s, contre toute guerre intercommunautaire » et met en avant le sort des chrĂ©tiens d'Irak ayant immigrĂ© en Syrie afin de fuir les violences intercommunautaires Ă  la suite de la chute de Saddam Hussein en 2003[130]. Mais l'affirmation selon laquelle le rĂ©gime serait le protecteur des chrĂ©tiens est contestĂ©e par de nombreux mĂ©dias[140] - [141] - [142] - [143] - [144].

Manifestation de l'opposition Ă  Douma, prĂšs de Damas, le 8 avril 2011.

En 2011, les manifestants demandent la fin de la rĂ©pression et la libĂ©ration des prisonniers d'opinion. Bassam Barabandi, ancien diplomate syrien Ă  Washington, affirme que Bachar el-Assad ne libĂšre pas les opposants dĂ©mocrates arrĂȘtĂ©s depuis mars. Mais il libĂšre des centaines d'islamistes alors en prison, qui alimentent les rangs djihadistes, et dont certains rejoindront plus tard les rangs du Front al-Nosra qui combattra aux cĂŽtĂ©s des rebelles, et de l’État Islamique qui se retournera contre eux[145] - [33]. D'anciens dĂ©tenus et hommes politiques confirment ces faits[146] - [147]. Pour eux comme pour le journaliste Armin Arefi, cela participe Ă  la stratĂ©gie de Bachar el-Assad : « depuis le dĂ©but de la rĂ©volution en , le prĂ©sident syrien met tout en Ɠuvre pour rĂ©aliser sa prophĂ©tie selon laquelle ses opposants — tout d'abord pacifiques — ne sont que des "terroristes" »[145] - [148] - [32] - [149]. Il libĂ©re « pĂ©riodiquement des jihadistes endurcis de prison pour donner l'impression que le soulĂšvement est l'Ɠuvre d'extrĂ©mistes violents » et veut « dĂ©placer la lutte sur le champ de bataille, oĂč le rĂ©gime a l'avantage »[150].

Pour l'historien Jean-Pierre Filiu « on prĂ©sente beaucoup trop souvent les Assad comme protecteurs des chrĂ©tiens, il faut savoir qu'ils ont souvent Ă©tĂ© Ă  l'avant-garde de la rĂ©pression voire des massacres des chrĂ©tiens au Liban et ailleurs »[151]. Certains mĂ©dias d'opposition accusent aussi des milices liĂ©es au rĂ©gime de Bachar el-Assad de nuire aux chrĂ©tiens, ainsi le mĂ©dia Call Syria annonce que des moines de la rĂ©gion de Safsafa ont Ă©tĂ© battus et chassĂ©s de leur lieu de culte sous prĂ©texte que celui-ci abritait un sanctuaire dĂ©diĂ© aux Alaouites[152]; de mĂȘme le site d’information en ligne All4Syria dĂ©nonce la mise en danger de lieux de culte chrĂ©tiens de par l'installation de matĂ©riel militaire au niveau de ceux-ci[153].

À l'international, le rĂ©gime de Bachar el-Assad se prĂ©sente comme un rempart contre Daech. Pourtant, le ministre syrien des Affaires Ă©trangĂšres dĂ©clare en 2016 « combattre l’État islamique n'est pas notre principale prĂ©occupation », affirmant que ce sont davantage les groupes rebelles — qui combattent Ă©galement les djihadistes — qui constituent une menace plus importante pour le pouvoir de Damas[154].

Sur le terrain, de nombreux arrangements et coopĂ©rations montrent des liens rĂ©guliers entre le rĂ©gime et les groupes islamistes extrĂ©mistes, dont l’État islamique. Daech est ainsi relativement Ă©pargnĂ© par les bombardements du rĂ©gime[145]. Des dĂ©placements de combattants, ainsi que des attaques, semblent coordonnĂ©es[155] - [156]. Des Ă©changes d'armes, d'informations et accords Ă©conomiques existent Ă©galement entre Daech et le rĂ©gime[157] - [158], relation de dĂ©pendance mutuelle qualifiĂ©e d'adultĂ©rine par David Bensoussan[159].

Diffusion Ă  l'international

Des reporters de guerre ayant couvert le conflit tĂ©moignent que malgrĂ© leur travail, l'opinion publique n'est pas mobilisĂ©e sur la Syrie[160]. Pour Christophe Ayad, « si les guerres ont toujours mis en branle l’affrontement de deux narrations, jamais [on n’avait] assistĂ© Ă  une telle transformation des victimes en bourreaux, des sauveteurs en terroristes, et des massacreurs en libĂ©rateurs. (...) A ce titre, la bataille d’Alep peut ĂȘtre assimilĂ©e Ă  un nouvel Ă©pisode de la « guerre hybride », thĂ©orisĂ©e par les stratĂšges russes depuis le milieu des annĂ©es 2000 et mise en Ɠuvre en CrimĂ©e et dans l’est de l’Ukraine. Elle consiste, entre autres, Ă  brouiller la perception du camp adverse avec un bombardement d’informations propres Ă  dĂ©sorienter les opinions et Ă  paralyser leurs gouvernants »[15] - [161].

Pour Marie Peltier, « la propagande d’Assad, qui en dehors des sphĂšres de propagande pure et dure, telles Russia Today, a eu ce gĂ©nie de s’infiltrer trĂšs largement dans l’opinion publique occidentale », a permis l'abandon des aspirations des syriens Ă  la libertĂ© et fait que l’« on a Ă©pousĂ© l’idĂ©e qu’Assad avait gagnĂ© la guerre »[162].

Utilisation du tissu associatif

En SuĂšde, des associations sans lien apparent avec la Russie ont des idĂ©es qui coĂŻncident avec les intĂ©rĂȘts de Moscou : le Swedish Peace Council, Ă  l’extrĂȘme gauche ; ou Swedish Doctors for Human Rights, qui nie la rĂ©alitĂ© des attaques chimiques en Syrie[163].

Des mouvements dits "pour la paix" condamnent ainsi les tentatives d'intervention occidentales en Syrie, mais pas les interventions russes et iraniennes. L'objectif est politique, et il s'agit de dĂ©fendre le rĂ©gime syrien et de s’opposer Ă  une action internationale contre lui[23].

Public francophone

L'un des premiers relais de la propagande du régime Assad en France est Frédéric Chùtillon. En 1994, il se rapproche du sanguinaire ministre de la Défense Moustapha Tlass, et Hafez el-Assad finance les activités du GUD. Frédéric Chatillon invite Thierry Meyssan, Alain Soral, Robert Faurisson et Dieudonné à Damas au début des années 2000[164].

Le complotiste Thierry Meyssan, invitĂ© en 2006 par le Hezbollah et le rĂ©gime de Damas, s'Ă©tablit dans la capitale syrienne en 2006 et est dĂ©sormais « Ă  la tĂȘte d'une vĂ©ritable entreprise de dĂ©sinformation »[165]. DĂšs le dĂ©but de la RĂ©volution syrienne en 2011, il crĂ©e un site de "rĂ©information" sur la Syrie, Infosyrie, relayant la propagande du pouvoir en place[164] - . Ce site de propagande est hĂ©bergĂ© par Riwal, une sociĂ©tĂ© de communication appartenant Ă  FrĂ©dĂ©ric Chatillon, ancien dirigeant du Groupe union dĂ©fense[166].

Le réseau chrétien, via notamment l'ONG controversée SOS Chrétiens d'Orient, est fortement influencé par Damas, et des personnages comme AgnÚs-Mariam de la Croix[25].

Des parlementaires et responsables politiques sont invités par le régime à Damas, ainsi que quelques journalistes, qui vont relayer le discours de Bachar el-Assad, ce qui permet au cercle proche du régime d'avoir ses entrées à l'Assemblée nationale, invités par le groupe d'amitié parlementaire France-Syrie[167]. Parmi ces parlementaires se rendant réguliÚrement en Syrie, on trouve notamment Thierry Mariani, qui est reçu chaque fois par Bachar el-Assad[168], mais également Valérie Boyer, Gérard Bapt[169] - [170].

Pierre le Corf, sous couvert d'humanitaire, est également accusé de faire de la propagande pour le régime via les réseaux sociaux[171].

Le discours de propagande sĂ©duit notamment l'extrĂȘme droite et l'extrĂȘme gauche[172].

Public anglophone

La propagande du régime syrien est diffusée par un réseau de blogueurs et universitaires anglophones[173] - [174] - [175]. Selon le journaliste britannique Brian Whitaker, la blogueuse complotiste Vanessa Beeley est la « déesse de la propagande du conflit syrien », elle est un maillon central de la diffusion de désinformation sur les Casques blancs syriens dont il semble presque impossible de contester les dire[176] - [177]. Selon le Huffington Post, une intervention réalisée par cette blogueuse jusqu'alors inconnue a été utilisée par la délégation de la Russie auprÚs des Nations unies comme unique piÚce contre les secouristes[8]. D'autres blogueurs qui propagent la propagande du régime avec Vanessa Beeley comptent notamment Eva Bartlett et Max Blumenthal[178] - [179].

Certains de ces blogueurs sont invités, aux cÎtés de journalistes et personnalités politiques, dans des tours organisés « perçus comme un moyen de se faufiler jusqu'à un régime accusé de litanie de crimes contre l'humanité »[83].

Alliés de la Syrie baathiste

Alliés du régime de Damas, Moscou et Téhéran partagent, au niveau de la propagande, de nombreux points communs avec la Syrie ; les alliés du régime ne reconnaissent ainsi pas la Révolution populaire syrienne, ils affirment que le soulÚvement a été organisé par des forces étrangÚres[180], considÚrent que les opposants à Bachar el-Assad sont des « terroristes » et tentent de dédouaner le régime de toute responsabilité dans les accusations de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité.

Russie

Selon JoĂ«l Hubrecht, en matiĂšre de guerre de propagande, la Russie a sur les rĂ©seaux sociaux une « force de frappe absolument terrifiante » : ainsi, Ă  partir d'une trentaine de comptes, il est possible d'avoir 20 000 tweets d'informations fausses, qui peuvent ĂȘtre rediffusĂ©s plus de 600 000 fois ; et sans ces relais, le rĂ©gime de Bachar el-Assad n'aurait pas pu « effacer, nier » les crimes commis[181].

En Russie

Une vaste campagne de propagande est utilisée en Russie pour que l'opinion publique adhÚre et soutienne la décision du gouvernement d'une intervention armée au Syrie, aux cÎtés de Bachar el-Assad. Vladimir Poutine annonce en que la Russie va intervenir militairement aux cÎtés de l'armée de Bachar el-Assad alors qu'une majorité de russes s'étaient opposés à cette intervention. En , l'objectif du Kremlin semble atteint : un sondage réalisé par un institut indépendant indique que la majorité des Russes soutient désormais les frappes russes en Syrie[182] - [183]. Les télés russes relaient le point de vue du Kremlin, et, selon France 24, l'« argument principal » pour justifier les opérations de bombardement en Syrie est « une menace terroriste imminente »[182]. Par ailleurs, selon Le JDD, « les experts invités à la télévision assimilent l'ensemble des forces luttant contre le régime de Damas à des terroristes. Ils raillent les bombardements américains contre Daech depuis un an, jugés inefficaces, et assurent que l'objectif des Occidentaux est d'éliminer Bachar El-Assad, pour affaiblir la Russie »[183].

En , la Cour suprĂȘme russe dĂ©boute dix rĂ©fugiĂ©s syriens de leur demande d'asile au motif qu'il n'y a « pas de guerre en Syrie » mais une « opĂ©ration antiterroriste »[184] - [185]. Cette dĂ©cision devrait faire jurisprudence[184].

Nier puis minimiser la présence de troupes en Syrie

Pour éviter l'impopularité de l'intervention engageant ses soldats, le gouvernement russe affirme n'intervenir en Syrie que par des bombardements aériens et maritimes. Cette position officielle du Kremlin implique que si des ressortissants russes intervenaient au sol, il ne pourrait s'agir que de citoyens indépendants[186].

En , le rĂ©gime syrien continue de dĂ©mentir la prĂ©sence de troupes ou d'activitĂ©s militaires russes en Syrie. Selon Le Monde, depuis « plusieurs mois », des « premiers signes de recrudescence militaire [russe] sont apparus » alors que dans le mĂȘme temps Vladimir Poutine affirmait : « pour l’heure, il n’est pas question que l’armĂ©e russe participe Ă  des opĂ©rations militaires directes en Syrie ». Le , un porte-parole russe Ă©voque des « experts militaires » prĂ©sents en Syrie censĂ©s « fournir des conseils sur l’utilisation d’armes livrĂ©es Ă  la Syrie par la Russie ». Le Monde commente cette annonce en affirmant que Moscou a Ă©tĂ© « contraint de confirmer [...] la prĂ©sence de certains de ses ressortissants » en Syrie, « trahie notamment par des selfies postĂ©s sur les rĂ©seaux sociaux par de jeunes soldats dĂ©ployĂ©s dans le pays », ce qui lui rendait difficile de « nier plus longtemps ». La diplomatie russe affirme qu’elle n’a jamais cachĂ© son soutien en armes et en instructeurs Ă  l’armĂ©e syrienne, selon elle « pour lutter contre le terrorisme »[187]. SergueĂŻ Lavrov ajoute que tout renforcement de la prĂ©sence russe en Syrie sera conditionnĂ© Ă  une « demande et avec l’accord du gouvernement syrien et des gouvernements des autres pays de la rĂ©gion »[188]. Le , la Russie admet pour la premiĂšre fois que ses vols Ă  destination de la Syrie ne transportent pas seulement de l'aide humanitaire mais aussi de l'Ă©quipement militaire. Selon 20 minutes, « officiellement, la Russie n’est prĂ©sente en Syrie que grĂące Ă  ses installations logistiques militaires dans le port de Tartous, sur les bords de la MĂ©diterranĂ©e », mais des responsables amĂ©ricains affirment avoir observĂ© une dizaine de vĂ©hicules blindĂ©s de transport de troupes et des dizaines de soldats russe Ă  LattaquiĂ©[188].

Vladimir Poutine annonce en un allÚgement des forces russes mobilisées en Syrie, mais renforce par la suite les effectifs, les combats s'accentuant dans le pays[189]. En 2018, le Kremlin dément également les informations faisant état de plusieurs dizaines de morts de soldats russes en . Leonid Bershidsky, journaliste russe travaillant pour le média américain Bloomberg, estime que le bilan est de 200 morts entre le 7 et le . La question de ces morts est selon Le Figaro « largement évacuée par les officiels à Moscou. Ces ressortissants russes, bien que combattant en Syrie, ne font, en effet pas partie de l'armée réguliÚre, mais sont employés par des entreprises paramilitaires ». De plus, le Kremlin tend à « minimiser » la mort des mercenaires russes ou « met en cause [...] la véracité » des informations les concernant[190] - [186].

En , Moscou rapporte la mort de quatre militaires russes : deux conseillers et deux soldats. L’Observatoire syrien des droits de l'homme conclut de son cĂŽtĂ© Ă  un bilan plus lourd, affirmant que neuf Russes ont Ă©tĂ© tuĂ©s. Leur identitĂ© n'est pas clairement indiquĂ© mais selon l’Observatoire, il ne s'agit pas que de soldats. L'AFP estime que cela laisse « penser que des mercenaires figurent parmi les victimes ». L'AFP ajoute que « les pertes humaines en Syrie sont rapportĂ©es de façon trĂšs discrĂšte ici en Russie oĂč l’enterrement des combattants se fait dans la plus grande intimitĂ©. »[191].

DĂ©ni de crimes de guerre

La Russie, comme la Syrie, a toujours démenti s'attaquer à des civils et hÎpitaux, et réfute toute victime civile. La négation de crimes de guerre est systématique, y compris par des déclarations successives qui se contredisent entre-elles au fur et à mesure qu'elles sont démenties par des images ou preuves de crimes[192] - [193].

Attaques contre les civils

La cible affichĂ©e officiellement par le Kremlin est l’État islamique. Mais le communication officielle ne correspond pas aux rĂ©alitĂ©s des frappes, qui servent avant tout Ă  soutenir le rĂ©gime syrien[note 2] - [195]. Le gouvernement russe affirme n'avoir jamais tuĂ© un seul civil, ce qui contredit les conclusions des observateurs du conflit et des syriens de l'opposition qui affirment que les avions russes visent la population et non pas l’État islamique[196]'[197] - [198] - [193]. Vladimir Poutine semble profiter de frappes de la coalition occidentale contre l'’État islamique pour affirmer officiellement en viser les djihadistes, alors que dans les faits, la plupart de ses bombardements ciblent en prioritĂ© les rebelles opposĂ©s Ă  Bachar al-Assad, son alliĂ©, et visent Ă©galement dĂ©libĂ©rĂ©ment des zones d'habitation, des marchĂ©s et des hĂŽpitaux, participant ainsi Ă  la stratĂ©gie de terreur du rĂ©gime syrien[199] - [198] - [200].

Le gouvernement russe affirme ne pas employer d'armes incendiaires et affirme que les images tournĂ©es par l'AFP ainsi que les rapports de l'OSDH indiquant le contraire constituent un « mensonge Ă©hontĂ© ». Cependant, un reportage de la chaĂźne d’État RT montre un avion chargĂ© de bombes incendiaires Ă  sous-munitions, sur la base militaire de Khmeimim, en Syrie[201] - [202] - [203].

RapportĂ© par LibĂ©ration, un haut fonctionnaire français affirme : « HonnĂȘtement, nous ne voyons pas comment contrer efficacement la dĂ©sinformation russe sur la Syrie. Leur stratĂ©gie pour crĂ©er le doute est redoutable. C’est pire que pendant la guerre froide. Ils ne reconnaissent mĂȘme plus la notion de "faits" »[204].

Bombardements d'hĂŽpitaux

En , le New York Times publie les rĂ©sultats d'une grande enquĂȘte sur les bombardements des hĂŽpitaux en zone rebelle en Syrie par l'armĂ©e de l'air russe. Russie et Syrie avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© accusĂ©es de nombreuses fois de bombarder systĂ©matiquement hĂŽpitaux et cliniques dĂ©tenus par les opposants. Notamment, MĂ©decins pour les droits de l'homme dĂ©nombre 583 attaques contre le personnel mĂ©dical en Syrie depuis 2011. Pour la premiĂšre fois[192], le New York Times apporte un large Ă©ventail de preuves concernant des attaques d'hĂŽpitaux, concernant une pĂ©riode spĂ©cifique, les 5 et . Le journal se base non seulement sur de nombreux tĂ©moignages mais aussi sur des milliers d'enregistrements de transmission radio de l'armĂ©e de l'air russe. Les journaux de bord des observateurs au sol qui surveillent le ciel syrien confirment la prĂ©sence des avions russes au-dessus des quatre hĂŽpitaux qui ont Ă©tĂ© la cible des bombardements. Des vidĂ©os fournies par les tĂ©moins et vĂ©rifiĂ©es par le journal confirment trois frappes.

Le New York Times dĂ©taille les communications radio en ce qui concerne le bombardement de l'hĂŽpital souterrain Nabad al Hayat. Le , Ă  14h32, un officier du contrĂŽle au sol russe fournit au pilote russe une longitude et une latitude correspondant Ă  l'emplacement exact de l'hĂŽpital. À 14h38, le pilote indique que la cible est en vue et qu'il possĂšde le code qui va lui permettre de verrouiller cette cible. L'officier lui rĂ©pond qu'il a le feu vert. Au sol, un observateur du ciel consigne dans son journal qu'un jet russe cercle dans la zone de l'hĂŽpital. À 14h40, au moment mĂȘme oĂč une ONG signale un bombardement sur l'hĂŽpital, le pilote confirme la frappe. Et des journalistes, qui Ă©taient sur place en train de filmer par anticipation d'une attaque, enregistrent trois impacts de bombes qui pĂ©nĂštrent le toit de l'hĂŽpital et explosent[205].

L'enquĂȘte dĂ©montre que l'aviation russe a visĂ© 4 hĂŽpitaux dont les coordonnĂ©es avaient Ă©tĂ© donnĂ©es aux Nations Unies afin d'ĂȘtre protĂ©gĂ©s des bombardements. L'hĂŽpital Nabad al Hayat avait Ă©tĂ© Ă©vacuĂ© trois jours avant le bombardement aprĂšs avoir reçu des avertissements, mais ce n'Ă©tait pas le cas Ă  l'hĂŽpital Kafr Nabl, qui a Ă©tĂ© bombardĂ© 4 fois en 18 minutes le , et un homme se tenant Ă  l'extĂ©rieur a Ă©tĂ© tuĂ©. Deux autres hĂŽpitaux ont Ă©tĂ© bombardĂ©s : l’hĂŽpital de la grotte Kafr Zita et l’hĂŽpital orthopĂ©dique Al Amal. Dans les deux cas, les observateurs ont enregistrĂ© la prĂ©sence d'avions de l'armĂ©e de l'air russe dans le ciel au moment des frappes, et les pilotes russes peuvent ĂȘtre entendus dans les communications radio « travaillant » leurs cibles au moment oĂč les frappes ont Ă©tĂ© rapportĂ©es[205].

Selon l’Organisation mondiale de la santĂ©, cinquante-quatre hĂŽpitaux et cliniques ont Ă©tĂ© attaquĂ©s en zone rebelle entre la fin avril et la mi-. S'attaquer Ă  des Ă©tablissements de santĂ© est considĂ©rĂ©e comme un crime de guerre au regard du droit international, et le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’ONU, AntĂłnio Guterres, a annoncĂ© en l’ouverture d’une enquĂȘte interne sur les bombardements d’hĂŽpitaux[192].

Désinformation : images de jeu vidéo

Le , le ministĂšre russe de la DĂ©fense publie une vidĂ©o, dont les images fournissent selon ses dĂ©clarations « la confirmation irrĂ©futable que les États-Unis, tout en simulant pour la communautĂ© internationale une lutte implacable contre le terrorisme, assurent une couverture Ă  des unitĂ©s de l'État islamique »[206] - [207]. Sur Twitter, le ministĂšre russe de la DĂ©fense annonce Ă©galement la rĂ©vĂ©lation de « preuves irrĂ©futables que l’armĂ©e amĂ©ricaine couvre en fait les unitĂ©s de l’EI pour les aider Ă  rĂ©cupĂ©rer leurs capacitĂ©s militaires, les redĂ©ployer, et leur faire dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts amĂ©ricains au Moyen-Orient »[207]. Mais l'ONG Conflict Intelligence Team (CIT) et le site d'enquĂȘte Bellingcat dĂ©couvrent rapidement que certaines de ces images sont issues d'un jeu vidĂ©o, AC-130 Gunship Simulator: Special Ops Squadron, et que d'autres sont des vidĂ©os diffusĂ©es par le ministre irakien de l'IntĂ©rieur en 2016, montrant des bombardements de l'aviation irakienne contre les djihadistes[206] - [207]. RaillĂ©e sur les rĂ©seaux sociaux, la vidĂ©o est ensuite supprimĂ©e par l'armĂ©e russe qui Ă©voque une « erreur » de la part d'un « employĂ© civil »[206] - [207]. Le colonel Ryan Dillon, porte-parole de la Coalition internationale dĂ©clare alors que l'incident est « conforme Ă  ce que nous voyons sortir du ministĂšre russe de la DĂ©fense : c'est sans fondement, inexact et complĂštement faux. [...] Les communiquĂ©s du ministĂšre russe de la DĂ©fense sont Ă  peu prĂšs aussi exacts que leurs frappes aĂ©riennes »[206].

Propagande russe concernant les attaques chimiques dont est accusé son allié syrien

Selon « EU vs disinfo », en 2017, aprĂšs l'attaque chimique de Khan Cheikhoun, les russes ont utilisĂ© une stratĂ©gie qui avait dĂ©jĂ  servi auparavant : tenter de semer « la confusion et la mĂ©fiance » en promouvant diverses versions des Ă©vĂšnements, et le ministĂšre russe a relayĂ© certaines thĂ©ories du complot qui avaient pourtant « rapidement Ă©taient dĂ©mystifiĂ©es »[208]. Selon Les DĂ©codeurs, les mĂ©dias prorusses attribuent les attaques chimiques aux rebelles syriens et leurs campagnes se sont intensifiĂ©es aprĂšs l'attaque chimique de Khan Cheikhoun. À cette occasion, les officiels russes ont relayĂ© sur leur compte Twitter une fausse preuve de mise en scĂšne par les rebelles : la vidĂ©o qu'ils ont mise en ligne Ă©tait un making-of du film Revolution Man et ne montrait donc pas des rebelles en train de faire une « mise en scĂšne ». Cette vidĂ©o a Ă©tĂ© relayĂ©e Ă©galement par la tĂ©lĂ©vision d'État Russia-1. Les russes ont aussi accusĂ© les amĂ©ricains de prĂ©parer des attaques chimiques dans le sud de la Syrie, des accusations dĂ©menties par les faits : ces accusations, suggĂšrent Les DĂ©codeurs, pourraient servir Ă  prĂ©parer le terrain pour de rĂ©elles attaques chimiques contre les rebelles[209]. Selon L'Obs, il semblerait que les russes aient Ă©galement dĂ©clenchĂ© en « une vaste opĂ©ration de dĂ©sinformation sur l'attaque chimique prĂ©sumĂ©e du Ă  Douma »[210]. Selon un haut fonctionnaire français, cela ne pose pas de problĂšme Ă  la diplomatie russe de se contredire « Il ne s'agit plus de fournir un contre-narratif, mais de multiplier les dĂ©clarations, de fabriquer un brouillard. Ce n’est pas un problĂšme pour Moscou de se contredire. L’essentiel est de crĂ©er la confusion, de diviser les sociĂ©tĂ©s occidentales. Ils veulent que les gens se disent: «On ne sait pas ce qui s’est passĂ©, on nous ment.» »[125].

Propagande auprÚs des médias internationaux

En lien avec le régime syrien, les autorités russes organisent des tournées de presse en Syrie qui permettent aux journalistes étrangers de voir ce qui se passe dans le pays et au cours desquelles les russes délivrent leur propagande et, selon Vice News, leur désinformation[79].

Iran

Les organes de sécurité et de propagande sont proches en Iran, et ont pour effet d'inciter des jeunes à s'engager dans le conflit syrien, aux cÎtés de l'armée iranienne ou de milices armées comme les gardiens de la Révolution[211].

Des campagnes de désinformation en ligne concernant la Syrie ont également été interrompues par certains réseaux sociaux[212].

Opposition syrienne

La propagande est considérée bien moins importante que celle du régime syrien, et relativement minoritaire par rapport au nombre de documents qui sortent de Syrie, mais elle existe également[9]. Une vidéo a notamment été manipulée pour faire passer des soldats loyalistes pour des déserteurs (les déserteurs et vidéos réels sont par ailleurs nombreux)[213].

La dangerosité du terrain pour les journalistes les contraints parfois à interviewer des civils en présence de membres de katiba, ce qui ne leur permet pas de travailler et vérifier l'information de maniÚre indépendante. Vérifier les chiffres avancés par l'opposition est également compliqué[9].

Selon un article de l'AFP de 2012, les opposants au rĂ©gime tentent parfois de contrĂŽler les mĂ©dias : « la propagande est en marche dans les deux camps ». Un reporter ayant photographiĂ© des cadavres de soldats apparemment sommairement exĂ©cutĂ©s s'est vu contraint par les rebelles d'effacer ses clichĂ©s, sous peine d'ĂȘtre abattu[75] - [214].

Groupes djihadistes

À partir de 2013, les journalistes Ă©trangers sont devenus des cibles prioritaires pour les jihadistes et bandes armĂ©es dans les zones dans les territoires d'opposition[86].

État islamique

L’État islamique arrĂȘte les militants, rebelles et journalistes, qu'ils considĂšrent comme « infidĂšles ». Selon le journaliste Karam al-Masri, le simple fait d'ĂȘtre en possession d'une camĂ©ra est pour eux un motif d'arrestation et de dĂ©tention[215]. L’État islamique exĂ©cute Ă©galement des journalistes, dont certains cas ont Ă©tĂ© trĂšs documentĂ©s, tels la journaliste syrienne Ruquia Hassan ou le journaliste amĂ©ricain James Foley.

Daech est coutumier de la rĂ©alisation de films de propagande[216] - [217]. Des films pour montrer la violence et la brutalitĂ© sont rĂ©alisĂ©s et largement diffusĂ©s sur les rĂ©seaux sociaux. Cet usage de la propagande est la principale explication au fait que Daech est la seule organisation qui ait recrutĂ© jusqu'Ă  2000 combattants europĂ©ens en Irak et en Syrie[218]. D'aprĂšs Jean-Pierre Filiu, les djihadistes de Daech entretiennent une propagande « apocalyptique » pour justifier leur prĂ©sence en Syrie : ils affirment ĂȘtre l'« instrument de l'accomplissement des prophĂ©ties ». Ils font notamment rĂ©fĂ©rence Ă  une prophĂ©tie trĂšs populaire chez les djihadistes contemporains, qui situe une bataille de la « fin des temps » Ă  Dabiq, village syrien situĂ©e dans le gouvernorat d'Alep. Les djihadistes de Daech occupent et dĂ©fendent avec acharnement ce village pendant deux ans avant d'en ĂȘtre chassĂ©s par les rĂ©volutionnaires syriens en 2016. Et Daech donne le nom de « Dabiq » Ă  un magazine diffusĂ© en ligne en plusieurs langues. Les Roums, des orthodoxes qui apparaissent dans L'Authentique de Muslim, sont assimilĂ©s aux russes (eux aussi des orthodoxes), qui interviennent dans le conflit syrien Ă  partir de 2015. Les djihadistes diffusent Ă  l'international les Ă©crits auparavant peu connus de Ibn Hammad (en). Ils insistent sur le « rachat » des fautes de soixante dix proches au Jugement dernier. Selon Jean-Pierre Filiu, de nombreuses recrues ont Ă©tĂ© convaincues de rejoindre Daech grĂące Ă  cette promesse de « rachat des fautes »[219].

Pour Le Monde, la propagande n'est pas seulement un outil pour Daech, mais une « arme » à part entiÚre. Sa diffusion massive permet de radicaliser des sympathisants via internet et les logiciels de messagerie[220].

Elle fait parfois intervenir des enfants, des militants de Daech Ă©trangers, comme des français, dans l'objectif de rallier des personnes Ă  sa cause[221]. « En 2014 et 2015, la communication de Daech, soucieuse d'attirer non seulement des djihadistes Ă©trangers mais aussi leurs familles, montrait un jeune pays dotĂ© d'institutions et d'infrastructures solides, ainsi qu'une capitale, Raqqa, en plein boom Ă©conomique. Longtemps, les images de l’État islamique ont fait se cĂŽtoyer guerre et paix ; mais l'effort de guerre croissant a peu Ă  peu mis fin Ă  la propagande que l'Ă©tude qualifie de "lifestyle". Parce qu'il n'y avait plus rien Ă  montrer... mais aussi plus personne pour le montrer »[222].

La cellule médias de Daech ayant une influence importante, elle a été réguliÚrement ciblée par la coalition internationale à Raqqa, ce qui a eu pour effet de tuer de nombreux contributeurs, et par conséquent, d'en limiter le volume de diffusion comme le contenu. « Au plus fort de l'activité de sa cellule médias, à l'été 2015, Daech diffusait plus de 700 publications par mois en Syrie et ailleurs, selon l'étude. Un an plus tard, en , ce chiffre était tombé en-dessous de 200. »[222].

Milices Kurdes et Turquie

Lors de l'offensive de la Turquie sur Afrin défendue par les Kurdes syriens, Turcs et Kurdes se livrent une intense guerre de propagande. Les sites pro-kurdes mettent notamment en ligne des vidéos de combattants alliés des Turcs, et chaque camp mÚne une « guerre des mots et guerre des chiffres », tentant de minimiser ses pertes et accusant l'autre d'employer des combattants djihadistes[223] - [224] - [225] - [226].

Coalition internationale

La coalition internationale a permis la libĂ©ration de Raqqa, aux mains des djihadistes de l’État islamique, mais a minimisĂ© le nombre de victimes civiles tuĂ©es par ses bombardements, et c'est un rapport de l'ONG Amnesty internationale qui a permis de questionner ces chiffres[227].

Royaume-Uni

En , le Royaume-Uni, annonce qu'il double son budget d'aide non militaire aux groupes d'opposants syriens favorables à la démocratie. L'argent doit servir, entre autres, des formations pour les journalistes citoyens, une aide pour que leurs reportages puissent sortir de Syrie, davantage d'aide pour les groupes de la société civile qui s'occupent de recueillir des preuves d'exactions en vue d'éventuels futurs procÚs[228].

Pour Ian Cobain et ses co-auteurs, ces aides allouĂ©es Ă  l'opposition Ă  Bachar el-Assad, ne constitueraient par des efforts de « communications stratĂ©giques » ou « SC » mais une « propagande » de la part du gouvernement britannique. Le programme entrepris en 2012 est intensifiĂ© l'annĂ©e suivante aprĂšs que le Parlement a votĂ© contre toute intervention militaire britannique dans le conflit. Le programme, nommĂ© OpĂ©ration Volute, vise notamment Ă  soutenir le travail des journalistes citoyens syriens, renforcer les groupes considĂ©rĂ©s d'opposition modĂ©rĂ©e, lutter contre l'extrĂ©misme violent. Il passe par des sociĂ©tĂ©s de communication sous contrat avec le gouvernement britannique, via des agences de presse, mĂ©dias sociaux, campagnes d'affichage. L'objectif est de concurrencer la propagande du groupe État islamique et celle du rĂ©gime. David Cameron parle d'une « guerre de propagande» contre l'État islamique[229] - [230].

Selon The Morning Star, le gouvernement britannique a crĂ©Ă© un rĂ©seau de « journalistes citoyens » dans toute la Syrie et dans d'autres pays du Moyen-Orient, souvent sans qu'ils sachent qu'ils Ă©taient dirigĂ©s depuis Londres et a tentĂ© d'orienter leur production afin d'influencer secrĂštement le public syrien, en promouvant les valeurs de la rĂ©volution. Les contrats Ă©taient soumis Ă  des accords de non-divulgation afin que le rĂŽle du gouvernement puisse ĂȘtre cachĂ© car cela pourrait saper la crĂ©dibilitĂ© du « journalisme citoyen » et mettre en danger ceux qui s'y livrent[231].

Selon Middle East Eye, un examen interne en 2016 conclut à des « lacunes fondamentales » de l'initiative (absence d'« analyse du conflit [et] aucune analyse du public cible ») et révÚle des inquiétudes au sein du gouvernement quant à la nécessité de ces programmes, qui auraient été mal planifiés, probablement illégaux et auraient coûté des vies. Selon le rapport, les militants syriens ont créé « une constellation de médias » avec une grande quantité de matériel produit, pouvant porter à confusion. Les budgets combinés du gouvernement britannique se sont élevés à 9,6 millions de livres sterling au cours de la période 2015-2016, avec davantage d'argent réservé pour les années ultérieures[229].

Les entreprises embauchées par le ministÚre des Affaires étrangÚres mais supervisées par le ministÚre de la Défense (MoD) ont produit des vidéos, des photos, des rapports militaires, des émissions de radio, des produits imprimés et des publications sur les réseaux sociaux portant les logos des groupes armés. Selon The Guardian, elles dirigeaient également un bureau de presse pour les combattants de l'opposition[230].

Tant dans les campagnes Ă©trangĂšres que nationales, le rĂŽle du gouvernement est restĂ© souvent cachĂ©. Les messages ont Ă©tĂ© diffusĂ©s sous la banniĂšre de groupes apparemment indĂ©pendants - des organisations communautaires au Royaume-Uni et des groupes armĂ©s en Syrie[230]. Le contrat Ă©numĂšre plusieurs « unitĂ©s de niveau intermĂ©diaire » soutenues par le gouvernement britannique comme exemples de groupes considĂ©rĂ©s comme faisant partie de « l'opposition armĂ©e modĂ©rĂ©e ». Il s'agit notamment de Harakat al-Hazm, qui a reçu une assistance militaire des États-Unis, et de Jaych al-Islam, un groupe qui aurait Ă©tĂ© crĂ©Ă© avec le soutien des Saoudiens et dont plusieurs exactions sont connues[230].

Notes

  1. lorsqu'elles nient les causes endogÚnes du soulÚvement (corruption des institutions, manque de libertés, désespoir social) et réduisent la révolution à une simple fabrication par des pays hostiles au pouvoir syrien « La Syrie est-elle une guerre de «pipelines et de gazoducs»? », sur RFI, (consulté le )
  2. Sauver Bachar el-Assad, « dernier allié de Moscou dans la région » selon Le Monde, est un objectif qui a été confirmé par le président russe lors d'une interview télé sur la premiÚre chaßne russe[194].

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