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Attaque chimique de Khan Cheikhoun

L'attaque chimique de Khan Cheikhoun, parfois désignée comme le massacre de Khan Cheikhoun, est une attaque à l'arme chimique perpétrée par le régime de Bachar el-Assad le , au cours de la guerre civile syrienne. L'attaque est menée par l'aviation des Forces armées syriennes sur la ville de Khan Cheikhoun, tenue par les forces rebelles alors engagées dans une offensive au nord de Hama. Le gaz utilisé, du sarin possiblement mélangé avec du chlore, provoque la mort de 100 à 200 civils et fait environ 500 blessés.

Attaque chimique de Khan Cheikhoun
Date
Lieu Khan Cheikhoun
Victimes Civils
Type Attaque chimique au sarin[1]
Morts 87 Ă  200 au moins[2] - [3] - [4]
Blessés 400 à 557 au moins[3] - [2]
Auteurs Drapeau de la Syrie Forces armées syriennes[1] - [5] - [6] - [7] - [8] - [9] - [10]
Guerre Guerre civile syrienne
CoordonnĂ©es 35° 26â€Č 43″ nord, 36° 39â€Č 06″ est
GĂ©olocalisation sur la carte : Syrie
(Voir situation sur carte : Syrie)
Attaque chimique de Khan Cheikhoun
GĂ©olocalisation sur la carte : Moyen-Orient
(Voir situation sur carte : Moyen-Orient)
Attaque chimique de Khan Cheikhoun

Cette attaque constitue une infraction Ă  la Convention sur l'interdiction des armes chimiques dont la Syrie est signataire et entraĂźne de vives rĂ©actions sur la scĂšne internationale. Plusieurs pays, comme les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Turquie accusent aussitĂŽt le rĂ©gime syrien de Bachar el-Assad d'ĂȘtre l'auteur du massacre. Trois jours aprĂšs, les États-Unis rĂ©agissent en bombardant la base aĂ©rienne d'Al-Chaayrate.

Le rĂ©gime syrien a niĂ© sa responsabilitĂ© dans le massacre ; la Russie, alliĂ© de Damas, a pour sa part affirmĂ© que la tuerie a Ă©tĂ© causĂ©e par le bombardement d'un avion syrien sur un entrepĂŽt d'armes chimiques tenu par les rebelles. Cependant, aprĂšs enquĂȘtes, la responsabilitĂ© du gouvernement syrien est confirmĂ©e en septembre 2017 par la commission d'enquĂȘte des Nations unies sur la situation des droits de l'homme en Syrie, puis en octobre par le Joint Investigative Mechanism (JIM), la commission d'enquĂȘte conjointe de l'ONU et de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC).

Contexte

Localisation de Khan Cheikhoun, sur le front de Hama. Les territoires contrÎlés par les rebelles sont en vert et ceux contrÎlés par les loyalistes en rouge.

Un premier massacre a lieu dans la rĂ©gion en fĂ©vrier 2017, lorsque des affrontements Ă©clatent entre le Hayat Tahrir al-Cham, l'ArmĂ©e syrienne libre et le Liwa al-Aqsa. Les djihadistes du Liwa al-Aqsa, accusĂ©s par les rebelles d'ĂȘtre liĂ©s Ă  l'État islamique, tiennent alors la ville de Khan Cheikhoun, situĂ©e entre Hama et Ma'arrat al-Numan. Au cours des combats, ils capturent puis massacrent environ 200 hommes de l'ArmĂ©e syrienne libre et du Hayat Tahrir al-Cham, dont les corps sont ensuite enterrĂ©s dans des fosses communes[11] - [12] - [13]. Un accord met fin aux combats Ă  la mi-fĂ©vrier, le Liwa al-Aqsa est dissout et ses combattants Ă©vacuent le gouvernorat de Hama. Certains rejoignent l'État islamique Ă  Raqqa, d'autres rallient le Parti islamique du Turkestan[14] - [15]. Khan Cheikhoun est alors investie par les rebelles ; selon Charles Lister, chercheur amĂ©ricain au Middle East Institute (en), en avril 2017, le principal groupe qui occupe la ville est Ahrar al-Cham[16].

Le , le Hayat Tahrir al-Cham, l'Armée syrienne libre, Ahrar al-Cham et quelques autres groupes lancent une offensive contre le régime au nord de la ville de Hama[17] - [18]. Les rebelles ont d'abord l'avantage. Ils s'emparent de plusieurs petites villes et villages et arrivent à quatre kilomÚtres de Hama[19] - [20]. Cependant, les loyalistes reçoivent des renforts, puis ils passent à la contre-offensive et commencent à reprendre le terrain perdu à partir du 31 mars[21] - [22].

Fin mars 2017, plusieurs attaques chimiques sont menĂ©es sur LatamnĂ©, une ville tenue par les rebelles Ă  une vingtaine de kilomĂštres au sud de Khan Cheikhoun. Le , une premiĂšre attaque au sarin fait une trentaine de blessĂ©s[23] - [24]. Le , l'hĂŽpital de la ville est touchĂ© par des barils de chlore larguĂ©s par des hĂ©licoptĂšres : deux personnes sont tuĂ©es, dont un mĂ©decin, et trente autres blessĂ©es[24] - [25]. Le , une nouvelle attaque au sarin fait une cinquantaine de blessĂ©s[21] - [26]. L'utilisation Ă  trois reprises d'armes chimiques Ă  LatamnĂ© en mars 2017 est confirmĂ© en octobre 2017 et juin 2018 par des enquĂȘtes de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC)[27] - [24].

Le rĂ©gime syrien a toujours niĂ© avoir employĂ© des armes chimiques lors de la guerre civile. Cependant, en aoĂ»t 2016, le Joint Investigative Mechanism (JIM), la commission d'enquĂȘte conjointe de l'ONU et de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), avait confirmĂ© l'utilisation de chlore et la responsabilitĂ© de l'armĂ©e syrienne dans plusieurs attaques[28] - [29].

DĂ©roulement

Le , une nouvelle attaque chimique est menĂ©e sur la ville de Khan Cheikhoun, au nord des positions rebelles[30]. À 6 heures 26, un SoukhoĂŻ Su-22 syrien dĂ©colle de la base aĂ©rienne d'Al-Chaayrate[31]. À 6 h 45, alors que la plupart des habitants dorment encore, l'appareil mĂšne quatre frappes dans des quartiers rĂ©sidentiels au sud et au nord-est de Khan Cheikhoun[32] - [7] - [30] - [33] - [5]. La premiĂšre bombe explose sur une route, libĂ©rant un gaz toxique, les trois autres frappes, sans gaz, touchant des habitations[32] - [7] - [33]. À 7 heures, les hĂŽpitaux sont en alerte[7].

Les Casques blancs de la DĂ©fense civile syrienne se rendent sur les lieux des frappes pour Ă©vacuer les blessĂ©s, mais ils ignorent que des armes chimiques ont Ă©tĂ© utilisĂ©es et certains d'entre eux sont contaminĂ©s[3] - [2] - [7] ; au moins deux d'entre eux trouvent la mort[31]. Les mĂ©decins et les secouristes aspergent d'eau les victimes en utilisant les vĂ©hicules des pompiers pour tenter de les rĂ©animer[7] - [34] - [35] - [36]. Mais le directeur de la santĂ© de la province d'Idleb, le docteur Moundhir Al-Khalil, dĂ©clare : « Nous manquons de cadres de santĂ©, nous n’avons pas d’équipements ni de combinaisons de protection, ni les mĂ©dicaments nĂ©cessaires aux traitements de victimes d’une attaque aux armes chimiques en nombre suffisant. Tous nos stocks ont Ă©tĂ© utilisĂ©s ces deux derniers jours »[2]. Selon le docteur Morad, directeur de l'hĂŽpital de Khan Cheikhoun : « Nous n'avions mĂȘme pas suffisamment d'atropine, qui sert d'antidote contre les gaz chimiques. Il y en avait environ 1 500 ampoules alors que certains blessĂ©s en requiĂšrent 300 ou 400 »[36]. D'aprĂšs RaphaĂ«l Pitti, mĂ©decin urgentiste spĂ©cialisĂ© en mĂ©decine de guerre travaillant pour l'Union des organisations de secours et soins mĂ©dicaux (UOSSM) : « Trois traitements sont utilisĂ©s pour contrer les effets du sarin : de l’atropine Ă  haute dose contre l’asphyxie, du valium contre les convulsions, et du contrathion comme antidote, dĂ©taille-t-il. Les stocks des deux premiers ont Ă©tĂ© Ă©puisĂ©s, le troisiĂšme est totalement absent Ă  Khan Cheikhoun. Dans ces conditions, cette attaque Ă©tait sĂ»re de provoquer un massacre. Les protocoles de rĂ©action Ă  une attaque chimique n'ont pu ĂȘtre respectĂ©s. Les victimes ont seulement Ă©tĂ© lavĂ©es grossiĂšrement, Ă  mĂȘme le sol. Une pratique qui peut s’avĂ©rer dangereuse car cela refroidit des malades qui sont dĂ©jĂ  en Ă©tat de choc. Pour contrer l’asphyxie, l’assistance respiratoire est souvent menĂ©e manuellement. Le personnel mĂ©dical a trĂšs peu de respirateurs Ă©lectriques »[7].

Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), des vidĂ©os publiĂ©es sur internet et des tĂ©moignages de mĂ©decins et de secouristes sur place font Ă©tat chez les victimes d'Ă©vanouissements, de convulsions, de vomissements, de pupilles dilatĂ©es, de mousse dans la bouche et de suffocations[34] - [35] - [37] - [38]. Pour RaphaĂ«l Pitti : « Tous les symptĂŽmes cliniques concordent : hyper-stimulation du systĂšme nerveux qui provoque le coma, pupilles extrĂȘmement rĂ©trĂ©cies qui ne rĂ©agissent plus Ă  la lumiĂšre, blocage de l’appareil respiratoire, stimulation des sĂ©crĂ©tions buccales - bave - qui aggrave une asphyxie profonde, convulsions musculaires permanentes - les victimes "battent des ailes" -, douleurs abdominales, diarrhĂ©es, incontinence
 ce sont tous les symptĂŽmes provoquĂ©s par le gaz sarin »[7].

Quatre heures aprĂšs l'attaque chimique, le centre de la DĂ©fense civile syrienne, utilisĂ© comme morgue improvisĂ©e, est dĂ©truit par une frappe aĂ©rienne[3] - [2] - [7] - [10]. Quatre casques blancs sont gravement blessĂ©s[2]. Peu aprĂšs, l'hĂŽpital Al-Rahma de Khan Cheikhoun — le seul en fonction dans cette ville — est Ă  son tour bombardĂ©. Le bĂątiment n'est pas directement touchĂ©, mais les dĂ©gĂąts le rendent inopĂ©rant et il doit ĂȘtre Ă©vacuĂ©[3] - [7] - [39] - [40]. L'Ă©quipe mĂ©dicale dĂ©cide alors d'Ă©vacuer les blessĂ©s vers d'autres villes dans le gouvernorat d'Idleb[3] - [2] - [41]. Les cas les plus graves sont envoyĂ©s Ă  Bab al-Hawa, Ă  la frontiĂšre turque[41] - [42]. Le principal hĂŽpital de la rĂ©gion, celui de la ville de Ma'arrat al-Numan, Ă  une vingtaine de kilomĂštres au nord de Khan Cheikhoun, avait Ă©galement Ă©tĂ© bombardĂ© le 2 avril et ses unitĂ©s de soins intensifs dĂ©truites ; seulement 15 personnes pourront y ĂȘtre pris en charge[31] - [2] - [10]. Celui-ci comptait une unitĂ© de rĂ©action aux attaques Ă  l'arme chimique[10] - [37].

Les symptÎmes observés font immédiatement penser à un gaz de type sarin[9] - [35] - [43] - [44], qui pourrait avoir été mélangé avec du chlore[7] - [9] - [41]. Le 5 avril, Médecins sans frontiÚres (MSF) annonce qu'une de ses équipes s'est rendue à l'hÎpital de Bab Al-Hawa, dans le gouvernorat d'Idleb, et a « décrit des symptÎmes concordants avec une exposition à un agent neurotoxique de type gaz sarin »[45]. AprÚs l'attaque chimique, la population de Khan Cheikhoun, terrifiée, fuit massivement[36].

Bilan humain

Dans les heures qui suivent le massacre, l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) fait Ă©tat d'un bilan d'au moins 58 morts — dont 11 enfants — et 170 blessĂ©s parmi les civils[30]. Le lendemain, l'OSDH revoit son bilan Ă  la hausse, Ă  au moins 72 morts — dont 17 femmes et 20 enfants — mais indique qu'« il y a des personnes disparues » et que le bilan pourrait encore augmenter[46]. Le 6 avril, il hausse encore son bilan Ă  au moins 86 morts, dont 30 enfants, et 160 blessĂ©s[47]. À la date du 15 avril, l'OSDH arrive Ă  un bilan d'au moins 88 morts, dont 31 enfants[48] - [49].

Le 6 avril, la direction de la santĂ© de la province d'Idleb, dirigĂ©e par le docteur Moundhir Al-Khalil, recense 87 morts identifiĂ©s, dont 32 enfants, et 557 blessĂ©s, et indique que 54 blessĂ©s graves ont Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©s en Turquie[2]. Le 6 avril, l'Unicef — qui dĂ©ploie neuf ambulances et apporte son aide Ă  sept cliniques mobiles et hĂŽpitaux dans la rĂ©gion — fait Ă©tat de 546 blessĂ©s en indiquant cependant que « ces chiffres vont probablement augmenter », elle fait aussi Ă©tat de la mort d'au moins 27 enfants[47].

L'Union des organisations de secours et soins médicaux (UOSSM) affirme quant à elle dÚs le 4 avril que l'attaque a fait plus de 100 morts, dont 25 enfants, et 400 blessés[3] - [42].

Le , Human Rights Watch affirme dans un rapport que l'attaque chimique a fait 92 morts, dont 30 enfants[50]. Début mai, la direction médicale de la province d'Idleb et le Centre de documentation des violations en Syrie (VDC) font état d'un bilan d'au moins 95 morts et 541 blessés[51].

Cependant, le docteur Morad, directeur de l'hĂŽpital de Khan Cheikhoun, prĂ©sent le jour de l'attaque, donne un bilan plus Ă©levĂ© : « On a dĂ©comptĂ© Ă  l’hĂŽpital 400 blessĂ©s et 106 morts. J’ai la liste avec leurs noms que j’ai moi-mĂȘme recensĂ©s. Mais ces 106 personnes ne correspondent qu’aux gens arrivĂ©s Ă  l’hĂŽpital. En fait, beaucoup d’autres sont morts chez eux dans leur sommeil. Au total, des morts, il a dĂ» y en avoir plus de 200 »[4].

Motivations du régime syrien

L'objectif du rĂ©gime syrien est de reprendre le contrĂŽle de toute la Syrie par les armes[52] - [6]. Dans une interview donnĂ©e Ă  l'AFP le , Bachar el-Assad affirme son intention de reconquĂ©rir tout le pays, quitte Ă  mener de « longs combats » : « Que nous soyons capables de le faire ou non, c'est un but que nous chercherons Ă  atteindre sans hĂ©sitation »[53] - [54] - [55] - [56]. Cependant ces objectifs ne sont pas totalement en phase avec ceux de la Russie qui rĂ©agit quelques jours plus tard. Le , Vitali Tchourkine, ambassadeur de la Russie aux Nations unies, estime alors que les dĂ©clarations du prĂ©sident syrien « dissonent avec les efforts diplomatiques entrepris par la Russie » afin de mettre fin aux hostilitĂ©s en Syrie et instaurer un cessez-le-feu. Il affirme que si le rĂ©gime syrien considĂšre qu'un « cessez-le-feu n'est pas nĂ©cessaire et qu'il faut se battre jusqu'Ă  la victoire, ce conflit va durer encore trĂšs longtemps et imaginer cela fait peur »[57] - [58]. Mais la ligne du rĂ©gime ne bouge pas. Dans une interview accordĂ©e au quotidien conservateur croate Večernji list et publiĂ© le , Bachar el-Assad renchĂ©rit : « Il n'y a pas d'autre choix que la victoire »[59] - [60] - [61].

Selon AgnĂšs Levallois, enseignante Ă  l'Institut d'Ă©tudes politiques de Paris, la non-intervention des AmĂ©ricains aprĂšs le massacre de la Ghouta en 2013 a donnĂ© au rĂ©gime syrien un « droit de tuer. Ce droit, il l’utilise tant qu’il peut quand des nĂ©gociations sont en cours. Le rĂ©gime sait trĂšs bien qu’un dĂ©but de nĂ©gociation va aboutir Ă  la fin de ce systĂšme. À partir de lĂ , il est prĂȘt Ă  tout pour Ă©viter d’entrer en nĂ©gociations, Ă  moins qu’il y soit contraint. Or, les seuls qui peuvent le contraindre sont les Russes et les Iraniens. Le rĂ©gime passe son temps Ă  gagner du temps. Pour le moment, les faits lui donnent raison »[6].

Au printemps 2017, grĂące au soutien de la Russie et de l'Iran, la situation militaire et diplomatique est favorable au rĂ©gime syrien[59]. Le , cinq jours avant l'attaque de Khan Cheikhoun, les États-Unis annoncent devant l'ONU que le dĂ©part de Bachar el-Assad n'est plus pour eux une prioritĂ©[62] - [63]. ConfortĂ© par son alliance avec la Russie et par le retrait amĂ©ricain, le rĂ©gime syrien pense alors ĂȘtre dĂ©finitivement Ă  l'abri d'une intervention des États-Unis, qu'il considĂ©rait comme sa principale menace[52] - [6] - [59] - [64] - [65].

Le journaliste Robert Parry estime de son cĂŽtĂ© illogique d'attribuer le gazage Ă  Bachar el-Assad, alors qu'il venait de remporter « une victoire diplomatique majeure » : l'annonce rĂ©cente de l'administration Trump qu'elle ne cherchait plus un changement de rĂ©gime en Syrie. Et, selon Robert Parry, Bachar el-Assad serait suffisamment malin pour anticiper qu'une attaque chimique de sa part entraĂźnerait une riposte amĂ©ricaine et remettrait en cause les succĂšs obtenus par son armĂ©e avec l'aide russe et iranienne[66]. L'essayiste Alexandre Del Valle affirme que l’évĂ©nement de Khan Cheikhoun s'est produit « la veille d'une rĂ©union trĂšs importante Ă  Bruxelles Â» qui risquait de donner une forme de rĂ©habilitation au rĂ©gime syrien. D'aprĂšs lui, l'attaque chimique a permis Ă  ceux qui n'approuvaient pas « la nouvelle doctrine de l'administration amĂ©ricaine Â» de s'appuyer sur « une rĂ©cupĂ©ration Ă©motionnelle et mĂ©diatique Â», et « de saisir ce prĂ©texte pour diaboliser un peu plus la Russie et tous ceux qui ne mettent pas comme condition prĂ©alable le dĂ©part de Bachar el-Assad. Â» Alexandre Del Valle ne voit pas quel intĂ©rĂȘt pouvait avoir le rĂ©gime syrien d'utiliser des armes chimiques, « sauf s’il Ă©tait suicidaire Â»[67]. Mais pour Faysal Itani, chercheur au think tank amĂ©ricain Atlantic Council, au contraire, Bachar el-Assad avait « toutes les raisons d'utiliser des armes chimiques et peu de raisons de se retenir »[52].

En effet, selon Faysal Itani, mais aussi Wassim Nasr, journaliste de France 24 et Samir al-Taqi, un ancien conseiller du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres syrien ayant ralliĂ© l'opposition en 2011, l'objectif de l'attaque chimique est de terrifier les rebelles et les populations civiles, afin de provoquer l'effondrement militaire des premiers et de pousser les seconds Ă  quitter les territoires insurgĂ©s pour regagner les zones contrĂŽlĂ©es par les forces loyalistes[52] - [64] - [68]. Le rĂ©gime pense ĂȘtre dĂ©sormais intouchable et estime que les AmĂ©ricains et les Occidentaux ne rĂ©agiront pas, ce qui dĂ©couragera encore davantage l'opposition[52] - [64] - [59]. Pour Wassim Nasr : « Vis-Ă -vis des Syriens, elle [l'attaque chimique] montrerait une fois de plus l'incapacitĂ© des Occidentaux Ă  intervenir. Par consĂ©quent, mĂȘme les Syriens qui hĂ©sitent Ă  revenir dans le giron de l'État devraient s'y rĂ©soudre »[59] - [65]. Selon le professeur Malcolm Chalmers, directeur de recherche au Royal United Services Institute, la stratĂ©gie du rĂ©gime « vise surtout Ă  dĂ©moraliser les populations civiles dans les territoires qu'il ne contrĂŽle pas. C'est une tactique que [le rĂ©gime] a utilisĂ© Ă  maintes reprises [...] car il croit encore pouvoir contrĂŽler la majoritĂ© de la Syrie »[69]. De mĂȘme, pour Olivier Lepick, les attaques ont pour but de terroriser la population et de faire Ă©chouer les nĂ©gociations internationales : « Avec cette attaque, le rĂ©gime syrien fait la dĂ©monstration Ă  la communautĂ© internationale de son impunitĂ© totale. Il montre Ă  ses alliĂ©s et Ă  ses adversaires qu’il est opposĂ© Ă  la paix et bien dĂ©cidĂ© Ă  reconquĂ©rir par la force l’intĂ©gralitĂ© du pays »[70] - [71].

Fabrice Balanche, chercheur au Washington Institute, estime pour sa part que « ce sont les ultras Ă  Damas qui auraient pris la dĂ©cision pour se venger des Russes qui nĂ©gocient sur le dos de la Syrie »[69]. Il prĂ©cise : « MĂȘme si l'affaire de Khan Cheikhoun n’est pas totalement Ă©lucidĂ©e, il semble tout de mĂȘme que cette attaque provienne bien du rĂ©gime syrien. Toute la question est de savoir si elle a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ©e directement par Bachar el-Assad ou par un officier subalterne qui n’en a pas rĂ©fĂ©rĂ© au commandement. À l'Ă©poque, l'armĂ©e syrienne faisait face Ă  une forte offensive de la rĂ©bellion menĂ©e par la branche syrienne d’al-QaĂŻda (Hayat Tahrir al-Cham) qui cherchait Ă  s’emparer de Hama. L'armĂ©e syrienne a alors utilisĂ© des gaz de plus en plus puissants pour les repousser et dĂ©truire la base arriĂšre de l’offensive, Khan Cheikhoun, causant une centaine de morts civils. Vladimir Poutine fut furieux de cet incident, mĂȘme s’il s’est empressĂ© de dĂ©fendre son alliĂ© syrien. Cette attaque chimique a remis en cause les efforts diplomatiques de la Russie pour trouver un accord avec les États-Unis sur la Syrie. Or Donald Trump venait de dĂ©clarer que la chute de Bachar el-Assad n’était plus l’objectif de Washington en Syrie. Une des hypothĂšses est que les durs du rĂ©gime Ă  Damas s’inquiĂštent de la façon dont la Russie nĂ©gocie avec les États-Unis. Ils auraient donc voulu donner une leçon aux Russes pour leur rappeler que la Syrie est un pays souverain. Selon eux, la solution n’est pas dans la nĂ©gociation avec les États-Unis, mais dans l’élimination pure et simple des rebelles »[72].

Pour Alain Chouet, ancien directeur du service de renseignement de sĂ©curitĂ© Ă  la DGSE, qui recommande « la prudence » et « une enquĂȘte inattaquable » : « Tout est imaginable dans cette affaire (...) l'usage du gaz n'a aucun intĂ©rĂȘt militaire. S'il a Ă©tĂ© utilisĂ© par Damas, c'est dans un but politique et stratĂ©gique afin de rappeler notamment aux Russes, dont les Syriens se mĂ©fient depuis leur alliance avec les Turcs, et aux Iraniens, que la Syrie reste maĂźtresse de ses choix chez elle et qu'elle ne se sent pas engagĂ©e par les dĂ©cisions de Moscou et TĂ©hĂ©ran dans les nĂ©gociations. [...] Damas ne veut pas nĂ©gocier car c'est une guerre Ă  mort : le rĂ©gime veut que l'ennemi se rende sans condition »[73].

Pour Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratĂ©giques (IRIS) : « La seule explication rationnelle que l'on puisse donner Ă  ce bombardement est que Bachar el-Assad voulait torpiller les nĂ©gociations en cours en faisant en sorte que l'opposition ne veuille plus le voir. Il craignait que ces discussions, menĂ©es sous l'Ă©gide des Russes, n'aboutissent Ă  une solution qui aurait permis au rĂ©gime de rester mais sans lui. C'est dans cette optique qu'il a fait usage du gaz sarin dont l'intĂ©rĂȘt militaire est inexistant »[74].

Le politologue Julien ThĂ©ron « vois une mĂ©canique Ă  l'Ɠuvre depuis le dĂ©but de la crise oĂč le rĂ©gime, impuni jusqu'aux frappes du 6 avril, se sent incitĂ© Ă  tester sur le terrain hier l'inaction d'Obama et aujourd'hui les dĂ©clarations de Trump ». Pour lui, l'annonce faite par les États-Unis que le rĂ©gime n'Ă©tait plus sa prioritĂ© et les bonnes relations de Donald Trump et Abdel Fattah al-Sissi — Trump venait de recevoir le prĂ©sident Ă©gyptien quelques jours plus tĂŽt et avait dĂ©clarĂ© qu'« il fallait des hommes forts pour un Moyen-Orient stable » — ont constituĂ© « un message involontaire de sa part mais qui a plausiblement laissĂ© penser au rĂ©gime de Damas que Washington lui laisserait dĂ©sormais les mains libres ». Le rĂ©gime « a donc peut-ĂȘtre tentĂ© de voir si, avec Trump, il pouvait faire ce qu’il voulait et frapper plus fort. En l'occurrence ce n’est pas du tout le cas et le rĂ©gime s'est pris un sĂ©vĂšre retour de bĂąton »[75].

Peu aprĂšs l'attaque, Ibrahim al-Idilbi, porte-parole de la rĂ©bellion modĂ©rĂ©e pour la rĂ©gion d'Idlib, affirme quant Ă  lui que l'attaque a Ă©tĂ© en reprĂ©sailles aux pertes subies par le rĂ©gime lors de la derniĂšre offensive de Hama : « la semaine derniĂšre, les rebelles ont menĂ© une offensive contre Hama, et le rĂ©gime a subi des pertes considĂ©rables. L’attaque de Khan Cheikhoun est une vengeance.»[7].

Pour le général français Dominique Trinquand, les responsables syriens habilités à donner l'ordre d'une attaque chimique font partie d'un régime dictatorial en guerre depuis 6 ans et sont donc probablement dans un enfermement psychologique et intellectuel qui leur fait perdre contact avec la réalité. Ils ne se rendent plus compte notamment de ce que « veut dire l'utilisation d'armes chimiques aujourd'hui »[76].

RĂ©actions internationales

Habitants de Khan Cheikhoun manifestant contre les attaques chimiques, le 12 mai 2017.

Le rĂ©gime syrien et la Russie nient ĂȘtre impliquĂ©s dans le massacre, cependant les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Commission europĂ©enne, ainsi que l'opposition syrienne, accusent aussitĂŽt le rĂ©gime de Bachar el-Assad[77]. Le prĂ©sident de la Turquie, Recep Tayyip Erdoğan, dĂ©clare que l'attaque « chimique » et « inhumaine » menace « tous les efforts fournis dans le cadre du processus d’Astana »[77]. Le lendemain, Erdogan impute l'attaque de Khan Cheikhoun Ă  l'« assassin Assad Â»[78].

CĂŽtĂ© amĂ©ricain, le secrĂ©taire d'État Rex Tillerson affirme : « Quiconque utilise des armes chimiques pour attaquer son propre peuple montre un mĂ©pris fondamental pour la dĂ©cence humaine et doit rendre des comptes », il appelle « la Russie et l'Iran, une fois encore, Ă  exercer leur influence sur le rĂ©gime syrien pour garantir que ce genre d'attaque atroce n'ait plus jamais lieu »[79]. Dans un communiquĂ© publiĂ© par la Maison-Blanche, le prĂ©sident amĂ©ricain Donald Trump accuse mĂȘme son prĂ©dĂ©cesseur, Barack Obama, d'ĂȘtre responsable de l'attaque : « Ces odieuses actions du rĂ©gime de Bachar el-Assad sont une consĂ©quence de la faiblesse et de l'indĂ©cision du gouvernement prĂ©cĂ©dent. Le prĂ©sident Obama a dit en 2012 qu'il Ă©tablirait une “ligne rouge” contre l'utilisation d'armes chimiques, et ensuite, il n'a rien fait »[80] - [81]. Cependant en 2013, dans les jours qui avait suivi le massacre de la Ghouta, Trump s'Ă©tait dit opposĂ© Ă  une intervention militaire contre la Syrie[80]. Mais aprĂšs le massacre de Khan Cheikhoun, il dĂ©clare : « Je change et je suis flexible. [...] L'attaque contre des enfants a eu un fort impact sur moi. Un fort impact. [...] Ça a Ă©tĂ© une chose horrible, horrible [...] Et il est trĂšs, trĂšs possible, et je dois dire que c'est dĂ©jĂ  le cas, que mon attitude face Ă  la Syrie et Assad a beaucoup changĂ© »[81] - [82] - [83]. Certains responsables rĂ©publicains, comme John McCain et Marco Rubio, reprochent Ă©galement Ă  Rex Tillerson et Nikki Haley d'avoir affirmĂ© cinq jours avant l'attaque que la chute du dictateur syrien n'Ă©tait plus une prioritĂ© pour les États-Unis : selon eux ce « signal envoyĂ© [...] n'a pu que motiver Assad »[84].

Le prĂ©sident français François Hollande dĂ©clare quant Ă  lui : « Une fois encore le rĂ©gime syrien va nier l’évidence de sa responsabilitĂ© dans ce massacre. Comme en 2013, Bachar Al-Assad compte sur la complicitĂ© de ses alliĂ©s pour bĂ©nĂ©ficier d’une impunitĂ© intolĂ©rable. Ceux qui soutiennent ce rĂ©gime peuvent une nouvelle fois mesurer l’ampleur de leur responsabilitĂ© politique, stratĂ©gique et morale »[77]. Le 5 avril, Boris Johnson, ministre britannique des affaires Ă©trangĂšres, dĂ©clare que : « Toutes les preuves que j’ai vues suggĂšrent que c’était le rĂ©gime d’Assad (
) utilisant des armes illĂ©gales en toute connaissance de cause sur son propre peuple »[45]. Federica Mogherini, vice-prĂ©sidente de la Commission europĂ©enne, dĂ©clare Ă©galement que la « principale responsabilitĂ© » de l'attaque repose sur rĂ©gime de Damas[85]. Des responsables amĂ©ricains dĂ©clarent que leurs systĂšmes radars ont suivi deux avions ayant dĂ©collĂ© de l'aĂ©roport d'Al-Chaayrate contrĂŽlĂ© par le rĂ©gime syrien, que des signatures infrarouges de la chaleur des bombes ont Ă©tĂ© dĂ©tĂ©ctĂ©es, et que l'un des deux avions a larguĂ© une munition contenant du gaz sarin ciblant un hĂŽpital souterrain tenu par Al-Nosra Ă  Khan Cheikhoun[86] - [87].

Le 6 avril, le prĂ©sident russe Vladimir Poutine affirme que le rĂ©gime syrien est accusĂ© sans preuve, et le ministre syrien des Affaires Ă©trangĂšres, Walid Mouallem dĂ©clare : « Je peux vous assurer une nouvelle fois que l'armĂ©e arabe syrienne n'a pas utilisĂ© et n'utilisera jamais ce genre d'armes contre notre propre peuple, contre nos enfants, pas mĂȘme contre les terroristes qui ont tuĂ© notre peuple »[88]. L'armĂ©e syrienne affirme que : « Les groupes terroristes et ceux qui les soutiennent sont responsables d'avoir utilisĂ© des substances chimiques et toxiques et d'avoir Ă©tĂ© nĂ©gligents avec les vies de civils innocents »[89]. L'Iran annonce le 5 avril qu'elle « condamne vigoureusement toute utilisation d'armes chimiques quels que soient les responsables et les victimes » et rĂ©clame un « dĂ©sarmement chimique des groupes armĂ©s terroristes »[90]. La Chine dĂ©clare aussi le 7 avril : « Nous nous opposons Ă  l'usage d'armes chimiques, par n'importe quel pays, organisation, ou individu, et quelles que soient les circonstances et l'objectif »[91]. Le 5 avril, le ministre russe des Affaires Ă©trangĂšres SergueĂŻ Lavrov accuse les Casques blancs d'avoir « mis en scĂšne Â» des cadavres dans une volontĂ© dĂ©libĂ©rĂ©e de « provocation Â», tandis que le ministĂšre russe de la DĂ©fense affirme dans le mĂȘme temps que l'attaque chimique a Ă©tĂ© provoquĂ©e par une frappe de l'aviation syrienne sur un entrepĂŽt : « l'aviation syrienne a frappĂ© un entrepĂŽt d’armes chimiques et d’équipement militaire des terroristes, situĂ© dans l’est du village rebelle de Khan Cheikhoun. Dans cet entrepĂŽt se trouvaient des ateliers pour la production de bombes chargĂ©es d’explosifs toxiques. Depuis ce grand atelier, les terroristes envoyaient des munitions contenant des substances chimiques en Irak »[7] - [92] - [93]. InterviewĂ© par l'AFP le 12 avril, Bachar el-Assad dĂ©clare : « Il s'agit pour nous d’une fabrication Ă  cent pour cent [
] Notre impression est que l'Occident, principalement les États-Unis, est complice des terroristes et qu’il a montĂ© toute cette histoire pour servir de prĂ©texte Ă  l'attaque » de la base aĂ©rienne d'Al-Chaayrate, le 7 avril [94].

La responsabilitĂ© du rĂ©gime syrien, ou l'usage mĂȘme d'armes chimiques Ă  Khan Cheikhoun, sont Ă©galement niĂ©es dans des thĂ©ories du complot relayĂ©es notamment par l'extrĂȘme-droite amĂ©ricaine[95] - [96] - [97] - [68].

Le soir du 4 avril, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni prĂ©sentent un projet de rĂ©solution au Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies pour condamner Damas aprĂšs l’attaque chimique de Khan Cheikhoun et appeler Ă  une enquĂȘte complĂšte et rapide de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC)[98] - [99]. Ils rĂ©clament que la Syrie fournisse toutes les informations sur ses opĂ©rations aĂ©riennes, notamment les registres de vols, Ă  une Ă©quipe internationale d'enquĂȘteurs[100]. La Russie juge cependant « inacceptable » en l'Ă©tat ce projet de rĂ©solution, qui pourrait conduire Ă  un envoi de forces armĂ©es en Syrie[101] - [99]. Les États-Unis menacent alors d'une action unilatĂ©rale en cas d'Ă©chec Ă  l'ONU[101]. Le 5 avril, lors de la rĂ©union d'urgence du Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies, l'ambassadrice amĂ©ricaine Nikki Haley montre des photos d'enfants morts pendant l'attaque chimique et dĂ©clare : « Quand les Nations unies Ă©chouent constamment dans leur mission d'action collective, il y a des moments dans la vie des Etats oĂč nous sommes obligĂ©s d'agir nous-mĂȘmes »[102] - [81] - [101]. Le 12 avril, la rĂ©solution est bloquĂ©e une nouvelle fois par un veto de la Russie — son 8e depuis le dĂ©but de la guerre civile syrienne — la Bolivie vote contre ; la Chine, l'Éthiopie et le Kazakhstan s'abstiennent ; tandis que les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, le Japon, l'Égypte, l'Italie, le SĂ©nĂ©gal, la SuĂšde, l'Ukraine et l'Uruguay votent pour[103] - [104].

Le 6 avril, Carla Del Ponte, la reprĂ©sentante de la commission d'enquĂȘte des Nations unies sur la Syrie, dĂ©clare que la responsabilitĂ© du rĂ©gime de Bachar el-Assad dans l'attaque chimique est certaine : « Ce qui est certain, c’est que c’était un bombardement aĂ©rien et que c’était le rĂ©gime syrien qui bombardait »[105] - [106].

Analyses

Critiques de la version russo-syrienne

Selon le gouvernement syrien et son allié russe, l'aviation syrienne n'aurait pas utilisé d'arme chimique mais des bombes conventionnelles. Selon cette version, les armes chimiques auraient été entreposées à l'endroit du bombardement prévu, à dessein ou fortuitement. Lors du bombardement, les explosions auraient libéré le gaz sarin stocké dans ces entrepÎts[107].

Le 6 avril, Kareem Shaheen, reporter pour The Guardian, déclare avoir été le premier journaliste travaillant pour un média occidental à se rendre sur le lieu de l'attaque. Il indique que, contrairement aux affirmations russes, l'épicentre de la contamination chimique ne se situait pas dans un entrepÎt, mais sur une route. De plus, les bùtiments aux alentours de l'impact sur la route n'auraient pas été utilisés récemment selon les témoignages des résidents[108].

La version russe est par ailleurs contestĂ©e par RaphaĂ«l Pitti, mĂ©decin urgentiste spĂ©cialisĂ© en mĂ©decine de guerre travaillant pour l'UOSSM[109] : « Reprenons les bases de cette thĂ©orie. Si cet entrepĂŽt existait vraiment et stockait du gaz sarin, il aurait Ă©tĂ© sous forme liquide, dans des conteneurs ou des obus et missiles, qui auraient Ă©tĂ© volĂ©s au rĂ©gime syrien. Il est trĂšs peu probable que les rebelles aient pu en fabriquer eux-mĂȘmes. Pour que le gaz soit rĂ©pandu, tel qu’il l’a Ă©tĂ©, il aurait fallu qu’une explosion dĂ©truise les contenants et que le liquide soit chauffĂ©, par la suite, Ă  plus de 147 °C pour devenir un gaz. Un grand incendie l’aurait permis. Les tĂ©moins auraient donc entendu et vu plusieurs explosions de grande ampleur et un incendie. Ce serait aussi visible par satellite. Mais cela ne semble pas ĂȘtre le cas. Il y aurait aussi eu beaucoup plus de victimes »[7] - [41].

Pour Olivier Lepick, chercheur associĂ© Ă  la Fondation pour la recherche stratĂ©gique et spĂ©cialiste des armes chimiques, l'explication russe est « de la foutaise » et prĂ©cise : « Il n’y a pas d’entrepĂŽt d’armes chimiques dans cette zone rebelle. Et s’il y en avait eu un, touchĂ© par un bombardement, il n’y aurait pas eu autant de morts et d’intoxiquĂ©s. [...] Un obus chimique, qu’il soit tirĂ© par un lance-roquettes, l’artillerie ou l’aviation, est composĂ© d’un agent toxique, mais aussi d’un agent de dissĂ©mination qui lui permet de frapper une zone Ă©largie. Si des obus chimiques entreposĂ©s sont touchĂ©s par une frappe classique, ils explosent, directement ou sous l’effet de la chaleur, mais ils ne dissĂ©minent pas le produit toxique autant que s'ils avaient dĂ©tonĂ© normalement. L’explication russe ne tient pas une seconde »[110] - [70]. Il indique Ă©galement que les images satellites ne montrent aucun entrepĂŽt dans les zones touchĂ©es par les attaques et que « le sarin et les neurotoxiques figuraient dans l'arsenal chimique du rĂ©gime syrien et n'ont jamais Ă©tĂ© trouvĂ©s ni dans les mains ni mĂȘme dans un atelier de la rĂ©bellion. Car il est indispensable de rappeler qu'il est extrĂȘmement complexe de conserver du sarin »[111]. Pour Olivier Lepick : « nous avons un faisceau de prĂ©somptions suffisamment fort pour statuer de maniĂšre quasi dĂ©finitive sur la culpabilitĂ© du rĂ©gime de Bachar al-Assad », « il y a trĂšs peu de doutes, mĂȘme si les preuves formelles ne sont pas apportĂ©es. »[112].

Le 5 avril, Hamish de Bretton-Gordon, expert britannique en armes chimiques, déclare également que les affirmations russes sont « totalement fausses et intenables » et indique : « Si vous faites exploser du sarin, vous le détruisez »[100].

De mĂȘme, pour Gunnar Jeremias, expert au Research Group for Biological Arms Control Ă  l'universitĂ© de Hambourg : « La dissĂ©mination trĂšs efficace des substances chimiques pointe du doigt le rĂ©gime syrien »[102]. Il prĂ©cise : « Si les Russes suggĂšrent que le dĂ©pĂŽt d'armes rebelle abritait des prĂ©curseurs, alors il est tout Ă  fait impossible que la dĂ©tonation de bombes conventionnelles ait pu provoquer le mĂ©lange de ces prĂ©curseurs et provoquĂ© leur dissĂ©mination. S'ils pensent Ă  des substances chimiques stockĂ©es, j'Ă©mets aussi de larges doutes. Le bombardement a provoquĂ© une dissĂ©mination trĂšs efficace de ces substances, non pas dans une seule rue, mais dans tout un quartier. Or il n'est pas si aisĂ© de dissĂ©miner de telles substances. La nature de ces substances n'est pas formellement Ă©tablie, mais je dirais qu'il ne s'agit pas de chlorine, plus certainement du sarin, au vu des symptĂŽmes observĂ©s chez les victimes (mousse sur les lĂšvres, suffocation). Vous ne fabriquez pas de telles substances dans votre garage, comme pourraient le faire des groupes rebelles syriens. Il s'agit d'un produit de trĂšs haute qualitĂ©, au vu du nombre Ă©levĂ© de victimes et de cette dissĂ©mination trĂšs vaste. Seul un État peut parvenir Ă  un tel rĂ©sultat »[113].

Scott Ritter, ancien inspecteur en désarmement des Nations unies, donne quelques crédits à la version russe. D'aprÚs lui, si les bùtiments abritaient ou fabriquaient effectivement des armes chimiques, la probabilité d'une dispersion dans le voisinage et d'une diffusion par le vent dominant est élevée. Toujours selon Scott Ritter, Al-Nosra a une longue histoire de fabrication et d'utilisation d'armes chimiques ; notamment l'attaque sur la Ghouta en 2013 a été réalisée avec du gaz sarin de mauvaise qualité fabriqué localement, et les attaques chimiques d'Alep en 2016 ont fait appel à un mélange de phosphore blanc et de chlore[114].

Selon le rapport du 6 septembre 2017 de la commission d'enquĂȘte de l'ONU sur la situation des droits de l'Homme en Syrie, la thĂšse russe est « extrĂȘmement improbable » : « Si un dĂ©pĂŽt de ce genre avait Ă©tĂ© dĂ©truit par une frappe aĂ©rienne, l’explosion aurait brĂ»lĂ© la plus grande partie de l’agent [chimique] Ă  l’intĂ©rieur du bĂątiment, ou bien l’aurait enterrĂ© sous les dĂ©combres, oĂč il aurait Ă©tĂ© absorbĂ©, plutĂŽt que d’ĂȘtre relĂąchĂ© dans l’atmosphĂšre dans une quantitĂ© aussi importante »[5] ; de plus, les seuls bĂątiments situĂ©s Ă  proximitĂ© du cratĂšre causĂ© par la bombe, un silo et une boulangerie, Ă©taient vides depuis plusieurs mois au moment de l'attaque[31].

Critiques des versions occidentales et syrienne

Hasan Haj Ali, commandant du groupe rebelle de l'Armée libre d'Idleb, a déclaré que les combattants rebelles n'avaient pas la capacité de produire des agents neurotoxiques. Le rapport du renseignement français valide cette déclaration, et affirme donc que la théorie d'une attaque par l'opposition n'est pas crédible, précisant de plus que l'opposition n'a pas les capacités aériennes requises. Le rapport affirme aussi que la théorie d'une manipulation par l'opposition n'est pas vraisemblable, citant « l'afflux massif dans un temps trÚs limité vers les hÎpitaux en Syrie et en Turquie et le téléchargement simultané et massif de vidéos présentant des symptÎmes de l'utilisation d'agents neurotoxiques »[115].

Pour le général français Dominique Trinquand, « si c'est du sarin, c'est forcément l'armée syrienne, l'opposition n'est pas capable de le fabriquer, à moins que des stocks de l'armée syrienne aient été utilisés par une partie adverse », mais cette derniÚre hypothÚse est trÚs peu crédible selon lui, car si l'armement chimique avait été dérobé à l'armée syrienne, la « meilleure défense » de l'armée syrienne aurait été de déclarer le vol de munitions, or, selon le général, « elle ne l'a jamais fait »[76].

Le 11 avril, l'administration Trump dĂ©voile un rapport du renseignement amĂ©ricain qui incrimine Bachar el-Assad. Selon le Washington Post, ce rapport discrĂ©dite les tentatives des Russes de protĂ©ger leur alliĂ© syrien. Selon leurs auteurs, le rapport est solide, car il repose Ă  la fois sur des renseignements gĂ©ospatiaux, des renseignements Ă©lectromagnĂ©tiques, des analyses en laboratoire d'Ă©chantillons prĂ©levĂ©s sur des victimes, et un nombre significatif de rapports « open source » qui forment un rĂ©cit clair et cohĂ©rent. De plus, sous couvert d'anonymat, des responsables amĂ©ricains dĂ©clarent au Washington Post que le renseignement amĂ©ricain a dĂ©tectĂ© la prĂ©sence d'individus rattachĂ©s au programme chimique syrien sur la base aĂ©rienne d'Al-Chaayrate, d'oĂč, selon le rapport amĂ©ricain, s'est envolĂ© l'avion syrien porteur de l'arme chimique[116] - [117] - [118].

Selon Robert Parry, contrairement aux dĂ©clarations du secrĂ©taire d’État Rex Tillerson le 6 avril 2017, le renseignement amĂ©ricain est divisĂ© sur l'explication Ă  donner aux Ă©vĂ©nements de Khan Cheikhoun. Certaines sources des services secrets amĂ©ricains affirment que des preuves suggĂšrent que les rebelles affiliĂ©s Ă  Al-QaĂŻda Ă©taient en faute, soit en orchestrant une libĂ©ration volontaire d'agents chimiques, soit en possĂ©dant des stocks chimiques qui ont Ă©tĂ© Ă©ventrĂ©s par des bombardements conventionnels. D'aprĂšs Robert Parry, l'une de ces sources pense que le scĂ©nario le plus probable est « un Ă©vĂ©nement mis en scĂšne par les rebelles afin d'obliger le prĂ©sident Donald Trump Ă  revenir sur une politique affirmĂ©e quelques jours plus tĂŽt, Ă©nonçant que le gouvernement amĂ©ricain ne chercherait plus Ă  obtenir un changement de rĂ©gime en Syrie, et se concentrerait sur l'attaque de l'ennemi commun, les terroristes islamistes qui reprĂ©sentent le cƓur des forces rebelles »[66].

Le , Seymour Hersh publie dans le journal allemand Die Welt un article relatif aux Ă©vĂšnements de Khan Cheikhoun. Hersh affirme avoir eu des entretiens avec des membres du renseignement amĂ©ricain et aussi, dĂšs le 4 avril, avoir reçu des transcriptions de communications en temps rĂ©el entre Russes et AmĂ©ricains. D'aprĂšs lui, les Russes avaient prĂ©venu les AmĂ©ricains d'une attaque conventionnelle Ă  Khan Cheikhoun visant un bĂątiment de deux Ă©tages oĂč devait se tenir une rĂ©union de chefs djihadistes. Selon Seymour Hersh, le bĂątiment a Ă©tĂ© atteint Ă  6 h 55. Dans les caves de ce bĂątiment se trouvaient un ensemble de substances chimiques dont la combustion aurait crĂ©Ă© le nuage de gaz toxiques Ă  l'origine du drame[119]. Selon le blogueur Eliot Higgins, « la quasi-totalitĂ© de l’article » de Hersh « repose sur une source anonyme », dĂ©crite comme « un senior adviser [conseiller confirmĂ©, NdT] de la communautĂ© amĂ©ricaine du renseignement, qui a occupĂ© des postes de haut rang au DĂ©partement de la DĂ©fense et Ă  la CIA ». En outre, il va jusqu'Ă  contredire les versions syrienne et russe de l'incident. De plus, alors que les analyses de l'organisation pour l'interdiction des armes chimiques concluent Ă  l'utilisation de gaz sarin, pour Hersh cette substance Ă©tait absente des lieux, et il attribue le dĂ©gagement de gaz nocif Ă  la prĂ©sence d'un mĂ©lange de « produits chimiques, comprenant du chlore et des organophosphates utilisĂ©s dans de nombreux engrais, qui peuvent provoquer des effets neurotoxiques comparables Ă  ceux du gaz sarin » et qui se seraient trouvĂ©s dans le bĂątiment bombardĂ©. Enfin, Higgins signale que les journalistes prĂ©sents sur le terrain peu aprĂšs le drame de Khan Cheikhoun n'ont pas vu le bĂątiment dĂ©crit par Hersh, et qu'ils en rĂ©clament les coordonnĂ©es exactes, pour qu'une vĂ©rification des propos de Hersh soit possible[120].

EnquĂȘtes

En septembre 2013, aprÚs le massacre de la Ghouta, l'Organisation des Nations unies avait adopté une résolution obligeant le régime syrien à démanteler son arsenal chimique sous la supervision d'une mission conjointe de l'ONU et de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC)[121], démantÚlement qui aurait été terminé « à 100% » en d'aprÚs l'OIAC[122]. Cependant, il est possible que le régime syrien ait dissimulé quelques tonnes ou aurait relancé une production à petite échelle[121] - [70] - [111] - [123]. Pour Gunnar Jeremias, expert au Research Group for Biological Arms Control à l'université de Hambourg : « Tout l'arsenal n'a pas été détruit, nous en avons la conviction depuis maintenant deux ans »[102].

Le , le ministre turc de la SantĂ© annonce que les analyses de sang et d'urine prĂ©levĂ©s sur des blessĂ©s soignĂ©s en Turquie confirment l'utilisation de sarin lors de l'attaque de Khan Cheikhoun[124]. Le 12 avril, le Royaume-Uni annonce Ă  l'ONU que les scientifiques britanniques, aprĂšs avoir analysĂ© des Ă©chantillons du site de l'attaque, confirment Ă©galement l'usage de sarin ou d'un agent neurotoxique similaire[125] - [126]. Le 19 avril, l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) annonce Ă  son tour, des prĂ©lĂšvements ayant Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s sur dix victimes et analysĂ©s dans quatre laboratoires, que du gaz sarin ou une substance similaire ont Ă©tĂ© utilisĂ©s de maniĂšre « irrĂ©futable Â» lors du massacre de Khan Cheikhoun[127] - [128] - [129]. Le rapport de l'OIAC est aussitĂŽt critiquĂ© par la Russie[128]. Le lendemain, la Russie et l'Iran rĂ©clament l'ouverture d'une nouvelle enquĂȘte, mais la demande est rejetĂ©e par l'OIAC qui indique que la mission d'enquĂȘte en cours se poursuit[130]. Moscou reconnaĂźt alors que « Le fait du recours au sarin ne fait guĂšre de doutes » mais estime qu'« il est impossible de faire des conclusions sur qui en est responsable sans une enquĂȘte internationale »[131].

Le 13 avril, les États-Unis dĂ©clarent que les renseignements militaires amĂ©ricains avaient interceptĂ© des conversations entre des pilotes syriens et des experts en armes chimiques, qui Ă©voquaient la prĂ©paration de l'attaque de Khan Cheikhoun[132] - [133].

Le 19 avril, Jean-Marc Ayrault, le ministre français de affaires Ă©trangĂšres, annonce que dans quelques jours la France apportera la preuve de la culpabilitĂ© du rĂ©gime syrien[134]. Le 26 avril, la France publie son rapport dans laquelle elle indique que les prĂ©lĂšvements effectuĂ©s — sur place et Ă  partir des examens biomĂ©dicaux des victimes effectuĂ©s dans les hĂŽpitaux — par ses services de renseignement montrent que le gaz neurotoxique utilisĂ© Ă  Khan Cheikhoun provient bien des stocks du rĂ©gime de Bachar el-Assad, qui n'ont donc pas Ă©tĂ© totalement dĂ©truits malgrĂ© l'engagement pris[135] - [136] - [137]. Le rapport confirme Ă©galement l'utilisation du sarin, qui est le mĂȘme que celui de l'attaque du 29 avril 2013 Ă  Saraqeb, oĂč la France avait pu ramasser une munition non explosĂ©e[135] - [136] - [137]. Le rapport indique aussi que les composants utilisĂ©s dans le processus de synthĂšse du gaz neurotoxique sont ceux mis au point dans les laboratoires du rĂ©gime, notamment dans le Centre d'Ă©tude et de recherches scientifiques (CERS)[135] - [136] - [137]. La composition du gaz sarin dĂ©veloppĂ© par le rĂ©gime syrien est connue grĂące aux tĂ©moignages de scientifiques ayant travaillĂ© pour le compte du rĂ©gime au dĂ©partement chimie du Centre d'Ă©tude de recherche scientifique avant de fuir la Syrie au dĂ©but de la guerre civile : elle comporte deux produits de synthĂšse caractĂ©ristique : le diisopropyl mĂ©thylphosphonate (en) (DIMP) et l'hexamine[138]. Les examens menĂ©s sur les Ă©chantillons de Khan Cheikhoun rĂ©vĂšlent la prĂ©sence d'hexamine, un produit secondaire caractĂ©ristique du procĂ©dĂ© de fabrication[135] - [137]. Selon la note du renseignement : « Cette mĂ©thode porte la signature du rĂ©gime »[135] - [137].

Pour le chercheur Olivier Lepick : « Le sarin est trĂšs complexe Ă  fabriquer, il y a 20 Ă  25 modes de synthĂšse possibles et de nombreux sous-produits de sa fabrication, dont l'hexamine. Le rĂ©gime a dĂ©clarĂ© en dĂ©tenir 80 tonnes lors de son adhĂ©sion Ă  l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). Or on a constatĂ© la prĂ©sence d'hexamine dans deux autres attaques qu’il a perpĂ©trĂ©es. C’est une signature »[139] - [136]. De mĂȘme selon le consultant Dan Kaszeta, ancien officier au Chemical Corps (en) : « Dans toute l’histoire du gaz sarin, l'hexamine n’a jamais Ă©tĂ© utilisĂ©e sinon en Syrie et par le rĂ©gime »[139].

Le rĂ©gime syrien rĂ©agit le lendemain en accusant la France d'ĂȘtre « impliquĂ©e » dans « le crime perpĂ©trĂ© Ă  Khan Cheikhoun », mais sans donner davantage de prĂ©cisions ou de preuves[140].

Dans un rapport publiĂ© le , Human Rights Watch accuse Ă  son tour le gouvernement syrien d'ĂȘtre responsable de l'attaque chimique[50].

Du cĂŽtĂ© de l'ONU (dĂ©claration devant le Conseil de sĂ©curitĂ© de la Haut-ReprĂ©sentante des Nations unies pour les affaires de dĂ©sarmement, Izumi Nakamitsu), un communiquĂ© datĂ© du 15 juin 2017 indique : « Concernant l'incident qui aurait eu lieu Ă  Khan CheĂŻkhoun le 4 avril 2017, la mission d'Ă©tablissement des faits de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) s'est rĂ©cemment rendue Ă  Damas et le dĂ©ploiement d'une Ă©quipe sur les lieux de l'incident est toujours prĂ©vu. Toutefois, il ne pourra avoir lieu que si les conditions de sĂ©curitĂ©s sont satisfaites, a prĂ©cisĂ© la Haut-ReprĂ©sentante. On ne peut donc dire quand l'Ă©quipe pourra donner ses conclusions sur l'incident Â»[141].

En juin 2017, un rapport confidentiel de l'OAIC, dont l'AFP a obtenu des extraits, confirme qu'« un grand nombre de personnes, dont certaines sont mortes, ont Ă©tĂ© exposĂ©es au sarin ou Ă  un produit de type sarin »[142]. La mission de l'OAIC a indiquĂ© que l'endroit d'oĂč provenait le gaz mortel conserve la trace d'un cratĂšre et que les caractĂ©ristiques de la propagation du gaz « ne peuvent correspondre qu'Ă  l'usage de sarin comme arme chimique »[142].

Le 6 juillet 2017, une dĂ©pĂȘche du service d'information de l'ONU indique que le Joint Investigative Mechanism (JIM) — le mĂ©canisme d'enquĂȘte conjoint de l'ONU et de l'OIAC dont le responsable Edmond Mulet prĂ©cise : « Nous travaillons avec le gouvernement syrien Ă  ce sujet, et nous espĂ©rons que nous aurons les outils nĂ©cessaires pour faire notre travail » — « enquĂȘte actuellement sur l'attaque survenue le 4 avril 2017 sur la ville syrienne de Khan Shaykhun Â». Cette dĂ©pĂȘche souligne Ă©galement que « le groupe de trois experts chargĂ© d'enquĂȘter sur l'utilisation d'armes chimiques en Syrie a appelĂ© jeudi la communautĂ© internationale Ă  lui permettre d'accomplir son travail de maniĂšre indĂ©pendante, impartiale et professionnelle »[143]. Cependant lors d'une rĂ©union Ă  huis clos avec le Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies, Edmond Mulet se plaint d'un « environnement hautement politisĂ© » dans lequel des « parties intĂ©ressĂ©es » cherchent Ă  influencer la commission d'enquĂȘte : « Nous recevons, malheureusement, des messages directs et indirects en permanence de plusieurs directions nous expliquant comment faire notre travail » ; il dĂ©clare alors que « les messages viennent de partout »[144]. En novembre 2017, aprĂšs la remise du rapport, Edmond Mulet Ă©voquera « certains messages, certaines dĂ©marches, je dirais d’un seul pays membre du Conseil de sĂ©curitĂ© qui insistait pour que les conclusions de notre travail aillent dans une certaine direction. Quand je suis allĂ© devant le Conseil pour prĂ©senter mon rapport, on a eu les rĂ©actions assez violentes de la Russie envers ma personne »[145]

Le , un rapport de la commission d'enquĂȘte de l'ONU sur la situation des droits de l'Homme en Syrie confirme la responsabilitĂ© du rĂ©gime syrien dans l'attaque chimique de Khan Cheikhoun[5] - [146] - [31]. Bien que les enquĂȘteurs n'aient pu se rendre en Syrie faute d'une autorisation du rĂ©gime[5], ils concluent que : « Toutes les preuves disponibles permettent de conclure qu'il existe des motifs raisonnables de croire que les forces aĂ©riennes ont lancĂ© une bombe dispersant du gaz sarin. [...] L'utilisation du gaz sarin Ă  Khan Cheikhoun le 4 avril par les forces aĂ©riennes syriennes constitue des crimes de guerre »[147]. Le prĂ©sident de la commission, Paulo Sergio Pinheiro, dĂ©clare Ă©galement : « On a conclu que cette attaque a Ă©tĂ© perpĂ©trĂ©e par les forces aĂ©riennes syriennes. Nous avons des preuves, des sources matĂ©rielles, des tĂ©moignages de victimes, des images satellitaires, des photos, des analyses techniques militaires »[147]. La thĂšse dĂ©fendue par la Russie et le rĂ©gime syrien du bombardement d'un entrepĂŽt chimique tenu par les rebelles est Ă©galement rejetĂ©e par le rapport[5].

Le , la Russie met son vĂ©to Ă  la prolongation du Joint Investigative Mechanism (JIM), dont le mandat expire le 16 novembre[148]. La Bolivie vote Ă©galement contre ; la Chine et le Kazakhstan s'abstiennent ; les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l'Égypte, l'Éthiopie, l'Italie, le Japon, le SĂ©nĂ©gal, la SuĂšde, l'Ukraine et l'Uruguay votent pour[148] - [149]. Moscou avait auparavant demandĂ©, sans succĂšs, Ă  ce que le vote soit reportĂ© aprĂšs la remise du rapport sur le massacre de Khan Cheikhoun et avait laissĂ© entendre qu'il s'opposerait au renouvellement du mandat du JIM, si son rapport Ă©tablissait la culpabilitĂ© du rĂ©gime syrien. Il n'exclut pas de renĂ©gocier le mandat du JIM aprĂšs la remise du rapport[150] - [151] - [152] - [153].

De son cĂŽtĂ©, le Joint Investigative Mechanism (JIM) — la commission d'enquĂȘte conjointe de l'ONU et de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) — mĂšne son enquĂȘte en Syrie. Elle analyse des tĂ©moignages, des images satellites du site, des vidĂ©os amateurs, des photos, des Ă©chantillons et les plans de vols[154] - [155]. Elle ne peut se rendre Ă  Khan Cheikhoun pour des raisons de sĂ©curitĂ©, mais elle peut visiter la base aĂ©rienne d'Al-Chaayrate[154] - [156]. Le , le Joint Investigative Mechanism rend son rapport et confirme la responsabilitĂ© du rĂ©gime syrien ; le groupe d'experts dĂ©clare ĂȘtre « convaincu que la RĂ©publique arabe syrienne est responsable de l'usage de sarin sur Khan Cheikhoun le 4 avril 2017 » et indique que le « scĂ©nario privilĂ©giĂ© » est que « le gaz sarin a Ă©tĂ© propagĂ© via une bombe aĂ©rienne lancĂ©e depuis un avion »[1]. Ces conclusions sont rejetĂ©es par le rĂ©gime syrien, qui accuse l'ONU d'avoir « falsifiĂ© la vĂ©ritĂ© », et par la Russie, dont le ministre adjoint des Affaires Ă©trangĂšres, SergueĂŻ Riabkov, estime que le rapport comporte « de nombreuses contradictions, des incohĂ©rences logiques, une utilisation de tĂ©moignages douteux et des preuves non confirmĂ©es »[154] - [157] - [158]. Les États-Unis, le Royaume-Uni et la France condamnent quant Ă  eux le rĂ©gime syrien ; Rex Tillerson, le secrĂ©taire d'État des États-Unis, dĂ©clare : « Nous ne pensons pas qu'il y ait un avenir pour le rĂ©gime Assad et la famille Assad »[158] - [159].

Le 2 novembre, la Russie attaque Ă  nouveau le rapport du JIM ; MikhaĂŻl Oulianov, responsable du dĂ©partement SĂ©curitĂ© et dĂ©sarmement du ministĂšre russe des Affaires Ă©trangĂšres, parle d'un rapport « superficiel » et « amateur » et dĂ©clare : « la mission a menĂ© son enquĂȘte Ă  distance, rien que cela, c'est un scandale. [...] Il aurait Ă©tĂ© plus honnĂȘte de reconnaĂźtre qu'il est impossible de mener une enquĂȘte dans les conditions actuelles »[160]. La Russie reconnait que du sarin a Ă©tĂ© utilisĂ© Ă  Khan Cheikhoun, mais affirme dĂ©sormais que l'aviation syrienne n'a « techniquement » pas pu frapper la ville et que l'explosion venait d'un obus au sol et non d'une attaque aĂ©rienne syrienne[160]. Quelques jours plus tard, dans une interview au journal Le Monde, Edmond Mulet, le prĂ©sident du JIM dĂ©clare : « Tout ce travail a Ă©tĂ© fait d’une maniĂšre trĂšs scientifique, indĂ©pendante, objective, impartiale, et les critiques qui ont Ă©tĂ© faites sur notre travail sont purement politiques. Rien ne peut nous faire changer d’avis. [...] Nous sommes vraiment convaincus que le gouvernement syrien est responsable pour l’utilisation de gaz sarin Ă  Khan Cheikhoun. [...] Les Russes avaient dĂ©jĂ  dit qu’ils voulaient connaĂźtre le contenu du rapport avant de se prononcer sur un prolongement du mandat. [...] Mais, avec toutes les preuves que nous avons pu rassembler, nous n’avions pas d’autre choix, comme membre du mĂ©canisme du JIM, que d’attribuer [la responsabilitĂ© de l’attaque] Ă  la RĂ©publique arabe syrienne, mĂȘme si on savait que cela pouvait dĂ©terminer la fin de l’existence du JIM. Ce n’était pas une raison pour ne pas dire la vĂ©rité  »[145].

Alors que le mandat du Joint Investigative Mechanism (JIM) expire le 16 novembre, deux projets de rĂ©solution — l'un russe, l'autre amĂ©ricain — entrent en concurrence au Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies[161] - [162]. Le projet russe prĂ©voit initialement une prolongation du mandat des enquĂȘteurs de six mois, contre dix-huit pour le projet amĂ©ricain avant qu'ils ne s'accordent tous deux pour une prolongation d'un an ; Moscou rĂ©clame Ă©galement le gel des conclusions du rapport du JIM sur le massacre de Khan Cheikhoun et une nouvelle enquĂȘte en Syrie avec une Ă©quipe recomposĂ©e[161] - [163]. Le vote se tient le 16 novembre : la Russie met une nouvelle fois son veto — son 10e concernant le conflit syrien — au projet amĂ©ricain ; la Bolivie vote Ă©galement contre, la Chine et l'Égypte s'abstiennent, les onze autres États votent pour[164] - [163]. Peu aprĂšs, le projet russe est Ă  son tour rejetĂ© avec quatre voix pour — Russie, Chine, Bolivie et Kazakhstan — sept voix contre — États-Unis, France, Royaume-Uni, SuĂšde, Italie, Uruguay et Ukraine — et quatre abstentions — Égypte, Éthiopie, Japon et SĂ©nĂ©gal[163] - [165] - [166]. Le Japon propose alors un projet d'un simple renouvellement technique de 30 jours, mais le 17 novembre la Russie place son 11e veto[167] - [168]. Le mandat du JIM s'achĂšve alors[169].

Conséquences

Le massacre de Khan Cheikhoun provoque un revirement des États-Unis, qui mĂšne pour la premiĂšre fois des actions de reprĂ©sailles contre le rĂ©gime syrien. Dans la nuit du 6 au 7 avril, 59 missiles Tomahawk frappent la base aĂ©rienne d'Al-Chaayrate, dans le gouvernorat de Homs[170] - [171]. Le revirement des États-Unis a probablement provoquĂ© la surprise du gouvernement de Damas[52] - [64] et la colĂšre de la Russie[59] - [75] - [172]. Cependant ces bombardements sont sans grande consĂ©quence pour le rĂ©gime syrien[64] - [65] - [173] - [174].

Le 13 avril, le rĂ©gime syrien accuse la coalition d'avoir Ă  son tour bombardĂ© un dĂ©pĂŽt de gaz toxique de l'État islamique Ă  Hatlah, dans le gouvernorat de Deir ez-Zor, ce qui aurait fait selon lui fait « des centaines de morts, dont de nombreux civils »[175]. L'armĂ©e syrienne affirme alors que cela constitue la preuve que les djihadistes de l'EI et d'al-QaĂŻda « possĂšdent des armes chimiques »[175]. Cependant ces dĂ©clarations ne sont confirmĂ©es par aucune source indĂ©pendante[175]. Le rĂ©seau d'informations DeirEzzor24, pro-opposition, qualifie cette annonce de « fake news Â» et affirme qu'aucun bombardement et aucune perte civile n'ont Ă©tĂ© rapportĂ©s derniĂšrement Ă  Hatlah[176]. Le colonel John Dorrian, porte-parole de la coalition, dĂ©ment Ă©galement et affirme que « la coalition n'a menĂ© aucun bombardement dans cette zone Ă  l'heure indiquĂ©e. Les affirmations syriennes sont erronĂ©es et sont sans doute mal intentionnĂ©es »[175]. Quant au ministĂšre russe de la DĂ©fense, il indique n'avoir reçu aucune information confirmant les affirmations de Damas[175].

Le 24 avril, en rĂ©ponse au massacre de Khan Cheikhoun, l'Office of Foreign Assets Control (OFAC) annonce des sanctions financiĂšres contre 271 scientifiques d'un centre syrien de dĂ©veloppement d'armes chimiques[177]. Le journal Newsweek affirme que ce centre a pour objectif dĂ©clarĂ© de coordonner les activitĂ©s scientifiques en Syrie, mais qu'il est accusĂ© par les analystes occidentaux d'ĂȘtre une façade pour la fabrication d'armes de destruction massive. L'OFAC a Ă©tabli une liste de 271 scientifiques ayant eu une responsabilitĂ© potentielle dans l'attaque au gaz sarin. Certains scientifiques sanctionnĂ©s sont censĂ©s avoir contribuĂ© directement Ă  la fabrication d'armes chimiques, et d'autres ont Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©s pour leur « expertise en chimie et disciplines connexes »[178].

Justice

Le 5 octobre 2020, trois ONG de dĂ©fense des droits humains (Syrian Archive, le Centre syrien des mĂ©dias et de la libertĂ© d’expression et Open Society Justice Initiative), portent plainte contre le rĂ©gime syrien pour crime contre l'humanitĂ©. La plainte est dĂ©posĂ©e en Allemagne, le dossier comprend les tĂ©moignages de 17 survivants et de 50 militaires et anciens responsables du gouvernement ayant fait dĂ©fection depuis. À l'instar du procĂšs de Coblence, les plaignants s'appuient sur le principe de compĂ©tence universelle de la justice allemande pour tenter de poursuivre les responsables de l'attaque chimique, ainsi que de celle sur la Ghouta en aoĂ»t 2013, car jusqu'alors, les vĂ©tos, notamment russes, au Conseil de sĂ©curitĂ© de l'ONU et Ă  l'OIAC ont permis une totale impunitĂ©. Selon les plaignants, des mandats d'arrĂȘt internationaux pourraient ĂȘtre dĂ©livrĂ©s contre de hauts dignitaires du rĂ©gime syrien, y compris Bachar et Maher el-Assad[179] - [180] - [181].

Liens externes

TĂ©moignages

EnquĂȘtes et rapports

Articles

Vidéographie

Notes et références

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