MĂ©tabolisme du tritium
Le tritium est un isotope radioactif produit par l'industrie nucléaire. Comme il tend à se diffuser dans l'environnement via l'air et le cycle de l'eau, il est considéré comme un marqueur important d'activités nucléaires. La connaissance de son métabolisme est un enjeu important pour évaluer son caractÚre dangereux au regard de la radioprotection et de la santé publique.
L'exposition au tritium « peut reprĂ©senter un risque lorsque cette substance est ingĂ©rĂ©e avec lâeau potable ou les aliments, quâelle est inhalĂ©e ou absorbĂ©e par la peau »[1].
Sa pĂ©riode radioactive relativement courte fait que le tritium a une activitĂ© spĂ©cifique Ă©levĂ©e (3,58 ĂâŻ1017 Bq/kg). Autrement dit, une masse de tritium trĂšs faible produit un nombre de dĂ©sintĂ©grations par seconde Ă©levĂ©. En thĂ©orie, parce que l'hydrogĂšne est un Ă©lĂ©ment chimique majeur, entrant dans la plupart des molĂ©cules existant naturellement et en particulier l'eau, le tritium ne peut pas exister dans l'environnement Ă l'Ă©tat pur et il n'apparaĂźt a priori que comme une trĂšs faible fraction de l'hydrogĂšne, en masse ou nombre d'atomes. Cependant, l'absence de discrimination (positive ou nĂ©gative) entre les isotopes de l'hydrogĂšne lors des processus biologique reste Ă prouver.
La plupart des composĂ©s organiques issus du mĂ©tabolisme semblent pouvoir ĂȘtre radiomarquĂ©s par le tritium ; il suffit d'exposer l'organisme (vivant) qui les produit (plante, animal, champignon, lichen, microorganisme) Ă de l'eau tritiĂ©e ou Ă un gaz tritiĂ©[2].
Il est ainsi possible ensuite d'observer la cinétique d'un composé organique radiomarqué par le tritium dans un organisme (pour étudier sa « cible » par exemple, ou certains métabolites ou produits de dégradation et leur devenir). La radioactivité du tritium et le fait qu'il puisse s'intégrer dans les molécules les plus petites a permis de l'utiliser pour suivre dÚs les années 1950 des processus fins tels que la duplication de l'ADN[3], via des films radiosensibles, ce qui a permis de confirmer l'hypothÚse de Watson et Crick (qui ont « découvert » de l'ADN).
Formes du tritium dans la biosphĂšre
Dans l'environnement, le tritium se présente sous 3 formes principales :
- T2 (tritium gazeux) ; HT (dihydrogÚne tritié) ; CH3T (méthane tritié) ;
- HTO (Eau tritiĂ©e) : 99 % environ du tritium produit prend rapidement cette forme, essentiellement dans l'ocĂ©an. En 1972, l'UNSCEAR estimait Ă 6,3 ĂâŻ1019 Bq, contre 4,3 ĂâŻ1019 Bq aujourd'hui[4]. Ce sont les ocĂ©ans qui en contiennent le plus, mais si diluĂ© dans leur masse que le taux de tritium (0,2 Bq/L en moyenne) est bien plus bas que dans les eaux continentales (UNSCEAR, 1993), sauf en cas de proximitĂ© d'installations nuclĂ©aires ;
- OBT (pour « Organically Bounded Tritium » ; expression désignant le tritium intégré de maniÚre covalente au sein de molécules organiques), dans les organismes vivants (biomasse), leurs cadavres (nécromasse) ou excréments et excrétats, dans la matiÚre organique du sol et des sédiments...
Via le recyclage de la nĂ©cromasse ou plus gĂ©nĂ©ralement via la chaĂźne alimentaire, ces trois formes de tritium peuvent ĂȘtre transfĂ©rĂ©es d'un compartiment Ă l'autre de l'Ă©cosystĂšme.
Une question importante pour le biologiste est de savoir si la présence de tritium dans une molécule d'eau affecte ou non le comportement de cette « eau tritiée » dans les systÚmes biologiques (cellules, organes, organismes, écosystÚmes ou fluides organiques tels que lymphe, sang, etc.).
DÚs les années 1950, un double désaccord apparait entre chercheurs. Il porte sur deux points :
- les véritables valeurs des coefficients de diffusion de THO, H20 et D2O ; l'eau tritiée semble en effet diffuser moins vite au travers de membranes biologiques que l'eau[5].
- le comportement des molĂ©cules THO : peut-on ou non affirmer que H20 et D2O ou de l'eau Ă laquelle on a substituĂ© un isotope de l'oxygĂšne (180) Ă l'oxygĂšne sont des molĂ©cules permettant de tracer l'eau, sans que le comportement de ces molĂ©cules (eau tritiĂ©e ou eau radiomarquĂ©e par un isotope de l'oxygĂšne) soit modifiĂ© durant leur fonction de traceur de l'eau dans les systĂšmes biologiques [5] - [6] - [7] - [8] - [9]. Les donnĂ©es de Wang et al[5] ont Ă©tĂ© considĂ©rĂ©s comme les plus satisfaisantes par les biologistes qui ont les premiers utilisĂ© l'eau tritiĂ©e comme traceur pour la mesure de lâabsorption d'eau par les globules rouges humains. Les expĂ©rimentations de Wang et al[10] avaient en 1954 conclu Ă un coefficient de diffusion de THO diffĂ©rent (14 % plus faible) que celui de H20[11].a ainsi introduit un facteur de compensation de +14 % dans ses calculs de flux pour compenser cette diffĂ©rence. Dans le cas des globule rouge, Sheppard et Martin[12] avaient estimĂ© en 1950 que les radiations du tritium de l'eau tritiĂ©e n'affectait a priori pas (en tous cas dans le temps de l'expĂ©rience) la capacitĂ© de fonctionnement des canaux (aquaporines) traversant la paroi cellulaire (car le transport du potassium qu'ils ont mesurĂ© n'Ă©tait pas affectĂ© par une radioactivitĂ© estimĂ©e par eux Ă 4 ĂâŻ10â7 rads).
Fixation biologique du tritium
Le tritium ayant presque les mĂȘmes propriĂ©tĂ©s chimiques que l'hydrogĂšne, il s'y substitue facilement, y compris en se liant Ă d'autres atomes, dans les molĂ©cules d'eau ou dans les molĂ©cules organiques, en s'y comportant comme le ferait l'hydrogĂšne. Parce que trĂšs soluble dans l'eau il peut s'y intĂ©grer sous forme d'eau tritiĂ©e, laquelle se rĂ©partit sur l'ensemble du cycle de l'eau. Sous cette forme, le tritium pĂ©nĂštre facilement dans les organismes par inhalation, ingestion ou Ă travers la peau ou les muqueuses.
Sa fixation ou sa non-fixation dans un organisme dépendent de sa forme physicochimique, selon qu'il est présent sous « forme libre » ou incorporée.
- Sous forme libre parfois dite "minĂ©rale[13], on le trouve gĂ©nĂ©ralement dans l'eau (et alors essentiellement sous forme dâeau tritiĂ©e liquide), ou dans l'air (sous forme de vapeur d'eau tritiĂ©e). De mĂȘme que l'hydrogĂšne gazeux, le tritium gazeux (HT) n'est pratiquement pas mĂ©tabolisĂ©. Seul 0,01 % de lâactivitĂ© inhalĂ©e est absorbĂ© pour ĂȘtre ensuite oxydĂ© rapidement en eau tritiĂ©e.
- sous forme de « tritium incorporĂ© », on le trouve alors dans une molĂ©cule organique, oĂč il est dit « liĂ© ». Cette molĂ©cule peut ĂȘtre mĂ©tabolisĂ©e. Selon l'IRSN, une partie du tritium minĂ©ral entre dans les molĂ©cules organiques par Ă©change avec un hydrogĂšne labile ou par des rĂ©actions mĂ©taboliques. Ce phĂ©nomĂšne se produit aussi bien pour les vĂ©gĂ©taux, par la photosynthĂšse que chez l'homme et l'animal[13]. AssociĂ© (passivement ou via le mĂ©tabolisme bactĂ©rien ou dâautres espĂšces) Ă certaines molĂ©cules organiques, le tritium devient du « Tritium Organiquement LiĂ© Ăchangeable » (dit TOL-E ou OBT-E) ; il sâest alors substituĂ© Ă l'hydrogĂšne de radicaux typiques (-OH, -SH, =NH...) et circule dans les organismes vivants en empruntant les voies de ces radicaux.
Les atomes de tritium de la fraction organique Ă©changeable sont trĂšs labiles (liaisons covalentes faibles). Le tritium organique en position Ă©changeable se met en fait en Ă©quilibre avec le tritium contenu dans l'eau cellulaire et subit les mĂȘmes Ă©volutions[14]. Sa pĂ©riode biologique est donc sensiblement la mĂȘme que celle de l'eau tritiĂ©e.
De la forme liée en eau tritiée, le tritium est également incorporé à la matiÚre organique lors de la photosynthÚse.
Le tritium est qualifiĂ© de « Tritium Organiquement LiĂ© Non-Ăchangeable » (TOL-NE ou OBT-NE) quand il sâest directement liĂ© aux atomes de carbone des molĂ©cules organiques.
Ces derniĂšres molĂ©cules sont beaucoup plus stables car les liaisons carbone-hydrogĂšne donnent des liaisons covalentes fortes qui nĂ©cessitent une combustion ou un crackage ou une hydrolyse enzymatique pour ĂȘtre cassĂ©es.
Le tritium non Ă©changeable peut avoir un comportement trĂšs diffĂ©rent de celui du tritium libre ou en solution dans lâeau dans lâorganisme[15].
Sous forme organique liĂ©e non Ă©changeable (OBT), la maniĂšre dont le tritium participe au mĂ©tabolisme dĂ©pend de la molĂ©cule oĂč il s'est fixĂ©. De ce fait, le tritium montre dans la cellule une diffusion non homogĂšne (ce qui en toute rigueur peut conduire Ă un niveau de dangerositĂ© variant avec la forme de l'OBT).
Sa pĂ©riode radioactive de 12,3 ans lui permet dâavoir des effets sur un temps significatif du point de vue Ă©cotoxicologique.
Le tritium fixĂ© participe Ă l'ensemble du mĂ©tabolisme, y compris l'Ă©laboration de l'ADN : Komatsu (1982), en contaminant expĂ©rimentalement un rĂ©seau trophique constituĂ© de diatomĂ©es (Chaetoceros gracilis), de petites crevettes (Artemia salina) et de poissons (Oryzias latipes), constatait qu'une part significative de ce tritium est incorporĂ© dans lâADN des artĂ©mies[16]. 11 ans avant lui (en 1971), et sur des organismes Ă cycle de vie plus long, Kirchmann n'avait pas observĂ© de concentration particuliĂšre dans lâADN[17].
Sous forme fixĂ©e, il n'y a plus d'Ă©changes avec l'eau cellulaire et les autres radicaux Ă liaison faible. Sa pĂ©riode biologique n'est plus liĂ©e Ă celle de l'eau tritiĂ©e, mais dĂ©pend du mĂ©tabolisme associĂ© Ă la molĂ©cule porteuse, laquelle peut ĂȘtre trĂšs stable dans l'organisme.
La durĂ©e de lâincorporation de tritium dĂ©pend donc du turn-over de la molĂ©cule biologique : rapide pour des molĂ©cules qui participent au cycle Ă©nergĂ©tique, plus lente pour des molĂ©cules de structure ou des macromolĂ©cules comme lâADN, ou bien des molĂ©cules de rĂ©serve Ă©nergĂ©tique[18].
C'est sous cette forme qu'il marque l'environnement de façon durable. C'est cette fixation qui permet par exemple de reconstituer les teneurs historiques en tritium par l'étude des cernes d'arbres[19].
Cinétique dans l'organisme
La période biologique (sensiblement égale à la période effective dans le cas du tritium) varie suivant la forme sous laquelle le tritium est fixé.
Quelle que soit la forme de lâapport en tritium, la plus grande partie du tritium est rĂ©putĂ©e Ă©liminĂ©e en 1 mois et la presque-totalitĂ© est Ă©liminĂ©e en moins de 1 an. Sa pĂ©riode biologique est donc trĂšs infĂ©rieure Ă sa pĂ©riode radioactive.
Il est bien plus rare sous forme gazeuse que sous forme d'eau tritĂ©e. La part inhalĂ©e est rĂ©putĂ©e se rĂ©pandre Ă©quitablement dans les tissus mous, et se met en Ă©quilibre avec la concentration extĂ©rieure. Le tritium gazeux est peu soluble, seul 0,01 % de lâactivitĂ© inhalĂ©e est transfĂ©rĂ© dans le sang sous forme dâHTO[20]. Lâassimilation sous forme de tritium gazeux est donc environ 10 000 fois plus faible que sous forme dâeau tritiĂ©e.
L'eau tritiée étant trÚs semblable à de l'eau ordinaire, son importance en radiotoxicité dépasse celle du gaz tritium[21] parce qu'elle est assimilée par l'organisme.
Lâeau tritiĂ©e suit la biocinĂ©tique de lâeau avec un Ă©quilibre rapide entre HTO et H2O. L'eau tritiĂ©e se mĂȘle rapidement Ă toute l'eau du corps[22]. Lâeau tritiĂ©e diffuse librement et rapidement Ă travers toutes les membranes cellulaires et sâĂ©quilibre avec les fluides corporels en quelques minutes[20].
Lâeau tritiĂ©e est Ă©liminĂ©e via la transpiration, la vapeur d'eau expirĂ©e et l'excrĂ©tion urinaire[23]. On admet quâen moyenne le renouvellement de lâeau libre corporelle sâeffectue avec une pĂ©riode biologique de 10 jours chez lâadulte[20].
Cette valeur reflĂšte le cycle de l'eau dans l'organisme considĂ©rĂ©. Les pĂ©riodes biologiques varient en fonction de lâĂąge, pour la partie eau tritiĂ©e : de 3 jours Ă lâĂąge de 3 mois Ă 10 jours chez lâadulte[20].
Les 3 % qui passent sous forme de tritium organique (essentiellement sous forme lié échangeable) sont éliminés avec une période de demi-vie dans l'organisme de 40 jours : chez le rat buvant une eau tritiée, 97 % du tritium incorporé a une demi-vie biologique de 10 jours, et 3 % a une demi-vie de 40 jours.
Si ce sont les aliments qui sont contaminants, le tritium peut ĂȘtre prĂ©sent sous forme d'eau (tritiĂ©e) dans les tissus, d'OBT Ă©changeable substituĂ© Ă d'autres radicaux, ou d'OBT non Ă©changeable.
La part présente sous forme d'eau tritiée s'élimine avec une demi-vie de l'ordre de dix jours. En milieu marin, l'OBT a une demi-vie de 10 jours pour 70 % du tritium incorporé, et de 100 jours pour le 30 % restant[24] - [25].
Les molĂ©cules organiques tritiĂ©es (OBT) apportĂ©es par lâalimentation sont dĂ©gradĂ©es par la digestion et transfĂ©rĂ©es dans le sang sous forme dâeau tritiĂ©e, ou sous forme de molĂ©cules organiques tritiĂ©es de plus petite taille. La plupart des composĂ©s organiques absorbĂ©s (sucres, graisses, protides) sont utilisĂ©s et dĂ©gradĂ©s pour produire de lâĂ©nergie et de lâeau tritiĂ©e ; celle-ci rejoint le pool dâeau cellulaire. Cette eau est ensuite partiellement recyclĂ©e dans la synthĂšse des protĂ©ines, hormones, lait, graisses[20].
Sous forme organique (TBO)[23], sa période de demi-vie est de 40 jours chez l'adulte (contre 8 jours chez le nourrisson[20]).
Une faible proportion du total (moins de 1 % du tritium absorbé) est présente sous forme organique beaucoup plus stable, avec une période biologique d'environ 450 jours (composés organiques de renouvellement lent)[23].
Le tritium lié (sous forme non échangeable) dans la matiÚre organique est plus rare, mais plus dangereux car moins rapidement éliminé (période de 550 jours, soit 55 fois plus que les 10 jours de séjour de l'eau tritiée)[26].
Chez l'Homme
Le Tritium Ă©lĂ©mentaire (T2 ou HT) bien moins facilement assimilable (seuls 0,004 % environ de son activitĂ© inspirĂ©e est absorbĂ©e, et apparemment aprĂšs oxydation prĂ©alable dans les poumons. De mĂȘme seule une quantitĂ© nĂ©gligeable en est absorbĂ©e par la peau).
Dans le contexte de l'industrie nuclĂ©aire, il peut ĂȘtre associĂ© (Ă la maniĂšre des hydrures) Ă des mĂ©taux avalĂ©s ou inhalĂ©s (hafnium par exemple[27]). Dans ces cas il peut ĂȘtre fixĂ© dans l'organisme bien plus longtemps que s'il avait Ă©tĂ© absorbĂ© sous forme HTO et dĂ©livrer en son point de fixation une dose de radioactivitĂ© importante[27].
De mĂȘme, une irradiation prolongĂ©e des poumons semble probable en cas d'inhalation de composĂ©s tritiĂ©s tels que ceux utilisĂ©s pour les systĂšmes d'Ă©clairage (T-luminising), qui mĂ©riteraient selon certains auteurs une limite annuelle d'incorporation (LAI) spĂ©cifique (plus largement, ces auteurs ont proposĂ© une nouvelle LAI de 7 ĂâŻ108 Bq pour l'ingestion de tous types de composĂ©s tritiĂ©s dont le comportement mĂ©tabolique n'est pas encore suffisamment connu, dont pour certains traceur tritiĂ©s[28]).
Ingestion: Le tritium notamment sous forme d'eau tritiée, est également facilement absorbé dans la circulation sanguine à partir du tractus gastro-intestinal, et alors distribué dans l'eau du corps[29].
Facteur de fixation
Ă l'Ă©quilibre, s'il n'y avait pas avant les annĂ©es 2000 pas de mĂ©canisme connu supposĂ© favoriser la concentration de cette substance (ou son Ă©limination), on s'attendait Ă trouver la mĂȘme concentration dans l'organisme et dans le milieu environnant, c'est-Ă -dire une absence de bioconcentration et un facteur de concentration Ă©gal Ă l'unitĂ©. Ă partir des annĂ©es 2000 (et avant pour certaines associations), on s'est interrogĂ© sur les premiers constats de concentration de tritium dans la chaine alimentaire, observĂ© in situ dans des Ă©tudes d'Ă©valuation environnementale[30]. Trouver un facteur diffĂ©rent peut ĂȘtre l'indice d'une bioaccumulation, mais pourrait Ă©galement provenir d'autres causes de dĂ©sĂ©quilibre.
- Au sens strict du terme, la bioaccumulation rĂ©sulte dâun phĂ©nomĂšne dâaccumulation progressive dâun contaminant ou dâune substance toxique dans un organisme, Ă partir de diverses sources, y compris lâatmosphĂšre, lâeau et les aliments, jusquâĂ lâobtention dâune concentration dans lâorganisme supĂ©rieure Ă celle des sources de contamination.
- Il peut s'agir de la rĂ©manence dans certains de ses tissus d'une contamination passĂ©e, induisant ou accroissant un dĂ©sĂ©quilibre par rapport au taux actuelle du contaminant dans lâenvironnement, plus faible quâautrefois. Les lichens mieux que d'autres bioindicateurs, grĂące Ă un mĂ©tabolisme lent et une bonne rĂ©sistance Ă la radioactivitĂ©, peuvent ainsi mĂ©moriser des contaminations anciennes[31]. Ainsi en France une Ă©tude (2004) comparative de lichens rĂ©coltĂ©s sur 3 sites (aux environs d'une installation nuclĂ©aire militaire (Bourgogne), prĂšs de l'usine de retraitement de La Hague et dans une zone isolĂ©e de toute source connue de tritium) a montrĂ© que l'activitĂ© du tritium organiquement liĂ© dans les lichens Ă©tait environ 1000 fois plus Ă©levĂ©e que pour le fond "naturel"[31] et Ă©tait encore plus Ă©levĂ©e d'un facteur 10 Ă 100 Ă une distance de 20 km de la source[31]. Autour de la Hague, les analyses de radiocarbone dans les mĂȘmes Ă©chantillons ont confirmĂ© l'origine de la contamination des lichens. Le mĂ©tabolisme lent de lichens les rend appropriĂ©s pour le double suivi du tritium et radioarbone (incorporĂ©s par la photosynthĂšse)[31]
- Il peut également s'agir d'un déséquilibre entre les différentes sources : par exemple, si le tritium est répandu dans le milieu marin sous forme OBT et est incorporé par voie alimentaire, la concentration attendue le long de la chaßne métabolique de l'OBT sera différente de celle de l'eau[32] - [33].
- Il peut enfin s'agir d'une migration et accumulation tout au long de la chaßne alimentaire ; les proies dont s'alimente l'organisme contaminé ayant pu croßtre dans un milieu distant et plus fortement contaminé que le milieu ambiant.
Chez les organismes exposés à un pic de concentration importante en tritium, le tritium sous forme de gaz ou d'eau tritiée est réputé se remettre rapidement en équilibre avec l'environnement, contrairement à celui de l'OBT. Dans le milieu naturel, milieu à concentration variable, c'est effectivement surtout sous forme organique (OBT) qu'on le retrouve le tritium dans les organismes, fixé en plus grande quantité (90 à 95 % du tritium trouvé dans les organismes marins autour de Cardiff, 80 à 90 % autour de Sellafield. ; Autour de Hartlepool, l'OBT constitue 70 % du tritium accumulé par les moules et sa proportion est encore plus élevée (90 %) chez les bigorneaux[33].
On sait depuis les années 1970 au moins que la contamination nutritionnelle par des formes organiquement liées est prépondérante[34]. Par exemple, Rodgers en 1986 montrait chez des juvéniles de truite arc-en-ciel que la quantité (maximale à l'équilibre) de tritium organique correspondait à 80 % de la quantité de tritium ingérée[25]. Kirchmann en 1971 montrait que sur des prairies contaminées au tritium, le lait contenait 10 fois plus de tritium organique via l'alimentation que via l'eau d'abreuvage[35]. L'incorporation dans le lait était plus rapide par voie directe, et plus lente via l'herbe avec un maximum aprÚs 4 jours[35].
Kirchmann constatait que chez des veaux et porcs expĂ©rimentalement contaminĂ©s par du tritium via diverses voies (injections intra pĂ©ritonĂ©ales, ingestions dâeau tritiĂ©e, de lait, de poudre de lait et de pommes de terre), lâincorporation augmentait (5,6 fois plus chez les porcs et 15 fois plus chez les veaux) quand le tritium Ă©tait prĂ©sent dans la poudre de lait (comparĂ©e Ă la voie eau). Elle Ă©tait 15,6 fois plus Ă©levĂ©e chez les porcs nourris de pomme de terre contaminĂ©e[17].
Des rats exposĂ©s via l'eau de boisson ou des molĂ©cules organiques (leucine, lysine, glucose, glucosamine, thymidine et uridine) bioaccumulent 4 Ă 9 fois plus de tritium via la matiĂšre organique alimentaire, que liĂ© Ă lâeau. Komatsu, en contaminant expĂ©rimentalement un rĂ©seau trophique constituĂ© de diatomĂ©es (Chaetoceros gracilis), de petites crevettes (Artemia salina) et de poissons (Oryzias latipes), constatait que la fixation du tritium est bien plus forte avec le tritium contenu dans la nourriture, que dans lâeau.
Ă cause d'une diffĂ©rence dans la pĂ©riode biologique, la part dâirradiation due au tritium organique est le double de celle due Ă lâeau tritiĂ©e[36].
Pour en tenir compte, l'Agence Health Protection Agency, a proposĂ© de rĂ©Ă©valuer Ă 6 ĂâŻ10â11 Sv Bqâ1 le facteur de dose pour le tritium apportĂ© par les poissons plats de la baie de Cardiff[37].
Bioaccumulation du tritium
Le tritium peut ĂȘtre absorbĂ© dans le matĂ©riel cellulaire du plancton ou de bactĂ©ries[38]. Une concentration plus Ă©levĂ©e de tritium est observĂ©e chez les populations animales exposĂ©es au tritium que chez celles qui ne le sont pas[39], mais la capacitĂ© des organismes vivant Ă le bioconcentrer reste discutĂ©e. La possibilitĂ© d'une bioaccumulation, voire bioamplification du tritium a Ă©tĂ© avancĂ©e d'abord par certaines ONG (Crii-Rad, Greenpeace, ACROâŠ) qui dĂ©noncent depuis les annĂ©es 1980 les larges autorisations de rejets industriels de tritium et de carbone 14, au motif que des organismes filtreurs (ou biointĂ©grateurs) peuvent mĂ©taboliser ou reconcentrer de nombreux toxiques diluĂ©s dans l'environnement (par exemple, une moule peut concentrer 700 000 fois, voire jusqu'Ă environ 1 million de fois, l'iode qui est si faiblement rĂ©parti en mer qu'il n'est souvent pas quantifiable dans l'eau).
Affirmer l'existence d'une bioamplification (quand les Ă©tudes scientifiques ne mettent en Ă©vidence qu'une bioconcentration) permet Ă ces organisations de dĂ©fendre l'idĂ©e que toute concentration dans l'environnement est potentiellement nuisible pour le sommet de la chaĂźne alimentaire. La question est restĂ©e discutĂ©e et trĂšs polĂ©mique durant 20 ans, et reposĂ©e dans les annĂ©es 2000 Ă la suite de la publication d'Ă©tudes relatives Ă des incertitudes dans les doses absorbĂ©es et leur rĂ©partition[40] ; Les modĂšles contiennent des incertitudes quant aux taux de tritium absorbĂ©s via les matiĂšres organiques tritiĂ©es, et susceptible de circuler dans le sang, d'ĂȘtre incorporĂ©s dans les tissus du corps, ou quant aux temps de rĂ©tention dans les tissus, le transfert vers le fĆtus ou l'efficacitĂ© biologique relative (EBR) des Ă©missions bĂȘta du tritium par rapport aux rayons gamma[40]. Une hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© de la dose dans les tissus et de cellules est Ă©galement envisagĂ©e, et les incertitudes estimĂ©es pour les enfants et l'exposition in utero sont reconsidĂ©rĂ©s (comme plus importantes qu'initialement estimĂ©es par la CIPR)[40].
Au dĂ©but des annĂ©es 2000, d'autres Ă©tudes ont aussi prouvĂ© dans certains organismes une concentration en tritium supĂ©rieure Ă celle de l'eau de mer oĂč ils Ă©voluent. Ainsi dans lâestuaire de la Severn oĂč du tritium a Ă©tĂ© dispersĂ© et concentrĂ© par la faune[41] - [42] et le canal de Bristol, les poissons (flet et sole) vivant au contact du sĂ©diment et s'y alimentant Ă©taient bien plus contaminĂ©s que le sprat, pĂ©lagique et planctonophage[42].
Dans le cas du tritium, l'accumulation ne porte pas sur une substance chimique, mais sur un isotope : la bioaccumulation implique donc une sĂ©paration isotopique lors des processus mĂ©taboliques, dont les rendements sont rĂ©putĂ©s toujours faibles dans les systĂšmes vivants (ce pourquoi les radionuclĂ©ides artificiels sont rĂ©putĂ©s ĂȘtre de bons traceurs pour l'Ă©tude des processus biologiques).
De petites diffĂ©rences de comportement entre tritium et hydrogĂšne sont nĂ©anmoins connues. DĂšs 1990, Alpen faisait valoir[43] que le tritium Ă©tant trois fois plus lourd que l'hydrogĂšne et d'une taille atomique trĂšs supĂ©rieure, une discrimination biologique est envisageable, d'autant qu'on admet que les rĂ©actions enzymatiques incorporent proportionnellement moins vite le tritium que lâhydrogĂšne et que les liaisons tritium-carbone sont plus fortes que les liaisons hydrogĂšne-carbone : ces diffĂ©rences dans le mĂ©tabolisme devraient affecter sa cinĂ©tique environnementale[43], ce qui peut conduire Ă des Ă©carts de bioconcentration quand le mĂ©tabolisme modifie la liaison hydrogĂšne[44].
Cependant, ces différences physico-chimiques des molécules résultantes restent trÚs faibles : l'eau tritiée est physiquement si proche de l'eau qu'elle était réputée se comporter chimiquement comme elle dans tout son cycle, sans facteur de séparation du tritium possible ou significatif[45].
De plus, une fois que l'atome de tritium est lié, le facteur de séparation de la molécule dans son ensemble est d'autant plus faible que la molécule est lourde.
Jusqu'au dĂ©but des annĂ©es 2000, sur la base des modĂšles[40] retenus par la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR), pour l'eau tritiĂ©e ou le tritium liĂ© Ă la fraction organique[46], on a considĂ©rĂ© qu'en milieu aquatique (marin et continental), le transfert du tritium de lâeau ambiante aux organismes aquatiques conduisait rapidement Ă un Ă©quilibre entre lâeau tritiĂ©e du milieu dâexposition et le tritium libre des tissus biologiques ; L'IRSN considĂ©rait ainsi au dĂ©but des annĂ©es 2000[47] qu'il y a situation dâ« Ă©quilibre-vrai » et que le tritium ne s'accumule pas prĂ©fĂ©rentiellement dans tel ou tel compartiment ou composant environnemental ou biologique[47].
Cependant, ces modĂšles dĂ©crivent des situations moyennes (consommateur « moyen », ne reprĂ©sentant pas les groupes Ă risque ou vulnĂ©rable, ni la situation fĆtale[48]) et reposaient sur des simplifications[48], faites sur la base d'hypothĂšses qui pourraient peut-ĂȘtre devoir ĂȘtre remises en cause, car chez des invertĂ©brĂ©s marins, des facteurs de concentration OBTorganisme/HTOeau supĂ©rieurs Ă 1 ont Ă©tĂ© relevĂ©s en diverses situations (cas de la baie de Cardiff[49] notamment, a priori en raison de l'ingestion de molĂ©cules organiques tritiĂ©es[50].
Fin 2007, deux publications ont à nouveau attiré l'attention des autorités de sureté nucléaire et de la santé publique sur la cinétique environnementale du tritium ainsi que sur les modalités d'évaluation de son impact biologique sur les écosystÚmes et l'Homme ;
- Le rapport RIFE 11 (rĂ©digĂ© en 2005, publiĂ© en 2006 conjointement par 4 agences environnementales et sanitaires britanniques notamment chargĂ©es de l'Ă©valuation et suivi de la radioactivitĂ©, intitulĂ© Radioactivity In Food and the Environment[51]), qui met en Ă©vidence des concentrations de tritium sous forme organique dans des organismes marins au voisinage de Sellafield supĂ©rieures aux teneurs en tritium de lâeau de mer. Ces formes organiques sont susceptibles de circulation ou bioconcentration dans le rĂ©seau trophique[52]. Cela peut remettre en question les hypothĂšses simplifiantes appliquĂ©es dans les calculs dâimpact radiologique sur la population, qui considĂšrent que le tritium est un radionuclĂ©ide qui, sous forme dâeau tritiĂ©e, ne prĂ©sente pas de tendance Ă lâaccumulation dans les composĂ©s environnementaux et biologiques ;
- le rapport britannique AGIR'[53] publiĂ© par lâHealth Protection Agency () conclut au besoin d'une rĂ©Ă©valuation du facteur de pondĂ©ration du tritium dans le calcul des doses efficaces.
En France, en 2008, des membres de l'IRSN, et de la SFRP ont estimé que les différences entre tritium et hydrogÚne ne justifiaient pas un relÚvement des seuils estimés de dangerosité[54].
L'étude de 2 algues marines (Dunaliella bioculata & Acetabularia mediterranea) avait dÚs 1983 suggéré une possibilité de bioaccumulation sélective[55] mais ce résultat non conclusif n'a pas été confirmé depuis.
Afin d'éventuellement réévaluer les facteurs de risque et la dose efficace, des études sont en cours pour mieux comprendre la cinétique spatiotemporelle du tritium organiquement lié de l'alimentation, dont chez l'Homme[56] - [48].
Dans la chaĂźne alimentaire humaine
Avec le fort dĂ©veloppement de la pĂȘche minotiĂšre, les farines de poisson sont de plus en plus utilisĂ©es pour alimenter le bĂ©tail et les volailles.
Une étude de 2007 a porté sur les transferts de tritium via la nourriture chez les animaux de fermes [57]. Les auteurs recommandent que le rapport entre la concentration en tritium de l'alimentation et celle des produits animaux soit utilisé car variant moins que le « facteur de transfert agrégé » (transfer coefficient).
Références et notes
Notes
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- L'ACRO fait remarquer que le suivi des algues est un mauvais indicateur pour le passage du tritium vers la faune marine, car Ă Cardiff, oĂč le tritium est rejetĂ© sous forme libre (HTO) et organiquement liĂ©e (OBT), la teneur en tritium (3H organique et 3H total) dans les flĂ©tans et les moules Ă©tait 100 fois plus Ă©levĂ©e que dans le fucus Fucus serratus [RIFE (Radioactivity In Food and the Environment) ; rapports des agences environnementales et sanitaires britanniques, de 1996 Ă 2008]
- Des FC atteignant 500 ont été constatés chez des poissons et mollusques vivant autour de Cardiff, avec un record de 6 000 et des facteurs avoisinant les 10 autour de Sellafield et de Hartlepool communication orale de Stuart Jenkinson (Cefas) à la SFRP (septembre 2009), citée par le livre blanc de l'ASN sur le tritium
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- C'est pour cette mĂȘme raison que l'eau lourde est un toxique chimique Ă forte concentration, alors que l'eau ne l'est Ă©videmment pas
- MĂȘme pour des molĂ©cules aussi simples que l'eau, le facteur de sĂ©paration pour la distillation de l'eau lourde n'est que de 1,053 Ă 50 °C. Des facteurs de sĂ©paration plus notables ne sont observĂ©s pour les isotopes de l'hydrogĂšne que sur les Ă©changes chimiques avec la forme gazeuse, par exemple l'Ă©quilibre NH3/H2 qui prĂ©sente un facteur de sĂ©paration de 6 pour le deutĂ©rium, ou la conversion spontanĂ©e du tritium en eau tritiĂ©e).
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