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Fondation de Rome

La fondation de Rome décrit les aspects mythologiques et historiques de la naissance de la ville de Rome au cours du VIIIe siècle av. J.-C.

Rome dans les premières années de sa fondation au VIIIe siècle av. J.-C.

Les recherches historiques et archéologiques récentes renouvellent la représentation de l'origine de la ville et mettent souvent à mal le récit traditionnel que les auteurs antiques en ont laissé.

La tradition

Selon les mythes, Rome fut fondée par Romulus et Rémus, qui, dans leur enfance, auraient été nourris par une louve.
Haut-relief représentant Romulus et Rémus allaités par la louve sur la Maison de la Louve à la Grand-Place de Bruxelles.

Deux traditions existent dans l'Antiquité sur l'origine de Rome :

Virgile tira de la première tradition une épopée intitulée L'Énéide, récit qui a plus une prétention poétique (dans la lignée de Homère) qu'historique. Voir, à ce propos, la légende d'Énée.

Le récit de la fondation

Lithographie du XIXe siècle représentant Romulus qui trace le pomerium à l'aide d'un araire à soc de bronze.

D'après les mythes romains, Romulus fonde la ville de Rome à l'emplacement du mont Palatin sur le Tibre le

C'est à partir de cette date fictive que les Romains comptent les années. Cette convention nécessitait une justification mythique pour en affirmer le caractère sacré ; deux principales narrations sont connues à travers la littérature gréco-latine sur le récit de cette fondation :

Selon le mythe rapporté par Tite-Live[2], Procas, le roi d’Albe-la-Longue, a deux fils : Numitor et Amulius. À la mort de leur père, l’héritage est partagé à parts égales : l'aîné, Numitor, obtient le trône, tandis qu’Amulius, le cadet, récupère les richesses et l’argent paternel.

Déçu par le partage, Amulius détrône son frère et tue le fils de Numitor, Lausus. Afin d’être sûr que la lignée de Numitor disparaisse, il fait également de sa nièce, Rhéa Silvia, une vestale dont le sacerdoce l’oblige à rester vierge tout au long de sa vie.

Néanmoins, le dieu Mars tombe fou amoureux de la jeune fille qui accouche de jumeaux : Romulus et Rémus. Amulius fait alors emmurer la vestale et condamne les nourrissons à être jetés dans le Tibre. Les enfants sont abandonnés dans une fondrière, sur les rives du fleuve en crue, par le serviteur chargé d'exécuter la sentence.

Ils sont alors recueillis par une louve qui les allaite dans la grotte du Lupercal, au pied du Palatin. Par la suite, le berger Faustulus, témoin de ce prodige, recueille les jumeaux au pied du Ficus Ruminalis (figuier sauvage) situé à l’entrée de la grotte et les élève, en compagnie de son épouse Acca Larentia. Cette dernière aurait été une prostituée que les bergers des environs auraient surnommée lupa, en latin « louve » ou « prostituée ». La légende de la louve allaitant les jumeaux tirerait peut-être son origine de ce surnom. Notons également à ce sujet, que le Ficus Ruminalis aurait été, à l’origine, consacré à la déesse Rumina qui présidait à l’allaitement (en latin, Ruma désigne la « mamelle »[3]).

Devenus adultes, Romulus et Rémus décident de fonder une ville[4]. N'arrivant pas à départager celui des deux qui donnerait son nom à la nouvelle ville, ils s'en remettent aux augures, cette prise d'auspices ayant pour but d'interroger les dieux sur la légitimité de l'espace choisi et d'obtenir ainsi l'assentiment divin pour y inscrire la nouvelle cité[5]. Romulus se place sur le mont Palatin, là où ils avaient été découverts et élevés par la Louve, Rémus sur l'Aventin. Ce dernier est le premier à voir six vautours voler dans le ciel. Aussitôt après, Romulus voit douze vautours. Rémus avait donc pour lui la primauté, alors que Romulus avait le nombre le plus important. Ce fut Romulus qui finalement fut désigné.

Alors qu'il trace le pomœrium (sillon sacré délimitant l'espace à urbaniser, l'urbs, du reste du territoire, l'ager romanus) en guise de mur, soulevant l'araire de bronze[Note 1] attelé d'un taureau et d'une vache[Note 2], son frère Rémus franchit armé ce rempart symbolique pour provoquer son frère. Cette faute criminelle est un présage funeste : les murailles de la ville ne seront plus infranchissables aux troupes lors des guerres civiles et aux incursions ennemies[Note 3]. Pour annuler ce présage, Romulus est contraint de tuer son frère en songeant à l'adage Insociabile regnum (« Le pouvoir ne se partage pas »), marquant ainsi tout aussi symboliquement l'intransigeance sourcilleuse de Rome devant toute incursion malveillante. « Par sa prompte riposte, interprétée plus tard comme un pur fratricide et non comme une annulation du présage, les ennemis de Rome seront finalement vaincus et éliminés[Note 4] ».

Ce rite fondateur est suivi de divers événements qui concourent au peuplement initial de Rome : l'enlèvement des Sabines, guerre contre le roi sabin Titus Tatius, secours apporté par le chef étrusque Cælius Vibenna qui s’installe sur une colline à laquelle il donne son nom (selon Varron), paix avec les Sabins, et partage du pouvoir avec Titus Tatius.

Traditions alternatives

Denys d'Halicarnasse a recensé plusieurs traditions alternatives[9] :

D'après Cephalon de Gergis, Demagoras et Agathyllos, Rome aurait été fondée par Romos, fils d'Énée et frère d'Ascagne, Euryleon et Romulos.

D'après Hellanicos et son disciple Damastès de Sigée, Rome aurait été fondée par Énée lui-même, à son arrivée en Italie après être passé au pays des Molosses.

D'après Callias de Syracuse (v. 350 - v. 270 av. J.C.), Rhomè est une des femmes troyennes qui se réfugient en Italie après la chute de Troie. Elle épouse Latinos, roi des Aborigènes (nom donné aux premiers habitants de l'Italie, qui prirent par la suite le nom de Latins, d'après leur roi), de qui elle eut trois fils, Rhomos, Romulos et Télégonos, qui fondèrent une ville et lui donnèrent le nom de leur mère[10].

D'après Xenagoras (en), Rome aurait été fondée par Romos, fils d'Ulysse et de Circé.

D'après Denys de Chalcis, Rome aurait été fondée par Romos, fils d'Ascagne ou d'Emathion.

D'après d'autres auteurs, dont le nom n'est pas rapporté par Denys d'Halicarnasse, Rome aurait été fondée par Romos, le fils d'Italus et de Leucaria, la fille de Latinus.

La date de la fondation

Rome a Ă©tĂ© fondĂ©e, selon la tradition, au milieu du VIIIe siècle av. J.-C.§ 2_15-0">[11].

L'anniversaire du jour de la fondation de Rome était célébré le 21 avril (fête des Parilia). L'année fixée par la tradition romaine et qui s'est imposée à la postérité est -753, date proposée par un érudit romain du Ier siècle, Varron[Note 5], malgré quelques propositions alternatives :

  • TimĂ©e de TauromĂ©nion (vers -350, -250), citĂ© par Denys d’Halicarnasse, propose -814[13], en mĂŞme temps que la fondation de Carthage.
  • Calpurnius Piso, d'après Censorin[14], propose -758[13].
  • Quintus Fabius Pictor (vers -254, -201), le premier historien romain, se base sur une royautĂ© de 7 gĂ©nĂ©rations de 35 ans qui prĂ©cède l'Ă©tablissement de la RĂ©publique et aboutit Ă  -747[13] ou -748.
  • Le censeur Caton l'Ancien (-234, -149) qui rĂ©digea une histoire des Origines calcule 432 ans après la guerre de Troie, et obtient -751[13].
  • L'Ă©crivain romain Varron (-116, -27) reprend les travaux de Fabius Pictor et corrige la date de fondation de Rome en -753/754, ce que Tite-Live adoptera.
  • Atticus propose -553[13].
  • Denys d'Halicarnasse, dans une dĂ©monstration argumentĂ©e sur la chronologie des rois, date la fondation de Rome de la première annĂ©e de la septième olympiade, soit -751[15].
  • Polybe de MĂ©galopolis, la deuxième annĂ©e de la septième olympiade d'après une tablette conservĂ©e par les grands pontifes, soit -550[13].
  • Cornelius Nepos et Diodore, -550[13].
  • Lucius Cincius Alimentus, d'après Denys d'Halicarnasse[16] et Solin[17], propose -728 ou -728[13], quatrième annĂ©e de la douzième olympiade.

Les vestiges au temps de la RĂ©publique romaine

Au temps de Cicéron, donc au Ier siècle av. J.-C., les Romains montraient fièrement sur le Palatin la casa Romuli, une cabane au toit de chaume et aux murs de torchis, où le berger Faustulus éleva les enfants Romulus et Rémus, et une autre cabane sur le Capitole devant le temple de Jupiter Optimus Maximus, attribuée à Romulus en personne ou encore à son collègue Titus Tatius. Vestiges respectés et attributions légendaires, ce sont des indices d’habitat certainement très anciens, mais de quelle époque ?

Le lieu de la fondation

Les auteurs de l'Antiquité s'accordent pour considérer que le site de Rome était déjà habité lors de sa fondation.

Au moins trois des peuples albains (populi albenses), habitants primitifs du Latium, dont la liste nous a été transmise par Pline l'Ancien[18], occupaient des collines voisines au Capitole.

En effet, les Querquetulani habitaient le Cælius. D'après Tacite[19], le Caelius se serait d'abord appelé le Querquetulanus, en raison du grand nombre de chênes dont il était couvert. D'après Pline l'Ancien[20], son nom primitif se serait perpétué par la porte Querquétulane (Querquetulana porta), nom qu'il donne à la porte Cælimontane (Caelimontana porta) située entre le Cælius et l'Esquilin. Le Cælius n'aurait pris le nom qu'après que Cælius Vibenna, un chef étrusque appelé au secours de Rome fut établi en cet endroit par Tarquin l'Ancien ou un roi antérieur.

D'autre part, les Velienses habitaient le Velia ; les Querquetulani, le Caelius ; et les Vimitellari, le Viminal. S'y ajoutent peut-ĂŞtre les Munienses, que certains auteurs[21] identifient aux Mucienses, habitants du Mucial, la partie centrale du Quirinal, mais que d'autres identifient aux habitants de Castrimoenium ; les Foreti, que certains identifient aux habitants du forum romain.

Le Palatin aurait abrité Saturnie (Saturnia).

D'après Pline l'Ancien[22], le Janicule aurait abrité Antipolis. D'après Virgile, il s'agissait d'un oppidum[23] qui aurait été fondé par Janus lui-même[24] et se serait appelé Janiculum[25].

D'après de nombreux auteurs antiques, le Palatin aurait abrité Pallantée, ville fondée par Évandre, originaire de la ville homonyme d'Arcadie, fondée par Pallas, l'aïeul d'Évandre, et située au nord-est de Mégalopolis dans le Péloponnèse.

Les critiques de la tradition

Tite-Live et Denys d’Halicarnasse émirent eux-mêmes des réserves sur ce qu’ils rapportaient. Ainsi Tite-Live rapproche le surnom Lupa et l'histoire de la louve.

Au XVIIIe siècle, un rejet massif s’exprime avec la Dissertation sur l’incertitude des cinq premiers siècles de l’histoire romaine, de Louis de Beaufort, publiée en 1738.

L’historien Mommsen (1817-1903) a exprimé des doutes plus modérés. Il émet l’hypothèse que la tradition antique a pu se construire à partir de faits réels mais projetés sur un passé lointain et transformés en mythes. Par exemple, l’immigration à Rome de population sabine (arrivée des Claudii) au début de la République serait à l’origine de l’épisode de l’enlèvement des Sabines et de l’association avec Titus Tatius.

D’autres critiques soulignent l’habitude des auteurs anciens d’inventer un personnage éponyme pour fournir l’origine du nom d’un lieu. Romulus et Rome, le chef étrusque Cœlius Vibenna et la colline du Cælius sont des exemples de ce mécanisme.

Georges Dumézil, pour sa part, explique les légendes de la fondation de Rome comme un récit mythique structuré par le système de Fonctions tripartites indo-européennes. À partir de traditions indo-européennes, les romains auraient inventé les légendes fondatrices, ces légendes exprimant en fait des schémas idéologiques indo-européens. Romulus et Numa Pompilius se partagent la fonction de souveraineté sacrée, Tullus Hostilius représente la fonction guerrière et Ancus Marcius représente la troisième fonction de production et de fertilité.

Les analyses archéologiques apporteront des éléments nouveaux.

L'apport de l'archéologie

L'archéologie a montré que le site de Rome a été occupé dès le Xe siècle av. J.-C. Le site de Rome n'est alors qu'un ensemble de villages de pasteurs, répartis sur les collines entourant la dépression du forum romain.

Les premières découvertes archéologiques à Rome

Le site de Rome et les vestiges du Xe – VIIIe siècles.
Fonds de cabanes avec leur trous de poteaux sur le Germal.

Les premières découvertes datent du début du XXe siècle, et furent suivies d’autres, au hasard des travaux ou des sondages :

  • quelques vestiges trouvĂ©s entre le Tibre et le forum Boarium attestent une prĂ©sence vers le IIe millĂ©naire av. J.-C., mais celle-ci ne semble pas avoir Ă©tĂ© continue. Elle n’est donc pas retenue comme contribuant Ă  la fondation de Rome.
  • sur le Germal (sommet ouest du Palatin), on dĂ©couvrit en 1907 des fonds de cabanes que l’on dĂ©gagea en 1949 : sols creusĂ©s dans le tuf de la colline, trous de poteaux, traces de foyer ; les cĂ©ramiques associĂ©es dataient du VIIIe siècle av. J.-C.
  • sur le Palatual (sommet est du Palatin), d’autres fonds de cabanes furent dĂ©couverts.
  • la prĂ©sence d’une tombe Ă  urne d’incinĂ©ration entre les deux groupes de cabanes du Palatin permet de supposer l’existence d’un espace dĂ©gagĂ© entre ces deux Ă©tablissements, probablement une nĂ©cropole.
  • la plaine marĂ©cageuse situĂ©e entre le Capitole et le Palatin, qui deviendra le forum romain, fut aussi d’abord une nĂ©cropole ; en 1902-1903, on trouva 41 tombes près du Temple d'Antonin et Faustine : des puits funĂ©raires de tombes Ă  incinĂ©ration, des fosses d’inhumation avec des mobiliers variĂ©s, dont des vases proto-corinthiens du VIIe siècle av. J.-C. Des cabanes furent Ă©galement repĂ©rĂ©es, au centre du forum et sur les pentes du Palatin.
  • sur le Quirinal, 5 tombes, les unes Ă  incinĂ©ration, les autres Ă  inhumation
  • sur l’Esquilin, 86 tombes, toutes Ă  inhumation, sauf quatre Ă  incinĂ©ration. Ces tombes contenaient un riche mobilier diffĂ©rent des prĂ©cĂ©dentes nĂ©cropoles : des armes, des casques, des boucliers et mĂŞme un char de combat.

Les datations réalisées s’échelonnent du Xe siècle av. J.-C. au VIIe siècle av. J.-C., ce qui est compatible avec la tradition. Les premiers habitants de Rome habitaient donc dans de grossières huttes de torchis à l’image des urnes funéraires en forme de cabanes rondes trouvées dans le forum, et étaient en majorité pasteurs et paysans.

Les premières interprétations archéologiques

Urne funéraire à incinération, en forme de cabane archaïque.

Parallèlement à ces découvertes, les études sur les peuples italiques indo-européens, dont font partie les Latins, indiquaient une prédominance pour les funérailles par incinération, tandis que les peuples méditerranéens étaient réputés adeptes exclusifs de l’inhumation. Les tombes à incinération furent donc toutes supposées latines. Puisque la tradition de la fondation de Rome décrivait un mélange entre Latins et Sabins, peuples différents, les tombes par inhumation furent systématiquement attribuées à des Sabins, qu’on estimait plus influencés par les coutumes méditerranéennes.

L’ethnie de chaque village fut ainsi déduite selon la proximité et le type des inhumations : Le cimetière du forum fut attribué aux Latins, ainsi que les cabanes du Palatin et de la Velia (confirmant la tradition), la nécropole de l'Esquilin aux Sabins (cette fois à l’encontre de la tradition qui y situe les Latins) de même que celle du Quirinal (malgré le petit nombre et la diversité des tombes).

On supposa une première fédération des deux villages du Palatin, apparemment les plus anciens, qui s’élargit ensuite à sept villages pour créer le Septimontium.

De nos jours, les archéologues sont moins catégoriques sur les attributions ethniques, d’autant plus que souvent sur un même site coexistent des tombes à incinération et des tombes à inhumation. Ils évitent les interprétations des trouvailles menées à la lumière des traditions et cherchent plutôt à placer les données archéologiques dans un contexte d’ensemble, avec ses évolutions et ses interactions culturelles.

L’approfondissement de la recherche archéologique

À partir de 1948, de nouvelles fouilles archéologiques à Rome et dans le Latium apportèrent des éléments factuels sur l’origine de Rome. À partir d’un recensement de tous les vestiges découverts à Rome et dans le Latium, l'archéologue suédois Einar Gjerstad (1897-1988) proposa une chronologie de la période allant du Xe siècle av. J.-C. au VIe siècle av. J.-C. en quatre phases. Très débattue par ses confrères, révisée par H. Müller-Karpe et R. Peroni en 1962, elle a fini par être admise comme cadre de référence :

  • La première phase se place au Xe siècle av. J.-C. Ă  la fin de l’âge du bronze et au dĂ©but de l’âge du fer. Les Latins pratiquent l’incinĂ©ration, recueillent les restes dans des vases ou des urnes funĂ©raires en forme de cabane (urne-cabane), puis rĂ©unissent dans une jarre (dolium) l’urne, des reproductions en miniature de mobilier ou d’objets usuels en bronze ou en terre cuite, parfois les restes du repas funĂ©raire. Cette jarre est ensuite enterrĂ©e dans un puits funĂ©raire. Ce mode d’incinĂ©ration/inhumation est aussi pratiquĂ© Ă  la mĂŞme pĂ©riode en Étrurie (tombe a ziro).
  • La seconde phase va du dĂ©but du IXe siècle av. J.-C. au dĂ©but VIIIe siècle av. J.-C. (900-770 pour MĂĽller-Karpe-Peroni). De nouveaux types de vases, des fibules dĂ©montrent des contacts avec l’Étrurie et la Campanie. La pratique de l’incinĂ©ration recule au profit de l’inhumation. On subdivise cette pĂ©riode en IIA (pratique majoritaire de l’incinĂ©ration) et IIB (inhumation majoritaire).
  • La troisième phase occupe le milieu du VIIIe siècle av. J.-C. (770-730 pour MĂĽller-Karpe-Peroni). Des importations de cĂ©ramiques grecques de style gĂ©omĂ©trique apparaissent, imitĂ©es par la production locale. Les objets mĂ©talliques se diversifient, les tombes traduisent par la diversitĂ© de leur mobilier une diffĂ©renciation sociale et l’apparition de familles riches.
  • La quatrième phase, dite orientalisante, va de la fin du VIIIe siècle av. J.-C. au dĂ©but VIe siècle av. J.-C. (730-570 pour MĂĽller-Karpe-Peroni). Les cĂ©ramiques grecques et Ă©trusques sont prĂ©sentes dans tout le Latium. De riches tombes tĂ©moignent de l’existence d’une aristocratie guerrière dans le Latium, contemporaine de celle qui se dĂ©veloppe en Étrurie. C’est Ă  cette pĂ©riode que se rattache le plus ancien document Ă©crit connu, la fibule de PrĂ©neste portant en caractères grecs le nom de Numasios et datĂ©e d’environ -675. C’est Ă©galement Ă  cette pĂ©riode que l’on rattache les premières murailles dĂ©couvertes au pied du Palatin en 1987, peut-ĂŞtre un vestige du pomĹ“rium.

Nouvelles interprétations archéologiques

Cette série de fouilles sur un périmètre plus large complètent les fouilles d’avant la Seconde Guerre mondiale. Elles confirment la présence de hameaux dispersés sur les diverses collines de Rome dès le Xe siècle av. J.-C., avec une culture voisine de la culture villanovienne de l’Étrurie (urnes cinéraires dans des tombes à puits). L’étiquetage sur le site de Rome entre des villages latins, sabins, étrusques se révèle maintenant un exercice hasardeux, sur des groupes humains aux conditions modestes et homogènes.

Ce peuplement dispersé évolue lentement, modifiant ses habitudes funéraires, sans que l’on puisse voir une rupture marquée, qui aurait reflété un changement brusque de peuplement. Le milieu du VIIIe siècle av. J.-C. témoigne d’une accélération de la différenciation sociale, et le début d’une société avec une aristocratie plus riche, en contact avec l’expansion grecque qui commence elle aussi à cette période. Ce mouvement touche l’Étrurie, la Campanie, le Latium, et bien sûr le site de Rome.

Au VIIIe siècle av. J.-C., le forum romanum n’est plus un cimetière et commence à être habité. Les sépultures sont repoussées vers l'Esquilin. Ces tombes de guerriers se situent dans la phase IV de la chronologie, mais n’ont pas le luxe d’autres tombes latines de la même époque. Les importations à Rome de céramiques étrusques commencent vers la fin du VIIe siècle av. J.-C., en retard sur le reste du Latium. Toujours au VIIe siècle av. J.-C., le forum romanum devient un espace public, avec l’aménagement d’un sol empierré.

Le forum romanum apparaît comme le témoin de la naissance de Rome : il fut successivement marécage, cimetière à incinération puis à inhumation, lieu habité, espace public. L’historien Pierre Grimal l’étudia et en tira les observations qui suivent.

Les traces du rituel de fondation

Pierre Grimal relève dans son ouvrage Les Villes romaines les éléments récurrents du rituel de fondation pratiqué par les Étrusques[26] puis par les Romains et confirmés par le plan des colonies qu’ils ont fondées et recoupés en partie par la description de Tite-Live[27] :

  • la dĂ©limitation de la citĂ© par un sillon primordial, le sulcus primigenius, saignĂ©e ouvrant le sol et infranchissable car sous l’influence des dieux infernaux, dĂ©limitant ainsi l'enceinte sacrĂ©e, le pomĹ“rium.
  • l’orientation selon les axes cardinaux, matĂ©rialisĂ©e par quatre portes face aux quatre points cardinaux, interrompant le tracĂ© du sillon sacrĂ© ; les Latins nommaient ces deux axes le cardo et le decumanus.
  • une mise sous la protection des dieux « d’en haut », en leur dĂ©diant un temple sur un point Ă©levĂ© de la fondation, de façon que leur regard couvre la plus grande superficie possible de la future citĂ©.
  • au centre de la fondation, une fosse circulaire appelĂ©e mundus recevant des offrandes pour les divinitĂ©s « d’en bas ».

Si l’on ne trouve pas sur le périmètre du Palatin le souvenir de portes orientées selon les points cardinaux, telles que les aurait ménagées Romulus, en revanche quatre portes très anciennes étaient connues à l’époque romaine classique, qui bordaient le forum romanum[28] :

  • au nord, la porte de Janus
  • au sud, la porte Romaine
  • Ă  l’est, la « poutre de la sĹ“ur », porte par oĂą Horace meurtrier de sa sĹ“ur, serait entrĂ© dans la ville après s’être purifiĂ©
  • Ă  l’ouest, la Porta Pandana, de mauvais augure, et juchĂ©e sur la pente du Capitole afin que nul ne la franchisse.

Selon Pierre Grimal, ces portes sont les vestiges du rite de fondation, le decumanus, axe traditionnel Est-Ouest étant devenu la Via Sacra (Voie sacrée), tandis que le cardo Nord-Sud se lit dans les voies qui le prolongent, l’Argiletum au nord et le Vicus Tuscus au sud. Un autre point du rituel est respecté, par la position surplombante du temple du Capitole, pour la triade protectrice Jupiter, Junon, Minerve. Ces observations confirment donc le respect du rite de fondation, mais contredisent son lieu : le tracé fondateur déduit de ces quatre portes ceinture le vieux forum et non le Palatin comme l’indiquent Tite-Live et Denys d’Halicarnasse[28].

Les fouilles d'Andrea Carandini au Palatin

Les fouilles effectuées à partir de 1985 sous la direction d'Andrea Carandini sur un flanc du Palatin, dans une zone entre l'arc de Titus et la maison des Vestales, ont relancé les discussions sur la fondation de Rome et l'historicité possible d'une partie des traditions antiques. Les recherches conduites ont dégagé une importante stratigraphie reposant sur quatre murailles successives pouvant être datées respectivement des années -550--530, environ -600, environ -675 et environ -730--720[29]. La découverte des restes incontestables d'une délimitation urbaine au VIIIe siècle av. J.-C. autour du Palatin renvoie pour A. Carandini et A. Grandazzi à la fondation romuléenne de Rome. Selon A. Grandazzi le mythe de la fondation de Rome renverrait bien à un événement historique et à un personnage historique, que nous connaissons en tant que Romulus, dont la mémoire a été conservée et mythifiée, à travers notamment l'action de Servius Tullius. Si l'existence factuelle des restes découverts par A. Carandini n'est pas remise en question, les interprétations qui les mettent en rapport avec la tradition annalistique de Romulus et son éventuelle historicité restent encore très discutées[30].

Conclusions

Si l’on rapproche l’analyse de Pierre Grimal du phénomène de projection d’événements réels dans un passé mythique suggéré par Theodor Mommsen, on peut estimer que le rite de fondation a bien été exécuté, mais à l’époque où la dépression du forum commençait à être peuplée. Quels sont les auteurs de cette fondation ? Là encore, il est délicat de départager les Romains des origines et les Étrusques. Pierre Grimal penche pour la fondation d’une colonie étrusque, sur un site déjà habité et selon les rites attribués à Romulus. Les historiens modernes s’accordent à considérer que les rois étrusques en occupant la région vont faire de Rome une véritable ville vers , en la dotant d'une muraille, en aménageant le Forum Romain et en bâtissant le sanctuaire du Capitole. Les Romains antiques, quant à eux, se transmirent bien sûr le passé qui faisait d’eux les auteurs de la fondation de Rome.

Au contraire, si l'on veut suivre les analyses dĂ©veloppĂ©es par A. Grandazzi, la formation de Rome doit ĂŞtre vue comme un processus complexe marquĂ© par un Ă©vĂ©nement fondateur vers : la fondation d'une enceinte urbaine au sein de l'habitat dĂ©jĂ  prĂ©sent sur le Palatin, l'amĂ©nagement du forum correspondant seulement Ă  une phase de dĂ©veloppement et de monumentalisation d'une entitĂ© urbaine qui avait dĂ©jĂ  son identitĂ© et son histoire. Les mythes ne constitueraient pas alors la projection dans le passĂ© d’évènements postĂ©rieurs, mais entretiendraient avec les faits historiques des rapports plus complexes. Ainsi, selon l'historien Patrick Boucheron, « loin de l'archĂ©ologie-spectacle, ce que les fouilles rĂ©centes rĂ©vèlent n'est pas la fondation de Rome, mais le processus graduel, presque imperceptible, de sa formation urbaine (en)[31] ».

Point fondamental de l'histoire scientifique de l'antiquité romaine, la question de la fondation de Rome, encore discutée aujourd'hui, montre la difficulté qu'il y a à confronter les sources antiques et la réalité archéologique malgré la progression certaine des connaissances sur la plus ancienne réalité de la ville de Rome.

Notes et références

Notes

  1. « L’araire, charrue très élémentaire en bois, a un soc de bronze, seul métal convenant aux opérations religieuses (le fer, d’usage trop récent, est un métal impur) ». La fondation de Rome se place en effet à l’âge du fer[6].
  2. Caton Ă©crit, dans ses Origines que c'Ă©tait la coutume, dans ce rituel de fondation, d'atteler un taureau Ă  droite sur le cĂ´tĂ© extĂ©rieur (symbolisant la ville qui saura se dĂ©fendre), et une vache Ă  gauche sur le cĂ´tĂ© intĂ©rieur (la ville saura se nourrir), l'attelage progressant d'est en ouest suivant la course du soleil (en) (sens antihoraire) et le soc de l'araire Ă©tant portĂ© Ă  l'emplacement des portes. « Ce geste est celui d'un agriculteur. Il sĂ©pare le monde sauvage du monde de la citĂ©. Le pomerium reste durant toute l'histoire de Rome une limite inviolable. Il oppose le monde des morts Ă  celui des vivants, car les nĂ©cropoles doivent demeurer extĂ©rieures Ă  la citĂ©. mais cet interdit funĂ©raire se double d'un interdit politique : le pomerium marque la limite du pouvoir des armes. Les soldats stationnent au champ de Mars, en dehors du pomerium, et seule une dĂ©cision particulière du SĂ©nat peut autoriser un gĂ©nĂ©ral victorieux Ă  le franchir avec son armĂ©e, en triomphe[7] ».
  3. Par ce crime, Rémus a provoqué la prise du Capitole, le sac de Rome, les guerres civiles romaines…
  4. La tradition sépare la fondation de Rome en deux clans rivaux qui se forment autour des jumeaux et qui se querellent au sujet de l'implantation du site. La querelle s'achève avec ce meurtre[8].
  5. « Varron date l'événement de la 3e année de la 6e Olympiade, soit entre l'été 754 et le printemps 753. Et puisque le jour de la fondation est associé à la fête de Parilia, le 21 avril, où l'on honorait la déesse du bétail Palès, et qui devient le dies natalis, le jour anniversaire de Rome, la tradition se fixa au 21 avril 753[12] ».

Références

  1. Musée de l'Ermitage
  2. Tite-Live, Histoire romaine, I, 4.
  3. Définition du dictionnaire Gaffiot - latin-français (1934).
  4. Tite-Live, Histoire Romaine, I, 6.
  5. André Pelletier, L'urbanisme romain sous l'Empire, Picard, , p. 10.
  6. Bernadette Liou-Gille, « La fondation de Rome : lectures de la tradition », Histoire urbaine, no 13,‎ , p. 76 (DOI 10.3917/rhu.013.0067, lire en ligne).
  7. Patrick Boucheron, Quand l'histoire fait dates. Dix manières de créer l'événement, Seuil, , p. 65.
  8. Bernadette Liou-Gille, « La fondation de Rome : lectures de la tradition », Histoire urbaine, no 13,‎ , p. 77.
  9. Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 72.
  10. Denys d'Halicarnasse, Histoire romaine I.72.5, et Festus Grammaticus, De la signification des mots, art. "Rome" p.329.1 Lindsay.
  11. § 2-15" class="mw-reference-text">Liou-Gille 2005, § 2, p. 68.
  12. Patrick Boucheron, Quand l'histoire fait dates. Dix manières de créer l'événement, Seuil, , p. 66.
  13. Guittard 2013, p. 112.
  14. Censorin, Du Jour natal, XVII, 13.
  15. Antiquités romaines, livre I, 74-75.
  16. Denys d'Halicarnasse, loc. cit.
  17. Solin, loc. cit.
  18. Pline l'Ancien, Histoire naturelle, III, 69.
  19. Tacite, Annales, IV, 65.
  20. Pline l'Ancien, op. cit., 16, 37.
  21. Massimo Pallottino, Origini e storia primitiva di Roma, Milano, 1993, p. 123 et pp. 130-131.
  22. Pline l'Ancien, op. cit., III, 68.
  23. Virgile, Énéide, VIII, 355.
  24. Virgile, op. cit., VIII, 857.
  25. Virgile, op. cit., 858.
  26. Dominique Briquel, La Civilisation Ă©trusque, p. 133.
  27. Grimal 1990, p. 20-21.
  28. Grimal 1990, p. 38-39.
  29. A. Grandazzi, La Fondation de Rome, Paris, 1997, p. 256 et suivantes.
  30. Jacques Poucet, Quand l'archéologie, se basant sur la tradition littéraire, fabrique de la fausse histoire : le cas des origines de Rome, Folia Electronica Classica, no 16 juillet-décembre 2008, texte PDF.
  31. Patrick Boucheron, Quand l'histoire fait dates. Dix manières de créer l'événement, Seuil, , p. 72.

Voir aussi

Sources antiques

Bibliographie

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  • Pierre Grimal, Les Villes romaines, coll. « Que sais-je / 657 », (ISBN 9782130524533).
  • Alexandre Grandazzi, La Fondation de Rome, 1991, Les Belles Lettres (rĂ©Ă©dition 1997, Pluriel) (ISBN 9782012788206).
  • Alexandre Grandazzi, « Penser les origines de Rome », Bulletin de l'Association Guillaume BudĂ©, no 2,‎ , pp. 21-70 (lire en ligne).
  • Laura Orvieto, Contes et LĂ©gendes de la naissance de Rome, Pocket Junior (ISBN 9782266086318).
  • Marcel Le Glay, Rome, Grandeur et DĂ©clin de la RĂ©publique, 1990, Ă©d. Perrin, tome 1, (ISBN 9782262018979).
  • Marcel Le Glay, Yann le Bohec et Jean-Louis Voisin, Histoire romaine, Ă©ditions PUF, collection Quadridge Manuels, (ISBN 9782130550013).
  • Naissance de Rome, catalogue d’exposition au Petit Palais, 1977, prĂ©facĂ© d’articles sur l’archĂ©ologie romaine :
    • François Villard, L'ArchĂ©ologie et ses problèmes.
    • Giovanni Colonna, Milieu, peuplement, phases naturelles.
  • [Guittard 2013] Charles Guittard, chap. II.2 « Les crises religieuses et les changements d'annĂ©e dans l'Histoire romaine de Tite-Live : l'exemple des annĂ©es - », dans Jean-Paul Morel et Agnès Rouveret (dir.), Le temps dans l'AntiquitĂ© (actes du CXXIXe Congrès national des sociĂ©tĂ©s historiques et scientifiques, intitulĂ© Le Temps, et tenu Ă  Besançon en ), Paris, ComitĂ© des travaux historiques et scientifiques, coll. « CTHS histoire » (no 52), , 1re Ă©d., 1 vol., 243, 15 Ă— 22 cm (ISBN 978-2-7355-0793-1, EAN 9782735507931, OCLC 858211625, BNF 43627150, SUDOC 170910172, prĂ©sentation en ligne, lire en ligne), part. II (« Temps des citĂ©s, des royaumes, des dieux, des Ă©crits »), p. 111-130.
  • [Liou-Gille 2005] Bernadette Liou-Gille, « La fondation de Rome : lectures de la tradition », Histoire urbaine, no 13 : « Fondations, refondations urbaines »,‎ , p. 1re part., art. no 5, p. 67-83 (DOI 10.3917/rhu.013.0067, rĂ©sumĂ©, lire en ligne).
  • Alexandra Dardenay, Les mythes fondateurs de Rome. Images et politique dans l'Occident romain, Picard, , 237 p.

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