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Despotat d'Épire

Le despotat d’Épire (en grec moderne : Î”Î”ÏƒÏ€ÎżÏ„ÎŹÏ„Îż της Î—Ï€Î”ÎŻÏÎżÏ…) fut l’un des États grecs successeurs de l’Empire byzantin aprĂšs la conquĂȘte de Constantinople et la mise en place de l'Empire latin d'Orient sur les terres principales de l'Empire byzantin par la quatriĂšme croisade en 1204. FondĂ© par Michel ComnĂšne Doukas, le nouvel État se voulut, Ă  l’instar de l’empire de NicĂ©e et de l’empire de TrĂ©bizonde, le successeur lĂ©gitime de l’Empire byzantin. Centre de rĂ©sistance et havre pour les rĂ©fugiĂ©s grecs contre les envahisseurs latins aprĂšs la dĂ©faite, il ne rĂ©intĂ©gra l’empire restaurĂ© qu’en 1323. Grec par ses origines, puis italien, serbe et albanais par conquĂȘte, il tenta de maintenir son identitĂ© jusqu’à sa chute aux mains des Ottomans en 1479.

Despotat d'Épire
(el) Î”Î”ÏƒÏ€ÎżÏ„ÎŹÏ„Îż της Î—Ï€Î”ÎŻÏÎżÏ…

1204–1479

Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Carte des Balkans et de l'Asie Mineure aprùs 1204 ; le despotat d'Épire est en orange pñle.
Informations générales
Statut Autocratie, successeur local de l'Empire byzantin
Capitale Arta, Ioannina de 1358 Ă  1416
Langue(s) Grec, Albanais
Religion Grecque orthodoxe

Entités précédentes :

Entités suivantes :

CentrĂ© sur la province d’Épire et l’Acarnanie, au nord-ouest de la GrĂšce, et sur la partie occidentale de la MacĂ©doine grecque, il s’étendait Ă©galement en une mince bande sur la Thessalie et de la GrĂšce occidentale jusqu’à Naupacte (aujourd’hui LĂ©pante) au sud. Sous ThĂ©odore ComnĂšne Doukas et l’éphĂ©mĂšre empire de Thessalonique, le despotat s’étendit pour incorporer briĂšvement la partie centrale de la MacĂ©doine ainsi que la Thrace jusqu’à Didymotique et Andrinople (aujourd’hui Edirne).

Appellation

L’Épire (littĂ©ralement « terre ferme ») byzantine recouvrait les deux provinces romaines d’Épire ancienne, depuis le golfe d’Arta et Nicopolis jusqu’à Bouthrotos (aujourd’hui Butrint en Albanie), et d’Épire nouvelle avec les villes d’Avlona, Apollonia et Dyrracheion au nord. La population Ă©tait essentiellement grecque dans l’Épire ancienne et plutĂŽt albanaise dans l’Épire nouvelle[1]. Bien que l’on donne traditionnellement Ă  ce territoire le nom de « despotat » et Ă  son souverain celui de « despote », l’une et l’autre appellation sont abusives.

Ni le fondateur, Michel Ier ComnĂšne Doukas (rĂšgne de 1205 Ă  1215), ni son successeur ThĂ©odore ComnĂšne Doukas (rĂšgne de 1215 Ă  1230), ne portĂšrent le titre de « despote ». Les premiers souverains Ă©pirotes portĂšrent plutĂŽt le titre d’arkon (archonte) ou simplement de kyrios (seigneur). Le premier Ă  porter celui de despote fut Michel II ; il lui fut octroyĂ© par son oncle, Manuel ComnĂšne Doukas, dans les annĂ©es 1230, lequel continuait Ă  s’intituler « empereur de Thessalonique » mĂȘme si cet empire avait Ă©tĂ© anĂ©anti par le tsar bulgare Jean (ou Ivan) Asen II (rĂšgne de 1218 Ă  1241). Comme ce titre, le plus Ă©levĂ© de la hiĂ©rarchie aulique, ne pouvait ĂȘtre dĂ©cernĂ© que par l'empereur, c'Ă©tait pour lui une façon de perpĂ©tuer l’éphĂ©mĂšre empire fondĂ© par son frĂšre, ThĂ©odore. Par la suite, ce titre fut octroyĂ© lĂ©galement par l’empereur Jean III VatatzĂšs et impliquait une notion de soumission fĂ©odale[2] - [3]. AprĂšs le XIIe siĂšcle, le titre de despote fut traditionnellement concĂ©dĂ© par les empereurs Ă  des membres de la famille impĂ©riale, gĂ©nĂ©ralement Ă  leurs fils envoyĂ©s gouverner un apanage dont ils percevaient les revenus et qu’ils dirigeaient de façon quasi indĂ©pendante.

Parler du « despotat d’Épire » n’est pas exact non plus, le terme de « despote » Ă©tant un qualificatif qui s’appliquait au titulaire sans impliquer de juridiction gĂ©ographique. Dans le cas de l’Épire, on voit le terme de despotat associĂ© Ă  une entitĂ© gĂ©ographique Ă  partir du XIVe siĂšcle dans les sources occidentales. Il fut Ă©galement utilisĂ© en Bulgarie au XIIIe siĂšcle et en Serbie au siĂšcle suivant[4] - [N 1]. Ni l’Épire, ni la MorĂ©e, ni les autres apanages similaires ne furent hĂ©rĂ©ditaires ; l’empereur se rĂ©serva toujours le droit d’y intervenir lorsqu’il le jugeait nĂ©cessaire et renouvela l’octroi du titre Ă  chaque souverain, lequel ne put dĂšs lors prĂ©tendre ĂȘtre l’hĂ©ritier de son pĂšre. Il serait donc plus logique de parler de « despote en Épire »[5].

Histoire

Création (1205-1216)

Le despotat d'Épire de 1205 à 1230.

L’État Ă©pirote fut crĂ©Ă© en 1205 par Michel Ier ComnĂšne Doukas[N 2]. Il Ă©tait le fils illĂ©gitime du sebastocrator Jean Doukas et cousin des empereurs Isaac II et Alexis III Ange. D’abord otage de FrĂ©dĂ©ric Barberousse dans les annĂ©es 1190, il devint doux et anagrapheus[N 3] du thĂšme de Mylasa et Melanoudion en Asie Mineure (aujourd’hui Turquie). TombĂ© en disgrĂące sous Alexis III (empereur de 1195 Ă  1203), il retourna Ă  Constantinople alors que les croisĂ©s s’apprĂȘtaient Ă  en faire la conquĂȘte. AprĂšs la chute de la ville, il servit Boniface de Montferrat, mais ayant perdu la MorĂ©e (PĂ©loponnĂšse) aux mains des Latins Ă  la bataille de l’oliveraie de Kountouros[N 4], il se sĂ©para de lui et se dirigea vers l’Épire oĂč il prit le contrĂŽle du thĂšme de Nicopolis, toujours dirigĂ© par le gouverneur byzantin Senacherim. Il renversa celui-ci et, aprĂšs sa mort, Ă©pousa sa fille ou sa veuve, ce qui lui apporta des biens importants dans la rĂ©gion. Ayant eu soin de laisser en place les autoritĂ©s locales et de respecter les biens de l’Église, il fut rapidement acceptĂ© par la population et l’Épire devint sous sa gouverne un centre de rĂ©sistance contre les Latins. BientĂŽt les rĂ©fugiĂ©s de Constantinople, de la Thessalie et du PĂ©loponnĂšse affluĂšrent Ă  Arta, la capitale de la province[6] - [7].

DĂ©sireux d’affermir l’Empire latin de Constantinople, Henri de Flandre (rĂšgne 1206-1216), successeur du premier empereur latin, exigea que Michel fasse allĂ©geance Ă  l’empire. Officiellement, ceci fut rĂ©alisĂ© sous forme d’une alliance matrimoniale, la fille de Michel Ă©pousant le frĂšre de l’empereur, Eustace, en 1209[8]. Toutefois, assurĂ© de ses positions dans les montagnes d’Épire, Michel joua ses adversaires les uns contre les autres au grĂ© des circonstances. Afin d’ennuyer ThĂ©odore Lascaris, souverain de l’empire de NicĂ©e, il paya la rançon de son cousin, l’empereur dĂ©posĂ© Alexis III, et l’envoya au sultan Kay Khusraw qui dĂ©sirait envahir l’Empire de NicĂ©e[9]. Pendant ce temps, des parents de Boniface de Montferrat ayant Ă©levĂ© des prĂ©tentions sur l’Épire, Michel s’allia en 1210 aux VĂ©nitiens qui s’étaient appropriĂ©s Dyrrachion et Corfou en vertu de la partition de l’Empire byzantin en 1204 et leur proposa d’administrer l’Épire en leur nom[N 5]. L’alliance avec les VĂ©nitiens ne dura guĂšre. En 1213, Michel reprit Dyrrachion et y ajouta Corcyre (aujourd’hui Corfou) l’annĂ©e suivante, en plus de s’emparer des ports du golfe de Corinthe. La mĂȘme annĂ©e, la mort du prince bulgare Strez (en) lui permit d’élargir son territoire vers la MacĂ©doine[10]. Sa progression fut arrĂȘtĂ©e lorsqu’Henri de Flandre, aprĂšs avoir battu les Bulgares, marcha sur Thessalonique oĂč il installa son frĂšre Eustace comme gouverneur. Michel Ier crut alors prudent de renoncer Ă  ses prĂ©tentions : il maria sa fille Ă  Eustace et fit soumission Ă  Henri de Flandre[11] - [1].

Michel Ier voulut faire valoir l’indĂ©pendance de son État non seulement sur le plan politique, mais Ă©galement sur le plan religieux. RĂ©fugiĂ© Ă  Didymotique (Thrace) aprĂšs la chute de Constantinople, le patriarche ƓcumĂ©nique Jean X Kamateros avait refusĂ©, soit en raison de son grand Ăąge, soit qu’il ne voulait pas abandonner ses compatriotes, l’invitation de ThĂ©odore Lascaris de le rejoindre Ă  NicĂ©e, mais avait permis Ă  ses suffragants de le faire[12]. AprĂšs son dĂ©cĂšs en 1206, ThĂ©odore Lascaris rĂ©unit un synode Ă  NicĂ©e qui Ă©lit Michel IV Autorianos « patriarche ƓcumĂ©nique en exil Ă  NicĂ©e », laissant ainsi entendre que seul l’Empire de NicĂ©e Ă©tait le successeur lĂ©gitime de l’Empire byzantin. Michel rompit alors ses liens avec l’Église orthodoxe et fit allĂ©geance au pape[13]. Mais, en raison de la cruautĂ© manifestĂ©e Ă  l’endroit de prĂȘtres faits prisonniers lors de l’invasion du royaume de Thessalonique, le pape Innocent III (pape 1198-1216) l’excommunia, mettant ainsi un terme Ă  la courte alliance avec l’Église catholique[N 6].

Sa carriĂšre devait ĂȘtre brutalement interrompue en 1215 lorsque Michel fut assassinĂ© par un de ses serviteurs. Son demi-frĂšre, ThĂ©odore, lui succĂ©da.

Conflits avec l’Empire de NicĂ©e et la Bulgarie (1216-1242)

Le despotat d'Épire de 1230 à 1251.

Enfant lĂ©gitime contrairement Ă  Michel, et probablement dans la trentaine, ThĂ©odore Ier Ange Doukas ComnĂšne (despote 1215, emp. de Thessalonique 1224-1230) avait en commun avec son frĂšre une totale absence de scrupules. DĂ©sirant agrandir ses possessions et chasser les Latins de Thessalonique d’abord, de Constantinople ensuite, ThĂ©odore commença par mettre fin Ă  la guerre avec les Serbes et, aprĂšs avoir assurĂ© sa frontiĂšre nord par une sĂ©rie d’alliances avec les Albanais, il attaqua les Bulgares auxquels il prit la ville d’Ohrid et la vallĂ©e de l’Axios (ou Vardar). Henri de Flandre, qui s’était alliĂ© aux Bulgares pour faire contrepoids Ă  l’alliance entre l’empereur latin et les Turcs, marcha contre lui mais mourut Ă  Thessalonique au printemps 1216. Son successeur, Pierre de Courtenay qui, arrivant de Rome, voulait rejoindre Constantinople par voie de terre, tomba dans une embuscade tendue par ThĂ©odore dans les montagnes l’annĂ©e suivante. L’empereur dĂ©signĂ© fut capturĂ© de mĂȘme que l’ensemble de son armĂ©e. On croit gĂ©nĂ©ralement que ThĂ©odore le fit exĂ©cuter, car on n’entendit plus jamais parler de l’empereur qui fut prĂ©sumĂ© mort. AprĂšs quoi ThĂ©odore se dirigea vers le sud et força les Latins Ă  abandonner la Thessalie[10].

AprĂšs avoir conquis SerrĂšs en 1221, ThĂ©odore se trouvait maitre de l’ensemble du territoire du royaume de Thessalonique, Ă  l’exception de la ville elle-mĂȘme. L’occasion allait lui ĂȘtre fournie avec le dĂ©cĂšs Ă  brĂšve intervalle de l’empereur de NicĂ©e, ThĂ©odore Lascaris, et de celui de TrĂ©bizonde, Alexis ComnĂšne. Refusant de reconnaitre leurs successeurs comme souverains de l’Empire byzantin, ThĂ©odore attaqua Thessalonique qui fit appel Ă  l’empereur latin. Pris entre deux feux, le nouvel empereur Robert de Courtenay (emp. latin 1219-1228) envoya une partie de ses forces au sud aider les frĂšres Lascaris qui, Ă  NicĂ©e, disputaient le trĂŽne Ă  Jean VatatzĂšs (emp. 1221-1254), et l’autre partie au nord pour reprendre SerrĂšs (MacĂ©doine centrale) et dĂ©livrer Thessalonique. La victoire de Jean III VatatzĂšs Ă  NicĂ©e força les Latins Ă  abandonner le siĂšge de SerrĂšs ; Thessalonique n’eut d’autre choix que de se rendre en 1225. Lors d’un rassemblement Ă  Arta, les notables d’Épire acquiescĂšrent au projet de ThĂ©odore de se faire couronner « empereur des Romains », disputant ainsi ce titre aux empereurs de NicĂ©e et de TrĂ©bizonde. Le haut clergĂ© pour sa part Ă©tait divisĂ© : le mĂ©tropolite de Thessalonique, fidĂšle au patriarche de Constantinople en exil Ă  NicĂ©e, refusant de couronner ThĂ©odore, celui-ci fit alors appel au mĂ©tropolite DĂšmĂštrios Chomatenos, qu’il avait promu en 1217 « mĂ©tropolite d’Ohrid et de toute la Bulgarie ». Avec Jean Apokaukos, mĂ©tropolite de Naupacte, et Georges BardanĂšs, mĂ©tropolite de Corfou, les trois mĂ©tropolites soutenaient que l’Empire byzantin Ă©tant tombĂ© aux mains des croisĂ©s, le despotat d’Épire Ă©tait pleinement justifiĂ© Ă  former un État indĂ©pendant[14] - [15] - [16].

Théodore Ier en tant qu'empereur en compagnie de saint Démétrios, patron de Thessalonique.

L’éphĂ©mĂšre « Empire de Thessalonique » ne devait durer que trois ans, mais s’étendit pendant cette courte pĂ©riode de Dyrrachion Ă  Andrinople et d’Ohrid au golfe de Corinthe. En 1230, ThĂ©odore dĂ©cida d’attaquer la Bulgarie, espĂ©rant dĂ©poser le tsar Jean II Asen (vers 1190-1241) qui lui barrait la route de Constantinople. Mal lui en prit, car les forces bulgares dĂ©firent ThĂ©odore lors de la bataille de Klokotnitca (1230) ; ThĂ©odore fut capturĂ©, emmenĂ© en captivitĂ© en Bulgarie et aveuglĂ© par le tsar bulgare qui envahit la Thrace, la MacĂ©doine (y compris Ohrid) et le Nouvel Épire. Le tsar exigea Ă©galement que le pouvoir soit confiĂ© au frĂšre de ThĂ©odore, Manuel, qui continua Ă  porter le titre d’empereur Ă  Thessalonique mĂȘme s’il Ă©tait en fait vassal du tsar bulgare et si le territoire de l’empire se rĂ©duisait aux environs de Thessalonique et Ă  la Thessalie. Le fils de Michel Ier, qui avait Ă©tĂ© exilĂ© aprĂšs la mort de son pĂšre, Michel II ComnĂšne Doukas, put revenir d’exil et s’installer Ă  Arta oĂč il devait rĂ©gner sur l’Ancien Épire jusqu’à sa mort en 1266[17].

RelĂąchĂ© en 1237, ThĂ©odore s’empara de nouveau de Thessalonique dont il chassa son frĂšre Manuel et installa son fils, Jean ComnĂšne Doukas (en), sur le trĂŽne[N 7]. La fin Ă©tait toutefois proche. En 1242, Jean III Doukas VatatzĂšs, maintenant solidement installĂ© Ă  NicĂ©e, marcha sur Thessalonique et obligea le fils de ThĂ©odore Ă  reconnaitre la souverainetĂ© de l’Empire de NicĂ©e, Ă  abandonner toute prĂ©tention au titre impĂ©rial et Ă  reprendre son titre traditionnel de despote. L’« Empire de Thessalonique » fut divisĂ© entre les trois frĂšres : Jean demeurait avec son pĂšre Ă  Thessalonique, alors que l’ancien empereur Manuel obtenait la Thessalie et qu’un troisiĂšme frĂšre, Constantin (en), continuait Ă  rĂ©gner en Acarnanie et Étolie[18]. DĂ©mĂ©trios (en), frĂšre de Jean, lui succĂ©da pendant quatre ans, mais fut bientĂŽt dĂ©posĂ© par Jean VatatzĂšs qui l’emmena en captivitĂ© et annexa Thessalonique Ă  l’Empire de NicĂ©e[17].

L’Épire vassal de NicĂ©e, puis de Constantinople (1242-1267)

Le despotat d'Épire de 1252 à 1351.

La rivalitĂ© entre l’Épire et l’Empire de NicĂ©e ne devait pas cesser pour autant. ThĂ©odore, qui s’était retirĂ© au chĂąteau de Vodena (aujourd’hui Édesse) sur la nouvelle frontiĂšre entre l’Épire et l’Empire de NicĂ©e, encouragea Michel II ComnĂšne Doukas (despote 1230- mort entre 1266 et 1268) Ă  reprendre les prĂ©tentions au trĂŽne impĂ©rial en Europe. Au dĂ©but, le mariage de Michel II avec une princesse de la famille impĂ©riale de NicĂ©e lui avait permis d’établir des relations cordiales avec Jean III Doukas VatatzĂšs, lequel lui confĂ©ra en 1249 la dignitĂ© de despote, titre utilisĂ© pour la premiĂšre fois de façon officielle. Ces bonnes relations permirent Ă  Jean III VatatzĂšs d’obtenir la neutralitĂ© de l’Épire pendant qu’il partait Ă  la conquĂȘte de Thessalonique[19].

La bonne entente ne devait pas durer. En 1256, Michel II entra en conflit avec le successeur de Jean III, ThĂ©odore II Lascaris (emp. 1254-1258)[N 8], qui lui avait demandĂ© de lui remettre Dyrrachion reconquise par l’Empire de NicĂ©e. Mais pendant que l'armĂ©e Ă©pirote s'avançait vers Thessalonique, le roi Manfred Ier de Sicile (roi 1258-1266) s'emparait de Dyrrachion et de Berat. Michel II saisit l’occasion pour conclure une alliance Ă  la fois avec Manfred de Sicile et Guillaume II de Villehardouin, prince d’AchaĂŻe, donnant Ă  chacun d’eux l’une de ses filles en mariage et « cĂ©dant » en dot Ă  Manfred les villes de la cĂŽte dont celui-ci s’était dĂ©jĂ  emparĂ©, du cap Rodon Ă  Buthrot, ainsi que l’ile de Corfou[20] - [21] - [22].

L’alliance entre les trois princes permit Ă  Michel II de se sentir assez fort pour entrer en guerre contre l’Empire de NicĂ©e et se diriger vers Thessalonique, Ă©tape obligatoire vers Constantinople. L’Empire de NicĂ©e Ă©tait alors affaibli par la mort de ThĂ©odore II Lascaris en aoĂ»t 1258, lequel laissait le trĂŽne Ă  un enfant de huit ans, Jean IV (1258-1261). La rĂ©gence fut assumĂ©e par Michel PalĂ©ologue, le futur Michel VIII (emp. 1261-1282), lequel dĂ©pĂȘcha une armĂ©e sous le commandement de son frĂšre, Jean PalĂ©ologue, au secours de Thessalonique. La bataille, qui devait sceller l’avenir du despotat d’Épire et ouvrir la porte au rĂ©tablissement de l’Empire byzantin se dĂ©roula en septembre 1259 Ă  PĂ©lagonia dans l’ouest de la MacĂ©doine. La bataille opposant Michel II et Guillaume II aux forces nicĂ©ennes se termina par la dĂ©faite totale des coalisĂ©s : Guillaume II fut capturĂ© et passa trois ans en prison pendant que Michel II devait se rĂ©fugier Ă  CĂ©phalonie chez les Orsini, qui devaient jouer un grand rĂŽle au siĂšcle suivant dans l’histoire du despotat[22].

Dans le despotat d’Épire, seuls rĂ©sistaient la ville d’Ioannina et le port de Vonitsa[23] - [24] - [25]. S’ensuivit une trĂȘve d’une annĂ©e pendant laquelle Michel II se rĂ©concilia avec son fils Jean de Thessalie qui l’avait abandonnĂ© sur le champ de bataille de PĂ©lagonia et, avec lui, revint en Épire, reprit Arta, dĂ©livra Ioannina et envahit la Thessalie. Michel PalĂ©ologue ne poussa pas son avantage, ayant les yeux plutĂŽt fixĂ©s sur Constantinople. En 1261, Michel PalĂ©ologue envoya le gĂ©nĂ©ral Alexis Strategopoulos reconnaitre les alentours de l’ancienne capitale impĂ©riale. Celui-ci ayant remarquĂ© l’absence de dĂ©fenseurs (l’armĂ©e latine et la flotte de Venise Ă©tant partis conquĂ©rir l’ile de Daphnusie), s’empara de la ville oĂč Michel VIII put faire son entrĂ©e triomphale trois semaines plus tard[26] - [27].

L’Épire entre Constantinople et le royaume de Naples (1267-1317)

L'église Paregoretissa, cathédrale d'Arta, la capitale du despotat, construite au XIIIe siÚcle par Nicéphore Ier ComnÚne Doukas.

Ayant atteint son objectif, Michel VIII put se tourner contre l’Épire. En 1264, son armĂ©e progressa jusqu’à Thessalonique. Michel II dut cĂ©der et la paix fut scellĂ©e l’annĂ©e suivante par le mariage de son fils et hĂ©ritier, NicĂ©phore, avec la niĂšce de Michel VIII, Anne PalĂ©ologue CantacuzĂšne. NicĂ©phore (despote 1267-1297) reçut alors le titre de despote que seul l’empereur de Constantinople pouvait octroyer et succĂ©da Ă  son pĂšre en 1267 dans la « Vieille Épire » : l’Épire perdait son indĂ©pendance pour jouir d’une autonomie interne dans le cadre de l’empire. La « Nouvelle Épire » avec Dyrrachion demeura aux mains de Constantinople alors que la Thessalie fut confiĂ©e Ă  Jean Doukas qui reçut le titre de sebastocrator (titre le plus Ă©levĂ© aprĂšs celui de despote)[28].

Les Latins n’avaient toutefois pas abandonnĂ© leurs prĂ©tentions sur l’Empire byzantin. ExilĂ©, le dernier empereur latin de Constantinople, Baudouin II de Courtenay (1217-1273), avait concĂ©dĂ© par le traitĂ© de Viterbe (1267) Ă  Charles Ier d’Anjou (roi 1266-1285) la suzerainetĂ© Ă©ventuelle de Corfou et de l’Épire en Ă©change de son aide pour la reconquĂȘte de Constantinople[29]. Charles profita de l’élection d’un pape français qui lui Ă©tait favorable, Martin IV (pape 1281-1285), pour susciter une nouvelle « croisade » dirigĂ©e non plus contre les musulmans, mais contre Michel VIII, accusĂ© de ne pas avoir mis en Ɠuvre l’union entre les Églises catholique romaine et orthodoxe (deuxiĂšme concile de Lyon, 1274), qu’il n’avait acceptĂ©e que pour se prĂ©munir contre une telle croisade. Charles jouissait de l’appui indirect du sebastocrator Jean de Thessalie qui avait rĂ©uni un concile anti-unioniste pour nuire Ă  son voisin d’Épire. Croyant pouvoir reconquĂ©rir une vĂ©ritable libertĂ©, NicĂ©phore Ier d’Épire s’allia avec Charles d’Anjou dont il se dĂ©clara vassal et reprit Bouthrot Ă  l’empereur pour la remettre Ă  Charles. AprĂšs s’ĂȘtre emparĂ© de Dyrrachion[N 9], avoir envahi l’Albanie et s’ĂȘtre emparĂ© d’Avlona, les troupes de Charles furent battues en 1281 par celles de Michel VIII devant la forteresse de Berat ; les VĂȘpres siciliennes en 1282 forcĂšrent les Angevins Ă  se retirer des Balkans pendant que les forces de Michel VIII s’emparaient de l’Albanie au dĂ©triment de NicĂ©phore[28] - [30] - [N 10].

La « croisade » angevine se terminait par un Ă©chec. RĂ©aliste, NicĂ©phore se tourna Ă  nouveau vers Constantinople et livra Ă  l’empereur Andronic II (emp. 1282-1328) le bouillant Michel, fils du sebastocrator Jean, ravivant ainsi l’hostilitĂ© entre l’Épire et la Thessalie qui, comme elle, oscillait entre la soumission Ă  Constantinople et l’alliance avec l’Occident[31].

Cette alliance avec Constantinople devait Ă  nouveau ĂȘtre abandonnĂ©e en 1292 lorsque les troupes d’Andronic II durent fuir devant celles de Charles II d'Anjou qui avait succĂ©dĂ© Ă  son pĂšre et s’était alliĂ© au prince d’AchaĂŻe, Florent de Hainaut. Une nouvelle alliance avec le royaume de Naples fut scellĂ©e cette fois par le mariage de la fille de NicĂ©phore, Thamar, avec le fils de Charles II, Philippe de Tarente (1278-1332), lequel revendiquait l’ensemble des « possessions angevines » en GrĂšce. Ayant adoptĂ© le titre de « despote de Romanie et seigneur du royaume d’Albanie », Philippe prit la tĂȘte d’une coalition contre Constantinople qui rĂ©ussit en 1295 Ă  reprendre Dyrrachion. Par ailleurs, Thamar lui apportait en dot Naupacte (LĂ©pante) et diverses forteresses qui lui donnaient le contrĂŽle du golfe de Corinthe et de celui d’Ambracie oĂč Ă©tait situĂ©e Arta. À toutes fins pratiques, l’Épire passait sous la tutelle du royaume de Naples[31] - [32] - [33].

NicĂ©phore mourut en 1296, laissant comme hĂ©ritier un fils mineur, Thomas. La rĂ©gence fut assurĂ©e par la veuve de NicĂ©phore, Anne PalĂ©ologue CantacuzĂšne, laquelle, en raison des liens de famille, se tourna vers Constantinople. En 1304, Philippe de Tarente, devenu prince d’AchaĂŻe aprĂšs la dĂ©position du prince Philippe de Savoie et de sa femme Isabelle de Villehardouin, exigea que Thomas lui prĂȘte hommage, ce que refusa la rĂ©gente arguant que le titre de despote ayant Ă©tĂ© octroyĂ© par l’empereur, ce dernier Ă©tait dĂšs lors le seul Ă  qui Thomas pouvait rendre hommage. S’ensuivit une nouvelle guerre au cours de laquelle Philippe tenta de s’emparer de l’Épire. Si le territoire put rĂ©sister et maintenir son indĂ©pendance, Anne dut cĂ©der Ă  Philippe le port de Vonitza, Naupacte et Bouthrot. Pour se prĂ©munir contre le royaume de Naples, deux mariages furent conclus qui ramenaient thĂ©oriquement et l’Épire et la Thessalie dans l’orbite de Constantinople, celui de Thomas d’Épire avec la fille de Michel IX, Anne PalĂ©ologue, en 1307 et du sebastocrator Jean II de Thessalie avec une fille illĂ©gitime d’Andronic II[31]. En 1312, Philippe divorça de Thamar, abandonna ses prĂ©tentions sur l’Épire et revendiqua plutĂŽt l’Empire latin de Constantinople Ă  titre d’hĂ©ritage de sa nouvelle Ă©pouse, Catherine II de Valois, descendante du dernier empereur latin de Constantinople, Baudouin II.

Un nouveau basculement des alliances devait toutefois se produire lorsqu’Andronic II nomma SyrgiannĂšs Philantropenos PalĂ©ologue, petit-neveu par sa mĂšre de Michel VIII, commandant des forces militaires de Berat. Ambitieux et dĂ©nuĂ© de scrupules, celui-ci quitta Berat, s’empara de Vonitsa en 1314 et attaqua Arta en fĂ©vrier 1315 oĂč il dĂ©vasta les propriĂ©tĂ©s d’un marchand vĂ©nitien. Furieux de voir sa capitale ravagĂ©e par les troupes impĂ©riales, Thomas emprisonna sa femme Anne PalĂ©ologue et dĂ©clara que la paix avec Constantinople avait Ă©tĂ© rompue, Ă  la suite de quoi l’empereur, dont les relations avec Venise Ă©taient ainsi mises en pĂ©ril, dĂ©clara Thomas rebelle et ennemi de Constantinople. En 1318, Venise interdisait Ă  ses marchands de faire affaire avec l’Épire. Voyant sa situation politique et Ă©conomique sĂ©rieusement compromise, Thomas se tourna Ă  nouveau vers Philippe de Tarente. Philippe fut ravi de ce revirement de situation, mais ne put guĂšre en profiter, car avant la fin de l’annĂ©e Thomas Ă©tait assassinĂ© par son cousin, Nicolas Orsini de CĂ©phalonie. Tout comme Jean II, le sĂ©bastocrator de Thessalie, il ne laissait aucun descendant : la dynastie des ComnĂšne Doukas s’éteignait avec eux[31] - [34] - [35].

Retour Ă  l’autoritĂ© de Byzance (1318-1339)

Le despotat d'Épire de 1315 à 1358.

Le comtĂ© de CĂ©phalonie Ă©tait la plus ancienne possession des Latins dans l’ancien Empire byzantin. Cette ile grecque de la mer Ionienne avait Ă©tĂ© conquise en 1185 sous Guillaume II de Sicile et Ă©chut aux VĂ©nitiens lors du partage de l’Empire byzantin en 1204. Elle resta gouvernĂ©e aprĂšs le partage par la famille Orsini qui Ă©tait Ă  sa tĂȘte depuis 1194. Cette famille avait crĂ©Ă© des liens avec l’Épire depuis 1227 alors qu’une fille (ou niĂšce) de Michel Ier, Anna Theodora Angelina, avait Ă©pousĂ© le comte Maio II. En 1318, le comte Nicolas crut le moment arrivĂ© de s’emparer de l’Épire[36].

AprĂšs avoir fait assassiner son cousin Thomas, Nicolas Orsini Ă©pousa Anne, sa veuve, se convertit Ă  la religion orthodoxe, puis fit allĂ©geance Ă  Andronic II qui lui confĂ©ra le titre de despote. Son territoire Ă©tait rĂ©duit Ă  Arta, la capitale, au sud de l’Épire et Ă  l’Acarnanie, alors que Constantinople occupait Ioannina, Berat et Avlona (aujourd’hui Vlora en Albanie), que Venise dĂ©tenait Dyrrachion et que Philippe de Tarente s’emparait des iles de CĂ©phalonie, d’Ithaque et de Zakynthos. En 1323, Nicolas fut assassinĂ© par son frĂšre, Jean II, Ă  qui Andronic II confĂ©ra le titre de despote Ă  condition qu’il gouverne l’Épire en tant que domaine impĂ©rial. Les Angevins pour leur part continuaient toujours Ă  affirmer leurs droits sur la GrĂšce ; leurs partisans Ă  la cour d’Arta considĂ©raient une alliance avec ceux-ci moins humiliante qu’une allĂ©geance Ă  Constantinople. Jean II fut assassinĂ© en 1335, laissant le pouvoir Ă  son fils mineur, NicĂ©phore II (despote 1335-1337 et 1356-1359), sous la rĂ©gence d’Anne PalĂ©ologue qui se dit prĂȘte Ă  accepter l’autoritĂ© de Constantinople pourvu que son fils soit reconnu comme despote. En 1337, Andronic III (1328-1341), dĂ©cidĂ© Ă  mettre fin aux prĂ©tentions indĂ©pendantistes des États du nord, reprit le contrĂŽle de la Thessalie en 1332-1333, mit fin Ă  la rĂ©bellion de SyrgiannĂšs Ă  Thessalonique et, aprĂšs avoir soumis l’Albanie, arriva en Épire Ă  la tĂȘte d’une armĂ©e composĂ©e en partie de Turcs. Anne se vit obligĂ©e de capituler sans condition. Le despotat retournait ainsi Ă  l’empire sous la direction d’un gouverneur (kephale) nommĂ© par Constantinople, Jean Ange. Au terme de l’accord, NicĂ©phore II devait ĂȘtre fiancĂ© Ă  la fille de Jean CantacuzĂšne. PlutĂŽt que de contracter ce mariage, NicĂ©phore s’enfuit en Italie avec l’aide de l’aristocratie dĂ©sireuse de maintenir l’indĂ©pendance de l’État Ă©pirote. Il rĂ©sida quelque temps Ă  la cour de Catherine II de Valois qui tenta de faire valoir ses titres en appuyant une brĂšve rĂ©volte dans le PĂ©loponnĂšse. Andronic III revint dans le pays avec Jean CantacuzĂšne en 1339. NicĂ©phore, qui Ă©tait revenu entre-temps en Épire et devait alors ĂȘtre ĂągĂ© de quatorze ans, fut persuadĂ© qu’il n’avait d’autre choix que de reconnaitre l’autoritĂ© du basileus. Il accepta Ă©galement d’épouser Marie CantacuzĂšne, reçut le titre de panhypersebastos, titre quelque peu infĂ©rieur Ă  celui de despote, et quitta l’Épire pour Constantinople avec ses beaux-parents en 1340 : l’Épire, la Thessalie et la MacĂ©doine faisaient Ă  nouveau partie de l’Empire byzantin. Seules Naupacte et Vonitsa en Acarnanie demeuraient possessions angevines[37] - [38] - [39] - [40].

L’Épire aux mains des Serbes, des Albanais et des Italiens (1340-1429)

À Constantinople, Andronic III ne devait pas survivre Ă  sa victoire et mourut l’annĂ©e suivante. Son hĂ©ritier, Jean V PalĂ©ologue, n’avait que neuf ans. La guerre civile qui opposa la mĂšre de Jean V PalĂ©ologue (1332-1391), Anne de Savoie, Ă  l’ancien Grand Domestique d’Andronic III, Jean VI CantacuzĂšne (1295-1383) pour la rĂ©gence devait rĂ©veiller les tendances indĂ©pendantistes en Épire, laquelle avec la Thessalie se rangea aux cĂŽtĂ©s de Jean CantacuzĂšne. Celui-ci nomma son cousin, Jean Ange, dĂ©jĂ  gouverneur d’Arta, gouverneur des deux rĂ©gions. C’est du reste dans le document (chrysobulle) portant sa nomination qu’apparait pour la premiĂšre fois en grec le nom de despotat (despoton)[37] - [41].

Les Albanais qui contrĂŽlaient dĂ©jĂ  Berat et Avlona progressĂšrent vers l’Acarnanie. Pour leur part, les Serbes profitĂšrent de cette guerre civile pour avancer en MacĂ©doine et dans le nord de l’Épire. Stefan UroĆĄ IV DuĆĄan (1308-1355), qui avait donnĂ© aide et assistance Ă  Jean CantacuzĂšne au dĂ©but de la guerre civile et avait adoptĂ© en 1346 le titre d’« empereur des Serbes et des Grecs », marcha sur l’Épire, l’Acarnanie et l’Étolie en 1348 pendant que son gĂ©nĂ©ral, Preljub, occupait la Thessalie. NicĂ©phore II profita Ă©galement de la guerre civile pour s’enfuir de Constantinople et revenir en Épire en 1356 oĂč il rĂ©gna pendant trois ans et deux mois. En dĂ©pit de succĂšs initiaux, il mourut en tentant d’étouffer une rĂ©volte albanaise.

Le tsar Stefan Uroƥ IV Duƥan à Lesnovo (Macédoine)

DivisĂ©e en un despotat d’Ioannina et un despotat d’Arta en 1348, l’Épire se fractionna aprĂšs la dissolution de l’Empire serbe et la mort de NicĂ©phore II en de nombreux territoires oĂč roitelets et seigneurs de la guerre serbes, albanais et italiens se combattaient mutuellement, engageant de plus en plus de mercenaires turcs dans les rangs de leurs armĂ©es. AprĂšs la mort de Stefan DuĆĄan, l’Épire Ă©chut Ă  son demi-frĂšre, SymĂ©on-SiniĆĄa PalĂ©ologue, lequel laissa la gouverne du territoire Ă  des seigneurs albanais pendant que lui-mĂȘme s’installait en Thessalie et qu'Ioannina passait Ă  son beau-frĂšre, Thomas Preljubović (1367-1384). Arta fut Ă  partir de ce moment gouvernĂ©e par des Albanais : Pierre Losha de 1359 Ă  sa mort en 1374 et Jean Spata jusqu’en 1399. Celui-ci Ă©tant mort sans hĂ©ritier, le pouvoir passa Ă  son frĂšre, Sgouros Bua Spata, puis au petit-fils de Gjin, Maurice (ou Muriki) Spata, qui combattit Carlo Tocco jusqu’à sa mort en 1414 ou 1415[42] - [43] - [44].

Lorsque Thomas Prejulbovič mourut Ă  Ioannina, sa veuve Maria Angelina Ă©pousa un noble aristocrate et aventurier florentin, Esau de’ Buondelmonti qui Ă©tait venu en Épire comme « condottiere » et avait Ă©tĂ© emprisonnĂ© par Thomas Peljuboviċ. Il reçut les insignes de despote de Jean V en 1385. Pour combattre les Albanais, il dut chercher l’appui des Ottomans dont il devint le vassal l’annĂ©e aprĂšs avoir jurĂ© fidĂ©litĂ© Ă  l’empereur byzantin. Pendant ce temps grandissait dans la rĂ©gion le pouvoir d’un autre Italien, Carlo Tocco, fils et successeur du comte de CĂ©phalonie, Leonardo. À la mort d’Esau, les habitants d’Ioannina appelĂšrent Carlo Ă  leur secours pour les dĂ©fendre Ă  la fois contre les Albanais et les Turcs dont l’avance progressait depuis la bataille de Kosovo en 1389. En 1415, Carlo rĂ©ussit Ă  s’emparer d’Arta et reçut de l’empereur Manuel II (emp. 1391-1425) le titre de despote. Les despotats d’Ioannina et d’Arta Ă©taient ainsi rĂ©unifiĂ©s ; Ă  ceux-ci s’ajoutaient l’Acarnanie et les iles de CĂ©phalonie, Ithaque, Zante et Leucade que Tocco contrĂŽlait dĂ©jĂ . En 1417, les Ottomans s’emparaient de Vlora, Kanina, Berat et Gjirokastra, gouvernant ainsi le reste de l’Épire[45] - [46].

La conquĂȘte turque (1429-1479)

Carlo Tocco fut le dernier despote d’une Épire rĂ©unifiĂ©e. Lorsqu’il mourut en 1429, ses possessions furent partagĂ©es entre sa veuve, le fils de son frĂšre LĂ©onardo (Carlo II) et trois de ses fils illĂ©gitimes. Carlo II Tocco (1429-1448) demeura seigneur (et non plus despote) d’Arta et des Iles, mais dut se reconnaitre vassal des Turcs tout comme les habitants d’Ioannina oĂč l’évĂȘque et les Ă©diles municipaux se rendirent en 1430 Ă  Sinan Beg, beglerbeg de RoumĂ©lie, pour conserver leurs privilĂšges. Arta suivit en 1449, Angelokastron en 1460 et finalement Vonitsa en 1479. La famille Tocco dut se replier sur les iles d’oĂč Ă©tait partie leur aventure en GrĂšce continentale ; le despotat d’Épire avait vĂ©cu[45] - [47].

Survol historique

Évùnements marquant de l’histoire de l’Épire.
Avril 1204 Les croisĂ©s s’emparent de Constantinople. Chute et partition de l’Empire byzantin.
Automne 1204 Michel Comnùne Doukas prend le pouvoir à Arta et fonde l’État d’Épire.
1212 ConquĂȘte d’une partie de la Thessalie lors d’une guerre contre le royaume latin de Thessalonique.
1213-1214 Guerre contre la rĂ©publique de Venise. Les Épirotes conquiĂšrent Dyrrachion et Corfu.
1214 Expansion en MacĂ©doine. Prise d’Ohrid.
DĂ©but 1215 Assassinat de Michel Ier. Son frĂšre lui succĂšde. ThĂ©odore Il pousse son neveu Michel II Ă  l’exil.
1216 DĂšmĂštrios Chomatianos devient archevĂȘque d’Ohrid.
1217 Capture et assassinat de l’empereur latin dĂ©signĂ©, Pierre de Courtenay.
1217-1224 Guerre de conquĂȘtes de ThĂ©odore en MacĂ©doine.
dĂ©cembre 1224 Prise de Thessalonique. Fin des possessions latines sur la cĂŽte nord de la mer ÉgĂ©e.
1225 ThĂ©odore prend le titre impĂ©rial et se fait couronner par le mĂ©tropolite DĂšmĂštrios Chomatianos avant de se diriger vers la Thrace et de s’emparer d’Andrinople ; grande extension de l’État Ă©pirote ; alliance avec les Bulgares.
1230 ThĂ©odore se retourne contre les Bulgares et subit la dĂ©faite lors de la bataille de Klokotnitca ; le despote est emprisonnĂ© et son État divisĂ© : Épire, Thessalonique, Thessalie et Acarnanie. En Épire, Michel II prend le pouvoir.
1241 GrĂące Ă  un hĂ©ritage, Michel II ajoute la Thessalie de façon pacifique Ă  son État.
1251 DĂ©mĂȘlĂ©s militaires avec l’Empire de NicĂ©e qui est en passe de devenir l’État le plus puissant de la rĂ©gion ; combats pour la MacĂ©doine septentrionale, l’Albanie moyenne et la Thessalie.
1257 Manfred de Sicile attaque l’Épire. Il s’empare de Corfou et de plusieurs autres ports et fortifications dans le nord du pays.
1259 AprĂšs la bataille de PĂ©lagonia, l’Épire est dĂ©finitivement surpassĂ© par son concurrent grec, l’Empire de NicĂ©e, et ne sera plus qu’une petite puissance.
Juillet 1261 L’empereur Michel VIII PalĂ©ologue conquiert Constantinople et ressuscite l’Empire byzantin. L’Épire demeure un État indĂ©pendant.
1268 Mort de Michel II et division de la succession. Son fils NicĂ©phore Ier lui succĂšde en Épire. Son demi-frĂšre, Jean, hĂ©rite de la Thessalie.
AprĂšs 1268 DĂ©mĂȘlĂ©s et changements d’allĂ©geance avec les rois angevins de Naples et l’Empire byzantin ; perte de la plupart des territoires au nord d’Ioannina.
1297 Mort de Nicéphore Ier ; son fils mineur, Thomas, lui succÚde.
DĂ©but du XIVe siĂšcle. Des tribus albanaises s’infiltrent en Épire ; de nombreux Albanais s’enrĂŽlent dans l’armĂ©e Ă©pirote.
1318 Nicolas Orsini, comte de CĂ©phalonie, assassine son oncle Thomas et se proclame souverain d’Épire.
1323 Nicolas est assassiné par son frÚre Jean qui lui succÚde mais perd Céphalonie.
1335 Mort de Jean. Son fils mineur, Nicéphore II, lui succÚde.
1340 L’empereur Andronic III dĂ©fait NicĂ©phore II et transforme l’Épire indĂ©pendante depuis un siĂšcle en province byzantine.
1348 Le tsar serbe Étienne DuĆĄan conquiert l’Épire. Il en confie le gouvernement Ă  son demi-frĂšre, SimĂ©on UroĆĄ.
1355 Mort d’Étienne DuĆĄan et dĂ©sintĂ©gration de la Serbie. La confusion qui s’ensuit permet Ă  NicĂ©phore II de reprendre le pouvoir.
1359 Nicéphore II tombe au combat contre les Albanais qui instaurent des gouvernements indépendants à Arta, Lépante et Angelokastron. Siméon reprend le pouvoir à Ioannina.
1366 Thomas Preljubović devient gouverneur de Ioannina et aprĂšs la mort de SimĂ©on en 1370 devient seul souverain.
1385 Esau Buondelmonti devient despote Ă  Ioannina. Il est le premier prince Ă©pirote Ă  ĂȘtre vassal du sultan alors que s’étend le pouvoir des Ottomans.
1417-1479 L’Épire est progressivement intĂ©grĂ©e Ă  l’Empire ottoman.

Les souverains d’Épire

Dynastie des ComnĂšne Doukas

Dynastie des Orsini

Dynastie des Nemanjiċ

Dynastie des Buondelmonti

Dynastie des Tocco

Notes et références

Notes

  1. En dĂ©cembre 1347, Étienne DuĆĄan de Serbie signa une chrysobulle pour le monastĂšre de la Grande Laure du mont Athos du titre d’ « empereur des Serbes et des Romains et du despotat des territoires de l’ouest », allusion possible Ă  l’Épire ; voir Nicol 1984, p. 129.
  2. Il est souvent appelĂ© Michel Ier Angelos dans les sources modernes mĂȘme s’il n’utilisa jamais lui-mĂȘme ce nom. Le prestige de la famille Ange Ă©tant moindre que celui des familles Doukas et ComnĂšne, despotes d’Épire et empereurs de Thessalonique adoptĂšrent plutĂŽt le nom de Doukas.
  3. Pour les titres et les fonctions, voir l’article « Glossaire des titres et fonctions dans l’Empire byzantin ».
  4. L’identification du « Michel » qui commandait les troupes grecques et de Michel ComnĂšne Doukas a Ă©tĂ© mise en doute par Raymond-Joseph Loenertz (voir bibliographie).
  5. La concession vĂ©nitienne de 1212 lui accordait le duchĂ© de Nicopolis, les provinces d’Ioannina, Bagenitia, Drynoupolis et Koloneia.
  6. Pour le rĂŽle de l’Église orthodoxe dans le conflit entre NicĂ©e et l’Épire, voir Hussey 1986, p. 206-211.
  7. Selon la coutume byzantine, ThĂ©odore, aveuglĂ©, ne pouvait lui-mĂȘme ĂȘtre empereur.
  8. Celui-ci Ă©tait le fils de Jean VatatzĂšs mais utilisait plutĂŽt le nom de sa mĂšre, Lascaris.
  9. Dyrrachion avait été abandonnée par les troupes de Constantinople aprÚs le séisme de 1271.
  10. C’est Ă  cette Ă©poque que les Ă©lites albanaises, favorisĂ©es par Michel VIII, font leur apparition dans la vie politique et que la population albanaise commence Ă  devenir majoritaire dans cette rĂ©gion ; voir Laiou et Morrisson 2011, p. 317.

Références

  1. Nicol 2005, p. 313.
  2. Nicol 1984, p. 2-3.
  3. Kazhdan 1991, vol. 1, « Epiros, Despotate of », p. 716.
  4. Kazhdan 1991, vol. 1, « Despotes », p. 614.
  5. Laiou et Morrisson 2011, p. 152.
  6. Kazhdan 1991, vol. 2, « Michael I Komnenos Doukas », p. 1362.
  7. Nicol 2005, p. 28-30.
  8. Treadgold 1997, p. 715.
  9. Treadgold 1997, p. 712 et 717.
  10. Treadgold 1997, p. 718.
  11. Treadgold 1997, p. 715-717.
  12. Treadgold 1997, p. 714 et 717.
  13. Treadgold 1997, p. 821.
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  15. Nicol 1984, p. 4.
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  17. Nicol 1984, p. 5.
  18. Fine 1994, p. 134.
  19. Nicol 1984, p. 6.
  20. Fine 1994, p. 161.
  21. Treadgold 1997, p. 730.
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  23. Treadgold 1997, p. 731-732.
  24. Nicol 2005, p. 52-53.
  25. Laiou et Morrisson 2011, p. 12.
  26. Treadgold 1997, p. 733.
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  28. Laiou et Morrisson 2011, p. 315.
  29. Nicol 2005, p. 71.
  30. Treadgold 1997, p. 743-745.
  31. Laiou et Morrisson 2011, p. 316.
  32. Treadgold 1997, p. 746-754, passim.
  33. Nicol 1984, p. 35-62.
  34. Treadgold 1997, p. 754.
  35. Nicol 1984, p. 63-80.
  36. Nicol 1984, p. 82.
  37. Laiou et Morrisson 2011, p. 317.
  38. Treadgold 1997, p. 762-763.
  39. Nicol 1984, p. 81-107 et 107-121.
  40. Nicol 2005, p. 204-206.
  41. Nicol 2005, p. 220.
  42. Laiou et Morrisson 2011, p. 318.
  43. Treadgold 1997, p. 764-774, passim.
  44. Nicol 1984, p. 123-138 et 139-156.
  45. Laiou et Morrisson 2011, p. 319.
  46. Nicol 1984, p. 157-178 et 179-195.
  47. Nicol 1984, p. 197-215.

Bibliographie

ƒuvres anciennes

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  • (el) L. Vranousis, Chronika tis mesaionikis kai tourkokratoumenis Epirou [« Chronicles of Epirus during the Middle Ages and the Turkish Rule »], Ioannina, .
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Deux chroniques nous sont parvenues datant de la fin du despotat :

  • la Chronique de Ioannina pour la pĂ©riode 1341-1400 :
    • (el) L. Vranousis, « To Chronikon ton Ioanninwn kat’ anekdoton dimodi epitomin » [« La chronique de Ioannina selon la tradition populaire »], Medieval Archive Yearbook, AcadĂ©mie d'AthĂšnes, vol. 12,‎ , p. 57–115 ;
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Voir aussi

Articles connexes

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