Jean Spata
Jean (Gjin) Spata (en albanais: Gjin Shpata ; fl. 1358 â ), aussi connu sous le nom de Jean Bua Spata, fut un seigneur de la guerre albanais qui, avec Pierre Losha fit des incursions en Ăpire, Acarnanie et en Ătolie Ă partir de 1358. Il rĂ©gna avec le titre de despote sur lâĂtolie (1360s-?), Angelokastron (? â 1399), Naupacte (1378-1399) et Arta (1370s â 1399) et fut reconnu comme despote par le tsar serbe SimĂ©on UroĆĄ au dĂ©but des annĂ©es 1360.
Biographie
En 1325 et 1334, des mercenaires et immigrants envahirent la Thessalie. Ils Ă©taient connus sous le terme gĂ©nĂ©rique dâAlbanais par les Grecs, en fonction de leur lieu dâorigine, mais leurs groupes comprenaient Ă©galement des Valaques[1]. En 1358 Albanais et Valaques conquirent lâĂpire, lâAcarnanie et lâĂtolie oĂč ils Ă©tablirent deux principautĂ©s sous la gouverne de leurs chefs, Jean Spata et Pierre Losha[2].
Nicolas II Orsini, comte palatin de CĂ©phalonie de 1323 Ă 1324 et despote dâĂpire de 1323 Ă 1335, tenta de repousser les envahisseurs venus dâAlbanie alors quâil devait faire face Ă la menace de Radoslav Hlapen, vassal du tsar serbe dans le nord. Nicolas se tourna alors vers ce dernier pour lâempĂȘcher dâappuyer les Albanais en Ăpire. Toutefois, les nĂ©gociations furent rompues par la mort de Nicolas lors de la bataille dâAchĂ©loös contre les Albanais en 1359[3].
SimĂ©on UroĆĄ, qui sâĂ©tait auto-proclamĂ© en 1356 âempereur des Serbes et des Grecsâ en opposition Ă son neveu Stefan UroĆĄ V, reconnut Jean Spata comme despote et souverain de lâĂtolie au dĂ©but des annĂ©es 1360[4].
En 1370, le despote dâIoannina, Thomas PreljuboviÄ, avait mariĂ© sa fille au fils de Pierre Losha pour mettre fin au conflit qui les opposait. Pierre Losha Ă©tant mort de la peste Ă Arta en 1374, Jean Spata sâempara de la ville et, nâĂ©tant pas lui-mĂȘme liĂ© par lâaccord avec Thomas, mit le siĂšge devant Ioannina dont il ravagea lâarriĂšre-pays. Thomas acheta la paix en donnant sa sĆur IrĂšne en mariage Ă Jean Spata lâannĂ©e suivante. Ceci nâempĂȘcha cependant pas les attaques contre Ioannina de continuer, dirigĂ©es par le clan des Malakasioi qui furent dĂ©faits par Thomas Ă deux reprises (1377 et 1379)[5].
Spata, qui Ă©tait maĂźtre dâArta et de la plus grande partie de lâĂpire et de lâAcarnanie, conquit Ă©galement Naupacte en 1376 ou 1377. En 1378, Juan FernĂĄndez de Heredia, nommĂ© grand maĂźtre des Hospitaliers de l'ordre de Saint-Jean de JĂ©rusalem dĂ©cida, avant de rejoindre Rhodes, dâenvahir lâĂpire avec 400 chevaliers de Rhodes. AprĂšs des succĂšs initiaux dĂ©but 1378 (prise de LĂ©pante, puis de Vonitza en Arcananie), l'expĂ©dition tourna au dĂ©sastre et Spata captura le grand maĂźtre quâil vendit aux Turcs[6]. LâannĂ©e suivante, Spata ravagea lâarriĂšre-pays dâIoannina[7].
Thomas PreljuboviÄ fut assassinĂ© en 1385 par ses gardes du corps[2]. Jean attaqua alors Ioannina, mais ne rĂ©ussit pas Ă percer les dĂ©fenses mises sur pied par Esau deâ Buondelmonti. Les deux signĂšrent une trĂȘve qui fut bientĂŽt rompue. En 1386, Esau sâassura de lâaide des Ottomans, mais ceux-ci aprĂšs la bataille de Kosovo (1389) furent incapables de venir Ă son aide, ce qui permit aux Albanais de ravager les environs dâIoannina le mĂȘme Ă©tĂ©, aprĂšs quoi les Malakasi conclurent une alliance avec Spata. Esau pour sa part sâallia au cĂ©sar de Thessalie (Alexis lâAnge ou Manuel) qui dĂ©fit Spata et ses alliĂ©s Malakasi plus tard au cours de lâannĂ©e. Le conflit se termina en 1396 par le mariage dâEsau Ă la fille de Spata, IrĂšne[8].
Jean Spata mourut sans hĂ©ritier le . Le pouvoir passa alors Ă son frĂšre, Sgouros Bua Spata, puis au petit-fils de Gjin, Maurice (ou Muriki) Spata, qui combattit Carlo Tocco jusquâĂ sa mort en 1414 ou 1415[9].
HĂ©ros historique
Jean Spata est un personnage important de la poĂ©sie Ă©pique des Balkans et des ArbĂ«reshĂ« dâItalie. Selon le professeur Richard Hutchinson, Jean Spata et les Albanais du XIVe siĂšcle auraient inspirĂ© lâhistoire du hĂ©ros Ă©pique grec Drakokardhos (CĆur de Lion), seigneur de Patras[10]. Pour sa part, lâuniversitaire albanais Gjergji Shuka a cru distinguer dans son histoire lâorigine de diverses lĂ©gendes et chants patriotiques des Slaves du sud (Jovan i divski stareĆĄina, Marko KraljeviÄ i Äemo BrÄanin, Jana i Detelin voyvoda) et des Albanais (Zuku Bajraktar, Dedalia dhe Katallani, Ăika e plakut Emin agĂ« vret nĂ« duel Baloze DelinĂ«). Les deux ennemis de Jean Spata, Juan Fernandez de Heredia et la reine Joanna Ire de Naples sont encore prĂ©sents dans la mĂ©moire collective des Balkans[11].
Possessions
- Ătolie (dĂ©but des annĂ©es 1360 - ?)
- Angelokastron (? â 1399)
- Acheloös (? - 1399)
- Naupacte (LĂ©pante) (1377-1378; 1380- ?)
- Arta (1377-1399).
Famille
On croit que le nom de Spata vient du mot albanais « Ă©pĂ©e »(shpatĂ«)[2]. Jean Spata aurait ainsi signifiĂ© « Jean lâĂpĂ©e »[12]. Selon Karl Hopf, historien allemand du XIXe siĂšcle, son pĂšre, Pierre (Pietro) aurait Ă©tĂ© seigneur dâAngelokastron et de Delvina (1354) sous le rĂšgne de lâ« empereur » SimĂ©on UroĆĄ NemanjiÄ (empereur dâĂpire 1359-1366, de Thessalie 1359-1370)[N 1].
Jean Spata Ă©tait Ă©galement appelĂ© Jean Bua Spata. Le nom de Bua Ă©tait portĂ© par de nombreuses personnes, principalement des condotieri, qui lâutilisaient parce quâil Ă©tait fameux, ce qui nâimplique pas nĂ©cessairement un lien de parentĂ©[13].
Jean avait un frĂšre que lâon connaĂźt, Sgouros Spata.
Lui-mĂȘme Ă©pousa Jelena, une fille du seigneur serbe Preljub (1312-1355) et sĆur de Thomas PreljuboviÄ. De cette union naquirent trois filles :
- Eirene qui Ă©pousa avant avril 1381 Marchesano de Naples, baron de MorĂ©e et bailli dâAchaĂŻe[14],
- Eirene qui Ă©pousa Esau deâ Buondelmonti, despote de Ioannina, en 1396[15].
- Une fille dont on ignore le nom qui Ă©pousa Jean Zenevisi.
Parmi ses petits-fils, on compte Maurice Spata et Yaqub Spata, prĂ©sumĂ©ment les fils dâIrĂšne. La lignĂ©e sâĂ©teignit avec Yaqub en 1416.
Notes et références
Note
- Les travaux de G. SchirÏ sur les sources originales et les archives vĂ©nitiennes concernant la gĂ©nĂ©alogie des Spata ont toutefois montrĂ© que la gĂ©nĂ©alogie proposĂ©e par Hopf devait ĂȘtre remise en question sur plusieurs points â voir bibliographie
Références
- Hammond (1976) p. 57.
- Hammond (1976) p. 59.
- Fine (1994) pp. 348-349.
- Nicol (2010) pp. 142, 146-169.
- Nicol (1984) p. 146.
- Fine (1994) p. 401.
- Nicol (1984) p. 147.
- Fine (1994) p. 355.
- Nicol (1984) pp. 123-138 et 139-156
- Hutchinson (1956) pp. 341-345.
- Shuka (2015) pp. 19-110
- Hammond (1976) p. 62.
- ShirÏ (1971-1972) p. 81.
- Nicol (1984) p. 148.
- Luttrell (1982) p. 122
Bibliographie
Sources anciennes
Deux chroniques nous sont parvenues datant de la fin du despotat :
- la Chronique de Ioannina pour la période 1341-1400 :
- (el) L. Vranousis, « To Chronikon ton Ioanninwn katâ anekdoton dimodi epitomin » [« La chronique de Ioannina selon la tradition populaire »], Medieval Archive Yearbook, AcadĂ©mie d'AthĂšnes, vol. 12, 1962, p. 57â115 ;
- la Chronique des Tocco pour la période 1375-1422 :
- (el) G. SchirĂČ, ΀ο ΧÏÎżÎœÎčÎșÏ ÏÏÎœ ΀ÏÎșÎșÏÎœ. ΀α ÎÏÎŹÎœÎœÎčΜα ÎșαÏÎŹ ÏÎ±Ï Î±ÏÏÎŹÏ ÏÎżÏ ÎΠαÎčÏÎœÎżÏ [« La chronique des Tocco, Ioannina au dĂ©but du XVe siĂšcle »], Ioannina, Etaireia Ipirotikon Meleton, 1965 ;
- (it) G. Shiro, Cronaca dei Tocco di Cefalonia di anonimo. Prolegomeni, testo critico e traduzione, Rome, coll. « CFHB », 1975.
Sources contemporaines
- (en) Fine, John Van Antwerp. The Late Medieval Balkans: A Critical Survey from the Late Twelfth Century to the Ottoman Conquest. Ann Arbor (Michigan) The University of Michigan Press, 1994. (ISBN 0-472-08260-4).
- (de) JireÄek, Konstantin Josef. Geschichte der Serben (1371 â 1537). vol. 1. Gotha, Friedriech Andreas Perthes A.-G, 1918.
- (en) Hammond, Nicholas. Migrations and Invasions in Greece and Adjacent Areas. Noyes Press, 1976. (ISBN 978-0-815-55047-1).
- (en) Hutchinson R. âThe Lord of Patrasâ dans Cretica Chronica, vol. X, Andreas Kalokerinos Ă©ditions, 1956.
- « John Bua Spata » (en ligne sur worldlibrary.org).
- Laiou Angeliki et CĂ©cile Morrisson, Le Monde byzantin, t. III : LâEmpire grec et ses voisins (XIIIeâââXVe siĂšcle), Paris, Presses universitaires de France, 2011 (ISBN 978-2-13-052008-5).
- Loenertz, Raymond-Joseph. « Aux origines du despotat d'Ăpire et de la principautĂ© d'AchaĂŻe », Byzantion, vol. 43, 1973, p. 360â394..
- (en) Luttrell, Anthony. Latin and Greece: The Hospitallers and the Crusades, 1291-1440. Ashgate Publishing, 1982. (ISBN 978-0-86078-106-6).
- (en) Madgearu, Alexandru; Gordon, Martin. The Wars of the Balkan Peninsula: Their Medieval Origins. Scarecrow Press, 2008. (ISBN 978-0-8108-5846-6).
- (sr) MihaljÄiÄ, Rade. ĐŃĐ°Ń ĐĄŃĐżŃĐșĐŸĐł ŃĐ°ŃŃŃĐČĐ°. Belgrade: Srpska knjiĆŸevna zadruga, 1975 .
- (en) Nicol, Donald M. The Despotate of Epiros, Oxford, Blackwell, 1957 (ce volume, difficile à trouver, porte sur la période 1204-1267).
- (en) Nicol, Donald MacGillivray, The Despotate of Epiros 1267â1479: A Contribution to the History of Greece in the Middle Ages, Cambridge University Press, 1984 and 2010. (ISBN 978-0-521-13089-9).
- Nicol, Donald M. Les Derniers SiĂšcles de Byzance, 1261-1453, Paris, Les Belles Lettres, 2005 (ISBN 2-251-38074-4).
- (it) SchirÏ, Giuseppe. âLa genealogia degli Spata tra il XIV e XV sec. e due Bua sconosciouti », Rivista di Studi Bizantini e Neoellenici, Universita di Roma, Roma, 1971-1972, pp. 67â85.
- (al) Shuka, Gjergji, "Tridhjetë këngë dhe legjenda ballkanike: Studim mbi origjinën historike", Botimet Naimi, Tiranë, 2015.
- (en) Soulis, George Christos. The Serbs and Byzantium during the reign of Tsar Stephen DuĆĄan (1331â1355) and his successors, Dumbarton Oaks, 1984. (ISBN 0-88402-137-8).
- (en) Ć ufflay, Milan. Serbs and Albanians, their Symbiosis in the Middle Ages. Original edition, Alerion, 1900. Reprinted 2012.