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Lascaris

La famille des Lascaris, Laskaris ou Lascarides (en grec, masculin : Î›ÎŹÏƒÎșαρης ; fĂ©minin : ΛασÎșÎ±ÏÎŻÎœÎ±) appartenait Ă  la noblesse grecque byzantine ; elle a rĂ©gnĂ© sur l'Empire de NicĂ©e de 1204 Ă  1258, date Ă  laquelle elle a Ă©tĂ© remplacĂ©e par les PalĂ©ologue lors de la reconquĂȘte de Constantinople. Elle est demeurĂ©e l'une des familles importantes de l'Empire byzantin jusqu'Ă  sa chute le . La famille s'Ă©parpilla alors un peu partout en Europe ; une de ses branches s'Ă©tablit Ă  la frontiĂšre entre la France et l'Italie actuelle. D'aprĂšs Georges PachymĂšre, on les appelait Ă©galement Tzamantouros (Î€Î¶Î±ÎŒÎŹÎœÏ„ÎżÏ…ÏÎżÏ‚)[1].

Étymologie

On a proposĂ© diverses hypothĂšses sur l'origine du nom. Selon le Oxford Dictionary of Byzantium, l'Ă©tymologie la plus probable dĂ©riverait du perse asgari (persan : ŰčŰłÚŻŰ±ÛŒ) qui signifie guerrier, soldat[2], d’oĂč est aussi issu le mot « lascar » en français. Des spĂ©cialistes grecs soutiennent toutefois que le nom viendrait plutĂŽt de ÎŽÎŹÏƒÎșαρης (dĂĄskarĂȘs), une variante cappadocienne du mot « enseignant »[3].

Les Lascaris et l'Empire de Nicée

Théodore Ier Laskaris
Théodore Ier Laskaris, fondateur de l'empire de Nicée et de la dynastie des Lascaris


Ce nom se retrouve pour la premiÚre fois dans le testament d'Eustathios Boilas en date de 1059. Les gens mentionnés dans ce document étaient de simples paysans.

Toutefois, dans son ouvrage "The Byzantine Hellene" (2019), Dimiter Angelov (Dumbarton Oaks, université Harvard) avance que la famille Lascaris descend trÚs certainement du patrice Artasir Laskaris, identifié sur un sceau trouvé à Klicevac, sur le Danube (édité en 1990 par L. Maksimovic et M. Popovic) dans les termes : "Artaseiras, fils du frÚre de Phaltoum, prince du pays des kantzakÚnes" donné en otage à Byzance en 1055.

Cet otage définitivement établi à Byzance, patrice et général, serait dans cet ordre d'idée fils d'Ali Laskar II, ou Lashkari Ali ben Musa, gouverneur de Gandja, de la dynastie Kurde des Cheddadides.

Cette hypothĂšse s'accorde avec l'Ă©tymologie perse du nom Laskar et explique mieux l'insertion de cette famille dans les milieux aristocratiques.

On retrouve le nom Ă  Thessalonique en 1180 oĂč Michel Laskaris Ă©tait un citoyen important ainsi qu’en 1246 lorsqu’un autre Michel Laskaris fut accusĂ© de conspiration contre Demetrios Angelos Doukas[4]. On ignore cependant s’il y a un lien entre ces personnes et ThĂ©odore Ier Lascaris, fondateur de la dynastie.

Les premiers Laskaris Ă  atteindre la notoriĂ©tĂ© publique furent les frĂšres Constantin et ThĂ©odore, fils de Manuel « Manolis » Laskaris et de Ioanna Phokaina Karatzaina (Î™Ï‰ÎŹÎœÎœÎ± ΘώÎșαÎčΜα ÎšÎ±ÏÎŹÏ„Ï‚Î±ÎčΜα), dans les derniĂšres annĂ©es de la dynastie des Anges lorsque ThĂ©odore Ă©pousa Anna ComnĂšne Angelina, la fille d’Alexis III l’Ange[5]. Il semble que Constantin ait Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme un candidat au trĂŽne peu avant le sac de Constantinople par les croisĂ©s. Mais les deux frĂšres prĂ©fĂ©rĂšrent quitter Constantinople afin de conduire la rĂ©sistance contre les Latins Ă  partir de l’Asie mineure. ThĂ©odore y fonda l’empire de NicĂ©e qui devait progressivement s’imposer comme le vĂ©ritable successeur de l’empire byzantin.

À sa mort, ThĂ©odore Ier Lascaris (nĂ© vers 1174, empereur 1205, dĂ©cĂ©dĂ© 1222) avait rĂ©ussi par le traitĂ© de Nymphaion Ă  circonscrire les possessions latines en Asie mineure Ă  l’angle nord-ouest de l’Anatolie. Il Ă©tait Ă©galement parvenu Ă  endiguer l’expansion de l’empire de TrĂ©bizonde Ă  l’ouest, Ă  s’entendre avec les Turcs seldjoukides au sud-est et Ă  mettre un terme aux tendances sĂ©paratistes de diffĂ©rents seigneurs qui avaient tentĂ© de crĂ©er des mini-États comme Manuel MaurozomĂšs dans la vallĂ©e du MĂ©andre ou Sabas AsidĂ©nos Ă  Sampson, prĂšs de Milet[6]. Ses deux fils, Nicolas et Jean Ă©tant morts, ThĂ©odore ne laissait que des filles. Ignorant ses frĂšres, c’est le mari de sa fille IrĂšne, Jean Doukas VatatzĂšs, qu’il choisit comme successeur.

Furieux, deux des frĂšres de ThĂ©odore, Isaac et Alexis, s’empressĂšrent de se rendre auprĂšs du nouvel empereur latin de Constantinople pour les aider Ă  chasser celui qui avait pris le titre de Jean III Doukas VatatzĂšs (nĂ© vers 1192, empereur 1221, dĂ©cĂ©dĂ© 1254). Le jeune empereur Robert de Courtenay y vit l’occasion de dĂ©senclaver les possessions latines en Asie mineure et lança une expĂ©dition qui fut anĂ©antie par les forces de Jean III VatatzĂšs Ă  PoimanĂ©on, l’endroit mĂȘme oĂč vingt-deux ans auparavant son beau-pĂšre avait Ă©tĂ© dĂ©fait par les Latins. Ces derniers furent forcĂ©s d’évacuer tous les territoires qu’ils possĂ©daient encore en Anatolie alors que les deux frĂšres Ă©taient faits prisonniers[7].

À partir de l’Anatolie, Jean III VatatzĂšs, tantĂŽt luttant contre les Bulgares, tantĂŽt faisant alliance avec ceux-ci, combattit le despote d’Épire qui contestait le droit de NicĂ©e Ă  l’hĂ©ritage de Byzance le revendiquant pour lui-mĂȘme. Jean III VatatzĂšs parvint Ă  Ă©tendre ses possessions en Europe et Ă  prendre Constantinople en tenailles[8]. Il crĂ©a ainsi les conditions qui permirent quelques annĂ©es plus tard la reconquĂȘte de Constantinople et fit de l’empire de NicĂ©e la plus forte puissance de la rĂ©gion aprĂšs la mort du tsar bulgare Ivan AsĂȘn II.

Le rĂšgne de son fils, ThĂ©odore II Lascaris (nĂ© 1221, empereur 1254, dĂ©cĂ©dĂ© 1258) fut trĂšs bref et marquĂ© moins par de nouvelles conquĂȘtes territoriales que par le lustre intellectuel qu’il sut donner Ă  l’empire. ÉlevĂ© comme un « roi-philosophe », il laissa une abondante production littĂ©raire, scientifique et thĂ©ologique et fit en sorte que la renommĂ©e intellectuelle de NicĂ©e puisse se comparer avantageusement Ă  celui des plus beaux jours de Byzance. S’appuyant sur des conseillers d’humble origine, il s’aliĂ©na l’aristocratie dont de nombreux membres (parmi lesquels le futur Michel (VIII) PalĂ©ologue) furent contraints Ă  l’exil[9].

Quelques jours Ă  peine aprĂšs sa mort, les mĂ©contents, Ă  l’instigation de Michel PalĂ©ologue, se vengĂšrent en assassinant Georges Mouzalon, ami intime que ThĂ©odore II avait nommĂ© rĂ©gent pendant la minoritĂ© de son fils, Jean IV Lascaris (nĂ© 1250, empereur 1258, renversĂ© 1261, dĂ©cĂ©dĂ© vers 1305). Michel fut nommĂ© rĂ©gent et mĂ©gaduc[10]. Il fut couronnĂ© coempereur de mĂȘme que son protĂ©gĂ©, Jean IV, Ă  Nymphaion au dĂ©but 1259 au cours d’une cĂ©rĂ©monie oĂč lui-mĂȘme et sa femme reçurent la couronne impĂ©riale alors que le jeune Jean IV devait se contenter d’un bonnet serti de perles. Jean IV fut rapidement mis de cĂŽtĂ© et, aprĂšs la reconquĂȘte de Constantinople, fut aveuglĂ© sur les ordres de Michel VIII le , jour anniversaire de ses onze ans. Il fut alors relĂ©guĂ© Ă  la forteresse de Dakibyze sur la rive sud de la mer de Marmara; le patriarche ArsĂšne Autorianos excommunia Michel PalĂ©ologue pour son geste, ce qui lui valut d’ĂȘtre dĂ©posĂ©. Nombreux cependant furent les Anatoliens qui restĂšrent fidĂšles Ă  la dynastie des Laskaris; lorsque Andronic II PalĂ©ologue, successeur de Michel VIII, visita l’Asie mineure en 1284, il alla voir Jean dans son donjon pour demander pardon pour la conduite de son pĂšre[11].

La famille Laskaris conserva une certaine prĂ©Ă©minence sous la dynastie des PalĂ©ologues et certains de ses membres occupĂšrent des postes importants comme Michel Laskaris, frĂšre de ThĂ©odore Ier, qui demeura Ă  la cour de Michel VIII et reçut le titre honorifique de megas doux. Leur influence diminua aux XIVe et XVe siĂšcles. Si l’on trouve un Manuel Laskaris domestique des Scholes[12] vers 1320 et un Alexis Laskaris qui fut megas hetaireiarches[13] en 1369/70, mais on les trouve plus frĂ©quemment dans l’administration civile comme gouverneurs de province, courtisans ou grands propriĂ©taires terriens [5].

Les Laskaris en Italie

Beatrice de Tende
Beatrice Lascaris de Tende qui a inspirĂ© l'Ɠuvre de Vincenzo Bellini.

Plusieurs membres de la famille se dirigĂšrent vers l’Italie ou les territoires contrĂŽlĂ©s par les rĂ©publiques italiennes peu avant ou aprĂšs la chute de Constantinople. Ainsi Jean Pegonites Lascaris fut un compositeur qui quitta Constantinople pour la CrĂȘte entre 1410 et 1420 oĂč il ouvrit une Ă©cole de musique pour jeunes gens[14]. Les Ă©crivains Constantin Laskaris et Jean Ryndakenos Laskaris s’établirent en Italie aprĂšs la chute de Constantinople et firent partie des nombreux Byzantins qui contribuĂšrent Ă  l’essor de la Renaissance[5].

Peu aprĂšs la reconquĂȘte de Constantinople, Michel VIII PalĂ©ologue se hĂąta de marier les sƓurs de Jean IV Ă  des Ă©trangers de façon que leurs descendants ne puissent prĂ©tendre au trĂŽne impĂ©rial. C’est ainsi que la jeune Eudoxie Lascaris fut mariĂ©e le Ă  Guillaume-Pierre Ier de Vintimille (1257-1282), seigneur de Tende et de La Brigue (1253-1283) qui appartenait Ă  la noblesse italienne. Il empruntera Ă  sa femme son nom, crĂ©ant ainsi la famille des Lascaris de Vintimille. Eudoxie se serait retirĂ©e Ă  la cour de Pierre III d’Aragon Ă  la mort de son mari, avec ses filles Vatacia, Violante et BĂ©atrice. Cette branche compte parmi ses membres de nombreux militaires, Ă©vĂȘques et cardinaux catholiques, dĂ©corĂ©s de l'ordre du Saint-Esprit et de l'ordre de Saint-Louis, ainsi qu’un grand-maĂźtre de l'ordre de Saint-Jean de JĂ©rusalem, Jean-Paul de Lascaris-Castellar. Les Lascaris de Tende rĂ©gnĂšrent sur le comtĂ© de Tende (aujourd’hui en France, alors en Italie) jusqu’en 1501 lorsque la derniĂšre du nom, Anne Lascaris, mariĂ©e Ă  RenĂ© de Savoie transfĂ©ra le comtĂ© aux Savoie. La plus cĂ©lĂšbre reprĂ©sentante de cette branche fut BĂ©atrice Lascaris de Tende (vers 1372 – 1418), dont le destin tragique inspira l’opĂ©ra en deux actes de Bellini, Beatrice di Tenda.

Notes et références

  1. PachymĂšres, I : 91, 21.
  2. Justi (1963), p. 183
  3. Polemis (1968), p. 139
  4. AkropolitĂšs, I :79,26.
  5. Kazhdan 1991, p. 1190, s. v. « Laskaris »
  6. Kazhdan 1991, v. 3, p. 2019, s. v. « Theodore I Laskaris ».
  7. Kazhdan 1991, v. 2, p. 1047, s. v. « John III Vatatzes ».
  8. Treadgold (2001), p.238 ; Norwich (1996), p. 197 ; Ostrogorsky (1983), p. 462.
  9. Kazhdan 1991, v. 3, p. 2040, s. v. « Theodore II Laskaris ».
  10. LittĂ©ralement « duc en chef »; le titre fut crĂ©Ă© par Alexis Ier pour dĂ©signer l’amiral de la flotte, alors que le megas domestikos Ă©tait responsable des armĂ©es de terre. Cfr Rosser (2006), p. 265.
  11. Kazhdan 1991, v. 2, p. 1048, s. v. « John IV Laskaris » et Kazhdan 1991, v. 2, p. 1367, s. v. « Michael VIII Palaiologos ».
  12. Le terme de domestique Ă©tait utilisĂ© pour dĂ©signer d’importants commandants militaires, fonctionnaires civils ou prĂ©lats ecclĂ©siastiques ; le domestique des Scholes commandait entre autres la garde impĂ©riale. Cfr Rosser (2006), p. 122.
  13. Les hetaires Ă©taient des rĂ©giments de la garde impĂ©riale composĂ©s originellement d’étrangers russes et Khazars, puis, Ă  partir du XIe siĂšcle de jeunes nobles. Cfr Rosser (2006), p. 190.
  14. Kazhdan 1991, v. 2, p. 1181, s. v. « Laskaris, John ».

Bibliographie

  • AkropolitĂšs, Georges. Georgii Acropolitae Opera, ed. A. Heisenberg, 2 vols., Leipzig 1903. [en ligne] BibliothĂšque gallica, BibliothĂšque Nationale de France. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k25195c.
  • Justi, F. Iranisches Namenbuch, 1re Ă©dition Marburg 1895, rĂ©imprimĂ© Hildesheim, 1963 [en ligne] https://archive.org/details/IranischesNamenbuch.
  • (en) Alexander Kazhdan (dir.), Oxford Dictionary of Byzantium, New York et Oxford, Oxford University Press, , 1re Ă©d., 3 tom. (ISBN 978-0-19-504652-6 et 0-19-504652-8, LCCN 90023208).
  • Laiou, Angeliki et CĂ©cile Morrisson. Le Monde byzantin, tome III, l’Empire grec et ses voisins, XIIIe-XVe siĂšcle. Coll. L’histoire et ses problĂšmes, Paris, Presses universitaires de France, 2011. (ISBN 978-2-13-052008-5).
  • Norwich, John Julius. Byzantium, tome 3, The Decline and Fall, New York, Alfred A. Knopf, 1996. (ISBN 0-679-41650-1).
  • Ostrogorsky, Georges. Histoire de l’État byzantin. Paris, Fayot, 1983. (ISBN 2-228-07061-0).
  • PachymĂšres. Georges, Georges PachymĂ©rĂšs : Relations historiques, ed. A. Failler, vol. 1, Paris 1984
  • Polemis, Demetrios I. The Doukai : A Contribution to Byzantine Prosopography, London, Athlone Press, 1968.
  • Rosser, John H. The A to Z of Byzantium, The Scarecrow Press Inc. Lanham, Toronto, Oxford, 2006. (ISBN 978-0-8108-5591-5).
  • Runciman, Steven. The Last Byzantine Renaissance. Cambridge, Cambridge University Press, 1970. (ISBN 978-0-521-09710-9)
  • Treadgold, Warren. A History of the Byzantine State and Society. Stanford, University of Stanford Press. (ISBN 0-8047-2630-2).

Articles connexes

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